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Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 26 mars 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Auditions, ouvertes à la presse, sur la prestation d’accueil du jeune enfant

– M. Julien Damon, coauteur du rapport du Centre d’analyse stratégique sur le service public de la petite enfance

– Mme France Prioux, corédactrice en chef de la revue Population à l’Institut national d'études démographiques (INED), et M. Laurent Toulemon, responsable de l’unité de recherche fécondité, famille, sexualité à l’INED

– Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, et Mme Isabelle Robert-Bobée, chef du bureau famille, handicap et dépendance

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 26 mars 2009

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la Mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède à l’audition de M. Julien Damon, coauteur du rapport du Centre d’analyse stratégique sur le service public de la petite enfance.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le cadre de nos travaux sur le bilan de la prestation d’accueil du jeune enfant, nous avons le plaisir d’accueillir M. Julien Damon, coauteur du rapport du Centre d’analyse stratégique sur le service public de la petite enfance. En le remerciant de sa présence, je lui donne tout d’abord la parole pour nous présenter sa réflexion, puis nous lui poserons des questions.

M. Julien Damon, coauteur du rapport du Centre d’analyse stratégique sur le service public de la petite enfance. Je vous remercie de cette invitation.

Je vous ai transmis un ensemble de graphiques et données chiffrées sur le service public de la petite enfance. Je vais tenter de synthétiser mon analyse, désormais personnelle, sur le sujet, en m’appuyant sur un rapport produit par le Centre d’analyse stratégique, où je ne travaille plus, et qui avait été saisi par le Premier ministre il y a deux ans.

Le service public de la petite enfance est une idée relativement neuve en France. Elle figurait – avec celle, mise en œuvre, de la création d’un revenu de solidarité active – parmi les quinze recommandations formulées par la célèbre commission « Familles, vulnérabilité et pauvreté », présidée par M. Martin Hirsch, en 2005. Nous avons tenté de lui donner un contenu et un périmètre, étant entendu qu’elle est également inspirée d’expériences étrangères, dont les experts de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Commission européenne vous ont déjà parlé ; il existe en effet, notamment en Finlande, ainsi que sous des formes dérivées en Suède et en Norvège, et dans une certaine mesure au Danemark, ce qu’on peut appeler un service public de la petite enfance, entendu comme un droit opposable à un mode de garde. Lors de la campagne présidentielle, il y a eu un débat entre les partisans de ce « service public de la petite enfance » et ceux d’un « droit opposable à un mode de garde », mais à mes yeux ces deux notions sont synonymes.

Ce rapport sur le service public de la petite enfance prend en considération, au-delà de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), prestation monétaire servie par la branche Famille de la sécurité sociale, toute la masse financière affectée à l’accueil des enfants âgés de zéro à trois ans, qui représente aujourd’hui environ un point de PIB. Nous avons fait un ensemble de constats sur les manques, que vous connaissez par ailleurs à travers les témoignages des parents qui, dans vos circonscriptions, vous décrivent leur parcours du combattant.

Mon propos sera simple : à mes yeux, on est confronté à deux difficultés principales, la première concernant la gouvernance de la politique de la petite enfance, et la deuxième étant liée à la bonne santé démographique de notre pays.

La première difficulté est d’ordre institutionnel. Qui fait quoi en matière de petite enfance aujourd'hui ? Il est assez étonnant de vouloir créer un « service public de la petite enfance » car, dans une certaine mesure, il existe déjà : la protection maternelle et infantile (PMI) est un service public obligatoire organisé par les départements ; par ailleurs, relèvent du service public local, géré et organisé par les municipalités, les dispositions prises au titre de l’action sociale facultative, autrement dit les crèches. Les départements agréent et habilitent les équipements, et assurent une partie du financement, même si elle est résiduelle ; quant aux municipalités, parce qu’elles maîtrisent le foncier et en partie l’immobilier, et surtout les commissions d’attribution des places dans les équipements collectifs, elles détiennent en réalité le pouvoir en matière de développement de l’accueil, y compris dans ses formes nouvelles comme les mini-crèches. Le troisième grand acteur est constitué par les caisses de sécurité sociale – et plus spécialement les caisses d’allocations familiales (CAF), qui servent la PAJE –, qui gèrent également une action sociale permettant de financer les équipements collectifs, en investissement comme en fonctionnement. En fin de compte, on ne sait donc plus très bien qui est responsable de quoi.

Pour avancer, il est indispensable de simplifier considérablement ce cadre institutionnel. Si l’on veut mettre en place un « droit opposable à un mode de garde », ou plus simplement un « droit à un mode de garde » ou encore un « service public de la petite enfance », il faut qu'une collectivité publique soit responsable. Et je crois pour ma part que ce sont les communes et leurs intercommunalités qui doivent se voir confier cette responsabilité et les moyens afférents. Quant aux caisses de sécurité sociale, je pense qu’elles ne peuvent pas continuer à avoir une action sociale alors que le département est désormais « chef de file de l’action sociale », sans que cela crée des concurrences coûteuses. J’avais d’ailleurs noté dans de précédents rapports de la MECSS l’idée de transférer l’action sociale des caisses de sécurité sociale aux départements ou aux communes. On n’avancera pas sur ce dossier de l’accueil de la petite enfance tant qu’on ne simplifiera pas la gouvernance du système, pour ensuite lui affecter des objectifs clairs, tel que celui qui avait été évoqué à l’horizon 2012 lors de la campagne présidentielle.

La deuxième difficulté tient à notre démographie, qui va plutôt bien par rapport à celle des vingt-six autres États membres de l'Union européenne. On impute cette situation à notre politique familiale et aux performances de notre politique de la petite enfance, or la corrélation n’est pas évidente : les États-Unis sont le pays en Occident où le taux de fécondité est le plus élevé, mais l’un de ceux où les dépenses publiques en matière de petite enfance sont les plus faibles. Au demeurant, l’objectif de la politique de la petite enfance est-il la fécondité ? C’est ce que l’on avance d’autant plus volontiers chez nous qu’au sein de l’Union européenne, la France se caractérise par une fécondité relativement élevée. Mais elle n’est pas, en revanche, dans le peloton de tête pour la qualité de l’offre et la satisfaction des parents : selon les informations de l’OCDE et de la Commission européenne, elle est au sixième ou septième rang pour le taux de couverture en matière d’accueil et dans la queue du classement concernant le niveau de satisfaction. Si nos dispositifs d’accueil participent au soutien de la fécondité, tant mieux ; mais si l’on vise l’égalité des chances, qui passe par un accueil des enfants harmonisé en termes de qualité et par la recherche de l’équité en termes de « reste à charge » des parents, nous sommes très loin d’être les plus performants.

Ces deux difficultés – la gouvernance, les objectifs – me laissent penser que pas grand-chose ne va bouger dans la politique de la petite enfance, d’autant plus que la concurrence va être de plus en plus grande entre les deux âges de la dépendance – petite enfance et personnes âgées. Si l’on considère le total des dépenses fiscales, des dépenses de sécurité sociale et des dépenses des collectivités territoriales, on consacre environ un point de PIB à la petite enfance et à peu près la même chose aux personnes âgées dépendantes ; à l’horizon 2025, mécaniquement, on devrait atteindre pour ces dernières environ 1,25 point de PIB. Il y a donc peu de chances, hélas, pour que l’on dépense davantage pour la petite enfance. En outre, je pense qu’on ne fera pas de grande réforme en matière d’objectifs et d’organisation. Sans doute pourra-t-il y avoir quelques avancées, mais les progrès ne seront pas à la hauteur des aspirations des parents et de tous ceux qui pensent que la politique familiale devrait être de plus en plus centrée sur la petite enfance, au lieu de s’étendre à tous les âges de la jeunesse, jusqu’aux jeunes majeurs.

Je suis donc un peu pessimiste quant au développement chez nous d’une politique intégrée de la petite enfance. En dépit de nos « cocoricos » démographiques, notre pays n’a ni la même rigueur en termes d’organisation et de financement, ni les mêmes performances en termes de qualité que ceux que nous citons en exemple, notamment les pays scandinaves. Et il est frappant de constater qu’aux États-Unis, où la dépense publique est bien plus faible, la part des jeunes enfants accueillis, selon les normes OCDE, dans des services « de qualité » est plus importante qu’en France. Pour moi, sans réforme majeure de la gouvernance du système, on n’atteindra pas l’objectif, judicieux et qui fut un temps envisagé, d’offrir à tout enfant dont les parents sont actifs, et pourquoi pas aussi aux autres, un mode de garde de qualité.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure. Ces propos ne sont pas très joyeux, et en plus, vous n’avez pas parlé des effets de la crise…

Vous avez insisté sur l’idée d’égalité des chances, or les familles modestes et monoparentales ont plus de difficultés que les autres à accéder aux modes de garde. Avez-vous des propositions à nous faire à ce sujet ?

