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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 20 mai 2010

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, à huis clos, sur le fonctionnement de l’hôpital :

– M. Pierre Boissier, chef de l’Inspection générale des affaires sociales, et M. Pascal Penaud, inspecteur général des affaires sociales

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 20 mai 2010

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition de M. Pierre Boissier, chef de l’Inspection générale des affaires sociales, et de M. Pascal Penaud, inspecteur général des affaires sociales, sur le fonctionnement de l’hôpital.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Pierre Boissier, chef de l’Inspection générale des affaires sociales, et M. Pascal Penaud, inspecteur général des affaires sociales. Dans le cadre des travaux que conduit la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur le fonctionnement de l’hôpital, nous avons souhaité examiner des cas concrets et porté plus particulièrement notre attention sur la situation du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye (CHIPS), qui présentait l’un des déficits cumulés les plus importants sur le plan national.

Vous avez été, messieurs, mandatés à la demande du cabinet de la ministre, pour effectuer un audit de cet établissement, à la suite d’un rapport rendu quelques mois auparavant par le directeur départemental de l’action sanitaire et sociale, M. Luc Paraire, lequel avait relevé, sur les dix-neuf marchés publics qu’il avait examiné, des dysfonctionnements graves, ce qui l’avait d’ailleurs conduit à saisir le procureur de la République. Ce dernier, après enquête de la brigade financière fin 2009, a jugé les faits suffisamment graves pour nommer un juge d’instruction.

Il n’appartient bien sûr pas à la MECSS de se substituer à l’autorité judiciaire. Nous souhaiterions que vous nous fassiez, messieurs, un résumé bref et synthétique de l’audit que vous avez mené, suite à la lettre de mission reçue du directeur de cabinet de la ministre de la santé – ce qui est d’ailleurs étonnant, ce type de courrier étant d’ordinaire signé par le ministre lui-même, me semble-t-il.

M. Pierre Boissier, chef de l’Inspection générale des affaires sociales. Cela dépend des cas.

M. le coprésident Pierre Morange. Il était initialement prévu que les résultats de cet audit soient rendus le 31 janvier 2010. L’importance et la complexité du sujet, ainsi que la nécessité de remonter au moins jusqu’à 2005, sachant que le rapport de M. Luc Paraire faisait état d’anomalies sur des périodes plus anciennes encore, vous ont amenés à prolonger vos travaux. Vous ne nous livrez aujourd’hui qu’un prérapport, la procédure contradictoire n’ayant pas encore été menée à son terme – l’échéance a été fixée au 8 juin 2010. Disposez-vous d’ailleurs d’un écrit validant cette prorogation ?

M. Pierre Boissier. Non, la décision a été avalisée oralement.

Deux mots tout d’abord du contexte et des modalités de cet audit, avant de passer la parole à M. Pascal Penaud, coordonnateur de mission, qui vous exposera nos constats.

Notre investigation, conformément à notre lettre de mission, a porté sur le fonctionnement global de l’établissement, en remontant jusqu’en 2005. Cela couvre donc l’ancienne gestion et l’actuelle, un changement de directeur ayant eu lieu en 2007. Nous avons examiné la situation financière de l’établissement, la qualité de sa gestion, la régularité des marchés passés et, suite à une demande spécifique figurant dans notre lettre de mission, la qualité de son management.

Nous avons en effet souhaité prolonger nos travaux au-delà du 31 janvier 2010, notamment pour des raisons propres à l’établissement. Celui-ci connaît des difficultés depuis une dizaine d’années – il est d’ailleurs étrange, nous l’avons noté, que l’on ait attendu aussi longtemps pour demander une inspection. C’est par ailleurs un établissement multi-sites qui compte quelque quatre mille salariés. Nous avons aussi dû faire face à certaines réticences des équipes à diffuser l’information, et composer avec la faible qualité de l’information disponible sur la gestion dans l’établissement. Ce problème est d’ailleurs récurrent : on manque de véritables outils de pilotage dans tous les établissements hospitaliers.

Nous avons mené nos investigations selon les règles habituelles de l’Inspection générale des affaires sociales, de collégialité notamment. Nous disposons aujourd’hui des réponses de l’actuel directeur à nos principales observations et de quelques éléments de la part de l’ancien directeur. Nous pouvons donc vous présenter l’essentiel de nos conclusions. Si j’ai souhaité rallonger quelque peu la durée de la procédure contradictoire, c’est que l’ancien directeur était parti en retraite et que le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) n’avait pas son adresse. Nous avons eu du mal à lui faire parvenir les conclusions de notre rapport.

M. le coprésident Pierre Morange. TF1, pour un reportage réalisé dans le cadre de la très populaire émission Contre-enquête, n’a pas eu, elle, de difficultés à retrouver cette adresse…

M. Pierre Boissier. Nous pourrons en reparler tout à l’heure. Je laisse pour l’instant la parole à M. Pascal Penaud, avant de vous présenter quelques enseignements généraux qui peuvent être tirés de cette enquête et de quelques autres que nous conduisons actuellement.

M. Pascal Penaud, inspecteur général des affaires sociales. Ce travail est le fruit de la collaboration d’une équipe de quatre personnes qui ont passé un mois à étudier la première question qui nous était posée sur le fonctionnement de l’équipe de direction. Cela nous a pris beaucoup de temps car nous avons auditionné, assistant tous les quatre à l’ensemble des auditions pour garantir la bonne qualité de nos travaux, toute l’équipe actuelle ainsi que les personnes parties depuis l’arrivée du nouveau directeur. Au bout du mois qui nous avait été imparti, nous avons rendu une note au cabinet de la ministre où nous faisions état d’éléments de management « inappropriés » de la part du directeur. Nous y indiquions toutefois qu’il nous semblait nécessaire de dresser le bilan de sa gestion avant de prendre toute décision personnelle le concernant. Nous estimions en effet qu’il ne convenait pas de reproduire à son égard ce que nous lui reprochions, à savoir d’avoir lui-même pris des décisions hâtives à l’égard de certains collaborateurs sans prendre en compte la qualité de leur travail.

