Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 28 janvier 2010

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Auditions, ouvertes à la presse et au public, sur le fonctionnement de l’hôpital

– M. Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé, MM. Jean-Michel Dubernard et Jean-Paul Guérin, membres du collège, et M. François Romaneix, directeur

– Mme Claude Rambaud, présidente de l'Association de lutte, d’information et d’étude des infections nosocomiales – Le Lien, membre du collectif interassociatif sur la santé (CISS), et M. Nicolas Brun, chargé de la santé à l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et président d’honneur du Collectif interassociatif sur la santé

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 28 janvier 2010

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de M. Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé, MM. Jean-Michel Dubernard et Jean-Paul Guérin, membres du collège, et M. François Romaneix, directeur.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous accueillons, pour cette première audition d’aujourd'hui, M. Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé (HAS), M. Jean-Michel Dubernard et M. Jean-Paul Guérin, membres du collège, et M. François Romaneix, directeur.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a conduit ses auditions sur le fonctionnement de l’hôpital selon une nouvelle méthode, consistant à étudier des cas particuliers d’établissements hospitaliers afin d’en tirer des enseignements susceptibles d’être étendus à l’ensemble des établissements. C’est pourquoi il nous a paru opportun, à ce stade de notre travail, d’auditionner la Haute Autorité de santé, étant donné l’importance de son rôle en la matière.

M. Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé. Il est vrai que l’optimisation des soins au sein de l’hôpital est une des missions majeures de la Haute Autorité de santé. Je vous ai d’ailleurs transmis un rapport de la Haute Autorité de santé consacré au recours à l’hospitalisation en Europe, comparant l’organisation des soins dans les différents pays européens. Il apparaît que cette organisation varie à un tel point que les conclusions générales qu’on peut en tirer n’ont pas de portée pratique.

On peut cependant observer que tous les pays, et pas seulement les pays européens, cherchent à réduire, par l’accès – optimisé ou recommandé – ou par d’autres moyens, le poids de l’hôpital dans le parcours de soins.

Par ailleurs, une étude de Victor Rodwin comparant les taux d’hospitalisation évitable place la France en bonne place, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Je pourrais également vous transmettre un rapport du Commonwealth Fund portant sur les différences dans l’accès à l’hospitalisation.

La première question qu’il faut se poser est de savoir si on veut accroître ou diminuer la place de l’hôpital dans le parcours de soins. La tarification à l’activité (T2A) est un excellent moyen pour accroître l’activité de l’hôpital – cet outil a d’ailleurs été utilisé dans les pays qui souffraient d’un défaut d’accès à l’hôpital. En revanche, si on veut diminuer le poids de l’hôpital, la T2A doit être contrebalancée par ce que nous appelons la qualité des soins : c’est là que la Haute Autorité de santé prend toute sa place, notamment par sa mission de certification des établissements de santé, en particulier dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens. Le financement des établissements ne doit pas en effet tenir seulement à l’activité mais également à la qualité.

Dans le même ordre d’idées, nous avons étudié, avec l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), le lien entre le volume d’activité des hôpitaux et la qualité des soins en France. Il en résulte, schématiquement, que le volume d’activité n’a pas grande incidence sur la qualité des soins courants. En revanche, plus la technicité de l’intervention s’accroît, plus le lien entre qualité et volume se renforce, avec des effets de seuil pour les opérations les plus complexes, notamment les greffes, à savoir que la qualité n’est obtenue qu’à partir d’un certain volume.

Si l’on veut voir diminuer le poids de l’hôpital, une deuxième question se pose alors : celle de la part de la chirurgie et de la médecine ambulatoires. La France se distingue en effet par un faible taux de prise en charge en chirurgie ambulatoire : 30 %, contre 80 % dans d’autres pays. La Haute Autorité de santé est ainsi prête à favoriser le développement de la chirurgie ambulatoire, dans le cadre notamment de la convention de partenariat passée avec l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), par le biais de l’évaluation des actes et des procédures, de la définition de check-list, de la promotion des bonnes pratiques, etc. MM. Jean-Michel Dubernard et Jean-Paul Guérin vous en parleront plus longuement, puisqu’ils ont participé ici même au colloque consacré à la chirurgie ambulatoire, intitulé « La chirurgie ambulatoire : enjeux et perspectives », organisé sous la présidence du Professeur Olivier Jardé, député de la Somme, avec le concours de la Haute Autorité de santé, de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux et de l’Association française de chirurgie ambulatoire (AFCA).

Cette question nous interroge sur la finalité de la T2A : celle-ci conduit-elle plutôt à rendre transparente la facturation, afin de connaître le juste coût, ou à changer les pratiques ? Ainsi, en surfacturant très nettement les soins palliatifs et la dénutrition sévère, la V11, dernière version de la T2A, incite les hôpitaux à prendre en charge les personnes en fin de vie ou sévèrement dénutris. Il apparaît donc que la T2A est à la fois un moyen d’appréhender le juste coût et un levier. À cet égard, une incitation tarifaire serait à même de valoriser la chirurgie ambulatoire, puisqu’il vaut mieux actuellement, du point de vue du tarif, hospitaliser les patients plus de vingt-quatre heures.

Ces considérations relatives à la chirurgie ambulatoire pourraient être étendues à la médecine ambulatoire dans son ensemble, notamment à la cancérologie ambulatoire, où la marge de progression est significative.

La troisième question est celle de la place de l’hôpital au sein du parcours de soins. Il serait aujourd’hui préférable d’évaluer ce parcours pour chaque pathologie, depuis les premiers symptômes jusqu’à la fin de la prise en charge, plutôt que d’analyser, secteur par secteur, les actes du médecin traitant, du spécialiste, de l’hôpital, etc. C’est ce qu’a fait la Haute Autorité de santé pour l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral (AVC). Considérer ainsi le parcours de soins maladie par maladie, et non plus structure par structure, constitue une véritable révolution culturelle dans l’organisation des soins, dans notre pays du moins, car d’autres nous ont précédés : je pense notamment aux bundles, les « bouquets », qui décrivent la prise en charge du patient tout au long du parcours de soins.

Nous sommes prêts à inscrire notre travail avec les futures agences régionales de santé (ARS), dans cette nouvelle perspective, non seulement en adaptant les indicateurs actuels de comparaison de structures permettant de réexaminer les process – du médecin traitant ou de l’hôpital, sujet qui nous préoccupe aujourd'hui –, mais également en élaborant des indicateurs de résultat mesurant un parcours de soins dans son ensemble, maladie par maladie. Il s’agirait, par exemple, d’établir un indicateur de mortalité ou de morbidité pour l’infarctus du myocarde, pour l’accident vasculaire cérébral, etc.

Quatrième question : peut-on ou non accroître les bonnes pratiques, conformément à la mission assignée à la Haute Autorité de santé ? Celle-ci ne se contente pas de favoriser les bonnes pratiques : elle se mobilise pour que les professionnels s’approprient ce travail. Ainsi, nous avons fait en sorte que les recommandations soient plutôt faites par les professionnels eux-mêmes – la Haute Autorité de santé se réservant la labellisation –, dans le cadre de collèges de bonnes pratiques – désormais conseils nationaux : celui de la médecine générale regroupe quarante-sept organisations.

Nous avons également assuré, par le biais de 102 organismes agréés, la mise en œuvre effective du concept du développement professionnel continu (DPC), avec 25 000 médecins concernés, qui rassemble la formation médicale continue (FMC) et l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Toutefois, si la méthodologie et l’évaluation de ce nouveau dispositif relève de la mission de la Haute Autorité de santé, sa mise en œuvre doit être assurée par les professionnels eux-mêmes.

