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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

Jeudi 9 juin 2011

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 46

Présidence de M. Olivier Carré, Président

– Table ronde, ouverte à la presse, d’opérateurs privés d’archéologie préventive : M. Pierre Hauser, directeur général d’Archéodunum ; M. Julien Denis, directeur scientifique d’Éveha ; M. Régis Picavet, co-gérant de Paléotime ; M. François Lacrampe-Cuyaubère, gérant d’Archéosphère, sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

M. Olivier Carré, Président. Messieurs, vous connaissez sans doute le principe de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC), qui est de formuler des propositions recueillant un consensus sur des politiques publiques ou des thèmes se rapportant à la gestion de l’État. Les rapporteurs de la MEC sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées sont Richard Dell’Agnola, Nicolas Perruchot et Marcel Rogemont. Ces ressources sont constituées de taxes fiscales qui échappent à la régulation budgétaire de l’État tout en finançant des politiques publiques.

L’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) est à cet égard un acteur majeur, qui a développé des activités archéologiques diverses, lesquelles constituent l’essentiel de son activité actuelle. Au-delà de sa mission d’opérateur public, il s’inscrit, pour une grande partie de son activité, dans un cadre concurrentiel, qui est en pleine expansion.

Comment se fait la collaboration en matière d’archéologie préventive entre l’INRAP et les opérateurs privés, notamment en ce qui concerne le cahier des charges fixé par les services régionaux de l’archéologie (SRA) sur les prescriptions et le contenu scientifique des fouilles ? Trouvez-vous normal qu’un opérateur dont une grande partie des fonds est d’origine publique intervienne sur votre marché ? Quelles dispositions législatives préconisez-vous dans ce domaine ?

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Le problème principal est l’articulation entre les différents organismes faisant de la recherche archéologique préventive. Comment faire en sorte que les moyens soient pérennes en la matière, sachant qu’on est confronté à un problème de rendement ? Quelles sont les réformes qui vous paraissent souhaitables – je rappelle que l’inspection générale des Finances a été missionnée sur le sujet ? Quel regard portez-vous sur l’exercice de votre métier et la concurrence qui s’y exerce ?

M. Pierre Hauser, directeur général d’Archéodunum. Notre société était au départ installée en Suisse, puis nous avons eu un agrément pour travailler en France.

Nous estimons que le système français est le meilleur d’Europe en matière d’archéologie préventive. Le contrôle de l’État par les services régionaux de l’archéologie (SRA) est primordial à cet égard.

En matière de financement, il faut distinguer les fouilles – qui sont financées par les aménageurs et dont le régime est un des meilleurs qui soient – et le volet lié à la redevance, au diagnostic, au Fonds national pour l’archéologie préventive (FNAP) et aux jours consacrés aux projets d’activité scientifique (jours « PAS ») –, qui est plus opaque.

Cela dit, il est très important pour la recherche que les diagnostics se poursuivent. Nous ne connaissons pas exactement les difficultés que rencontre l’INRAP ou les collectivités territoriales agréées pour les diagnostics. Mais le FNAP est confronté à un manque criant de moyens, ce qui nous pose un problème avec les aménageurs. Quant aux jours « PAS », ils soulèvent un problème de concurrence et de valorisation de nos actions, car nous finançons celles-ci sur nos fonds propres – qu’elles soient scientifiques ou destinées au grand public –, alors que l’INRAP bénéficie d’une affectation de moyens à cet effet.

Si le système des jours « PAS » doit être conservé, leur nombre doit être augmenté et mieux réparti entre les différents acteurs de la recherche.

M. Julien Denis, directeur scientifique d’Éveha. L’INRAP joue un rôle très important et les informations qu’il publie sont utiles aux autres opérateurs.

La redevance finançant la réalisation de diagnostics par l’INRAP et les collectivités territoriales est stratégique pour l’archéologie préventive dans la mesure où ces analyses permettent d’évaluer, de quantifier et de qualifier les éventuels vestiges. Or, pour la réalisation de fouilles archéologiques, contrairement à un projet de construction, on est confronté à une incertitude sur l’ampleur des travaux à réaliser, Plus le diagnostic sera précis, plus on réduira l’incertitude, on aura une vision claire des fouilles, on limitera le coût de celles-ci et les écarts entre les projets des opérateurs publics et privés seront faibles. La redevance donne donc lieu à une forme d’investissement mutualisé.

