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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les externalisations dans le domaine de la défense

Mardi 31 mai 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 36

Présidence de M. David Habib, Président

– Audition, ouverte à la presse, de représentants des organisations syndicales représentatives du personnel civil de la défense : MM. Gilles Goulm, secrétaire général, et Serge Guitard, secrétaire général adjoint, de la Fédération syndicale FO de la Défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés ; MM. Roland Denis, secrétaire national filière administrative, et Mickaël Pallier, secrétaire national adjoint filière technique, de la Fédération CGC Défense ; Mme Marie-Christine Ledieu, secrétaire générale adjointe, et M. Gilles Frostin, président du syndicat des corps administratifs supérieurs (SCAS), de l'UNSA Défense ; M. Yves Naudin, secrétaire général de la Fédération CFTC Défense ; M. Luc Scappini, secrétaire général de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'État ; MM. Yannick Malenfant, secrétaire général, et Lucien Bécue, membre du bureau fédéral, de la Fédération nationale des travailleurs de l'État (FNTE)-CGT sur les externalisations dans le domaine de la défense.

M. David Habib, Président. Dans le cadre de nos travaux relatifs aux externalisations dans le domaine de la Défense, nous accueillons des représentants des organisations syndicales représentatives du personnel civil de la Défense : pour la fédération syndicale FO de la Défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés, M. Gilles Goulm, secrétaire général et M. Serge Guitard, secrétaire général adjoint ; pour la fédération CGC Défense, M. Roland Denis, secrétaire national de la filière administrative, et M. Mickaël Pallier, secrétaire national adjoint de la filière technique ; pour l'UNSA Défense, Mme Marie-Christine Ledieu, secrétaire générale adjointe, et M. Gilles Frostin, président du syndicat des corps administratifs supérieurs (SCAS) ; pour la Fédération CFTC Défense, M. Yves Naudin, secrétaire général ; pour la CFDT-fédération des établissements et arsenaux de l'État, M. Luc Scappini, secrétaire général ; pour la fédération nationale des travailleurs de l'État (FNTE)-CGT, M. Yannick Malenfant, secrétaire général, et M. Lucien Bécue, membre du bureau fédéral.

Madame, messieurs, avant de laisser les rapporteurs vous interroger, je vous invite à présenter l’appréciation de vos syndicats respectifs sur le mouvement d’externalisation mené par le ministère de la Défense, la manière dont il est conduit et les modalités d’association des organisations syndicales aux décisions.

M. Gilles Goulm, secrétaire général de la fédération syndicale FO de la Défense, des industries de l’armement et des secteurs assimilés. Force Ouvrière s'est toujours exprimée contre la politique d'externalisation, dans la mesure où celle-ci remet en cause les missions et, par voie de conséquence, les emplois des personnels civils de la Défense. Nous avons dénoncé à maintes reprises les méthodes de l'administration : lorsqu’elle consulte les organisations syndicales, elle ne tient ensuite aucun compte des arguments développés, dès lors qu'ils ne vont pas dans le sens de la volonté d'externaliser à tout prix.

Nous avons pu le constater lors des discussions relatives à l'externalisation de la fonction restauration-hébergement-loisirs (RHL 1) : nous avons démontré les incohérences du dossier, notamment quant à la comparaison des coûts ; néanmoins, M. Alain Juppé, ministre de la Défense, a pris la décision d'externaliser. Alors que les discussions étaient toujours en cours, certains responsables, au ministère ou dans les états-majors, n'hésitaient pas à affirmer que la mesure irait à son terme, quel que soit l'avis des syndicats. Dès lors, les personnels en poste sur les fonctions concernées se sont positionnés sur des emplois vacants, ce qui a entraîné une incapacité à remplir la mission et a rendu, de fait, la mesure d'externalisation inéluctable.

Force Ouvrière réfute l'argument selon lequel l'externalisation serait source d'économies. Sur le projet RHL 1, les études réalisées par la fédération FO ont démontré que les économies envisagées ne seraient pas au rendez-vous. En outre, nous avons pu relever les incohérences du ministère en matière de « civilianisation » des postes – qui, nous en sommes convaincus, est également source d'économies et peut être envisagée en lieu et place de l'externalisation. Alors que nous dénonçons depuis des années le recours à la main-d'œuvre militaire – dont la masse salariale est sensiblement plus élevée que celle des personnels civils – sur les fonctions de soutien, le ministère objecte le « surcoût pensions » des personnels militaires, lequel fausse considérablement la comparaison des coûts.

