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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

Jeudi 9 juin 2011

Séance de 12 heures 30

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Olivier Carré, Président

– Table ronde, ouverte à la presse, de représentants d'organismes publics d'archéologie préventive : M. Thomas Vigreux, président de l'Association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale (ANACT), M. Matthieu Fuchs, directeur général du Pôle d'archéologie interdépartemental rhénan (PAIR), M. Hervé Sellès, chef du service départemental d'archéologie d'Eure-et-Loir, M. Bruno Dufaÿ, chef du service archéologique départemental d'Indre-et-Loire (SADIL), M. Olivier Brun, responsable de la cellule départementale d’archéologie des Ardennes, sur le financement des politiques culturelles de l’État par des ressources affectées

M. Olivier Carré, Président. Messieurs, la MEC, émanation de la commission des Finances, s’intéresse au financement des politiques culturelles par des ressources affectées dans divers domaines, tels que les monuments historiques, la création audiovisuelle ou encore les fouilles archéologiques. Je rappelle que ce travail bénéficie de l’assistance de la Cour des comptes.

Après avoir auditionné des opérateurs privés d’archéologie, nous allons maintenant entendre des représentants de plusieurs organismes relevant des collectivités territoriales. Nous aimerions notamment savoir ce qui a motivé la création de services dédiés à l’archéologie préventive au sein des collectivités, et quel est leur positionnement par rapport à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), qui est entré dans un champ concurrentiel dans le cadre de la passation d’appels d’offres.

M. Thomas Vigreux, président de l'Association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale (ANACT). Le financement de l’archéologie publique, et plus particulièrement de l’archéologie préventive, est un important sujet de préoccupation sur lequel nous travaillons depuis septembre 2010. Deux activités doivent être distinguées : les diagnostics et les fouilles.

L’activité de diagnostic est une mission de service public réalisée par des opérateurs publics : les collectivités territoriales et l’INRAP. Il existe aujourd’hui un consensus sur la nécessité d’augmenter l’assiette de la redevance d’archéologie préventive (RAP) pour financer de manière pérenne l’archéologie préventive. On peut s’interroger, à ce titre, sur les exonérations concernant les lotissements et les zones d’activités.

En ce qui concerne la répartition de la redevance, l’ANACT regrette l’existence d’une certaine inégalité entre les opérateurs publics. En Île-de-France, par exemple, les services de certaines collectivités réalisent 90 % des diagnostics sur leur territoire alors qu’ils ne bénéficient que de 10 % de la redevance. Nous demandons une redistribution plus juste : il nous paraîtrait normal qu’une collectivité réalisant 50 % des opérations touche 50 % de la redevance perçue sur son territoire.

Si les collectivités ne réalisent pas l’intégralité des opérations, ce qui leur permettrait de percevoir l’intégralité de la redevance au titre du diagnostic, c’est que les 10 % restants sont les plus difficiles : ils nécessitent une logistique importante et les prescriptions de l’État varient dans le temps. Les élus hésitent à s’engager dans une situation de monopole faute d’une visibilité à moyen terme.

J’en viens aux activités de fouille, secteur de nature concurrentielle dans lequel plusieurs acteurs interviennent : l’INRAP, les collectivités territoriales, mais aussi les opérateurs privés que vous venez d’auditionner.

Les collectivités sont transparentes sur les coûts jours/homme, car ils font l’objet de délibérations publiques dont chacun peut prendre connaissance. Afin d’éviter les accusations de concurrence déloyale, les collectivités intègrent l’archéologie préventive dans leur budget global sous la forme d’une ligne spécifique, ou bien elles constituent un budget annexe. Nous avons d’ailleurs transmis, en octobre 2010, un certain nombre de ces budgets à l’inspection générale des Finances dans le cadre de ses travaux sur le financement de l’archéologie préventive.

Ce sont les personnels et les moyens techniques affectés aux opérations qui varient. Les coûts ne sont certes pas homogènes, mais les collectivités ont une bonne connaissance de leur territoire, ce qui leur permet de bien s’adapter. C’est précisément l’intérêt des services archéologiques des collectivités : on peut faire du sur-mesure.