Sur le deuxième point qu’il nous avait été demandé de traiter, nous avons été amenés à solliciter un délai complémentaire parce qu’il n’était clairement pas possible de contrôler en un mois quatre années de gestion d’un établissement dont le budget s’élève à 250 millions d’euros et qui compte 4 000 salariés : à l’impossible nul n’est tenu ! Nous avons mené des investigations sur place durant trois mois, puis mis un mois à rédiger notre rapport et ses volumineuses annexes. Contrairement à un cabinet de conseil, l’Inspection générale des affaires sociales fournit tous les documents sur lesquels elle se fonde aux organismes qu’elle contrôle, leur donnant la possibilité de lui répondre en s’appuyant sur le contenu entier de ses travaux, et pas seulement sur ses conclusions.

Ces questions méthodologiques précisées, j’en viens à notre constat.

Le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye présente certes des points faibles, que nous avons relevés, mais il a aussi des points forts. Et il nous paraît important de dire ici, avant d’évoquer ses dysfonctionnements, que cet établissement remplit globalement sa mission de service public et répond, avec l’ensemble des personnels qui y travaillent, à un besoin dans l’offre de santé. Nous avons veillé à toujours garder cela en mémoire et à ne pas nous focaliser sur la seule gestion administrative, certes essentielle mais qui n’est pas la vocation première d’un hôpital.

Cet établissement, bien implanté sur son territoire, a un positionnement stratégique et possède des services performants, reconnus sur le plan régional, voire pour certains sur le plan national. Y sont présents des services universitaires, ce qui n’est pas le cas dans tous les établissements de statut et de taille similaires. Cela étant, il opère dans un environnement extrêmement concurrentiel. L’offre locale de soins est abondante, avec d’autres établissements eux-mêmes de bon niveau. Par ailleurs, la situation géographique du bassin de population fait qu’il est plus facile qu’ailleurs d’aller se faire soigner hors de ses limites, ce qui accroît encore la concurrence.

Sous réserve de la qualité des données dont nous avons pu disposer, car nous avons eu du mal à en obtenir de cohérentes, et de toujours pertinentes au regard du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), nous avons constaté une stabilité globale de l’activité. Si celle-ci avait été en augmentation, cela n’aurait pu nous échapper.

Notre contrôle a porté sur la période 2005-2009. Nous avons essayé de comprendre la situation qu’a trouvée le nouveau directeur à son arrivée en 2007 et, sur certains points, sommes remontés au-delà même de 2005 afin de voir comment on avait pu en arriver là, même si nous n’avons pas effectué un contrôle complet de gestion depuis 2000.

M. le coprésident Pierre Morange. Lors de l’audition, à huis clos, de l’ancienne équipe dirigeante, il avait été fait état d’une collecte pour le moins hasardeuse des informations, comme l’avait lui-même constaté le directeur départemental de l’action sanitaire et sociale. Une partie des données était en effet « bennée » pour reprendre l’expression alors utilisée, ce qui n’a bien entendu pas dû faciliter votre tâche ni surtout celle de la nouvelle équipe, à laquelle par définition ne peut être imputée la responsabilité de la situation, sauf à être de parti pris.

M. Pascal Penaud. Nous n’avons bien entendu aucun parti pris et nous sommes efforcés de dresser un constat le plus objectif possible.

Plusieurs éléments distinguent cet établissement de l’hôpital moyen. Tout d’abord, une fusion y a été imposée qui n’a jamais été acceptée en interne et ne s’est donc pas traduite par l’élaboration d’un véritable projet commun. Ensuite, il y a eu des interventions politiques, locales et nationales, fortes, faisant varier les objectifs assignés à l’établissement, ce qui n’a pas facilité sa gestion. Il existe enfin en toile de fond une suspicion sur la régularité des marchés conclus par l’établissement.

L’ancienne équipe a opéré certains regroupements. De notre point de vue, son bilan sur ce point particulier peut être tenu pour relativement satisfaisant, compte tenu du contexte. Cela ne signifie pas pour autant que l’on soit parvenu à une véritable unité médicale de l’établissement. L’établissement a lui-même changé ses objectifs jusqu’au projet médical 2004-2008 et la manière dont ont été opérés ces regroupements a conduit à une spécialisation des deux sites, particulièrement mal vécue par l’équipe de Saint-Germain-en-Laye et par le maire de cette commune, ce site voyant disparaître les activités qui sont tenues pour emblématiques d’un hôpital, notamment par les usagers. À l’arrivée du nouveau directeur, plusieurs chantiers restaient à lancer, notamment en matière de constitution de pôles et de gouvernance, celle prévue par la loi de 2004 n’ayant que peu avancé.

L’ancienne équipe de direction considère ne pas avoir démérité, estimant que les difficultés rencontrées par l’établissement ne résultent pas de sa gestion mais de ses contraintes externes. Que le directeur ait été promu conseiller général des établissements de santé (CGES) et décoré de la Légion d’honneur à ce moment-là ne peut d’ailleurs que la conforter dans cette opinion.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelle est votre opinion à vous, sur le fait que cette équipe « n’a pas démérité » ?

M. Pascal Penaud. Pour le dire clairement, le niveau de performance n’était pas celui qu’on peut attendre d’une équipe de direction et des améliorations substantielles auraient dû être apportées.

M. le coprésident Pierre Morange. Belle circonvolution oratoire !

M. Pascal Penaud. En dépit des progrès accomplis dans certains secteurs entre 2005 et 2007, car l’objectivité exige de dire que cette période n’a quand même pas été marquée du sceau d’un immobilisme total, il demeurait un écart important par rapport à une gestion normale.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Le fait troublant en l’espèce est que la situation ait perduré si longtemps.

M. Pascal Penaud. Nous le notons nous-mêmes dans notre rapport ; nous ne comprenons pas pourquoi cet établissement n’a pas fait l’objet d’un contrôle approfondi bien avant 2007. En tout cas, un audit lors du changement de direction aurait permis au nouveau directeur de travailler dans de bien meilleures conditions, sur la base d’un état des lieux clair et net.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Avez-vous pu vous faire une idée de la raison pour laquelle la situation a pu ainsi perdurer au-delà de l’entendement ?

M. le coprésident Pierre Morange. Vous citez explicitement les autorités de tutelle – agence régionale de l’hospitalisation, direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, centre national de gestion… – qui n’ont sans doute pas exercé toutes leurs responsabilités. Pour le volet dont la justice a été saisie, on peut aussi penser que les autorités chargées d’exercer le contrôle de légalité – préfectures, sous-préfectures et direction départementale de l’action sanitaire et sociale – n’ont pas effectué correctement leur travail. Tout cela nous laisse perplexes.