Vous nous interrogez sur la qualité de service à la suite de l’externalisation. L’évaluation est difficile sans enquêtes auprès des personnels. Certaines mesures d'externalisation ont conduit à une détérioration qui a amené des directions ou états-majors à dénoncer des marchés ou à rappeler des prestataires à l’ordre. Ce fut notamment le cas au détachement Air de Varennes-sur-Allier, où la qualité de la restauration était devenue déplorable. Sans jeter l'opprobre sur le secteur privé, force est de constater que la recherche systématique de profit peut entraîner une baisse de la qualité. Une certaine naïveté au sein du ministère fait considérer les entreprises privées comme des entités attachées à la bonne gestion des deniers publics et à la réalisation des missions confiées, à la limite de la philanthropie et du mécénat…

Il faut également ne pas perdre de vue que l'administration, une fois l'externalisation décidée, n'exerce pas ou peu de contrôle a posteriori sur le service rendu. De plus, il est plus facile pour la société détentrice du marché de s’occuper de qualité quand le ministère prend en charge les travaux et remet aux normes les installations – ce qu’il n’accepte aujourd’hui de faire qu’en cas d'externalisation. C'est vrai notamment dans le domaine de la restauration : des infrastructures ont été remises à neuf avant externalisation, alors que de nombreux cercles et mess ont besoin de travaux, à hauteur de plusieurs millions d'euros – c’est le cas par exemple à la base aérienne d'Istres.

Le décret du 21 septembre 2010 relatif à la mise à la disposition (MALD) qui permet de mettre à la disposition d'entreprises privées les personnels de la Défense, en finançant la différence de rémunération, aurait pu paraître séduisant si le ministère n'avait pas considéré et écrit depuis des années que les personnels civils constituaient un « frein à l'externalisation ». En réalité, cette mesure n'a aucun caractère social : c’est une réponse aux difficultés rencontrées par l'administration pour reclasser les personnels, dans le cadre de l'externalisation, sur des métiers qui n'existent plus en régie.

De plus, contrairement à ce qui est affiché par le ministère, les agents n’ont pas réellement le choix, dès lors que l’alternative est, pour les personnels civils, la mise à la disposition ou la mobilité à plusieurs centaines de kilomètres et, pour les personnels militaires, la MALD ou le non-renouvellement du contrat, donc le chômage. Les difficultés rencontrées actuellement à Creil pour l'externalisation de la quasi-totalité du soutien démontrent les limites de l'exercice ; alors que le marché n'est pas notifié, les agents n'ayant pas opté pour la MALD sont partis dans le cadre des restructurations, ce qui pose d'énormes problèmes dans la réalisation des missions.

Il est difficile de fixer une ligne rouge, une limite à ne pas franchir en matière d'externalisation. Ceux qui tentent de la tracer évoquent souvent le « cœur du métier », notion fluctuante en fonction des sensibilités politiques ou de l'idée que nos interlocuteurs se font de la Défense. Lorsque l'on externalise la totalité du soutien, y compris le gardiennage et les contrôles d'accès à Creil, alors que s'y trouve la direction du Renseignement militaire (DRM), on peut légitimement se demander si les limites n'ont pas déjà été franchies. On peut également se poser des questions sur la sûreté de certains sites quand, alors que les personnels font l'objet de contrôles drastiques, les véhicules des sociétés extérieures, par exemple les engins d'enlèvement des ordures, y accèdent sans aucune difficulté.

Le partenariat public-privé est présenté comme une possibilité pour l’État, notamment à Balard, de renouveler ses infrastructures. Or on en profite pour établir un partenariat complet, incluant la fourniture des fluides, du matériel informatique et du mobilier, le gardiennage, l'entretien d'infrastructures ou encore le nettoyage, ce qui rend le ministère dépendant de la ou des sociétés titulaires du marché. Hélas, un retour d'expérience ne serait possible qu'en fin de contrat et de toute façon, il serait difficile de revenir à un fonctionnement en régie, faute de moyens humains et techniques. Des réserves sur le PPP Balard ont été formulées par les sénateurs Trucy et Boulaud dans leur rapport d'information n° 503.

Même s'il est arrivé que le ministère éprouve des désillusions, nous n'avons pas d'exemple de cas où il ait fait machine arrière. Les projets non encore concrétisés ressurgissent au gré de la composition du cabinet ; et lorsque la décision est prise, le retour en arrière est impossible puisque le potentiel humain et les moyens techniques n'existent plus. Les personnels ont le sentiment que l'externalisation est souvent orchestrée au plus haut niveau : il suffit de ne plus investir, de ne plus recruter sur certaines fonctions, de ne plus former le personnel pour pouvoir expliquer ensuite que l'externalisation de la mission est devenue incontournable.