Différents contrôles sont réalisés d’un bout à l’autre de la chaîne : les appels d’offres sont, tout d’abord, assortis d’un cahier des charges qui est élaboré par l’État et au regard duquel les projets sont contrôlés sur le plan scientifique ; l’État exerce ensuite des contrôles sur la conformité des fouilles au cahier des charges – si l’opérateur ne joue pas le jeu, il peut lui adresser une mise en demeure, voire suspendre son autorisation de fouille –; une fois les fouilles réalisées, un rapport final d’opération est soumis aux commissions interrégionales de la recherche archéologique (CIRA), qui peuvent rappeler à l’ordre les collectivités en rendant un avis défavorable en cas de problème ; lorsqu’une collectivité fait l’objet de plusieurs avis défavorables, le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) peut remettre en cause son agrément, nécessaire pour réaliser des opérations d’archéologie préventive, ce qui incite les collectivités à ne pas s’engager dans des opérations « au rabais ». Je rappelle que leur mandat doit être renouvelé tous les cinq ans par le CNRA, contrairement à l’INRAP qui n’est soumis à aucun agrément. Les collectivités sont donc appelées périodiquement à rendre des comptes.

L’intérêt pour un aménageur de recourir aux services des collectivités territoriales réside dans le fait que les collectivités sont à la fois opérateurs et aménageurs : il existe donc une culture commune favorable au dialogue. Les services des collectivités dépendent, en outre, d’élus qui fixent le cap en ayant conscience des enjeux que présente l’aménagement de leur propre territoire. Il y aura donc un meilleur équilibre entre aménagement du territoire et sauvegarde du patrimoine.

S’agissant de la valorisation des objets mis au jour, les collectivités n’ont pas à rougir de leur bilan depuis les premières lois de décentralisation, que ce soit grâce aux expositions qu’elles organisent ou grâce aux médiateurs du patrimoine qu’elles emploient.

Devenues des acteurs incontournables de l’archéologie nationale, les collectivités territoriales sont donc des organes privilégiés pour concilier développement durable, exigences économiques et conservation du patrimoine.

M. Matthieu Fuchs, directeur général du Pôle d'archéologie interdépartemental rhénan (PAIR). Les collectivités territoriales peuvent se reconnaître, me semble-t-il, dans le tableau qui vient d’être dressé. J’aborderai, pour ma part, le sujet selon un prisme spécifique, celui du Pôle d'archéologie interdépartemental rhénan, qui constitue un cas unique en France : il s’agit, en effet, d’un établissement public créé conjointement par les conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. Nous avons donc une dimension régionale, ce qui peut rendre difficiles les comparaisons avec d’autres services.

Je ne suis pas absolument certain que le rendement de la RAP soit « notoirement insuffisant » comme le laissent entendre les documents que vous nous avez adressés au préalable. En effet, nous n’avons pas de vision complète des dépenses réalisées dans chaque territoire en matière de diagnostics et de recettes liées à la redevance. Mon service, qui a fait le choix de réaliser des opérations au cas par cas, connaît un déficit structurel, mais je pense qu’il existe un équilibre au niveau régional. Il n’en reste pas moins que les exonérations actuelles limitent singulièrement le rendement de la redevance – c’est une piste importante de réflexion, mais je resterai prudent tant qu’il n’y aura pas de transparence complète, notamment sur les coûts de l’INRAP.

S’agissant des écarts éventuels entre les prestations, nous n’avons bien sûr pas accès à toutes les informations, mais nous réalisons un benchmarking qui fait apparaître des différences structurelles. Le PAIR étant autonome au sens où il ne s’appuie pas directement sur des moyens relevant des collectivités, nous avons pu développer une comptabilité analytique complète : nous sommes entre 25 et 30 % moins cher que l’INRAP sur des opérations comparables. Il est donc permis de s’interroger.

J’ajoute qu’il existe des différences liées à l’élaboration des cahiers des charges, qui revient à l’État. Si les cahiers des charges ne sont pas précis, il est délicat d’établir des comparaisons honnêtes entre l’INRAP, les collectivités et les opérateurs privés. Ces derniers ont, en effet, tendance à « coller » autant que possible aux cahiers des charges. C’est normal, mais il peut en résulter des travaux d’archéologie « au rabais ». L’INRAP et les collectivités s’efforcent, pour leur part, de développer une archéologie de qualité répondant à des objectifs scientifiques qui ne sont pas toujours décrits dans les cahiers des charges. Cela peut conduire à des différences de coût avec le secteur privé, même si ce dernier ne fait pas à proprement parler de dumping.

En Alsace, où un opérateur privé est très présent sur le terrain, l’écart de prix entre les collectivités et l’INRAP est de 25 ou 30 %, et d’environ 5 % avec les opérateurs privés, dans un sens ou dans l’autre : nous sommes donc assez proches des coûts du « marché ». Cela étant, je le répète, si l’on veut que les offres soient réellement comparables, il reste des progrès à réaliser dans la rédaction des cahiers des charges.