M. Pierre Boissier. Notre contrôle s’est limité à l’établissement, sans s’étendre jusqu’à l’environnement de tutelle. La seule chose que nous pouvons dire est qu’aucun contrôle significatif n’a eu lieu, à l’exception de celui du directeur départemental de l’action sanitaire et sociale, dont vous avez fait état. C’est en effet surprenant mais je ne saurais pas expliquer pourquoi il en a été ainsi.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous ne sommes ni inspecteurs généraux des affaires sociales ni juges. La MECSS s’est intéressée à cet hôpital en particulier parce qu’il lui a semblé qu’avec autant de dysfonctionnements, nous pourrions en tirer des leçons pour l’ensemble des établissements, en analysant notamment quels dysfonctionnements se retrouvent ou non autre part. Les autorités de tutelle qui auraient dû réagir et ne l’ont visiblement pas fait sont-elles également défaillantes ailleurs ? Lors de votre contrôle, avez-vous trouvé par exemple un compte rendu de réunion ou tout autre document livrant un indice sur telle ou telle raison pour laquelle les mesures nécessaires n’auraient pas été prises ?

M. Pierre Boissier. Au-delà du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, nous rencontrons trois types de difficultés dans les hôpitaux. La première tient à leurs instruments de pilotage. Aujourd’hui, contrairement à n’importe quelle entreprise privée, les établissements hospitaliers pilotent leur gestion non sur la base de leur résultat d’exploitation, mais de leur résultat comptable, lequel intègre par exemple les provisions, les reprises de provisions, les dotations MIGAC – missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation. Que l’on ait du mal à discerner leur résultat réel d’exploitation peut pendant des années masquer une situation préoccupante.

Un deuxième problème tient aux moyens de la tutelle. On peut espérer que la mise en place des agences régionales de santé (ARS) permettra un meilleur suivi de proximité, surtout conjuguée aux moyens de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP). Le bras armé ARS-ANAP, aidé de l’IGAS dans les cas les plus graves, devrait permettre des progrès. En effet, les équipes des agences régionales de l’hospitalisation ou des directions, départementale et régionale, de l’action sanitaire et sociale pouvaient avoir du mal à analyser la situation financière d’établissements complexes, dont les comptes sont difficiles à lire. Il existe clairement un problème de formation et maîtrise des méthodologies de contrôle des personnes censées assurer les contrôles.

Enfin, le vivier des cadres de direction des établissements hospitaliers pourrait être élargi. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires permet désormais de nommer directeurs d’hôpitaux des personnes ne sortant pas de l’École nationale de la santé publique, mais cela ne concerne que les directeurs, pas les équipes. Le vivier disponible de directeurs et de cadres est trop homogène, constitué d’anciens élèves de l’École nationale de la santé publique et souvent de Sciences-Po, confrontés à la gestion d’établissements extrêmement complexes, à la situation parfois délicate, qui exigerait des compétences plus diversifiées.

M. le coprésident Pierre Morange. J’ai tenu à peu près les mêmes propos en Commission des affaires sociales lors de l’examen du projet de loi qui a abouti à la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Sur la base de ces seuls propos, l’ancienne équipe dirigeante du CHIPS a formulé par écrit une plainte avec menaces de poursuites judiciaires à mon encontre. Cette endogamie est totalement contradictoire avec la loi du 21 juillet 2009 précitée, dont on a d’ailleurs du mal à retrouver la philosophie dans votre rapport.

M. Pascal Penaud. Je ne suis pas sûr de voir où vous voulez en venir.

M. le coprésident Pierre Morange. Le déficit cumulé du CHIPS, constitué sous l’ancienne équipe dirigeante, était l’un des plus importants de France. Vu l’urgence de la situation, une nouvelle équipe a été nommée qui a reçu mission des autorités de tutelle de mettre en œuvre un plan drastique de retour à l’équilibre financier, tout à fait justifié, puisqu’il en allait de la bonne utilisation de l’argent des contribuables mais aussi parce que les problèmes financiers d’aujourd’hui sont les risques sanitaires de demain. La nouvelle équipe a pris des mesures qui ont tout de même permis de diviser par deux le déficit en l’espace de deux ans seulement. Qu’il reste encore beaucoup à faire et qu’un projet médical plus structuré qu’aujourd’hui soit nécessaire, c’est évident. Mais, pour reprendre les termes mêmes de M. Pascal Penaud, « à l’impossible nul n’est tenu. » Vu la gravité des dysfonctionnements, que l’action menée dans l’urgence ait donné des résultats aussi spectaculaires a frappé la MECSS. Or, vous proposez, vous, la mise sous administration provisoire de l’établissement, sanction à l’encontre d’une équipe qui a pourtant fait le « sale boulot », alors que les autorités de tutelle n’avaient pas, dans les années antérieures, porté toute l’attention nécessaire à la situation. Cette solution présenterait à vos yeux l’avantage « d’adresser un message choc sur le sérieux de la situation et de sa prise en compte », « d’isoler la direction de toute influence extérieure », alors même que vous soulignez ailleurs dans votre rapport « la nécessité de d’établir des liens horizontaux avec la communauté médicale. » J’ai du mal à percevoir la logique de votre raisonnement. Au-delà même des appréciations sur les personnes elles-mêmes, votre proposition nous laisse perplexes.

M. Pierre Boissier. Nous reconnaissons dans notre rapport que la situation financière de l’établissement s’est améliorée. Cette amélioration n’en demeure pas moins très fragile, du fait de sa nature et des moyens par lesquels elle a été obtenue, qui nous font douter de son caractère pérenne.

M. Pascal Penaud. Qu’un contrat de retour à l’équilibre financier (CREF) n’ait pas été mis en œuvre n’est pas propre à cet établissement. Une mission de l’IGAS a montré que la plupart ne l’avaient pas fait. En revanche, que l’établissement ne se soit pas préparé au passage à la tarification à l’activité (T2A) constitue une grave erreur de gestion. Nous avons par ailleurs relevé des dysfonctionnements globaux dans les procédures d’achats qui peuvent à eux seuls expliquer – je ne dis pas justifier – des dépassements de montant des marchés et des marchés irréguliers.