Toujours dans le cadre de l’évaluation des bonnes pratiques, nous travaillons à l’amélioration de la sécurité des soins, au moyen notamment du dispositif d’accréditation des médecins exerçant dans des spécialités à risque, et nous avons établi non seulement des revues de mortalité et de morbidité, mais également des check-lists, relatives notamment à la sécurité des soins au bloc opératoire.

Par ailleurs, nous nous demandons si le développement professionnel continu n’aurait pas vocation à s’adresser aux autres professions, notamment aux cadres soignants. Le rôle de ces derniers doit-il en effet se limiter à l’organisation des plannings ou ne doit-il pas être axé sur la prestation de soins ?

En conclusion, l’évolution de la médecine, qui ne cesse de gagner en complexité, nous conduit à nous interroger sur le parcours de soins et la place de l’hôpital dans ce parcours. C’est ce que fait la Haute Autorité de santé, en collaboration avec les agences régionales de santé, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, et d’autres organismes compétents dans le domaine de l’hôpital.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. La T2A a souvent été évoquée au cours de nos auditions : on s’est interrogé notamment sur la question de savoir si ce qui est censé être un outil de gestion objective des coûts n’a pas pour effet pervers d’orienter l’activité de l’hôpital – cette dernière réponse étant généralement retenue. Si je vous ai bien compris, il serait possible d’utiliser la T2A afin d’améliorer la qualité des soins. Que faudrait-il faire pour aller dans cette voie ? Les autorités qui définissent et mettent en œuvre la T2A sont-elles sur cette ligne ?

À ce propos, nous avons été frappés par le grand nombre d’organismes qui ont pour mission de contrôler la gestion et les pratiques de l’hôpital. Il arrive en outre que ces structures changent de nom ou se regroupent, ce qui ne contribue pas à la lisibilité et à l’efficacité du système et tend plutôt à renforcer l’écart entre les bonnes intentions de ces organismes et la réalité du terrain. Cela explique également l’inertie que le système oppose à la diffusion des pratiques innovantes dans l’ensemble des établissements. Pouvez-vous nous éclairer sur cet aspect de la question ?

M. Laurent Degos. À mes yeux, la T2A peut constituer un levier pour favoriser la chirurgie et la médecine ambulatoires par le biais d’incitations tarifaires. Je ne crois pas en revanche qu’on puisse favoriser à la fois la quantité et la qualité de l’activité par le biais de la T2A : il s’agirait de faire contrepoids à la productivité au moyen d’une autre source de financement, telle que l’enveloppe affectée aux missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC), susceptible de prendre en compte la qualité. Il s’agirait de prévoir, dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens, deux enveloppes, l’une destinée à des objectifs quantitatifs, l’autre conditionnée à des critères qualitatifs.

M. Jean-Michel Dubernard, membre du collège de la Haute Autorité de santé. J’approuve cette distinction entre quantité et qualité. Il faut cependant rappeler que la notion de tarification à l’activité était destinée à combler ce qui apparaissait comme un écart considérable entre la gestion des établissements privés et celle des hôpitaux publics. Il s’agissait de mieux mesurer les coûts et d’aligner les moyens sur ces coûts, tout en tenant compte des missions spécifiques de l’hôpital public.

En ce qui concerne la chirurgie ambulatoire, l’Assemblée nationale a la chance de compter en son sein un expert en matière de chirurgie ambulatoire en la personne de M. Olivier Jardé. Grâce à lui, nous avons pu, avec MM. Jean-Paul Guérin, Raymond Le Moign, directeur de l’accréditation et de la certification de la Haute Autorité de santé, et François Romaneix, consacrer à la chirurgie ambulatoire un colloque qui nous a permis de mesurer l’ampleur du retard que nous avons sur les Américains, et même les Britanniques. Nous nous sommes surtout aperçus que rien n’était fait pour combler ce retard.

Comme le soulignait M. Gilles Bontemps, de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, si, dans dix ans, nous parvenons au niveau actuel des Américains en matière de chirurgie ambulatoire, 90 % de nos lits de chirurgie ne serviront plus à rien. D’où l’importance cruciale pour l’hôpital de pouvoir anticiper. Faute d’une vision anticipatrice, les 10,7 milliards d’euros mobilisés par le président Jacques Chirac dans le cadre du plan Hôpital 2007 – dotation d’une ampleur sans précédent, même à l’occasion de la mise en place des centres hospitalo-universitaires – n’ont servi qu’à perpétuer l’existant. Or, si on en croit les Américains, au-delà de vingt-cinq ans, les structures hospitalières sont frappées d’obsolescence par l’évolution de la médecine et des besoins des patients.

En matière de chirurgie ambulatoire, il y a un énorme effort de pédagogie à fournir, à tous les niveaux, et d’abord auprès des patients, dont il faut apaiser les craintes légitimes. Il faut simplement leur expliquer que ce dispositif suppose la mise en place d’un réseau de surveillance, comme cela se fait ailleurs, et que les risques de développer une infection nosocomiale sont cinq fois moindres qu’au cours d’une hospitalisation classique. Convaincre les médecins n’est pas non plus une mince affaire, d’autant qu’un bon chirurgien est une personne anxieuse, qui ne se résout pas facilement à laisser sortir le patient dans la journée. L’administration est tout aussi difficile à convaincre. À titre d’exemple, les douze lits de chirurgie ambulatoire que j’avais ouverts pour les interventions courantes d’urologie dans le service que je dirigeais ont été fermés par l’administration sous prétexte qu’ils étaient moins rentables. Autre exemple, une durée d’hospitalisation d’un jour et demi est obligatoire pour créer une fistule artérioveineuse pour dialyse, alors que cette intervention pourrait être traitée en chirurgie ambulatoire.

M. Jean-Paul Guérin, membre du collège de la Haute Autorité de santé. La chirurgie ambulatoire présente en outre l’intérêt de diminuer le nombre de mètres carrés utilisés, lesquels coûtent cher à l’hôpital. On peut penser qu’à l’avenir toute la médecine sera ambulatoire et que l’hôpital de demain sera réduit à un grand plateau technique, avec très peu de lits d’hospitalisation. Nos réflexions doivent s’inscrire dans cette perspective.

En matière d’efficience des soins, une étroite collaboration entre la Haute Autorité de santé, en charge de la qualité des soins, et l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux ne peut être que féconde. En effet, l’efficience est une composante de la qualité : on ne peut pas prétendre à la qualité si on est incapable de gérer correctement les ressources confiées à l’hôpital. J’ai bon espoir puisque la convention qui lie désormais nos deux établissements prévoit la représentation de la Haute Autorité de santé au conseil scientifique de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux. Nous sommes en outre convenus de coopérer dans les domaines essentiels. Je ne reviendrai pas sur le sujet de la chirurgie ambulatoire, déjà longuement développé par M. Jean-Michel Dubernard. Nous devons également réfléchir ensemble aux moyens de réduire le coût de certains services particulièrement onéreux, tels que le bloc opératoire, dont on doit améliorer l’efficience dans l’hôpital public. Nous devons également travailler ensemble sur des thèmes comme les urgences ou les systèmes d’information hospitaliers, dont vous n’ignorez pas la complexité.