J’ajoute que la création d’un service relevant des collectivités a permis de réduire considérablement les délais. L’augmentation des capacités d’intervention a, en effet, produit des effets quasiment mécaniques. Si j’en crois les « retours » qui nous viennent des aménageurs publics et privés, la situation est aujourd’hui satisfaisante en Alsace.

La notion de « productivité » est un sujet glissant : on peut difficilement établir des barèmes tant la richesse des territoires et des sites est aléatoire. La référence à des moyennes est peu pertinente pour apprécier la façon dont les opérations sont réalisées. Ce n’est pas, à mon avis, un indicateur à retenir pour ce type d’analyse : nos instruments de suivi démontrent le caractère très hétérogène des opérations de diagnostic.

Les délais sont plus aléatoires en matière de fouilles, car tout dépend des plans de charge respectifs. L’existence de grands projets, tels que les lignes à grande vitesse en Alsace, limite notre capacité à répondre à la demande, mais ce n’est pas un facteur structurel.

Pour ce qui est de la qualité scientifique des opérations, il serait bon de réaffirmer le contrôle de l’État au niveau des services régionaux de l’archéologie et des commissions interrégionales. On peut comprendre sur le plan économique que des projets « moins disants » soient retenus par certains aménageurs, mais il n’y a pas d’équité de traitement entre les opérateurs si l’État n’exerce pas un véritable contrôle.

Les avantages tirés par les aménageurs, qui étaient auparavant des clients captifs de l’INRAP, sont considérables : l’introduction de la concurrence a conduit à une réduction indéniable des coûts et des délais. Il existe toutefois un risque réel de dérapage vers une archéologie de moindre qualité en l’absence de verrous garantis par les services de l’État. On constate, à cet égard, une certaine défaillance en Alsace.

Quant aux rapports entre la conservation du patrimoine et l’équilibre économique, je plaide en ce qui me concerne pour une archéologie raisonnée : les différents acteurs ont bien souvent des prismes trop particuliers, voire des œillères, et ils ne parviennent pas à mettre en œuvre une véritable politique scientifique à l’échelle des territoires. Il existe bien des directives nationales – cela renvoie au rôle du CNRA –, mais on manque de cohérence et de lisibilité sur le plan territorial. Or l’existence de disparités, voire de particularismes, est loin d’être bénéfique.

L’aménagement du territoire peut être concilié avec la conservation du patrimoine, mais à condition d’améliorer les rapports entre les acteurs concernés – le prescripteur, l’aménageur et l’opérateur. Des améliorations très nettes ont eu lieu depuis 2003, au moins dans les discours, mais il reste encore un long chemin à parcourir.

La valorisation des objets est probablement le grand oublié de la loi de 2003, qui n’a raisonné qu’en termes d’aménagement du territoire. Les collectivités jouent un rôle actif, mais leurs capacités sont limitées. L’enjeu est pourtant fondamental : il s’agit de valoriser les données collectées pour leur donner une traduction concrète aux yeux de nos concitoyens, et de partager les connaissances. Tout repose aujourd’hui sur le volontarisme des collectivités, car il n’y a pas de clé de financement permettant d’apporter une réponse homogène sur l’ensemble du territoire.

M. Hervé Sellès, chef du service départemental d'archéologie d'Eure-et-Loir. La décision de créer mon service a été prise en 2004 pour saisir l’opportunité offerte par la loi de 2003. Les deux premiers postes ont ensuite été pourvus en 2005.

Nos missions sont en priorité de réaliser des diagnostics et, dans un second temps, des fouilles préventives. Nous avons obtenu un agrément dès 2006, ce qui nous a permis de réaliser très rapidement des opérations d’archéologie préventive. Notre équipe a été notablement renforcée depuis sa création, puisque ses effectifs ont été portés à 18 postes, dont 16 sont occupés par des personnels permanents, les 2 autres correspondant à des surcharges temporaires d’activité.

Nous bénéficions d’un budget autonome qui permet d’identifier clairement les dépenses relevant de notre service. Nos moyens doivent nous permettre de réaliser des diagnostics couvrant approximativement 100 hectares et de réaliser un ou deux chantiers de fouilles par an. Depuis 2006, nous avons ainsi été engagés pour réaliser 34 diagnostics selon des critères précis : les projets d’aménagement de la collectivité font l’objet d’une priorité absolue ; viennent ensuite des projets à caractère économique réalisés dans le département. Nous ne sommes donc pas appelés à intervenir sur les lotissements, les carrières ou les travaux sur les routes nationales. Depuis 2006, 80 prescriptions de diagnostic ont été réalisées dans l’ensemble du département, exception faite de la ville de Chartres, qui dispose d’un service archéologique agréé réalisant la totalité des prescriptions de diagnostic sur son territoire. Nous avons réalisé en moyenne 48,5 % des prescriptions, représentant 40 % des 919 hectares concernés.

