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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 11 février 2010

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Auditions, ouvertes à la presse et au public, sur le fonctionnement de l’hôpital

– M. Benoît Leclercq, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, M. Paul Castel, directeur général des Hospices civils de Lyon et président de la Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires, M. Jean-Pierre Dewitte, directeur général du Centre hospitalier universitaire de Poitiers, et M. Denis Fréchou, président de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers

– M. Pierre Boissier, chef de l’Inspection générale des affaires sociales, Mme Françoise Lalande et M. Christophe Lannelongue, inspecteurs généraux des affaires sociales, et M. Denis Debrosse, conseiller général des établissements de santé

– M. Alain Destée, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des centres hospitaliers universitaires, M. Francis Fellinger, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des centres hospitaliers, M. Didier Gaillard, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des établissements de santé privés à but non lucratif, M. Jean-Pierre Genet, président d’honneur, M. Marc Hayat, vice-président, et M. Jean Halligon, ancien président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement de l’hospitalisation privée

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 11 février 2010

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de M. Benoît Leclercq, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, M. Paul Castel, directeur général des Hospices civils de Lyon et président de la Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires, M. Jean-Pierre Dewitte, directeur général du Centre hospitalier universitaire de Poitiers, et M. Denis Fréchou, président de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Cherchant à analyser le fonctionnement de l’hôpital, nous nous sommes intéressés à un certain nombre de cas particuliers en vue d’en tirer des préconisations susceptibles de valoir pour l’ensemble des établissements. Avant d’achever nos travaux, il nous a semblé utile de vous entendre, vous qui représentez une part importante, à bien des égards, de notre système hospitalier, afin de mettre en perspective les éléments que nous avons collectés. Je vous donne donc sans plus tarder la parole pour un premier tour de table.

M. Benoît Leclercq, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris est un établissement public de santé qui regroupe 37 hôpitaux pour un total de 22 400 lits situés à plus de 90 % en Île-de-France. Elle assure chaque année un million d’hospitalisations, 1 100 000 urgences et 4 millions de consultations externes. Son effectif est de quelque 70 000 personnes, pour le personnel non médical, et de 9 000 équivalents temps plein, pour le personnel médical. Son budget est de 6,4 milliards d’euros, dont 4 pour les salaires.

Le plan stratégique qui devrait être validé en mai ou juin prochain vise pour l’essentiel à regrouper les 37 hôpitaux au sein de 12 groupes hospitaliers afin de gagner en masse critique, de supprimer les doublons et, surtout, d’offrir à la population une gamme de soins comparable à celle d’un centre hospitalier universitaire (CHU).

Un autre objectif est de concentrer dans un ou deux sites des activités lourdes et complexes comme les transplantations, la cardiologie et la neurologie interventionnelle, voire la génétique moléculaire.

Ce plan stratégique s’accompagne d’un plan d’efficience qui doit conduire l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris à un déficit nul d’ici à 2012, comme le lui ont demandé les pouvoirs publics. Pour y parvenir, nous misons non seulement sur les regroupements entre hôpitaux mais aussi sur celui qui concerne notre siège, qui doit s’achever en 2011 et permettre d’importants gains de productivité.

L’écart de convergence est aujourd’hui de l’ordre de 300 millions d’euros et nous travaillons à le ramener à zéro avant la fin de 2012. Pour cela, nous nous appuyons à hauteur de 20 à 30 % sur des évolutions de l’activité et des améliorations des recettes, le reste devant provenir d’économies structurelles obtenues par l’amélioration de notre organisation médicale, administrative et logistique. Tout cela se traduira par une réduction de la voilure de certains établissements, voire par des fermetures.

Pour 2009, l’état prévisionnel des recettes et dépenses (EPRD) avait été accepté par la tutelle nationale avec un déficit contenu à hauteur de 95 millions d’euros. Au vu des résultats disponibles à ce jour, je puis vous dire que nous serons « dans les clous », voire que nous ferons un peu mieux.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Afin de réduire l’écart de convergence, vous entendez à la fois accroître les activités, donc les recettes, et réduire la voilure. Mais comment accueillir davantage de patients dans moins d’établissements et avec moins de personnels ?

M. Benoît Leclercq. Il faut pour cela optimiser l’utilisation de nos bâtiments dont certains, historiques et vétustes – c’est en particulier le cas de l’Hôtel-Dieu –, ne sauraient être des hôpitaux du XXIe siècle. En effet, il faudrait, pour en faire des établissements simplement moyens, engager des sommes disproportionnées au regard des résultats attendus. La réduction de voilure de l’Hôtel-Dieu fait donc partie des solutions. Mais l’activité de chirurgie thoracique et digestive et de pneumologie qui y est aujourd’hui réalisée va être transférée progressivement à Cochin, dans des bâtiments existants et dans d’autres à construire.

L’investissement est la variable qui nous permet de faire cela : nous préférons libérer des sites et construire des bâtiments répondant aux normes actuelles.

Réduire l’écart de convergence de 300 millions d’euros suppose d’agir sur l’ensemble des dépenses : médicales, d’hôtellerie-restauration, mais aussi de personnels. Nos efforts portent en particulier sur les fonctions « supports » non médicales, et nous conduisent à ne pas remplacer tous ceux qui partent en retraite, grâce notamment à des réorganisations internes ou, pour ce qui est de la logistique, à des externalisations.

S’agissant des services soignants médicaux, j’illustrerai notre action par l’exemple du regroupement, à l’est de Paris, des hôpitaux Tenon, Saint-Antoine, Rothschild et Trousseau. Il nous est aisé de regrouper le service de chirurgie digestive isolé à Tenon et l’énorme dispositif médico-chirugical digestif de Saint-Antoine dans ce dernier hôpital, avec des moyens pratiquement constants, ceux de Saint-Antoine, en y créant dix lits et en en supprimant une trentaine à Tenon. On voit bien que cela améliore l’activité sans nuire à la qualité ni à la proximité des soins.

M. Paul Castel, directeur général des Hospices civils de Lyon et président de la Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires. Les Hospices civils de Lyon regroupent 5 700 lits et places dans 17 établissements au sein de six groupements hospitaliers, deux établissements étant supprimés par fusion avec d’autres hôpitaux de proximité. Nous employons 23 000 salariés dont 5 000 personnels médicaux. Notre budget de fonctionnement s’élève à 1,5 milliard d’euros et notre budget d’investissement à 200 millions.

Notre situation financière est dégradée, mais cette détérioration s’est ralentie puisque notre déficit, passé de 36 à 86 millions entre 2007 et 2008, a été ramené à 60 millions en 2009 et devrait s’établir à 40 millions en 2010.

Un plan de retour à l’équilibre, approuvé par le ministère de la santé en juin dernier, a été élaboré dans le cadre de notre projet d’établissement 2009-2013, qui a fait l’objet d’une large concertation.

Pour atteindre les objectifs pluriannuels de retour à l’équilibre, une démarche de modernisation a été engagée il y a plusieurs années, en particulier avec quatre grands projets de construction-restructuration aboutissant à de très importants regroupements d’activités dans l’agglomération lyonnaise.

Un effort d’investissement de plus de 600 millions d’euros a été conduit et devrait être poursuivi pour un même montant jusqu’en 2013.

Grâce à notre politique de maîtrise, la masse salariale, qui avait augmenté de 1,3 % en 2008, a diminué de 0,5 % en 2009 et cette tendance devrait être confirmée en 2010. Cela se traduit par environ 200 suppressions d’emplois chaque année, sans licenciement.

Ce programme sera poursuivi dans le cadre du plan 2009-2013 et accompagné d’un programme pluriannuel d’investissement.

En complément des mesures de modernisation, de regroupement et d’amélioration de l’efficience, nous avons la chance de pouvoir utiliser notre important patrimoine immobilier, qui vient d’être valorisé à environ 600 millions d’euros, pour procéder à des réorganisations et à des ventes, pour un montant estimé à 130 millions d’ici à 2013. Ce patrimoine est également mobilisé dans le cadre du projet social de l’établissement, essentiellement pour offrir des logements aux personnels soignants et rendre ainsi les Hospices civils plus attractifs. Cela paraît d’autant plus nécessaire que les loyers sont particulièrement élevés à Lyon et que la pénurie d’infirmières perdure dans les grandes métropoles.

M. Jean-Pierre Dewitte, directeur général du Centre hospitalier universitaire de Poitiers. Je fais un peu ici figure de Petit Poucet puisque je dirige un centre hospitalier universitaire de 1 600 lits seulement, avec un budget d’exploitation de 460 millions d’euros et un budget d’investissement de 40 millions par an en moyenne, autofinancé à 80 %.

L’établissement est situé dans une région qui compte des centres hospitaliers importants dans des villes de taille équivalente à celle de Poitiers : La Rochelle, Angoulême et Niort. Ainsi, l’offre de soins est assez bien répartie sur le territoire.

Notre centre hospitalier universitaire se caractérise par sa jeunesse puisqu’il a débuté sa croissance avec dix à quinze ans de retard. Il y a dix ans, lorsque j’en ai pris la direction, l’offre de soins était jugée insuffisante pour répondre aux besoins de la région Poitou-Charentes – le diagnostic était le même pour le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie –, et nous n’avons eu de cesse de l’améliorer depuis lors. Nous continuons à créer de l’activité de court séjour afin de répondre à une demande croissante de santé, sans doute liée au vieillissement de la population dans cette région.

Notre développement s’explique aussi par le fait que notre région ne disposait pas d’un centre régional de lutte contre le cancer, alors que ces pathologies sont en augmentation. C’est ce qui nous a conduits à ouvrir, en mars dernier, un bâtiment de 150 lits, exclusivement consacré au cancer et regroupant toutes les activités possibles dans ce domaine.

Nous avons par ailleurs fait le choix de conserver une filière complète de soins qui allie court séjour, soins de suite et filière sanitaire du long séjour, ce qui nous a probablement été utile pour passer à la tarification à l’activité (T2A).

Nous comptons assez peu de médecins : 66 professeurs des universités-praticiens hospitalier (PU-PH), soit le plus faible effectif de tous les centres hospitaliers universitaires français, et 250 praticiens hospitaliers. Leur activité est donc particulièrement importante. Par ailleurs, en cinq ans, le numerus clausus est passé de 70 à 180 et le nombre des internes de 200 à 353. Cette forte croissance s’est accompagnée de la reconstruction de la faculté de médecine sur le site du centre hospitalier universitaire.