Quant à la gestion du patrimoine hospitalier et au nombre de mètres carrés, ils nous sont apparus, dès nos premiers échanges, comme des gisements d’économies. C’est une dimension qui devra absolument être prise en compte dans le cadre du plan Hôpital 2012 si on veut arriver à des résultats satisfaisants : c’est aujourd’hui que l’avenir se construit.

Autre point essentiel, il faut absolument sortir de l’« hospitalocentrisme », afin que les ressources puissent être réorientées vers la médecine générale dans le cadre du parcours de soins évoqué par M. Laurent Degos.

La T2A permet à l’hôpital de disposer de ressources en fonction de sa production : c’est là sa finalité essentielle et incontestée. Là où le bât blesse, c’est qu’elle est susceptible de favoriser des dérapages tels que des interventions injustifiées. C’est pour parer à ce risque que les attributions de la Haute Autorité de santé en matière de qualité des soins sont utiles. Il ne faut pas oublier non plus les agences régionales de santé, qui doivent se mettre en place sous peu, et qui comptent également la qualité des soins dans leur périmètre de compétence. Leur mission devra s’articuler avec les pouvoirs des présidents des commissions médicales d’établissement, appelés à devenir les « grands managers de la qualité » dans leur établissement.

Plus généralement, La Haute Autorité de santé, institution centralisée, ne pourra pas faire l’économie d’une collaboration avec les acteurs de terrain. Dans cet esprit, le président et le directeur travaillent à doter la Haute Autorité de santé d’un système d’information performant qui nous permettra de mettre à la disposition des agences régionales de santé des tableaux de bord plus lisibles afin qu’ils puissent intégrer la qualité dans leur démarche de contractualisation.

La certification des établissements, autre attribution de la Haute Autorité de santé, est, elle aussi, un outil important pour améliorer la qualité du fonctionnement de l’hôpital, à condition, là encore, d’articuler cette compétence avec celles de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux et des agences régionales de santé.

M. Laurent Degos. On voit qu’il y a deux types de leviers : premièrement, dans le cadre de la T2A, on peut orienter l’activité hospitalière vers l’ambulatoire ; deuxièmement, dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens, on peut réserver à l’objectif de qualité une enveloppe spécifique, à côté de l’objectif de productivité.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Je crains qu’il n’y ait là deux logiques indépendantes, qui ne se rencontrent jamais : celle de la T2A, imposée par les ordinateurs de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) qui définit les règles ; celle de la Haute Autorité de santé et des agences régionales de santé, qui privilégie la qualité. Comment faire la synthèse entre les deux ? Il y a quand même une contradiction entre la T2A et votre proposition de deux enveloppes.

M. Laurent Degos. La première logique, celle de la productivité, peut être utilisée pour assurer la transparence des coûts – c’est la facturation – mais aussi servir de levier, comme cela a été fait pour les soins palliatifs, dont la tarification a été fixée à un niveau bien supérieur à leur coût réel : cela fonctionne, puisque les hôpitaux cherchent à ouvrir des lits de soins palliatifs. On pourrait tout à fait utiliser le même levier pour favoriser le développement de la chirurgie ambulatoire.

La logique qualitative pourrait présider la signature des contrats d’objectifs et de moyens, qui pourraient être utilisés pour inciter, non seulement à la productivité, mais à la qualité des soins. Puisque nous mettrons à la disposition des agences régionales de santé toutes les données concernant la qualité des soins, par le biais des indicateurs et de la certification des établissements, leur politique de contractualisation pourra comporter des objectifs de qualité. Les agences pourront ainsi prévoir un système de double enveloppe, ayant certes pour objectif principal la productivité, mais pour objectif secondaire la qualité, comme un contrepoids, dont on peut faire varier l’importance : si on souhaite diminuer le poids de l’hôpital dans le parcours de soins, il suffira de faire décroître l’incitation à la productivité en augmentant la deuxième enveloppe.

M. le coprésident Pierre Morange. On voit qu’en France, la réflexion est intense et les travaux préparatoires de qualité : le problème, c’est le passage à l’acte. Pouvez-vous nous indiquer un agenda de mise en œuvre de ces réformes pour l’ensemble du parc hospitalier et le réseau de soins, dans l’hypothèse d’une volonté politique forte – que l’installation des préfigurateurs des agences régionales de santé semble attester ?

Où en est notamment la procédure de certification des logiciels d’aide à la prescription (LAP) que vous aviez évoqués lors d’une précédente audition et qui pourraient constituer un outil commun au secteur de ville et au secteur hospitalier ?

M. Laurent Degos. La promotion de la chirurgie ambulatoire peut commencer dès demain, et c’est précisément la conscience de cette possibilité qui a poussé MM. Jean-Michel Dubernard et Jean-Paul Guérin à imaginer le colloque parlementaire. Comme l’a dit M. Dubernard, cela nous permettrait de fermer 80 % des lits de chirurgie d’ici dix ans. Mais pour inciter les établissements à une mutation organisationnelle et culturelle d’une telle ampleur – faire passer le taux de la chirurgie ambulatoire de 30 % à 80 % de l’activité des établissements –, il faut mobiliser au départ un financement minimal. Cela suppose la valorisation tarifaire de la chirurgie ambulatoire : un changement tarifaire, même pour trois ans, suffira à faire bouger tout le monde. C’est là une décision politique simple. Or, la tarification actuelle incite au contraire à réduire la place de l’ambulatoire puisque les établissements perdent de l’argent s’ils font de l’ambulatoire.

Je veux insister sur le fait qu’il y a deux types de chirurgie ambulatoire. La chirurgie ambulatoire courante, dont M. Jean-Michel Dubernard a donné des exemples, permettrait déjà des progrès considérables. Mais il y a une chirurgie ambulatoire beaucoup plus complexe, qui nous a été exposée lors du colloque parlementaire : si elle suppose des procédures de sécurité plus sophistiquées, elle est susceptible, par sa dimension d’expertise et d’innovation, de provoquer l’engouement des centres hospitaliers universitaires. Là encore, c’est une question de tarification : seul un changement de tarification pourrait inciter les hôpitaux à adopter l’organisation spécifique qu’impose la chirurgie ambulatoire.

M. François Romaneix, directeur de la Haute Autorité de santé. En ce qui concerne les logiciels d’aide à la prescription, nous avons établi le référentiel de certification des logiciels d’aide à la prescription à partir d’une charte qualité des bases de données médicamenteuses, instrument indispensable pour faire fonctionner le logiciel.

M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous nous éclairer sur la coopération entre la Haute Autorité de santé et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) dans la mise en place d’une base de données relative aux médicaments accessible à tous les praticiens ?

M. François Romaneix. L’expression « base de données » est polysémique. Celles dont je parle ici sont celles qui servent de support aux logiciels d’aide à la prescription certifiés.

Le référentiel de certification des logiciels d’aide à la prescription en médecine ambulatoire existe depuis un an, mais un seul logiciel d’aide à la prescription est actuellement certifié dans ce domaine. Nous devons donc réfléchir cette année à mettre en place un système, incitatif ou contraignant, pour faire entrer l’ensemble des éditeurs de logiciels dans le dispositif.

Nous n’avions souhaité définir le référentiel de certification des logiciels d’aide à la prescription hospitaliers que dans un deuxième temps, en raison de la forte imbrication entre ces derniers et les systèmes d’information hospitaliers. Ce travail est en cours et devrait être terminé d’ici la fin de l’année. Nous pourrons alors lancer la procédure de certification des logiciels d’aide à la prescription hospitaliers, à la condition, là encore, que nous ayons traité la question de l’entrée des éditeurs de logiciels dans le dispositif, soit par la voie de l’incitation, soit par celle de l’obligation.