Au cours de la même période, le département a perçu un total de 741 000 euros au titre de la RAP, les montants variant dans le temps en fonction de l’importance des projets en cours. Cela représente environ 150 000 euros par an sur un total départemental qui devrait être de 715 000 euros selon nos estimations – il est très difficile de connaître les recettes réellement collectées. Nous bénéficions donc de 21 % des recettes, alors que nous traitons 40 % des surfaces concernées.

Nous avons conduit, par ailleurs, 12 fouilles, essentiellement en régie de travaux, pour le compte de la collectivité. Nous avons aussi réalisé 4 fouilles pour des tiers, pour un budget total de 780 000 euros, et deux fouilles ponctuelles, correspondant à des urgences absolues et représentant environ 40 000 euros.

Notre budget d’investissement et de fonctionnement varie entre 310 000 et 350 000 euros par an. Les recettes sont d’un montant équivalent, mais les charges de personnel sont exclues. Notre budget présente donc un aspect déficitaire qui résulte en particulier du rendement de la redevance et de l’existence d’opérations non couvertes par elle.

Comme l’indique le document qui nous a été remis au préalable, le rendement de la RAP est évidemment insuffisant. Il est d’ailleurs inexistant pour les aménagements dont la surface hors œuvre nette (SHON) est inférieure à 3 000 mètres carrés et pour les aménagements exonérés, tels que les lotissements et les opérations aidées par l’État. Cela étant, nous intervenons peu dans le cadre de telles opérations, sauf pour des projets propres au département – nous sommes alors amenés à réaliser des investissements relativement lourds pour des recettes nulles.

La part de la redevance qui nous revient pour les aménagements importants en termes de surface couvre globalement les opérations réalisées, le seuil d’équilibre étant proche d’une dizaine d’hectares. Ce sont les opérations de rebouchage et de remise en état des terrains qui grèvent le plus les budgets – si ces opérations n’étaient pas prises charge, la redevance couvrirait globalement les besoins.

Dans la mesure où nous réalisons peu de fouilles pour des tiers, nous faisons peu l’objet de mise en concurrence : nous effectuons des fouilles en régie afin de réduire les coûts et les délais d’intervention. De façon générale, je doute que les opérateurs sacrifient la qualité scientifique des prestations fournies : ils doivent, en effet, bénéficier d’un agrément et les projets d’opération doivent être conformes aux cahiers des charges.

Le critère le plus souvent retenu est de nature financière – nous avons pu le constater en assistant des aménageurs dans la lecture des propositions qui leur étaient faites dans le cadre de projets auxquels nous n’étions pas candidats. Le second critère est la capacité de l’opérateur à mobiliser une équipe aussi rapidement que possible : la question du délai de démarrage des chantiers est, en effet, extrêmement importante pour les aménageurs. Nous en sommes bien conscients, car le département a dû conclure, en tant qu’aménageur, des marchés publics pour réaliser des fouilles que notre service archéologique ne pouvait pas réaliser, soit parce qu’il n’était pas agréé pour la période concernée, soit parce que son volume d’activité était déjà très important.

La comparaison entre l’INRAP et ses concurrents ne porte, évidemment, que sur les fouilles préventives, et non sur les diagnostics. Pour notre part, nous n’avons jamais été en concurrence avec l’INRAP sur les projets auxquels nous avons répondu. Je n’ai donc pas d’éléments à vous fournir sur cette question.

Selon les estimations dont nous disposons, les coûts techniques de l’INRAP sont comparables aux nôtres : les moyens dont nous disposons étant similaires, les seules variations peuvent concerner les jours/homme à l’hectare. La comparaison porte donc sur les moyens que l’on met réellement en œuvre pour chaque opération.

En ce qui concerne les instruments de suivi, nous sommes en train de développer, avec la direction des finances du département, un outil de comptabilité analytique extrêmement détaillé afin de prendre en compte l’ensemble des coûts directs et indirects des opérations prises en charge par la collectivité, mais nous disposons déjà de tableaux de bord pour suivre les moyens engagés et les coûts.

Je rappelle, en outre, que la qualité scientifique des prestations n’est pas évaluée par l’État, mais par les CIRA et le CNRA – pour ce qui est de l’agrément. La qualité scientifique est donc essentiellement appréciée en aval des opérations.