Nous avons clairement dit que le nouveau directeur avait hérité d’une situation très difficile et qu’il y ait eu une longue période d’intérim n’était pas pour aider. Sa réussite n’en est pas moins incontestable en matière de réduction du déficit : nous constatons simplement que celle-ci, conforme aux prévisions du plan de retour à l’équilibre financier (PREF), n’a pas été obtenue avec les hypothèses retenues dans le PREF. Les charges de personnel ont été réduites davantage que prévu, en jouant essentiellement sur les personnels non médicaux. Une autre partie de la baisse du déficit est liée à des vacances de postes et au fait que les dépenses de personnel supplémentaires, qu’aurait rendu nécessaires le développement d’activités nouvelles, n’ont pas été engagées, tout simplement parce que ces activités n’ont pas été développées. Si l’établissement pourvoit les postes vacants et développe son activité, ce que l’on ne peut que souhaiter pour le service sanitaire rendu à la population, les dépenses augmenteront inéluctablement. Les objectifs de recettes supplémentaires en matière de facturation n’ont, quant à eux, pas été atteints, l’optimisation de l’activité n’ayant pas été réalisée. L’établissement est certes parvenu à coder et facturer des activités qui ne l’étaient pas. Il faut s’en féliciter vu la situation de départ. Il n’en reste pas moins que ce n’est là que la norme !

M. le coprésident Pierre Morange. Que cela n’ait pas été fait antérieurement était particulièrement anormal.

M. Pascal Penaud. Tout à fait, et on est en effet revenu à la normale en deux ans. Nous faisons seulement remarquer que cela n’a été obtenu, y compris la dernière année, qu’en faisant un effort particulier en fin d’exercice pour bien facturer toute l’activité. Les procédures se sont améliorées, mais ne sont pas encore totalement fiables. Nous espérons qu’elles le seront davantage en 2010, comme on semble en être sur la voie.

La gestion administrative aussi s’est améliorée mais seulement au rythme où les différents responsables ont bien voulu essayer d’y parvenir et les progrès demeurent très dépendants des personnes, car il n’existe toujours pas de pilotage global. Le nouveau directeur s’est concentré sur la réduction du déficit mais ce n’est pas là le fruit de sa seule action personnelle : il faut en rendre hommage aussi à l’ensemble des équipes.

On nous a spécifiquement interrogés sur la qualité du management personnel du directeur vis-à-vis de l’équipe de direction. Celui-ci n’est clairement pas approprié, et nous avons relevé des comportements inacceptables. Le management global appelle aussi des critiques : la mobilisation de la communauté médicale et la constitution de pôles notamment n’ont que peu avancé. Il n’y a pas eu de changement profond. D’autres de nos critiques portent sur l’implication même du directeur et sur le fait qu’il ait demandé à ce que soit reportée son arrivée à temps réellement complet, ce qu’on n’aurait pas dû accepter – les torts sont ici partagés. Nous fournissons des documents à l’appui de toutes ces critiques.

Nous avons noté une amélioration de la qualité des marchés conclus, qui ne résulte toutefois pas de celle du pilotage et des procédures. Je pense simplement que les personnels, dans les services, ont été sensibilisés à ce sujet et se sont eux-mêmes aperçus que des changements étaient nécessaires.

M. le coprésident Pierre Morange. Cette amélioration dans la passation des marchés publics n’est donc pas pour vous le fait de la nouvelle direction, mais d’une attention plus grande des personnels en place ?

M. Pascal Penaud. Je ne dirai pas cela ainsi.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est pourtant ce que vous venez de dire.

M. Pascal Penaud. Je me suis mal exprimé. Cela ne se traduit pas par des éléments traçables en matière de management ni par un contrôle interne utilisant l’informatique par exemple. Les logiciels de gestion économique ont été changés, mais aucun des contrôles qui pourraient être mis en place pour éviter certains risques ne l’a été. Les procédures adoptées ne garantissent pas un bon niveau de résultat. Nous avons constaté de graves irrégularités dans les marchés passés avec Cap Gemini, alors même qu’ils représentent 1,7 million d’euros sur la période…

M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous nous rappeler le montant total des dix-neuf marchés publics audités par M. Luc Paraire ?

M. Pascal Penaud. De mémoire, non. Nous avons, pour notre part, examiné de près une quarantaine de marchés, ou plus exactement de procédures car certaines d’entre elles, comme celle d’achat de médicaments, peuvent recouvrir jusqu’à une centaine de marchés. Le nombre et le volume des marchés ne sont pas des notions pertinentes pour évaluer le champ du contrôle.

M. le coprésident Pierre Morange. Cela ne serait pourtant pas inintéressant.

M. Pascal Penaud. Ces données figurent dans le rapport. Simplement, je ne les ai pas en tête.

M. le coprésident Pierre Morange. Je crois que cela se montait à plusieurs dizaines de millions d’euros.

M. Pascal Penaud. Les marchés que nous avons contrôlés représentent un total de plusieurs centaines de millions d’euros. Beaucoup d’entre eux présentent de graves irrégularités.

Ignorant l’incidence de la saisine du procureur de la République sur la date de départ du délai de prescription, qui est normalement de trois ans, nous nous sommes tenus au champ de notre saisine, qui portait sur la période 2005-2009, alors même que certaines des procédures que nous avons examinées sont sans doute prescrites. Nous n’avons pas contrôlé les marchés antérieurs à 2005, hors du champ de notre saisine, sans compter que les faits sont très certainement prescrits. Nous n’avions pas le temps matériel de le faire.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez évoqué de « graves irrégularités » dans les marchés conclus avec Cap Gemini. Je parle sous votre contrôle, je pense que cette société a été choisie dans l’urgence par la nouvelle direction en raison de la situation financière de l’établissement. Pour le reste, la justice a été saisie. Là n’est donc pas notre problème. Je ne crois pas que vous ayez parlé de « graves irrégularités » de la part de l’ancienne équipe de direction.

M. Pascal Penaud. Il y en a eu aussi. Le paragraphe 2.5.5 de notre rapport est d’ailleurs intitulé : « Nous constatons des dépassements du montant des marchés et des marchés irréguliers. » Et nous évoquons plus loin « des marchés irréguliers avec une société de conseil ».