En ce qui concerne la mise à la disposition du public de l’information sur le médicament, le ministère de la santé a mis en ligne un portail internet unique donnant accès aux différentes sources d’information que sont le Haute Autorité de santé, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et l’Assurance maladie. Ce site est appelé à évoluer, les fonctionnalités de la version actuelle étant limitées. Le ministère travaille notamment à la constitution d’un moteur de recherche permettant l’accès à l’ensemble des données.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Que pensent les organismes en charge de l’hôpital de votre proposition relative à la T2A et pourquoi celle-ci n’est-elle pas mise en œuvre ?

M. Laurent Degos. Je pense que l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux est sur la même ligne que nous : c’est plutôt au niveau des autorités chargées de la tarification que cela bloque. Nous sommes prêts, nous, à travailler à tout ce qui contribue à l’efficience des soins hospitaliers, mais la décision relève du politique.

M. Jean-Michel Dubernard. Je veux souligner que chirurgie ambulatoire n’est pas synonyme de petite chirurgie. Ainsi, aux États-Unis et au Royaume-Uni, les prostatectomies radicales relèvent de la chirurgie ambulatoire.

Il est vrai, monsieur le coprésident, que la difficulté de passer à l’acte est un mal français – il suffit de voir le cas des agences régionales de santé, qui ne sont toujours pas mises en place. Mais à l’hôpital, ce mal s’explique par l’absence de gouvernance. Or si la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires comporte beaucoup d’avancées en matière de coopération entre le secteur public et le secteur privé au sein des territoires, elle ne règle en rien le problème de la gouvernance – c’est un avis personnel.

Il n’y a pas d’autre pays, que je sache, où le maire préside le conseil d’administration des hôpitaux. Certes la loi l’autorise à ne plus l’être. Nous verrons bien ce qu’il en sera.

Partout ailleurs, dans les grands pays développés, le président du conseil d'administration est issu des personnalités qualifiées et celui-ci nomme un directeur d'établissement qui ne sort pas forcément d'une école spécialisée en santé publique, comme l’École des hautes études en santé publique de Rennes. Surtout, le président du conseil d’administration nomme un directeur médical chargé d’appliquer les décisions de la commission médicale d’établissement.

C’est là le fond du problème : il n’y a aucune autorité à l’hôpital, que ce soit sur le plan administratif ou sur celui de l’organisation médicale. Si vous voulez savoir comment un établissement doit fonctionner, je vous invite à auditionner des représentants du CHU de Liège. Son président est un ancien assureur et son directeur général est issu de la Cour des comptes. Le directeur médical règle les trois quarts des problèmes. En France, on a créé une organisation en pôles d’activité mais sans supprimer les services.

Régler ce problème de gouvernance est la clé de la réussite de l’hôpital.

M. Laurent Degos. Les propos de M. Dubernard n’expriment pas la position officielle de la Haute Autorité de santé, qui est bien décidée à faire au mieux avec la loi.

M. Jean-Paul Guérin. Je voudrais évoquer un problème qui n’a pas encore été abordé : celui de la gestion du personnel, dont mon expérience à la tête d’établissements hospitaliers m’a appris l’extrême complexité. Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’elle soit plus simple dans les cliniques.

Or, si demain l’activité hospitalière est surtout ambulatoire, nombre de difficultés en matière de gestion du personnel s’en trouveront réglées. Certes, cela ne résoudra pas les problèmes de fond, notamment statutaires. On ne doit pas négliger l’inertie et les résistances qui, surtout dans les grandes structures, s’opposent à tout passage à l’acte.

Il faut cependant noter que notre nouvelle procédure de certification des établissements de santé, qui débute cette année, prend mieux en compte tous les points que nous venons d’évoquer, notamment la chirurgie ambulatoire. Nous pouvons également nous féliciter de la convention que nous avons passée avec l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, signée, le 16 décembre 2009, à l’Assemblée nationale. Certes, nous ne réglerons pas à nous seuls le problème de l’hôpital, mais nous apporterons notre pierre à l’édifice.

Nous voudrions enfin insister sur l’importance des critères de qualité en matière de gestion du personnel. Il y a là une piste, déjà répertoriée dans la procédure de certification, mais qui reste encore largement à explorer.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous en sommes d’accord, il n’est pas possible de traiter de la qualité sans nous intéresser à ceux qui la mettent en œuvre. Les personnels sont donc au cœur du raisonnement. Cependant la question dépasse celle des statuts, quelle que soit leur importance.

Modifier aussi profondément le fonctionnement de l’hôpital et les modalités de production de ses services ne peut non plus se faire sans prendre en compte les réactions des usagers. Ils sont directement concernés.

M. Laurent Degos. La Haute autorité de santé se préoccupe de la situation du personnel par le biais de la vie à l’hôpital – c’est-à-dire du travail –, de l’évaluation des pratiques et de la formulation de recommandations. Nous travaillons avec les personnels.

La situation de l’usager, en revanche, constitue une problématique relativement nouvelle. La Haute Autorité de santé va prochainement publier un rapport sur l’information du public. Nous travaillons aussi sur l’impact clinique de la qualité sur le patient. Au cours d’un symposium organisé avec le British Medical Journal le 19 avril 2009, 300 équipes françaises ont pu montrer l’impact clinique des programmes d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins sur la morbidité et la mortalité.

Enfin, nous nous préoccupons de la maltraitance – et donc de la bientraitance ou de la satisfaction. Nous avons réuni hier une conférence de presse sur la maltraitance ordinaire. Non seulement on doit respecter le malade lorsqu’on lui parle, mais on doit aussi l’écouter et l’informer. Nous avons également organisé avec les usagers un séminaire de recherche, réparti sur trois séances, pour comprendre ce qu’ils attendaient de nous. Après avoir privilégié ses rapports avec les institutionnels, pendant ses deux premières années d’existence, puis avec les professionnels, pendant les deux suivantes, la Haute Autorité de santé s’est tournée ces deux dernières années vers l’usager, le patient, sous les angles à la fois de la maltraitance ordinaire, de l’information qui doit lui être apportée, de son engagement comme acteur de sa santé et de son implication dans la conception de l’organisation.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Merci d’avoir répondu d’aussi bonne grâce à nos questions. Merci d’avance, également, de nous communiquer d’éventuels éléments complémentaires qui pourraient vous paraître utiles à nos travaux.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède enfin à l’audition de Mme Claude Rambaud, présidente de l’Association de lutte, d'information et d’étude des infections nosocomiales – Le Lien, membre du collectif interassociatif sur la santé (CISS) et de M. Nicolas Brun, chargé de la santé à l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et président d’honneur du Collectif interassociatif sur la santé.

M. Le coprésident Pierre Morange. Nous souhaitons maintenant la bienvenue à Mme Claude Rambaud, présidente de l'Association de lutte, d’information et d’étude des infections nosocomiales – Le Lien, membre du Collectif interassociatif sur la santé et à M. Nicolas Brun, chargé de la santé à l’Union nationale des associations familiales et président d’honneur du Collectif interassociatif sur la santé.

Mme Claude Rambaud, présidente de l’Association de lutte, d’information et d’étude des infections nosocomiales Le Lien, membre du collectif interassociatif sur la santé. Le Lien, dont je suis la présidente, est partie prenante de la lutte contre les infections nosocomiales au sein du Collectif interassociatif sur la santé qui regroupe des associations intervenant dans le champ de la santé. L’association ayant élargi son action à la sécurité des patients, c’est sur cet aspect, sur lequel je travaille depuis de très nombreuses années, que sera centré mon propos.