Le principal avantage de la suppression du monopole est la réduction des coûts et des délais. La collectivité départementale a souhaité éviter, pour sa part, d’être dépendante vis-à-vis de l’INRAP en matière de diagnostics, et elle tenait à maîtriser plus facilement ses opérations propres. Il en résulte aussi que les coûts sont bien inférieurs : contrairement aux autres opérateurs, nous n’avons pas d’objectif de rendement ou de couverture des fluctuations d’activité.

Selon moi, c’est à l’État qu’il appartient de définir un équilibre entre l’aménagement du territoire et la conservation du patrimoine archéologique. Dans ce domaine, les décisions sont prises par le préfet de région, mais il existe des échanges étroits et permanents avec les collectivités territoriales disposant de services archéologiques agréés. Presque toutes les collectivités ont constitué un inventaire du patrimoine archéologique local, et elles ont une bonne connaissance de leur territoire.

La conservation des collections et de la documentation qui leur est associée est un des aspects les plus délicats : cette mission est clairement dévolue à l’État, mais les collectivités s’engagent activement dans ce domaine. Il reste à améliorer l’articulation entre les uns et les autres pour l’attribution, la propriété et la gestion des collections.

En ce qui concerne l’association des acteurs de la recherche, l’Université ou le CNRS n’ont développé que peu de projets nous concernant. Nous invitons toutefois nos agents à s’engager dans les unités mixtes de recherche (UMR) du CNRS autant que possible, en fonction de leur domaine de recherche et de leurs compétences.

M. Olivier Carré, Président. Il n’y a donc pas de fermeture dans ce domaine ?

M. Hervé Sellès. Il n’y en a pas, bien que le système repose sur un principe de cooptation au sein des UMR.

M. Olivier Carré, Président. N’y a-t-il pas de veto à la participation des uns et des autres en fonction de leurs liens éventuels avec l’INRAP ? Tout se passe donc bien…

M. Hervé Sellès. L’équipe étant relativement jeune, ses membres n’ont pas encore le potentiel nécessaire pour intégrer des UMR, mais le travail est en cours.

M. Olivier Carré, Président. On peut donc dire qu’il y a des échanges entre archéologues, peu importe leur provenance et leur rattachement.

M. Hervé Sellès. Nous n’avons pas identifié de problème particulier dans ce domaine. Nous n’avons pas intégré d’UMR pour le moment, mais nous participons à des projets collectifs de recherche (PCR) soutenus financièrement par l’État.

M. Bruno Dufaÿ, chef du service archéologique départemental d'Indre-et-Loire (SADIL). Je ne reviendrai pas sur les sujets déjà abordés, car je suis globalement d’accord avec ce qui a été dit.

En matière de financement, il me semble que nous devrions travailler sur la maîtrise de la dépense. Une vraie réflexion doit être menée sur ce point par le ministère de la Culture, mais aussi par celui de la Recherche, un peu absent dans le débat alors qu’il a, lui aussi, la charge d’exercer la tutelle de l’INRAP. J’ajoute que la réflexion ne doit pas être uniquement parisienne.

Je souscris pleinement à l’idée que la redevance devrait être plus équitablement répartie. Cela risque toutefois d’être assez complexe, notamment en zone urbaine – il n’y a que des services départementaux représentés ce matin, mais je crois pouvoir dire que le contexte municipal est très différent – : les diagnostics sont complexes à réaliser pour des raisons de profondeur et de sécurité des immeubles voisins, alors que la redevance perçue est souvent faible. À l’heure actuelle, le financement de l’archéologie urbaine n’est donc pas du tout assuré. Un certain nombre de villes essaient de sortir de ce mauvais pas en se plaçant dans le cadre de l’agglomération : l’existence de territoires encore ruraux permet de travailler sur des espaces plus vastes, tels que les zones d’aménagement. Cela étant, il reste à trouver des clés de répartition permettant de régler ce problème en veillant à ne pas constituer d’« usines à gaz ».

M. Olivier Carré, Président. Nous venons d’apprendre que Chartres avait son propre service. Est-ce également le cas de Tours ?

M. Bruno Dufaÿ. Ce n’est pas le cas de Tours. Nous travaillons, par exemple, avec l’INRAP dans le cadre de la construction du tramway de Tours.

M. Olivier Carré, Président. Qu’en est-il de l’Alsace ?

M. Matthieu Fuchs. Il n’y a pas d’autre service relevant d’une collectivité territoriale.

M. Hervé Sellès. Le service archéologique de Chartres est particulièrement important : ses effectifs sont au moins deux fois plus nombreux que ceux du service archéologique départemental. Il assure une grande partie des fouilles dans son périmètre.