M. le coprésident Pierre Morange. Vous souhaitez une réforme de la gouvernance, mais en pratique que préconisez-vous ?

M. Julien Damon. Dans son rapport sur la sécurité sociale de 2007, la Cour des comptes évoquait l’objectif d’une égalisation du « reste à charge », quel que soit le mode de garde choisi. Ce serait une remise en cause complète de notre système, qui repose surtout sur les assistantes maternelles, pour environ 10 % sur les crèches et pour 1 % des enfants sur les gardes individuelles à domicile.

On peut aussi étendre l’intervention publique, selon deux grands modèles. Le premier consiste à abaisser l’âge d’accueil par le service public gratuit, c’est-à-dire à le faire passer de l’âge de la scolarité obligatoire et de l’école maternelle à celui de la petite enfance. C’était le modèle de la République démocratique allemande (RDA) ou de la Hongrie. Le deuxième, modèle libéral pur, consiste au contraire à donner un chèque aux parents, modulé ou non en fonction de leurs revenus, à charge pour eux de trouver le mode de garde qu’ils souhaitent, les collectivités locales pouvant quant à elles organiser l’offre en collaboration avec les caisses de sécurité sociale. Le problème de la France, c’est que, comme sur bien des dossiers, elle hésite entre la logique de service public, d’inspiration social-démocrate, et la logique libérale, assortie d’un ensemble d’outils allant du financement d’équipements collectifs jusqu’à la solvabilisation des parents par le chèque emploi service universel (CESU) ou par le complément de libre choix d’activité (CLCA), avec cette modalité particulière qu’est l'ancienne allocation de garde d’enfant à domicile (AGED).

Ou bien, donc, on s’inscrit dans une logique de gratuité pure, ou bien on réaffecte la masse des dépenses – un point de PIB aujourd'hui – sous forme de chèques aux parents, avec un objectif d'égalisation soit de la somme affectée à chaque enfant, soit du « reste à charge ». Il relève évidemment du débat politique de savoir s’il faut affecter une somme forfaitaire à chaque enfant, comme c’est le cas actuellement pour les allocations familiales, qui sont attribuées sans conditions de ressources, ou si le montant du chèque doit être d’autant moins important que les revenus des parents sont élevés, à l’inverse du mécanisme du quotient familial.

Il reste qu’à l’origine, notre politique familiale n’était absolument pas axée sur la garde des enfants. Il y a un quart de siècle, ce point de PIB affecté à la garde la petite enfance n’existait pas ; la part des dépenses de politique familiale de la branche Famille de la sécurité sociale affectée à la petite enfance est passée de zéro à la fin des années 60 à un quart au début des années 90 et à un tiers aujourd'hui. À ce sujet, il faut s’interroger sur l’objectif des allocations familiales. Ne peut-on, au-delà du débat sur l’attribution sous conditions de ressources, concentrer les moyens sur les enfants de zéro à trois ans ?

Quant au problème de la gouvernance, je sais que la MECSS s’en est préoccupée à plusieurs reprises. J’ai en particulier noté avec intérêt qu’il était proposé dans un de ses rapports une régionalisation des caisses de sécurité sociale. On entend parler de « droit opposable à la garde d'enfants », mais cela ne peut avoir de contenu tant qu'on ne sait pas quelle est la collectivité publique responsable. Techniquement, ce pourrait être les caisses d’allocations familiales, avec un système de contractualisation avec les collectivités territoriales ; mais pour moi, si l’on ne confère pas cette responsabilité, avec les moyens afférents, aux communes et intercommunalités, on n’avancera pas. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas, en outre, envisager la décentralisation de la PMI au niveau des communes et intercommunalités. Enfin, il serait nécessaire d’harmoniser la qualité de l’offre. Si l’on retient comme critères la formation et la supervision des professionnels, nos établissements d’accueil collectif sont de très grande qualité ; la situation est très différente et très hétérogène en ce qui concerne la garde des enfants chez une assistante maternelle ou au domicile des parents.

M. le coprésident Pierre Morange. Si je comprends bien, vous envisagez un système adossé sur le couple communes – caisses d’allocations familiales.

M. Julien Damon. Les CAF ont le très grand avantage de disposer de fichiers. Pour le service de prestations légales, il n'y a pas mieux. La meilleure preuve en est que, lorsqu’on crée une nouvelle prestation – le revenu minimum d’insertion (RMI) il y a vingt ans, maintenant le revenu de solidarité active (RSA) –, on leur demande de la gérer. Même si elles disent ne pas vouloir être les tiroirs-caisses, elles peuvent très bien être les caisses de gestion de politiques qui seraient sous la responsabilité des élus. L’argument selon lequel les caisses de sécurité sociale, elles, seraient neutres me semble très discutable ; les premiers responsables du dossier sont les élus locaux, auxquels les parents viennent réclamer des places.

Vos auditions ont mis en évidence un point très important : en dépit de moyens techniques conséquents, nous avançons très lentement sur le sujet crucial de la mise en cohérence de l’offre et de la demande. Il faut se réjouir que les CAF améliorent les informations fournies par internet sur la petite enfance, en particulier la CAF de Strasbourg, mais il faudrait que cet exemple soit généralisé plus rapidement. La bonne information de parents est en effet essentielle, et on peut même dire que c’est le premier degré d’un service public de la petite enfance, auquel on peut ensuite en ajouter d’autres. Il est incroyable, alors que l’on dispose de l’outil informatique, d’être incapable de dire, par exemple tous les trois mois, à l’échelle d'un territoire, combien il y a de places libres en crèche et combien il y a de places disponibles chez les assistantes maternelles agréées par les PMI.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes conscients de ce problème.

Mme la rapporteure. Quels seraient, selon vous, les modes de garde à développer en priorité ? Et quelles améliorations faudrait-il apporter au dispositif et au statut des assistantes maternelles ? Celles-ci sont très nombreuses, mais beaucoup d’entre elles sont au chômage, et l’offre de garde n’est pas également répartie sur le territoire.

M. Julien Damon. Quand on parle d’accueil de la petite enfance, on pense immédiatement aux crèches, mode de garde qui concerne surtout le milieu urbain. Mais dans bien des endroits, pour des raisons d’organisation territoriale ou d’aspirations des parents, ce n’est pas le meilleur système. Il est heureux d’avoir, pour développer l’offre des assistantes maternelles, donné suite au rapport de Mme Michèle Tabarot en faisant passer de trois à quatre le nombre des enfants qu’elles peuvent garder.

Mais le grand paradoxe est qu’une partie des 400 000 assistantes maternelles agréées, celles qui habitent dans des quartiers où les parents ne veulent pas emmener leurs enfants, se trouvent au chômage. La question est donc de savoir comment les collectivités locales pourraient mettre à disposition des petites maisons ou des appartements pour faire des mini-crèches, permettant à des assistantes maternelles qui ne peuvent pas exercer chez elles de le faire de concert, en étant davantage supervisées et en ayant la possibilité de s’entraider. Vive les mini-crèches, donc !

On parle beaucoup en France de libre choix, tout en citant le modèle scandinave, dans lequel il n’y a pourtant pas de libre choix. Dans les pays du Nord, on accorde un congé parental plus court, rémunéré en proportion du salaire antérieur – avec un plafond ; l’un des deux parents, ou les deux parents, ou les deux parents à temps partiel s’occupent de leur enfant de zéro à dix-huit mois. Par la suite, il y a une offre d’accueil, soit en équipements collectifs, soit auprès d’assistantes maternelles, qui peuvent être directement salariées de la collectivité locale ou employées par ce que nous appelons des relais d’assistantes maternelles.

Il est tout de même aberrant que, chez nous, les crèches ne trouvent pas de personnel parce que les exigences de diplôme sont trop élevées, tandis qu’on ne demande aucun diplôme pour la garde à domicile. La différence de qualification ne correspond pas à une différence de compétence : dans le secteur de la garde à domicile, on trouve des personnes très performantes, mais elles ne sont ni reconnues ni supervisées. Permettez-moi d’ailleurs une proposition provocante : régularisez la situation des personnes sans-papiers qui exercent une activité de garde à domicile, vous ferez œuvre utile ! Bref, le rapprochement entre l’offre et la demande de garde passe à la fois par un développement de l’usage de l’outil informatique et par un rapprochement dans les exigences de qualification.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous une idée du nombre d’assistantes maternelles non déclarées ?