M. Régis Picavet, co-gérant de Paléotime. Vous indiquez dans votre questionnaire préparatoire que d’aucuns ont laissé entendre à la MEC que, pour remporter des marchés, certains opérateurs sacrifiaient la qualité scientifique de leurs prestations sur l’autel du prix et qu’à l’inverse l’INRAP faisait de la « sur-qualité ». Je tiens à dire que nous ne pouvons faire autre chose qu’un travail de qualité, surtout lorsqu’on est un opérateur privé : nous devons réaliser des prestations de très haut de gamme. En tout état de cause, nos travaux sont contrôlés par les SRA, qui effectuent des vérifications sur place. Nous sommes également contrôlés en aval pour les recherches menées dans le cadre de la réalisation des rapports de synthèse, qui peuvent faire l’objet de sanctions par les SRA sur la forme ou par les commissions interrégionales de la recherche archéologique (CIRA) sur le contenu scientifique. Nous sommes donc tous à armes égales à cet égard.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Sur quels aspects porte la concurrence entre l’INRAP et vous ?

M. Régis Picavet. Elle porte sur la réactivité, qui chez nous est extrêmement grande, ainsi que sur les prix, sachant que nous ne pouvons travailler à prix « cassés », comme peut le faire parfois l’INRAP lorsqu’il veut obtenir un marché.

M. Olivier Carré, Président. Les représentants de l’INRAP disent au contraire qu’ils ne peuvent baisser les prix, contrairement à vous…

M. Régis Picavet. Il nous est impossible de « casser » les prix !

M. François Lacrampe-Cuyaubère, gérant d’Archéosphère. Je le confirme. Nous perdons parfois des marchés contre l’INRAP, qui propose des prix de 30 à 40 % moins élevés, sur lesquels nous ne pouvons nous aligner, même si nous répondons aux minima contenus par le cahier des charges proposé par le SRA. Nos propositions sont accompagnées d’un projet scientifique, qui est validé par le SRA avant la signature du contrat avec l’aménageur. Ce service valide également la constitution des équipes. Ce contrôle de la qualité est poursuivi pendant le déroulement du chantier, qui fait l’objet de visites régulières des agents prescripteurs. Notre rapport scientifique donne également lieu à une validation du SRA. Nous ne pouvons donc proposer à prix « cassés » des projets qui ne tiennent pas la route.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Comment est évaluée la qualité de la prestation scientifique ? Qui en est chargé concrètement ?

M. Régis Picavet. Cette mission relève des CIRA, qui sont composées d’archéologues reconnus et expérimentés, à même de juger de la qualité des projets. L’analyse est la même pour les travaux de l’INRAP que pour ceux des opérateurs privés.

Pratiquer des prix « cassés » nous obligerait donc à travailler à perte, ce que nous ne pouvons nous permettre.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Disposez-vous d’instruments de suivi de la qualité des prestations ? Sont-ils rendus publics ?

M. Régis Picavet. Toutes les personnes travaillant à l’INRAP ou pour les autres opérateurs ont la même formation, les mêmes diplômes et sont issues des mêmes universités : elles n’ont pas d’autre choix que de faire un travail de qualité !

M. Pierre Hauser. Si nous sacrifiions la qualité, nous risquerions de perdre notre agrément, lequel est délivré en fonction de deux critères : la qualité des personnels engagés par les entreprises et les avis des CIRA sur les rapports. Paradoxalement, l’opérateur par excellence qu’est l’INRAP ne fait pas l’objet d’un agrément : des avis négatifs des CIRA n’ont guère d’incidence sur son activité, alors que nous pouvons être contraints de fermer notre entreprise si l’agrément est refusé ! Nous ne pouvons donc nous permettre de « casser » les prix.

M. Olivier Carré, Président. On nous a également fait part de critiques sur vos conditions de travail, notamment s’agissant du nombre et de la sécurité des personnels, pour les interventions réalisées en site pollué par exemple.

M. Julien Denis. Nous appliquons la réglementation du travail et sommes très attentifs à la sécurité ; nos fouilleurs disposent d’équipements individuels de protection. Les critiques dont vous faites état participent d’une difficile acceptation de la concurrence par l’INRAP. Celui-ci a créé une mythologie de l’opérateur privé. Nous avons par exemple une fouille en cours dans le 3arrondissement de Paris, qui donne toute satisfaction au coordonnateur « sécurité », alors qu’il s’agit d’un chantier difficile et compliqué.

