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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 19 novembre 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, à huis clos, sur le fonctionnement de l’hôpital

– M. Jacques Métais, directeur de l’Agence régionale de l’hospitalisation d’Île-de-France

– M. François Devif, directeur chez Capgemini Consulting, responsable de la mission d’audit du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain- en-Laye

– M. Philippe Ritter, président du conseil d’administration de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, et M. Christian Anastasy, directeur général

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 19 novembre 2009

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de M. Jacques Métais, directeur de l’Agence régionale de l’hospitalisation d’Île-de-France.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jacques Métais, directeur de l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) d’Île-de-France, dans le cadre des travaux de la MECSS sur le fonctionnement de l’hôpital, étant entendu que nous avons choisi d’étudier un cas particulier, celui du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, afin d’alimenter notre réflexion et de formuler, par la suite, des préconisations à vocation générale.

Cet hôpital, qui est le plus important d’Île-de-France, exception faite de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), est aussi celui qui présente les déficits cumulés les plus élevés. Après avoir procédé à de nombreuses auditions, aussi bien des services compétents de l’État, notamment ceux en charge du contrôle de légalité, que de l’ensemble des personnels d’encadrement, nous avons souhaité vous entendre, monsieur Métais, afin d’enrichir notre réflexion.

M. Jacques Métais, directeur de l’Agence régionale de l’hospitalisation d’Île-de-France. En raison de sa situation particulière, caractérisée par un déséquilibre persistant de sa gestion, l’établissement de Poissy-Saint-Germain-en-Laye est la principale préoccupation de l’agence régionale de l’hospitalisation depuis maintenant trois ans que je la dirige.

Sans retracer toute l’histoire des hôpitaux de Poissy et de Saint-Germain-en-Laye, je rappellerai que ces deux établissements ont décidé de fusionner en 1997 sans avoir défini au préalable un projet médical précis. Il est très vite apparu à l’agence régionale de l’hospitalisation que la seule façon de réussir la fusion était de construire un nouvel hôpital sur un autre site. L’idée était simple, mais il a fallu du temps pour qu’elle s’impose et il a fallu que l’agence défende cette solution avec beaucoup de ténacité auprès des élus locaux et du cabinet du ministre. Ce dernier ayant fini par se ranger à cette idée voilà deux ans, il a été décidé que le projet serait financé dans le cadre du plan « Hôpital 2012 » – il constituera d’ailleurs la plus importante réalisation de sa deuxième tranche.

Un deuxième sujet de préoccupation concerne l’évolution de l’hôpital avant la construction du nouveau site. En attendant le rassemblement des services et des activités, qui aura pour effet de mutualiser les moyens et de faciliter la gestion, l’établissement a signé un contrat de retour à l’équilibre financier (CREF), certes très difficile à respecter, mais nécessaire au vu des résultats effrayants de l’hôpital, dont le déficit s’élève à environ 32 millions d’euros. Le déficit, qui devait être ramené à 19 millions d’euros cette année, avoisinera en réalité 23 millions. Il devrait ensuite passer à 10 millions d’euros l’année prochaine et à 1,5 million en 2011, avant un retour à l’équilibre en 2012. Nous avons conscience que c’est un défi très difficile à relever et c’est pourquoi nous soutenons pleinement les efforts de la direction pour adopter des mesures appropriées à la situation, tout à fait exceptionnelle par l’ampleur de la dégradation des comptes.

Au plan régional, nous sommes en passe de réduire sensiblement l’ensemble des déficits des hôpitaux d’Île-de-France, qui ont déjà décru de moitié en un an. Ils ont en effet été ramenés de 130 à 65 millions, hors hôpitaux en excédent, et nous devrions quasiment arriver à l’équilibre cette année malgré les résultats de l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, de loin les plus préoccupants.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. De quels leviers disposez-vous ?

M. Jacques Métais. Notre intervention repose sur la signature de contrats de retour à l’équilibre avec les établissements hospitaliers, après un examen commun des secteurs où les efforts doivent porter.

La tarification à l’activité (T2A), fixée au plan national, a défavorisé les hôpitaux franciliens, qui disposaient historiquement de moyens supérieurs à ceux des autres établissements. Malgré une majoration de 7 % des tarifs applicables en Île-de-France, la situation s’est dégradée dans des proportions plus importantes que dans le reste du pays.

Une première génération de contrats a été signée en 2004 par mon prédécesseur, Philippe Ritter, avec environ vingt-cinq établissements. À quelques exceptions près, ces contrats ont été un échec : la plupart des hôpitaux espéraient, avant tout, que la T2A permettrait d’améliorer leurs résultats grâce à une augmentation de leur activité.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. De quoi pouvait-elle résulter ?

M. Jacques Métais. Certains établissements, comme celui de Versailles, ont pu augmenter leur activité dans le cadre des restructurations hospitalières ou du fait de l’augmentation de la population des bassins concernés, par exemple dans les villes nouvelles, mais rien n’a changé dans les autres cas.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons appris qu’il y avait des « fuites de patients » : ceux-ci se détournent d’établissements souffrant de difficultés de fonctionnement. Toutefois, il s’agit d’un système de vases communicants.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. C’est un jeu à somme nulle.

M. Jacques Métais. Une deuxième génération de contrats a été lancée il y a un an et demi. À cette occasion, l’agence régionale de l’hospitalisation est entrée beaucoup plus dans le détail des économies à réaliser. Ces économies constituent le principal moyen d’action : les moyens doivent être réduits s’ils ne sont pas adaptés à l’activité réelle.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. De quels moyens s’agit-il ? Des effectifs ?

M. Jacques Métais. Tous les moyens sont concernés en général, mais ceux en personnel le sont plus particulièrement, car ils représentent 70 % du total.

La signature des contrats est précédée d’une étude, parfois confiée à un consultant extérieur, parfois réalisée avec le concours d’une mission d’expertise et d’audit mise à notre disposition par la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS). L’Agence régionale de l’hospitalisation d’Île-de-France est le premier utilisateur de telles missions, dont nous sommes globalement satisfaits, car elles permettent de bien identifier les secteurs dans lesquels des économies peuvent être réalisées.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous avons appris, au cours de précédentes auditions, que l’instauration de systèmes de comptabilité analytique performants était très inégale – et c’est une litote. Or, on voit mal comment gérer de manière satisfaisante un hôpital sans disposer d’informations suffisantes.

M. Jacques Métais. Vous avez raison. Il se trouve que les hôpitaux publics ont été financés, de 1984 à 2004, par le système du budget global, qui n’incitait pas les établissements à développer de tels outils comptables. Puis, contrairement aux cliniques privées, les hôpitaux ne se sont pas adaptés rapidement au nouveau système.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Comment inciter les établissements à le faire ?

M. Jacques Métais. L’étude analytique qui précède généralement la signature des contrats de retour à l’équilibre tend à identifier les secteurs où l’hôpital perd de l’argent, ceux où elle en gagne, ceux où l’activité est insuffisante et ceux, au contraire, où il faudrait la développer – c’est, en effet, une hypothèse à prendre en compte si l’on ne veut pas perdre de vue le rôle et les missions de l’hôpital public.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Les personnels sont-ils prêts et formés à de telles évolutions ?

M. Jacques Métais. Je ne pourrais pas l’affirmer catégoriquement. Tout changement de logique est extrêmement difficile à réaliser, notamment du fait de l’existence de différents de statuts.

M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous préciser l’étendue du parc hospitalier placé sous votre direction : combien compte-t-on d’établissements et de lits ?

L’absence de comptabilité analytique, pourtant prévue par les textes en vigueur, empêche d’avoir une vision lucide de la situation et d’effectuer une gestion prévisionnelle. Pouvez-vous nous dire quelle était la proportion d’établissements dotés d’outils de comptabilité analytique avant la signature des contrats de deuxième génération, quelle est la situation aujourd’hui et quelles sont les perspectives ?

Vous avez évoqué la question du statut des personnels, et le rapporteur celle de leur formation. Pour accélérer les évolutions dans l’intérêt des patients et de la bonne gestion des comptes publics, ne peut-on pas faire appel à des partenaires extérieurs ?

M. Jacques Métais. On compte environ 450 établissements de santé en Île-de-France, dont 37 sont gérés par une administration unique, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), sur laquelle l’agence régionale de l’hospitalisation n’avait pas la tutelle financière jusqu’à cette année. Faute de levier financier, l’intégration des hôpitaux parisiens au sein de l’offre de soins régionale était malaisée. Le ministère de la santé a souhaité, il y a deux ans, que l’agence régionale de l’hospitalisation soit chargée d’assurer l’instruction de la tutelle de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ce qui l’a amenée à connaître de sa situation financière, puis la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a confié à l’agence régionale de santé (ARS) la tutelle financière, cette disposition étant d’application immédiate selon les précisions apportées par le ministère.

Vous m’avez interrogé sur le nombre d’établissements placés « sous ma direction ». Ce terme n’est pas tout à fait exact, car les agences régionales de l’hospitalisation n’ont pas été créées pour gérer les établissements à leur place. Ce serait, à mon sens, une erreur de penser que les établissements de santé ont vocation à être gérés de façon centralisée au niveau régional. Les agences régionales de l’hospitalisation ont été instaurées en 1996 pour restructurer les tissus hospitaliers régionaux en les adaptant aux besoins de la population, notamment par le biais de schémas d’organisation sanitaires, et pour assurer le financement des établissements publics et privés – le prix de journée d’hospitalisation dans les cliniques était ainsi fixé par les agences régionales de l’hospitalisation. Depuis lors, la tarification a été unifiée sur le plan national, mais cela ne signifie pas que le rôle financier de l’agence régionale de l’hospitalisation a régressé, bien au contraire : nous n’avons jamais passé autant de temps qu’aujourd’hui à soutenir les établissements en difficulté, comme celui de Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

M. le coprésident Pierre Morange. Je reviens à ma deuxième question : combien d’établissements de santé disposent aujourd’hui d’outils de comptabilité analytique ?

M. Jacques Métais. N’ayant pas fait de recensement, je ne peux pas vous indiquer quel est le pourcentage exact. On peut estimer, très grossièrement, qu’un tiers des hôpitaux publics dispose aujourd’hui d’une comptabilité analytique digne de ce nom, y compris l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est un ordre de grandeur stupéfiant : deux tiers des établissements ne disposent pas de comptabilité analytique ! Il va de soi que nous serions très intéressés par des chiffres plus précis si vous pouviez les obtenir. Nous portons également le plus grand intérêt aux moyens – recrutement de personnels supplémentaires ou recours à des cabinets extérieurs – qui permettraient enfin aux établissements d’assumer leurs responsabilités.

Nous avons été frappés, au cours de précédentes auditions, par le caractère quelque peu aléatoire et rudimentaire de la facturation, sujet sur lequel la chambre régionale des comptes a notamment appelé notre attention : certaines factures ne sont pas recouvrées et d’autres ne sont même pas établies. Indépendamment de la question de la prise en charge des personnes en situation de grande précarité, il semble qu’il y ait là un véritable problème systémique, qui contribue aux déficits constatés dans certains établissements. Quelle est, selon vous, l’ampleur de ces phénomènes ?

M. Jacques Métais. La situation évolue de manière favorable. La T2A, qui couvre 100 % des financements depuis 2008 alors que beaucoup pensaient que son application resterait partielle, constitue une forte incitation à développer des outils de comptabilité analytique, très utiles pour déterminer la taille critique de certaines activités en dessous de laquelle il y a peu de chance de parvenir à l’équilibre. L’agence régionale de l’hospitalisation, qui exerce une fonction de contrôle de gestion, aide naturellement les établissements dans cette tâche. On peut penser que tous les établissements seront dotés d’une comptabilité analytique correcte dans les deux ans qui viennent.

S’agissant de la facturation, il faut distinguer plusieurs éléments : le principal problème résulte d’une mauvaise organisation du circuit d’information reliant le département d’information médicale (DIM), qui recense les pathologies traitées à l’hôpital, et le service de facturation. Le passage à la T2A impose en effet de mêler des informations de nature médicale et d’autres de nature administrative. Cette idée peut paraître naturelle, mais elle n’est pas toujours d’une application aisée. Il reste que très peu d’établissements continuent à souffrir de réelles difficultés dans ce domaine, car ils ont intérêt à facturer un maximum d’activités médicales.

M. le coprésident Pierre Morange. Si je comprends bien, le problème est devenu marginal.

M. Jacques Métais. C’est exact. Nos contrôles ont permis de constater qu’un certain nombre d’établissements, appartenant parfois au secteur public, essaient plutôt d’optimiser leur situation en s’affranchissant des règles de facturation : ils trichent, tout simplement.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est de la surfacturation !