Quel est votre point de vue sur la « préscolarisation » des deux à trois ans ? Le pourcentage d’enfants préscolarisés est passé de 37 % à 21 % en cinq ans ; est-ce une bonne chose, ou faut-il au contraire développer ce système ?

M. Julien Damon. En ce qui concerne le travail au noir, je n’ai aucune idée de la masse financière en jeu et du nombre de personnes concernées. À mon avis, c’est une situation marginale, les prestations servies ayant notamment pour objectif d’éviter le travail non déclaré. C’est néanmoins un problème préoccupant pour les personnes concernées, qu’elles soient ou non en situation régulière.

Concernant votre deuxième question, une « séquence » judicieuse me semble celle-ci : pour les enfants de zéro à un an, proposer un congé parental, réformé par rapport au système actuel – qui a notamment pour inconvénient de faire sortir du marché du travail des femmes peu qualifiées ; pour les enfants de un à deux ans, assurer une offre d’accueil permettant de répondre à toutes les demandes et mieux supervisée ; pour les enfants de deux à trois ans, inverser le mouvement en matière de préscolarisation, celle-ci ayant toujours bien fonctionné. Quand la branche Famille investit dans la petite enfance, c’est en partie là où il y a un désinvestissement de l’éducation nationale : ce sont les vases communicants des finances publiques.

Si l’on considère le taux de couverture par une dépense publique, 1 % des 2,4 millions d’enfants de zéro à trois ans sont « couverts » par la garde à domicile, un quart par le complément de libre choix d’activité (CLCA) rémunérant le congé parental, un autre quart par l’ex-aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (AFEAMA) ; environ 10 % fréquentent un établissement collectif, autrement dit une crèche – la Cour des comptes ayant bien montré que, grâce à la création de places ayant accompagné la croissance démographique, cette proportion reste stable ; enfin, environ 8 % des enfants sont préscolarisés. La préscolarisation est donc, si l’on considère l’ensemble des enfants de zéro à trois ans, un « mode de garde », ou un mode d'accueil, quasiment aussi important que les crèches ; on a de plus en plus tendance à le séparer des autres, alors qu’il faudrait à mon avis les faire se rejoindre.

Mme la rapporteure. Jusqu’à présent, on a affirmé le principe du libre choix du mode de garde entre zéro et trois ans. Tout le monde reconnaît que le congé parental est trop long, les femmes aux revenus les plus modestes ayant du mal ensuite à se réinsérer dans le marché du travail. Mais s’il faut effectivement s’orienter vers un congé parental plus court, mieux rémunéré et partagé entre le père et la mère, il ne faudrait pas que pour autant la société se désintéresse de l’accueil des enfants de zéro à un an.

M. Julien Damon. On cite souvent en exemple les Scandinaves sur ce sujet. À mon avis, pour avancer il faut un séquençage, et un congé parental raccourci me paraît la meilleure formule, au moins comme principal mode de garde des plus petits. L’idée du libre choix est séduisante, mais la politique de la petite enfance pèche aujourd’hui par le fait qu’elle a des objectifs en termes de moyens, et non en termes de résultats. Il faudrait viser une harmonisation de la qualité de l’offre : par le bas dans les équipements collectifs car je ne vois pas pourquoi on exige une telle durée de formation pour y travailler ; à l’inverse, en renforçant la supervision sur les assistantes maternelles – dont le contrat de travail pourrait être passé par les relais d’assistantes maternelles (RAM) ; et en développant également la supervision sur la qualité de l’offre de garde au domicile, pour laquelle on ne peut continuer à tant dépenser sans contrôle.

M. le coprésident Pierre Morange. Y a-t-il un modèle mathématique permettant d’évaluer le coût du séquençage que vous proposez ?

M. Julien Damon. J’ignore si le calcul a été fait, mais je sais qu’il peut se faire assez aisément, à l’aide des modèles de « microsimulation » qui ont été mis au point par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF).

M. coprésident Pierre Morange. Merci beaucoup pour cet échange.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède ensuite à l’audition de Mme France Prioux, corédactrice en chef de la revue Population à l’Institut national d'études démographiques (INED), et M. Laurent Toulemon, responsable de l’unité de recherche fécondité, famille, sexualité à l’INED.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous souhaitons, madame, monsieur, la bienvenue et je vous invite, en accord avec Mme la rapporteure, à faire une présentation générale des études que vous avez réalisées avant de répondre à nos questions.

Mme France Prioux, corédactrice en chef de la revue Population à l’Institut national d'études démographiques (INED). Nous allons résumer les résultats de nos études sur la fécondité française et sur les effets possibles de la politique familiale sur la fécondité en France.

Le niveau de la fécondité française est relativement élevé puisque l’indicateur conjoncturel de fécondité en 2008 a dépassé deux enfants par femme : s’il est de 2,00 pour la France métropolitaine, il atteint en effet 2,02 avec les départements d’outre-mer.

L’augmentation récente de la fertilité n’est pas liée à un changement remarquable de comportement. Elle est due à l’évolution de l’âge à la maternité qui se traduit par une baisse de la fécondité aux jeunes âges et une remontée de celle-ci aux âges élevés. C’est la stabilisation récente de la fécondité des jeunes qui a permis à l’indicateur conjoncturel de fécondité de se redresser.

Ces mouvements annuels de la fécondité semblent influencés par la conjoncture économique. C’est ainsi que la fécondité a été à son plus bas en 1994-1995, période où le chômage était élevé.

Le bilan de la fécondité des générations montre que la descendance finale des générations nées entre 1950 et 1960 est supérieure à 2,1 enfants par femme. On observe ensuite une légère baisse entre les générations 1960 et les générations 1970 : la descendance se rapproche progressivement de deux enfants par femme. Pour les générations suivantes, on ne prévoit pas de nouvelle baisse. On aura peut-être même une légère hausse.

Parallèlement, l’âge de la maternité a beaucoup augmenté. L’âge moyen tous rangs confondus a augmenté de plus de trois ans entre la génération 1950 – 26,5 ans – et la génération 1970 – 29,6 ans –, l’âge moyen pour le premier enfant étant de 27,6 ans, soit un écart de deux ans.

Ce niveau de fécondité place la France dans les tout premiers rangs des pays européens : elle est au deuxième rang derrière l’Irlande, qui a une fécondité traditionnellement plus élevée, mais qui est en baisse d’une génération à l’autre, et se trouve à un niveau proche, en dehors de l’Union européenne, de celui de la Norvège qui a encore une fécondité supérieure à deux enfants par femme. Tous les autres pays ont une descendance finale légèrement inférieure à ce ratio. Les pays du Nord de l’Europe ont une fécondité comprise entre 1,9 et 2 enfants par femme. C’est en Europe centrale – Allemagne, Suisse, Autriche – et en Europe du Sud – Italie, Espagne – que la fécondité est la plus basse.

Le niveau élevé de la fécondité française des générations 1950 à 1960 est en partie liée à une stabilité de la répartition des familles par taille, qui est assez symétrique : 1-2-4-2-1. Sur 10 femmes, 1 seule n’a pas eu d’enfant, 2 ont eu un seul enfant, 4 ont eu deux enfants, 2 ont eu trois enfants et 1 seule a eu quatre enfants ou plus. La proportion de femmes sans enfant pourrait augmenter très légèrement et les mères de quatre enfants ou plus diminuer un peu dans les générations suivantes.

La répartition des familles par taille présente deux spécificités par rapport à nos voisins : une faible proportion de femmes sans enfant et une proportion relativement élevée de femmes ayant au moins trois enfants, ce qui contribue largement à expliquer notre niveau de fécondité.

Le désir d’enfant reste relativement élevé en France. En Allemagne et en Autriche, par exemple, où le taux de fécondité est bas, de plus en plus de femmes disent ne pas souhaiter d’enfant.

La bonne santé de la fécondité française est sans doute liée au fait que les femmes ne se sentent pas obligées de choisir entre fécondité et activité professionnelle, contrairement à l’Allemagne, par exemple, où avoir des enfants entraîne beaucoup plus souvent un arrêt de l’activité professionnelle.

Les différences sociales de fécondité se sont atténuées en France, mais c’est toujours aux deux extrêmes de la hiérarchie sociale que l’on observe la fécondité la plus forte, avec une courbe en J inversée : fécondité la plus élevée chez les ouvriers, la plus basse dans les catégories intermédiaires, et ensuite un peu plus élevée chez les cadres.