Nous avons jusqu’à présent réussi à maîtriser notre budget grâce à une réorganisation des structures logistiques et médico-techniques, et nous avons même pour objectif de dégager un léger excédent, de 1 %. Nous réinvestissons les marges ainsi obtenues dans la recherche, ce qui nous permet aujourd’hui de disposer de quatre équipes labellisées Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) alors que nous n’en avions aucune il y a cinq ans.

M. Denis Fréchou, président de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers. Je dirige deux établissements de taille encore plus modeste. Situés tout près de Paris et du bois de Vincennes, ils sont géographiquement très proches, relèvent d’une direction commune et sont engagés dans une fusion qui devrait s’achever en 2011. Ils sont atypiques en raison de leur activité qui relève à 45 % de la psychiatrie, à 30 % des soins de suite et de la réadaptation (SSR), à 15 % de la gynécologie, de l’obstétrique et de la néo-natalité, à 10 % de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique. Ainsi, 20 % seulement de l’activité totale relèvent de la T2A, tandis que le reste est encore dépendant de dotations, les choses étant toutefois en train de changer pour les soins de suite et de réadaptation.

Ces établissements sont également atypiques dans la mesure où ils sont pour l’instant à l’équilibre financier et ont jusqu’à présent réussi à financer presque complètement leurs investissements.

Avec un budget d’environ 150 millions d’euros, nous employons 2 500 agents, dont 10 % de personnel médical.

Les difficultés que nous rencontrons tiennent à l’évolution de l’activité de psychiatrie, dont 90 % s’exercent désormais en dehors du site principal, dans de petites structures dispersées dans Paris et dans le Val-de-Marne ; au fait que notre bâtiment principal est classé monument historique, ce qui pose des problèmes particuliers de maintenance et d’aménagement ; mais aussi au rapprochement et à la fusion de deux établissements à l’activité et à la culture très différentes. Ainsi, l’établissement qui se consacre principalement à la rééducation a un caractère national et il était, jusqu’à très récemment, directement piloté par le ministère de la santé. Encore aujourd’hui, on trouve à sa tête, non pas un élu, mais un fonctionnaire.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous avons donc devant nous, ce matin, des représentants d’établissements assez divers, par leur taille, leur patrimoine ou leur ancienneté. Mais l’intérêt de cette réunion est précisément d’essayer de dégager des éléments communs.

Nous savons que les regroupements et les fusions sont des outils de rationalisation difficiles à manier, qu’un projet médical fait souvent défaut et que les fusions décrétées d’en haut réussissent rarement. Quelle est selon vous la méthode la plus propice au succès ?

Un autre sujet qui revient fréquemment dans nos auditions est celui de la mécanique de la tarification, des systèmes informatiques, du codage. Pourriez-vous nous aider à y voir plus clair en la matière ?

M. Benoît Leclercq. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris constituant juridiquement un ensemble unique, nous ne procédons pas à des fusions mais à des rapprochements hospitaliers qui y ressemblent.

Si la relative proximité géographique est une des premières clés de la réussite, vous avez tout à fait raison d’insister sur le projet médical.

Je prendrai l’exemple de deux hôpitaux à la fois très proches et très différents, Saint-Louis et Lariboisière, qui forment aujourd’hui un groupe hospitalier. Le premier est orienté vers la médecine programmée, la cancérologie et l’hématologie ; le second est plus généraliste, même s’il exerce des activités de pointe comme la neurochirurgie, et il est orienté vers les urgences et la médecine non programmée. Nous avons décidé de constituer des pôles de grande taille, en particulier en ORL, domaine dans lequel nous avons transféré vers le service beaucoup plus important de Lariboisière celui qui existait à Saint-Louis, tout en maintenant dans ce dernier établissement des antennes de consultation et de liaison. De la sorte, nous avons pu atteindre dans cette discipline une masse critique, ce qui a paradoxalement permis d’améliorer l’offre de soins grâce au nombre de médecins présents, à une meilleure continuité des soins et au développement des compétences hospitalo-universitaires. Cela a été possible parce que ces projets médicaux ont bénéficié de l’implication des équipes, notamment des présidents des comités consultatifs médicaux, élus par leurs pairs.

Outre qu’une forte volonté de la direction générale est bien évidemment nécessaire, une autre condition de succès tient à la possibilité d’instituer une gouvernance médico-administrative et une équipe de direction uniques. Pour reprendre l’exemple de Saint-Louis-Lariboisière, l’ensemble des deux hôpitaux est désormais géré par un seul directeur et par un seul directoire médical et administratif. Cela ne signifie pas que les fonctions de proximité ne sont plus assurées dans chacun des deux établissements, mais que les ressources humaines, les affaires financières, les affaires économiques, la qualité, la sécurité, la technique, sont désormais regroupées et gérées à ce niveau, comme dans n’importe quel centre hospitalier universitaire, ce qui permet de réunir les forces et les compétences et de gagner en productivité.

Le succès de la fusion suppose aussi de doter le groupe, dans le cadre de la gestion du projet et de la délégation de compétences, d’outils de pilotage permettant d’atteindre les objectifs médicaux, organisationnels, économiques, financiers et sociaux.

Une politique très pointue d’accompagnement social de la mobilité me paraît également nécessaire. Nous y travaillons avec l’aide du Fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés, qui apporte un soutien financier à la mobilité interne et, éventuellement, externe.

Enfin, même à Paris, nous devons travailler avec les élus locaux afin d’expliquer que notre logique n’est pas comptable mais fondée sur la recherche de la performance et de l’efficience médicale. Il est par exemple évident que l’hématologie pratiquée à Saint-Louis n’est pas une activité de proximité et que notre seul souci est de faire en sorte qu’elle fonctionne bien et que les regroupements nous permettent d’atteindre des masses critiques. Nous ne parvenons pas toujours à convaincre les élus, mais au moins faisons-nous passer le message que la réduction de voilure n’est pas destinée à diminuer l’offre mais à la maintenir et à la développer tout en l’améliorant qualitativement, par l’accroissement des compétences, et en préservant, j’y insiste beaucoup, la continuité et la permanence des soins.

Tout cela s’inscrit dans un contexte de fort déclin de la démographie médicale : 45 praticiens hospitaliers de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris partiront en retraite en 2010, le double en 2011 et le triple en 2012. Par la suite, jusqu’en 2015, ce sont chaque année 200 médecins qui partiront en retraite, soit 18 % de nos effectifs, et nous savons bien qu’ils ne seront pas tous remplacés. Nous devons donc anticiper cette évolution et, dans cette perspective, les regroupements nous permettront de mieux utiliser le temps médical.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Dans ces regroupements et fusions, il y a donc, à la fois, un projet médical et une volonté de rationaliser pour remédier aux déséquilibres financiers et aux effets de la démographie médicale – ce dernier point renvoyant d’ailleurs aux insuffisances de la formation.

Pour ma part, j’aimerais que cette démarche, qui apparaît quand même motivée par la volonté de faire des économies – ce que l’on peut comprendre de la part des gestionnaires que vous êtes –, s’accompagne de la volonté de répondre aux besoins de santé de la population en envisageant ce que sera l’hôpital dans dix ou vingt ans, en particulier avec le développement de la chirurgie ambulatoire.

M. Benoît Leclercq. Au début de 2008, lorsque nous avons commencé à préparer notre plan stratégique pour 2010-2014, nous nous sommes d’abord demandé quelle vision nous avions de ce que serait un hôpital universitaire en 2020 ou 2025. Si l’on observe ce qui se passe en France, en Europe et aux États-Unis, on constate un développement de la chirurgie et de la médecine ambulatoires, donc de l’hôpital de jour ; une forte progression de la médecine, de la chirurgie et de la radiologie mini-invasives, sécurisées, au service du confort du patient ; la difficulté croissante de petites équipes à exercer, en dehors des grands ensembles hospitalo-universitaires, à la fois les fonctions de recours, de spécialisation, d’enseignement et de recherche. Il apparaît donc nécessaire de regrouper les équipes pour atteindre une masse critique suffisante et la réflexion actuellement menée sur les réformes de la recherche médicale pousse d’ailleurs également en ce sens.

Il faut aussi envisager tous les aspects relatifs à la technologie : il n’est pas envisageable de multiplier à l’infini les appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM), les pet (positron emission tomography) scans, les scanners, voire demain les cyclotrons, alors qu’il s’agit de matériels coûteux et qui nécessitent des personnels très spécialisés et rares.

Il convient également de regrouper les compétences dans la mesure où l’avenir est sans doute dans une médecine multidisciplinaire.

Penser l’hôpital de demain conduit aussi à prendre en compte l’évolution des biotechnologies, y compris des médicaments biologiques. Si nous sommes capables demain de régénérer les cellules cardiaques après un infarctus, l’approche médicale en sera modifiée en profondeur. Il faut donc anticiper des mouvements d’une ampleur comparable à celui qui a emporté la disparition des sanatoriums après la découverte du Rimifon.

Par ailleurs, en dépit de son faible impact sanitaire, l’épisode de la grippe H1N1 nous montre que la mondialisation peut favoriser des pandémies auxquels nous devons être capables de faire face. Il faut donc réfléchir à l’accueil : si nous sommes les meilleurs spécialistes de la neurochirurgie, il faudra aussi que nous soyons capables d’absorber des flux de patients en cas de pandémie.

Mme Jacqueline Fraysse. À la fois comme députée des Hauts-de-Seine et comme médecin, je constate, monsieur Leclercq, que le plan stratégique 2010-2014 de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris soulève de très fortes interrogations et de vives protestations au sein de l’opinion publique comme chez les professionnels concernés.

On peut comprendre ce que vous nous dites quant à la nécessité d’anticiper les évolutions de l’hôpital. En effet, les modes de vie de nos concitoyens ont beaucoup changé ; leurs besoins ont évolué ; les techniques médicales ont beaucoup progressé ; les interventions chirurgicales sont de moins en moins lourdes et il y a de plus en plus de gestes ambulatoires ; les séjours sont de moins en moins longs. On peut aussi envisager de regrouper certaines activités. Mais je ne discerne pas sur quelle évaluation des besoins vous vous fondez pour annoncer la suppression de milliers de postes. Peut-être pourriez-vous d’ailleurs nous préciser comment l’on est passé de 1 000 suppressions annoncées à 3 000, voire à 4 000.

Certes, vous nous dites que cela ne répond pas seulement à des motivations économiques mais qu’il s’agit également d’améliorer les soins. Mais, si je vois bien l’intérêt économique qu’il y a à supprimer des postes car la masse salariale pèse lourd dans les budgets, en revanche, je ne comprends pas comment l’on ferait mieux avec 3 000 personnes en moins !