M. Jacques Métais. Oui, et nous allons d’ailleurs épingler un certain nombre d’hôpitaux, qui seront sanctionnés financièrement en application de dispositions adoptées en 2007. Certains n’ont que trop compris l’intérêt de majorer au maximum leur activité.

Une autre difficulté est que la facturation individuelle n’est pas en vigueur dans les établissements publics, alors qu’elle a été imposée aux cliniques privées, dès 2004. Au lieu d’envoyer des factures individuelles à l’assurance maladie, chaque établissement déclare son activité à l’agence régionale de l’hospitalisation, laquelle doit ensuite indiquer à la caisse primaire ce qu’il convient de verser au titre du mois précédent. J’ignore quand le ministère décidera d’abandonner ce système très bureaucratique et très archaïque pour passer à la facturation individuelle, qui semble plus conforme au bon sens.

En dernier lieu, certains établissements éprouvent des difficultés à encaisser une partie de leurs recettes, notamment dans le cadre des consultations externes et des urgences. C’est un vrai problème pour certains établissements, mais on constate que d’autres ont su s’organiser, y compris dans des zones de précarité où la clientèle est non seulement défavorisée mais aussi difficile à localiser : certains patients n’ont pas de domicile, n’ont pas de carte Vitale ou utilisent de fausses cartes.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. On pourrait sans doute s’inspirer des bonnes pratiques dans d’autres établissements.

M. le coprésident Pierre Morange. Effectivement. Peut-on généraliser ces pratiques vertueuses, même en l’absence de dynamique interne à l’établissement ? Si nous insistons sur l’insuffisance du recouvrement des factures, c’est que le phénomène n’est visiblement pas marginal. Selon la chambre régionale des comptes, entre 5 et 10 % des factures seraient concernées…

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. …et même 15 % au Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

M. Jacques Métais. En réalité, le montant des créances irrécouvrables ne dépasse pas 20 millions d’euros, quand le chiffre d’affaires des hôpitaux publics et des établissements participant au service public hospitalier en Île-de-France s’élève à près de 13 milliards d’euros – dont la moitié est réalisée par L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Il est difficile d’évaluer le montant des créances irrécouvrables, mais je serais très étonné qu’elle dépasse 20 millions d’euros. Au total, on est donc très loin d’atteindre 5 % des recettes.

Mme Catherine Génisson. Étant praticienne des hôpitaux et membre de la commission exécutive (COMEX) de l’Agence régionale de l’hospitalisation du Nord-Pas-de-Calais, je peux témoigner que les départements d’information médicale jouent un rôle essentiel. Bien souvent, il y a malheureusement des problèmes de collecte des données auprès des patients et des professionnels.

Force est de constater que le secteur privé a su s’organiser de façon beaucoup plus efficace pour colliger les données. Il est vrai que la tâche est plus simple dans ces structures, dont les activités sont moins étendues que celles du secteur public – je pense notamment aux services d’urgences et aux consultations externes. Cela étant, ne faudrait-il pas s’inspirer des cliniques privées en affectant des personnels spécifiques à la collecte des données ? On peut se demander si c’est réellement aux professionnels de santé de s’en occuper.

Dans bien des cas, la facturation immédiate permet de donner une image plus fidèle de l’activité des établissements. Il n’en reste pas moins que cette pratique « vertueuse » est facile à contourner : il suffit de se rendre à l’hôpital en dehors des heures où l’on peut matériellement établir une facturation. Pour y remédier, ne pourrait-on pas faire en sorte que le personnel administratif et le personnel soignant aient des horaires similaires ?

M. Jacques Métais. Je partage votre avis sur le rôle essentiel joué par les départements d’information médicale dans les établissements, qu’ils soient publics ou privés. Un des avantages de la tarification à l’activité est que, pour la première fois, le système de financement dépend de l’activité médicale de l’établissement – ce qui est la moindre des choses. Or, l’hôpital étant financé selon les pathologies qu’il traite, il importe de connaître précisément ce qu’ont fait les médecins. Le clinicien doit donc fournir un certain nombre d’informations sur le patient qu’il vient de traiter, de la même façon qu’il remplirait une feuille de maladie, par exemple. Le rapprochement peut paraître audacieux, mais il signifie seulement que l’on ne lui demande rien de surhumain : il s’agit de noter le diagnostic d’entrée, le diagnostic de sortie, les actes principaux effectués sur le patient…

Mme Catherine Génisson. Le diagnostic secondaire également : l’environnement joue un rôle important.

M. Jacques Métais. Dans certaines disciplines, comme la chirurgie, le nombre de champs à renseigner est moins important. Dans d’autres cas – comme celui d’une personne âgée multipathologique –, cela peut prendre plus de temps. En tout état de cause, le clinicien est le seul à pouvoir le faire.

Mme Catherine Génisson. Dans le privé, pourtant, ce travail est effectué le plus souvent par un professionnel.

M. Jacques Métais. Je ne crois pas. Il ne peut pas être dévolu à une personne déconnectée des soins. Seule la personne qui a vu le patient et sait de quoi elle parle peut s’en charger.

Mme Catherine Génisson. Oui, c’est la situation idéale !

M. Jacques Métais. Une fois ces informations collectées, le clinicien doit les envoyer en temps réel. Cela suppose qu’il ne fasse pas grève, comme à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris l’année dernière, car un tel travail est très difficile à effectuer a posteriori. Les informations doivent donc être transmises très régulièrement, au jour le jour. Dans cette perspective, l’informatique est un outil essentiel. Si l’hôpital est informatisé, il est possible d’établir une connexion avec la partie administrative du dossier du malade. C’est beaucoup plus difficile lorsque les dossiers sont remplis à la main.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS s’est justement intéressée à l’état des systèmes informatiques dans les hôpitaux français, qu’il s’agisse du traitement des données médicales ou administratives. De nombreuses personnes auditionnées ont décrit une situation très précaire – parc informatique inadapté ou vieillissant –, même si des efforts ont été accomplis. Quel est l’état des lieux en ce domaine ? Il paraît notamment nécessaire d’harmoniser les systèmes et de les connecter avec les autorités de tutelle et avec l’assurance maladie.

M. Jacques Métais. Vous faites allusion à l’informatisation du dossier patient.

M. le coprésident Pierre Morange. Et de sa partie administrative.

M. Jacques Métais. Les deux vont de pair.

En ce domaine, je ne dispose pas de chiffres précis. Mais on peut estimer que dans le secteur privé, plus de 90 % des établissements ont informatisé les données médicales et administratives relatives aux patients. Dans le secteur public, seulement un tiers des établissements disposent d’un système intégrant l’ensemble des informations sur la totalité de leurs activités. Ce résultat s’explique par un effet de taille et par la réticence du corps médical du secteur public à se conformer aux exigences d’un système centralisé.

M. le coprésident Pierre Morange. On nous a cité, dans le cadre de la MECSS ou de la Mission d’information sur la gouvernance hospitalière, des pourcentages encore moins élevés, de l’ordre de 5 à 10 %. Par ailleurs, si j’ai insisté sur le problème posé par l’informatisation de la partie administrative du dossier, c’est parce que, dans la réalité, les volets médical et administratif sont souvent déconnectés.

Plusieurs personnes ont également souligné la complexité des échanges informatiques entre hôpitaux ou avec les autorités de tutelle. Certaines situations, à cet égard, sont tout simplement ubuesques. Des progrès ont-ils été accomplis en ce domaine ? Quelles prévisions peut-on faire ? Vous avez évoqué un délai de deux ans pour la mise en place d’outils de comptabilité analytique : cela signifie que l’informatisation de l’administration des hôpitaux est en bonne voie. Pensez-vous que le développement de l’informatique médicale et surtout la communication entre les systèmes procéderont du même agenda ?

M. Jacques Métais. Les progrès, dans ce domaine, seront très largement liés aux aides financières assorties au plan Hôpital 2012. En effet, selon les vœux de M. Xavier Bertrand, qui en est l’initiateur, 20 % des ressources doivent être consacrées aux systèmes d’information. L’agence régionale de l’hospitalisation a la responsabilité de désigner les établissements éligibles à ce plan, et nous avons reçu à ce titre de très nombreux dossiers de la part d’établissements publics et privé. Dans le privé, il s’agit généralement de compléter un système déjà en place, mais dans le public, le projet est souvent de créer un système qui n’existe pas. Les nouveaux financements devraient donc constituer un levier important de progression pour le processus d’informatisation des hôpitaux. Cela étant, il faudra de deux à quatre ans pour changer véritablement les choses. Encore une fois, la culture du budget global n’a pas aidé les établissements publics à envisager une facturation individuelle de leurs services auprès de l’Assurance maladie.

Sur le plan régional, des initiatives ont été prises par certaines agences pour développer une sorte de schéma régional des systèmes d’information hospitaliers ; c’est le cas en Île-de-France. Mais le rôle de l’agence régionale de l’hospitalisation est purement incitatif. Elle peut apporter des financements, mais ne peut pas contraindre un hôpital à s’informatiser si son directeur s’y refuse. S’agissant d’un problème d’organisation interne, et en vertu du principe – légitime – de l’autonomie de gestion des hôpitaux, il appartient à la direction de l’établissement d’en décider.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans la mesure où vous êtes comptables des pathologies traitées, donc des financements, il serait pourtant légitime que les hôpitaux soient astreints à fournir ces informations.

Mme Catherine Génisson. Et si nous exigeons la plus grande rigueur dans la transmission de l’information, je ne vois pas comment nous pourrions éviter d’obliger les établissements à se doter d’un système informatique adapté. La question de l’informatisation des hôpitaux constitue un véritable scandale. Même dans ceux qui se sont dotés d’un système informatique, pendant très longtemps, aucune connexion n’était réalisée entre les volets administratif et médical.

Vous dites qu’il convient de respecter l’autonomie de gestion des hôpitaux, mais il me semble que l’on pourrait imposer des systèmes standardisés selon le type d’établissement. Dans ce domaine, on a pu observer le meilleur comme le pire ; l’hôpital a fait figure de vache à lait, et des centaines de millions de francs ont été gaspillées. Depuis, cette question a le don de me mettre en colère. C’est un immense gâchis qui a entraîné des gains de productivité proche de zéro.

M. Jacques Métais. La « mutualisation » des solutions informatiques est un des principes que nous avons mis en avant pour l’attribution des subventions accordées dans le cadre du plan Hôpital 2012. Nous avons annoncé clairement que les financements seraient essentiellement attribués à des solutions harmonisées par territoire de santé ou par catégorie d’établissement.

Il faut savoir que la politique du ministère de la santé au sujet des systèmes d’information a manqué de stabilité. Pendant la décennie 1980, la décision avait été prise de procéder à l’informatisation des hôpitaux au niveau régional, avec l’aide des centres régionaux d’informatique hospitalière (CRIH). Ce fut un échec. En 1989, une circulaire du directeur des hôpitaux a traduit un changement de doctrine : chaque hôpital pouvait désormais décider en toute indépendance. À nouveau, ce fut l’échec. Aujourd’hui, une formule intermédiaire a été adoptée : on incite vivement les établissements à informatiser leurs activités, mais avec des solutions mutualisées. Les industriels du secteur ont d’ailleurs regretté tous ces changements de politique. Ils répugnaient en particulier à investir dans le développement de systèmes différents d’un hôpital à l’autre. C’est pourquoi la plupart des systèmes intégrés présents sur le marché sont d’origine anglo-saxonne, car ils ont déjà été rentabilisés sur un marché très large – en particulier aux États-Unis. Pour autant, ils ne fonctionnent pas toujours. En effet, en cherchant à appliquer aux réalités hospitalières françaises, sans préparation ni formation des personnels, des systèmes typiquement anglo-saxons – qui, pourtant, donnent de très bons résultats dans plusieurs centaines d’hôpitaux étrangers –, certains établissements, y compris de grands CHU, ont connu des échecs très coûteux.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous l’avez compris, nous sommes partis d’un cas particulier – et nous en étudierons d’autres dans les semaines à venir – pour tenter de tirer de nos observations des enseignements généralisables. À cet égard, vos propos nous aident à mettre en perspective tout ce que nous avions pu noter lors d’auditions précédentes. L’étude de la situation du Centre hospitalier de Poissy-Saint-Germain-en-Laye a ainsi été l’occasion d’évoquer différents problèmes sur lesquels je souhaite revenir afin de savoir s’ils peuvent également concerner d’autres établissements. Bien sûr, certains dysfonctionnements sont spécifiques au Centre hospitalier de Poissy-Saint-Germain-en-Laye : les soupçons d’irrégularités sur la passation de marchés, dont la presse commence à faire état, en sont le meilleur exemple. Mais il y en a d’autres.