En France comme ailleurs en Europe, les femmes les plus diplômées restent plus souvent sans enfant que les autres, mais la différence est faible lorsqu’elles vivent en couple. Il ne semble pas y avoir alors d’incompatibilité entre la carrière et la maternité tandis qu’au Royaume-Uni on observe, au contraire, une forte polarisation de la fécondité chez les femmes les plus diplômées, certaines se « spécialisant » dans la fécondité, d’autres dans l’activité, et c’est probablement aussi le cas en Allemagne.

Je laisse à mon collègue M. Laurent Toulemon le soin de vous parler de l’impact possible des politiques familiales.

M. Laurent Toulemon, responsable de l’unité de recherche fécondité, famille, sexualité à l’INED. La France est considérée comme la championne de la fécondité et il nous est parfois demandé de dévoiler nos secrets. Nous répondons toujours de manière très prudente – si bien que notre discours peut paraître un peu négatif – car il est important de prendre la mesure des limites de l’évaluation que nous pouvons faire de l’impact des mesures politiques sur la fécondité.

Un premier point à remarquer est que les effets directs que l’on peut mesurer de façon claire sont très faibles. La méthode de mesure repose, dans ce cas, sur des comparaisons internationales. Or, comme il y a relativement peu de pays comparables et énormément de différences entre eux, il est très difficile de faire la part des choses.

La méthode la plus « sûre » pour estimer l’effet d’une politique consiste à comparer, quand il y a un changement de dispositif, les évolutions temporelles observées chez les personnes concernées et les personnes non concernées par ce changement. Dans cette méthode dite des « différences des différences », on regarde si les personnes qui bénéficient d’une mesure nouvelle modifient leur comportement. Les effets directs ainsi estimés sont très faibles, voire négligeables.

L’impact sur la fécondité de la politique familiale française est estimé, selon les auteurs procédant à des comparaisons internationales, entre 0 et 0,2 enfant par femme. C’est peu, mais c’est loin d’être négligeable sur le long terme. Par contre, les mesures directes en « différences des différences » font apparaître des effets vraiment très faibles, voire impossibles à mettre en évidence.

La troisième méthode, que l’on utilise plus souvent à l’INED, consiste à faire ressortir des effets dilués dans le temps. Elle permet de mettre en évidence certains points, mais il est très difficile de remonter des effets à leur cause, du fait, notamment, des nombreux changements intervenus dans la législation.

Il existe des impacts indirects nombreux et importants mais difficiles à mesurer.

Un « effet de halo » s’observe quand une nouvelle mesure modifie le comportement non seulement des personnes concernées, mais également de celles qui ne sont pas touchées directement mais qui soit espèrent pouvoir l’être plus tard, soit sont influencées par le climat nouveau généré par la nouvelle mesure. La méthode des « différences des différences » diminue l’effet mesuré, mais l’effet global est supérieur à celui mesuré uniquement sur les personnes concernées du fait d’un effet d’entraînement.

L’effet de halo n’est qu’un élément d’un effet de contexte plus général, l’ensemble des mesures pouvant entrer en synergie de façon importante. Deux aspects sont importants à ce sujet en France.

Le premier est l’apparition répétée de nouvelles mesures. Comme celles-ci sont en général indexées sur les prix et non sur les salaires, elles viennent compenser l’érosion du montant de chaque mesure. L’effort total reste à peu près constant, mais il y a un effet d’affichage qui crée une confiance dans la pérennité et dans la durée de ces aides : les familles ne sont pas seulement aidées à la naissance comme dans certains pays où est accordé un bonus à ce moment-là. La crédibilité de l’État est très forte sur ce point.

Le second aspect important est la complémentarité de diverses aides. Bien que les objectifs soient parfois très différents et même contradictoires – ce qui rend leur évaluation difficile –, cette complémentarité a entraîné l’idée, très forte en France, de l’universalité des aides et du fait que l’État aide et aime toutes les familles. C’est un aspect auquel la population est très attachée : la remise en cause de l’universalité des aides afin de limiter les aides en direction des ménages les plus aisés a entraîné un tollé général tandis que le plafonnement des avantages liés au quotient familial – ce qui, d’un point de vue macroéconomique comme micro-économique, revient au même – a été mieux accepté. En France, les aides sont considérées comme continues et universelles.

Les politiques familiales n’ont pas pour seul objet aujourd’hui d’augmenter le nombre des naissances. Elles poursuivent de nombreux autres objectifs tels que l’augmentation de l’activité professionnelle des femmes, la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, et la lutte contre le chômage, la pauvreté et les inégalités sociales.

Par ailleurs, certaines mesures ont un impact temporaire. La question se pose dès lors de savoir si l’objectif est d’augmenter le nombre de naissances dans les proches années ou la descendance finale, c’est-à-dire le nombre moyen qu’ont les femmes ou les couples à la fin de leur vie féconde. Il en est ainsi des avantages en termes de congé de maternité. En Suède, si les femmes avaient un autre enfant avant la fin de leur congé de maternité, elles pouvaient continuer de bénéficier de leur congé avec leurs anciens revenus, alors que, si elles reprenaient un travail, par exemple à temps partiel avec un revenu plus faible, et qu’elles s’arrêtaient ensuite pour avoir un autre enfant, le deuxième arrêt n’était financé qu’à hauteur du nouveau salaire. Il s’en est suivi un raccourcissement très important des intervalles entre les naissances, donc une augmentation temporaire très importante du nombre de naissances, mais l’impact a été quasiment nul sur la descendance finale.

Des mesures qui ne relèvent pas a priori de la politique familiale mais répondent à des objectifs d’égalité des chances, comme la présence d’une école maternelle ou des politiques du logement ou de lutte contre la pauvreté, ont un impact très important sur la fécondité. On peut se poser la question de savoir s’il faut les intégrer quand on évalue l’impact de la politique sur cette dernière.

Le niveau élevé de la fécondité en France assure une certaine stabilité de sa population. Comme les baby boomers vont remplacer des générations moins nombreuses, le nombre de personnes de plus de soixante ans va augmenter de façon très importante, mais celui des personnes de moins de soixante ans – c’est-à-dire la population active et les enfants – va rester à peu près constant. Cette situation nous différencie d’autres pays d’Europe qui voient le nombre de naissances diminuer et anticipent une poursuite de ce mouvement du fait de la diminution des personnes en âge d’avoir des enfants. Ils recourent donc à des politiques volontaristes pour maintenir la fécondité à son niveau et même l’augmenter.

Le niveau actuel de la fécondité française est probablement dû aux mesures de politique familiale, ce qui peut justifier la continuité des efforts. On peut craindre, si ceux-ci diminuent, de se retrouver dans la situation de nos voisins. Cependant, comme on le voit depuis au moins une dizaine d’années, la politique familiale s’est fixée d’autres objectifs que l’augmentation du nombre de naissances : la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, la mise au travail des femmes, la lutte contre la pauvreté des enfants ou des ménages qui ont des enfants. Toutes ces mesures peuvent avoir des impacts indirects sur le niveau de la fécondité, comme la Suède nous en fournit un exemple.

La politique familiale suédoise s’est construite dans les années 1960 avec un double objectif : d’une part, la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes en faisant disparaître le quotient conjugal et en instituant l’imposition individuelle et, d’autre part, la facilitation de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Bien que l’enjeu fût de mettre les femmes au travail et non de permettre aux femmes qui travaillaient d’avoir des enfants, la Suède se trouve aujourd’hui dans le groupe des pays où la fécondité est la plus élevée parce que, en permettant aux mères de travailler, on permet aussi aux couples qui se forment d’envisager d’avoir des enfants.

Mme France Prioux a indiqué que, en France, le désir d’enfant reste fort. Ce désir, qui s’exprime dans les enquêtes, est largement contraint. En effet, tout en ayant envie d’avoir des enfants, on peut aussi avoir d’autres objectifs dans la vie. Les choix s’opèrent donc selon que ses aspirations apparaissent comme conciliables ou inconciliables avec le fait d’avoir des enfants. Dans les pays d’Europe du Sud, il y a à la fois moins de femmes qui travaillent et moins d’enfants. Mme Françoise Prioux a également cité l’exemple du Royaume-Uni : quand les femmes sont obligées de choisir entre maternité et carrière, cela fait à la fois moins de femmes qui travaillent et moins de naissances – c’est un peu une réponse de normand que je vous fais.