Enfin, il n'appartient pas à FO de s'exprimer sur la capacité opérationnelle des forces. Nous osons croire que les caciques de l'externalisation à tout crin ont à l'esprit le maintien de cette capacité – même si parfois nous pouvons en douter. Les craintes sont légitimes, notamment pour l'externalisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels aéronautiques.

Nous notons néanmoins que l'externalisation de certaines missions est courante aujourd'hui en opérations extérieures, par exemple pour la restauration. Quant au risque de grève et au droit de retrait, ils sont également évoqués par ceux qui refusent d'accueillir des personnels civils sur les fonctions de soutien. Certaines armées anglo-saxonnes sont revenues sur leurs visions passées du « tout externalisé » et ont un taux de personnels civils plus élevé que celui des armées françaises. La solution est dans le rééquilibrage des effectifs militaires et civils dans les fonctions de soutien ; les personnels civils ont toujours démontré qu'ils étaient attachés à leur mission de soutien des forces et de maintien en condition opérationnelle.

M. David Habib, Président. Afin de permettre ensuite un échange avec les rapporteurs, je demande aux intervenants suivants de s’en tenir pour l’instant à l’objet précis de ma question relative à l’appréciation générale de vos organisations syndicales sur le mouvement d’externalisation.

M. Roland Denis, secrétaire national filière administrative de la Fédération CGC Défense. À cette première question, ma réponse sera très courte. Les organisations syndicales sont peu informées de l’avancement des chantiers d’externalisation au ministère de la Défense. Elles n’ont aucune information pertinente sur leur intérêt économique et sur leur impact en termes d’emplois supprimés ou créés au sein du ministère. Dans ces conditions, Défense CGC s’interroge sur l’intérêt des externalisations.

Mme Marie-Christine Ledieu, secrétaire générale adjointe de l’UNSA Défense. Notre organisation est opposée à la politique d’externalisation engagée depuis une quinzaine d'années au ministère de la Défense. L'UNSA considère qu'il s'agit d'une politique à caractère purement idéologique, qui n'a pas prouvé son efficacité et qui fait fi des intérêts des personnels, dans un contexte rendu déjà particulièrement difficile par la révision générale des politiques publiques – la RGPP.

Malheureusement, les externalisations vont monter en puissance. C'est le soutien, bien sûr, qui est touché. On avait déjà connu les externalisations liées à la suppression du service national et à la disparition des appelés. Ensuite étaient venues celles décidées dans le cadre de la stratégie ministérielle de réforme entre 2003 et 2008. Et voilà maintenant celles qui découlent de la RGPP et de la loi de programmation militaire. Le mouvement s'accélère. 16 000 emplois devraient disparaître, dont 8 000 en RHL, 2 200 pour l'infrastructure, 2 000 pour le MCO, et beaucoup dans l'informatique.

Une chose est sûre : si les personnels touchés par une externalisation pouvaient espérer il y a encore quelques années, avec un peu de chance, une mutation ou une reconversion dans un service du ministère de la Défense pas trop éloigné de leur domicile, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Avec la RGPP et ses nombreuses fermetures d'établissement, les possibilités de reclassement sont devenues très réduites, voire quasi-nulles dans certaines localités.

Tout cela crée un sentiment de précarisation chez les personnels affectés aux missions de soutien, bien conscients que la pérennité de leurs fonctions est menacée. Le stress et l'inquiétude prédominent, les risques psychosociaux sont plus forts que jamais, des suicides ont été déplorés.

Bien sûr, les personnels travaillant dans les services qui vont être externalisés ont la possibilité d'être mis à la disposition du prestataire ayant obtenu le marché d'externalisation, mais il ne peut s’agir que d’un choix résigné : les agents sont attachés à la culture du service public, dans ses missions et dans son mode de fonctionnement ; vous admettrez le bouleversement professionnel que peut représenter leur intégration dans une entreprise privée, fût-elle installée sur un site militaire. Quant à un retour de ces personnels au sein des services du ministère, il sera de plus en plus hypothétique, du fait des réductions d'emplois liées à la RGPP et à la suppression des missions. Les projets d'externalisation auxquels le ministère est attaché, en particulier celui qui concerne le secteur RHL, qui devrait toucher 8 000 personnes, vont donc avoir des conséquences sociales dramatiques.

