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Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 5 mars 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Auditions, ouvertes à la presse, sur la prestation d’accueil du jeune enfant

– Mme Martine Durand, directrice-adjointe de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), M. Willem Adema, administrateur principal, et M. Olivier Thevenon, administrateur

– Mme Iva Lanova, membre du cabinet de M. Vladimír Špidla, commissaire européen à l’emploi, aux affaires sociales et à l’égalité des chances, chargée des questions d’égalité des chances

– M. Fabrice Heyriès, directeur général de l’action sociale au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, Mme Florence Lianos, sous-directrice des âges de la vie, et M. Ibrahim Moussouni, adjoint au chef du bureau Enfance et famille

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 5 mars 2009

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la Mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède à l’audition de Mme Martine Durand, directrice-adjointe de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), M. Willem Adema, administrateur principal, et M. Olivier Thevenon, administrateur.

M. le coprésident Jean Mallot. Dans le cadre de son travail sur la prestation d’accueil du jeune enfant, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a déjà auditionné de nombreux représentants du secteur, de l’administration ou des collectivités locales. Elle a le plaisir d’accueillir aujourd’hui trois représentants de l’OCDE qui vont lui donner une vision plus internationale. Merci, madame, messieurs d’être venus jusqu’à nous. Nous avons pris connaissance des documents extrêmement intéressants que vous nous avez fait parvenir et nous aurons de nombreuses questions à vous poser.

Mme Martine Durand, directrice-adjointe de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’Organisation de coopération et de développement économique. Merci d’avoir invité notre organisation à participer à vos travaux. L’OCDE a mené une série d’études dans une quinzaine de pays sur la conciliation entre travail et vie de famille, regroupées sous le nom de « Bébés et employeurs » – Babies and bosses –, dont M. Adema est le principal auteur.

Les politiques de conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale sont articulées autour de cinq objectifs essentiels. Le premier est d’augmenter le taux d’emploi des femmes – car, dans un contexte de vieillissement des populations, toutes les personnes susceptibles de rejoindre le marché du travail doivent y être incitées – mais en veillant à leur assurer un emploi de qualité. Le deuxième est lui aussi lié au vieillissement de la population : il s’agit d’augmenter le taux de fécondité – les pays du sud de l’Europe et l’Allemagne par exemple ont atteint des chiffres extrêmement bas. Le troisième est de promouvoir des modes de garde qui favorisent le développement de l’enfant. Le quatrième objectif est de réduire la pauvreté infantile. Le dernier est de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes, non seulement dans les carrières mais aussi dans le partage des tâches familiales.

L’importance relative de chacun de ces objectifs varie selon les pays. On peut distinguer trois modèles. Dans les pays nordiques, l’accent est mis sur l’emploi des femmes, le développement de l’enfant et l’égalité entre hommes et femmes. Les pays anglo-saxons eux privilégient, outre l’emploi des femmes, la réduction de la pauvreté infantile – objectif affiché par Tony Blair et qui a été repris par Gordon Brown. Quant à l’Europe du sud et continentale, la politique familiale y est peu développée car le domaine est considéré comme privé : c’est à la famille de s’occuper des enfants, ce qui revient en pratique à ce que les mères ne travaillent pas. L’impact sur le taux de fécondité est direct, car il apparaît nettement que ce sont dans les pays où les femmes travaillent le plus que le taux de fécondité est le plus fort.

C’est des pays nordiques que le système français est le plus proche. Il met l’accent sur l’emploi des femmes et sur la réduction des écarts entre hommes et femmes. Toutefois, la politique nataliste française, qui est fortement affirmée et de longue tradition, peut connaître une certaine ambiguïté dans la définition de ses objectifs. Au total, la France est le pays qui dépense le plus pour la famille : 3,5 % de son PIB, contre 2,3 % en moyenne dans l’OCDE. Les outils sont diversifiés : aussi bien des aides financières directes aux ménages que des services d’accueil du jeune enfant. La part de ces services est assez importante en France – moins que dans les pays nordiques mais nettement plus qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne. Les transferts financiers y prennent en outre très souvent la forme d’avantages fiscaux, notamment par le biais du quotient familial, qui est une spécificité française. Ces transferts réduisent largement les écarts de revenus entre les ménages avec ou sans enfants et les risques de pauvreté infantile, laquelle passe de 21 % avant transfert à 7 % après. Mais le lien entre le revenu initial de la famille et le niveau des aides est faible : la politique familiale française se veut universaliste, contrairement à la plupart des autres pays, où les aides sont inversement proportionnelles aux revenus. En France donc, ceux qui reçoivent le plus d’aides sont les ménages à faible, mais aussi à haut revenu. L’importance de ces transferts entraîne en outre une faible incitation à reprendre une activité professionnelle : le second apporteur de revenus du foyer, généralement la femme, gagne très peu à reprendre une activité, ce qui pèse sur l’objectif d’emploi des femmes.

Avant d’aborder les systèmes d’accueil de la petite enfance, il faut dire que beaucoup de pays de l’OCDE envient la France certes pour son taux de fécondité, mais aussi pour son école maternelle, qui permet une socialisation précoce de l’enfant. Ce sont les atouts majeurs de la politique française. Pour ce qui concerne les enfants de plus de trois ans donc, la conciliation entre vie de famille et vie professionnelle est assez sereine puisque les enfants sont gardés, et bien gardés, dans une école maternelle de qualité. Mais avant cet âge, les objectifs sont plus ambigus. La France pratique une politique du libre choix « double » : les parents peuvent à la fois choisir entre travail et interruption de carrière, puisque le congé parental peut être long, et entre différents modes de garde. Mais en pratique, le système n’est pas aussi net puisqu’il incite les femmes à faibles revenus à se retirer longuement du marché du travail. Cette question de la durée du congé parental se pose d’ailleurs dans de nombreux pays. L’Allemagne, qui laissait traditionnellement ces sujets dans la sphère privée, a récemment adopté une politique nataliste et a raccourci son congé parental, afin d’améliorer ses taux de fécondité et de travail des femmes. J’ajoute que si l’on entend couramment qu’il est préférable pour le développement de l’enfant qu’un parent – sa mère – reste à la maison, aucune étude n’a jamais conclu en ce sens. Un congé parental d’un an ou dix-huit mois semble amplement suffisant si des modes de garde de qualité sont accessibles ensuite. C’est le choix qu’ont fait les pays nordiques et, récemment, l’Allemagne.

Le modèle français est à la croisée des chemins : il ne permet pas vraiment une bonne conciliation et il ne table pas non plus sur le fait que les mères s’occupent de tout jusqu’à la scolarisation de l’enfant. Ce qui manque serait peut-être une meilleure continuité, un « continuum des aides », ce qui passe par une réduction du congé parental – qui doit bien sûr être relayé par une amélioration de l’offre de modes de garde de qualité – et une réorientation des crédits – car si la France dépense beaucoup pour sa politique familiale, peut-être devrait-elle dépenser mieux. Au Danemark, où les congés parentaux sont inférieurs à cinquante semaines, 85 % des enfants sont dans des centres d’accueil dès leur deuxième année et 61 % des enfants de moins de trois ans ont accès à un service d’accueil, contre un tiers en France. Et le taux de travail des femmes y est plus élevé. Enfin, si, dans les pays nordiques, une large part des congés sont accessibles aux hommes, ce sont objectivement les femmes qui les prennent.

M. le coprésident Pierre Morange. Quel est le taux de fécondité du Danemark ?

Mme Martine Durand. Environ 1,8, soit moins qu’en France. Il faut noter que la France a connu des taux assez stables alors que ceux des pays nordiques ont varié davantage, remontant de 1,7 à 2 environ.

M. le coprésident Pierre Morange. Peut-on, même si les facteurs sont complexes, établir une corrélation entre cette remontée et des choix stratégiques des pays nordiques, tenant par exemple à la durée du congé parental ou à la politique d’accueil du jeune enfant ?

Mme Martine Durand. Il est vrai que la question fait intervenir des facteurs très complexes. Les pays nordiques, qui ont opté pour un congé parental court et une large offre d’accueil du jeune enfant, sont parmi ceux qui ont le plus fort taux de fécondité de l’OCDE, même si ce taux a connu des variations, mais la corrélation n’en est pas pour autant établie.

M. Olivier Thevenon, administrateur à l’Organisation de coopération et de développement économique. Si en France le taux de fécondité croît depuis le début des années 2000 alors qu’il reste stable au Danemark, c’est surtout qu’en France, les femmes qui avaient retardé l’arrivée du premier enfant ont commencé à en avoir alors que dans les pays nordiques, ce phénomène a eu lieu plus tôt.

Pour ce qui est de l’impact du congé parental les situations diffèrent au sein même des pays nordiques. La Suède a par exemple accordé un bonus en cas de deuxième naissance rapprochée de la première, ce qui a eu un effet sur le calendrier des naissances mais pas du tout sur la fécondité finale.

Mme Martine Durand. En Finlande, le congé parental, qui peut atteindre trois ans, entraîne un retrait significatif des femmes du marché du travail.