Ainsi, l’analyse des documents qui nous ont été transmis par la chambre régionale des comptes ou le ministère des finances nous conduit à nous interroger sur la sincérité des comptes. L’expression est forte, mais nous avons, par exemple, observé des imputations d’une année sur l’autre de la taxe sur les salaires qui rendent plus difficile l’analyse financière.

Une autre particularité de cet établissement, qui a été source de dysfonctionnements sur une longue durée, est la question de la fusion plus ou moins réussie – ou ratée – entre les sites de Poissy et de Saint-Germain. Quels enseignements peut-on en tirer ?

Enfin, nous avons le sentiment que le mode de gestion de l’établissement a conduit à ce qu’une situation défavorable perdure au cours du temps. À cet égard, il semble que les aides financières qui lui ont été régulièrement accordées ne l’ont pas incité à prendre les mesures radicales qui lui auraient permis de s’en sortir.

Des difficultés semblables permettent-elles d’expliquer la situation d’autres établissements de notre pays ?

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez rappelé que les directeurs d’établissement étaient responsables de la mise en œuvre du projet médical, mais aussi des préconisations formulées par l’agence régionale de l’hospitalisation en tant qu’autorité de tutelle stratégique. Dans ce but, il doit pouvoir exercer une gestion dynamique de ses effectifs. Or celle-ci semble parfois se heurter à certaines structures centrales comme le Centre national de gestion, dont la réactivité ne s’inscrit pas dans le même temps. Cela peut poser des problèmes lorsque l’agenda est contraint, notamment lorsqu’il s’agit d’appliquer un plan de retour à l’équilibre financier. Par ailleurs, le directeur d’établissement ne devrait-il pas disposer de marges de manœuvre plus importantes en matière de gestion des ressources humaines – dans le respect, bien sûr, du statut de la fonction publique hospitalière ?

M. Jacques Métais. En application d’une réglementation parfois difficile à comprendre, les marchés des hôpitaux publics ne font pas partie du domaine de tutelle de l’agence régionale de l’hospitalisation, mais relèvent du préfet de département, par l’intermédiaire de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). La situation va changer avec la mise en place des agences régionales de santé, mais pour l’instant, ces questions ne remontent pas à l’agence régionale de l’hospitalisation. Si l’administration centrale estime que les règles concernant les marchés publics n’ont pas été respectées, elle peut évidemment commanditer une inspection générale à la suite de laquelle, le cas échéant, un recours sera formé devant la cour de discipline budgétaire.

Lorsque nous avons été informés que les marchés du centre hospitalier de Poissy-Saint-Germain n’avaient peut-être pas été passés dans des conditions normales, j’ai incité, en accord avec la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins du ministère de la santé, le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales à faire une inspection. Celui-ci m’a informé par la suite qu’il souhaitait transmettre les résultats au procureur de la République. Je lui ai donné mon aval – dont, en l’occurrence, il pouvait très bien se passer. Nous étions en effet d’accord pour estimer qu’il appartenait au procureur d’apprécier si certains éléments de ce rapport étaient de nature à mettre en cause un responsable.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Pour l’instant, nous en sommes donc là : une procédure est lancée sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.

M. Jacques Métais. Exactement. Quant à la sincérité des comptes, elle peut être appréciée à plusieurs niveaux. Au temps du budget global, quand le budget était limitatif, une pratique courante consistait à reporter les charges en payant l’année suivante une facture de l’année en cours. Est-ce une insincérité ? Oui, de toute évidence. L’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye a eu recours à cette technique, qui peut paraître assez naturelle à un établissement, voire un élu local, dont le budget est dépassé.

M. le coprésident Pierre Morange. Chez un élu local, la chose est rare, tout de même.

M. Jacques Métais. Sans doute, mais cela peut arriver. Quoi qu’il en soit, un certain nombre d’établissements hospitaliers publics connaissant des difficultés financières ont agi de la sorte, et c’était le cas de l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye avant l’institution de la tarification à l’activité. Il masquait ainsi des déficits en les reportant sur l’année suivante. Toutefois, nous n’avons pas eu connaissance de cas d’insincérité dans l’affectation des dépenses. En ce qui concerne la taxe sur les salaires, le problème vient plutôt du fait qu’elle n’était pas payée, alors qu’il s’agit d’une dépense obligatoire – le défaut de paiement peut d’ailleurs être sanctionné par une forte amende. Mais d’une manière générale, je n’ai pas connaissance d’un problème d’insincérité des comptes en dehors de la pratique du report des charges. Cette dernière est tout à fait anormale, je le reconnais, puisqu’elle implique qu’un établissement dépense plus que ce dont il dispose – jusqu’au jour où cela n’est plus possible.

Le troisième problème que vous avez évoqué est la difficulté pour les directeurs successifs de gérer la fusion décidée en 1997. Le précédent directeur de l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, qui est resté plus de dix ans, n’était pas en phase avec les élus avec lesquels il devait travailler. La situation était d’autant plus compliquée que deux maires étaient principalement concernés : celui de Poissy et celui de Saint-Germain. Progressivement, les difficultés ont été telles que le directeur a fini par se réfugier dans une certaine inaction : ne pouvant agir à sa guise, il n’a plus cherché à changer l’existant. Je n’ai pas observé directement ce processus, mais je l’ai compris a posteriori. Ainsi, lorsque je suis arrivé dans la région, j’ai considéré que ce directeur était « grillé », c’est-à-dire qu’il se trouvait dans une situation où il ne pouvait plus agir, ni dans un sens, ni dans l’autre. Il avait perdu la confiance des élus, de certains médecins et d’une partie de la communauté hospitalière. Toutefois, les agences régionales de l’hospitalisation n’ont pas la possibilité de prendre des sanctions ou des mesures vis-à-vis des médecins ou des directeurs d’hôpitaux ; nous ne pouvons qu’inciter l’administration centrale à le faire. Il m’est ainsi arrivé, dans cette région comme dans d’autres, de demander le déplacement d’un directeur pour incompétence, lorsque j’estimais que son maintien serait nuisible à la structure placée sous ses ordres. J’ai donc demandé avec insistance que l’ancien directeur du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye soit déchargé de ses fonctions, et après un certain délai, j’ai obtenu gain de cause.

Le problème est que cette inaction objective avait nui aux intérêts de l’établissement, qui n’avait plus de projet et ne savait plus où il allait. Une démotivation s’était installée à tous les niveaux, des « parts de marché » avaient été perdues, la situation financière n’était pas assainie et les problèmes d’organisation interne n’étaient pas réglés. Ainsi, un des principaux enseignements de l’audit que j’avais commandé en 2006 était que l’hôpital ne disposait d’aucun contrôle budgétaire – sans même parler de comptabilité analytique. Pour un établissement disposant d’un budget de 250 millions d’euros, cela paraît stupéfiant.

Quant à la fusion, si elle n’a pas réussi, c’est parce que les deux établissements ne savaient pas où ils allaient. En outre, le projet initial était fondé sur des opinions contradictoires, et aucun des élus n’en attendait la même chose. Or comme l’a dit un homme célèbre, on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. L’âne de Buridan l’a payé de sa vie…

M. Jacques Métais. La seule façon de s’en sortir était de reconstruire l’hôpital sur un autre site. C’était d’autant plus justifié que l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye, situé dans des bâtiments historiques, est impossible à moderniser. Quant à celui de Poissy, dont les installations ne respectent pas toutes les normes de sécurité, il pourrait certes être mis aux normes, mais à un coût tel que le résultat serait peu satisfaisant. Le seul projet autour duquel tout le monde pouvait se mobiliser était donc la reconstruction – à condition qu’elle soit effectuée sur un troisième site.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Je comprends vos propos sur l’inaction prolongée du directeur général. On peut également parler d’un blocage dû à une indécision politique. Mais la tutelle n’a-t-elle pas aussi fait preuve d’inaction prolongée ? Pendant très longtemps, en effet, on a donné chaque année à l’hôpital les moyens de persévérer dans l’inaction.

M. Jacques Métais. Si sous le terme de « tutelle » vous incluez également le ministre, alors la réponse est oui. En effet, en 2002 ou en 2003, l’agence régionale de l’hospitalisation avait déjà commandé une mission d’audit, laquelle avait conclu qu’il était nécessaire de reconstruire l’hôpital sur un site tiers. Cette solution avait donc déjà été envisagée, et pourtant, trois ministres successifs ont pris des positions contraires. On a perdu beaucoup de temps.

J’en viens aux aides exceptionnelles. De 2004 à 2008, l’agence régionale de l’hospitalisation a versé 50 millions d’euros à l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, ce qui est un montant considérable. Cet établissement est celui qui a été le plus aidé dans la région, et pour quel résultat ? Un déficit de 32 millions d’euros en 2008, qui dépasse tous les records.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez évoqué la logique d’inaction à laquelle les responsables de l’hôpital avaient été structurellement contraints…

M. Jacques Métais. Je ne les excuse pas en disant cela. Un directeur peut mettre sa démission dans la balance pour imposer ses vues.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous ne sommes de toute façon pas ici pour distribuer des bons ou des mauvais points, et encore moins pour instruire un procès. Nous cherchons à analyser, à comprendre, puis à établir des préconisations générales de façon à instaurer une dynamique vertueuse, dans l’intérêt de la santé de nos concitoyens et d’une bonne utilisation de l’argent public.

Mais la nouvelle équipe, désormais porteuse d’un beau projet d’avenir, a mis en œuvre un certain nombre de mesures qui auraient très bien pu être prises plus tôt. On se demande pourquoi l’attribution d’aides supplémentaires n’a pas été accompagnée de mesures correctrices destinées à limiter les dégâts.

Par ailleurs, qu’en est-il de ma question sur le centre national de gestion ? N’est-il pas contradictoire de demander à des directeurs d’établissement de prendre des initiatives en faveur de l’équilibre financier sans leur donner les moyens de gérer leurs ressources humaines de manière autonome ?

M. Jacques Métais. Il existe aujourd’hui une liste d’établissements importants – incluant notamment les CHU, mais aussi certains hôpitaux généraux – dont les directeurs sont nommés pour une période de quatre ans. À l’issue de ce délai, leur activité est évaluée et une décision est prise sur l’opportunité de renouveler leurs fonctions. C’est ce que l’on appelle la liste des postes en détachement, et bien entendu, l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye en fait partie. Autrement dit, lorsque le nouveau directeur a été nommé, je lui ai donné sa lettre de mission, des objectifs annuels, et je lui ai clairement indiqué que je prononcerais, en cas d’échec, un avis défavorable au renouvellement de son mandat. Il m’est déjà arrivé de donner un tel avis à propos du directeur d’un établissement important, mais – voyez comme notre système est compliqué – je n’ai pas été suivi au niveau national, et notamment par le centre national de gestion. D’une manière générale, en matière de gestion de ressources humaines, le service public éprouve de grandes difficultés lorsqu’il s’agit de sanctionner quelqu’un.

M. le coprésident Pierre Morange. Je pensais moins au directeur qu’aux cadres placés sous ses ordres. La MECSS a pris acte des mesures non négligeables qui ont été mises en œuvre par l’hôpital pour réaliser des économies. Mais pour atteindre les objectifs qui lui sont fixés, le directeur devrait avoir la possibilité de recruter ou, au contraire, de remettre à la disposition du centre national de gestion des cadres hospitaliers qu’il juge inadaptés à la fonction qu’ils occupent.

M. Jacques Métais. À cet égard, la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires apporte des changements. Elle indique en effet que les directeurs d’établissement ne seront pas obligatoirement recrutés dans le cadre du statut des directeurs d’hôpitaux. Sur ce point, les décrets d’application sont en cours de rédaction. Par ailleurs, la loi donne au directeur général de l’agence régionale de santé le pouvoir de nommer ces directeurs. Le rôle de l’institution régionale sera donc beaucoup plus important dans le nouveau système. Reste à évaluer ce dispositif : tout dépendra de l’application qui en est faite.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Merci, monsieur le directeur, pour ces informations très intéressantes.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition, de M. François Devif, directeur chez Capgemini Consulting, responsable de la mission d’audit du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir M. François Devif.

Le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye étant l’un des hôpitaux les plus déficitaires de France, nous cherchons à comprendre les raisons de cet état de fait afin d’en tirer des préconisations dans le cadre d’une réflexion plus générale sur le fonctionnement de l’hôpital.

Vous avez la parole, monsieur Devif, pour un propos liminaire sur l’audit que vous avez conduit.

M. François Devif, directeur chez Capgemini Consulting, responsable de la mission d’audit du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye. Nous avons été mandatés pour réaliser un audit sur le Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye entre juin et octobre 2008 puis, à l’occasion d’un autre appel d’offres, pour accompagner la mise en œuvre du plan de retour à l’équilibre financier défini à l’occasion de cet audit. L’audit initial avait, en effet, deux ambitions : premièrement, dresser un état des lieux de la situation de l’établissement au terme du deuxième quadrimestre 2008, deuxièmement, qualifier avec l’établissement les meilleures options de son retour à l’équilibre financier, une injonction de l’Agence régionale de l’hospitalisation d’Île-de-France demandant au directeur général, M. Gilbert Chodorge, de proposer, pour octobre au plus tard, un plan de redressement pour la période 2008-2012.