M. Nicolas Brun, chargé de la santé à l’Union nationale des associations familiales et président d’honneur du Collectif interassociatif sur la santé. La qualité et la sécurité des soins, pour ce qui est du point de vue des usagers, nous ont en effet semblé, à la lecture des différentes auditions auxquelles vous avez procédé, constituer un sujet intéressant pour débuter cette audition.

M. le coprésident Pierre Morange. La Haute Autorité de santé a adopté la même démarche. Elle élabore des référentiels qui ont vocation à être mis en œuvre dans l’ensemble des établissements de soins. Elle travaille aussi sur la qualité de la relation avec le malade, sur celle des soins prodigués, et sur la bientraitance du patient qui, par essence, est mis en situation de fragilité, en raison de sa pathologie et de sa dépendance, du fait de ses relations avec les professionnels de santé.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Chacun cherche à optimiser l’articulation entre une certaine efficacité de l’utilisation des moyens donnés à l’hôpital et la nécessaire qualité des services fournis. Cette recherche pose forcément la question à la fois de la place que doivent y avoir les usagers et de la gouvernance de l’hôpital sous le nouveau régime de la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Quelles sont les conditions d’accès des patients à leur dossier médical ? Comment sont-ils dirigés dans le parcours de soins ? Quelles préconisations formulez-vous pour la gestion interne de l’hôpital, en matière de tarification, de relations entre secteurs public et privé et d’articulation de ces secteurs sur le territoire ?

M. Nicolas Brun. En 1996, la présence de deux représentants des usagers au sein des conseils d’administration des hôpitaux a été instituée par ordonnance ; le décret du 7 juillet 2005 a élargi ce nombre à trois. Néanmoins, il n’a pas été facile aux représentants des usagers de trouver leur place au sein des conseils d’administration et autres commissions des relations avec les usagers. La justification de leur présence a été contestée : on leur a fait savoir que chacun connaissait les attentes des usagers, qu’il s’agisse du directeur qui, en cas de conflit, voit arriver ceux-ci dans son bureau, ou encore des chefs de services, des médecins, et de façon générale du personnel qui, étant en contact permanent avec les usagers, ont le sentiment de connaître leurs attentes. Trouver notre place et affirmer notre différence à l’égard des autres membres des conseils d’administration n’a donc pas toujours été facile.

Aujourd’hui cependant, plus personne ne doute de l’intérêt de la représentation des usagers. Certes, celle-ci reste très hétérogène, du fait de sa nouveauté et de sa composition : les représentants sont, le cas échéant, des personnes malades, donc elles-mêmes fragilisées.

Si les ordonnances de 1996 visant à réformer la sécurité sociale et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ont permis la représentation des usagers, elles n’en ont pas forcément créé les conditions d’exercice. Bien souvent, l’organisation de l’hôpital prime sur la participation des usagers : les réunions ont toutes lieu en journée, pendant les heures de travail des professionnels. Elles s’égrènent parfois tout au long de la semaine, alors que les regrouper au sein d’une même journée faciliterait l’exercice de leur mandat par les représentants. La participation de ceux-ci peut donc se trouver obérée par ce mode d’organisation du fait de leurs contraintes professionnelles.

Alors que la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé avait institué pour eux une sorte de statut, incluant congé de représentation et possibilités d’indemnisation – des frais de transport notamment –, il faut bien constater que sa mise en œuvre est insatisfaisante : méconnus, y compris par les employeurs des représentants, les congés de représentation sont très peu utilisés ; le remboursement des frais n’est pas assuré : beaucoup d’hôpitaux soit arguent de leur déficit pour s’en dispenser, soit même s’interrogent sur leur droit à prendre en charge ces frais. Pourtant, ce n’est pas faute de notre part de réclamer, auprès de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, l’envoi de circulaires rappelant aux établissements leurs obligations. Faire vivre la démocratie sanitaire au sein des établissements comme du reste dans d’autres structures – conférences régionales ou autres groupes de travail locaux, départementaux ou régionaux – est donc une vraie difficulté. Or, si la représentation des usagers n’est pas considérée comme un atout pour la santé, elle risque d’être laissée en déshérence. En conséquence les usagers pourront en venir à désespérer de pouvoir exercer leur mandat.

L’accréditation et la certification ont aussi permis aux usagers, par leur participation, de montrer que le regard extérieur qu’ils peuvent porter sur l’hôpital est utile aux professionnels de santé, et que leur relation avec eux n’est pas une relation de conflit.

L’une des craintes initiales majeures des professionnels était celle du consumérisme médical. Nous pouvons tous constater aujourd’hui que, en portant sur les pratiques un regard critique, en aiguillonnant les équipes, en leur demandant, par exemple, si les difficultés, d’organisation ou de personnel qu’ils rencontrent ne sont pas liées à des habitudes qui ne permettent plus de prendre conscience du caractère déviant, voire maltraitant, de certaines pratiques, les représentants des usagers concourent plutôt à l’amélioration de la qualité.

Leur regard extérieur libère également la parole des professionnels : à la fin des années quatre-vingt-dix, lors de réunions sur ces thèmes, c’était le plus souvent le chef de service qui s’exprimait, le reste de l’équipe, notamment les infirmières, restant muet. Une douzaine d’années plus tard, il se révèle possible de tenir une discussion, parfois animée, sur la qualité, sans pour autant que les professionnels aient l’impression d’être soumis à un jugement et de recevoir des leçons de la part des usagers. Nous voulons renforcer cette dynamique, afin de permettre à l’hôpital d’évoluer en fonction non seulement des textes et des techniques, mais aussi du regard des usagers.

Le traitement des plaintes et réclamations est un autre exemple intéressant : à la différence d’autres secteurs, industriels ou commerciaux, l’hôpital autrefois ne tirait aucune conséquence des plaintes et réclamations. L’attitude pouvait même être celle du mépris envers des récriminations de personnes qui avaient déjà la chance d’être soignées.

Aujourd’hui, bon nombre d’établissements ont compris l’intérêt d’utiliser la parole des usagers pour repérer et identifier des dysfonctionnements, valoriser des bonnes pratiques. Nous sommes toujours attentifs aux lettres d’usagers faisant l’éloge de leur prise en charge ou de telle ou telle pratique au sein des services, afin d’étendre ces procédés à l’établissement.

En s’inscrivant dans une démarche de qualité plutôt que dans un mode de gouvernance administrative, la participation des usagers dans les établissements apparaît comme un levier d’évolution de l’hôpital.

Mme Claude Rambaud. Plus que sur la qualité, j’insisterai pour ma part sur la sécurité. Le cœur d’activité du Lien a en effet trait à la détection des dysfonctionnements qui conduisent souvent à des désastres humains pour la famille et qui peuvent laisser des équipes en état de choc.

Comment développer la prévention ? La réforme hospitalière la plus significative est celle qui, il y a trente ans, a créé en faveur des personnels les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Elle a enfoncé un coin dans le pouvoir des directeurs. Le CHSCT est, avec le droit d’alerte, le droit de retrait et la capacité à mener des enquêtes, la seule institution représentative à disposer de véritables moyens.