Aujourd’hui, ces dernières travaillent dans des conditions très difficiles et cela ne tient pas seulement à des problèmes d’organisation, comme on voudrait nous le faire croire, mais aussi à des questions d’effectifs. Dans ces conditions, je ne pense pas que vous parveniez à convaincre du bien-fondé de votre action.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce que vient de dire Jacqueline Fraysse nous renvoie à des questions que nous avons beaucoup abordées lors de nos auditions précédentes et qui intéressent notre mission parce que c’est tout simplement la bonne utilisation des deniers publics qui est en jeu. J’aimerais donc que, au-delà des propos généraux, vous nous donniez des informations précises sur ce qui est fait ou non dans vos établissements en matière d’outils de mesure, de comptabilité analytique, de gestion prévisionnelle des carrières permettant de mettre en adéquation l’offre sanitaire et la demande de la population, de maîtrise des systèmes d’information, de codification des actes, de partage des connaissances permettant à l’ensemble des professionnels de se les approprier.

M. Benoît Leclercq. Madame Fraysse, je n’ai pas sorti de mon chapeau le nombre de suppressions d’emplois : il résulte d’une approche comparative qui nous permet de dire que, pour telle activité, à un niveau donné de qualité et de quantité, nous avons besoin de tant de personnes présentant tel type de qualification.

Pour ne pas me contenter de propos généraux, je reprends l’exemple de l’Hôtel-Dieu, dont nous sommes obligés de réduire la voilure. En mars et avril prochains, nous transférerons la chirurgie digestive dans des locaux libérés à Cochin, ce qui nous permettra de développer la chirurgie thoracique à l’Hôtel-Dieu. Quand tout cela aura été mené à bien, nous aurons ainsi davantage de chirurgie digestive et davantage de chirurgie thoracique et nous aurons vraisemblablement économisé 40 emplois.

De la même façon, j’ai demandé que, dans le cadre du rapprochement Cochin-Hôtel-Dieu-Broca, on rapatrie à Cochin l’ensemble de la biologie de l’Hôtel-Dieu, à l’exception de ce qui nécessaire aux urgences et aux soins de proximité. De la sorte, 20 à 30 emplois seront économisés sans que la qualité en soit affectée.

C’est ainsi, par la multiplication de micro-projets de ce type, que nous approcherons les 3 000 à 4 000 suppressions d’emplois sur la durée du plan – c’est une fourchette –, soit 1 000 suppressions par an.

J’en viens à la question de M. Morange. Oui, nous disposons de plusieurs outils de pilotage, en particulier d’un tableau de bord, pour partie mensuel, qui nous permet de suivre les grands indicateurs classiques de gestion, aux niveaux de l’Assistance publique, des groupes hospitaliers et des pôles d’activité médicale. On y retrouve les principaux critères quantitatifs mais aussi qualitatifs. Ainsi, nous observons le nombre des patients qui attendent moins de quatre heures aux urgences : c’est un indicateur qualitatif loin d’être négligeable qui nous permet de mieux répondre à l’attente de la population. Un indice Saphora nous permet également de mesurer le taux de satisfaction des patients.

En ce qui concerne la gestion prévisionnelle des emplois et des carrières, nous savons que 1 700 à 1 900 personnes partent chaque année à la retraite, à proportion des catégories, soit deux tiers de soignants et un tiers de non-soignants. Nous enregistrons en outre environ 4 000 départs par mutation en province, vers d’autres fonctions et vers d’autres hôpitaux. Rapporté aux 70 000 emplois, le turn-over est donc important.

La gestion prévisionnelle des emplois nous permet d’anticiper les besoins, notamment en emplois qualifiés d’infirmiers et d’aides-soignants. Je pense que nous avons résolu la question des aides-soignants grâce à nos centres de formation et à notre politique de promotion des agents de service. S’agissant des personnels infirmiers et infirmiers spécialisés, qui sont la cheville ouvrière du fonctionnement hospitalier, outre que, comme l’a souligné Paul Castel, la pénurie perdure, pas moins de 1 700 équivalents temps plein bénéficient chaque année de notre politique de promotion professionnelle, ce qui signifie que ces personnes sont payées par les établissements pour faire des études et, surtout, doivent être remplacées.

Nous devons également anticiper les effets de l’application aux infirmiers de la réforme licence-master-doctorat (LMD) et de son corollaire, le passage en catégorie A. Les infirmiers étant ainsi appelés à prendre leur retraite plus tardivement, le fonctionnement des hôpitaux s’en trouvera temporairement facilité, mais le GVT (glissement-vieillesse-technicité) en sera alourdi dans la mesure où l’on recrutera moins de jeunes pendant quelques années.

Autre exemple en matière de gestion prévisionnelle des effectifs : en dépit des protestations, j’ai supprimé la promotion professionnelle pour les infirmiers aides-anesthésistes parce que j’ai considéré qu’ils étaient suffisamment nombreux au sein de la fonction publique et qu’il suffisait donc de recourir au marché du travail pour faire fonctionner nos systèmes. À l’inverse, j’ai maintenu un taux très important de formation des infirmiers de bloc opératoire car nous en manquons.

Nous devons également tenir compte de l’apparition de nouveaux métiers : dans les laboratoires, nous aurons bientôt plus besoin d’ingénieurs que de biologistes. Sans doute aurons-nous également davantage besoin d’infirmières de niveau bac + 5 pour occuper des fonctions plus complexes, par exemple en matière de recherche.

Dans la perspective de la nécessaire diminution de la masse salariale, nous devons aussi nous intéresser tout particulièrement aux emplois non soignants, sachant qu’il est difficile de recycler un ouvrier professionnel ou un cuisinier et que le taux de renouvellement est beaucoup plus faible que chez les personnels soignants. Afin de faciliter la mobilité, nous nous appuyons sur le Fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés.

Au sein des centres de gestion, la comptabilité analytique est à peu près au point même si elle n’est pas parfaite. Au sein des groupes homogènes de séjour (GHS), il est particulièrement intéressant de connaître les éléments de coûts variables – médicaments et prestations hôtelières – ainsi que les coûts fixes, comme le temps passé par les personnels auprès des patients. Actuellement, la répartition se fait dans l’échelle nationale des coûts au prorata du nombre de journées et cet outil mériterait sans doute d’être affiné. Cette échelle nous permet non seulement de suivre notre activité, mais surtout de vérifier si notre structure de coûts par groupe homogène de séjour est ou non dans la norme.

Il nous est également fort utile, par exemple si l’on veut développer la chirurgie thoracique, d’avoir une connaissance parfaite des groupes homogènes de séjour et du nombre d’actes, car cela nous permet d’élaborer un modèle de développement en faisant en sorte que les coûts – variables et fixes, directs et indirects – soient inférieurs ou égaux aux tarifs, donc à l’échelle nationale des coûts.

La codification des actes est un exercice complexe, nécessitant une adaptation constante des médecins et des techniciens qui en ont la charge car on est aujourd’hui à la onzième version de la tarification. Cela dit, en nous faisant passer en 2009 de 780 groupes de séjours à plus de 2 000 items, cette version a nettement amélioré la codification. Nous devons encore progresser en la matière, mais d’ores et déjà les dispositifs institués par les pouvoirs publics permettent d’éviter les dérives. Ainsi, la directive dite « frontière » entre les actes d’hospitalisation et les actes d’hôpital de jour nous a amenés, par des contrôles réguliers, à requalifier un certain nombre d’actes, ce qui a eu des effets sur les remboursements. Pour la première fois, nous allons payer des pénalités au titre de 2009.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons été informés d’importants problèmes de recouvrement des factures, qui ont eu des effets non négligeables sur le déficit de certains établissements. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris est-elle confrontée à un tel phénomène, dont l’éradication permettrait d’améliorer ses recettes ?

M. Benoît Leclercq. Une grande partie du recouvrement est automatique, grâce à la transmission des éléments de facturation à la caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM). Pour le reste, l’amélioration du taux de recouvrement dans l’année aurait incontestablement des effets sur notre équilibre financier. Mais nous sommes dans un processus constant d’amélioration, ce taux ayant progressé, pour l’hospitalisation, de 6 % de 2008 à 2009, pour atteindre 70 % au cours de l’année.

M. le coprésident Pierre Morange. Les chambres régionales des comptes ont aussi observé un phénomène de non-facturation, en particulier faute d’identification lors du passage aux consultations ou aux urgences. Ce problème concerne-t-il uniquement quelques établissements ou est-il plus général ?

M. Benoît Leclercq. Il arrive encore que des passages aux consultations ou aux urgences ne soient pas repérés mais ce phénomène est aujourd’hui marginal, en particulier grâce à des mécanismes de contrôle – ainsi, nous demandons désormais non seulement la carte Vitale mais aussi une pièce d’identité – que le public juge un peu inquisitoriaux mais qui sont fort utiles.

M. Paul Castel. Le projet médical est véritablement l’épine dorsale de notre plan stratégique. Notre projet d’établissement 2009-2013 n’a en aucune façon procédé d’une démarche allant du haut vers le bas : élaboré au cours de quelque 150 réunions avec les équipes médicales, il est le fruit d’une très large concertation.

Les regroupements ne relèvent donc pas d’une approche comptable ou technocratique, mais sont le résultat de discussions sur le projet médical, dans le cadre d’une démarche de service public. Ils sont destinés à éliminer des doublons et concernent pour l’essentiel des activités de recours comme les greffes hépatiques, les transplantations, etc. Ils s’accompagnent d’investissements colossaux – 600 millions d’euros pour la construction de quatre hôpitaux. Ils ne concernent d’ailleurs pas uniquement les soins, mais aussi la logistique – blanchisserie, stérilisation, cuisine, etc. Et, comme l’a souligné Benoît Leclercq, ce mouvement est accompagné par le Fonds de modernisation et par d’autres instruments de soutien.

Tout cela débouche sur de meilleures conditions d’accueil et sur de meilleures conditions de travail pour les salariés. Pour autant, on ne saurait perdre de vue que, dans le cadre de la T2A, nous nous situons dans une démarche concurrentielle, et qu’exerçant à 85 % ou 90 % une activité de proximité, nous sommes entourés d’établissements privés qui se sont regroupés et beaucoup modernisés. Ce contexte nous oblige à améliorer notre efficience.

S’agissant de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, les Hospices civils de Lyon enregistrent environ 1 600 départs par an, en raison des départs en retraite et du turn-over. Nous avons opté pour le non-remplacement de trois agents administratifs sur quatre et le remplacement de trois soignants sur quatre, les infirmières n’étant pas concernées.

Tout cela n’est pas fait de façon abrupte, mais en relation avec les regroupements et réorganisations.