M. le coprésident Jean Mallot. La relation entre les deux est évidente.

Mme Martine Durand. Pas nécessairement. Cette décision dépend aussi beaucoup du contexte. Il est des pays comme le Portugal où la femme doit de toute façon travailler pour assurer un revenu complémentaire et d’autres, comme l’Autriche ou l’Allemagne, en tout cas jusqu’à une période récente, où l’on considérait que c’était à la mère de s’occuper de ses enfants, congé parental ou pas.

M. Olivier Thévenon. Le taux de fécondité en Finlande a baissé au milieu des années 1990 et cette mesure ne l’a pas fait remonter. De façon générale, un emploi stable semble être devenu une condition préalable à l’arrivée d’un enfant.

M. Willem Adema, administrateur principal de l’Organisation de coopération et de développement économique. Dans les pays nordiques, le sentiment est répandu qu’il est tout à fait possible de concilier obligations familiales et professionnelles, grâce aux congés parentaux et au fameux continuum des aides. En Finlande, on a constaté qu’un congé parental plus long pouvait en fait défavoriser les femmes parce que les employeurs hésitent à leur proposer des contrats à durée indéterminée avant trente-cinq ou quarante ans.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Vous avez évoqué des centres d’accueil dans les pays nordiques. Comment fonctionnent-ils ? Est-ce l’équivalent de notre école maternelle ?

Mme Martine Durand. L’école maternelle est une spécificité bien française. Les centres d’accueil des pays scandinaves sont différents, même s’il s’agit de toute façon de modes de garde très encadrés. Leur gestion est très décentralisée, souvent à la charge des municipalités. La Finlande reconnaît même un droit opposable à la garde des enfants et il est possible de se retourner contre la municipalité en cas de défaillance.

M. Willem Adema. Sur ce sujet aussi il y a des différences entre pays nordiques. Au Danemark, les municipalités doivent offrir une place aux enfants dès l’âge d’un an, parfois de dix-huit mois. Dans les deux tiers des cas, ils sont placés dans un environnement domestique : les municipalités recrutent un assistant maternel certifié – souvent une femme – pour quatre enfants.

M. le coprésident Pierre Morange. Et en dessous d’un an ?

Mme Martine Durand. Presque tous les parents utilisent l’intégralité de leurs congés parentaux, soit cinquante semaines.

M. Willem Adema. À trois ans, la majorité des enfants vont dans un centre très proche de l’école maternelle.

Le système est assez semblable en Suède, même si les enfants sont accueillis dans un cadre moins domestique : il peut l’être en milieu rural mais à Stockholm, par exemple, il s’agit beaucoup plus de crèches. À quatre ans, les enfants vont dans une structure proche de l’école maternelle. Ce genre de structure existe aussi en Finlande, mais les plus petits sont accueillis dans des sortes de crèches où ils sont peu nombreux.

Mme Martine Durand. Si ces services sont essentiellement fournis par les municipalités, les parents y contribuent financièrement, en général à proportion de leurs revenus.

M. Olivier Thevenon. Ces divers modes d’accueil équivalant aux crèches et écoles maternelles peuvent reposer sur des conceptions et des valeurs différentes du modèle français. Les pays nordiques ont une vision très intégrée des deux aspects que sont l’éducation de l’enfant et les soins à lui donner. Pour eux, les centres d’accueil doivent participer au développement émotionnel et social de l’enfant tout comme lui faire acquérir les compétences éducatives qui favoriseront son succès scolaire. C’est pourquoi la gestion des centres d’accueil relève en Suède par exemple du ministère de l’éducation. En France, l’approche est plus dichotomique. De manière générale, l’accueil est plus individualisé dans les pays nordiques. Les centres d’accueil doivent notamment définir des parcours pédagogiques individualisés.

M. le coprésident Pierre Morange. Il y a un grand débat en France pour savoir s’il faut privilégier la crèche ou l’école maternelle, dans l’optique de corriger les inégalités culturelles et sociales et de favoriser le parcours scolaire des enfants. Que faut-il conclure de l’expérience des pays nordiques ?

Mme Martine Durand. La Finlande est championne toutes catégories des études que mène l’OCDE sur les performances scolaires des enfants de quinze ans, qu’il s’agisse de lecture ou de mathématiques et de sciences, mais il est difficile de savoir si cela est dû à une scolarisation très précoce où à une cohésion sociale bien plus forte qu’en France, en Allemagne ou en Europe du sud. Toutes les études macro-économiques s’accordent à considérer que quitte à dépenser pour l’enfance, mieux vaut le faire le plus tôt possible dans la vie de l’enfant plutôt que pour corriger des problèmes ultérieurs, et qu’il faut cibler les efforts sur les milieux sociaux défavorisés. En revanche, rien ne permet de déterminer s’il est préférable de développer des crèches et structures collectives ou d’aider les parents à acheter des services de garde agréés par les autorités. Le Royaume-Uni pratique beaucoup ce dernier système, qu’on nomme « politique de vouchers (bons d’achat de services) » et on n’y observe aucune différence marquée avec les autres systèmes en termes de progression cognitive des enfants. Il ne faut donc pas se focaliser sur les crèches, mais assurer une offre suffisante de moyens d’accueil à la qualité contrôlée.

M. Willem Adema. Cette politique de vouchers n’est pas nécessaire dans les pays nordiques, où le système de garderie est très développé. En revanche, c’est un outil très efficace dans les pays qui n’ont pas beaucoup de capacités d’accueil et qui veulent les développer rapidement. Aux Pays-Bas par exemple, la modification de la fiscalité a beaucoup fait croître la demande de places d’accueil. Les vouchers sont aussi très utilisés en Australie.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure. Ainsi que vous l’avez dit, la France dépense beaucoup pour sa politique familiale, mais des inégalités demeurent et les couches moyennes notamment rencontrent des difficultés. Il faut en tenir compte.

Vous avez parlé de raccourcir le congé parental. À quelle hauteur est-il rémunéré dans les autres pays ? Quelles ont été les conséquences de sa réduction récente en Allemagne ?

Que pensez-vous de l’allongement du congé de maternité ?

Par ailleurs, les documents que vous nous avez fait parvenir font apparaître l’effet dissuasif du système français sur la reprise d’activité des femmes et l’importance de l’imposition conjointe du foyer fiscal.

Enfin, comment inciter les hommes à prendre leur part dans le système ?

Mme Martine Durand. Pour ce qui est de la rémunération du congé parental, on distingue trois modèles : des congés courts et non rémunérés qui représentent une forte incitation à reprendre le travail, comme au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas, en Grèce ou en Australie, des congés longs et faiblement rémunérés comme en Autriche, en Europe de l’est, en Allemagne jusqu’en 2007 et en France à compter du deuxième enfant, et des congés courts et bien rémunérés, généralement sous une forme proportionnelle au salaire, comme dans tous les pays nordiques, la Slovénie et, désormais, l’Allemagne. Cette dernière assure 52 semaines de congés rémunérés à 67 % du salaire et deux mois supplémentaires à « l’autre parent », en général le père, en cas de partage du congé. Le Danemark offre, en plus des 18 semaines de congé maternité, 32 semaines de congé parental rémunérées à 100 %, plus 8 semaines non rémunérées. La Norvège 54 semaines à 100 % et un an supplémentaire non rémunéré. La Suède 72 semaines, en grande partie rémunérées à 80 % du salaire, puis forfaitairement. L’Islande 13 semaines à 80 % et 13 autres non rémunérées à partager entre les deux parents. L’Autriche accorde une allocation forfaitaire et la République Tchèque et la Pologne des congés longs et peu rémunérés.

Les congés de paternité, eux, vont de trois jours à treize semaines – en Islande – mais sont généralement assez limités. Les pères ont aussi droit à un quota du congé parental, surtout dans les pays nordiques. Ainsi, le Danemark leur offre 2 semaines de congé de paternité et 8 semaines du congé parental – mais seulement 26 % des pères danois les utilisent. En Allemagne, alors que seulement 3,5 % des pères prenaient leur congé de paternité avant la réforme de 2007, ils sont déjà 14,3 % aujourd’hui. Le congé le plus large est en Islande mais si les pères ne l’utilisent pas, les mères ne peuvent pas en bénéficier à leur place.

Mme la rapporteure. Existe-t-il des systèmes où le congé parental peut être fractionné et utilisé plus tard, jusqu’à l’adolescence de l’enfant ?

M. Willem Adema. En Suède notamment, le congé peut être pris jusqu’à sept ou huit ans. Quant aux congés des pères, toute la question est de bien cerner votre objectif. En Islande, avant 2000, 3 % des pères utilisaient leur congé. Aujourd’hui, le tiers des congés parentaux sont pris par eux. C’est donc un changement de comportement radical. En Suède et au Danemark, les congés accordés aux pères sont plus courts et peuvent être pris jusqu’aux huit ans de l’enfant. En clair, ils s’en servent pour avoir une semaine de vacances à Noël ! Il faudra donc bien identifier votre objectif.

Mme la rapporteure. C’est clairement de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, ce qui passe par des tâches domestiques partagées.