M. Bruno Dufaÿ. Sa taille le rend assez peu représentatif des services municipaux…

J’ajoute qu’une réflexion méthodologique doit être engagée – il faut notamment travailler sur les cahiers des charges, mais je ne reviendrai pas sur ce point, qui a déjà été abordé.

Pour améliorer l’efficacité du système, il conviendrait aussi de réorganiser les rapports entre les opérateurs. Thomas Vigreux a expliqué tout à l’heure pourquoi une majorité de collectivités ne se chargeaient pas de poser tous les diagnostics. Pour ma part, je pense qu’il faudrait mieux cadrer les collaborations entre l’INRAP et les collectivités territoriales.

Le fait qu’une collectivité prenne en charge tous les diagnostics sur son territoire exclut, de fait, l’INRAP. Président de l’ANACT lorsque la loi de 2001 a été mise en place, j’avais protesté, avec les élus, contre le monopole de l’INRAP. Ne renversons pas aujourd’hui la situation en laissant un des acteurs majeurs du système, voire son acteur principal, entièrement à l’écart dans certains territoires !

Il conviendrait d’inciter les opérateurs à dépasser le stade des discours, qui consacrent le principe d’ouverture, en passant de véritables conventions. Nous sommes une des rares collectivités à avoir signé, en juillet 2010, une convention de partenariat scientifique avec l’INRAP, qui s’est en particulier concrétisée par une réponse conjointe à l’appel d’offres pour le tramway de Tours.

Je le répète : il faut éviter l’exclusion de certains acteurs et inciter à un plus grand travail en commun. L’État a sans doute un rôle à jouer, lui aussi, dans ce domaine.

Notre coût moyen est d’environ 2 300 euros par hectare en matière de diagnostic, rebouchage non compris, alors que cette charge peut être élevée. Le rendement de la redevance sur les territoires ruraux est de 3 350 euros par hectare. On pourrait avoir l’impression que nous gagnons beaucoup d’argent, ce qui est parfois vrai : les élus incitent à choisir les diagnostics rentables, ce qui me pose un problème déontologique. Un meilleur système de répartition de la redevance nous permettrait d’échapper à cette logique mercantile qui pousse les élus à ne choisir que les diagnostics qui rapportent.

L’intégration des parcs de la DDE au plan départemental est un autre moyen de réduire les coûts : nous travaillons totalement en régie dans certains cas, et les coûts techniques – liés aux pelleteuses, par exemple –, sont alors bien inférieurs à ceux de l’INRAP.

Contrairement à Matthieu Fuchs, je ne suis pas certain que les notions de ratio et de rendement manquent entièrement de pertinence. Je dirai plutôt qu’il faut les manier avec précaution. Les moyennes sont robustes dans mon service, dans la mesure où une opération supplémentaire ne les fait guère varier, mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de simples moyennes. Elles sont comprises entre 5 et 7 jours/homme par hectare en matière de diagnostic, quand la réalité va de 2 à 22. Certaines opérations sont, en effet, très atypiques, et on ne peut effectuer des lissages que sur des volumes importants. Il est impossible, pour autant, d’affirmer qu’on ne peut rien prévoir, chaque cas étant particulier : on ne saurait se dispenser totalement d’utiliser des instruments de prévision.

S’agissant de l’évaluation scientifique, j’insisterai seulement sur les conséquences désastreuses de la RGPP pour les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et les services régionaux de l’archéologie (SRA). Les mécanismes de contrôle actuels sont à peu près satisfaisants à condition que les agents soient en nombre suffisant et qu’ils aient une compétence reconnue. Or les agents sont de moins en moins nombreux et ils sont de plus en plus submergés. Le cri unanime des DRAC en souffrance a dû parvenir à vos oreilles ! Il ne faudrait pas casser des services de l’État qui sont absolument nécessaires dans notre métier.

Quant aux collaborations avec l’Université et le CNRS, le ministère de la Recherche est un peu absent du débat, ainsi que je l’ai déjà dit.

En ce qui concerne l’équilibre entre l’aménagement du territoire et la conservation du patrimoine, il me semble que nous ne sommes pas allés assez loin dans la mesure où l’aménagement du territoire ne sait pas assez profiter de l’archéologie. Il faut renverser les mentalités : l’archéologie n’est pas un obstacle ; dans un certain nombre de cas, les aménageurs auraient intérêt à profiter davantage de l’expertise du sous-sol dont disposent les archéologues, notamment en matière de travaux routiers – je pense, en particulier, aux stratigraphies des épaisseurs superficielles. Ce sont les archéologues qui peuvent indiquer la présence de tel ou tel substrat à un endroit donné, ce qui peut conduire à modifier les plans.