L’établissement était très mal en point sur le plan financier. Il souffrait d’un fort déficit, qui s’était aggravé en trois paliers : un premier déficit s’était constitué sur la période 2001-2004, il était brutalement passé de 11 millions d’euros à 27 millions d’euros en 2007 et un accroissement de celui-ci était prévu pour la fin 2008, le portant à 37 millions d’euros, soit près de 14 % du budget de l’hôpital.

Nous n’avons pas eu les éléments d’analyse sur la période 2001-2004 permettant de savoir comment le premier déficit de 10 millions d’euros s’était constitué. En fait, facialement, ce déficit n’existait pas, il était masqué par des charges qui n’avaient pas été honorées sur l’exercice en question et qui l’ont été ultérieurement, en particulier en 2006.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Pourquoi ne disposiez-vous pas d’éléments pour cette période ? Étaient-ils absents ou ne vous ont-ils pas été donnés ?

M. François Devif. Tous les éléments n’étaient pas à notre disposition et nous avons focalisé notre analyse sur le palier des années 2006 et 2007 ainsi que sur les anticipations pour 2008.

Le système d’information de l’établissement est tout juste installé et, par le passé, il n’était pas besoin, dans le cadre du budget global, de recenser l’activité avec autant de soin que maintenant.

Le premier déficit résultait notamment de retards de paiement de la taxe sur les salaires, qui sont intervenus brutalement en 2006.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Quels étaient les autres postes responsables du déficit ?

M. François Devif. L’aggravation complémentaire provient, d’une part, d’une diminution des recettes d’activité au fur et à mesure de la mise en place, sur la période 2004-2008, de la tarification à l’activité (T2A), d’autre part, d’une non-maîtrise de la masse salariale : pour la seule année 2006, il y a eu un accroissement du titre I, c’est-à-dire des dépenses de personnel, de 5 millions d’euros, ce qui correspondait à un glissement-vieillesse-technicité (GVT) complètement hallucinant.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Comment ces 5 millions d’euros étaient-ils expliqués dans les documents dont vous avez eu connaissance ?

M. François Devif. Ils n’étaient pas expliqués car ils n’étaient pas tracés.

Une autre difficulté à laquelle nous avons été confrontés est la discontinuité de l’équipe de pilotage de l’hôpital. Celle que nous avions en face de nous était installée depuis 2007, voire pour une partie, depuis début 2008.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous n’avez pas retrouvé des interlocuteurs de l’époque antérieure qui auraient pu répondre à vos questions ?

M. François Devif. À ce stade, nous ne faisions pas une rétrospective des causes du déficit et de son accroissement. Nous avons mis en exergue que le déficit facial 2006 avait été creusé au cours de toute la période 2001-2004 et maintenu jusqu’en 2006. Nous avons ensuite analysé l’écart complémentaire en 2007. Puis, nous avons commencé à nous interroger sur les raisons d’un nouvel accroissement du déficit en 2008 et à chercher où étaient les dérives.

M. le coprésident Pierre Morange. Il n’y avait aucune comptabilité des ressources humaines !

M. François Devif. Non. Nous avons également découvert un mauvais approvisionnement des comptes épargne-temps. Non seulement ces derniers n’étaient pas payés, mais ils n’étaient pas non plus intégrés dans les comptes de façon à pouvoir être rattachés à l’exercice qui les concernait et neutralisés.

Pour la taxe sur les salaires, il n’y a pas eu non plus de provision. L’absence de paiement de cette taxe n’a visiblement ému personne au sein de l’établissement. Il est étonnant que le rattrapage ait pu être fait en une seule année.

Lors de la première tentative de comptabilité analytique au sein du centre hospitalier, en 2006, les arriérés de taxe sur les salaires des trois années antérieures ont été embarqués dans les coûts, ce qui montre qu’il n’y avait aucune analyse de la dépense annuelle de l’établissement, ce qui n’est pas recevable d’un point de vue comptable.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Cette absence de gestion est-elle la marque d’une incompétence ou a-t-elle favorisé le développement de pratiques moins innocentes ?

M. François Devif. Les travaux que nous avons été amenés à faire, en particulier avec la directrice des affaires financières de l’époque, ont montré qu’il s’agissait plus d’une incompétence que d’une intention de nuire ou d’une volonté d’engager d’autres pratiques.

N’ayant pas livré, dans le cadre de notre mission, d’audit sur l’ensemble des achats de l’établissement, je n’ai aucun élément objectivé permettant de dire si, dans le cadre de la poursuite engagée par le procureur sur les marchés publics de l’époque, il y a eu ou non une intention particulière de détourner des fonds.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. L’une des raisons évoquées pour expliquer le dysfonctionnement en termes de gestion de l’établissement hospitalier est la décision de fusion des deux établissements.

M. François Devif. Il existe encore aujourd’hui une forte opposition de culture entre les deux sites. Celle-ci est prégnante au sein de l’équipe médicale et diffuse dans l’ensemble du personnel de chacun des deux sites.

D’un côté, il y a un site à vocation universitaire, doté d’une forte technicité et d’un plateau technique de haut niveau, qui considère que la valeur ajoutée de l’hôpital public est dans sa capacité à assumer des recours.

De l’autre côté, le site de Saint-Germain-en-Laye assume beaucoup plus, par sa situation, un rôle d’interface avec la ville et cherche à assurer un continuum de soins avec un hôpital un peu hors les murs et suivant une relation plus naturelle avec son environnement.

Au-delà de cette opposition de culture, il y a eu, notamment au cours de la période 2004-2006 – cela a été exprimé de manière très forte par les représentants du personnel et par l’ensemble des chefs de service que nous avons auditionnés – une volonté d’étouffer l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye au bénéfice de celui de Poissy : on a ralenti l’activité du premier en n’étant pas aussi réactif pour assurer les remplacements de personnel.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. D’où émanait cette volonté ?

M. François Devif. Je ne faisais pas partie de la mission à l’époque mais il est clairement exprimé dans les témoignages que la direction générale souhaitait accélérer la fusion car elle considérait que la coexistence de deux sites était génératrice de surcoûts.

En fait, de nombreux freins existaient. Outre l’opposition de culture au sein du corps médical, il y avait aussi celle, plus politique, des communes, qui défendaient l’une et l’autre l’offre de soins pour leur population. Ces tensions sont profondément ancrées dans le vécu de l’un et l’autre site.

Je pense que le site de Poissy n’a plus, aujourd’hui, la volonté d’absorber celui de Saint-Germain-en-Laye. Il est aligné sur la perspective de la création d’un nouvel hôpital sur Chambourcy.

À Saint-Germain-en-Laye, on continue à craindre que toute action engagée lors de la période transitoire mène à un déport de l’activité au bénéfice de Poissy. Toute proposition de fermeture ou de restructuration se heurte à des réactions très fortes.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. La perspective d’un regroupement des deux établissements sur un seul site ne risque-t-elle pas de décourager la mise en œuvre des préconisations que vous n’avez certainement pas manqué de faire ?

M. François Devif. Nos préconisations ont un peu la forme d’un plan de retour à l’équilibre financier pour la période 2008-2012 : elles se décomposent en 95 mesures articulées autour de cinq axes.

Le premier axe porte sur la valorisation de l’activité, autrement dit la prise en compte des exigences de la T2A et de l’alignement des fonctionnements internes, à la fois des fondamentaux – système d’information, dialogue de gestion – et de l’implication de chacun des acteurs dans le recueil de cette activité – dans sa codification et dans sa valorisation.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Qu’avez-vous constaté dans ce domaine ?

M. François Devif. Nous avons constaté une sous-valorisation de l’hôpital de l’ordre de 12 millions d’euros.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Comment parvenez-vous à mesurer une sous-valorisation ? Il n’est pas facile de mesurer l’invisible.

M. François Devif. L’invisible laisse parfois des traces. Une analyse fine de l’ensemble des séjours, des sondages réalisés périodiquement sur des services de soins de façon à appréhender la partie capturée par le système d’information et celle qui lui échappe, des confrontations entre des agendas de rendez-vous de médecins et le décompte des consultations résultant de ces rendez-vous nous ont permis, pas à pas, de décomposer, sur un certain nombre de sujets, les manques au niveau des laboratoires, de l’imagerie et des séjours hospitaliers. Nous avons ensuite essayé d’identifier, dans tout le schéma, à quel niveau se situait la défaillance. Elle peut être dans le recueil initial qui est à la charge des praticiens. Elle peut aussi être dans le système d’information. La production d’une facture hospitalière n’est possible, comme vous le savez, que par la réunion d’un certain nombre d’éléments et, maintenant, de différents sous-systèmes. Dans l’établissement hospitalier de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, les interfaces entre ces différents sous-systèmes étaient, pour la plupart, défaillantes, avec beaucoup de perte en ligne. Nous avons constaté des stocks d’actes réalisés, par exemple, aux urgences que l’on ne retrouvait plus du tout dans la consolidation pour facturation en aval du système d’information.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Cette sous-valorisation explique quasiment tout le déficit !

M. François Devif. Le déficit tel qu’il était anticipé en août 2008 était de 37 millions d’euros. Je n’en explique qu’un tiers.

M. le coprésident Pierre Morange. Selon le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales, la sous-valorisation que vous évoquez explique la moitié du déficit cumulé estimé à quelque 150 millions d’euros. Les 10 ou 12 millions de perte de recettes en ligne par an dont vous parlez représentent 60 millions sur la demi-douzaine d’années qui se sont écoulées. Ce raisonnement vous semble-t-il cohérent ?

M. François Devif. Oui, à cette nuance près qu’il ne tient pas compte du fait que la montée en puissance de la T2A a créé et accéléré ce déficit. En 2004, le déficit en termes de qualité est nul, par construction, puisqu’on est en budget global.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. La T2A ne crée pas le déficit. Elle le fait apparaître !

M. François Devif. Ce que la T2A objective, c’est une inadéquation entre la dotation de l’établissement et son niveau d’activité. D’un point de vue comptable, il n’y a pas de déficit en 2004. Celui-ci s’accroît, de 2004 à 2008, au fur et à mesure que le pourcentage d’application de la T2A devient important. Le déficit est maximum en 2008. Il est à mi-parcours, si l’on suit la trajectoire de montée en puissance de la T2A, en 2006, de l’ordre de 6 millions d’euros.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. D’aucuns reprochent à la T2A d’inciter les établissements à orienter leurs facturations dans un sens favorable à de meilleures ressources et à surestimer certaines activités par rapport à d’autres. Cela peut-il se produire ?

M. François Devif. Cela peut se produire en théorie mais, en pratique, c’est plus compliqué.

Le secteur public et le secteur privé ne sont pas en mesure de tirer parti de la même façon d’une interprétation un peu décalée de la T2A. Il est beaucoup plus facile pour une clinique privée que pour un hôpital public de sélectionner ses patients ou de ne prendre en charge que certains types d’activités. Par ailleurs, le financement T2A et le niveau de marge que l’on peut espérer en dégager ne sont pas identiques d’un groupe homogène de séjour (GHS) à un autre. Il peut dès lors y avoir intérêt à prendre certains GHS plutôt que d’autres de façon à maximiser son profit dans le cadre de l’activité réalisée. Dans le secteur public, qui ne peut pas sélectionner ses patients, la question est de savoir quel est le groupage favorable à l’établissement et quels sont les éléments permettant d’optimiser la valorisation de l’activité réalisée.

En théorie, on peut penser que la T2A incite à identifier les critères discriminants permettant d’orienter les séjours vers les GHS les plus rémunérés. Mais le rythme des réformes intervenues depuis sa mise en œuvre n’a pas permis que cela se passe. Ces réformes ont été très lourdes puisque l’ensemble des critères déterminant le groupage d’un séjour dans tel ou tel GHS ont complètement été modifiés. C’est donner beaucoup de crédit aux personnels hospitaliers que de croire qu’ils ont réussi à absorber, au fil des réformes, l’ensemble de ces modifications.

De 2006 à 2008, il y a eu un apprentissage qui a pu permettre à certains de solliciter auprès des médecins producteurs de soins les éléments permettant de maximiser le groupage, en employant des discours du genre : « Êtes-vous sûr qu’il n’y a pas tel critère complémentaire, qui aurait un impact important sur votre valorisation ? » ou encore « Dans la valorisation qui pourrait être faite de votre activité qui est aujourd’hui déficitaire, on pourrait espérer que, si vous vous orientiez plus vers ce type de GHS, la situation devienne plus équilibrée ». Dans l’hôpital public, je n’ai pas vu de médecins producteurs de soins céder à ce genre de sirènes.