Mme Martine Durand. Sur ce sujet, il importe de ne pas perdre de vue l’opinion des employeurs. Un changement de comportement dans la société sera très difficile à obtenir sans leur participation. Il faudra faire le point sur leurs attentes, savoir s’ils considèrent que les femmes sont trop absentes ou s’ils sont prêts à laisser les hommes partir six mois.

M. Olivier Thevenon. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et l’Institut national des études démographiques (INED), ont mené une enquête sur la famille et les employeurs. En France, la contribution des employeurs à l’aide aux familles est relativement faible et souvent ponctuelle – pour le mariage du salarié par exemple. Ils peuvent aussi consentir des souplesses en matière d’horaires, mais cela ne concerne qu’un nombre limité de personnes, surtout dans les grandes entreprises. En outre, les salariés qui en bénéficient ont généralement un niveau de rémunération assez élevé, ce qui contribue à accroître les inégalités.

Pour ce qui est de développer le congé de paternité, la rémunération est certainement le facteur le plus important, mais il y a en d’autres, comme de donner la possibilité de fractionner le congé. En effet, en Suède où ce congé est long, les pères n’en prennent, en moyenne, que 17 %. Mais il est clair que si les possibilités de fractionnement sont trop larges, comme le disait M. Adema, le congé devient une possibilité de vacances pour le père plus qu’une incitation à la prise en charge de l’enfant. Un troisième levier est constitué par la possibilité d’avoir recours au temps partiel, comme cela se fait en Suède et aux Pays-Bas.

Mme la rapporteure. Mais existe-t-il des congés parentaux dont une partie peut être prise lorsque l’enfant est plus âgé ?

M. Olivier Thévenon. Oui. Il peut être possible de prendre le congé en blocs séparés, pour les pères autant que pour les mères. Certains pays en revanche ont limité le nombre de périodes autorisées.

Mme Martine Durand. J’insiste sur le fait que, dans la plupart des cas, le congé parental peut être pris aussi bien par les pères que par les mères.

M. le coprésident Jean Mallot. Peut-être pourrez-vous nous faire parvenir des données précises sur ce sujet pour l’ensemble des pays de l’OCDE ?

M. le coprésident Pierre Morange. Le système du continuum d’aides des pays nordiques est extrêmement intéressant. Nous serions heureux aussi d’en connaître les mécanismes de financement.

Mme Martine Durand. Nous vous ferons parvenir un complément d’information.

Pour en revenir à la question de Mme Clergeau sur la fiscalité, l’OCDE pratique des micro-simulations qui permettent de connaître l’impact des aides familiales dans chaque cas de figure – selon par exemple la répartition des salaires dans un couple. En France, un parent isolé reçoit suffisamment d’aides pour être très peu enclin à reprendre un travail faiblement rémunéré – mais il n’est pas question dans ce cas uniquement de fiscalité car s’il reprend une activité, les prestations disparaissent. Ces simulations font apparaître toute l’importance du système de la fiscalité conjointe, qui est pratiquement une exclusivité française. Une mère qui veut reprendre un travail faiblement rémunéré y est beaucoup moins incitée en France qu’ailleurs, où elle serait imposée individuellement. Le quotient familial, qui joue un rôle prépondérant dans la politique familiale française, fait obstacle à l’imposition individuelle et si le système était radicalement modifié, il faudrait reporter tous les crédits qui y sont affectés sur d’autres prestations.

Mme la rapporteure. Autrement dit, les autres pays ne tiennent pas compte dans leur fiscalité du nombre d’enfants, mais seulement du revenu.

Mme Martine Durand. Très souvent, oui. C’est une spécificité de la France que d’introduire des éléments de politique familiale dans d’autres politiques : une majoration de la retraite au troisième enfant par exemple, ou une bonification des trimestres de cotisation au premier. Dans les autres pays, généralement, les systèmes sont plus étanches.

M. Olivier Thévenon. Par ailleurs, dans la plupart des pays européens, l’ensemble des aides à l’enfance – aides fiscales et prestations – croissent avec le nombre d’enfants. En France, l’avantage franchit un net palier au troisième enfant, comme en Autriche ou en Belgique. Surtout, grâce au quotient familial, cet avantage au troisième enfant croît avec le revenu. Seule la Belgique, dans de plus faibles proportions, a un mécanisme approchant.

Mme Martine Durand. C’est ce que j’ai appelé le côté universaliste de la politique française, qui est très spécifique.

M. le coprésident Jean Mallot. Merci à chacun pour ce moment très intéressant et pour les réponses que vous nous avez apportées.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède ensuite à l’audition de Mme Iva Lanova, membre du cabinet de M. Vladimír Špidla, commissaire européen à l’emploi, aux affaires sociales et à l’égalité des chances, chargée des questions d’égalité des chances.

M. le coprésident Pierre Morange. Madame Lanova, nous sommes heureux de vous accueillir. La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) étant chargée de tirer le bilan de la politique d’accueil du jeune enfant en France, nous souhaitons vous interroger sur la politique européenne en la matière afin d’évaluer la pertinence de notre système et d’y apporter d’éventuelles améliorations.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure. Avant le jeu des questions-réponses, je vous propose de faire une présentation liminaire.

Mme Iva Lanova, membre du cabinet de M. Vladimir Špidla, commissaire européen à l’emploi, aux affaires sociales et à l’égalité des chances, chargée des questions d’égalité des chances. Je vais d’abord vous expliquer quelle place occupe le développement des structures de garde d’enfants dans les priorités politiques de la Commission, puis vous faire part de nos dernières initiatives en la matière, enfin vous donner quelques informations figurant dans notre rapport sur l’état des lieux des structures en Europe. Concernant la pertinence du système français, je vous laisserai le soin d’en parler !

Dans le cadre de la conciliation vie professionnelle, vie privée et vie familiale, l’offre de structures d’accueil pour les enfants en âge préscolaire est un enjeu majeur pour la Commission européenne. En effet, l’accès à ces structures facilite l’emploi, en particulier des femmes, qui sont souvent les premières à prendre en charge les enfants mais aussi les personnes dépendantes ; il s’inscrit aussi dans la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes, eu égard aux écarts de salaires persistants et au déséquilibre dans la répartition des tâches domestiques et familiales ; et il constitue un soutien à l’inclusion sociale, l’emploi permettant de lutter contre la pauvreté des enfants et des parents, et les structures d’accueil de réaliser des projets familiaux, sachant que l’Europe subit actuellement un ralentissement démographique.

Quelques chiffres récents. La stratégie de Lisbonne, définie en 2000, portait notamment sur la conciliation vie professionnelle – vie privée. Sa relance en 2005 ayant mis l’accent sur l’emploi, le Conseil a alors fixé pour les femmes un objectif de 60 % de taux d’emploi d’ici à 2010. Aujourd’hui, ce taux se situe à 58 % en Europe et à 60 % en France. Selon nos dernières statistiques, le taux de chômage en Europe atteint 7,8 %, et 8,9 % en France. En Europe, 31,2 % des femmes travaillent à temps partiel, contre 7,7 % des hommes – ces taux étant respectivement de 30 % et de 5,7 % en France. Ils confirment une inégalité entre les sexes, notamment parce que les femmes sont plus enclines à se sacrifier pour raison familiale et parce qu’un travail à temps partiel peut les aider à entrer sur le marché de l’emploi, ce qui n’est pas sans conséquence sur leur carrière et leur pension. D’où l’importance de structures d’accueil facilitant l’accès des femmes à un emploi rémunéré et du soutien à leur indépendance économique.

Autre comparaison pertinente : l’impact de la parentalité sur l’emploi des hommes et des femmes. En Europe, le taux d’emploi des femmes ayant un enfant de moins de douze ans diminue de 12,4 % par rapport aux femmes n’ayant pas d’enfant, alors que celui des hommes augmente de 7,3 %. La France se situe dans la moyenne européenne : - 10,1 % pour les femmes et + 7,3 % pour les hommes.

Autre élément intéressant qui révèle un décalage : la répartition du temps de travail domestique par rapport au temps de travail payé dans le ménage. Les femmes en Europe consacrent 18 heures de plus par semaine que les hommes au travail domestique. En revanche, elles consacrent sept heures de moins par semaine à un emploi payé. La France est également dans la moyenne pour le travail domestique des femmes, qui y consacrent 18 heures de plus par semaine, mais elle affiche un meilleur résultat pour les heures passées dans un emploi payé, avec un écart de 4 heures entre les hommes et les femmes.

Selon la nouvelle méthodologie européenne, l’écart des salaires entre les femmes et les hommes est de 17,4 % en Europe et de 15,8 % en France.

Dans le cadre de sa stratégie pour l’égalité hommes-femmes, la Commission a présenté en octobre dernier un paquet général sur la question de la conciliation vie privée – vie professionnelle. Ce paquet contenait deux propositions législatives et un rapport sur le suivi des « objectifs de Barcelone ». En 2002, le Conseil européen avait en effet invité les États membres à s’efforcer de mettre en place, d’ici à 2010, des structures d’accueil pour 90 % au moins des enfants entre trois ans et l’âge de la scolarité obligatoire et pour au moins 33 % des enfants âgés de moins de trois ans. Ces objectifs sont aujourd’hui une ligne directrice.