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Dans l’annexe 11-2, page 491, alinéa 1485, une phrase inachevée me laisse perplexe, mais peut-être n’avez-vous tout simplement pas eu le temps de relire votre texte de manière approfondie, ce dont je ne vous tiendrai pas rigueur car il ne s’agit que d’un prérapport, que nous vous remercions de nous avoir transmis car cela nous a permis d’étayer nos questions. Vous écrivez : « Pour dire les choses clairement, la mise en cause éventuelle de la responsabilité pénale de l’équipe de direction pour la période antérieure à 2007 au titre des marchés ne pourrait être recherchée sur la seule base de nos investigations, sauf si le juge reconnaissait à certains faits que nous avons constatés un caractère occulte et dissimulé. L’impact de la saisine judiciaire par la direction départementale de l’action sanitaire et sociale sur la …». Ne craignez-vous tout simplement pas qu’au bout du compte la procédure entamée n’aboutisse à rien si le caractère « occulte et dissimulé » ne peut être prouvé ou qu’une partie, voire la totalité, des procédures lancées sur la base du rapport de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales est prescrite ?

M. Pascal Penaud. Nous ne savons pas si le délai de prescription court à compter du jour où les marchés ont été passés ou si la saisine du procureur interrompt ce délai, pour tous les marchés ou seulement ceux sur lesquels elle porte. Et la jurisprudence ne nous a été d’aucun secours sur le sujet.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous ignorons en quel sens le juge se prononcera. Mais il existe un risque non négligeable que cette procédure n’aboutisse à rien.

M. Pascal Penaud. Oui, pour tous les faits datant de plus de trois ans avant le début de nos travaux. Soyez bien assurés que cela ne nous satisfait pas.

M. Pierre Boissier. S’agissant de la régularité des marchés, il faut distinguer deux plans. D’une part, la vérification de la conformité aux dispositions du code des marchés publics : sur ce point, quel que soit le montant du marché, la problématique est la même. D’autre part, les conséquences à en tirer sur le management de l’hôpital, ce qui constitue un autre sujet. Le montant relatif des marchés passés dans la période antérieure et ceux que nous avons examinés n’est pas notre sujet. Ce que nous vérifions, c’est la régularité des procédures.

M. le coprésident Pierre Morange. On ne peut toutefois s’exonérer de la réflexion dans la mesure où l’audit doit évaluer, entre autres, la conformité aux objectifs du plan de retour à l’équilibre financier et où cette question n’est pas neutre de ce point de vue. Ce serait autrement faire preuve de malhonnêteté intellectuelle.

M. Pascal Penaud. Il est vrai que la situation financière de l’hôpital appelait des mesures urgentes. Cela étant, le consultant n’est intervenu qu’à la mi-2008 alors que le nouveau directeur avait été nommé en octobre 2007. Celui-ci fait valoir qu’il a demandé un appui du type conseil général des établissements de santé, qu’il n’a pas obtenu.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Après le travail que nous avons nous-mêmes mené pendant plusieurs mois sur le sujet, votre diagnostic ne nous a pas surpris. Plus étonnantes en revanche nous paraissent vos conclusions. Ce qui m’a frappé dans votre rapport, c’est la différence de traitement entre l’ancienne et la nouvelle équipe. Les mesures prises par l’appareil administratif vis-à-vis de l’ancienne équipe, qui a non seulement commis des irrégularités mais aussi pratiqué une « fuite en avant » permanente dans sa gestion, comme vous le notez vous-même, ont été pour le moins très modérées. Aucune sanction n’a été prise à l’encontre du directeur sortant.

M. le coprésident Pierre Morange. Certains directeurs adjoints ont même été promus !

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous reconnaissez que la nouvelle équipe, elle, a redressé la situation mais lui reprochez de ne l’avoir pas redressée suffisamment et dénoncez des comportements individuels inappropriés ou certaines pratiques comme l’utilisation abusive de téléphones portables, ce que je peux comprendre mais n’a tout de même pas la même portée. Pourtant, vous proposez de sévères sanctions à son encontre et la désavouez clairement en préconisant une mise sous administration provisoire.

Dernière question : vous déplorez l’absence de pilotage médico-économique de cet établissement, pointant notamment la non-facturation ou la sous-facturation, les défaillances du système informatique… Ces dysfonctionnements dans la gestion et le management auraient-ils pu faire courir un risque sanitaire aux patients ?

M. Pierre Boissier. S’agissant du premier point de votre intervention, qu’il n’y ait pas de méprise. L’objectif de l’inspection générale n’était pas de proposer des sanctions à l’encontre de quelque équipe que ce soit, nouvelle ou sortante, mais de dresser un état des lieux aussi objectif que possible et de proposer ce qui lui paraissait la meilleure solution pour sortir l’établissement de ses difficultés. La mise sous administration provisoire, que nous pensons de nature à permettre le redressement, vise l’hôpital, pas l’équipe, même si bien entendu elle peut avoir des conséquences pour cette dernière.

M. le coprésident Pierre Morange. Au-delà du fait que la mise sous administration provisoire constitue bel et bien un désaveu, votre raisonnement est totalement contradictoire. D’un côté, vous déplorez le manque de « relations horizontales » propres à fédérer et motiver les équipes, ce qui est indispensable pour atteindre les objectifs du plan de retour à l’équilibre financier, et de l’autre, préconisez cette étrange solution. Comment une administration provisoire pourrait-elle fédérer les équipes mieux que l’actuelle direction, qui a tout de même accompli un travail incontestable, que vous soulignez vous-même ? Une administration provisoire passe nécessairement par une centralisation des décisions et une approche verticale, qui vont à l’encontre de ce que vous prônez par ailleurs. Nous sommes sidérés de votre proposition, sans même parler du caractère désastreux du message ainsi adressé à l’ensemble des directions et équipes hospitalières sur l’ensemble du territoire qui, confrontées à des plans de retour à l’équilibre, seraient insidieusement incitées à ne prendre aucun risque afin d’éviter d’être sanctionnées pour avoir pris des décisions difficiles, imposant des contraintes et modifiant nécessairement certaines habitudes. Tant sur la forme que sur le fond, votre proposition nous paraît incompréhensible.

Dès lors que le plus gros du travail avait été fait par les « urgentistes » financiers désignés fin 2007 pour engager le retour à l’équilibre, conformément aux exigences des autorités de tutelle, il nous aurait paru plus cohérent, notamment pour renforcer la motivation des personnels au service d’un projet médical dont vous soulignez vous-même l’indigence actuelle, de préconiser un accompagnement de l’établissement par l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, de façon qu’à plus long terme, la structure hospitalière tout entière se sente actrice d’un projet collectif et qu’on puisse jouer sur les différents leviers du plan de retour à l’équilibre financier.