Dans une démarche de contrôle de gestion ou de recherche d’un codage juste de l’activité réalisée, il est certain qu’un bon gestionnaire et un bon directeur de l’information médicale vont s’employer à recueillir l’ensemble des éléments permettant d’obtenir une juste valorisation. Que la T2A, qui met en avant des critères valorisants, ait pu être une incitation au recueil de ce type de critères, cela fait peu de doute. Mais je ne suis pas convaincu aujourd’hui qu’au sein d’un hôpital public, les médecins soient de nature à se laisser embarquer sur ce terrain.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Que pouvez-vous nous dire des systèmes d’information qui ont été mis en place et de la formation et de la compétence de celles et ceux qui les actionnent ?

M. François Devif. Le système d’information dans les établissements de santé s’est développé, dans le secteur privé comme dans le secteur public, au fur et à mesure que son importance dans l’équilibre financier de l’établissement s’est accrue.

Le secteur privé a agi beaucoup plus tôt puisqu’il était dans une logique de rémunération à l’acte. Il y avait directement intérêt. Les établissements privés ont mis en place très tôt un système d’information à la fois vascularisé et suffisamment intégré pour que l’ensemble des éléments de l’activité puisse être dûment valorisé.

Dans le secteur public, l’informatique hospitalière n’a eu de sens que par rapport à ce qu’elle a apporté dans la production de soins. Ce secteur a développé des outils qui étaient des aides à l’exercice médical et s’est focalisé sur les spécialités pour lesquelles l’informatique a le plus grand rapport : l’imagerie et la biologie. Dans toutes les spécialités cliniques, l’informatique est, de prime abord, d’un piètre recours. Son intérêt apparaît quand on s’intéresse au continuum de soins : quand on a besoin d’accéder à un dossier patient, il est beaucoup plus simple que celui-ci soit dématérialisé. C’est par ce biais que, progressivement, l’informatisation s’est imposée à l’hôpital public.

Son application dans le domaine financier est récente pour le secteur public. Ce n’est qu’à l’occasion du passage en T2A qu’il a pris conscience que le recueil de l’information et son exploitation pour consolider les fins de facturation devenaient une absolue nécessité. L’hôpital public et en particulier le Centre hospitalier intercommunal Poissy-Saint-Germain-en-Laye ne se sont pas du tout préparés à ce changement : non seulement, personne n’a suivi de formation pour comprendre les modifications apportées par cette réforme, mais aucun crédit n’a été consacré au devenir de cette réforme. Les dirigeants considéraient que la T2A ne s’imposerait pas au secteur public à terme.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Cette croyance résultait-elle d’une négligence, d’un scepticisme, d’une incompétence ou d’une volonté particulière ?

M. François Devif. Elle résultait aussi d’un courant politique au sein de la profession qui n’était pas convaincue qu’une tarification à l’activité soit la meilleure façon de permettre à l’hôpital public d’assurer ses missions.

Au début de la mise en place de la T2A, il n’était pas encore envisagé d’isoler certaines missions d’intérêt général qui sont, par construction, des facteurs de surcoût. Ce qui a toujours été redouté au sein de la Fédération hospitalière de France (FHF) et dans les établissements publics, c’est que la T2A soit, à terme, la même pour le secteur privé et pour le secteur public. Ce dernier avait l’ambition et le besoin, d’une part, de faire reconnaître un périmètre d’activités complémentaire de celui assumé par le secteur privé n’ayant pas vocation à entrer dans une tarification commune à l’ensemble des deux secteurs, d’autre part, de jouer la montre quant à des réorganisations et des restructurations le rendant économiquement plus concurrentiel de l’offre portée par le secteur hospitalier privé.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous pensez qu’un courant politique a souhaité saboter la mise en place de la T2A ?

M. François Devif. Au moment où la T2A a été mise en vigueur, j’étais salarié de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) et en charge du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Je participais, auprès de l’Assurance maladie comme du ministère de la santé, aux commissions qui préparaient l’ensemble des décrets d’application de ce PMSI et qui allaient donner naissance à la mission T2A. J’ai eu l’occasion de travailler, pendant plusieurs années, avec Mme Martine Aoustin qui a ensuite pris ses fonctions au sein du ministère.

À ce moment-là, la demande du secteur privé de basculer vers un système de rémunération à l’activité était très forte. Le financement de moyens accordé au secteur public ne lui paraissait pas légitime et la T2A lui semblait un bon moyen de rééquilibrer les dotations.

Le secteur public était beaucoup plus circonspect : d’une part, il demandait à ce que soient définis des champs comparables ; d’autre part, il entendait se donner les moyens d’observer sur le terrain la réalité des coûts. Comme vous le savez, la T2A résulte d’une étude nationale de coûts sur un échantillon d’établissements. Ces coûts n’étaient pas définis par des experts ou sur la base de protocoles de soins définis a priori correspondant à une prestation-type prise en charge par la collectivité mais résultaient d’une observation sur le terrain du coût de revient général mâtiné de quelques aménagements tarifaires permettant d’inciter ou de freiner le développement de telle ou telle activité.

Il y a eu un frein à la mise en place de la T2A du côté du secteur hospitalier public, du moins tant que les points que j’ai cités n’ont pas été levés. Vous n’êtes pas sans savoir que l’Étude nationale des coûts à méthodologie commune (ENCC) lancée dernièrement, a dû être arrêtée, renvoyant à beaucoup plus tard une convergence qui était initialement prévue pour 2012.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Le fait d’avoir une opinion nuancée sur la T2A peut difficilement justifier une forme d’obscurantisme dans la gestion même de l’hôpital allant jusqu’à l’absence totale d’une comptabilité analytique de base. Une chose est de contester des modes de gestion, une autre est de ne pas vouloir savoir ce qui se passe.

M. François Devif. Nul n’étant supposé – et encore moins un directeur d’établissement hospitalier – ignorer la loi, il n’est pas normal que le premier effort de comptabilité analytique, qui s’est traduit par un échec au sein du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, n’ait été envisagé qu’en 2006.

Lorsque nous sommes arrivés et que nous avons demandé communication de ce document, la directrice financière nous a rétorqué qu’il n’en existait plus aucune copie ni aucune trace informatique, compte tenu des dégâts qu’il avait causés. Nous avons, néanmoins, pu récupérer un exemplaire papier dont disposait un des médecins de l’établissement.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Ce genre de dysfonctionnement de base se rencontre-t-il dans d’autres établissements ?

M. François Devif. Plus aujourd’hui. Si l’hôpital public a tardé dans la mise en place de comptabilités analytiques, aujourd’hui des comptes de résultat par pôle ou, de manière plus détaillée, par service, sont disponibles dans la quasi-totalité des établissements publics. Ces comptes sont cependant plus ou moins fiables puisqu’il n’y a pas, par principe, de comptabilité analytique juste. Il n’en est que d’acceptée par la collectivité, qui reconnaît une certaine équité des clés de répartition qui ventilent les charges entre les services.

La reconnaissance de l’acceptabilité d’une comptabilité analytique résulte d’un dialogue de gestion qui doit être nourri et qui s’inscrit donc dans le temps. Celui-ci aurait dû être initié dès 2004 pour accompagner les grandes transformations résultant de l’introduction de la T2A. Il n’est pas normal que le Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye n’ait mis en œuvre, ni le système d’information qui était nécessaire pour le recueil de l’information, ni les éléments de base permettant un dialogue de gestion éclairé entre administratifs et professionnels de santé visant à orienter leurs pratiques au gré des observations et des résultats qui seraient apparus à travers cette comptabilité analytique.

M. le coprésident Pierre Morange. Le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales nous a dit ne pas avoir trouvé, dans le cadre de l’audit portant sur les achats de l’établissement, de documents antérieurs à 2005, ce qui place le Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye en infraction par rapport à la nécessaire conservation des documents pendant dix ou trente ans suivant le type de marchés réalisés. Avez-vous rencontré d’autres difficultés pour obtenir des documents ?

M. François Devif. D’une façon générale, l’accès à l’information quand nous sommes arrivés dans l’établissement, en juin 2008, a été très compliqué, tant au niveau des éléments financiers que de l’activité médicale de l’établissement. Le directeur de l’information médicale (DIM) était visiblement omnipotent : il était le seul à disposer d’informations sur l’activité réalisée et il en restituait, à l’occasion, des éléments partiels, arguant que leur complexité rendait leur partage difficile. On était dans une culture où seul un petit nombre d’éclairés étaient en mesure de comprendre ce qui se passait dans l’établissement et il fallait être médecin pour être en mesure de bien l’analyser.

Il n’y avait aucun pilotage, aucune responsabilisation des acteurs. Chacun travaillait dans son service en aveugle, considérant bien faire son travail. Et aucun élément ne lui permettait d’en douter.

Nous avons dû tout reconstruire de A à Z. Nous avons même dû opérer des copies de base pour les retraiter nous-mêmes. Comme je l’ai déjà indiqué, nous ne disposions d’aucuns éléments de suivi d’engagements budgétaires ni de comptabilité analytique. Après l’expérience malheureuse de 2006, la direction financière ne se sentait plus l’autorité ni la légitimité pour réamorcer une nouvelle démarche de cette nature, tellement elle avait subi de critiques de l’ensemble du corps médical.

Même si nous avions voulu discuter en 2008 avec les praticiens, nous ne serions pas tombés d’accord. Les chiffres issus des informations dont nous disposions ne correspondaient pas avec ceux qu’eux-mêmes constataient dans leur propre service. Les comptes ne reflétant pas le déficit tel qu’il était réellement, aucun élément ne pouvait faire douter les producteurs de soins de la qualité et de l’efficience de l’activité qu’ils réalisaient.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Notre rôle est d’essayer, à partir du cas du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye et d’autres, de tirer des enseignements et des préconisations pour le fonctionnement interne de l’hôpital. Quels sont les dysfonctionnements propres au Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye que l’on ne retrouve pas ailleurs ?

M. François Devif. La spécificité du déficit du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye est son décalage dans le temps. Cet établissement a laissé perdurer une situation qui aurait dû être corrigée trois ou quatre ans plus tôt.

Les CHU ont pris le virage beaucoup plus tôt. Mais d’autres centres hospitaliers ont, eux aussi, tardé à s’aligner sur les exigences de la T2A.

Les dysfonctionnements constatés à la mi-2008 sont aujourd’hui en grande partie redressés, ce qui montre que, quand on s’attaque au sujet, il n’y a rien d’inéluctable et que la T2A n’est pas aussi indigeste qu’on le dit pour les établissements publics qui souhaitent s’engager dans cette réforme et la mettre en œuvre comme il se doit.

À l’hôpital public – je le constate dans un certain nombre d’établissements sur lesquels j’ai également travaillé, comme le CHU de Nancy –, c’est la prise en compte de l’ensemble du continuum de soins qui peut rendre possible un gain d’efficience. Le financement de l’hôpital nécessite de créer des filières de prise en charge à travers l’ensemble des services, de l’accueil des consultations externes à l’accueil des urgences, en passant par le plateau technique d’imagerie et de biologie, le bloc opératoire, le service d’hospitalisation et les structures d’aval.

Or, jusqu’à présent, chaque chef de service était tout puissant au sein de sa structure et définissait des stratégies spécifiques à chacune de ces unités, avec un règlement lui aussi spécifique. Lorsqu’ils étaient chirurgiens, ces chefs de service disposaient même de tout un appareil de production complémentaire avec des blocs opératoires qui pouvaient être dédiés par spécialité. Ces moyens lourds et coûteux n’étaient en place que pour une seule et même logique, sans aucune recherche de mutualisation.

La réforme importante à conduire dans les hôpitaux publics est de distinguer entre ce qui relève du spécifique et ce qui relève d’une valeur ajoutée mutualisable et transverse afin de mieux amortir les coûts fixes des grosses structures – imagerie, laboratoires, blocs opératoires – qui pèsent lourdement dans les comptes de résultat. Il faut les mettre au service d’une stratégie générale afin de pouvoir prioriser les actions, les équilibrer d’une spécialité à l’autre et décider collégialement de leur augmentation ou de leur diminution en fonction des besoins de l’activité sans se heurter à un domaine de responsabilité ou d’influence d’un chef de service.

Le gros enseignement que l’on peut tirer du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye comme d’autres établissements est la nécessité de lutter progressivement contre la démultiplication de moyens qui amène chacun de ces moyens à n’être que partiellement exploité et à l’être dans des logiques qui ne sont pas forcément alignées sur la logique même de l’institution.