La première proposition législative vise à réviser la directive sur la maternité en portant la durée minimale du congé de maternité de 14 à 18 semaines payées en équivalents congés maladie ; en accroissant la flexibilité offerte aux femmes pour décider si elles prennent leur congé avant ou après l’accouchement ; en améliorant la protection de l’emploi des femmes pendant et au retour de ce congé. Je rappelle que l’Europe fixe un seuil minimal, chaque État membre étant libre d’aller au-delà, la France étant déjà à seize semaines.

La deuxième proposition législative vise à assurer l’égalité de traitement des travailleurs indépendants – dont la protection sociale est très souvent insuffisante – et des conjoints aidants, par exemple les épouses dans le secteur agricole dont la situation est très précaire. Nous proposons que les travailleuses indépendantes et les conjointes et partenaires de vie aidantes bénéficient du même droit à congé de maternité que celui prévu pour les travailleuses salariées, et que les conjoints et partenaires de vie aidants puissent s’affilier, sur une base volontaire, au même régime de sécurité sociale que les travailleurs non salariés.

Nous n’avons pas proposé de modifier le congé parental, la procédure européenne prévoyant que tout changement en la matière repose sur un accord des partenaires sociaux européens. Nous les avons donc consultés et leur avons remis un document comportant nos pistes pour moderniser ce congé. Je rappelle que le minimum européen est de trois mois – là aussi, la France est au-delà –, le volet rémunération revenant aux États membres. À ce stade, nous pensons souhaitable d’augmenter la durée du congé parental, de revoir sa rémunération, de prévoir la possibilité de le prendre jusqu’aux douze ans de l’enfant, au lieu de huit ans actuellement, et d’inciter les pères à le prendre.

Toujours pour favoriser la conciliation vie familiale – vie professionnelle, nous envisageons d’introduire des congés susceptibles de répondre aux besoins des travailleurs, à savoir le congé de paternité, le congé d’adoption, et le congé dit « filial » pour prendre soin de personnes dépendantes. Ce « paquet congés », le congé de maternité mis à part, est entre les mains des partenaires sociaux européens dont nous attendons les résultats des négociations pour ce printemps.

Dans le cadre du suivi des objectifs de Barcelone, la Commission a fait un rapport qui dresse un état des lieux des structures de garde en Europe et permettant ainsi de voir où en sont les États membres de leurs engagements.

Si nous n’avons pas, au niveau européen, la compétence pour légiférer sur les crèches, nous avons le devoir, et le pouvoir, de suivre les engagements des États membres et, à cet égard, notre rapport fournit des statistiques, des données harmonisées et comparables sur l’utilisation des « systèmes formels de garde » de la petite enfance, à savoir les crèches, les écoles maternelles, les assistantes maternelles – à l’exclusion des aides familiales, des jeunes filles au pair, etc. Cet état des lieux porte sur trois points : la disponibilité et l’accessibilité, le coût et le financement, la qualité et les conditions de travail.

En ce qui concerne la disponibilité et l’accessibilité, nous avons distingué deux classes d’âge d’enfants dont les besoins et l’offre de garde sont très différents. Pour les enfants de zéro à trois ans, la demande concerne principalement les crèches, dont l’accès est généralement payant – donc un peu plus coûteux pour les parents – et n’est garanti que dans un nombre très limité d’États membres, en l’occurrence la Finlande, le Danemark et la Suède. Sans surprise, des États nordiques ! De plus, des considérations culturelles et les traditions familiales des différents États entrent souvent en ligne de compte dans le choix du mode de garde. Enfin, les modalités des congés de maternité et parentaux ont un impact sur la demande de services de garde, des congés longs incitant les femmes à rester à la maison, donc à moins utiliser ces structures. Si l’on constate une grande hétérogénéité parmi les États membres pour cette tranche d’âge, on ne la retrouve pas pour les enfants de trois à six ans, dont une part importante est placée en école maternelle, système généralement subventionné ou gratuit dans les États membres.

S’agissant des structures de garde en général, nous avons aussi trouvé pertinent de distinguer les taux de couverture en fonction du nombre d’heures pendant lesquelles les enfants sont gardés – de 0 à 30 heures ou plus de trente heures par semaine –, une crèche ouverte trente heures ne pouvant répondre aux besoins des parents travaillant à temps plein.

Pour les enfants de zéro à trois ans, nos dernières statistiques font apparaître que seuls cinq États membres dépassent actuellement l’objectif de 33 % de taux de couverture. Cinq autres s’en approchent, parmi lesquels la France avec 31 %. Beaucoup d’États membres affichent une couverture inférieure à 10 %, une dizaine avoisinant les 2 % – comme la République tchèque et la Pologne. Ces écarts très importants s’expliquent, encore une fois, par les traditions familiales et les considérations culturelles qui entrent beaucoup en jeu pour cette tranche d’âge. Ce taux de couverture concerne les enfants quel que soit le nombre d’heures par semaine.

Pour les enfants entre trois ans et l’âge de la scolarisation, les résultats sont meilleurs : huit États membres, parmi lesquels la France, ont dépassé l’objectif de Barcelone de 90 % et trois autres en sont très proches. Les autres États membres ont, en général, un taux de couverture assez élevé, de 70 % à 80 %. En revanche, les structures d’accueil fonctionnant souvent à temps partiel pour cette tranche d’âge, en considérant le taux de couverture à temps plein, il apparaît que plus de la moitié des États membres ont en fait un taux de couverture en dessous de 50 %.

La question du coût et du financement est indissociable de celle sur la disponibilité des structures d’accueil. Eu égard à l’inclusion sociale, le coût ne doit pas être un frein au retour à l’emploi, en particulier pour les ménages les moins favorisés. Sur le caractère abordable financièrement des structures d’accueil, nous constatons de grandes différences entre les États membres, mais aussi à l’intérieur d’un même pays, cette coexistence de plusieurs modèles de financement offrant un choix aux parents. Pour les enfants de moins de trois ans, le coût net de la garde des enfants pour les ménages varie énormément entre les États membres, entre 5 % et plus de 30 %. D’après une étude de l’OCDE, la France se situe dans la tranche des États dont le reste à charge est le plus élevé, autour de 12 %, le taux le plus élevé allant à la Grande-Bretagne, avec 32 %.

M. le coprésident Pierre Morange. Incluez-vous les aides connexes, comme la fiscalité qui s’y rattache ?

Mme Iva Lanova. C’est le coût net, le prix diminué de toutes les aides.

La méthodologie entre en ligne de compte. Notre calcul est basé sur un couple avec deux revenus, travaillant à temps plein et gagnant 167 % du salaire moyen. Nous calculons le coût net en pourcentage, une fois déduites les réductions d’impôt et les allocations.

Mme la rapporteure. Cela confirme ce que nous ont dit les personnes auditionnées précédemment. Notre reste à charge se trouve effectivement dans la moyenne en pourcentage, sachant qu’il y a des inégalités entre les personnes modestes et les personnes dont les revenus sont plus élevés.

Mme Iva Lanova. Pour cette tranche d’âge de zéro à trois ans, la conclusion est assez décevante au niveau européen puisqu’il y a une grande dichotomie entre, d’un côté, des crèches publiques, certes très abordables financièrement, mais souvent sujettes à des listes d’attente, et, de l’autre, des crèches privées où beaucoup de places sont disponibles mais très chères. Au final, l’offre est très divergente et le coût est un facteur de choix très important pour les ménages.

Quant aux enfants de plus de trois ans, la maternelle est accessible et ne représente aucun coût pour les parents dans la plupart des États membres.

La qualité des services d’accueil détermine aussi le choix des parents. Parmi les critères qualitatifs, nous avons pris en compte le niveau de diplôme ou d’éducation des personnes qui s’occupent des enfants. Pour ceux âgés de zéro à trois ans, les travailleurs européens ont en général des diplômes de l’enseignement secondaire, et pour les enfants de trois à six ans des diplômes de l’enseignement supérieur, comme le montrent nos deux tableaux.

Si le nombre d’emplois a beaucoup augmenté ces dernières années dans le secteur de l’accueil des jeunes enfants en Europe, les conditions de travail n’y attirent pas les travailleurs car ce sont souvent des emplois précaires, mal payés et avec des horaires atypiques. Par ailleurs, la profession étant largement féminisée, cela influence le salaire moyen du secteur. La France, elle, comptabilise en moyenne plus d’hommes dans le secteur de la garde d’enfants que les autres pays européens.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Ces chiffres concernent-ils à la fois les crèches et les écoles maternelles ? Car je pense que c’est l’école maternelle qui fait remonter le taux de la France.

Mme Iva Lanova. Effectivement, la France a un grand pourcentage d’hommes dans les écoles maternelles, ce qui fait remonter la moyenne.