À cet égard, nous demandons – ce qui manque dans la réforme récente – la création d’une structure équivalente au profit des usagers des établissements de santé, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Rien ne justifie que les patients ne disposent pas eux aussi d’une structure capable de mettre en œuvre des moyens d’instruction, d’enquête, voire d’alerte des tutelles. Aujourd’hui, in fine, le directeur pilote sans contrôle. Alors que, dans les grandes industries à risque, des directeurs d’audit disposent de la capacité de suspendre une organisation défaillante, tel n’est pas le cas à l’hôpital. De ce fait, s’instaure une zone que j’appellerai de confort, où chacun trouve son compte mais où des désastres peuvent tranquillement se préparer. La prévention que permettrait une telle structure créée au profit des usagers serait source d’économies de ressources tant humaines que matérielles.

Pour promouvoir la qualité, nous devons aussi nous intéresser aux gestionnaires de risques. Aujourd’hui des jeunes sans aucune expérience des soins sont nommés à de tels postes. Mais comprendre la complexité d’un geste techniquement aussi simple que la pose d’une perfusion réclame une formation solide. La loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires doit pouvoir le permettre et faire aussi en sorte qu’ils disposent d’une autorité fonctionnelle – c’est vrai aussi pour les présidents des comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) : aujourd’hui, s’ils formulent des recommandations et sont très bien informés, ils ne disposent d’aucune autorité pour suspendre une organisation défaillante et créatrice de risques pour le patient.

Par ailleurs, rejoignant ici le discours sur les indicateurs de qualité et de sécurité, nous souhaitons que les revues de mortalité et de morbidité (RMM) soient rendues obligatoires et non pas conduites sur la base du volontariat. Comment un praticien peut-il envisager de ne pas connaître le processus morbide du patient qu’il a en charge ? L’excuse du manque de temps avancée par les médecins n’est pas recevable : ces revues sont menées sans difficulté dans les pays anglo-saxons. La France ne doit pas être en retard.

La certification des établissements de santé, qui est obligatoire, constitue un levier majeur. Ses résultats doivent être intégrés dans les dossiers de demandes d’autorisation et les agences régionales de santé devraient en tenir compte lorsqu’elles prennent leurs décisions. Autrefois, en Île-de-France, ils figuraient dans les dossiers présentés au comité régional de l'organisation sanitaire (CROS) – je le sais pour y siéger. Tel n’est plus le cas aujourd’hui : avant de prendre une décision, il nous faut aller les rechercher sur le site de la Haute Autorité de santé. En cas de dysfonctionnement majeur pointé par celle-ci, le lien doit être fait avec l’agence régionale de l’hospitalisation de façon à en trouver l’explication. Après dix ans de pédagogie, il faut aujourd'hui passer à une nouvelle étape.

Enfin, non seulement l’accréditation des praticiens est limitée aux disciplines à risque, mais elle a un caractère volontaire. Or, rien ne justifie que les référentiels sur lesquels s’engagent les praticiens qui se font accréditer ne bénéficient pas à l’ensemble des patients relevant de ces disciplines à risque.

De plus, alors que l’accréditation ouvre aux praticiens volontaires du secteur libéral et privé une prise en charge financière d’une partie de leur assurance responsabilité civile professionnelle, il n’y a pas de raison, dès lors que les médecins du secteur public sont demandeurs, qu’un dispositif de prise en charge par l’Assurance maladie comparable à celui existant pour le secteur libéral ne soit pas trouvé en leur faveur.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. La durée d’hospitalisation est de plus en plus courte. Si, pour moi, c’est un élément positif, elle aboutit à faire évoluer quelque peu votre action en faveur des usagers : ne vous faut-il pas désormais vous intéresser aussi à l’amont et à l’aval du séjour à l’hôpital, et donc à l’ensemble du parcours du patient ?

M. Nicolas Brun. Nous nous félicitons de la diminution de la durée des séjours à l’hôpital, y compris du point de vue de la sécurité : il vaut mieux sortir de l’hôpital qu’y rester ! Cependant, la sortie doit être préparée. Avant de faire sortir un patient, l’établissement doit s’assurer que l’environnement dans lequel il va vivre peut l’accueillir. Or, aujourd’hui, tel n’est souvent pas le cas. Dans les réclamations qui nous parviennent, nous constatons que parfois la personne sort sans que quiconque se soit assuré qu’elle n’est pas seule à son domicile, que ses conditions de logement permettent une prise en charge et que, sur le terrain, les professionnels de santé éventuellement nécessaires sont présents.

Nous allons nous intéresser de plus en plus près à l’amont et à l’aval de l’hospitalisation. Il est indispensable que la réforme instaure effectivement une logique de parcours, et que, au-delà des services de l’hôpital, celle-ci englobe l’amont, l’aval, mais aussi l’environnement économique et social du patient : celui-ci peut grever entièrement un parcours thérapeutique techniquement parfait. L’hôpital doit donc mieux connaître l’environnement du patient et considérer que, loin de se limiter aux soins qu’il effectue entre ses quatre murs, il est garant de la sécurité de l’ensemble du patient en amont et en aval. C’est un changement culturel.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Comment faire ?

M. Nicolas Brun. Il y faut d’abord des instruments de collaboration : l’établissement ne doit pas être centré sur lui-même. Des conventions, des modalités d’organisation, doivent pouvoir favoriser cette évolution.

Le travail social à l’hôpital doit aussi être valorisé : il fait partie des soins.

La loi doit également se traduire pleinement en termes d’action sur les territoires. Aujourd’hui, à propos de la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la population n’entend que rationalisation des soins, fermeture d’établissements, expulsion des malades après un séjour plus court pour des raisons d’économies. Pour la rassurer, il faut remettre cette loi en perspective, rappeler que de nouvelles organisations sont en cours de mise en place, les rendre effectives. Nous constatons parfois que la création de maisons de santé, de garde, de collaborations, n’est pas suivie d’effet.

Il peut même arriver que des dispositifs soient élaborés sans que le public soit au courant. Des maisons de santé ou de garde sont ainsi créées sans que la population y ait recours parce qu’elle ne sait pas qu’elles existent ou à quoi elles servent. Un travail pédagogique est donc indispensable pour que le parcours proposé aux patients soit clairement identifié, compréhensible et lisible. Un tel travail reste à faire.

Mme Claude Rambaud. Le parcours du patient est en effet une question sensible. Au Lien, il ne se passe pas de semaine sans que nous recevions un dossier mettant en cause le premier recours. Il est urgent d’agir pour les urgences ! Faut-il qu’elles soient assurées dans des maisons médicales de proximité ? Comment mettre fin aux déserts médicaux ? La question de l’accès aux soins pour tous est cruciale.

Hier soir encore, un courrier reçu sur ma messagerie faisait état d’un patient qui, venant de subir une grave crise d’épilepsie dans un restaurant et transporté aux urgences par les pompiers, y a attendu trois heures, pendant lesquelles il a fait une seconde crise, au cours de laquelle une chute lui a causé un traumatisme crânien : aujourd’hui, il est handicapé à vie. Or il faut savoir que les dossiers que nous recevons ne révèlent qu’une toute petite partie des dysfonctionnements de l’hôpital.

Cela dit, vous avez raison d’évoquer l’amont et l’aval. Aujourd’hui, en matière de qualité de soins et de sécurité des patients, deux secteurs sont mal voire pas du tout évalués : la médecine de ville et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Alors que ces établissements hébergent des personnes très fragiles, les plus vulnérables, elles ne sont pas dotées de système d’accréditation ou d’évaluation.