M. Pierre Boissier. Mon sentiment est que le directeur actuel a réussi à améliorer la situation financière en jouant sur la réduction des effectifs des personnels non médicaux et sur l’amélioration de la facturation et du recouvrement. Cela ne garantit pas un assainissement pérenne de la situation. La variable clé d’un tel assainissement réside dans le niveau d’activité. Or, celui-ci ne s’est pas redressé. Et on ne peut escompter qu’il le fasse sans une mobilisation des équipes autour d’un projet d’établissement fédérateur. Cela passe impérativement par un changement du mode de management.

M. le coprésident Pierre Morange. L’administration provisoire vous paraît-elle un mode de management satisfaisant ?

M. Pierre Boissier. Elle a permis à l’hôpital d’Ajaccio, par exemple, de remobiliser l’ensemble des personnels, avec des résultats très positifs sur la situation de l’établissement. Une administration provisoire, ce n’est pas une administration par une équipe centrale, mais bien par une équipe locale fortement impliquée sur le terrain et qui reste le temps nécessaire, de dix-huit mois à deux ans. Le risque principal serait que perdure au CHIPS un schéma de gestion uniquement fondée sur un processus d’économie et de remise en ordre, qui a sans doute été nécessaire au début, mais ne peut permettre de redresser la situation, sauf à redimensionner à la baisse l’établissement, ce qui ne fait pas partie des hypothèses.

Il existe aujourd’hui deux options, auxquelles nous réfléchissons avec le directeur de cabinet et le directeur de l’agence régionale de santé : l’administration provisoire ou le maintien de l’actuel directeur, avec un accompagnement externe, en lui demandant de concentrer son effort sur la redynamisation managériale de l’établissement, qui est aujourd’hui le gros point faible. C’est à la ministre qu’il appartiendra de choisir.

De tout cela, je souhaiterais tirer des enseignements plus généraux sur la façon de remettre sur les rails un établissement hospitalier en grande difficulté. Dans les cas difficiles, il faut impérativement effectuer un audit d’entrée, ce qui n’a, hélas, pas été fait à Poissy-Saint-Germain-en-Laye. Il faut également veiller à ce que le nouveau directeur ne continue pas d’assumer dans le même temps des responsabilités dans un autre établissement ; c’est totalement déraisonnable. Enfin, il ne faut pas s’interdire – et c’est en ce sens aussi que l’on peut recourir à une mise sous administration provisoire ou à d’autres modalités offertes par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires – des missions spécifiques de remise à niveau, sans nomination d’un directeur appelé durablement à la tête de l’établissement. Un directeur en poste durant un an ou deux peut effectuer le « sale boulot » puis s’en aller. L’avantage de cette solution, qui s’apparente au management de transition parfois mis en place dans les entreprises privées, est qu’une fois son travail effectué, il remet les clés à une nouvelle équipe de direction qui peut repartir sur des bases assainies.

M. Pascal Penaud. Notre rapport comporte des constats et des propositions. Celles-ci ne constituent qu’un avis qui, comme tout avis, est discutable et peut ne pas être suivi. Mais permettez-moi d’expliquer ici ce qui nous y a conduits. Le plan de retour à l’équilibre financier, dans son état actuel, ne nous paraît pas tenable, notamment parce que ses hypothèses de valorisation de l’activité sont irréalistes, d’autant que, même dans les secteurs où l’établissement a le mieux valorisé son activité, il n’a pas pour autant atteint les objectifs fixés, ayant surestimé ses capacités. Le plan de retour à l’équilibre financier devra donc être refait.

M. le coprésident Pierre Morange. La troisième variable réside en effet dans les ressources. Des choix effectués antérieurement ont abouti à des risques non seulement financiers mais aussi sanitaires. Un exemple concret : la radiothérapie qui, deux ans après avoir été livrée, a été fermée alors même qu’elle était dotée d’accélérateurs de particules flambant neufs, datant de 1999 – achetés toutefois au prix de 2005, après des procédures qui laissent perplexes. Ce qui devait devenir un pôle Cancer de référence et d’excellence à l’échelon régional, doté de tous les équipements et personnels nécessaires, et aurait pu permettre de relancer l’activité, n’a pas fonctionné, tant en matière d’investissement que de fonctionnement.

Il ne s’agit pas là, messieurs, d’un exercice théorique mais d’un établissement qui compte quelque 4 000 salariés et a pour vocation de répondre aux besoins de santé d’un demi-million d’habitants. Les erreurs commises antérieurement n’ont pas été sans incidence sur la politique d’accroissement des ressources que vous prônez légitimement et à laquelle nous souscrivons tous.

M. Pascal Penaud. Le plan de retour à l’équilibre financier va devoir être refait. Et, au terme de l’ensemble des entretiens que nous avons eus, nous ne pensons pas que l’actuel directeur ait les capacités ni la légitimité nécessaires.

M. le coprésident Pierre Morange. Sachant que le Président de la République a fixé 2012 comme date butoir pour le retour à l’équilibre des établissements hospitaliers et que les projections d’augmentation d’activité vous semblent très optimistes dans le plan de retour à l’équilibre financier, comment une administration provisoire aurait-elle « la capacité et la légitimité », sans parler même de la crédibilité, nécessaires pour fédérer les équipes et actionner le troisième levier qui ne l’a pas été encore assez et demandera de toute façon du temps pour l’être ? Comment pouvez-vous être sûrs qu’une administration provisoire aura ces capacités nouvelles ?

M. Pascal Penaud. Elle permettrait de mettre en place une équipe complémentaire, mieux armée à notre avis que l’actuelle pour mener à bien ce qui doit l’être. Telle est en tout cas notre opinion après avoir passé trois mois sur place, conduit cent quarante entretiens et mené l’ensemble de nos investigations.

M. Jean-Luc Préel. Ce que nous souhaitons, c’est, à partir des dysfonctionnements constatés au CHIPS, voir comment améliorer la gestion médico-économique de l’ensemble des établissements hospitaliers. Un hôpital multisites est assurément plus difficile à gérer qu’un autre. Mais comment a-t-on pu pendant des années, laisser dériver la situation financière de cet établissement, sans que rien soit fait ? Qui est responsable ? Quels rôles respectifs ont joué la direction départementale de l’action sanitaire et sociale, l’agence régionale de l’hospitalisation, le ministère ? Un récent rapport de la Cour des comptes met en évidence des écarts considérables dans les ratios de personnels entre services et entre établissements, qu’on a du mal à comprendre. Comment l’administration peut-elle laisser subsister pendant des années de telles disparités, et que proposer pour garantir à l’avenir une meilleure gestion de chaque établissement ?