Mme Jacqueline Fraysse. Nous devons d’abord veiller à l’intérêt général. Les décisions sont-elles prises à partir de l’évaluation des besoins de la population ? C’est vraiment ce qui me préoccupe.

M. Paul Castel. Telle est bien notre démarche : dans le cadre de l’élaboration du projet d’établissement, nous avons demandé à des prestataires de services extérieurs d’utiliser des méthodes d’enquête pour mesurer les besoins.

M. Jean-Pierre Dewitte. En ce qui concerne la politique de territoire, il y a ce dont aura besoin la population et ce qu’on pourra lui offrir. Nous connaissons avec une quasi-certitude l’évolution de la démographie médicale au cours des dix prochaines années et nous savons donc qu’il faut anticiper des déficits dans certaines disciplines. Nous devons aussi prendre en compte les aspirations du personnel médical à des modes de travail différents et à un exercice plus groupé et plus partagé. Enfin, quand on essaie de définir le paysage hospitalier de demain, on ne saurait négliger la persistance du caractère fortement rural de notre région.

Pour nous, les regroupements concernent des établissements juridiquement indépendants et s’opèrent non pas au sein du centre hospitalier universitaire de Poitiers mais entre des établissements immédiatement voisins dans le cadre départemental. Pour les mener à bien, il faut une volonté et une prise de décision et je suis persuadé que les agences régionales de santé (ARS) joueront en la matière un rôle essentiel. Une fois la décision prise, il faut mettre les gens au travail pour élaborer un projet médical et un projet pour les soignants. Cela ne me semble pas le plus difficile : quand le cadre aura été dessiné, le projet nous aidera à le remplir.

Je rejoins par ailleurs Benoît Leclercq : il faut avoir le courage de dire qu’une gouvernance unique sera nécessaire. De ce point de vue, je suis quelque peu déçu que la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires soit restée timide sur les notions de communauté hospitalière de territoire et de gouvernance. Alors que les établissements privés se sont rapprochés sous une gouvernance unique, j’ai l’impression que, dans les régions, nous avons plutôt tendance, avec les groupements de coopération sanitaire, à juxtaposer les niveaux, au risque qu’il y en ait autant que de disciplines médicales et que cela nuise à la cohérence d’ensemble.

Il me semble également indispensable, dans la perspective d’un regroupement de plateaux techniques de plus en plus sophistiqués et médicalement multicompétents, qui n’accueilleront les patients que pendant 48 heures, de réfléchir à une politique des transports, en particulier de développer l’héliportage.

S’agissant de la facturation, nous n’avons pas, pour notre part, de problème pour repérer et identifier les patients. Mais si la T2A a mis l’accent sur le séjour, je crois que l’on a omis de prendre en compte la rémunération des consultations à l’hôpital : outre que la facturation est très onéreuse au regard des recettes, elle ne reflète que très imparfaitement le coût réel des consultations et mériterait donc d’être revue.

Enfin, je suis un adepte fervent de l’étude nationale des coûts : dans le cadre de la stratégie de développement, avant de lancer une nouvelle activité, on conduit désormais une étude médico-économique à laquelle participent les médecins et qui nous est fort utile. Alors que le corps médical a spontanément tendance à comparer tarif et activité, une telle étude permet de remédier à l’absence de visibilité qui nous pénalise, en particulier dans notre démarche de contractualisation qui se développe fortement et à laquelle les médecins adhèrent. Le mode actuel de facturation ne nous donne pas cette visibilité.

M. Denis Fréchou. Qu’il s’agisse de fusions, de regroupements ou de restructurations de sites existants, de nombreux établissements hospitaliers sont confrontés à la difficulté d’adapter le dispositif à l’évolution des besoins et de la demande des patients. Il me semble donc à moi aussi essentiel de mettre en avant un projet élaboré en commun et partagé.

Mais, si l’on a en général une assez bonne idée de ce que doit être un projet à quatre ou cinq ans, des restructurations lourdes exigent que l’on ait une vision à quinze ou vingt ans et l’on est beaucoup moins certain de ce que seront les évolutions à une telle échéance.

Il me semble par ailleurs que l’on a peu évoqué la nécessité de communiquer sur ces opérations. C’est pourtant tout à fait indispensable si l’on veut éviter les réactions des personnels et de la population vis-à-vis de changements de culture qui sont toujours longs et difficiles.

On l’a dit, les restructurations passent par des investissements très lourds. Or, les établissements ne sont aidés qu’à hauteur de 50 ou 60 % et ils doivent donc dégager eux-mêmes des marges importantes pour pouvoir se restructurer.

Enfin, il me semble que l’on ne mesure pas toujours assez, sur le terrain, le temps qui est nécessaire pour élaborer un projet, pour changer les cultures et pour conduire les opérations. Si les centres hospitaliers universitaires se sont restructurés plus rapidement et plus profondément, les hôpitaux généraux ont pour leur part pris un retard qui est encore appelé à s’accentuer au regard de la logique de regroupement mise en avant par la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

M. le coprésident Pierre Morange. Ces sujets sont extrêmement vastes mais nous sommes, hélas, contraints par le temps. Merci d’avoir répondu de façon aussi précise à nos questions. N’hésitez pas à nous faire part de vos suggestions concrètes pour améliorer le fonctionnement de notre système hospitalier.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède ensuite à l’audition de M. Pierre Boissier, chef de l’Inspection générale des affaires sociales, Mme Françoise Lalande et M. Christophe Lannelongue, inspecteurs généraux des affaires sociales, et M. Denis Debrosse, conseiller général des établissements de santé.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Pour étudier le fonctionnement interne de l’hôpital, nous avons adopté une méthode quelque peu inhabituelle, consistant à examiner des cas particuliers de dysfonctionnement et, tout en tenant compte des spécificités des établissements observés, à essayer d’en tirer des enseignements et des préconisations susceptibles d’être généralisés.

Nous disposons déjà de « pré-conclusions » qui portent notamment sur les réorganisations hospitalières, par fusion ou regroupement, sur la gestion des personnels – dont on attend souvent des économies, les charges salariales représentant 70 % des charges des établissements –, sur les systèmes d’information, de tarification, de codification des actes et de facturation, sur la convergence et sur la concurrence avec le secteur privé ou entre établissements mêmes.

Nous nous interrogeons sur les biais de tarification et sur l’évaluation de la pertinence des soins, ainsi que sur le rôle des tutelles, qu’il s’agisse des agences techniques ou des administrations centrales, qui défendent parfois des analyses que ne confirment pas nos constats.

M. Pierre Boissier, chef de l’Inspection générale des affaires sociales. l’Inspection générale des affaires sociales est en train de revoir assez profondément ses modes d’intervention dans le secteur hospitalier, à la suite des modifications intervenues dans son environnement proche : réorganisation de l’administration centrale, notamment de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) qui se consacrera désormais davantage à une fonction de pilotage ; rattachement, depuis le mois dernier, du Conseil général des établissements de santé (CGES) à l’inspection générale ; mise en place de l’Agence nationale d’appui à la performance (ANAP), avec laquelle nous devons nous coordonner car, si elle est surtout compétente pour la méthodologie, elle veille aussi à une trentaine de risques spécifiques.

Jusqu’ici, l’Inspection générale des affaires sociales s’est surtout consacrée à des missions d’inspection et de contrôle, en cas d’accidents ou de dysfonctionnements graves, comme à Poissy-Saint-Germain…

M. le coprésident Pierre Morange. Sur ce sujet, nous attendons un rapport qui devait impérativement être remis avant le 31 janvier.

M. Pierre Boissier. La confection de ce rapport a pris en effet un peu de retard. Nous en avons conféré avec le cabinet et il est apparu que le délai n’était pas raisonnable, même si cette mission a été confiée à une équipe relativement importante. Il s’agit d’un sujet complexe et nous tenons à remettre un document pleinement pertinent.

M. le coprésident Pierre Morange. Aucune autorité administrative ne dispose de la latitude de modifier elle-même la date de remise d’un rapport qui lui a été commandé. La MECSS, en partie à l’origine de celui-ci, attend impatiemment son dépôt, afin d’en nourrir sa propre réflexion. J’ajoute qu’il importe qu’on y remonte suffisamment loin dans le temps, pour permettre de tirer de cette affaire des conclusions générales.

M. Pierre Boissier. L’Inspection générale des affaires sociales, disais-je, s’est surtout consacrée jusqu’ici à des missions d’inspection et de contrôle et à des interventions sur des sujets « transverses ». Le rapprochement avec le Conseil général des établissements de santé va la conduire, en sus, à apporter un appui aux établissements de santé et, le cas échéant, à intervenir dans la mise en place d’une administration provisoire lorsqu’ils connaissent de graves difficultés. Ces nouvelles missions devraient pouvoir être exercées d’ici à trois mois.

M. Denis Debrosse, conseiller général des établissements de santé. Il a été donné pour objectif aux établissements de santé de revenir à l’équilibre financier en 2012. Les quatre-vingts missions d’appui et de conseil effectuées par le Conseil général des établissements de santé depuis quatre ans ont confirmé ce dont m’avait convaincu mon expérience depuis 1972 : il existe, au sein des hôpitaux, une culture traditionnelle qui consiste à expliquer les déficits par l’insuffisance des moyens au regard des exigences du service public. L’introduction de la tarification à l’activité (T2A) a donc représenté une sorte de « big bang ». Nombre d’hôpitaux ont su s’adapter, certains non. Car il serait faux de dire que tous les hôpitaux publics, que tous les centres hospitaliers universitaires sont en déficit : ce qui est vrai, c’est qu’une trentaine d’établissements, dont les plus importants, sont en grande difficulté – sont de « grands malades ».

Le déficit a ordinairement trois causes : tout d’abord, une activité insuffisante, les cliniques privées ayant, après s’être restructurées, conquis une partie du terrain auparavant occupé par l’hôpital public ; or, plus les établissements étaient importants, moins ils se sont préoccupés de cette concurrence.

Deuxième cause : l’inadaptation de l’offre de soins à l’activité réelle, qu’illustre la présence parfois de personnes âgées dans les services de chirurgie où elles n’ont rien à faire. On parle à ce propos de patients « inadéquats », mais ce sont bien évidemment les structures qui sont inadéquates. Aujourd’hui, on ne peut plus redessiner le paysage hospitalier en partant de l’organisation en place : il faut partir des besoins de santé et de l’activité réelle. Si l’on adopte cette logique, l’hôpital idéal auquel on arrive n’a rien à voir avec celui qu’on voit fonctionner. C’est le signe certain que les réorganisations indispensables n’ont pas eu lieu. Y procéder est certes une tâche redoutable : cela implique que des services ou des fonctions disparaissent tandis qu’il faut en développer d’autres : médecine gériatrique, médecine « chronique »… L’expansion des soins ambulatoires casse d’ailleurs déjà l’organisation traditionnelle de l’hospitalisation. On déplore souvent, et moi comme bien d’autres, un manque de personnel auprès des lits des patients, mais le problème est mal posé : il résulte, non d’une insuffisance d’effectifs, mais de l’absence de réorganisation – ainsi que d’une mauvaise gestion des RTT, pour lesquelles on constate des disparités considérables entre établissements : certains accordent 22 jours de congé, d’autres 14, soit une différence équivalant à quatre-vingts postes dans un hôpital de 2 500 salariés !