En résumé, si l’on essaie de mesurer précisément l’impact de chacune des mesures, on obtient des résultats assez décevants. Par ailleurs, on observe un effet de contexte qui doit être très important mais qui, par construction, est très difficile à mesurer. L’affichage des politiques familiales, leur visibilité, a, à mon avis, un impact très important : il nourrit l’idée, d’une part, que l’État est légitime en aidant les familles et, d’autre part, qu’il le fait de façon crédible sur le long terme.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure. Les familles modestes ont un taux à charge plus élevé que les autres familles pour la garde d’enfant. Quelles améliorations pourraient être apportées à la PAJE pour établir une réelle égalité des chances ?

M. Laurent Toulemon. Je ne suis pas sûr qu’il nous appartienne de donner des conseils aux politiques sur ces questions.

L’important est de préciser les objectifs. Celui du libre choix, qui a été beaucoup mis en avant, conduit, en pratique, à inciter les femmes qui ont des faibles revenus à s’arrêter de travailler et à inciter les femmes qui ont des hauts salaires à continuer à travailler. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Je ne saurais le dire, mais il faut être conscient du fait que les mesures ont des impacts indirects.

Les réductions d’impôt font référence à des notions d’équité très difficiles à manier. La notion de juste contribution des ménages, qui conduit en France à la prise en compte d’un quotient conjugal et d’un quotient familial – qui a été renforcé par l’attribution d’une part supplémentaire pour le troisième enfant – s’appuie sur une notion d’équité très différente de celle de la plupart des pays d’Europe, hormis l’Allemagne et la Belgique ; dans ces pays, les personnes sont imposées individuellement parce qu’on considère qu’il vaut mieux favoriser les ménages où les revenus sont apportés de manière plus ou moins équitable par les deux conjoints par rapport aux ménages où il y un seul pourvoyeur de revenu, qui est le plus souvent l’homme.

De même, les enfants dont les parents ont des hauts revenus coûtent plus cher à élever : il faut qu’ils partent en vacances, qu’ils aient des chambres seules. Dans certains pays, les interruptions d’activité des femmes sont rémunérées proportionnellement aux salaires parce que les aides sont construites sur le mode de l’assurance, de la même manière que les allocations de chômage.

Faut-il, comme en France, donner des allocations constantes, plus intéressantes en bas de la hiérarchie des salaires, ou préférer des aides proportionnelles aux revenus ? Cela pose la question de l’égalité à la fois entre les hommes et les femmes et entre les femmes ou les couples. Le bon critère pour évaluer ces choix ne me semble pas être leur impact sur les naissances. Ce sont des choix véritablement politiques sur lesquels je me sens totalement désarmé pour donner des conseils à la MECSS.

M. le coprésident Pierre Morange. Existe-t-il un gradient de facteurs – à la fois exogènes, c’est-à-dire relevant des politiques mises en place par la collectivité, et endogènes, c’est-à-dire relevant de la culture, voire de la religion – qui influent sur la démographie ?

Mme France Prioux. Comme l’a souligné M. Laurent Toulemon, il est très difficile d’individualiser l’effet de chaque mesure. C’est en comparant les pays d’Europe et en dressant un bilan que l’on arrive à mettre en évidence des tendances. En France, par exemple, la politique familiale est née très tôt et avec des objectifs très natalistes. Ceux-ci se sont ensuite de plus en plus diversifiés et mettent l’accent aujourd’hui sur le libre choix après la naissance.

C’est en comparant les pays où la fécondité est la plus forte que l’on est arrivé au constat que ce sont les pays qui ont mis les premiers en place des dispositifs d’aide à la conciliation et de soutien aux familles que la fécondité s’est le mieux maintenue. Certains pays ne voulaient pas intervenir sur un choix aussi privé que la fécondité. La Suède n’a jamais dit qu’elle voulait intervenir sur ce choix : sa politique était menée au nom de l’égalité des sexes. Il y a encore quelques années, l’expression « politique familiale » y était presque un gros mot. Seule la France avouait en avoir une.

En Allemagne, en Italie et en Espagne, où la fécondité est très basse, les femmes sont obligées de choisir entre activité et maternité. C’est probablement le virage, dans les années 1980, de la politique familiale vers une politique de libre choix qui a permis à la France de continuer à soutenir un peu la fécondité à une période où les femmes sont rentrées massivement sur le marché du travail.

M. Laurent Toulemon. Le fait que la politique familiale ait une histoire ancienne en France est certainement un élément important.

Vous demandez, monsieur le président, d’établir une hiérarchie des facteurs. Je vais m’y risquer. Il en est deux qui me semblent ressortir : le système éducatif et la conciliation vie familiale et vie professionnelle.

Le fait qu’il y ait, en France, un système éducatif gratuit, de bonne qualité, avec une école maternelle qui commence très tôt et des horaires longs au cours de la journée, conduit à considérer comme normal, bien que la scolarité ne soit obligatoire qu’à partir de six ans, que les enfants aillent à l’école au plus tard à trois ans. Une femme qui garderait ses enfants jusqu’à six ans serait un peu hors norme.

En ce qui concerne la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, on observe, en dehors de la discontinuité introduite par la généralisation de l’allocation parentale d'éducation (APE) aux mères de deux enfants, une tendance de long terme, dans tous les sous-groupes de population, à l’augmentation de l’activité féminine. Est-ce parce que le travail libère les femmes ou parce qu’il faut avoir deux salaires pour avoir un niveau de vie suffisant ? Je ne me prononcerai pas sur cette question. Tout n’est pas rose.

Les problèmes de conciliation ne sont pas tous réglés en France, mais les mères françaises n’éprouvent aucune culpabilité à mettre leurs enfants dans un système collectif. Dans les pays germaniques, une bonne mère est celle qui garde son enfant pendant longtemps. En Suède, la période d’allaitement est beaucoup plus longue qu’en France mais on considère que, au bout d’un an, la femme doit retourner au travail et l’enfant être mis dans un système plus ou moins collectif.

S’agissant de l’influence de la culture, il faut être très prudent. Quand la fécondité a brutalement baissé dans de nombreux pays à la fin du baby-boom, c’est-à-dire au milieu des années 1960, elle s’est maintenue dans les pays d’Europe du Sud. On a alors avancé comme raison que c’étaient des pays de tradition catholique. Dans les années 1970, la fécondité dans ces pays du Sud s’est effondrée et est tombée beaucoup plus bas que dans les autres pays. On parle maintenant de situation pathologique, personne ne comprenant pourquoi les gens arrêtent de faire des enfants.

La réponse semble être, en Espagne, l’obligation pour les couples de choisir entre avoir deux salaires et avoir des enfants. En Italie, beaucoup de couples considèrent avoir rempli leur « devoir familial » en ayant un enfant. Ils n’ont pas un discours négatif sur les enfants uniques, contrairement à la France et à l’Angleterre où ceux-ci sont à la fois plaints d’être tout seuls face à leurs deux parents et considérés comme égoïstes. Mais ce discours peut changer très vite. De même, il est tout à fait possible que l’image très négative qu’ont aujourd’hui les femmes allemandes qui continuent à travailler et mettent leur enfant dans un système de garde collective disparaisse complètement d’ici à quatre ou cinq ans grâce à la mise en place de politiques de congé parental : l’offre aura créé la demande et la demande aura créé la justification.

Les explications culturalistes supposent une certaine permanence des facteurs. Or les évolutions sont parfois très brutales. L’effondrement de la fécondité dans les pays d’Europe du Sud n’avait été prévu par personne.

Mme la rapporteure. Un raccourcissement du congé parental – dans l’optique d’un partage entre le père et la mère et d’une meilleure rémunération – entraînerait une logique selon laquelle les familles s’occuperaient des enfants de zéro à un an et la collectivité de un à trois ans avec différentes mesures dont les jardins d’éveil, actuellement à l’étude. Pensez-vous que le fait d’inciter les parents à s’occuper de leurs enfants de zéro à un an pourrait avoir un effet sur le taux de fécondité ?

Mme France Prioux. Beaucoup de femmes qui ne s’arrêtent pas aujourd’hui seraient certainement très heureuses de s’occuper de leurs enfants pendant un an, mais l’on ne peut être certain que ce soit le cas général. Inversement, les femmes qui auraient préféré s’arrêter trois ans seront déçues de ne s’arrêter qu’un an.

Les intervalles entre les naissances sont au minimum de deux ans aujourd’hui. De retour au travail, après une coupure d’un an, les femmes ne vont peut-être pas vouloir avoir un deuxième enfant tout de suite. Je ne suis pas certaine que cela puisse avoir un effet positif sur la fécondité. C’est très difficile à dire aujourd’hui.