Un autre élément de qualité des services d’accueil est le ratio entre le nombre d’adultes et le nombre d’enfants, très hétérogène en Europe. Pour la tranche d’âge de zéro à trois ans, ce ratio va de un adulte pour trois enfants jusqu’à un adulte pour sept enfants. Pour la tranche supérieure, il est de un adulte pour six enfants à un adulte pour 19 enfants. Il va de soi que ces différences considérables influencent le choix des parents.

M. le coprésident Pierre Morange. S’agissant des enfants de zéro à trois ans, permettez-moi de souligner que nous utilisons en France un critère important pour établir ce ratio : celui de la maîtrise de la marche par les enfants. Avez-vous des informations sur la ventilation entre le personnel encadrant les enfants qui marchent et celui encadrant les enfants ne marchant pas ? Ces éléments ont du sens dans la mesure où ils ont une incidence immédiate sur le coût de fonctionnement des structures d’accueil collectif.

Mme la rapporteure. La distinction entre les enfants de zéro à deux ans et les enfants de deux ans à trois ans intéresse la France dans sa réflexion sur les jardins d’éveil.

Mme Iva Lanova. Il existe une autre étude de l’OCDE sur ce point. En France, le ratio est de un adulte pour cinq enfants de zéro à deux ans et de un adulte pour huit enfants pour les enfants de deux à trois ans. Comme la France, un certain nombre d’États membres nous ont fourni ces informations en tenant compte de cette distinction d’âge. Pour ce que vous appelez le « préscolaire » – avant six ans –, le ratio est de un professeur d’école pour 19,3 enfants en France.

Mme la rapporteure. S’agissant de ce dernier ratio, je suppose que vous comptez uniquement les personnels enseignants et pas les personnes qu’on appelle agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles  (ATSEM) en France ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Les ATSEM chargés d’assister les professeurs des écoles en France sont des personnels communaux. Je suppose qu’ils ne sont pas comptabilisés.

Mme Iva Lanova. Vous trouverez toutes ces informations dans le rapport de l’OCDE, Bébés et employeurs, de 2007.

Sur ce sujet des normes de qualité, il faut évidemment tenir compte du fait que certains États peuvent avoir délocalisé les compétences.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Les parents européens privilégient-ils le ratio d’encadrement – classé comme critère de qualité dans votre étude – plutôt que la gratuité des structures, qui est un élément important en France ?

Mme Iva Lanova. Je crois que cela dépend des parents. Selon les objectifs de Barcelone, il faut tendre vers des structures accessibles, de qualité et d’un coût abordable. Ces trois éléments doivent être combinés et chaque pays doit progresser dans les trois domaines en même temps. En fait, les trois entrent en ligne de compte dans le choix des parents en fonction de leur situation, les plus aisés ayant tendance à regarder en premier lieu la qualité, les ménages moins favorisés l’accessibilité et le caractère abordable des structures d’accueil, ce dernier élément contribuant à l’égalité des chances.

En conclusion, le développement de services d’accueil abordables, accessibles et de qualité préoccupe beaucoup la Commission qui suit ce sujet de très près. Plusieurs conseils européens se sont engagés à poursuivre la réalisation des objectifs de Barcelone, et la présidence tchèque a organisé récemment un conseil informel des ministres des affaires sociales pour étudier de nouveau la situation. Cependant, si l’engagement politique est fort, une majorité d’États membres a un retard important et n’atteindra probablement pas ces objectifs d’ici à 2010, même s’ils entendent poursuivre leurs efforts.

Mme la rapporteure. Nous parlons en France de « droit opposable » en matière de garde d’enfants, mais nous n’avons pas les capacités d’y répondre aujourd’hui. Par quel moyen la Finlande, le Danemark et la Suède ont-ils réussi à répondre à la demande de toutes les familles ? À quelles difficultés ont-ils été confrontés et comment les ont-ils résolues ?

Mme Iva Lanova. Il est difficile pour moi de répondre car nous avons une vision macroéconomique des choses. Cependant, il y a beaucoup d’échanges de bonnes pratiques entre États – les ministères se rencontrent, échangent – sur lesquelles nous disposons de bases de données. Par ce biais, nous pourrons vous donner l’information qui vous intéresse. Cela étant dit, on connaît la tradition des pays nordiques en matière de fiscalité, de système social et de service public…

M. le coprésident Pierre Morange. D’après le comparatif sur les tarifs de garde et la participation des familles dans l’Union européenne, la République tchèque est assez bien placée, ce qui signifie qu’un cofinancement est assuré par les structures publiques. Comment cela fonctionne-t-il entre l’État et les collectivités ?

Mme Iva Lanova. Je ne suis pas une représentante du ministère des affaires sociales tchèque. Et même si je vivais en République tchèque, il faudrait que je m’occupe précisément de ce dossier pour le savoir…

M. le coprésident Pierre Morange. Les personnes auditionnées précédemment ont souligné l’existence d’une corrélation entre l’importance des structures d’accueil et des dispositions sanitaires, sociales et fiscales qui s’y rattachent, d’une part, et les taux de fécondité, d’autre part.

Mme Iva Lanova. Oui, nous observons une corrélation directe.

M. le coprésident Pierre Morange. On n’a pourtant pas l’impression que ce lien de causalité existe à chaque fois. Si la France a le taux fécondité le plus élevé d’Europe et bénéficie d’un dispositif particulièrement développé, les graphiques que vous nous proposez font apparaître que certains pays de l’Union européenne ont un taux de fécondité notoirement plus bas, malgré un dispositif de protection sociale et fiscale assez intéressant pour les familles. La participation financière des familles françaises à la garde des enfants est dans la tranche la plus haute, alors que les coûts de prise en charge sont beaucoup plus modiques pour les familles d’autres pays de l’Union européennes dont le taux de fécondité est infiniment plus bas que le nôtre. Y a-t-il une réflexion sur ce sujet ?

Mme Iva Lanova. Je pense qu’il faut avoir une vision globale et regarder un ensemble de chiffres.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est la raison pour laquelle il ne serait pas inintéressant de globaliser ces informations au niveau de l’Europe afin de voir quels mécanismes sont les plus pertinents pour favoriser la fécondité. C’est à cela que je voulais en venir !

Mme Iva Lanova. Nous faisons tous les ans un rapport sur les évolutions démographiques, que je vous ferai parvenir, qui met en lumière différentes corrélations : entre la disponibilité des structures de garde et le taux d’emploi, entre la disponibilité des structures et le taux de natalité ; il y en a sûrement d’autres. Mais lorsque nous regardons le taux de natalité, nous regardons en même temps le taux d’emploi des femmes car ces deux objectifs coexistent. À cet égard, les pays nordiques ont la meilleure stratégie car, eux, arrivent à avoir à la fois un taux de natalité et un taux d’emploi des femmes élevés. Un bémol : ces pays souffrent de problèmes de ségrégation sur le marché du travail, c’est-à-dire de la concentration des femmes dans les emplois féminisés et du manque de femmes dans les postes à responsabilité. Chaque modèle a donc des avantages et des inconvénients, notre objectif étant de permettre la conciliation vie familiale – vie professionnelle en aidant les pays à atteindre plusieurs objectifs en même temps, non pas en forçant les femmes à travailler mais en leur offrant le choix.

Mme la rapporteure. Disposez-vous d’études permettant de dire comment évolue l’enfant dans son cursus jusqu’à l’âge adulte selon qu’il a bénéficié, entre zéro et six ans, d’un accueil familial, collectif ou autre ?

Sur les critères qualitatifs des structures, vous avez parlé du taux d’encadrement, mais avez-vous une étude sur les normes réglementaires pour l’accueil des petits ? Il se trouve que la réglementation française en la matière est aujourd’hui très stricte et entraîne parfois des coûts financiers importants. Il serait donc intéressant pour nous de nous demander si cela est justifié ou pas au regard d’autres pays dont les normes sont moins importantes sans que cela ne leur pose de problème de sécurité.

Mme Iva Lanova. Je chercherai l’information sur les normes réglementaires et vous la ferai parvenir.

Il existe des études – pas forcément de la Commission européenne, et sur lesquelles nous nous fondons – qui démontrent que les enfants qui sont allés dans les structures collectives ont ensuite de meilleurs résultats scolaires. Je pourrai vous les communiquer.

M. le coprésident Jean Mallot. Nous vous remercions d’avoir répondu à toutes nos questions avec patience et précision. Je vous propose de rester en relation avec nous pour nous apporter des éléments de réponse complémentaires. Cette mise en perspective européenne nous intéresse beaucoup car elle nous aidera à trouver quelques idées pour améliorer notre propre système.

Mme Iva Lanova. Comment le rapport de Mme Michèle Tabarot va-t-il s’articuler avec le vôtre ?

Mme la rapporteure. Nous ferons une synthèse. Tous les travaux déjà effectués, ajoutés à toutes les auditions auxquelles nous procédons, nous permettront de formuler des préconisations qui figureront dans le rapport sur l’évaluation de la politique d’accueil du jeune enfant.

M. le coprésident Pierre Morange. Au-delà des différents thèmes abordés et des travaux que nous menons, l’un des objectifs de la MECSS est de chercher tous les moyens permettant d’optimiser l’utilisation de l’argent public dans sa dominante sanitaire et sociale.