Dernière source de difficultés : une gestion défaillante. Les établissements en situation périlleuse se distinguent par leur incapacité à fournir des chiffres comparables d’une année à l’autre, des séries statistiques continues. Ils ne disposent même pas d’indicateurs simples comme le nombre de patients, la durée moyenne de séjour, la situation de trésorerie…

Le système s’est complètement délité. Comment y remédier ? Cinq pistes sont à explorer.

En premier lieu, il faut réexaminer les choix faits en matière d’investissements. Des hôpitaux espèrent améliorer leur situation en accroissant leur activité, mais, faute de fonds propres, cela les condamne à emprunter, donc à s’endetter encore davantage. D’autre part, l’activité à laquelle ils songent est souvent exercée par d’autres… Enfin, je doute qu’on puisse reconstruire à échéance de six ans un établissement de 1 200 lits, comme certains le projettent.

Deuxièmement, il faut définir l’offre médicale en tenant compte des besoins du bassin de population et des offres de soins alternatives à celles de l’hôpital, fournies par les cliniques privées et par la médecine ambulatoire, ce afin de combler des manques plutôt que d’affronter une concurrence.

Troisièmement, il faut une meilleure gestion des ressources humaines.

Quatrièmement, il faut rompre avec un système financier permissif qui autorise des établissements en grande difficulté à souscrire des emprunts alors qu’ils ne disposent plus de fonds propres et sont fortement endettés – ce qui entretient une confiance illusoire en l’avenir.

Enfin, « l’écosystème » hospitalier étant très résistant au changement, il faut tenir, depuis le plus haut niveau jusqu’au plus bas, un discours clair sur les finalités des indispensables réorganisations, à savoir une bonne prise en charge des patients et une bonne qualité des soins, faute de quoi on restera prisonnier du discours traditionnel, dont se régale toute une série de lobbies, sur l’insuffisance des moyens.

M. Christophe Lannelongue, inspecteur général des affaires sociales. Une équipe de l’Inspection générale des affaires sociales et du Conseil général des établissements de santé avait étudié, en 2007 et 2008, les mesures prises dans cinq régions par dix-neuf établissements, dont quatre centres hospitaliers universitaires, dans le cadre des contrats de retour à l’équilibre financier. Elle avait observé que cette politique de rétablissement financier, bien qu’ayant mobilisé 700 à 800 millions d’euros par an depuis 2006, n’était pas efficace. Les contrats étaient très peu ambitieux et insuffisamment centrés sur les causes réelles des déficits, liées à l’organisation de l’hôpital. Ils souffraient également de l’absence de sanctions en cas de non-respect de leurs stipulations et d’un pilotage trop faible de la procédure tant au niveau national que régional, à quoi s’ajoutaient de graves lacunes dans le management des établissements concernés.

Une évolution importante s’est produite depuis lors, comme l’a constaté une commission des suites, mise en place en septembre 2009 pour réexaminer toutes les mesures prises aux différents niveaux, en application ou non de ce rapport.

La mission avait d’abord proposé de mieux encadrer juridiquement la préparation, l’élaboration et la mise en œuvre des contrats. Des dispositions sont intervenues en ce sens dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, dans un décret du 28 juin 2008 et, surtout, dans la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires qui conduit à ce que les contrats et les plans de redressement interviennent davantage à l’initiative des agences régionales de santé et soient mieux encadrés dans le temps. La loi permet ainsi au directeur général de l’agence régionale de santé d’imposer à un établissement de présenter un plan de redressement dans un délai compris entre un et trois mois et, à défaut, de le placer sous administration provisoire sans avoir besoin, comme par le passé, d’un avis préalable de la chambre régionale des comptes.

La deuxième proposition tendait, pour améliorer les capacités de management des établissements, à renforcer les pouvoirs de leur direction et à développer les outils de gestion modernes – systèmes d’information et comptabilité analytique –, notamment dans le domaine des ressources humaines. Des progrès ont également été enregistrés sur ce point : l’action de la Mission d’expertise et d’audit hospitalier (MEAH), devenue l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, s’est intensifiée, permettant notamment de rationaliser la gestion des blocs opératoires.

En troisième lieu, la mission insistait sur l’importance des ressources humaines comme facteur de réussite des réorganisations. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires comporte à cet égard des dispositions importantes, mais il faut bien reconnaître que les évolutions sont lentes sur ces sujets : ainsi en matière de gestion des carrières des directeurs et des praticiens hospitaliers, que l’on visait à moderniser grâce à la création du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG). La mission avait constaté, dans nombre d’établissements, une grande difficulté à faire évoluer l’organisation des équipes médicales, en particulier faute d’instruments facilitant la mobilité et la reconversion professionnelle. Or la procédure de retour en instance d’affectation, permettant de reconvertir des praticiens, a été peu utilisée : elle ne concerne à ce jour que quelques dizaines de médecins, au lieu des mille huit cents attendus.

M. le coprésident Pierre Morange. Est-ce la responsabilité des établissements ou bien du Centre national de gestion ?

M. Christophe Lannelongue. La procédure est lourde mais, à tous les niveaux, y compris à celui du Centre national de gestion, on constate une forte timidité à s’y engager.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de novembre 2009, sur « le financement de la recherche, de l’enseignement et des missions d’intérêt général dans les établissements de santé », a fait les mêmes constats que la mission sur les restructurations : on rencontre des difficultés dans la gestion des enveloppes de missions d’intérêt général et l’aide à la contractualisation (MIGAC), particulièrement pour le financement de la recherche et de l’enseignement, mais aussi pour les autres missions d’intérêt général et l’aide à la contractualisation, comme celle qui concerne la permanence des soins. Les préconisations de ce rapport sont trop récentes pour être déjà mises en œuvre, mais il s’agit là d’un point crucial pour l’évolution de la gestion des établissements.

Dans les cinq régions inspectées, on observe cependant des progrès récents, et tout à fait notables, à travers l’apparition d’une nouvelle génération de contrats qui ont d’ores et déjà permis des résultats effectifs.

Mme Jacqueline Fraysse. Vous avez signalé l’importance des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, mais je perçois mal à quoi tendait le reste de votre propos sur le sujet…

M. Christophe Lannelongue. Le financement des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation obéit à une logique « historique » : il s’agit de rendre aux établissements ce qu’ils percevaient avant l’institution de la T2A, mais ce faisant, on ne prend pas en compte la réalité des charges et des besoins. En résultent ou bien des situations de rente, ou bien une insuffisance de financement, particulièrement inquiétante pour ce qui est de la recherche et de la permanence des soins. C’est pourquoi la mission préconisait une rationalisation dans la répartition des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation.

Mme Françoise Lalande, inspectrice générale des affaires sociales. Les établissements de santé confrontés à des accidents ou à des dysfonctionnements réagissent toujours de la même façon : ils les imputent à une insuffisance de leurs moyens. Notre analyse montre au contraire qu’il en est assez rarement ainsi.

La pertinence des soins peut se définir comme leur adéquation aux besoins des patients, laquelle peut faire l’objet d’analyses individuelles – c’est la tâche des médecins contrôleurs de la sécurité sociale – ou collectives. La Haute Autorité de santé a identifié quatre causes principales de non-pertinence : c’est d’abord la mauvaise organisation des soins, qui se traduit par exemple par des temps d’attente excessifs aux urgences. Ce sont ensuite des décisions médicales inadéquates, comme des prescriptions abusives, mais on les décèle aussi dans la remontée actuelle de la consommation de produits sanguins labiles, assez difficile à expliquer car elle fait suite à la diminution observée après l’affaire du sang contaminé sans qu’aucun problème de santé publique la justifie, et son amplitude varie du simple au double selon les régions. Une troisième cause tient aux patients ou à leur entourage : ainsi ce dernier peut provoquer le placement de personnes âgées ou handicapées, souffrant de simples troubles du comportement, en hôpital psychiatrique où elles côtoient parfois des malades dangereux. Enfin, la dernière cause est le manque de structures relais, notamment pour le maintien à domicile ou pour la réadaptation. Les problèmes financiers, en revanche, ne jouent qu’un rôle secondaire.

La qualité des soins dépend avant tout de l’existence de procédures et de bonnes pratiques, qui doivent être écrites, actualisées, connues, évaluées ; de l’existence de contrôles, internes et externes ; de formations adéquates, initiales et continues ; de l’adaptation des personnels à leurs tâches, ce qui exige la tenue de fiches de postes ; de l’existence d’indicateurs de moyens et de résultats ; de retours d’expérience en cas d’accident et de dysfonctionnement. Plusieurs missions de l’Inspection générale des affaires sociales ont montré que, dans certains établissements, aucune de ces exigences n’était satisfaite. Or, même si toutes les situations ne sont pas aussi critiques, les accidents à l’hôpital résultent généralement d’une conjugaison de dysfonctionnements dus à l’ignorance de ces bonnes méthodes.

Comment développer l’évaluation et l’assurance qualité à l’hôpital ? Il convient d’abord de publier régulièrement des indicateurs de qualité, tels que la mortalité constatée par rapport à la mortalité attendue, les taux de reprises opératoires, de maladies nosocomiales, de fugue en psychiatrie ou de mort aux urgences de malades en fin de vie connus comme tels, ou encore le volume d’activité – dont un rapport de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) a montré qu’il était souvent en corrélation avec la qualité des soins. Il faut également miser sur les certifications par la Haute Autorité de santé – qu’il faut cependant inviter à se montrer plus rigoureuse, l’hôpital d’Épinal, qui en est à sa cinquième inspection, ayant obtenu sa certification – ou par le Comité français d’accréditation (COFRAC), ainsi que sur les contrôles de conformité de premier niveau.