M. Pascal Penaud. Mon opinion, et ce n’est là qu’une opinion, est que dans le cas du CHIPS, le problème était si compliqué et sa solution aurait exigé tellement de décisions aux conséquences potentielles multiples que tout le monde a été tétanisé et que personne n’a rien fait. Et on voit bien – c’est là encore une appréciation personnelle – que notre proposition de mise sous administration provisoire de cet établissement qui demeure très lourdement déficitaire, ne recueille pas l’assentiment général.

M. le coprésident Pierre Morange. Je ne suis pas certain que vous puissiez vous hasarder à formuler ce type de propos devant les représentants du peuple français. Les travaux de la MECSS ne se situent pas dans une perspective interventionniste à l’échelon local mais dans le cadre d’une réflexion stratégique et opérationnelle visant à rationaliser et optimiser dans le domaine sanitaire l’utilisation de l’argent des contribuables. Mettre en regard ce qui a pu se passer dans cet établissement hospitalier et que des représentants de la Nation aient l’outrecuidance de n’être pas nécessairement de votre avis me paraît extrêmement douteux.

Nous ne sommes toujours pas convaincus, vous l’aurez compris, par la solution d’une mise sous administration provisoire. Voilà des années, sinon des décennies, que les dysfonctionnements se sont accumulés dans cet établissement et que les autorités de tutelle n’y ont pas remédié ! Comment une administration provisoire pourrait-elle tout révolutionner en l’espace de deux ans ?

Une administration provisoire, ce serait, nous avez-vous dit, une nouvelle équipe qui remplacerait l’actuelle, laquelle a tout de même fait preuve d’efficacité s’agissant des fondamentaux, même s’il reste, nous en convenons, du chemin à faire. Il nous paraîtrait plus judicieux et complémentaire du travail déjà effectué d’accompagner cette équipe pour fédérer les personnels autour d’un projet médical. Vous considérez que l’actuel directeur ne possède pas les qualités nécessaires pour continuer de remplir sa tâche – nous considérons, nous, que diviser par deux le déficit en deux ans est un résultat tangible à porter à son crédit.

Vous notez, à la page 59 de votre rapport, que les deux directions des ressources humaines et des finances ont été confiés à deux personnes, formant un couple dans la vie, et vous jugez le fait négatif, ce dont je vous laisse l’entière responsabilité. Proposerez-vous que ces deux personnes divorcent pour accroître la rentabilité et accélérer le retour à l’équilibre financier de cet établissement ? Ce serait une idée originale… Vous citez également le directeur adjoint responsable du service médico-social, que vous qualifiez de « lobbyiste » et considérez comme non professionnel. La remarque ne manque pas de saveur quand on sait que le secteur médico-social présentait la particularité dans cet établissement d’être financé sur le budget propre de l’hôpital, contribuant depuis des années à creuser son déficit, et ce sous la responsabilité de personnalités dûment qualifiées de l’ancienne équipe de direction, qui devaient posséder, je l’imagine, toutes compétences réglementaires. Le responsable actuel qui, à ma connaissance, a été embauché conformément à la réglementation, est parvenu, lui, en quelques mois, à conclure une convention tripartite avec le conseil général, qui a permis à l’hôpital d’économiser près de deux millions d’euros, et à engager un programme ambitieux de rénovation du parc médico-social pour un montant de trois millions d’euros. Ayant été sollicité sur ce sujet, c’est avec stupéfaction que j’avais découvert l’absence de convention tripartite. J’étais alors intervenu directement auprès de Mme Christine Boutin, alors ministre du logement et vice-présidente du conseil général chargée de l’action sociale, afin que, sur la base d’un dossier d’ailleurs constitué par le « lobbyiste non professionnel » dont vous parlez, une telle convention puisse être signée sans délai et que les cofinancements nécessaires à la rénovation des établissements médico-sociaux – lesquels ne se situent pas dans ma circonscription, je le précise – puissent être dégagés.

M. Pierre Boissier. Pour ce qui est des mesures à prendre, la décision reviendra naturellement à la ministre. Plusieurs options sont, je l’ai dit, encore à l’étude.

Pour ce qui est de la présence d’un couple à la tête de deux directions importantes de l’établissement, j’ai, pour ma part, toujours considéré qu’il n’était pas de très bonne gestion de constituer des équipes familiales.

M. le coprésident Pierre Morange. Nombre de responsables sont attentifs à cet aspect, mais il faut être prudent. On pourrait en effet imaginer des investigations inquisitoriales sur les liens sexuels ou affectifs qui unissent tous les membres du personnel d’un hôpital, et même de l’ensemble de la fonction publique hospitalière, territoriale ou d’État.

M. Pierre Boissier. Nous n’avons d’enquêtes à mener que dans les cas bien particuliers de harcèlement.

M. le coprésident Pierre Morange. Un ancien directeur des ressources humaines, devenu par la grâce des autorités de tutelle directeur d’un centre hospitalier, avait porté devant le tribunal administratif un contentieux à l’encontre du directeur actuel pour harcèlement moral. Le tribunal l’a débouté, jugeant sa plainte infondée. Et même si le plaignant a fait appel, cela remet en perspective les techniques managériales dont vous parlez dans votre rapport et dont je n’ai pas personnellement connaissance, ayant toujours refusé de siéger au conseil d’administration de l’établissement. Député de la circonscription, j’ai toujours souhaité conserver la distance dont vous vous prévalez, monsieur Boissier. C’est d’ailleurs sans doute pourquoi je n’ai pas été auditionné dans le cadre de votre audit.

M. Pierre Boissier. Quelles pistes d’amélioration proposer ? Fort heureusement, tous les établissements hospitaliers ne se trouvent pas dans une situation aussi difficile, et l’inspection générale n’audite bien entendu que ceux qui sont en mauvaise posture. Au vu de notre expérience, l’une des meilleures solutions me semble résider dans un pilotage fin et de proximité, notamment par les agences régionales de santé qui doivent être dotées des outils nécessaires. Il faut mettre au point des systèmes d’information et de pilotage fiables, ne se fondant pas sur les seuls résultats comptables, mais aussi sur les résultats d’exploitation des établissements, hors produits exceptionnels, et permettant d’élaborer des budgets prévisionnels sur trois ans. Il nous est arrivé à de multiples reprises, notamment dans le cadre de missions d’appui et de conseil de conseils généraux des établissements de santé, de devoir élaborer pour un directeur d’hôpital un plan prévisionnel d’exploitation !