Revenant d’un stage à l’Institut national du patrimoine, je peux vous dire que les archéologues ont développé une expertise considérable en matière de berges, de modifications des rivières, de crues et d’inondations. Sur ces questions, les archéologues doivent être davantage écoutés – même si c’est aussi à eux de se faire entendre. Nous avons beaucoup à apporter à l’aménagement. Il ne faut donc pas seulement raisonner en termes de conciliation, mais aussi d’enrichissement mutuel.

M. Olivier Brun, responsable de la cellule départementale d’archéologie des Ardennes. Le service archéologique du conseil général des Ardennes, territoire rural connaissant des difficultés économiques, est une création récente puisqu’elle date de juillet 2009. Nous sommes l’un des deux départements à avoir fait le choix de prendre en charge l’ensemble des diagnostics prescrits sur son territoire.

Si les collectivités font le choix d’exercer cette compétence volontaire, ce qui n’est pas forcément simple dans le contexte actuel, c’est qu’elles considèrent l’archéologie comme une partie intégrante de l’aménagement du territoire. Cette option permet de réduire les délais, voire les coûts, et d’obtenir d’autres résultats déjà signalés. Les collectivités font ce choix au titre de leur mission d’aménagement et de développement économique, mais ce n’est une possibilité pour elles que grâce à la recette attendue : elles n’ont ni la vocation ni les moyens de prendre à leur charge le « trou » de l’INRAP, et elles ne bénéficient pas de subvention compensatrice versée par l’État en matière d’archéologie.

En matière de financement, je rappelle qu’il existe non seulement un certain nombre d’exemptions, mais aussi des dossiers pour lesquels il n’y a pas de fait générateur, notamment les lotissements. Certains cas posent, en outre, des problèmes particuliers : les parcs photovoltaïques sont censés être soumis au versement de la redevance, mais les arrêtés d’autorisation ne sont jamais transmis aux DRAC. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, les demandes volontaires de diagnostic (DVD), qui représentent 95 % du financement que nous recevons au titre de la redevance, et 30 millions d’euros sur le plan national sur un total de 70 millions. Si les DVD devaient être supprimés, une structure telle que la mienne ne pourrait pas subsister, alors qu’elle est en équilibre sur un exercice et demi, et l’ensemble du système courrait à la faillite.

J’ajoute qu’un lien me semble nécessaire dans chaque territoire entre les montants de redevance perçus au titre des diagnostics – je rappelle que 30 % de la redevance sont reversés au Fonds national d’archéologie préventive (FNAP) –, et les montants dépensés. Cela permettrait de responsabiliser les aménageurs – ils doivent savoir à quoi sert ce qu’ils déboursent –, mais aussi les archéologues.

S’agissant du FNAP, il va de soi que plus les montants de redevance seront importants, mieux le fonds sera doté. Je rappelle qu’il a deux missions : la prise en charge du coût de certaines fouilles et le versement de subventions. Comme il ne récupère qu’une fraction des sommes correspondant aux opérations qu’il prend en charge de droit, la marge de manœuvre pour le versement des subventions est naturellement des plus réduite. Il me paraît nécessaire de réduire drastiquement, voire de supprimer les prises en charge automatiques pour dégager des fonds dans une logique de subventionnement de projets, de manière à éviter l’existence d’un droit à prise en charge au-delà des recettes et à responsabiliser les aménageurs autour de logiques de projet. Il faut notamment se demander si les aménageurs ont cherché à anticiper les questions archéologiques ou à les éviter, et quels sont les projets les plus utiles pour les territoires si tous ne peuvent pas être pris en charge. Les élus locaux doivent naturellement être associés à cette démarche.

Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit concernant le lien entre la qualité et les prix en matière de fouilles, sauf pour rappeler que le coût journalier facturé par l’INRAP a beaucoup augmenté au cours des six dernières années, alors que le nombre de jours/homme affecté par hectare a diminué dans les mêmes proportions.

Pour notre part, nous réalisons globalement peu de fouilles : notre activité est similaire à celle du service dirigé par Hervé Sellès : 100 hectares en matière de diagnostic et une à deux fouilles par an. J’ajoute que la DVD nous procure 400 000 euros de redevance.