Cette politique est d'autant plus regrettable que l’on n'en voit pas la justification. La réalité des gains économiques est très difficile à apprécier. Une part importante des externalisations réalisées dans la dernière décennie a été engagée sans connaissance précise des coûts en régie. L'absence de comptabilité analytique aurait d'ailleurs rendu les calculs problématiques. Lorsqu'il y a des gains économiques apparents, en tout cas annoncés comme tels par les autorités du ministère – véhicules de la gamme commerciale, avions de l'école de pilotage de Cognac –, c’est lié pour partie à la réorganisation des prestations. En tout cas, en termes de coûts, les exemples étrangers montrent que les économies réalisées, peu significatives, sont sans commune mesure avec ce qui était attendu.

Si l'on ajoute à cela que l'externalisation entraîne une perte irréversible de savoir-faire et qu'elle ruine chez les personnels concernés le sentiment d'appartenance à notre communauté de Défense, vous comprendrez que nous renouvelions notre attachement à la gestion directe des activités de soutien par les services du ministère.

M. Yves Naudin, secrétaire général de la Fédération CFTC Défense. Je vous prie d’excuser M. Patrick Doupsis, président fédéral, retenu par d’autres obligations.

Aucun des syndicats ici représentés n’a demandé les externalisations. Pour nous, elles constituent l’une des couches du millefeuille indigeste des réformes entreprises au ministère de la Défense. Elles interviennent sur un terrain mouvant, qu’il s’agisse du format des armées ou des bases de défense, toujours pas stabilisées. Les syndicats, heureusement, ont pu freiner un peu le mouvement – il y a eu des boycotts. Nous avons obtenu la mise à l’étude d’une régie rationalisée et « civilianisée » – car le coût du personnel militaire est bien différent de celui du personnel civil. L’état-major des armées n’a pas toujours pratiqué  la concertation avec les représentants du personnel civil ; le secrétaire général pour l’Administration (SGA), M. Christian Piotre, a heureusement fait évoluer la situation à partir de la mi-2009. Au-delà de ces réunions de concertation, nous attendons maintenant avec impatience la comparaison entre l’opération RHL 1, lancée la veille de Noël par M. Juppé, et la régie rationalisée dont on nous présentera l’étude le 21 juin prochain.

M. Luc Scappini, secrétaire général de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l’État. Les externalisations constituent l’un des trois piliers de la réforme en cours au ministère de la Défense, les deux autres étant les restructurations et les réorganisations. Cette démarche globale engagée il y a trois ans, qui ne répond à aucune logique, ni de mission, ni opérationnelle, ni industrielle, a des implications pour les personnels civils, pour les personnels militaires et pour les matériels. Nous craignons qu’il en résulte la mise à mal de notre outil de Défense.

S’agissant des externalisations, un document avait été remis aux organisations syndicales le 16 juin 2009. Des « auditeurs RGPP » ont ciblé plus de 15 missions externalisables, parmi lesquelles certaines appartiennent au cœur de métier, telles que le maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique, le MCO terrestre, ou encore la protection. L’ensemble des organisations syndicales, dès septembre 2009, a demandé une table ronde avec le ministre, M. Hervé Morin, pour faire le point sur les missions de la Défense, l’outil de Défense et les personnels : il était temps, après le lancement de restructurations et de réorganisations, de tout mettre sur la table. Malheureusement, les choses ont continué à être menées tambour battant.

Le véritable objectif était de supprimer des emplois publics : il fallait aller au-delà des 54 000 postes – et pourquoi pas atteindre 75 000… La CFDT est totalement contre cette démarche. Attentifs aux observations formulées par la Cour des comptes à propos de ce qui avait été fait dans le cadre de la stratégie ministérielle de réforme (SMR) de Mme Alliot-Marie en 2003, et dont aucun véritable bilan n’a d’ailleurs été donné aux partenaires sociaux, nous demandons que l’externalisation ne devienne pas un mode de gestion : les incertitudes et les dangers sont trop nombreux.

M. Yannick Malenfant, secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs de l’État (FNTE) – CGT. L’ensemble des organisations syndicales représentatives au ministère de la Défense avait en effet demandé une table ronde sur les externalisations et ne l’a jamais obtenue.

Depuis trois ans, même si, au ministère, on dit ne pas faire de l’externalisation un dogme, nous constatons que c’est bien d’une politique d’externalisation qu’il s’agit, comme le montrent les chiffres qui figurent dans le rapport de la Cour des comptes.