La législation suédoise a incité les femmes à raccourcir les intervalles entre les naissances. Si la descendance finale a été peu changée, la pyramide des âges s’en est trouvée affectée : après une période de forte natalité, la fécondité annuelle est tombée avant de se redresser. Or une pyramide des âges irrégulière n’est pas souhaitable car les infrastructures risquent de manquer à certains moments.

Si le congé parental plus court est rémunéré en fonction du salaire antérieur, il faudra l’expliquer car l’ensemble des aides répond en France à une logique égalitaire. Le fait de passer à une logique assurancielle pourrait être considéré comme une injustice par ceux qui gagnent moins.

Mme la rapporteure. Il faudrait améliorer l’offre de garde en parallèle.

Mme France Prioux. Éventuellement.

En pratique, les aides actuelles incitent les mères les mieux rémunérées à poursuivre leur travail et les mères les moins bien rémunérées à s’arrêter pendant trois ans. D’un autre côté, certaines femmes décident de s’arrêter pour profiter de leurs enfants en bas âge. Si certaines femmes sont contraintes, d’autres le sont moins. Cela étant, il n’est pas impossible que l’extension de l’allocation parentale au deuxième enfant décidée en 1994 ait favorisé la naissance d’un certain nombre de deuxièmes enfants en permettant aux femmes de s’arrêter de travailler.

Mme la rapporteure. Je ne suis pas sûre que les femmes aient toujours le choix parce que, pour les familles les plus modestes, le reste à charge reste élevé.

Mme France Prioux. Il est vrai que cela coûterait beaucoup trop cher aux mères aux revenus modestes de faire garder leurs enfants. C’est la raison pour laquelle elles s’arrêtent.

Mme la rapporteure. Donc, elles n’ont pas la liberté de choix.

Mme France Prioux. Il est impossible de savoir combien de femmes ont eu un deuxième enfant pour pouvoir s’arrêter. Mais, la mesure a certainement eu un impact.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. La scolarisation des enfants à deux ans offre un accueil gratuit et de qualité. Que pensez-vous de la diminution du nombre d’enfants de deux ans scolarisés ? Cela peut-il avoir une incidence sur la natalité ?

M. Laurent Toulemon. Là encore, il faut savoir quel est l’objectif poursuivi.

S’il est de favoriser la scolarité future, les études semblent montrer que les enfants scolarisés très tôt ont un avantage dans le primaire, mais que celui-ci diminue pendant le secondaire et qu’on n’en voit plus vraiment de traces à long terme.

Si l’objectif est celui explicitement affiché, quand a été mise en place l’école gratuite, laïque et obligatoire, de promouvoir l’égalité des chances, le fait d’avoir une école maternelle précoce générale est un élément important de lutte contre les inégalités.

Chercher à savoir si la scolarisation à deux ans a ou non une incidence sur le nombre de naissances n’est pas une bonne façon de poser le problème.

La question principale concerne le retour à l’emploi après l’interruption, que celle-ci soit d’un an, de deux ans ou de trois ans. Les femmes les plus fragiles vis-à-vis du marché du travail, qui sont celles qui s’arrêtent, craignent, en le faisant, de fragiliser encore plus leur situation et de se retrouver dans une sorte de trappe à pauvreté. La situation est, cependant, moins noire que ce qu’on craignait après l’effet d’aubaine de l’APE qui a entraîné une baisse des taux d’activité féminine sans augmentation de la fécondité.

Concernant les pères, je ferai deux observations.

Les hommes ont une très forte réticence à s’occuper des enfants et ils se sentent obligés de travailler afin de nourrir la famille. D’ailleurs, leurs carrières professionnelles ont tendance à s’améliorer quand ils ont des enfants. Ils s’investissent plus dans le travail et moins dans les tâches ménagères alors que le fardeau de celles-ci augmente. Quand les couples ont un enfant et, encore plus quand ils en ont deux, l’homme s’éloigne de la maison pour travailler davantage. Est-ce parce qu’il fuit les contraintes ou parce qu’il prend ses responsabilités de père plus à cœur ? C’est difficile à dire.

La Suède mène en ce domaine une politique volontariste par le biais de l’imposition individuelle. Quand il s’est agi de discuter du congé parental, les hommes se sont débrouillés pour affaiblir les mesures proposées. Le congé qui n’est pas pris par le père est perdu, mais ce qui est pris par le père soit est pris tout de suite et intégralement, soit est pris par petits morceaux sur une longue durée, ce qui est beaucoup moins douloureux sur le plan de l’activité professionnelle.

Des discussions ont eu lieu en Allemagne. L’idée que l’État pouvait obliger les hommes à s’arrêter de travailler a vraiment été perçue comme une atteinte aux libertés individuelles. Les Allemands considèrent que c’est au couple de décider qui doit s’arrêter de travailler. Ils ne reconnaissent aucune légitimité à l’État à décider de mettre les hommes à la maison pour pouvoir mettre les femmes au travail.

En France, le congé de paternité a eu un succès beaucoup plus fort que prévu, mais ce n’est pas la même chose de s’arrêter pendant quinze jours ou de s’arrêter pendant un an.

En Suède, les hommes étaient assez nombreux à prendre leur congé de paternité mais, quand la crise est arrivée dans les années 1990, ils sont très vite retournés au travail car ils avaient peur que les conditions de retour à l’emploi soient difficiles. Était-ce une décision des couples, qui mettaient en avant le salaire de l’homme, ou était-ce une décision des hommes ? C’est difficile à savoir. Ce sur quoi je veux insister, c’est que, si l’on veut mettre les hommes à la maison, il faut engager une politique très volontariste parce que, en amont comme en aval, les réticences sont extrêmement importantes.

En Italie, les hommes politiques un peu âgés et conservateurs font reposer la responsabilité de la situation sur les jeunes qu’ils traitent de génération parasite qui veut rester tranquillement chez papa et maman et profiter du beurre et de l’argent du beurre. De leur côté, les jeunes font valoir qu’il y a des contraintes de logement et d’emploi qui ne leur permettent pas de travailler dans des conditions satisfaisantes pour faire des enfants. Là encore, il est difficile de faire la part des choses.

Les problèmes de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle se posent surtout pour les femmes. Un élément de réponse est certainement d’imposer aux hommes de participer davantage aux tâches ménagères mais, d’une part, c’est un travail de longue haleine et, d’autre part, il ne faut pas espérer que cela ait un impact sur la fécondité.

M. le coprésident Pierre Morange. Compte tenu des prospectives démographiques que vous avez indiquées, quels sont, selon vous, les besoins en offres de garde sur les vingt prochaines années ?

Mme France Prioux. Nous n’avons pas, à proprement parler, fait d’estimations mais, si les tendances démographiques actuelles se maintiennent, il est évident qu’il y aura de plus en plus besoin de modes de garde. On en manque déjà aujourd’hui dans certains endroits du territoire.

Mme la rapporteure. Quels seraient, selon vous, les modes de garde à privilégier ?

Mme France Prioux. Notre travail à l’INED porte sur la fécondité. Nous n’avons jamais évalué les modes de garde.

M. Laurent Toulemon. Les projections centrales réalisées par l’INSEE laissent espérer un nombre constant de naissances à l’avenir. D’un côté, cela montre le succès des politiques menées ; d’un autre côté, comme il n’y a pas péril en la demeure, on pourrait juger inutile de placer au premier plan les motivations démographiques.

Les politiques des différents pays concernant les modes de garde sont fondées sur un certain consensus. Dans ce sens, on peut dire que l’offre crée la demande. Cependant, on peut dire aussi qu’il y a des choses acceptables aujourd’hui et d’autres qui ne le sont pas. La diminution de la scolarisation à deux ans, par exemple, soulève des questions.

En France, la diversité de l’offre comme des aides est un élément important. On considère qu’il faut qu’il y en ait un peu pour tout le monde alors que dans d’autres pays, qui mènent des politiques beaucoup plus volontaristes, on estime plutôt qu’il faut que tout le monde fasse pareil. Soit on est pragmatique et on essaie de faire avec les contraintes qu’on a, soit on est volontariste et on oriente la politique dans un sens. Mais, il faut, dans ce cas, avoir un objectif clair.

Les objectifs peuvent être aussi variés que la diminution des inégalités sociales, la bonne socialisation des enfants, la diminution des inégalités entre les hommes et les femmes ou l’augmentation du nombre de personnes qui travaillent en prévision du vieillissement. S’ils ne sont pas incompatibles, ils ne sont pas non plus en congruence. Il faut donc choisir entre mener une action volontariste et lancer des actions tous azimuts, c’est-à-dire du saupoudrage pour que tout le monde soit content.