La réinstallation de ces fonctions transverses, jointe à la création de filières de prise en charge, permettrait un fonctionnement harmonieux et bien dimensionné d’un bout à l’autre de la filière et éviterait la création, à certains endroits, de goulets d’étranglement générateurs de dysfonctionnements ou de transferts onéreux pour la collectivité et, à d’autres endroits, de gisements d’efficience non exploités du simple fait qu’on a souhaité créer une zone de confort pour tel ou tel acteur.

Une des raisons de moindre efficience de l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye est un mauvais dimensionnement de ses services de soins : alors qu’il y a 30 lits par étage – ce qui correspond au chiffre optimum en termes de mutualisation de la charge et donc de présence de personnels non médicaux auprès de ces lits, le volume d’activité porté par chaque spécialité de l’établissement ne correspond qu’à une vingtaine de lits, ce qui génère, mécaniquement, chaque nuit un tiers de surcoût. Comme il est compliqué de faire comprendre aux différents acteurs la nécessité d’augmenter leur niveau d’activité de 50 % pour pouvoir prendre en charge les 30 lits, mieux vaut redescendre à 15 lits et coupler le service avec un autre afin de mieux mutualiser les coûts. Mais il faut savoir que cela remet en cause la patrimonialité du service d’hospitalisation.

Ce que j’ai dit des blocs vaut pour les lits. Des décloisonnements sont aujourd’hui nécessaires car ils permettraient des gains d’efficience. Mais cela suppose des choix politiques lourds puisque cela reviendrait à accepter de prendre en charge moins de malades, à charge de trouver une autre solution pour ces patients.

M. le coprésident Pierre Morange. D’où l’intérêt d’un partenariat public-privé.

M. François Devif. Ou d’une communauté hospitalière de territoire.

M. le coprésident Pierre Morange. L’important est que le patient trouve, quel que soit le type de statut, une même qualité de prestation sanitaire et une même prise en charge assurantielle. C’est l’un des objets de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

Nous vous remercions, monsieur Devif.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède enfin à l’audition, de M. Philippe Ritter, président du conseil d’administration de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, et M. Christian Anastasy, directeur général.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons le plaisir d’accueillir maintenant M. Philippe Ritter, président du conseil d’administration de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), et M. Christian Anastasy, directeur général.

Je vous donne la parole, monsieur Ritter, pour un propos liminaire sur la mise en place de l’agence et la programmation de ses travaux.

M. Philippe Ritter, président du conseil d’administration de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux. Je vais, en quelques mots, expliquer les raisons de la création de l’ANAP, puis le directeur général présentera son programme de travail.

Deux structures ont été créées dans le cadre du plan hôpital 2007 : la Mission nationale d’appui à l’investissement hospitalier (MAINH) et la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitalier (MEAH). Quelques années auparavant, avait été mis en place le Groupement pour la modernisation du système d’information hospitalière (GMSIH), qui était un groupement d’intérêt public (GIP). Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) santé-solidarité, il est paru utile de réunir, dans une vision commune, ce qui concerne l’investissement, l’organisation et les systèmes d’information, le fait que chacun travaille dans son coin ne paraissant pas la meilleure formule.

Mme Roselyne Bachelot m’a confié la rédaction d’un rapport, que j’ai remis en octobre 2008. Il n’y était plus question d’une agence d’appui à l’« efficience hospitalière », comme indiqué à la commande, mais à la « performance des établissements de santé et médico-sociaux ». Cette évolution de vocabulaire tenait compte des attentes des professionnels, des fédérations, des présidents de commissions médicales d’établissement (CME), des présidents de groupes de travail des chirurgiens hospitalo-universitaires (GTCHU), des directeurs généraux de centres hospitaliers (DGCH) et du secteur médico-social. Tout le monde souhaitait que cette agence ait un périmètre correspondant à celui des agences régionales de santé (ARS) et s’intéresse non seulement à l’hôpital, mais aussi au médico-social afin d’assurer la fluidité des parcours de soins.

Le terme de « performance » nous est apparu plus complet que celui d’« efficience ». L’objectif de l’agence n’est pas simplement d’aider les établissements à atteindre une efficience économique, mais surtout d’assurer la qualité des soins. Dans la mesure où une bonne organisation contribue aussi à améliorer la qualité des soins, ce changement de vocabulaire nous a paru s’imposer.

Par ailleurs, nous avons considéré que l’agence devait apporter un appui et non pas décider à la place de l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH), de l’agence régionale de santé, de l’établissement, voire du ministère. Elle devait être une agence d’expertise et donner un certain nombre de boîtes à outils aux agences régionales de santé et aux établissements dans le cadre de la mission qui sera de plus en plus la leur : utiliser au mieux l’argent public pour répondre le mieux possible aux besoins de santé.

Finalement, c’est un groupement d’intérêt public qui a été créé, regroupant à la fois les directions d’administration centrale concernées, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et l’ensemble des fédérations sanitaires et médico-sociales.

Initialement prévue dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, la création de l’agence a été finalement vue comme un cavalier budgétaire et repoussée de six mois en étant prévue dans la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

Mais nous n’avons pas vraiment perdu de temps puisque, avant même le vote de la loi, nous avons sélectionné un directeur préfigurateur, qui s’est trouvé confirmé par la suite. M. Anastasy a ainsi pu prendre ses fonctions dès le mois d’avril. Nous avons également préparé, pendant cette période, la convention constitutive qui fixe le cadre de fonctionnement de l’ANAP. Dès la publication de la convention constitutive approuvée, Mme Roselyne Bachelot a installé le conseil d’administration, le 26 octobre 2009. L’ANAP est pleinement opérationnelle depuis bientôt un mois.

Malgré les bouleversements induits par la fusion de trois structures qui n’avaient ni les mêmes cultures, ni les mêmes habitudes, ni les mêmes statuts, 2009 a permis un certain nombre d’avancées dont M. Anastasy va maintenant vous parler.

M. Christian Anastasy, directeur général de l’ANAP. Je suis arrivé à l’ANAP le 1er avril 2009. Je dirigeais avant un groupe de cliniques privées, après avoir fait une carrière à la fois dans le secteur associatif et dans le secteur hospitalier public. J’ai toujours travaillé dans le monde de la santé.

J’ai fixé mes objectifs en fonction de la lettre de mission qui m’avait été donnée par les trois ministres. Dans ce métier complexe qui consiste à accompagner et à appuyer les agences régionales de santé et les établissements sans se substituer à eux mais en étant à leur côté, il faut des gens qui partagent des valeurs communes et qui soient organisés de façon simple, selon des critères à la fois d’évaluation et de management, et qui portent des projets.

J’applique une démarche assez pragmatique. Un projet de l’ANAP doit répondre à six critères.

Premièrement, un projet est engagé.

Deuxièmement, le projet est mené à son terme.

Troisièmement, nous essayons de l’évaluer sur le plan économique, c’est-à-dire de déterminer son prix de revient. Je demande à tous mes collaborateurs de préciser le coût des études nécessaires pour cette évaluation. L’ANAP s’est dotée d’instruments permettant de le faire. Je rappelle à tout le personnel que nous travaillons avec de l’argent public et qu’il faut, par conséquent, être en mesure de rendre compte de l’usage que nous en faisons.

Quatrièmement, nous essayons de mesurer l’impact du projet, c’est-à-dire son retour sur investissement.

Cinquièmement, nous essayons de voir si les collaborateurs qui ont travaillé à ce projet ont rehaussé leur niveau de compétence. L’agence est, selon la qualification des sociologues, une entreprise apprenante, c’est-à-dire une entreprise constituée uniquement de cadres qui s’enrichit en permanence de nouvelles compétences.

Sixièmement, nous demandons au client final, qui peut être l’hôpital public, l’établissement de santé privé, l’hôpital privé sans but lucratif participant au service public hospitalier (PSPH), l’agence régionale de l’hospitalisation et, demain, l’agence régionale de santé, s’il est satisfait du travail fourni. Ce dernier peut-il être généralisé grâce à un CD-ROM permettant d’aider utilement les décideurs publics, privés, le gestionnaire de l’établissement ou son collaborateur ?

Ces six critères d’appréciation sont, à la fois, des critères de management d’un projet et des critères d’évaluation de la performance des responsables, depuis le premier niveau jusqu’à celui du directeur général. Ces critères de performance seront connus, affichés, publics, et permettront à des personnes morales comme à des parlementaires d’avoir tous les détails sur les projets engagés.

C’est le premier travail de l’ANAP.

M. Philippe Ritter. Au moment où nous avons décidé de regrouper les trois structures, il y avait 209 chantiers en cours, parfois très ponctuels, dont la liste ressemblait à un inventaire à la Prévert. Nous avons, en fonction des critères d’utilité et d’efficacité des prestations de l’ANAP et, surtout, d’une estimation des retours sur investissement, défini des priorités stratégiques pour 2010.

M. Christian Anastasy. Après avoir mis en ordre les équipes, nous nous sommes employés à hiérarchiser la commande publique qui, comme vient de le préciser M. Ritter, comportait 209 objectifs prioritaires au 1er avril. Six leviers de changement nous ont permis de clarifier notre positionnement, que nous avons fait partager par les grandes directions, dont la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (UNCAM).

En gros, 72 % des 209 actions ont été engagées. Les 30 % qui n’ont pas pu être menées, soit n’étaient pas conformes aux objectifs de l’ANAP, soit n’entraient pas dans le champ spécifique de ses compétences : elles pouvaient être concurrentes des démarches qui pouvaient être réalisées par la Haute Autorité de santé (HAS), par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) ou par d’autres organismes.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Pouvez-vous donner quelques exemples d’actions retenues, le nombre d’établissements concernés par ces actions et le nombre de personnels que compte l’ANAP pour s’occuper de ces actions ?

M. Christian Anastasy. Nous avons essayé de regrouper les projets par grands thèmes. Les 209 chantiers de la commande publique n’étaient pas forcément des actions ou des objectifs. Ils ont été compactés en 73 projets, dont 53 ont été jugés importants.

M. le coprésident Pierre Morange. Un projet concerne-t-il un seul établissement ou plusieurs ?

M. Christian Anastasy. Un projet peut concerner un ou plusieurs établissements. Je vais en mettre six en perspective.

Je citerai un premier exemple qui, bien qu’il ait mobilisé beaucoup de ressources, ne concerne qu’un seul établissement : la cellule de mobilité des personnels à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM).

Le directeur général de l’AP-HM est l’un des rares qui aient attiré notre attention sur le fait que des fermetures de services induisaient des fermetures de postes et, par voie de conséquence, des reconversions de personnels. Le personnel est souvent considéré comme une charge fixe dans l’administration. Or, il y a là une richesse. Pour l’AP-HM, nous avons mis en place, à titre expérimental, une cellule de mobilité des professionnels concernés par des restructurations. Nous verrons ensuite dans quelle mesure celle-ci peut être adaptée à d’autres établissements.

M. Philippe Ritter. Dans le stock d’études réalisées par la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitalier, il est assez frappant de voir que, alors qu’il existe quantité de monographies sur l’organisation des blocs, voire sur la blanchisserie, il n’y a aucune étude particulière sur la gestion des ressources humaines ni sur l’organisation médicale. Or, le personnel pèse pour 70 % dans les budgets, et l’organisation médicale est le cœur même du métier de l’hôpital. L’ANAP a prévu des études sur ces deux sujets importants. C’est un exemple des nouvelles orientations introduites par l’agence.

M. le coprésident Pierre Morange. Tandis que les structures antérieures avaient une approche de type verticale, la vôtre est de type horizontale. Bien que l’on ne soit pas dans une logique de taylorisation et qu’il soit difficile de trouver des formules « standardisables », il ne serait pas absurde d’établir, à partir de différentes analyses, un modèle de référence, par exemple pour des plateaux de médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) servant à l’ensemble des établissements hospitaliers. Cela existe-t-il ?

M. Philippe Ritter. Il existe d’excellentes études, par exemple, sur les blocs opératoires mais elles ne parlent pas de l’organisation des activités connexes, telles que le brancardage et l’anesthésie. En parcellisant les choses, on peut apporter des améliorations ponctuelles mais on n’améliore pas l’organisation globale, en tout cas pas automatiquement.

M. Christian Anastasy. Après avoir cité un exemple concernant la gestion humaine dans un seul établissement, je citerai un deuxième exemple qui concerne 50 établissements.

M. Éric Woerth avait exprimé le souhait que soient réalisés des audits sur les 50 plus gros établissements déficitaires. Par dialogues successifs et itératifs avec les représentants du budget, nous sommes passés de la notion d’audit à celle de projet de performance ayant pour objectif d’éradiquer les causes de déficit. Celles-ci sont, en effet, multidimensionnelles et ne concernent parfois qu’un problème de facturation. Certains CHU ne facturent pas, par exemple, des recettes auxquelles ils ont droit.