Les dysfonctionnements sériels devraient être, par thèmes, analysés au niveau national. Nous avons suggéré l’élaboration d’un plan tendant notamment à mieux exploiter les retours d’expérience, mais la Mission d’expertise et d’audit hospitalier a aussi défini une méthode qu’il conviendrait de généraliser…

M. le coprésident Pierre Morange. Il existe nombre de rapports riches d’informations et de propositions et nous ne manquons pas de structures chargées d’évaluer et de préconiser les bonnes pratiques. Ce qui manque, ce ne sont donc pas les idées, c’est le « passage à l’acte » – problème bien français. C’est bien d’être intelligent, mais c’est encore mieux d’être « opérationnel ».

Mme Françoise Lalande. Lors d’inspections récentes dans deux hôpitaux psychiatriques connaissant des dysfonctionnements graves, j’ai été confrontée à deux attitudes opposées : dans l’un, on refusait le retour d’expérience, on se contentait de mettre en cause le manque de moyens et on se réfugiait derrière une explication fausse des accidents survenus ; dans l’autre, on a procédé au retour d’expérience et réalisé un effort d’information interne afin que tout le personnel puisse s’approprier le diagnostic.

M. Pierre Boissier. Pour le « passage à l’acte », la valeur de l’exemple est fondamentale.

Le nombre d’établissements en grande difficulté est relativement limité. Pour résoudre leurs problèmes, il faut procéder par phases successives : d’abord établir un diagnostic précis qui englobe l’ensemble des problèmes et des procédures ; ensuite, sur le fondement de ce diagnostic, établir un plan d’action concret, assorti d’un calendrier. Si ce plan n’est pas mis en œuvre, il existe aujourd’hui des instruments efficaces à la disposition des agences régionales de santé, qui pourront agir à l’égard des établissements un peu comme une holding à l’égard de ses filiales. Il n’est sans doute pas indiqué de recourir trop vite à l’administration provisoire, dispositif lourd, compliqué et traumatisant. En revanche, on pourrait très bien imaginer de recourir, sur le modèle du management de transition utilisé pour le redressement d’entreprises privées, à un système d’administration d’intérim, animé par des gens compétents et à l’abri de tout conflit d’intérêts. Une fois mise en œuvre la totalité du plan, la responsabilité de la gestion serait remise à un directeur, qui hériterait d’une situation assainie.

Si on réalise cela dans quelques établissements, les situations des hôpitaux étant relativement homogènes, l’exemplarité jouera son rôle.

M. Christophe Lannelongue. L’Inspection générale des affaires sociales, en liaison avec le Conseil général des établissements de santé, a rédigé, sur la rémunération des médecins et chirurgiens hospitaliers, un rapport qui montre une forte déconnexion entre le niveau de rémunération, d’une part, la compétence, l’activité et les résultats, d’autre part. Cette situation est au détriment d’une gestion efficace des personnels et du développement de l’hôpital public. Nous avions donc proposé que les équipes médicales réfléchissent à l’organisation de leur activité, en vue de parvenir à un meilleur équilibre, en leur sein, entre la contribution et la rétribution, compte tenu de la participation de chacun aux différentes activités, de soin, d’enseignement, etc. Un des leviers majeurs de la restructuration est en effet, à mon sens, l’émergence d’un autre management, opérationnel, dont les praticiens bénéficieront en retour.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Merci pour toutes ces pistes de réflexion.

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La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède enfin à l’audition de M. Alain Destée, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des centres hospitaliers universitaires, M. Francis Fellinger, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des centres hospitaliers, M. Didier Gaillard, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des établissements de santé privés à but non lucratif, M. Jean-Pierre Genet, président d’honneur, M. Marc Hayat, vice-président, et M. Jean Halligon, ancien président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement de l’hospitalisation privée.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nos travaux portent sur le fonctionnement de l’hôpital. Nous avons choisi d’étudier des établissements particuliers pour cerner leurs dysfonctionnements afin d’en tirer des enseignements valables pour tous, une fois la part faite de ce qui tient à la spécificité de chacun. Je vous invite à nous dire à quoi vous attribuez ces dysfonctionnements et quelles sont, selon vous, leurs conséquences sur les plans humain et budgétaire et sur la production de soins. Nous vous écouterons avec un intérêt particulier parler de l’articulation entre responsabilité administrative et responsabilité médicale, dont nous savons qu’elle a une influence directe sur l’efficacité du système hospitalier.

M. Alain Destée, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des centres hospitaliers universitaires. La communauté médicale que je représente est consciente qu’on peut la tenir pour responsable, au moins partiellement, de certains dysfonctionnements, qu’il s’agisse de la qualité des soins, parfois critiquable, ou de l’expansion du coût de la santé en France, tout particulièrement du coût des hôpitaux publics et plus spécifiquement encore des centres hospitaliers universitaires dont on se plaît, année après année, à rappeler les déficits.

J’aimerais cependant que la Nation, dont vous êtes les représentants, prenne conscience que la santé a un coût et qu’aucune des composantes de ce coût n’est vouée à diminuer : la population s’accroît, elle vieillit, le nombre de pathologies prises en charge efficacement augmente. Ainsi, dans ma discipline, la neurologie, il n’existait pas de traitement efficace de la maladie d’Alzheimer ou de la sclérose en plaques il y a quelques années ; nous en disposons à présent. Le coût de ces traitements augmente et, dans le même temps, les malades, bien informés de ces progrès médicaux, demandent à en bénéficier, ce qu’on peut difficilement leur refuser.

Mme Jacqueline Fraysse. Heureusement !

M. Alain Destée. Tel est le contexte. Cela étant, nous pensons, comme vous, que l’optimisation des dépenses hospitalières est nécessaire et que l’efficience doit progresser. Depuis la réforme Hôpital 2007 mise en œuvre par M. Jean-François Mattei, mais auparavant déjà, nous nous y sommes attachés et nous avons pris des mesures propres à améliorer le ratio coût/efficacité de la santé, en tout cas dans les établissements que je représente. Les cliniques médicales de l’établissement dans lequel j’exerce, installées bien avant les pôles créés par la réforme de 2007, avaient un impact sur la gestion. Alors que j’en étais coordonnateur, j’ai eu à gérer une enveloppe de mensualités du personnel, j’ai pu bénéficier d’un intéressement et, pour être ainsi directement impliqué dans la gestion, j’ai pu découvrir une organisation nouvelle de l’hôpital bien avant l’heure.

Nous continuerons de nous impliquer dans ce travail d’optimisation, dans le cadre de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Nous avons soutenu ce texte, et nous l’avons dit plusieurs fois à Mme la ministre de la santé ; toutefois, la partie relative à la gouvernance nous trouble. En effet, une complicité efficace entre administrateurs et médecins est nécessaire au sein des établissements hospitaliers pour que la vision administrative et financière d’une part, la vision médicale d’autre part, se complètent de manière à avoir une gestion médico-économique, et non une gestion strictement financière. Or la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, à certains égards, favorise une gestion financière plutôt qu’une gestion médico-économique de l’hôpital, et nous le regrettons. L’organisation verticale – ministère, directeur de l’agence régionale de santé, directeur d’établissement, chef de pôle – est révélatrice des « lignes de force » à l’hôpital. C’est ce qui nous a conduits à demander instamment le maintien de la commission médicale d’établissement. Si l’on souhaite obtenir l’adhésion des médecins au projet hospitalier, la collectivité médicale doit être représentée, de manière que la prise de décisions soit médicalisée. Certaines situations imposent que des mesures soient prises, nous en sommes conscients. La situation de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris illustre cette nécessité de manière criante, mais mon collègue Pierre Coriat a clairement indiqué qu’il approuverait les mesures envisagées par le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris pourvu que la réflexion conduisant aux choix soit fondée sur des considérations médicales et non purement comptables.

M. Francis Fellinger, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des centres hospitaliers. J’approuve, pour l’essentiel, ce qui vient d’être dit. Je représente les commissions médicales de 520 centres hospitaliers, un groupe très hétérogène qui constitue la première offre de soins hospitaliers en France, et qui traite de nombreuses pathologies lourdes. Je soulignerai en préambule que, même si des améliorations sont possibles en matière de gestion et de qualité des soins, notre système hospitalier, envisagé dans sa globalité, n’est pas aussi inefficace qu’on veut bien le dire, et l’augmentation de l’activité des hôpitaux en témoigne. Or on a tendance à se focaliser sur les établissements en difficulté. Ainsi, on parle beaucoup des établissements en déficit, mais l’on semble oublier que, si les plus gros sont effectivement déficitaires, la majorité ne l’est pas. Il faut, certes, comprendre les raisons des dysfonctionnements pour y remédier, mais il faut aussi savoir mettre en exergue ce qui fonctionne, et rappeler que les praticiens hospitaliers sont attachés à leur établissement, fiers des missions qu’ils exercent et qu’ils cherchent à remplir de leur mieux.

Pour autant, les difficultés sont réelles. En premier lieu, de nombreux centres hospitaliers n’ont pas défini leur positionnement. La création des schémas régionaux a permis des améliorations mais la réflexion stratégique pèche encore. Les centres hospitaliers veulent continuer à faire un peu de tout, ce qui, manifestement, ne se peut plus. Il faut désormais dessiner une cohérence territoriale. Nous avons soutenu le principe de la tarification à l’activité (T2A) qui nous semblait favoriser l’équité par une juste répartition des moyens, jusqu’à présent très hétérogène pour des raisons historiques. Nous ne sommes pas entièrement d’accord avec la manière dont elle est appliquée. Il faut en effet que les missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation tiennent compte des missions de service public ; pour parler clairement, la province ne veut pas continuer à payer pour l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Outre cela, la T2A vise l’amélioration de l’efficacité de chaque établissement. Il en résulte que les équipes dirigeantes les plus efficaces auront des établissements performants sur le plan économique, mais cela ne préjuge en rien de la performance sanitaire territoriale. Or chaque patient doit obtenir une réponse coordonnée, graduée et efficace, en fonction de son état, sur le territoire où il vit. Il faudra donc prendre garde à concilier la planification territoriale que vont imposer les agences régionales de santé par des contrats très asymétriques et l’autonomie des établissements publics, auxquels on demande d’être hyperperformants. Actuellement, ces deux objectifs se contredisent.