En résumé, c’est à partir de leurs objectifs que l’on peut évaluer les politiques. En disant cela, j’ai conscience de vous faire, encore une fois, une réponse de Normand.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous remercions.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède enfin à l’audition de Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, et Mme Isabelle Robert-Bobée, chef du bureau famille, handicap et dépendance.

M. le coprésident Pierre Morange. La Mission accueille à présent Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, et Mme Isabelle Robert-Bobée, chef du bureau famille, handicap et dépendance.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure. Nous vous donnons la parole pour nous présenter les résultats de l’enquête sur les modes de garde et d’accueil des jeunes enfants que vous n’aviez pu nous présenter lors de notre précédente rencontre.

Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. En effet. L’enquête était alors en cours et nous n’avions pu en comparer les résultats avec ceux obtenus lors d’une enquête similaire en 2002. Je dispose à présent d’éléments nouveaux.

Nous avions également évoqué le retour à l’emploi des femmes qui utilisent le congé de libre choix, mais les travaux en cours ne sont pas suffisamment avancés pour que je puisse les commenter.

Je vous présenterai donc les résultats provisoires de l’enquête relative aux modes de garde des jeunes enfants et aux dépenses engagées par les parents, sachant qu’ils ne seront définitifs qu’après l’achèvement de travaux ultérieurs menés en collaboration avec la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF).

Cette enquête, réalisée auprès de familles d’enfants de moins de sept ans et demi, vivant en France métropolitaine, recense les modes de garde et d’accueil utilisés sur une semaine de référence, leur coût à la charge des parents et le montant des allocations qu’ils perçoivent. Elle tient compte essentiellement du mode de garde principal, c’est-à-dire du lieu où l’enfant passe le plus d’heures entre huit et dix-neuf heures, du lundi au vendredi.

Les principaux enseignements que nous pouvons en tirer sont les suivants : en 2007, la garde des enfants de moins de trois ans est assurée par les parents dans 63 % des cas – ils étaient 70 % en 2002 – et exclusivement par leurs parents dans 33 % des cas, alors même qu’ils travaillent à temps complet dans 27 % des cas, qu’il s’agisse de familles monoparentales ou que les deux parents travaillent. En réalité, ce sont des personnes qui travaillent à horaires décalés ou qui exercent une activité non salariée.

Les enfants de moins de trois ans qui ne sont pas gardés par leurs parents le sont, pour 4 % d’entre eux, par leurs grands-parents ou un autre membre de la famille ; 18 % sont gardés essentiellement par une assistante maternelle agréée – mode de garde en progression de cinq points depuis 2002 – et 10 % des enfants sont gardés à la crèche ou à la halte-garderie. Enfin, 2 % des enfants sont accueillis à l’école, dont 6 % d’enfants de deux ans.

S’ils ne nous surprennent pas, ces résultats indiquent toutefois une certaine évolution et l’existence de différences sociales et territoriales, que malheureusement notre enquête, trop globale, ne permet pas de détailler. Il apparaît très clairement que les modes de garde diffèrent selon le niveau de vie des familles. Sur ce point le constat que nous avions fait il y a cinq ans n’a guère évolué. Ainsi, 90 % des enfants des 20 % des ménages les moins fortunés sont gardés par leurs parents, dont on peut penser qu’ils traversent des périodes d’inactivité ou de chômage.

M. le coprésident Pierre Morange. Ces résultats s’appliquent-ils aux enfants de trois ans ?

Mme Isabelle Robert-Bobée, chef du bureau famille, handicap et dépendance à la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. L’enquête de 2007 ne prévoit pas de ventiler les résultats, mais celle de 2002 montrait que la répartition des différents modes de garde différait selon l’âge des enfants, mis à part les très jeunes enfants, du fait du congé de maternité.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans 80 % des cas, les enfants de moins de trois ans sont donc gardés par leurs parents !

Mme Anne-Marie Brocas. Probablement, mais l’enquête révèle un contraste très marqué entre les différents milieux sociaux. Si, au bas de l’échelle des revenus, les enfants sont quasiment tous gardés par leurs parents, les autres, dont les parents ont des revenus plus élevés, sont accueillis pour moitié en crèche ou, pour le quart d’entre eux, chez une assistante maternelle, et très peu d’enfants sont accueillis à l’école. Ces résultats nous amènent à nous interroger sur la politique qu’il convient de mener en faveur des familles…

En haut de l’échelle des revenus, 31 % des enfants des 20 % des ménages les plus aisés sont gardés par leurs parents et 70 % sont accueillis à l’extérieur du foyer – la moitié par une assistante maternelle, le quart en crèche. Les proportions sont donc inversées selon le niveau des revenus. Si, au bas de l’échelle sociale, les parents ont recours à la crèche plus qu’à l’assistante maternelle, les ménages dont les revenus se situent à un niveau intermédiaire préfèrent recourir à une assistante maternelle, et ceux qui se situent en haut de l’échelle sociale utilisent davantage la garde à domicile et, de plus en plus, l’accueil à l’école.

Mme la rapporteure. Ces tendances ont-elles évolué depuis 2002 ?

Mme Anne-Marie Brocas. Très peu. Les modes de garde des ménages à faibles revenus ont très peu évolué, puisque la proportion des enfants gardés par leurs parents a diminué d’un point ; pour les ménages à revenus moyens ou élevés, en revanche, elle est passée de 13 à 15 points.

Mme la rapporteure. Pouvez-vous nous expliquer les raisons d’une telle évolution ?

Mme Anne-Marie Brocas. Hélas, non. Ce que nous révèle cette enquête, c’est ce que serait, pour les parents, le mode de garde idéal.

En bas de l’échelle des revenus, plus que le coût des frais de garde, les parents nous ont fait part de leur souci de s’occuper eux-mêmes de leurs enfants. Leur réponse ne nous semble pas explicite, ce qui nous conduit à nous interroger sur les freins au recours à une assistante maternelle : s’agit-il de problèmes d’avance de frais, d’une réticence à devenir employeur ou de difficultés à régler les frais annexes, comme les repas et l’entretien ? S’agit-il de freins culturels ?

Mme la rapporteure. Est-ce à dire que la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) a favorisé les familles aisées plus que les familles modestes ?

Mme Anne-Marie Brocas. C’est une question que nous nous sommes posé. Il est certain que tant que les familles à faibles revenus garderont leurs enfants à la maison, les dispositifs que nous mettrons en place pour la garde des enfants ne leur bénéficieront pas. De quelle manière pouvons-nous les aider à conserver leur activité et à recourir à un mode d’accueil qui leur convienne ?

Il est certain que la PAJE a amélioré la situation des familles qui utilisaient déjà un mode de garde extérieur aux parents – qui disposent donc de revenus moyens et élevés.

En revanche, par rapport aux coûts engagés pour la garde des enfants, la PAJE a davantage amélioré la situation des familles à faibles revenus, même si les personnes qui se trouvent dans une situation d’inactivité et de chômage gardent elles-mêmes leurs enfants.

Un chiffre me paraît frappant : 71 % des enfants de familles monoparentales sont gardés par leur parent – contre 67 % des enfants dont les parents vivent en couple – et 64 % de ces personnes qui élèvent seules leurs enfants – essentiellement des femmes – sont inactives ou au chômage, contre 38 % des femmes vivant en couple. Il existe une réelle intrication des problèmes économiques et sociaux, que nous ne pouvons ignorer.

M. le coprésident Pierre Morange. Ces chiffres nous permettent d’affiner la répartition des modes de garde en fonction des revenus des familles.

Vous avez évoqué la multiplicité des facteurs. Mon collègue Jean Mallot et moi-même souhaiterions que vous réalisiez une évaluation du mode d’organisation de la garde des enfants âgés de moins de trois ans, ce qui nous permettrait de proposer le système suivant : de la naissance à un an, la garde serait assurée par les parents, ce qui suppose d’augmenter l’indemnisation du congé parental ; de un à deux ans, ils pourraient recourir à un mode d’accueil extérieur – crèche, micro-crèche ou structure collective – ou à une assistante maternelle ; enfin, de deux à trois ans, les enfants pourraient être accueillis par l’éducation nationale en pré-maternelle. Je rappelle que le nombre de ces enfants scolarisés dans les zones sensibles est passé de 37 % à 21 % en cinq ans.

Vous serait-il possible de nous présenter l’estimation financière de ce dispositif qui aurait l’avantage d’être cohérent, de correspondre à des réalités démographiques, de combler les inégalités culturelles et de favoriser le retour à l’emploi, étant entendu que l’objet de la MECSS est d’optimiser et de rationaliser les dépenses publiques ?