Mme Iva Lanova. C’est très louable !

M. le coprésident Pierre Morange. Le rapport de Mme Tabarot constitue une base de réflexion, dont s’inspirera notre rapporteure Mme Clergeau, et s’inscrit dans cette logique de la MECSS visant à rationaliser les moyens pour répondre aux besoins de nos compatriotes et aux grands défis générationnels auxquels nous sommes confrontés.

Mme Iva Lanova. En plus des informations que je me suis proposé de vous envoyer, je vous donnerai les coordonnées de ceux de mes collègues qui ont une connaissance technique approfondie des questions que vous traiterez dans votre rapport.

Mme la rapporteure et M. le coprésident Pierre Morange. Merci beaucoup, madame.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède enfin à l’audition de M. Fabrice Heyriès, directeur général de l’action sociale au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, Mme Florence Lianos, sous-directrice des âges de la vie, et M. Ibrahim Moussouni, adjoint au chef du bureau Enfance et famille.

M. le coprésident Jean Mallot. Nous sommes heureux de vous accueillir afin d’approfondir le sujet de la prestation d’accueil du jeune enfant.

M. Fabrice Heyriès, directeur général de l’action sociale au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. La PAJE présente plusieurs vertus dont celles de simplifier en partie le dispositif des aides à la petite enfance et de solvabiliser davantage les parents qui souhaitent faire garder leurs enfants, l’objectif étant également de leur permettre de choisir le mode de garde le mieux adapté à leur situation en conciliant au mieux leur vie professionnelle et leur vie privée.

La prestation a permis l’augmentation du nombre des familles recourant à ce type d’aide pour un coût qui a crû plus qu’il n’était prévu, ainsi que la Cour des comptes l’a relevé. La création de la PAJE a en effet entraîné l’entrée de 250 000 à 300 000 familles de plus dans le dispositif d’aide, mais l’objectif de solvabilisation a été atteint puisque le taux d’effort de tous les types de famille a diminué, quels que soient le mode de garde choisi et le niveau de revenu des bénéficiaires.

Pour autant, le fait que les taux d’effort des bas revenus demeurent plus importants que ceux des hauts revenus a été critiqué. La réponse que l’on peut apporter à cet égard est que tous les taux d’effort ont baissé, que ceux des familles modestes ont diminué plus que les autres, et que, rapportés au revenu, ces taux, s’ils sont différents, sont désormais très proches les uns des autres. Enfin, les taux d’effort exprimés non plus en pourcentage mais en euros sont extrêmement différents selon le revenu des familles.

Bien entendu, la notion de taux d’effort peut faire référence à une redistribution verticale. Il ne faut cependant pas perdre de vue que l’un des grands objectifs de la politique familiale est d’être universelle et redistributive au sens horizontal du terme, c’est-à-dire orientée vers les familles, quel que soit leur niveau de revenu. Le système actuel se situe en fait à un croisement entre plusieurs priorités : la volonté bien sûr de solvabiliser les familles à bas revenu, mais aussi et surtout toutes celles qui ont besoin de faire garder leurs enfants.

Aussi estimons-nous que l’évolution des taux d’effort va plutôt dans le bon sens.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure. Le taux d’effort des familles ne semble-t-il pas suivre une courbe en U, à savoir que si les familles modestes fournissent un effort moindre et les familles plus aisées un effort inchangé, les couches moyennes sont pénalisées ?

De façon plus générale, quelles améliorations pourraient être apportées à la PAJE ?

M. Fabrice Heyriès. S’agissant des taux d’effort, on ne peut porter de jugement uniforme. Je ne constate en tout cas pas de courbe en U, sachant que, s’agissant des bas revenus, les données dont nous disposons sont fondées sur le SMIC.

Par ailleurs, la variation des taux d’effort entre les différentes tranches de revenus diffère selon les modes de garde. Exprimés en taux d’effort, les écarts entre les tranches de revenu sont très faibles pour les modes de garde collectifs et plus importants pour les modes de garde individuelle, ce qui paraît d’ailleurs logique.

Mme la rapporteure. La courbe dont j’ai fait état repose, il est vrai, sur une étude de l’OCDE qui intègre dans le calcul des taux d’effort tous les avantages familiaux.

M. Fabrice Heyriès. Tout dépend si l’on parle de dispositif spécifique, comme la PAJE, ou si l’on se situe dans une approche « tout compris », auquel cas il serait logique de prendre en compte les allocations familiales. Cependant, l’avantage relatif de ces dernières diminue avec le revenu là où l’avantage fiscal s’accroît. Nous ne disposons pas de données sur cette base, mais elles pourront vous être communiquées.

M. le coprésident Pierre Morange. Sans remettre en cause le principe clairement affirmé de l’universalité du dispositif, l’intégration de l’ensemble des paramètres nous permettrait de disposer de données plus homogènes quant à l’effort financier fourni.

M. Fabrice Heyriès. La mission de révision générale des politiques publiques (RGPP) relative à la politique familiale, dirigée par M. Thierry Dieuleveux, que vous avez auditionné, dispose de tels éléments.

L’idée selon laquelle les prestations familiales doivent conserver leur dimension universelle a été débattue lors des travaux de la mission RGPP auxquels j’ai participé en leur temps. Prenant en compte l’ensemble des dispositifs qui concourent directement ou indirectement à la politique familiale, la mission s’est en effet interrogée, devant le volume financier considérable de leur coût, sur leur réorientation possible, même si cela devait s’effectuer de manière marginale.

Le choix n’a pas été fait à l’époque de faire évoluer le point d’équilibre entre logique universelle, c’est-à-dire horizontale, et logique verticale.

M. le coprésident Pierre Morange. Nos auditions l’ont montré, l’effort financier est incontestable, la solvabilisation est attestée et l’entrée dans le dispositif de 250 000 à 300 000 familles supplémentaires est réelle. Pour autant, la réduction des capacités d’accueil des enfants de deux à trois ans au sein de structures dépendant de l’éducation nationale et l’augmentation parallèle des capacités d’accueil au titre de la petite enfance n’a-t-elle pas relativisé l’accroissement des financements ?

M. Fabrice Heyriès. Le nombre d’enfants scolarisés entre deux et trois ans s’élève à peu près à 170 000. C’est un chiffre qui diminue en effet légèrement année après année du fait des choix de gestion de l’éducation nationale, ce qui n’est pas gênant si nous faisons plus que compenser cette diminution, mais ce qui pose problème dès lors qu’un objectif ambitieux de progression nette est affiché.

Toute déscolarisation, non seulement accroît d’autant l’effort de créations nettes de places, mais renchérit également les coûts puisque celui des places qui disparaissent est très inférieur à celui des places financées par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), quel que soit le mode de garde privilégié.

Mme la rapporteure. Dans ces conditions, quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement, sachant également que si le congé parental est réduit, il faudra répondre parallèlement aux besoins d’accueil des familles ?

M. Fabrice Heyriès. Tout se tient en effet, d’autant que l’objectif que nous sommes supposés atteindre est global. Il faut savoir cependant que l’éducation nationale n’affiche pas sa volonté de diminuer le nombre d’enfants de moins de trois ans scolarisés. Nous constatons toutefois qu’une difficulté existe, c’est pourquoi nous avons engagé des discussions avec ses responsables. C’est dans cet esprit qu’a été développée la notion de jardin d’éveil, qui devrait permettre de prendre en charge les enfants de deux à trois ans.

Mme la rapporteure. Cela me fait penser un peu à la gestion d’une ville : chacun se renvoie la balle.

M. le coprésident Pierre Morange. Selon le mode de garde, les critères réglementaires et les ratios d’encadrement non seulement ne sont pas pareils, mais leur incidence financière n’est pas la même. Il serait pertinent que ces éléments soient pris en compte au titre de la RGPP.

M. Fabrice Heyriès. Il faut comparer ce qui est comparable : la scolarisation est peu coûteuse pour la collectivité et gratuite pour les familles, mais elle n’est pas applicable toute l’année.

Mme Florence Lianos, sous-directrice des âges de la vie à la direction générale de l’action sociale au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Concernant les jardins d’éveil, une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) doit rendre ses conclusions très prochainement. Ce concept, dont l’intérêt est réel et reconnu comme tel pour l’enfant, n’est cependant pas sans poser de difficultés notamment en termes de locaux et de personnels.

Les professionnels de la petite enfance que nous réunissons très souvent à la direction générale de l’action sociale (DGAS) nous demandent ainsi de ne pas « découper » l’enfant en tranche. Ils éprouvent d’ailleurs quelque mal à concevoir un produit applicable aux seuls enfants d’un an.