En ce qui concerne l’externalisation de la fonction RHL, certes des réunions ont été organisées, mais la décision a été prise entre Noël et le Jour de l’an sans tenir aucun compte des arguments avancés par les organisations syndicales ! Pour RHL 1, le ministère a dépensé 900 000 euros pour demander à Capgemini de réaliser l’étude puis de mettre en œuvre l’externalisation…

Il faut distinguer deux types d’externalisations. Certaines sont décidées au niveau central – par exemple sur la fonction RHL. D’autres se pratiquent dans les établissements, où le manque de personnel conduit, localement, à recourir à la sous-traitance ; mais sur ce sujet, nous n’avons aucune discussion avec le ministère.

« Externaliser les fabrications qui ne font pas partie du cœur de métier, compte tenu de la baisse des effectifs » : tels sont les mots que je lis dans un document de la direction générale de l’Armement (DGA). C’est bien l’explication : on externalise parce que l’on n’a plus les moyens de faire. Qu’il s’agisse de la SMR de 2003 ou de la RGPP, la démarche est la même.

Prenons l’exemple de l’habillement, fonction qui occupe 1 500 personnes, civils et militaires, et qui fait l’objet d’un appel d’offres. Au lieu du stock actuel de trois ans, l’entreprise propose un stockage d’un an. Les chiffres ne sont donc pas comparables.

Nous avons demandé que les organisations syndicales puissent, elles aussi, solliciter les services d’un cabinet, mais le ministère nous a toujours refusé – alors que, je le répète, il n’hésite pas à débourser 900 000 euros pour une seule expertise.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. D’après vous, organisations syndicales, quelle est la part des externalisations qui résulte de la fin du service national et quelle est celle qui est directement liée à la réduction, à hauteur de 54 000 postes, du format global des forces ?

M. Gilles Goulm – FO. Pour nous, la politique d’externalisation est une résultante de la politique de militarisation des emplois menée depuis des années. Au moment de la professionnalisation des armées en 1996, nous avions déjà dit qu’il fallait arrêter de militariser les emplois de soutien et que cette folie nous conduirait tout droit à l’externalisation, la masse salariale des militaires n’étant pas supportable – celle des personnels civils est inférieure de 30 à 40 %. Mais nous n’avons pas été entendus, et nous ne le sommes toujours pas en dépit des réunions de concertation : on nous donne raison sur le fait qu’il y a trop de personnels militaires, mais au lieu de les remplacer par des personnels civils, on externalise, l’objectif étant de diminuer l’emploi public. Le phénomène a un aspect culturel : certaines armées n’ont pas voulu accueillir des personnels civils sur les emplois libérés par la fin de la conscription.

M. Luc Scappini – CFDT. Bien souvent, l’insuffisance de la ressource est utilisée comme argument pour justifier l’externalisation. En réalité, il s’agit plutôt d’une stratégie : lorsqu’on fait circuler l’information que telle activité va être externalisée, les personnels cherchent des perspectives ailleurs. C’est ce qui s’est passé avec RHL 1 : il est scandaleux d’avoir parlé de volontariat des personnels, la moitié d’entre eux étaient partis.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Ont-ils bénéficié de mesures incitatives ?

M. Luc Scappini – CFDT. Toute la hiérarchie intermédiaire a démoralisé le personnel en annonçant que l’activité serait externalisée. Pendant ce temps, il n’y a eu qu’un semblant de concertation avec les organisations syndicales. On nous a refusé le recours à un cabinet d’expertise indépendant, mais nous avons quand même pu démontrer que les chiffres avancés étaient totalement fantaisistes. Maintenant, on nous dit qu’on ne peut pas revenir en arrière… Mais nous tirons le signal d’alarme : ce ministère court à la catastrophe.

M. Gilles Frostin, président du Syndicat des corps administratifs supérieurs (SCAS) de l’UNSA Défense. La fin de la conscription a entraîné des externalisations dans les métiers qui étaient traditionnellement exercés par les appelés – services de restauration, gardiennage et sécurité des établissements. Nous n’en sommes plus là : les externalisations se sont étendues à des domaines très variés, tels que le MCO et l’informatique. Il s’agit désormais d’une politique globale, menée à l’échelle de l’ensemble du ministère.

M. Yannick Malenfant – FNTE-CGT. La fin de la conscription, décidée en 1996, a produit ses effets au début des années 2000. La montée en puissance des externalisations que nous connaissons actuellement a commencé en 2007. On nous dit que cela permet de faire des économies, mais il faudrait le démontrer : nous constatons que les externalisations augmentent – elles ont porté sur 1,7 milliard en 2008, sans doute nettement plus de 2 milliards les années suivantes – et que dans le même temps, le budget de la Défense augmente…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les externalisations sont-elles, sans qu’on le dise, la poursuite de la RGPP ? Aux 54 000 emplois supprimés dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et du Livre blanc, il a été évoqué à plusieurs reprises la possibilité d’ajouter de nouvelles suppressions par le biais de l’externalisation. Dans le cadre des discussions que vous avez eues avec le ministère, l’utilisation des externalisations pour continuer à réduire les effectifs a-t-elle été évoquée ? Si oui, de quelle manière ? Des chiffres ont-ils été avancés ?