Mme Anne-Marie Brocas. Je vous propose d’en étudier la possibilité, en liaison avec la CNAF et les organismes de sécurité sociale. Dans le système que vous préconisez, le congé attribué au parent jusqu’au premier anniversaire de l’enfant supprime-t-il toute possibilité de recours à la crèche ?

M. le coprésident Pierre Morange. Absolument pas ! En tout état de cause, nous aimerions connaître le coût à pleine charge du dispositif pour le ministère des affaires sociales, les caisses d’allocations familiales, l’éducation nationale et les collectivités territoriales.

Mme Anne-Marie Brocas. Je ne peux vous promettre un chiffrage dans un délai par trop rapide.

Mme la rapporteure. Dans son rapport, Mme Michèle Tabarot propose de rémunérer le congé à 67 % du salaire brut, mais si nous pouvions le porter à 80 %, le dispositif serait plus incitatif.

M. le coprésident Pierre Morange. Il est indispensable d’évaluer le coût de chacun de ces choix.

Mme la rapporteure. Le plafond de salaire proposé par Mme Tabarot me semble trop bas pour être incitatif, notamment pour les pères.

Mme Anne-Marie Brocas. Le directeur de l’OCDE, que vous avez auditionné, vous a certainement indiqué qu’en Suède, où le congé maternel n’existe pas, les femmes cessent de travailler pendant un an pour s’occuper de leur enfant.

Mme la rapporteure. Les femmes doivent pouvoir choisir librement le mode de garde de leur enfant. Cela dit, un chiffrage nous permettrait d’évaluer les contraintes qui les conduisent à utiliser le congé parental.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS, je le répète, a pour vocation de rationaliser les dépenses publiques, certes dans le respect d’un certain nombre d’objectifs.

Mme Anne-Marie Brocas. Nous pourrions envisager de permettre aux parents d’utiliser ce congé avant les trois ans de l’enfant, en mettant à part la période de prématernelle.

Mme Isabelle Robert-Bobée. Ce congé d’un an serait-il destiné à tous les parents – pères et mères – dès leur premier enfant ?

M. le coprésident Pierre Morange. Absolument !

Mme Isabelle Robert-Bobée. J’attire votre attention sur le fait que la scolarisation à deux ans n’est prévue que le matin : elle ne dispense donc pas les parents de recourir à un mode de garde l’après-midi.

Mme la rapporteure. De toute façon, les enfants de moins de trois ans ne peuvent passer la journée entière à l’école.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est tout à fait juste, pourtant un grand nombre d’enfants en bas âge, qui ne sont pas encore scolarisés en maternelle, passent la deuxième partie de la journée dans une autre structure collective. Le système que nous mettrons en place, tout en étant lié aux objectifs démographiques et de réduction des inégalités culturelles de la politique familiale et respectant la demande des familles, devra être adapté aux exigences du développement psychomoteur des enfants.

Mme Anne-Marie Brocas. Dans un domaine aussi complexe, il nous sera difficile d’établir un chiffrage, car le comportement des ménages face à la garde de leurs enfants peut évoluer de diverses façons.

Mme la rapporteure. Il y a quelques mois encore, nous parlions beaucoup des jardins d’éveil. Que pouvez-vous nous dire de ce mode d’accueil ?

Mme Anne-Marie Brocas. Je ne dispose d’aucun élément.

J’en reviens à l’enquête. Bien qu’elle ait été menée dans le cadre assez large du département, nous constatons des disparités importantes selon le territoire. Ainsi, à Paris, 50 % seulement des enfants sont gardés par leurs parents, mais ce taux passe à 70 % dans les villes moyennes et à 65 % dans les zones rurales et les grandes villes autres que Paris. En milieu urbain et périurbain, les modes d’accueil les plus répandus sont la crèche et la structure collective, tandis que le recours à une assistante maternelle est plus fréquent en milieu rural.

J’en viens aux aspects financiers de ces mesures. Les chiffres n’étant pas définitifs, je vous les présente avec une certaine prudence. Je précise tout d’abord que dans cette enquête, le coût de la garde ne représente pas, comme dans les programmes de qualité et d’efficience, le coût total pour la collectivité, mais uniquement la dépense engagée par les parents. Le coût de la crèche, par exemple, ne tient pas compte des subventions et des frais supportés par les collectivités territoriales, comme le coût d’une assistante maternelle ne tient pas compte des repas et de l’entretien de l’enfant.

Les familles nous ont communiqué le montant de leur reste à charge après déduction des allocations et des réductions d’impôt et celles qui ont recours à une assistante maternelle n’ont pas déclaré la part des cotisations sociales prises en charge par la collectivité. Le coût de la garde d’enfant avoisine en général 400 euros mensuels ; plus précisément, le recours à une assistante maternelle s’élève à 430 euros, avec un reste à charge de 120 euros, et le recours à la crèche s’élève à 220 euros, avec un reste à charge de 150 euros.

Le coût de la garde à domicile est plus élevé, puisqu’il atteint 1 210 euros pour une garde simple, avec un reste à charge de 650 euros ; quant à la garde partagée – une seule assistante maternelle assurant la garde des enfants de plusieurs familles – son coût s’élève à 1 080 euros, avec un reste à charge de 460 euros.

Il est évident que les coûts totaux de ces dispositifs pour la collectivité doivent être établis avec précision. Je précise que le coût déclaré par les familles vaut pour un seul comme pour plusieurs enfants, s’ils sont gardés ensemble, et il ne tient pas compte de la durée de la garde.

Si les coûts horaires, avant allocations et aides fiscales, varient peu selon le niveau de vie si l’enfant est gardé chez une assistante maternelle, le tarif de la crèche, lui, est dégressif. Après déduction des allocations et des aides fiscales, le constat est différent : les coûts de deux dispositifs se rejoignent.

Mme la rapporteure. Si l’enfant est gardé par une assistante maternelle, pourquoi le reste à charge est-il plus important pour les familles modestes que le reste à charge qui résulte de l’accueil à la crèche ?

Mme Anne-Marie Brocas. Il s’agit dans ce cas d’un coût horaire, qui ne tient pas compte des revenus des parents.

Nous ne sommes malheureusement pas en mesure de vous présenter la part respective des restes à charge, qui représentent le taux d’effort des familles en fonction de leurs revenus, mais il semble que l’effort engagé pour la garde chez une assistante maternelle, avant allocations et aides fiscales, soit quatre fois plus élevé pour les familles à faibles revenus que pour les autres. En revanche, après allocations et réductions d’impôt, le taux d’effort est plus faible pour les familles dont les revenus sont inférieurs à 1 500 euros et à peu près identique pour les revenus supérieurs.

Quant au taux d’effort engagé pour la garde en crèche, s’il est très élevé pour les revenus inférieurs à 1 000 euros, il est à peu près le même pour tous les autres revenus.

Mme Isabelle Robert-Bobée. Je précise que les barèmes des crèches sont établis par rapport aux revenus fiscaux des personnes. Or, l’enquête repose sur les revenus qu’elles ont déclarés.

Mme Anne-Marie Brocas. En effet, il s’agit d’une enquête déclarative, non d’une enquête administrative.

Quant aux évolutions qui se sont produites entre 2002 et 2007, l’enquête montre qu’en euros constants, le reste à charge a diminué pour l’ensemble des modes de garde de 6,5 %, plus précisément de 7,4 % pour le recours à une assistante maternelle, de 5,6 % pour l’accueil dans une crèche collective, et de 3,6 % pour la garde à domicile.

Nous avons par ailleurs étudié l’évolution, de 2002 à 2007, du reste à charge pour chaque mode de garde en fonction des revenus des parents. Il apparaît que le reste à charge lié à la garde par une assistante maternelle a baissé de 13 % pour les revenus inférieurs à 1 100 euros, et de 8 % pour les revenus compris entre 1 700 et 2 300 euros ; pour les revenus supérieurs à 2 300 euros, son montant s’est stabilisé. Quant au reste à charge lié à l’accueil en crèche, il a également évolué en fonction des revenus des ménages, mais les écarts sont moins importants puisque pour les ménages aux revenus inférieurs à 1 100 euros, le coût horaire net de la crèche a baissé de 5,3 % ; pour les revenus situés entre 1 700 et 2 300 euros, il a baissé de 5,4 %, et il n’a quasiment pas évolué pour les revenus supérieurs à 2 300 euros.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous remercions, mesdames, pour votre collaboration.

La séance est levée à douze heures trente.