Nous souhaitons des mesures en faveur de la lutte contre les infections associées aux soins en médecine de ville. Les cabinets de radiologie nous préoccupent particulièrement. Cette action, dont le dossier est aujourd’hui à la Direction générale de la santé, faisait partie du plan stratégique de lutte contre les affections associées aux soins. Nous nous sommes attaqués au dossier de la désinfection des sondes d’échographie endocavitaire. C’est un bras de fer que nous avons engagé avec la profession, qui se protège. Son raisonnement, aux termes duquel, pour agir, il faut d’abord que des victimes aient été repérées, n’est pas acceptable : d’une part, comme on touche à l’intimité, celles-ci ne se feront pas connaître ; d’autre part, il n’est pas possible de distinguer les infections dues à cette cause et les contaminations par voie sexuelle.

La recommandation actuelle en matière de désinfection est que la décision doit être prise après examen visuel du praticien. Peut-être aujourd’hui ceux-ci voient-ils les bactéries à l’œil nu… En médecine de ville une évaluation devait être engagée et des contrôles conduits. Alors que, depuis plusieurs années, les ministres se sont engagés en ce sens, rien ne progresse. Au passage une telle action serait aussi source d’emplois.

Un effort d’évaluation considérable des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes est aussi à conduire. Ils reçoivent des personnes extrêmement vulnérables, en perte d’autonomie, qui ne peuvent plus s’exprimer correctement, ni faire valoir leurs droits.

Nous devrons aussi faire un effort dans le secteur de la maternité. La règle du court séjour peut y être cause de graves troubles familiaux et sociaux. Aujourd’hui, des jeunes femmes – de plus en plus nombreuses – qui n’ont pas la chance de pouvoir être assistées de leur mère à la maison, sortent de la maternité après un séjour de 24 ou 48 heures, sans savoir comment s’occuper de leur bébé. Cette situation peut être cause de rupture au sein du ménage, de rupture sociale, et, en conséquence, de conditions de croissance catastrophiques pour un enfant. Mettre en place, en ville, des structures de périnatalité, éventuellement associatives, pour prendre en charge les mamans, mères de leur premier enfant ou non, devient urgent. Dans le département des Hauts-de-Seine, malgré tous nos efforts, nous n’y avons pas réussi. Nous devons nous occuper de ce problème.

M. le coprésident Pierre Morange. Quel est votre sentiment sur la logique du parcours de soins ? Nous ne pouvons pas découpler notre réflexion sur l’hôpital d’une réflexion sur l’amont et l’aval, c'est-à-dire sur le secteur ambulatoire, dit encore de ville. La logique du parcours de soins renvoie en effet non seulement à des schémas d’organisation, mais aussi au fil rouge que constituent la maîtrise et le partage de l’information, auxquels les représentants des usagers sont – très légitimement – attachés.

Le dossier, très lourd et complexe, du dossier médical partagé a connu bien des aléas. Les pays qui ont voulu le mettre en œuvre n’y sont parvenus qu’après plusieurs années ; les incidences financières sont toujours sensibles.

À l’issue de réflexions précédentes, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale avait proposé un dispositif d’attente en vue d’un partage de l’information entre les professionnels de santé et aussi les patients, susceptible de permettre un processus d’autosurveillance très vertueux. Il consistait en un support informatique sécurisé, une clé USB par exemple, détenu par le patient lui-même. Grâce à ce support, celui-ci est le détenteur de son propre dossier. Ce dispositif s’inscrivait dans une logique de sécurisation – pour répondre à l’obligation de confidentialité – et aussi de transmission et de partage des données. Pragmatique, d’un coût infiniment moindre que le dossier médical personnel (DMP), il ne fermait pas la voie à l’implantation progressive de celui-ci.

À la suite de ces travaux, mes collègues de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, notamment MM. Dominique Tian et Jean-Pierre Door, et moi-même avons déposé une proposition de loi instituant une clé USB détenue par le patient et présentée à chaque consultation auprès d’un praticien.

Des dispositions législatives ont été présentées, sous forme d’amendements, puis adoptées. Ce n’est que pour des raisons de forme – elles ont été considérées comme des « cavaliers » législatifs – qu’elles ont été annulées par le Conseil constitutionnel. Pour autant, nous avons cru comprendre que certaines associations de patients y étaient opposées, les qualifiant de « crécelle du XXIe siècle ». Notre philosophie était pourtant, dans une démarche politique, de répondre à la fois à la logique du parcours de soins, aux besoins des patients et à la nécessaire transmission des informations entre professionnels de santé. Nous le savons, les systèmes informatiques hospitaliers et ambulatoires ne sont encore ni interconnectés ni normalisés. Le dispositif nous paraissait clair, lisible, fonctionnel, éminemment démocratique et – du fait de la détention des informations par le patient – inscrit dans une logique de sécurité sanitaire. Quel est à cet égard votre sentiment ?

Mme Claude Rambaud. Le collectif n’a formulé de réserves qu’au titre de la sécurité et de la confidentialité des données. La clé USB permettrait peut-être de régler aussi le problème de l’exposition aux rayons X lors des radiodiagnostics à répétition et qui sont enregistrés par l’organisme pour toute la vie. Il arrive que, par exemple en réanimation néonatale – mon expérience humanitaire l’a confirmé –, l’on fasse à un nourrisson deux radios par jour, et durant plusieurs jours, sans la moindre protection des gonades ou des ovaires et sans que cela ne dérange personne. Et vous ne seriez pas plus protégé vous-même si vous alliez faire une radio du poignet. La clé USB apporterait une traçabilité des examens, sachant que des cancers sont provoqués par un trop grand nombre de radiodiagnostics, comme dans le cas de scolioses.

M. le coprésident Pierre Morange. Je suis heureux de vous l’entendre dire. Dans notre proposition législative – car nous sommes tenaces – cette clé USB est sécurisée, avec un double cryptage ; elle ne peut en aucun cas être exploitée en cas de perte ; la Commission nationale de l’informatique et des Libertés (CNIL) est consultée et ses prescriptions sont reprises dans un décret.

Mme Claude Rambaud. À l’époque, nos doutes concernaient la protection de la confidentialité des données hébergées sur la carte à puce. Aujourd’hui, j’ai bien noté qu’elle appartiendrait au patient.

M. le coprésident Pierre Morange. Je prends acte de votre appui à notre action législative en la matière. Il s'agit d’une démarche au service du patient : en dehors de ce dernier et des praticiens choisis par lui, personne d'autre n’aura accès à la clé et à ses données. On rediscutera donc de la proposition de loi en tenant compte des demandes que vous avez formulées depuis de nombreuses années.

Mme Claude Rambaud. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser voilà vingt-cinq ans à la iatrogénie, j’ai alors découvert que l’Assurance maladie ne conservait pas en archives les dossiers des patients.

M. le coprésident Pierre Morange. Et donc la clé USB pallierait cette carence…

Mme Claude Rambaud. Ce serait bien utile : en effet, quand un patient change d’établissement on recommence, dans la plupart des cas, tous les examens. Cela permettrait aussi une traçabilité de l’ensemble du parcours du patient dans une pathologie déterminée, ce qui permettrait peut-être un jour de disposer d'une visibilité sur la iatrogénie.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est toute la vocation du stockage des données, sachant que les technologies continueraient à évoluer puisqu’on pourra embarquer de l’imagerie grâce à la compression numérique.

M. Dominique Tian. Une des dernières lois de financement de la sécurité sociale fait obligation de délivrer, en fin de séjour, une facture à chaque patient. Mais cette obligation, respectée par les cliniques privées, paraît impossible à mettre en œuvre à l’hôpital. Êtes-vous favorable à ce qu’elle y devienne rapidement une réalité ? Ce serait un élément de transparence important qui permettrait au patient de savoir quel acte a été effectué et combien il coûte à la collectivité.