En ce qui concerne la méthodologie des externalisations, le secrétaire général de la Défense nationale nous avait indiqué, lors de son audition dans le cadre d’une autre mission, que pour chaque projet d’externalisation, un dossier réunissant l’ensemble des éléments – données économiques et budgétaires, organisation, impact sur les ressources humaines – était soumis à la concertation, dans la plus grande transparence, la décision n’étant prise qu’au terme de cet exercice. Est-ce comme cela que les choses se passent ?

S’agissant enfin des aspects budgétaires, si l’on veut que les externalisations soient acceptées – ce qui suppose qu’elles soient acceptables – il faut arriver à démontrer la correspondance entre leurs objectifs et leurs résultats : on doit savoir si les économies attendues ont été réalisées. Dans les discussions avec le ministère, avez-vous demandé que ces éléments d’information vous soient communiqués ? Les avez-vous obtenus ? Si oui, qu’en était-il ?

M. Yannick Malenfant – FNTE-CGT. Le SGA, dans un document en date de juin 2009, avait évalué à 16 000 le nombre de suppressions d’emploi dans le cadre des externalisations – même si ce chiffre n’a pas été retenu ensuite.

En ce qui concerne RHL 1, 51 personnes sur les 356 concernées ont accepté la mise à la disposition auprès de sociétés attributaires du marché. Autrement dit – c’est la DRH du ministère qui nous l’indique – on doit encore supprimer 300 postes au sein du ministère. On liquide les personnels, et on externalise le travail…

M. Roland Denis – CGC. Défense CGC a toujours défendu l’idée que le ministère devait respecter la loi, ce que, malheureusement, il ne fait pas puisqu’il n’applique pas le Livre blanc – selon lequel l’opérationnel relève des militaires et le soutien relève des personnels civils. Les militaires à qui on fait exercer des fonctions de soutien coûtent beaucoup plus cher que les personnels civils ; de ce fait, pour faire des économies, on externalise… Revenons plutôt à la loi, en confiant les fonctions de soutien à des personnels civils !

Mme Marie-Christine Ledieu – UNSA. Nous demandons à chaque fois un bilan des opérations d’externalisation, mais nous n’en avons jamais obtenu. Toutes les organisations syndicales demandent sans succès, à chaque réunion, ce retour d’expérience.

M. Gilles Goulm – FO. Les premiers documents qui nous ont été communiqués faisaient bien état de 16 000 suppressions d’emploi liées aux externalisations – en sus des 54 000. Ce chiffre a été démenti par les ministres successifs, à commencer par M. Hervé Morin, mais il a été écrit – et repris sur le site lemonde.fr.

S’agissant des mises à la disposition (MALD), il ne faut pas oublier que c’est l’entreprise elle-même qui décide combien de personnes elle va prendre… Pour RHL 1, il était question dans les premiers projets d’une centaine de personnes – pour 356 emplois supprimés. Finalement, le ministère a bien dû reconnaître devant nous que l’entreprise ne voulait pas reprendre plus de 50 personnes.

Par ailleurs, dans les premiers projets, nous avions constaté que les gains ne dépassaient pas 3 millions d’euros sur cinq ans. Mais ces 3 millions étaient gagés par 4 à 5 millions d’euros hors marché, notamment de prestations exceptionnelles ! Et on a dit au ministre que le ministère faisait 4,5 millions d’euros de gains par an, ce qui était évidemment faux…

Il y a, dans tout cela, beaucoup de malhonnêteté intellectuelle. Certains, au cabinet du ministre, ont décidé dès le départ qu’il fallait externaliser.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lorsqu’une entreprise privée reprend quelqu’un par la voie de la MALD, le ministère paie la différence entre le salaire versé par cette entreprise et la rémunération antérieure. Quant aux personnes que l’entreprise ne reprend pas, le ministère les garde et continue à les payer. Dans ces conditions, on peut se demander quelle est l’économie apportée par l’externalisation. Quelle est votre analyse ? Quelles explications vous donne-t-on ?