M. Régis Picavet. Chez nous, les techniciens, les spécialistes et les responsables d’opérations disposent, non seulement de véhicules, mais des garanties d’un confort physique : nous ne les logeons jamais dans des hôtels de moins de deux étoiles et évitons qu’ils utilisent leurs frais de déplacement comme complément de salaire aux dépens de leurs conditions de travail. Je suis donc très étonné des critiques que vous évoquez ! Nous cherchons au contraire à améliorer les conditions de travail de nos salariés, car nous savons que nous y gagnons, même du point de vue de la rentabilité !

M. Julien Denis. Lorsque j’étais salarié de l’INRAP, j’ai expérimenté le fonctionnement des chantiers et les hébergements : j’ai vu des fouilleurs essayant d’accroître leurs revenus grâce aux forfaits repas ou d’hébergement en s’alimentant d’un sandwich ou en dormant dans des conditions précaires. Pour notre part, nous prenons en charge directement tous les hébergements, que nous voulons de qualité – les fouilleurs n’ont pas à avancer les frais –, ainsi que les repas au restaurant, pour éviter qu’ils ne mangent des sandwiches. De fait, l’entreprise s’y retrouve in fine en termes de productivité et d’ambiance de travail.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Quels avantages l’aménageur-client tire-t-il de s’adresser aux opérateurs privés ?

M. Pierre Hauser. Il peut y trouver trois avantages principaux. D’abord, une plus grande réactivité, les opérateurs étant plus nombreux et les délais d’attente par conséquent réduits : lorsque nous avons commencé notre activité, certains dossiers attendaient entre six mois et deux ans, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Ensuite, l’aménageur peut y gagner en termes de prix en mettant en concurrence les entreprises, sachant que les SRA doivent jouer leur rôle et s’assurer que l’offre la mieux-disante répond aux prescriptions demandées. Enfin, l’aménageur peut choisir l’opérateur avec lequel il souhaite travailler.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. À quel rythme sont renouvelés les agréments ?

M. Pierre Hauser. Tous les cinq ans.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Comment valoriser davantage les objets mis à jour par l’archéologie préventive ? Comment procédez-vous dans ce domaine ?

M. Régis Picavet. Je rappelle que recueillir des objets n’est pas un but en soi pour la fouille. Les objets archéologiques sont généralement mobiliers et leur intérêt principal repose sur leur apport ethnographique : ils sont placés dans les dépôts de fouille officiels des services compétents, lesquels sont plus ou moins bien organisés ; les objets de nature organique sont soumis à des contraintes particulières.

M. Olivier Carré, Président. La question portait plutôt sur la valorisation vis-à-vis du grand public, qu’il s’agisse d’un objet mobilier ou de la description d’un site. Comment participez-vous à cette œuvre à la fois scientifique et pédagogique ?

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Qu’en est-il en particulier vis-à-vis de l’enseignement supérieur et de la recherche ?

M. Julien Denis. Valoriser consiste à rendre utilisables les résultats, les connaissances et les compétences de la recherche.

Pour l’archéologie, l’action de valorisation s’organise selon deux axes, et en premier lieu en direction du grand public et des médias culturels, au travers de la réalisation d’expositions, de dépliants, d’ouvrages, d’ateliers pédagogiques pour les publics scolaires ou de la visite de sites en cours de fouille. Lors des dernières journées de l’archéologie organisées par le ministère de la Culture et l’INRAP, nous avons ouvert deux sites à la visite, accueilli plus de 300 visiteurs, soit le nombre maximal autorisé, et la visite de l’un des sites a fait la une de la presse quotidienne régionale. Tous les opérateurs privés et l’INRAP contribuent à cette action, sachant que, dans le cadre de la fouille préventive, il est nécessaire d’aller vite – le chantier ayant parfois une durée relativement brève – et des problèmes de sécurité peuvent se poser.

Le deuxième axe de la valorisation est à destination de la communauté scientifique, au travers de publications, qui peuvent demander beaucoup de temps, de colloques ou de la participation à des projets de recherche communs à des archéologues issus de différentes institutions – Centre national de la recherche scientifique (CNRS), universités, collectivités territoriales et INRAP. En raison de son acceptation progressive de la concurrence, l’administration de l’INRAP était jusqu’à présent assez réticente devant des collaborations avec des opérateurs privés, mais cela changera, et plus rapidement que prévu. En revanche, les chercheurs d’autres institutions interviennent de façon plus régulière, soit parce qu’ils disposent de compétences particulières auxquelles on fait appel, soit parce que les données que nous prélevons alimentent leurs projets de recherche.