M. Nicolas Brun. Nous sommes favorables à la transparence de l’information, médicale comme économique. Il faut que les usagers, en vue de leur responsabilisation, sachent, d’une part, ce qu'on leur a fait, d’autre part combien cela coûte. Non pour mettre l’accent sur le coût, mais pour informer. Je m’explique.

Aujourd’hui, dans les services d’urgences, les personnes attendent parfois plusieurs heures avant d’être enregistrées – pour les services, le délai de prise en charge ne court d’ailleurs qu’à partir de l’enregistrement et non de l’arrivée du patient à l’hôpital –, puis d’être examinées. C’est ce qui explique que certaines d’entre elles, déjà enregistrées, repartent de l’hôpital sans voir personne. Or cela ne les empêche pas de recevoir quelques semaines plus tard une facture, tout comme d’ailleurs celles qui, bien qu’ayant été reçues, sans savoir d’ailleurs s’il s’agissait d’un médecin ou d’un infirmier, n’ont reçu aucun soin. Il leur faut une explication car la seule information économique ne peut, dans leur cas, qu’être que source d’incompréhension.

M. Dominique Tian. La nature de vos relations avec les ordres professionnels, notamment des médecins, est-elle satisfaisante ?

M. Nicolas Brun. Les rapports sont parfois difficiles, par exemple avec les conseils départementaux de l’Ordre des médecins sur des problèmes de refus de soins. Non seulement les patients se montrent réticents à porter plainte devant un conseil départemental – soit parce qu’ils considèrent que l’ordre se protège, soit parce qu’ils ont été persuadés que cela ne sert à rien –, mais les décrets pris dans le cadre de la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires conduisent à une organisation sinon impossible à mettre en place, du moins très longue, compliquée et n’assurant pas l’équité.

Pour autant, nous collaborons régulièrement avec les ordres, en particulier celui des médecins avec lequel nous tenons des réunions thématiques. Mais de là à dire que nous sommes satisfaits de l’organisation locale des ordres, c’est un pas que nous ne franchirons pas.

Mme Claude Rambaud. La transparence doit valoir également, au-delà de l’aspect financier, pour les actes médicaux. Or, si la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé prévoit que tout patient doit être informé de l’événement iatrogénique dont il est victime, et que chaque établissement ou professionnel – même anonymement – doit déclarer à l’autorité administrative les accidents dont il a pu être témoin, aucune de ces deux règles n’est aujourd'hui appliquée. On est encore au stade de l’expérimentation d’un document CERFA, et un coup de pouce de votre part en la matière serait précieux.

Pour notre part, nous préférons la prévention aux sanctions pénales et nous sommes d’ailleurs favorables à une modification de la loi pénale dans le domaine médical. Mais on ne pourra prévenir que pour autant que l’on connaît. Aussi conviendrait-il à tout le moins que la loi soit appliquée.

Concernant les méthodes de financement des établissements et la tarification à l’activité (T2A), il faut être attentif à la promotion des actes techniques. M. Brun a pu parler à cet égard de valorisation de l’acte social, mais on pourrait également citer l’acte éducatif ou l’acte de santé publique. Sachant en effet que les méthodes de financement ont un impact sur les pratiques médicales et que l’on attribue une cotation à une pratique, cette dernière se trouvera promue. Il arrive donc qu'on fasse plus d’actes à cotation avantageuse qu'il ne conviendrait d’en faire. La justification de l'acte devrait donc figurer dans le dossier du patient.

M. Nicolas Brun. Sans remettre en cause la T2A, car le budget global présentait nombre de déficiences, celle-ci ne doit pas conduire à une sélection des patients ou des pathologies. Dans le cas d'un établissement déficitaire, quelle sera la marge de manœuvre du directeur – qui est également jugé sur sa capacité à un retour à l’équilibre financier –, pour continuer à prendre en charge des pathologies par définition déficitaires parce que mal cotées ? Il y a là un risque de discrimination dans les prises en charge et des inégalités devant l’accès aux soins. La T2A a certes des vertus, mais elle ne doit pas inciter à une logique de régulation économique des soins qui aurait pour conséquence la non prise en charge, par des établissements, de certains patients ou de certaines pathologies.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Le patient est à la fois un agent économique, un contribuable un cotisant et un citoyen, et on ne peut ignorer cette composante de la tarification et de l’équilibre économique des établissements.

Pour sa part, la T2A est un sujet complexe, comme on a encore pu le constater dans nos échanges avec les représentants de la Haute Autorité de santé.

La T2A répond d'abord à une logique du juste prix, avec la mise en place d’un système d’analyse des coûts permettant de trouver la bonne tarification pour la prestation fournie. Cela suppose que le codage des actes soit réalisé de façon objective, ce qui, en toute bonne foi, n'est pas toujours simple. C’est ainsi que tel ou tel codage – voire telle ou telle réponse sanitaire – peut être privilégié parce qu’il se révèle plus intéressant qu’un autre, ce que nous sommes tous d’accord pour condamner. Mais la T2A peut aussi être comprise comme étant un outil de tarification et de gestion qui doit aussi servir à la puissance publique pour orienter les activités hospitalières, par exemple en direction de la chirurgie ambulatoire – si on souhaite la développer. Quel est votre sentiment ?

Par ailleurs, la T2A s’inscrit par référence au secteur privé avec, en ligne de mire, la convergence, ou la cohérence, des deux secteurs. Mais alors que l’on veut clarifier et rationaliser, on ajoute des compensations – les MIGAC ou les enveloppes qualité –, ce qui n’est pas forcément favorable à la lisibilité du système et à sa bonne gestion. Quels sont, à cet égard, votre avis et vos suggestions ?

Mme Claude Rambaud. Avant de parler de convergence, il conviendrait d’abord de redéfinir les missions de l’hôpital – sachant que les établissements privés participent également au service public –, ce qui soulève notamment le problème des dépassements d’honoraires et de la révision des statuts des personnels de la fonction publique hospitalière. Mais nos associations ne sont pas vraiment compétentes pour en discuter encore que je proposerais pour la promotion de la carrière de se fonder notamment sur des résultats en termes de qualité et de certification. En tout cas, il ne peut y avoir de convergence sans révision des statuts.

M. Nicolas Brun. La T2A peut pousser à l’élaboration de nouvelles organisations, et c’est pourquoi le Collectif interassociatif sur la santé ne s’est jamais manifesté contre cette tarification en tant que telle. Encore faut-il faire attention à ce qu’elle ne dévie pas de ses objectifs initiaux. Il existe des directeurs d’hôpital qui demandent à leurs chefs de service de ne pas réorienter certains patients vers le secteur libéral, même si cent personnes attendent aux urgences, car cela entraînerait une diminution du chiffre d'affaires de l’établissement. Il faudra donc trouver une position vertueuse entre deux tendances contraires : l’une qui pousse à faire des actes, afin d’obtenir un budget plus élevé ; l’autre qui tend à ne pas développer de nouvelles organisations au prétexte que le système de tarification tend à l’empêcher. La ligne de crête est difficile à suivre et il nous faudra à la fois valoriser le côté positif de la T2A et dénoncer les déviances.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous remercions de vos réponses. N’hésitez pas à nous faire parvenir toute information qui viendrait compléter notre échange ainsi que toute proposition qui vous semblerait utile.

La séance est levée à onze heures dix.