M. Gilles Goulm – FO. Une fois que l’entreprise a fixé le nombre d’emplois qu’elle reprend, il n’y a plus qu’à supprimer des emplois – notamment en ne renouvelant pas les contrats des personnels militaires contractuels, ce qui entraîne pour le ministère des surcoûts de dépenses chômage – et à reclasser les personnels civils, parfois à plusieurs centaines de km. Le coût annuel des restructurations pour les personnels civils atteint 130 millions d’euros.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Dans cette somme, savez-vous isoler la part qui est liée aux externalisations ?

M. Gilles Goulm – FO. Non.

M. Luc Scappini – CFDT. Je tiens à souligner que la MALD paraît attaquable pour concurrence déloyale.

S’agissant de la concertation sur les projets d’externalisation, je voudrais revenir sur l’exemple de RHL 1. Les organisations syndicales, après avoir fait observer que les chiffres avancés étaient fantaisistes – car on comparait le coût affiché par une entreprise privée qui souhaitait avoir le marché avec celui d’une activité exercée exclusivement par des militaires et des ouvriers de l’État, alors que le ministère a une grande variété de statuts et de contrats à sa disposition –, ont proposé que des rationalisations soient expérimentées. Nous avons été entendus et des sites ont été choisis. Nous imaginions que, si l’expérimentation démontrait que les rationalisations permettaient de faire des économies, il n’y aurait pas externalisation ; mais entre Noël et le Jour de l’an, M. Juppé a signé la décision d’externalisation. Pourtant, très rapidement, des sources d’économies importantes ont été identifiées sur les sites retenus. Cette affaire très douloureuse risque de se reproduire : nous avons vraiment le sentiment que l’externalisation est un choix délibéré.

Les véritables économies ne peuvent se mesurer qu’au bout de huit ou dix ans. En ce qui concerne le projet Balard, il faut être conscient qu’on signe pour trente ans… Regardons ce que font les Anglais : ils reviennent sur le partenariat public-privé, qui leur coûte extrêmement cher.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Pourriez-vous préciser le lien que vous avez fait entre militarisation et externalisations ?

S’agissant de la « ligne rouge » à ne pas dépasser en matière d’externalisations, y a-t-il des points sur lesquels vous souhaitez appeler notre attention, en particulier en ce qui concerne le MCO ?

Y a-t-il des domaines du soutien dans lesquels il vous paraît justifié d’opérer une révision à la baisse, ou de procéder à une externalisation ? On nous a dit par exemple qu’en dépit de la fin du service militaire, les stocks de treillis sont restés les mêmes.

Mme Marie-Christine Ledieu – UNSA. Avant d’externaliser, mieux vaut examiner la possibilité d’une rationalisation en interne.

M. Bernard Cazeneuve sait à quoi a conduit, à Cherbourg, l’externalisation du gardiennage des sous-marins…

M. Yves Naudin. En ce qui concerne la militarisation des fonctions de soutien, des chiffres clairs ont été fournis : quand pour les personnels civils, le temps de travail est de 1 607 heures, le militaire, du fait de son statut, travaille 1 000 heures…

Quant aux domaines justifiant une externalisation, vous ne nous verrez pas en citer beaucoup ! En revanche, je peux vous citer des cas où l’externalisation a été manifestement une erreur. On sait ce qui s’est passé pour le filtrage dans l’îlot Saint-Germain. Mais on peut s’inquiéter que pour le filtrage à l’entrée d’une base aérienne opérationnelle, on veuille encore faire appel à une société privée ! Par ailleurs, nous émettons de sérieux doutes sur la compétitivité, la gestion et le juste prix que proposent les Économats des Armées (EDA). Nous avons demandé au cabinet du ministre de pouvoir avoir une concertation avec cet EPIC sur son rôle et sa place dans cette problématique.

M. Yannick Malenfant – CGT. La CGT ne fait pas de lien entre militarisation et externalisations, qui sont deux sujets bien différents. Nous vivons la militarisation dans le cadre de la réorganisation en bases de défense et de la nouvelle cartographie du ministère : des personnels militaires sont affectés à des postes qui pourraient être occupés par des personnels civils. Les externalisations, par lesquelles on laisse à des entreprises privées des activités dont le ministère a décidé de se décharger, touchent aussi bien les militaires que les civils. On voit les résultats ! À l’Atelier industriel de l’aéronautique – AIA – de Bordeaux, avec l’externalisation des fonctions de gardiennage, il s’est produit la même chose qu’à Cherbourg : le patron est parti, les salariés n’ont pas été payés pendant deux mois, il a fallu que les personnels civils du ministère se mobilisent. Et à l’îlot Saint-Germain, la grande entreprise de gardiennage avec laquelle le ministère a passé le marché employait des travailleurs sans papiers ! De plus, il faut suivre dans le temps les conséquences d’une externalisation : à Creil, par exemple, le changement d’entreprise de nettoyage a obligé à changer toutes les poubelles…