M. Pierre Hauser. Je suis plus réservé sur les collaborations avec l’INRAP. Nous avons l’impression que la situation, après s’être améliorée il y a deux ans, tend à se dégrader. Certains collègues archéologues de l’Institut rechignent parfois à communiquer des informations. Nous avons créé une maison d’édition ainsi qu’une revue, mais nous avons dû renoncer à traiter certains thèmes parce que des membres de l’INRAP ont refusé d’être publiés dans celle-ci au motif qu’elle appartenait à un opérateur privé ! Cela dit, de son côté, l’INRAP fait bien son travail de valorisation.

Par ailleurs, je rappelle que nous finançons toutes les actions de valorisation sur nos fonds propres, alors que l’INRAP bénéficierait de quelque 16 500 jours « PAS », permettant de faire soit de la recherche scientifique, soit de la valorisation. Cela constitue une distorsion de concurrence. Les autres acteurs devraient pouvoir également être aidés de cette façon.

Quant aux relations avec les universités ou les unités mixtes de recherche (UMR), on observe encore des blocages. Nombre de nos archéologues sont membres à titre personnel de ces UMR, mais aucune de nos entreprises n’arrive à entrer en tant que telle dans l’une d’entre elles, comme c’est le cas dans les sciences dites « dures », où des entreprises privées participent à la recherche avec les universités. Ces blocages devraient être levés.

M. François Lacrampe-Cuyaubère. Nous avons l’habitude de travailler régulièrement depuis de longues années avec du personnel du CNRS et d’une université membre d’une UMR : nous voulions, pour conforter cette relation, développer un partenariat avec cette unité, mais cela n’a pas été possible parce que certains personnels de l’INRAP conventionnés avec l’UMR ont fait pression sur sa direction sous la forme de menaces d’annulation de leur propre convention.

Alors que, pour l’archéologie programmée, on arrive à organiser des collaborations scientifiques à titre personnel avec certains agents de l’INRAP, cela reste impossible pour l’archéologie préventive.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Des cloisons étanches persistent donc entre l’INRAP et vous-même, alors que vous faites le même métier et avez la même formation. Quelles réformes préconisez-vous ? Comment l’État pourrait-il mieux organiser la recherche archéologique préventive ?

M. Régis Picavet. La gestion du FNAP pourrait être revue. Nous avons récemment présenté notre candidature pour le chantier du site néolithique de Cournon, près de Clermont-Ferrand. Nous étions les mieux-disants, mais comme nous ne pouvions assumer une avance de trésorerie de 950 000 euros, l’INRAP a obtenu le marché grâce à l’aide du FNAP. Cela me paraît anormal : ce fonds devrait être géré par un organisme tiers et ne plus être lié à l’INRAP.

M. Olivier Carré, Président. C’est clair.

M. Pierre Hauser. Le ministère de tutelle de l’INRAP devrait peut-être encourager les collaborations scientifiques entre archéologues. Au cours de sept dernières années, les opérateurs privés ont obtenu de nombreux chantiers et nous nous trouvons aujourd’hui dans une réelle situation de concurrence. Mais si, comme le rappelle l’INRAP, il est le meilleur dans la valorisation, cela est dû aux moyens dont il dispose : certains opérateurs privés se sont dotés de médiateurs culturels et font des efforts en ce domaine mais ils ne bénéficient pas de la même manne !

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Combien d’archéologues travaillent respectivement pour les opérateurs privés et l’INRAP ?

M. Pierre Hauser. Je ne dispose pas de données complètes. Le Syndicat national des professionnels d’archéologie, auquel j’appartiens, regroupe neuf structures privées, qui, en 2010, totalisaient 253 contrats à durée indéterminée (CDI) à temps plein et 154 contrats à durée déterminée (CDD). En tout, cela représente environ 400 personnes, mais il faut y ajouter les personnels des opérateurs non membres du Syndicat et ceux des collectivités territoriales.

L’on peut estimer les effectifs de l’INRAP à 2 000, et à environ 1 000 le nombre de personnes travaillant dans les autres structures, soit de l’ordre d’un tiers des effectifs globaux.

M. Julien Denis. Notre société, qui n’est pas membre du Syndicat, compte 75 CDI.

M. Olivier Carré, Président. Je vous remercie de votre témoignage, qui incite à réaffirmer les missions essentielles incombant à l’opérateur public afin d’éviter tout dévoiement.