L’idée est de pallier le désengagement de l’éducation nationale – qui n’est d’ailleurs pas une volonté délibérée du ministère – par ce « produit » qui devrait prendre place dans les locaux scolaires et être appliqué plutôt par des éducateurs de jeunes enfants, sachant toutes les difficultés que cela implique en termes de responsabilité, de prise en charge des enfants et de taux d’encadrement et, bien entendu, de participation des parents. En effet, si l’une des spécificités de l’école maternelle est d’être gratuite, le jardin d’éveil tel qu’il se dessine aujourd’hui d’après les différents rapports serait plutôt un produit d’accueil collectif donnant lieu à une participation des parents. Les jardins d’enfant, qui sont d’ailleurs un peu en déclin, concerneraient pour leur part la tranche d’âge des trois à six ans.

M. Ibrahim Moussouni, adjoint au chef du bureau Enfance et famille à la direction générale de l’action sociale au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Ils représentent encore 10 000 places environ, mais ce chiffre stagne depuis plusieurs années.

M. le coprésident Pierre Morange. Quand le rapport de l’IGAS devrait-il être rendu ?

Mme Florence Lianos. Son dépôt est imminent.

M. Fabrice Heyriès. L’idée, face à la fois à un désengagement lent mais de fait de l’éducation nationale, à l’objectif de développement du nombre des places et à une contrainte financière globale, est de réorienter le plus possible les enfants de deux à trois ans – même s’il est très difficile de découper l’enfant en tranche – vers ces futurs jardins d’éveil en les transférant éventuellement depuis les crèches. Ces dernières, qui représentent le mode de garde par enfant le plus coûteux, avec les taux d’encadrement les plus exigeants, seraient réservées aux petits enfants de moins de deux ans. Les jardins d’éveil, d’un coût intermédiaire, interviendraient donc après la crèche et avant la scolarisation au-delà de trois ans.

Mme la rapporteure. La France serait alors le seul pays d’Europe à différencier les deux-trois ans.

Concernant l’universalisme des prestations familiales, on voit bien, sans vouloir relancer le débat, que les familles les plus aisées sont plus favorisées que les autres en cette période de crise économique sévère. On pourrait au moins réfléchir à un rééquilibrage. À cet égard, s’il devait y avoir une participation des parents pour les jardins d’éveil, ne conviendrait-il pas de réfléchir, dans le cadre de la PAJE, à un soutien pour diminuer les charges ?

M. Ibrahim Moussouni. Des améliorations très récentes ont eu lieu sur ce point. Un décret du 9 avril 2008 qui prévoit la revalorisation de la PAJE, se traduit mécaniquement par une baisse du reste à charge pour les familles les plus modestes, soit 50 euros par mois, ce qui peut couvrir deux voire trois journées de garde d’enfant.

S’agissant du taux de scolarisation précoce, il convient de faire attention à l’effet d’optique dû à un taux de natalité très élevé ces deux ou trois dernières années, l’offre de l’éducation nationale n’ayant pas nécessairement évolué dans les mêmes proportions. Cet effet explique que le taux de scolarisation semble avoir baissé.

Mme Florence Lianos. Le mode de garde le plus accessible pour les familles modestes reste les équipements collectifs. Or ceux-ci ont un coût très élevé pour la collectivité, la Cour des comptes l’a souligné à plusieurs reprises.

Pour conserver le libre choix des familles, notion à laquelle nous attachons beaucoup d’importance, notre effort porte donc également sur le développement de la prise en charge des enfants par les assistantes maternelles – ou plutôt les assistants maternels – et sur la solvabilisation des familles modestes pour ce mode de garde. Avec la revalorisation de la PAJE, le décret en question, en diminuant le reste à charge pour les familles modestes utilisant les services des assistants maternels, permettra à ces familles d’accéder à ce mode de garde, dans le souci, encore une fois, de tendre à l’effectivité du libre choix.

M. Fabrice Heyriès. Le reste à charge des familles qui recourent à des assistantes maternelles a diminué en valeur pour les familles modestes et légèrement augmenté ou est resté à peu près stable pour les familles aisées. Pour les familles se situant entre les deux, il a légèrement diminué.

Mme la rapporteure. Comment expliquer, alors que nombre d’assistantes maternelles commencent à partir en retraite, le taux important de chômage qui les frappe ?

Mme Florence Lianos. Les assistants maternels représentent le mode de garde préféré des parents et le moins onéreux pour la collectivité, hors l’école maternelle. Pour autant, 100 000 assistants maternels sont en effet au chômage. Les raisons sont de plusieurs ordres. D’abord, nombre de personnes prennent un agrément sans avoir vraiment le souhait d’exercer cette profession difficile et assez peu rémunératrice. Ensuite, il peut se révéler difficile de trouver des enfants en nombre suffisant dans certaines zones urbaines sensibles ou rurales, ce qui peut entraîner un déséquilibre entre l’offre et la demande.

Aussi avons-nous un vrai plan à fois quantitatif et qualitatif concernant les assistants maternels.

Sur le plan quantitatif, notre effort porte sur le ciblage, avec Pôle emploi, des personnes susceptibles de devenir assistants maternels, sachant que 80 000 départs à la retraite environ devraient avoir lieu dans les années qui viennent. Le ministère réalise à ce sujet des monographies du métier d’assistant maternel qui permettent de cerner les profils pouvant être intéressés par cette profession : femmes plutôt jeunes qui gardent leurs enfants, femmes ayant au contraire déjà élevé leurs enfants, personnes de quarante-cinq à cinquante ans licenciées, etc. Quantitativement, on peut penser que le vivier existe pour augmenter le nombre d’assistants maternels.

Sur le plan qualitatif, nous avons mis en œuvre des actions avec les conseils généraux, qui sont chargés de l’agrément et du suivi. Nous réalisons ainsi avec nos partenaires un guide afin que les pratiques des services de protection maternelle et infantile (PMI) soient homogénéisés. Il conviendrait également qu’en matière de locaux ou d’accueil particulier, les PMI ne soient pas trop exigeantes, tout en faisant bien entendu respecter certaines normes de qualité et de sécurité. Des journées techniques seront organisées pour examiner les différents problèmes.

Quant à la formation des assistants maternels, nous avons travaillé sur le décret qui a fait suite à l’adoption de la loi du 27 juin 2005 relative aux assistants familiaux et assistants maternels. Cette formation permet aujourd’hui de donner les bases du métier en amont de l’exercice de la profession et au cours de la première année d’exercice. Nous avons quelque retard dans l’évaluation de la loi de 2005, mais nous avons d’ores et déjà lancé une enquête auprès de tous les conseils généraux pour savoir comment cette formation était reconnue et utilisée et quelles modifications il convenait de lui apporter.

Par ailleurs, la rémunération des assistants maternels a augmenté, notamment du fait de la PAJE, ce qui est un élément important pour la revalorisation de la profession, très demandeuse de reconnaissance sociale. Nous réfléchissons avec la direction de la sécurité sociale à l’augmentation du plancher et à un passage d’une modalité de calcul non plus par journée mais à l’heure. C’est là encore un élément pour décider des personnes jeunes ou moins jeunes à entrer dans cette profession.

Reste la question de la saturation de l’agrément. Comme la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a prévu la possibilité pour les assistants maternels d’accueillir quatre enfants, la DGAS souhaite que les services de PMI accordent immédiatement un agrément pour quatre enfants. S’il n’est bien entendu pas évident que l’assistant maternel trouve, voire souhaite accueillir quatre enfants, il faut que la possibilité existe.

Mme la rapporteure. Quels sont les financements prévus pour l’accueil des jeunes enfants dans le cadre de la nouvelle convention d’objectif et de gestion (COG) de la CNAF ?

Par ailleurs, le Président de la République a annoncé la création de 200 000 places d’accueil pour la petite enfance dans un délai rapproché. Comment comptez-vous vous y employer ?

Enfin, combien de places devraient selon vous être créées si le congé parental devait être réduit ?

M. Fabrice Heyriès. Le chiffre de 200 000 cité par le Président de la République correspond au nombre de places que la mission RGPP a elle-même jugé nécessaire de créer d’ici à 2012.

Mme la rapporteure. Aujourd’hui, ce sont 10 000 places que l’on crée par an. Un tel programme d’investissement ne peut donc être réalisé du jour au lendemain. Le plan d’investissement lancé par le Gouvernement Jospin en 1998 n’a ainsi porté ses fruits qu’en 2002 voire 2003.

M. Fabrice Heyriès. Le chiffre de 200 000 recouvre toutes les solutions de garde, qu’il s’agisse des 10 000 places créées par an en accueil collectif par la COG actuelle ou encore des possibilités d’accueil par des assistantes maternelles.

La répartition précise entre les différents modes de garde n’est pas arrêtée. Le curseur sera déplacé en fonction du coût respectif de chaque solution.

Afin que l’objectif global soit tenable, la future COG devra prévoir un volume de créations de places en accueil collectif au moins égal à l’actuel, ainsi que le financement d’autres places selon d’autres modes de garde.

Mme la rapporteure. D’où viendra ce financement ?

M. Fabrice Heyriès. De la COG, mais il pourra également prendre la forme de dispositifs fiscaux. Tous les financeurs publics sont concernés.

M. le coprésident Jean Mallot. Si le Président de la République annonce à la fois la création de 200 000 places d’accueil supplémentaires et le raccourcissement du congé parental, on peut supposer que l’appareil d’État a auparavant réfléchi aux moyens d’atteindre cet objectif.