M. Gilles Goulm – FO. Je voudrais revenir sur la militarisation des postes, dans le cadre de la professionnalisation. La France a réussi l’exploit d’avoir une armée professionnelle qui compte quasiment autant de militaires dans le soutien que dans l’opérationnel : il n’y a pas d’autre exemple ! Les fonctions de soutien occupent aujourd’hui 100 000 militaires et 70 000 civils ; il y a une douzaine d’années, on dénombrait 145 000 civils. Les personnels militaires ont été positionnés, dans le cadre de la professionnalisation, sur des fonctions qu’ils ne devraient pas occuper.

Si je lie ce phénomène à l’externalisation, c’est parce qu’aujourd’hui, on justifie l’externalisation par le fait que les militaires coûtent cher. Nous aurions voulu que des postes soient rendus aux personnels civils – sans pour autant réclamer que tout le soutien leur revienne : nous ne nions pas la nécessité que certaines fonctions, notamment de RH, puissent être exercées par des militaires. Quant au fait que le militaire est employé sur son poste 1 000 heures par an, il résulte de la condition militaire elle-même, avec notamment ses temps de formation ou de sport. Les personnels civils, eux, consacrent la totalité de leur temps à leur poste, soit 1 600 heures par an. Cela signifie que le travail effectué par 50 000 militaires pourrait être accompli par 30 000 civils. L’économie serait d’autant plus importante que les salaires ne sont pas les mêmes dans les deux cas.

En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle, je voudrais évoquer les matériels aéronautiques et l’avenir du SIAé. Les industriels sont extrêmement agressifs dans leur entreprise de démolition de l’entretien aéronautique en régie. De graves questions se posent sur le maintien des compétences au sein du SIAé ; il serait nécessaire de recruter des personnels civils, mais le ministère s’y refuse, de même qu’il a fait un dogme du non-recrutement d’ouvriers de l’État.

Nous pourrions, à Force ouvrière, être ouverts à des discussions sur des externalisations si on envisageait de rendre aux personnels civils certaines missions aujourd’hui exercées par des militaires. Puisque tel n’est pas le cas, nous ne discuterons d’aucune mesure d’externalisation.

M. Luc Scappini – CFDT. Après vingt ans de restructurations, je le dis un peu solennellement, nous aurions besoin d’états généraux de la Défense. Il serait temps de déterminer de quel format des armées nous avons besoin, pour quelles missions, avec quel budget. La politique du « On verra en marchant » aboutit aujourd’hui à un « sauve-qui-peut » des personnels civils et militaires ; la « communauté défense » qui rassemble civils et militaires risque de voler en éclats, la concurrence sur le terrain de la reconversion provoquant de très grandes tensions.

Parmi les activités du cœur de métier, je citerai le Service industriel de l’aéronautique – SIAé – ou la DGA dans son ensemble. Y a-t-il des activités externalisables ? Le gardiennage n’est pas une activité du cœur de métier, mais c’est néanmoins une activité sensible… De même, les pompiers du centre d’essais en vol (CEV) d’Istres, à qui on dit aujourd’hui que leur activité va être externalisée, ont une mission sensible. La gestion de la base de Creil a été attribuée à un consortium associant DCNS et Veolia : DCN, entreprise publique, avait lancé la notion de « cœur de métier », reprise ensuite par Mme Alliot-Marie ; aujourd’hui, DCNS, entreprise privée intéressée par le profit, se positionne sur une activité que la Défense abandonne…

Enfin, je voudrais appeler votre attention sur l’action de l’Association des entreprises partenaires de la Défense, dont le comité d’honneur compte notamment Claude Ascensi, général de corps d’armée, et Jean-Michel Palagos, contrôleur général des armées. Elle joue en fait un rôle d’interface entre le ministère de la Défense et le secteur privé et organise des conférences-débats qui posent vraiment question.

Mme Marie-Christine Ledieu – UNSA. Cette association a en effet quelque chose d’étrange…

Je voudrais insister sur la perte de savoir-faire que risquent d’entraîner les externalisations. Le jour où les entreprises privées ne trouveront plus rentable de s’occuper du MCO, comment se fera l’entretien ? Le savoir-faire aura été perdu.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur.  À la suite de ce qui a été dit au cours de cette audition, je suggère à la Cour des comptes d’inscrire au programme de ses travaux un audit sur l’Économat des armées.

M. David Habib, Président. Merci à tous.