Aux diagnostics purement économiques, nous substituons des diagnostics médico-économiques. La fonction de l’hôpital étant de produire du service médical, il faut connaître la nature de ce service médical, son volume et son coût. Si on ne parle pas de l’intérieur de l’appareil de production, on ne sait pas de quoi on parle.

Nous avons fait valider ces 50 projets de performance par des méthodologistes : Capgemini et McKinsey.

M. le coprésident Pierre Morange. L’intervention de McKinsey sur les urgences de l’hôpital Beaujon a permis d’augmenter leur efficience de 30 à 40 %, à coût constant !

M. Christian Anastasy. Nous avons choisi ces deux organismes, après appel d’offres, car ils connaissaient les restructurations de grande ampleur intervenues aux États-Unis et en Angleterre. Ils nous ont utilement aidés à comprendre ce qui se passait dans cette transformation.

Voilà un deuxième exemple d’actions qui s’appuient sur une méthodologie robuste et concernent 50 établissements.

Mon troisième exemple a trait aux systèmes d’information et concerne 130 établissements. Nous nous sommes rendu compte, en faisant le bilan du plan hôpital 2007 que 75 % des projets qui ont été aidés pour leur système d’information se sont « cassés la figure ». Nous avons cherché à comprendre pourquoi.

Nous nous sommes aperçu, avec consternation, qu’il y a une déconnexion totale entre le management de tête et les systèmes d’information. Pour les directeurs d’hôpitaux et les médecins, les systèmes d’information sont de la basse intendance qu’ils sous-traitent à des ingénieurs informaticiens qui sont parfois tout frais sortis de l’école de Rennes et n’ont aucune expérience. Nous avons créé un dispositif d’appui pour 130 établissements qui ont bénéficié d’aide au système d’information. Dans celui-ci, nous les informons que les aides seront désormais subordonnées aux efforts réalisés par l’établissement en matière d’information et nous essayons de convaincre les directeurs d’hôpitaux de la nécessité de s’impliquer dans la problématique des systèmes d’information, ces derniers étant un des éléments essentiels de la stratégie d’un établissement.

Quatrième exemple d’action : en concertation avec les directions concernées, notamment la direction du budget et la direction de la sécurité sociale, l’ANAP a défini une liste de trente critères conditionnant l’octroi d’une subvention « hôpital 2012 » à un établissement.

Bien que nous arrivions un peu après la bataille en matière de système d’information puisque la première tranche de subventions est passée, ces trente critères induisent une philosophie simple : on ne verse pas d’argent pour des projets sophistiqués, par exemple l’intercommutabilité en temps réel entre le bloc et le laboratoire, si l’établissement n’est pas capable d’avoir un système de facturation qui fonctionne. Ne peuvent passer à la Formule 1 que ceux qui ont fait la preuve qu’ils savaient piloter une voiture…

Pour la partie immobilier, le versement d’une subvention est subordonné à la capacité d’autofinancement de l’établissement. L’analyse du plan hôpital 2007 a montré que les établissements qui ont été aidés se trouvent aujourd’hui dans une situation financière plus dégradée qu’avant de recevoir une aide. Nous devons faire comprendre aux gestionnaires que, quand on les aide à hauteur de 50 % pour un investissement qui est complètement surdimensionné par rapport à leurs besoins, cela entraîne ensuite pour eux des coûts considérables.

Cette grille de trente critères, qui constitue mon quatrième exemple d’action, concerne l’ensemble des établissements.

Nous avons réalisé également une étude concernant les urgences afin d’essayer de réduire le temps d’attente. À Nancy, où nous avons travaillé sur ce sujet avec la direction générale de la modernisation de l’État, le temps moyen de prise en charge d’un patient admis en urgence est de cinq heures cinquante. Nous trouvons cela anormal. Les établissements hospitaliers ne doivent pas s’étonner ensuite que les patients s’en aillent dans la clinique en face.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. D’autant que cinq heures et demie sont une moyenne : l’attente peut être de cinq minutes comme de douze heures !

M. Christian Anastasy. Absolument ! Nous avons essayé de sensibiliser les établissements à ce problème et, dans quarante d’entre eux, nous avons réduit l’attente de 9 %.

Dernier exemple : nous essayons de convaincre les établissements, notamment publics, de la nécessité de facturer. Un sondage montre que 22 CHU sur 27 ne facturent pas les 18 euros qui sont dus par l’assurance maladie à tout établissement qui fait des actes supérieurs à KC 50. Quand j’étais directeur d’un établissement privé, je facturai 100 % de ces 18 euros. Je ne manque pas de demander à un directeur de CHU dont l’établissement accuse un fort déficit pourquoi il ne le fait pas.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Que vous répond-il ?

M. Christian Anastasy. Rien !

M. Philippe Ritter. Je crois que beaucoup n’ont pas encore pleinement conscience que l’on ne calcule plus en budget global mais en T2A.

M. le coprésident Pierre Morange. À combien estimez-vous la perte de recettes induites par ces non-facturations ? La chambre régionale des comptes d’Île-de-France donne une fourchette de 5 à 7 %. Validez-vous cette estimation ?

M. Philippe Ritter. Nous ne sommes pas en état de le faire. Il entre davantage dans les compétences de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins ou de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) de vous donner des renseignements à ce sujet.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous demande votre sentiment sur le sujet car vous avez un certain recul de par vos fonctions antérieures et même actuelles.

M. Philippe Ritter. Il est exact que, ayant accepté de prendre la présidence d’un établissement participant au service public hospitalier, l’hôpital Foch à Suresnes, qui est pourtant un très bel établissement universitaire, à la pointe en neurochirurgie, en cardiologie et en urologie, je fais quelques découvertes assez surprenantes. J’ai découvert une insuffisante rigueur dans les facturations et dans les recouvrements. J’ai constaté qu’il n’y avait pas d’indicateur d’activité ni d’indicateur financier tous les mois. De plus, l’établissement souffre d’un gros déficit. S’il n’y a pas de tableau de bord, comment voulez-vous maîtriser les choses ? Le service du département d’information médicale (DIM) est tout à fait insuffisant par rapport à l’activité. Le chef du département de l’information médicale n’ayant pas préparé ses services au passage à la version V11 de la classification des groupes homogènes de séjour, il y a eu, pendant deux ou trois mois, des cafouillages dans le codage des actes selon cette classification.

Il y a beaucoup de points à redresser. En fait, c’est surtout une culture qu’il faut inculquer. Jusqu’à présent, les médecins considéraient que faire du codage n’était pas leur boulot et, pour, les administratifs, le service de l’information était une structure qui fonctionnait comme les autres.

Une anecdote à ce propos : lorsque j’étais directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation de l’Île-de-France, j’ai été frappé de constater que, dans nombre d’établissements, notamment dans les banlieues de l’Ouest et du Nord de l’Île-de-France, la caisse fermait à trois heures de l’après-midi alors que les sorties se faisaient vers dix-sept heures. On s’étonnait ensuite qu’il soit difficile de faire payer les factures à la clientèle, une fois rentrée chez elle.

L’ANAP souhaite, de manière pragmatique, mettre l’accent sur un certain nombre de problèmes d’organisation et donner des boîtes à outils aussi simples et opérationnelles que possible. Elle souhaite être un appui aux futures agences régionales de santé dont la fonction sera de veiller à la performance des établissements. S’il revient à l’ANAP de piloter les premiers contrats de performance en 2009 et en 2010, elle devra, dès que les agences régionales de santé seront opérationnelles, leur fournir des méthodologies pour qu’elles prennent le relais. L’ANAP interviendra, éventuellement, en tant qu’expert pour des cas particulièrement difficiles mais elle ne devra se substituer ni aux agences régionales de santé, ni aux établissements. Ces derniers doivent comprendre qu’ils sont responsables de leur gestion et qu’ils doivent se prendre en main. C’est ainsi que l’on peut espérer voir changer les choses.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous avez parlé d’une culture à inculquer. Pour pouvoir la faire passer dans les établissements, encore faut-il l’inscrire dans la formation de celles et ceux qui occupent des postes de cadre. Des démarches sont-elles entreprises pour faire remonter ce souci ?

M. Philippe Ritter. Cette question se posera aux agences régionales de santé. Les agences régionales de l’hospitalisation n’ont pas été formées pour cela. Il ne suffit pas de regrouper les directions régionales de l’action sanitaire et sociale (DRASS), les agences régionales de l’hospitalisation, les unions régionales des caisses d’assurance-maladie (URCAM) etc. pour avoir un outil opérationnel. Il faudra que les agences régionales de santé acquièrent une culture axée sur la performance. C’est d’ailleurs l’une des préoccupations du secrétaire général actuellement chargé de la mise en place des agences régionales de santé. Il prévoit, à cet effet, des modules de formation à la fois des préfigurateurs et des équipes qui seront intégrées dans les agences régionales de santé.

Lorsque j’étais à l’Agence régionale de l’hospitalisation d’Île-de-France, je me suis rendu compte des lacunes qui existaient : outre que le niveau central n’exerçait aucune pression pour nous pousser à nous intéresser à la performance des établissements, nous n’avions pas les compétences internes suffisantes.

M. Christian Anastasy. Comme je suis un homme de terrain, j’aime qu’on me parle de choses concrètes. C’est le cas dans l’étude réalisée par McKinsey sur les urgences, qui est un sujet qui concerne les gens. Quand le délai moyen de prise en charge dans un service des urgences est de cinq heures, c’est qu’il y a un problème d’organisation quelque part.

Certains directeurs généraux de CHU me prennent parfois à partie en faisant valoir que la performance n’est qu’une notion économique. Non. La performance en santé a été définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle a pour but d’améliorer la qualité de la santé des gens, de réduire les iniquités de financement et d’améliorer la réactivité du système.

Toutes nos actions 2010 répondent à la volonté d’agir sur des choses concrètes perceptibles par tout le monde.

Je prends un exemple : la distribution du repas du soir dans les établissements médico-sociaux de long séjour qui, à 75 % – soit pas moins de 30 000 établissements – n’ont aucun tableau de bord.

Comme les gens des cuisines prennent leur service à sept heures trente ou huit heures le matin, ils préparent le repas du soir à quinze heures et demandent aux aides-soignantes de ne pas le servir trop tard pour qu’il ne refroidisse pas, si bien que les plateaux-repas sont distribués entre dix-sept heures et dix-huit heures. Une émission de Canal + en a parlé dernièrement. Une personne âgée n’a pas faim à dix-sept heures trente. Donc elle ne mange pas. L’aide-soignante, plaisantant sur le fait que « la Mamie ou le Papi n’a pas faim ce soir-là », lui reprend son plateau vers dix-huit heures trente ou dix-neuf heures, et la personne âgée a une période de jeûne supérieure aux onze heures reconnues comme un maximum par toutes les sociétés françaises et internationales de gérontologie. La personne âgée, dénutrie, est désorientée et elle a des escarres, qui doivent être prises en charge par des aides-soignantes, des infirmières et des médecins. Cela n’intéresse personne de soigner des escarres et, de plus, ça fait mal.

Résultat : on accueille des personnes âgées dans des établissements sanitaires ou médico-sociaux pour leur faire mal ! Et, en plus, on dépense beaucoup d’argent. Cherchez l’erreur ! Le NHS3I, qui est l’équivalent anglais de l’ANAP, a estimé que les escarres représentaient 4 % du budget de l’assurance maladie dans ce pays.

Avant de m’occuper d’objectifs très sophistiqués, comme l’interopérabilité des systèmes d’information, dont on parle depuis des années, je veux m’attaquer à des problèmes concrets qui touchent à la fois la vie des personnes hébergées et celle des personnels. Quand je tiens un tel discours, aucun syndicat ne peut m’accuser de n’être que dans la recherche de l’efficience. Selon la Haute Autorité de santé, le coût de la non-qualité dans un établissement de santé représente 25 % des charges d’exploitation. Donc, si on traque les niches d’improductivité, on améliorera le système.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Il y a des malentendus sur le mot performance et la T2A est encore souvent mal vue. Comment parvenez-vous à réconcilier performance, amélioration des conditions de travail et amélioration de la qualité du service ?

M. Philippe Ritter. Si l’on a préféré le mot « performance » à celui d’« efficience », c’est parce que ce dernier a une connotation très économique. Le terme « performance » est plus global et intègre la notion de qualité des soins.

C’est ce que nous essayons de faire comprendre, comme nous essayons de faire comprendre – et je crois que cela commence à venir – que la non-qualité et la mauvaise organisation entraînent une mauvaise prise en charge, sans parler des surcoûts induits.