M. Fabrice Heyriès. Pour prendre l’exemple des dispositifs fiscaux envisageables, nous souhaitons favoriser la création de places de crèches d’entreprise, l’objectif étant de multiplier par trois le parc actuel de 5 000 places.

Mme la rapporteure. La période actuelle n’est-elle pas déjà difficile pour les entreprises ?

M. Fabrice Heyriès. La période est difficile pour les entreprises, mais également pour l’administration s’agissant notamment des moyens d’atteindre l’objectif final de 200 000 places supplémentaires. On sait déjà que 10 000 places de crèche au moins seraient créées par an sur la période. Pour sa part, la secrétaire d’État à la famille a également évoqué la possibilité de mobiliser les places de crèche vacantes en milieu hospitalier, soit à peu près 10 000.

Tous ces différents objectifs ciblés contribueront à atteindre l’objectif final, mais nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de définir précisément comment se répartiront les 200 000 places.

M. le coprésident Pierre Morange. Tout étant lié, où en est la réflexion sur la réduction du congé parental et sur ses conséquences en termes de créations de places ?

Mme Florence Lianos. On compte aujourd’hui 37 000 agréments d’assistants maternels par an et nous espérons aller bien au-delà avec le plan les concernant.

L’idée est de travailler sur tous les modes de garde : les crèches traditionnelles, les crèches d’entreprise, les assistants maternels, les entreprises de crèche et tous les produits un peu innovants encore à un stade anecdotique, qu’il s’agisse des micro-crèches, des regroupements d’assistants maternels ou de toute autre formule répondant aux besoins du terrain.

M. le coprésident Pierre Morange. Des dispositions réglementaires concernent-elles justement tous les produits un peu innovants, par exemple en matière d’ouverture de places ?

Mme Florence Lianos. Tout à fait. Le décret du 1er août 2000 relatif aux normes d’encadrement des établissements d’accueil a été modifié le 20 février 2007 et un article spécifique aux micro-crèches a été créé. Cette réglementation a d’ailleurs reçu le meilleur accueil de la part de la Mutualité sociale agricole (MSA). Elle répond en effet très bien aux besoins des zones rurales – le regroupement d’assistants maternels correspond par exemple plus aux zones urbaines sensibles.

Chaque produit, telles les crèches familiales, a ses spécificités et son utilité, à charge pour les acteurs locaux de définir quels sont les produits les mieux adaptés à leur situation et de les développer dans le cadre approprié, telle la commission départementale de l’accueil des jeunes enfants.

S’agissant du congé parental, les réflexions en cours ont déjà abouti à un rapport de l’IGAS. Le Gouvernement en est encore pour sa part au stade de la réflexion. Quant à l’étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) sur le sujet, elle ne sortira pas avant 2010.

M. Ibrahim Moussouni. Pour ce qui est des micro-crèches, nous avons demandé aussi bien à la CNAF qu’à la caisse centrale de la MSA de procéder à un état des lieux. Nous disposerons des chiffres très prochainement.

Après la période de flottement ayant suivi l’expérimentation, le mouvement prend de l’ampleur dans les territoires couverts par la MSA. Plus de soixante projets sont réalisés ou en cours de réalisation. Comme l’on assiste à peu près au même mouvement dans les territoires couverts par la CNAF, il n’est pas impossible de parvenir à une centaine de micro-crèches dans les semaines ou les mois qui viennent.

Mme la rapporteure. Des réflexions sont-elles menées pour faciliter le retour à l’emploi des parents ayant pris un congé parental ?

Par ailleurs le plan Espoir Banlieues mené par Mme Fadela Amara, secrétaire d’État chargé de la politique de la ville, s’articule-t-il avec le projet de développement de crèches dans des quartiers sensibles, pour lequel la CNAF a prévu 30 millions d’euros ?

Mme Florence Lianos. L’une des pistes envisagées est d’offrir un droit particulier à la formation aux bénéficiaires de congés parentaux. Les services concernés – direction de la sécurité sociale (DSS), délégations régionales aux droits des femmes et nous-mêmes – réfléchissent en tout cas au sujet.

Concernant les quartiers sensibles, 30 millions d’euros seront inscrits dans la nouvelle convention d’objectifs et de gestion, et un travail conjoint avec la CNAF a permis de lancer un appel à projets ayant suscité de nombreuses réponses.

M. Ibrahim Moussouni. Ces crédits s’ajoutent aux crédits de droit commun, notamment à la prestation de service unique attribuée par la CNAF. Il s’agit d’un complément financier pour les collectivités territoriales concernées. Un bilan en sera tiré très prochainement.

M. Fabrice Heyriès. S’agissant du congé parental, peut-être faudra-t-il, si l’on souhaite faciliter davantage le retour à l’emploi, réfléchir aux moyens d’éviter des ruptures trop longues avec le milieu du travail, car plus cette rupture est longue, plus le retour est difficile. Aussi, plus on créera de solutions de garde, moins les parents recourront longtemps au congé parental, même si je dois reconnaître que la tentative faite avec le complément optionnel de libre choix d’activité (COLCA) n’a pas été très positive.

Mme la rapporteure. La réflexion sur ce point envisage-t-elle un congé parental fractionné, c’est-à-dire un crédit de temps permettant par exemple de prendre un an à la naissance puis pendant certaines périodes jusqu’à l’adolescence de l’enfant ?

Mme Florence Lianos. C’est une des pistes évoquées par le rapport de l’IGAS. Elle nécessite cependant une concertation avec les partenaires sociaux.

M. Fabrice Heyriès. Prévoir la possibilité pour des parents de prendre un congé pour des enfants qui ont atteint un âge pour lequel rien n’est prévu aujourd’hui, reviendrait à créer une nouvelle prestation. Il conviendrait en tout cas de mesurer les effets d’une telle mesure en termes à la fois de retour à l’emploi des parents et de coût.

M. le coprésident Pierre Morange. Ne faudrait-il pas donner un caractère obligatoire à la remontée des informations auprès des structures compétentes, ce qui leur permettrait de mieux gérer les effectifs et les places ayant vocation à accueillir les enfants en bas âge, et aux parents de savoir quelles sont les disponibilités ?

Mme Florence Lianos. Une telle obligation existe déjà en ce sens que les conseils généraux, qui délivrent les agréments et suivent les assistants maternels, sont normalement destinataires de toutes les modifications de situation de ces derniers. La réalité étant cependant un peu différente, il pourrait être envisagé de rappeler ce caractère obligatoire dans la loi, ce qui peut toutefois soulever des problèmes par rapport à la libre administration des collectivités territoriales. Aussi, la piste la plus suivie est celle du conventionnement, soit avec la caisse d’allocations familiales (CAF), comme cela est prévu dans la COG, soit avec les relais d’assistants maternels, par exemple, afin que ces derniers soient beaucoup plus incités, éventuellement financièrement, à donner en temps réel leurs disponibilités.

Sur le terrain, des systèmes efficients fonctionnent déjà qui pourraient être généralisés. Tel est d’ailleurs l’objectif du site Internet national « mon-enfant.fr » dont M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la CNAF, a pu vous parler, sachant qu’en raison du nombre de places offertes par les assistants maternels aucune vision d’ensemble ne serait possible si ce mode de garde n’était pas concerné.

M. Fabrice Heyriès. Le projet de future COG prévoit ce mode de conventionnement et les financements correspondants.

Mme Florence Lianos. Le rapport d’évaluation de la loi de 2005 auquel nous travaillons montre combien il est déjà difficile de disposer auprès des départements de données fiables en termes à la fois de stock et de flux. Ne parlons pas alors de la connaissance en temps réel des disponibilités de leurs assistants maternels !

M. Ibrahim Moussouni. L’obligation légale actuelle concernant les assistants maternels a pour objet de faciliter la tâche des conseils généraux en matière de suivi et de contrôle. L’information est donc collectée, mais pas forcément exploitée pour informer les familles. Quelques départements, dont les Côtes-d’Armor, l’Yonne ou encore le Rhône, ont mis en place un système d’information alimenté par les assistants maternels soit au moyen d’une plate-forme téléphonique soit en ligne, ce qui permet aux familles, par un dispositif de géolocalisation, de savoir quelle est l’assistante maternelle disponible près de chez eux pour une certaine durée. L’idée est de rendre obligatoire la transmission de cette information et de sanctionner, le cas échéant, les assistants maternels concernés.

M. Fabrice Heyriès. Cela implique de rendre cette transmission possible techniquement.

M. Ibrahim Moussouni. En tout cas, les organisations professionnelles d’assistants maternels que nous rencontrons régulièrement au sein de nos groupes de travail ne sont pas hostiles à ce caractère obligatoire dans la mesure où la vie des assistants maternels en serait facilitée : plutôt que de les déranger par de multiples appels, la famille qui a besoin d’une place saurait par un simple clic à qui s’adresser.

M. le coprésident Pierre Morange. Il me reste à vous remercier, madame, messieurs, pour la précision de vos réponses.

La séance est levée à douze heures trente.