Nous sommes confrontés à une autre grave difficulté : l’évolution de la démographie professionnelle. À Paris, le problème concerne plutôt les professions paramédicales ; en province, les médecins. Le nombre de médecins disponibles diminue et ce mouvement va s’aggravant, même si nos jeunes confrères se dirigent plutôt vers le salariat. De plus, on assiste à une sur-spécialisation. Lorsque j’ai commencé ma carrière de praticien hospitalier, notre service comptait quatre cardiologues polyvalents. Aujourd’hui, le service dans lequel j’exerce compte douze cardiologues, dont quatre ne participent plus aux gardes car, spécialisés en hémodynamique, ils ne sont plus capables de faire une échographie… Si l’on veut être efficace, il faut repenser l’organisation territoriale en concentrant les plateaux techniques pour atteindre la masse critique. Si l’on ne le fait pas, on ne trouvera plus de praticiens, car les jeunes médecins ne veulent plus travailler seuls – que le lieu soit agréable ou qu’il ne le soit pas – mais en équipe, à la fois pour partager la charge de travail et pour avoir des échanges intellectuels enrichissants. Ne l’oublions pas, le personnel de l’hôpital public est soumis à la forte contrainte de devoir assurer la permanence des soins secondaires spécialisés, ce qui pose aussi problème. À l’hôpital public, un radiologue gagne moins bien sa vie que dans un établissement privé, et il doit travailler les week-ends et les nuits ; on n’en trouve plus.

Aussi la question des ressources médicales est-elle pour nous un problème crucial. Si la tendance actuelle ne s’infléchit pas, on se dirige tout droit, pour les disciplines les plus difficiles, vers une « starisation » des médecins qui n’aura rien à envier à celle des joueurs de football : ils se vendront au plus offrant, monnayeront leurs compétences et leur présence et n’hésiteront pas à changer d’établissement. Il faut en prendre conscience et anticiper cette évolution.

Nous avons, nous aussi, globalement soutenu la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, bien que nous n’approuvions pas la partie du texte relative à la gouvernance ; nous l’avions dit, à l’époque, devant votre commission des affaires sociales. Le texte finalement adopté traduit un équilibre acceptable pour les médecins. Dans tout établissement hospitalier, une complicité quotidienne est obligatoire entre l’administration et les médecins, sinon le dysfonctionnement est certain. Nous considérons la création des agences régionales de santé comme un progrès, même si nous éprouvons quelques craintes sur l’« ingénierie administrative » que cela implique. On passe en effet d’agences régionales de l’hospitalisation très efficaces, chacune dotée d’un seul décideur, à des structures organisées sur un mode quelque peu préfectoral. Nous redoutons des circuits de décision compliqués, qui constitueront un facteur de complexité accrue pour les praticiens hospitaliers. Il est bon que les agences régionales de santé aient un champ de compétences plus large – trop large sur certains points – que n’avaient les agences régionales de l’hospitalisation, mais la difficulté sera de trouver l’interlocuteur juste, pour obtenir des réponses rapides ; nous verrons à l’usage.

De plus, quelle marge de manœuvre auront les agences régionales de santé s’agissant de la médecine de ville ? Faute de moyens de pression comme elles en auront sur les hôpitaux, elles useront d’incitations et de leur pouvoir de conviction, mais sans doute n’obtiendront-elles pas de résultats immédiats. Ne pensez pas que nos relations avec nos confrères qui exercent en ville soient mauvaises : nous nous entendons bien avec eux, mais nous vivons sur des planètes différentes ; à tout le moins devons-nous être sur la même orbite…

La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires permet l’utilisation de nouveaux outils, tels que la télémédecine, qui nous faciliteront la vie et constitueront un progrès majeur pour nous, si l’on avance vite. Le texte laisse toutefois des questions en suspens. Ainsi, on va probablement demander aux centres hospitaliers d’ouvrir des centres de santé pour pallier les carences du réseau de premiers soins dans certaines zones ; y parviendront-ils ? Trouvera-t-on des médecins qui accepteront d’exercer dans les zones urbaines sensibles ou à la campagne ?

La partie du texte qui concerne les communautés hospitalières de territoire nous a beaucoup déçus. Ce sont des laboratoires d’idées intéressants mais elles sont dépourvues de vrais outils. Nous espérions pourtant qu’elles permettraient de restructurer l’hôpital public, en démantelant les cathédrales hospitalières actuelles, en concentrant les plateaux techniques, en développant la médecine ambulatoire, l’hospitalisation à domicile, les centres de prise en charge d’urgence un peu plus éloignés et des centres de santé, en créant, en bref, un réseau structuré d’hospitalisation publique. C’est notre rêve mais, sur ce point, la loi nous paraît très frileuse.

Par le biais de la T2A, les médecins hospitaliers se sont approprié la réflexion médico-économique – peut-être trop bien à certains égards. Maintenant, nous demandons la stabilisation du système car, si les règles changent tous les ans, l’absence de prévisibilité empêche toute anticipation.

Pour obtenir l’adhésion des équipes médicales, il faut aussi une subsidiarité réelle. Des études conduites sur les hôpitaux américains dits « magnétiques » ont montré qu’ils sont excellents parce qu’ils sont à taille humaine, mais aussi parce qu’ils font une place à l’informel. On peut définir toutes les procédures que l’on veut, on court au dysfonctionnement si personne ne sait laquelle appliquer. Actuellement, un temps médical considérable est consacré à l’informatisation des circuits de médicaments ; bien sûr, la certification et la réflexion sur la qualité doivent avancer, mais il faut savoir trouver un équilibre.

Enfin, la formation managériale des médecins et notamment des quelque 5 000 chefs de pôle est impérative et urgente. Les chefs de service ont une vision manifestement très lointaine des questions de gouvernance et de ce qu’elles recouvrent. Il est indispensable d’enseigner aux uns et aux autres ce qu’est la vie hospitalière, ce que sont un budget et un projet hospitaliers, pour leur permettre d’adhérer aux projets collectifs. Ainsi chaque établissement pourra-t-il s’engager dans un projet médical.

M. Didier Gaillard, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des établissements de santé privés à but non lucratif. Historiquement, les établissements de santé privés à but non lucratif que nous représentons n’étaient pas orientés vers la performance. L’application de la T2A nous a fait entrer dans ce schéma.

Nos établissements représentent 15 % de l’offre de soins en France et une part importante des soins de suite et de réadaptation, des soins psychiatriques, des dialyses et du médico-social. Au cours de l’année 2009, leur existence a été sérieusement menacée et nous avons subi une violente douche écossaise. Dans un premier temps, nous avons été consultés lors de la préparation de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires ; ensuite, la commission Larcher a vanté notre modèle ; après quoi, nous apprenions que la loi nous rayait de la carte sanitaire française. Nos intenses efforts de persuasion ont porté leurs fruits – je remercie le Parlement de nous avoir soutenus – et nous avons finalement pu retrouver une place.

Notre étonnement avait été d’autant plus vif que nous étions favorables à l’esprit de la loi, favorables à la création des agences régionales de santé, favorables à l’organisation conventionnelle des schémas régionaux, favorables à la contractualisation. En revanche, nous ne nous étions pas saisis de la question de la gouvernance. Cela s’explique : si les hôpitaux publics sentaient la possibilité d’une rivalité entre direction administrative et direction médicale, ce n’était pas notre cas, puisque nous fonctionnions déjà avec un conseil d’administration et une commission médicale d’établissement.

Le projet de loi prévoyait que, dans les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) – ce que nous sommes désormais –, la commission médicale devenait une « conférence médicale ». Notre position à l’intérieur des établissements changeait donc du tout au tout ; nous avons tenté de le faire valoir sans y parvenir réellement. Que l’on classe les établissements privés à but non lucratif dans la même catégorie que les hôpitaux privés à but lucratif n’a rien d’anormal puisque nous sommes de statut privé. Seulement, nous ne sommes pas des médecins libéraux mais, en quasi-totalité, des médecins salariés. L’évolution intervenue nous a déstabilisés, d’autant que nos établissements fonctionnent bien davantage sur le modèle des hôpitaux publics que sur celui des hôpitaux privés. Le fait que nous ayons été rétablis, mais dans un statut beaucoup plus précaire, nous met dans une situation plus critique. On peut en effet imaginer qu’un président de conseil d’administration tout puissant décide seul de toute la stratégie d’un établissement donné, comme cela s’observe dans certains établissements à but lucratif.

Bon nombre de nos établissements participent du service public. Certains sont dans une situation financière quelque peu délicate ; les restructurations en cours depuis quelques années permettent de les remettre peu à peu dans le droit chemin. Comme nous sommes des établissements de droit privé, quand nous sommes en déficit, la fondation ou l’association dont nous dépendons doivent combler le trou, avec l’aide de l’État. Mais, pourquoi la décision politique a-t-elle été prise de ne pas nous accorder le différentiel de charges, évalué à 4,5 % par l’Inspection générale des affaires sociales, qui correspond à nos missions de service public ? Nous contribuons à la couverture médicale du territoire, et c’est une chance pour la collectivité nationale, car les filières, les réseaux, la répartition médecine de ville-hôpital et les soins post-hospitaliers sont déjà bien structurés dans nos établissements, qui assurent déjà beaucoup des soins de suite et de rééducation et d’hospitalisation à domicile.

Le recrutement des médecins est compliqué pour nos établissements car, comparée à celle des établissements sous d’autres statuts, notre convention n’est pas très favorable. On prétend que les médecins qui exercent dans les établissements privés participant au service public hospitalier seraient mieux payés qu’à l’hôpital public, mais il suffit de comparer des profils de carrière pour constater que c’est faux. C’est pour nous un problème réel, qui oblige à trouver un meilleur mode de rémunération des médecins exerçant dans les établissements de santé privés d’intérêt collectif – peut-être par le biais de l’intéressement.

Nos établissements sont aussi engagés depuis très longtemps dans la formation et dans la prévention. Aussi souhaitons-nous une prise en compte plus réaliste des missions d’intérêt général et de l’aide à la contractualisation, en particulier des missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (MERRI) que nous assurons. Je sais que des commissions étudient cette question.

La tarification à l’activité était indispensable et son entrée en vigueur a permis de restructurer des établissements. Cependant, une tarification à l’activité complète n’a pas de sens dans des établissements où la prise en charge de certaines catégories de la population n’est pas prise en compte. Actuellement, la T2A privilégie les actes techniques de la nomenclature générale des actes professionnels – les plus faciles à comptabiliser – au détriment de l’acte médical intellectuel, plus difficile à coter. Un rééquilibrage est nécessaire ; mon collègue Jean-Pierre Genet y travaille au sein de la commission chargée de la réflexion sur la classification commune des actes médicaux cliniques. C’est une bonne chose, car le sujet est important.