Un moyen efficace, on le voit depuis quelques années, est ce que l’on appelle le benchmarking. Les équipes médicales ou soignantes sont sensibles aux comparaisons que l’on peut faire avec d’autres établissements et aux classements. Ceux réalisés par Le Point ou d’autres organismes en ont fait admettre le principe, alors que le sujet était tabou il y a encore une dizaine d’années. La Haute Autorité de santé a également beaucoup contribué à introduire l’idée que l’activité d’un établissement ou d’un service est comparable à celle d’un autre établissement ou d’un autre service. Les comparaisons étant entrées dans les mœurs, les responsables, qu’ils soient administratifs, financiers, soignants ou médicaux, commencent à être un peu gênés aux entournures quand l’ANAP ou l’agence régionale de l’hospitalisation leur demandent d’expliquer pourquoi, à activité comparable, ils ont besoin de 30 % de plus de personnels que tel établissement ou pourquoi ils ont des surcoûts ou des délais d’attente sans commune mesure avec tel autre.

C’est par le biais de comparaisons avec d’autres établissements et par la diffusion de bonnes pratiques qu’on arrivera à faire évoluer les choses. C’est pourquoi l’ANAP ne se fixe pas uniquement pour but d’améliorer la situation de tel ou tel établissement déficitaire. Son rôle est plus de fournir des référentiels et des éléments de comparaison permettant aux gestionnaires de s’approprier le sujet et de chercher, par eux-mêmes, à améliorer l’organisation de leur établissement et la prise en charge assurée par celui-ci.

M. Christian Anastasy. Quand j’exerçais les fonctions de directeur d’un groupe de six établissements, principalement orientés vers la chirurgie, j’ai utilisé, face aux directeurs de chacun, des indicateurs mis au point par la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitalier pour analyser la production des blocs opératoires. Un jour, j’ai convoqué les directeurs de deux cliniques pour leur demander pourquoi, pour faire 100 000 indices de coûts relatifs (ICR), il y avait 38 équivalents temps plein (ETP) dans un établissement et 28 dans l’autre. Y avait-il gabegie de moyens dans le premier cas ou sous-qualité dans le second ? Je me suis rendu compte que la différence venait d’un problème de planning dans le premier, qui accordait des temps partiels en fonction des désirs des gens : quand une personne demandait 75 % d’ETP mais exprimait son désappointement que cela ne cadre pas avec les ressources qu’elle escomptait, la direction la mettait à 0,79 ETP. La direction arrondissait les choses mais cela aboutissait à une désorganisation des services : quand vous « achetez » de l’intérim, vous achetez un emploi, pas 0,79 % ! Le diable se nichant dans les détails, on arrivait de la sorte en année pleine à un total de 10 ETP de plus pour faire 100 000 ICR.

Cet exemple montre que l’outil de comparaison, en permettant de poser des questions, permet ensuite de remonter aux causes.

Je ferai une seconde remarque pour illustrer le propos de M. Ritter. Parmi les six leviers de changement qui nous ont permis de hiérarchiser la commande publique, il en est un qui pose la question suivante : le projet que vous nous commandez contribue-t-il à la diffusion de la culture de la performance ? Si oui, selon quelles modalités et selon quels critères ? Souvent, la comparaison est un bon élément de propagation de la culture de la performance.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. La comparaison est un bon outil pour poser les problèmes mais il ne faudrait pas qu’elle devienne l’outil de mesure de la réussite. Comment faites-vous pour évaluer ce qui est l’objectif ultime de votre démarche, à savoir l’amélioration de la qualité du service produit et des conditions de travail. Comment associez-vous les personnels à la démarche et comment leur montrez-vous qu’il n’y a pas automatiquement de contradiction entre la recherche d’une forme de performance et l’amélioration de leurs conditions de travail ?

M. Christian Anastasy. Je répondrai à votre question en prenant un exemple.

Le projet médical d’un CHU faisait ressortir que la capacité de chirurgie ambulatoire devait être portée de dix à douze places. Or, on sait aujourd’hui, dans la plupart des pays du monde, que, sur cent malades, quatre-vingt-cinq peuvent être pris en charge chirurgicalement en ambulatoire. Pour ne parler que de l’Europe – car, si je cite les États-Unis, on va me dire que c’est un système libéral inégalitaire –, alors que le taux de pénétration du marché de la chirurgie ambulatoire est de 90 % en Belgique et en Italie, il n’est que de 50 % en France, ce qui signifie que nos services chirurgicaux sont « surconsommateurs » de ressources, y compris humaines. Le CHU en question ayant 500 lits, ce nombre passait à 150 s’il mettait en place une organisation ambulatoire, ce qui entraînait des constrictions de personnels assez importantes.

Nous avions deux éléments de langage vis-à-vis des personnels.

En premier lieu, nous leur disions que tous les emplois seraient préservés mais qu’ils passeraient de la chirurgie, où il n’y avait pas besoin d’autant de personnels, vers des services d’accueil pour personnes âgées ou des services médico-sociaux. Nous leur faisions valoir qu’ils passeraient d’un service où ils étaient faiblement utiles à un service où ils seraient très utiles à la population. Ce premier élément de langage était assez bien perçu.

En second lieu, nous disions à ceux – et ils étaient assez nombreux – qui restaient en chirurgie ambulatoire, que leurs conditions de travail seraient améliorées puisque, comme la chirurgie se fait dans la journée, il n’y aurait plus de gardes la nuit et le week-end.

Nous essayons toujours de faire le lien entre l’optimum recherché sur le plan de l’organisation et les conséquences qu’il induit pour les professionnels.

Les six leviers de hiérarchisation de la commande publique permettent de déterminer, premièrement, en quoi le projet permet de rendre l’établissement plus performant ; deuxièmement, en quoi il induit une meilleure qualité au meilleur coût ; troisièmement, en quoi il favorise l’optimisation des parcours de santé – par exemple s’il évite de faire attendre des personnes âgées dans des services de court séjour parce qu’il n’y a pas de place en moyen ou en long séjour ; quatrièmement, en quoi le projet suscite une optimisation de l’organisation des ressources humaines ; cinquièmement, en quoi il entraîne des investissements efficaces ; sixièmement, en quoi il contribue à la diffusion de la culture de la performance.

Sans négliger la dimension économique ni l’amélioration des conditions de travail, ces six critères mettent en avant l’amélioration des conditions de prise en charge des personnes, comme dans l’exemple des escarres que j’ai cité. Ils permettent de faire un tri dans les commandes publiques, qui sont innombrables. Ainsi, même si cela ne fait pas plaisir à l’administration qui nous l’a soumise, nous rejetons, à l’aune des six critères, toute demande d’évaluation de la motivation des cadres A dans la fonction publique hospitalière.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Si vous pouvez nous communiquer des documents, nous vous en serions reconnaissants.

M. Christian Anastasy. Nous pourrons vous communiquer ceux que nous avons préparés pour le pré-conseil d’administration du 27 novembre.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Travaillez-vous sur des fusions d’établissements ?

M. Philippe Ritter. Je vais exprimer ma conception personnelle. Autant je crois que, dans le cadre de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, il est tout à fait judicieux de se placer dans une perspective d’organisation territoriale de l’offre, donc de coopération et de complémentarité entre des établissements sur un territoire donné, autant je ne suis pas partisan de la fusion pour la fusion. Beaucoup de fusions ont échoué parce qu’elles ont été réalisées pour le principe et non en fonction d’un projet médical : une fois la fusion réalisée, on s’interrogeait sur sa motivation… Il faut inverser les facteurs : une fusion peut réussir quand elle se fonde sur un projet médical, si possible consensuel.

Il vaut parfois mieux conclure des accords de coopération et de complémentarité plutôt que de décider des fusions juridiques qui posent souvent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Dans le cadre des 50 projets de performance, je ne crois pas que la question se pose.

La fusion est, pour moi, un problème plus de structure juridique que de bonne organisation de l’offre de soins. En tout état de cause, elle ne peut être une réponse systématique à des problèmes d’organisation de l’offre.

À Lamure, on a fermé la chirurgie, les urgences et la maternité dans le cadre d’une coopération forte avec le CHU de Grenoble : celui-ci envoie sur place des équipes médicales pour faire des vacations alors qu’il n’y avait plus de médecins compétents. C’est plus au travers de tels regroupements qu’on réussit à faire bouger les choses et à faire adhérer à la fois les personnels et les élus : le maire de Lamure est devenu un porte-parole de ce regroupement.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Pour vous, la fusion n’est pas une réponse aux problématiques de terrain…

M. Philippe Ritter. Ce peut en être une mais ce n’en est pas une en soi.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. …mais, quand une fusion est considérée comme opportune, ou en tout cas, est envisagée, avez-vous des éléments d’interventions sur le plan méthodologique ?

M. Christian Anastasy. A priori, non. Je dis a priori parce que je ne connais pas toutes les études qui ont été menées depuis des années. En tout cas, cela n’apparaît pas comme tel dans le programme de travail que nous envisageons.

En revanche, nous imaginons une réflexion assez volontariste sur l’organisation et les conséquences des communautés hospitalières de territoire. Plutôt que de bâtir des organisations a priori, par fusion ou remembrement, nous préférons avoir un projet médical de territoire qui corresponde aux besoins de santé. À partir de là, les acteurs peuvent se répartir.

Je prends un exemple. Le CHU de Reims, situé à 50 minutes de Paris, réalise chaque année 420 interventions de chirurgie cardiaque. Est-il nécessaire de maintenir une activité aussi lourde et aussi consommatrice de ressources alors que, selon la communauté médicale nationale et selon les différents acteurs concernés, le seuil minimum requis pour faire de la chirurgie cardiaque est de 400 interventions ? Ne serait-il pas plus intelligent de conclure un accord de coopération entre Reims et l’Assistance publique de Paris, qui pourrait elle-même consolider ses plateaux techniques et ses équipes avec les 400 cas pris en charge jusqu’alors à Reims ?

Je cite ce cas car j’ai rencontré un médecin qui revenait d’une mission en Australie. Dans ce pays qui compte 22 millions d’habitants sur un territoire équivalent à celui de l’Europe, une personne habitant un lieu correspondant à Helsinki et qui a un problème cardiaque doit aller, pour se faire opérer, à ce qui correspondrait à Madrid, où se situe le seul établissement de chirurgie cardiaque du pays.

Est-il bien raisonnable d’avoir de la chirurgie cardiaque tous les cent kilomètres ? C’est une question à se poser dans le cadre d’une recomposition des territoires visant également à améliorer la performance des équipes. La Haute Autorité de santé a montré qu’en cancérologie et en cardiologie, plus on opère fréquemment, mieux on traite les gens. Il faut donc réfléchir aux recompositions possibles et souhaitables avant de penser fusion, démembrement, reconstruction ou reconstitution de tels ou tels établissements.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Le personnel de l’ANAP est-il nombreux ? Est-il regroupé à Paris ?

M. Christian Anastasy. Nous sommes tous à Paris. Comme M. Ritter y a fait allusion tout à l’heure, l’objectif est d’atteindre un effectif de soixante personnes à la fin de cette année, et d’environ quatre-vingt à la fin de l’année prochaine.

Avec douze recrutements et treize départs, les choses ont beaucoup bougé en 2009. Le profil recherché est celui de cadre polyvalent : ingénieurs travaux, ingénieurs système d’information, médecins, soignants, médico-sociaux, sanitaires. Nous nous employons à ne pas avoir des profils convenus. Il n’y a pas que des directeurs d’hôpitaux, ni que des médecins professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH). Nous avons besoin de personnels aux profils très diversifiés, multiculturels et de toutes origines.

Le budget de l’ANAP représente, grosso modo, 40 millions d’euros. Avec les 50 projets de performance, il devrait se situer aux alentours d’une soixantaine de millions.

M. Philippe Ritter. Le montant de 60 correspond en gros à l’addition des personnels des trois structures préexistantes. L’organisation de l’ANAP ressemble un peu à celle de la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitalier : son rôle n’est pas de faire les travaux en régie, mais de les faire avec des consultants et donc de passer des marchés de consultants, ce qui suppose d’avoir de bonnes équipes en interne.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. De bonnes équipes et de bonnes ressources !

M. Philippe Ritter. Oui, mais il faut aussi pouvoir payer les personnels en interne.

Le principe retenu par les ministères de tutelle, dont Bercy, est de constituer une équipe qui ne dépasse pas, à terme, quatre-vingts ou quatre-vingt-dix personnes, mais qui réunisse des personnels de haut niveau dans leur spécialité pour pouvoir contractualiser…

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Sans se faire « balader » par les cabinets conseils !

M. Philippe Ritter. D’où un budget étude important. Le budget de l’ANAP prend en compte les frais de personnel et les frais d’étude.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Les études sont-elles comprises dans le budget que vous avez annoncé ?

M. Christian Anastasy. Oui. J’ai indiqué le budget de fonctionnement, tout compris.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous vous remercions, messieurs.

La séance est levée à treize heures.