En ce qui concerne la concurrence, la question des prix et des délais a déjà été évoquée. J’insisterai, pour ma part, sur le moment où la concurrence intervient : elle ne concerne que les fouilles, lesquelles ne sont attribuées dans le cadre d’appels d’offres que dans 30 % des cas, compte tenu des opérations d’aménagements privées. Il s’agit de savoir quel opérateur l’aménageur choisit en amont du démarrage de l’opération. Ensuite lors de la réalisation de la fouille, puis pour la recherche sur les données découvertes, la concurrence actuelle n’est nécessaire ni scientifiquement, ni économiquement, ni politiquement. En y mettant un terme, les archéologues pourraient améliorer la qualité tout en réduisant les coûts généraux de l’archéologie, ainsi que les coûts de chaque structure. Chacune d’entre elles ne peut pas nécessairement se permettre d’avoir à sa disposition un spécialiste, par exemple de la céramique, pour toutes les périodes. La mutualisation permettrait de réduire les coûts et d’améliorer les connaissances des spécialistes : plus ils voient de matériel, plus leurs connaissances s’accroissent.

On collabore aujourd’hui sur des projets, au cas par cas, avec tous les opérateurs d’archéologie préventive et de recherche, y compris les bénévoles. Un seul refuse de participer : l’INRAP. Le 9 mars 2010, le sénateur président du conseil général des Ardennes a adressé un courrier au président de l’INRAP de demande de convention, mais il n’a pas eu de réponse pour le moment. En région, l’INRAP interdit à ses agents de parler aux autres acteurs, y compris lorsque les chantiers sont côte à côte, et de communiquer ses plans. Comme ils sont publics, on peut aller les photocopier, mais cela prend beaucoup de temps. Je pourrais vous citer le cas d’une autoroute où nous intervenons à côté de l’INRAP : chaque fois que l’emprise change, il faut se rendre à la DRAC pour scanner les plans. Cela fait perdre du temps et de l’argent à l’INRAP, aux aménageurs et à nous-mêmes.

Je voudrais insister, par ailleurs, sur l’obligation d’équilibre des collectivités pour leur budget de fonctionnement, et donc sur la nécessité du lien entre les dépenses et les recettes sur un territoire donné.

Le délai moyen d’intervention a peu d’importance, en revanche : c’est la capacité de répondre aux urgences des aménageurs qui importe.

Je ne partage pas tout à fait l’avis de mes collègues sur les services régionaux de l’archéologie. Même si certains d’entre eux connaissent des difficultés, et même s’il existe aussi des différences importantes d’une région à l’autre, ce qui pose un problème, les politiques de prescription sont un soutien très important, et un travail de grande qualité est réalisé. Je m’étonne, en revanche, que les SRA ne soient pas dotés en personnels selon l’activité archéologique réalisée : cela permettrait d’aller plus vite.

J’en viens aux agréments. Bien qu’il soit absolument nécessaire, le système actuel nous expose à quelques difficultés, qui appellent des adaptations : étant délivrés pour des périodes chronologiques très strictes, les agréments ne tiennent pas compte des réalités archéologiques. La plupart des sites couvrent plusieurs périodes, et il est dommage de ne pas pouvoir réaliser une opération à cause d’un tesson datant d’une période minoritairement représentée. En second lieu, les petites structures ne peuvent pas se former à l’ensemble des périodes, d’où l’importance des collaborations entre structures que j’ai évoquées. Enfin, si une grosse structure dispose d’un spécialiste de chaque période sur le plan national, ce n’est pas nécessairement le cas chantier par chantier, région par région, alors qu’une collectivité se doit d’avoir le spécialiste de la période concernée sur son territoire pour intervenir.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Il ressort des auditions de ce matin que les situations sont très hétérogènes, alors que les formations délivrées aux archéologues sont identiques, de même que leurs cursus et leurs missions. Les regards divergent aujourd’hui selon qu’on travaille pour l’INRAP, pour des organismes privés ou pour des opérateurs relevant des collectivités, et on observe une concurrence parfois dommageable.

M. Fuchs a indiqué que la qualité scientifique des prestations n’était pas toujours de même niveau : elle serait parfois un peu « bradée ». Lors de la table ronde précédente, les opérateurs privés ont pourtant rappelé qu’ils devaient, eux aussi, faire renouveler périodiquement leur agrément et qu’ils faisaient l’objet d’un contrôle portant sur la qualité scientifique de leurs travaux. Pourriez-vous donc revenir sur cette question ?

M. Matthieu Fuchs. Les éléments que j’ai indiqués résultent d’observations faites sur le terrain. Il y a parfois une certaine indigence dans la rédaction des cahiers des charges : en laissant trop de liberté, on ouvre la porte à une archéologie « au rabais ». Or c’est la mission des collectivités que de promouvoir une archéologie de qualité. Le contraire serait un non-sens : autant livrer directement le terrain aux aménageurs.

M. Olivier Carré, Président. Messieurs, je vous remercie.