J’en viens à un point déjà évoqué par mes collègues, le besoin de stabilité. Nous avons vécu des restructurations et des fusions, phénomènes inconnus à ce jour du milieu médical. Ce sont des expériences intéressantes mais lourdes et compliquées et il vient un moment où les établissements doivent connaître la stabilité tarifaire. On leur demande de faire des business plans – mais comment pourraient-ils le faire s’ils ne connaissent pas les tarifs sur lesquels appuyer leur calcul, ni les réorganisations à venir ? On parle de faire des économies ; soit. À cette fin, on nous invite par exemple à développer l’hospitalisation de jour. Mais ce n’est pas parce qu’une procédure est possible qu’elle sera suivie si les médecins ne sont pas convaincus de la justesse de la méthode – et, s’agissant de l’hôpital de jour, les chirurgiens ne le sont pas tous. L’hospitalisation de jour est une bonne chose et sa généralisation réduira vraisemblablement les coûts hospitaliers, mais un bilan ultérieur devra le confirmer. Pour autant, on ne peut pas demander aux établissements hospitaliers de créer des services d’hospitalisation de jour pour décider ensuite que, finalement, les patients seront traités en consultations externes ! Une réflexion globale s’impose, à laquelle les médecins doivent être associés. D’autre part, la charge que représente l’activité « hôpital de jour », notamment chirurgicale, est notoirement sous-évaluée dans nos établissements, contrairement à ce qui vaut pour les établissements privés à but lucratif, où la part hôtelière et la part « rémunération » sont distinguées. La tarification en groupes homogènes de séjour entraîne pour nos établissements une sous-évaluation de fait. Quant à l’objectif annoncé de 80 % d’activité chirurgicale en hôpital de jour, il me semble excessivement ambitieux : si l’on parvenait à 50 %, ce serait déjà bien.

Je traiterai pour finir de la situation sociale en soulignant que la qualité et la sécurité des soins supposent en premier lieu l’amélioration de l’organisation de nos établissements. La réflexion des médecins à ce sujet a certainement pris du retard ; nous sommes d’accord pour participer à cette démarche. La tarification à l’activité montre que réduction des coûts et maintien de la qualité et de la sécurité des soins ne sont pas antagoniques, mais vient un moment où il faut cesser de réduire le personnel présent dans les services. Nous ne sommes pas loin d’avoir atteint ce moment.

M. Marc Hayat, vice-président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des établissements de santé privés à but non lucratif. Je compléterai le propos de M. Gaillard en traitant de trois aspects concernant plus spécialement la psychiatrie, mais certainement aussi d’autres secteurs de la médecine, de la chirurgie ou de l’obstétrique (MCO). J’aborderai en premier lieu la gestion du personnel, qui est un problème en soi pour les psychiatres praticiens hospitaliers. Imaginez les problèmes qui se posent à nous lorsqu’une infirmière spécialisée absente est remplacée au débotté par une infirmière de réanimation ! Tout devient immédiatement plus compliqué. Il est impératif que les médecins soient associés à la gestion du personnel et à sa mobilité. Par ailleurs, les critères de certification sont essentiellement faits pour les disciplines médicales et chirurgicales et pour l’obstétrique. Leur application à la psychiatrie apparaît parfois très improbable, et une anecdote vous en convaincra sans mal. Que pensez-vous de ce questionnaire de satisfaction adressé à un patient hospitalisé en service psychiatrique, prié de répondre à la question suivante : « Recommanderiez-vous cet établissement à l’un de vos proches » ? Autant dire que nous ne pouvons appliquer en psychiatrie, sans les adapter, les critères recommandés par la Haute Autorité de santé.

Un mot, ensuite, sur la gouvernance. Il faut effectivement passer à l’action – et non à l’acte… –, mais l’une des difficultés tient à la qualité de la relation entre les médecins et leurs interlocuteurs – directeurs d’établissement, ou représentants de l’État ou des collectivités locales. À chaque fois que nous participons à des auditions du type de celle qui nous réunit ce matin ou à des réunions au ministère, la première question que nous posent ensuite nos confrères est : « À quelle sauce allons-nous être mangés ? ». D’évidence, un climat de défiance s’est installé entre les directeurs d’établissement, vus comme des suppôts de l’État, et les médecins inquiets pour le respect de l’éthique, la qualité des soins et le bien-être des patients. Il faut parvenir à restaurer la confiance et je sais combien c’est difficile par la loi. Pour ce qui concerne la psychiatrie en tout cas, il convient d’instaurer un triumvirat associant le directeur d’établissement, les médecins et les représentants des usagers et de leur famille. On évitera ainsi un face-à-face dangereux et l’on améliorera la gouvernance des hôpitaux. Les élus locaux sont la voix du peuple mais il faut parvenir à une association dynamique entre ces trois piliers de l’hôpital.

M. Jean Halligon, ancien président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement de l’hospitalisation privée. Je représente les cliniques, des établissements dans lesquels exercent des médecins libéraux. Ils sont recrutés sur le fondement de contrats individuels mais, au cours de la décennie écoulée, des tâches connexes aux soins leur ont été dévolues, parfois accomplies par tous les médecins – c’est le cas pour le contrôle de la qualité et de la sécurité des soins – mais parfois aussi par quelques-uns au bénéfice de tous. Ce sont les obligations transversales : lutte contre la douleur et contre les infections nosocomiales, réflexion sur l’alimentation… Bien qu’obligatoires, ces tâches ne sont pas rémunérées dans nos établissements ; en revanche, dans les établissements hospitaliers où les médecins sont salariés, elles font partie des tâches de service. Cela n’est pas le cas chez nous et c’est regrettable à plusieurs titres. D’une part, c’est inéquitable ; d’autre part, cela fait craindre pour la pérennité de ces activités, car les bonnes volontés s’épuisent. Enfin, ce n’est pas une garantie de qualité, car il n’est pas d’exigences possibles sans contrepartie ; on en est même venu à me dire « Ne demandez pas à être rémunéré pour ces obligations particulières : vous devrez rendre des comptes » ! L’absence de valorisation des obligations transversales est un élément clef des difficultés des médecins libéraux dans les cliniques privées.

La loi nous a fixé d’autres tâches : les missions de service public. Quelque 150 établissements hospitaliers privés accueillent déjà les patients dans les services d’urgence, beaucoup d’autres y sont prêts. Vraisemblablement, nous devrons aussi enseigner, puisque certaines activités majoritairement pratiquées dans nos établissements devront être enseignées à nos jeunes collègues. Par ailleurs, il est indispensable de structurer la conférence médicale d’établissement. Avant l’adoption de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, cette structure était définie en trois lignes. Sa description s’est un peu étoffée, mais elle demeure insuffisante. Le défaut est que l’on ne sait pas comment sera constituée la commission médicale d’établissement qui sera consultée. En l’état, n’importe quel médecin peut réunir trois confrères qui éliront un président de commission médicale d’établissement, lequel sera chargé par eux d’aller discuter avec la direction de l’établissement. Même si cette démarche n’est pas légitime, elle sera légale, rien dans la loi n’encadrant la constitution d’une commission médicale d’établissement. De même, tout directeur d’établissement un tant soit peu paranoïaque peut rassembler des médecins à sa botte et créer une conférence médicale d’établissement fantoche. Les pouvoirs publics doivent s’assurer que les décisions de gestion sont des décisions médicalement éclairées. C’est indispensable, mais ni la loi ni les décrets ne le prévoient, en dépit de nos demandes réitérées. Il va sans dire que l’adhésion de la communauté médicale au projet d’établissement se renforcera si la commission médicale d’établissement est correctement structurée. J’y insiste, l’enjeu est capital pour tous les établissements de santé.

L’autre problème qui se pose est celui de la contractualisation, aussi bien en interne que vis-à-vis des agences régionales de santé. En l’état, les autorités de tutelle n’auront face à elles que des gestionnaires et non un couple médico-économique. Même le retour d’informations n’est pas explicitement prévu ! Cela démontre un défaut d’intervention de l’État, régulateur et financeur, qui paye pour obtenir un service : des soins à la population. Il résulte de cette lacune que la réponse aux besoins de santé risque d’être prise en fonction de considérations uniquement économiques, et non pas médico-économiques comme il serait souhaitable. Nous déplorons de ne pas avoir été suffisamment entendus à ce sujet lors de l’élaboration de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, même si la représentation nationale a été plus attentive à nos observations que certains cabinets ministériels.

M. le coprésident Pierre Morange. Le temps nous manque pour poursuivre ce débat. Aussi, je vous invite à nous faire parvenir vos suggestions et vos recommandations écrites, qu’il s’agisse de la maîtrise de l’information et de son partage au long du parcours de soins ou de la cotation des actes et de l’appropriation par les praticiens hospitaliers de la nouvelle procédure. Enfin, nous avons pris note de votre appel ardent à la stabilisation des règles.

Mme Jacqueline Fraysse. À propos de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, des convictions fortes se sont affrontées au cours de débats très vifs. La table ronde qui s’achève me réconforte car, si les précédentes étaient utiles et intéressantes, celle-ci a mis en exergue le déséquilibre persistant entre préoccupations économiques et préoccupations humanistes. Grâce à vous, messieurs, nous avons enfin entendu s’exprimer la crainte que seules les considérations financières priment. Dans le même temps, vous avez dit fortement que les médecins s’impliquent dans la réduction des coûts. Selon moi, nous ne réussirons pas si nous ne rééquilibrons pas une loi qui, en l’état, fait une part congrue aux projets médicaux propres à répondre aux besoins exprimés par la population. M. Hayat a fort justement évoqué la nécessité d’un triptyque associant l’administration, les médecins et les usagers ; mais où sont les usagers dans la loi ? Nous avions vivement protesté à ce sujet.

Ayant entendu vos propos, je souhaite que l’on prenne mieux en considération la question humaine mise en avant par les praticiens. Il est de notre devoir de députés de traduire ce message dans les textes, tout en soulignant que cet impératif catégorique ne s’oppose pas à la meilleure utilisation des deniers publics. À ce jour, les médecins n’adhèrent pas au projet gouvernemental. On a entendu parler de « résistances », et c’est heureux, car les déséquilibres que perpétue la loi sont, selon moi, dangereux. Nous avons entendu des propos raisonnables ; nous devons en tenir compte. Les médecins nous l’ont dit, ils adhéreront à un projet médical. Si le projet est autre, ils n’y adhéreront pas et, dans ce cas, la réforme n’aboutira pas. J’espère, messieurs, que les instances dirigeantes de notre pays vous entendront, comme elles le doivent.

M. le coprésident Pierre Morange. La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, à la création de laquelle j’ai largement participé avec MM. Claude Evin et Jean-Michel Dubernard, est une instance collégiale, qui tient compte des diverses sensibilités politiques de ses membres sans toutefois souffrir des affrontements plus communs en d’autres matières. On y débat avec passion de la chose sanitaire et sociale sans dissocier rationalisation et optimisation de la dépense d’une part, prise en compte de l’humain d’autre part, puisque notre objectif à tous est d’être au service de l’homme. Messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à douze heures trente-cinq.