Beaucoup d’établissements – ce n’est pas le cas du CHIPS –, entretiennent une illusion capacitaire en imaginant se sortir d’une situation difficile grâce à un accroissement de l’activité. Et beaucoup d’hôpitaux, aujourd’hui en difficulté ou qui vont l’être prochainement, sont ceux qui ont engagé de gros programmes d’investissements, notamment immobiliers, sans apprécier l’incidence qu’ils auraient sur l’équilibre ultérieur d’exploitation, notamment du fait des charges induites par d’importantes surfaces nouvelles de bâtiments. À l’heure où on invite à développer la médecine de proximité, les réseaux de soins et l’hospitalisation à domicile, notre parc hospitalier risque bel et bien d’être surdimensionné. Un effet de ciseaux se profile. Il faut beaucoup de prudence avec les plans de redressement fondés sur l’hypothèse d’un développement d’activité, qui ne se produira pas. Car même une fois résorbés d’éventuels sureffectifs de personnels non médicaux et améliorée la productivité, il peut être dans certains cas extrêmement difficile de parvenir à l’équilibre.

Enfin, il est une question à laquelle nous n’avons pas encore répondu, celle du risque sanitaire potentiellement sous-jacent.

M. Pascal Penaud. Nous n’avons pas dit dans notre rapport que les dysfonctionnements constatés pouvaient entraîner un risque sanitaire car aucun élément ne nous permettait de l’affirmer. La situation particulière de la radiothérapie fait l’objet d’une annexe rédigée par le médecin de l’équipe, que je ne me sens pas vraiment en mesure de commenter.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. La presse s’intéresse beaucoup au contexte local de l’affaire du CHIPS, évoquant les pratiques qui auraient eu cours dans le département des Yvelines. Pensez-vous qu’il puisse y avoir un lien entre cet environnement de pratiques frauduleuses dans la passation de marchés publics au niveau du département et les dysfonctionnements constatés dans cet établissement dans les années passées ?

M. Pascal Penaud. Nous ne pouvons parler que de ce que nous avons nous-mêmes contrôlé pour la période qui faisait l’objet de notre saisine. Le plus symptomatique concernait les marchés informatiques : nous nous sommes aperçus qu’il y avait eu le même fournisseur pendant très longtemps et avons relevé des dysfonctionnements administratifs. Ainsi arrivait-il souvent qu’il n’y ait qu’une seule offre sans qu’aucune mesure correctrice soit prise ni aucune conséquence tirée pour l’avenir. Nous avons, d’une manière générale, constaté une mauvaise maîtrise de la dépense et des achats. Nous ne pouvons pas, à notre niveau, dire si une simple mauvaise gestion explique ces irrégularités ou s’il y a davantage derrière. Nous n’avons étudié que les modes de passation des marchés, dont certains présentaient des faiblesses…

M. le coprésident Pierre Morange. Il ne s’agissait pas de « faiblesses », mais de fautes graves.

M. Pascal Penaud. Nous l’avons dit. Pour pouvoir dire s’il existe ou non des liens avec d’autres pratiques ayant pu avoir cours dans le département, il nous faudrait mener des investigations hors de l’hôpital. Pour avoir été membre de la mission interministérielle d’enquête sur les marchés et les délégations de service public, je suis quelque peu au fait de ces questions. C’est à la justice qu’il appartient de trancher, sans oublier qu’il n’y a pas de crime ni de délit sans intention de le commettre. Des éléments matériels peuvent par ailleurs être constitutifs d’autres délits, que nous n’avons pas, nous, la possibilité matérielle de constater si cela se passe en dehors de l’hôpital. Enfin, un délai de prescription de trois ans, compte tenu de la façon dont se déroulent les contrôles, c’est très court ! Pour qu’il n’y ait pas prescription, il faut que les pratiques aient été « occultes et dissimulées ». Or, clairement, les procédures de passation de marché ne le sont pas dans le cas d’un hôpital. Nous travaillons en effet sur les documents que nous communique l’établissement et qui sont donc connus.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous n’avez pas répondu à la question de notre collègue Jean-Luc Préel : pourquoi pendant si longtemps les contrôles n’ont-ils pas fonctionné ?

M. Pierre Boissier. Nous le constatons comme vous mais n’en savons pas plus que vous la raison. Nous aurions peut-être un élément de réponse si nous avions réalisé une enquête ou un audit sur l’ensemble de la chaîne de contrôle administrative des hôpitaux, ce qui n’a pas été le cas.

M. le coprésident Pierre Morange. Tout cela ne fait que fragiliser davantage l’hypothèse d’un pouvoir de l’administration de peser sur le cours des choses, ce qui d’ailleurs remet en question la logique de l’administration provisoire.

Monsieur Penaud, vous avez adressé à la MECSS un courrier le 27 avril dernier qui nous a laissés perplexes. Vous y appeliez notre attention sur le fait qu’en dehors de cette mission, vous n’avez pas été « amené à intervenir dans le domaine de l’hôpital depuis 1997 ». « Cela ne me permet pas d’avoir une opinion fondée sur mon activité professionnelle sur le fonctionnement de l’hôpital en général. Je ne pourrai de plus pas inscrire le contrôle auquel je participe actuellement dans une perspective comparative », poursuiviez-vous. N’est-ce pas contradictoire avec votre rapport de 70 pages et votre proposition de placer le CHIPS sous administration provisoire ? Cela nous permet en tout cas à nous de remettre quelque peu en perspective vos conclusions et ne laisse pas de nous interroger.

M. Pierre Boissier. Le choix de M. Pascal Penaud comme coordonnateur de l’équipe chargée de l’audit, choix que j’assume totalement, était lié à ses compétences en matière de contrôle plus qu’en matière hospitalière, ce qui explique les phrases que vous avez lues, monsieur le président. Cela étant, nous travaillons toujours en équipe à l’IGAS et nos procédures associent toujours des personnes connaissant parfaitement l’univers hospitalier.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous remercions, messieurs, d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Fort des éléments que vous nous avez communiqués, notre rapporteur va mettre la dernière main au rapport de notre Mission sur le fonctionnement de l’hôpital.

L’audition s’achève à onze heures cinq.