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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 18 novembre 2010

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 03

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

Auditions, ouvertes à la presse, sur la lutte contre la fraude sociale, de :

– Mme Maryvonne Caillibotte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice et des libertés, de Mme Solène Faou, rédactrice au bureau du droit social et de l’environnement, et de Mme Alexandra Vaillant, rédactrice au bureau du droit économique et financier

– M. Jean-Yves Hocquet, directeur, Mme Françoise Roger, directrice des affaires juridiques, et M. Jean-Paul Letertre, directeur de la gestion des créances, du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 18 novembre 2010

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition de Mme Maryvonne Caillibotte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice et des libertés, de Mme Solène Faou, rédactrice au bureau du droit social et de l’environnement, et de Mme Alexandra Vaillant, rédactrice au bureau du droit économique et financier.

M. Dominique Tian, rapporteur. Selon la Cour des comptes, la fraude aux prestations sociales dans notre pays s’élèverait de 2 à 3 milliards d’euros. Nos auditions ont mis en relief des chiffres branche par branche, ainsi que les moyens mis en œuvre par chacune d’entre elle pour lutter contre la fraude. De récents articles de presse ont d’ailleurs montré que les branches de la sécurité sociale progressent vers une meilleure connaissance du phénomène.

Madame la directrice, comment la fraude sociale est-elle traitée au ministère de la justice ? Est-elle réellement prise en compte ? Les sanctions pénales sont-elles suffisantes et dissuasives ? Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les décisions de justice prononcées ? Certains organismes nous ont fait part de difficultés à cet égard.

Mme Maryvonne Caillibotte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice et des libertés. Je vous remercie de m’avoir conviée à vos travaux. Je puis vous assurer de l’implication sans faille du ministère de la justice en matière de lutte contre la fraude sociale.

La direction des affaires criminelles et des grâces se situe au niveau de l’administration centrale. Elle a un rôle particulier entre les instructions ministérielles, que nous sommes chargés de traduire, et les juridictions chargées d’appliquer les lois et d’assurer la répression. Il s’agit donc d’un rôle d’accompagnement, mais aussi de vérification de l’application cohérente de la loi sur l’ensemble du territoire.

L’implication du ministère à l’égard de la fraude sociale est très ancienne et pérenne.

Récemment, nous avons accompagné la mise en place d’un dispositif aux côtés de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au travers d’un nouveau décret pris au mois de mars dernier, qui a singulièrement modifié le paysage des structures destinées à lutter contre la fraude sur le plan national, mais aussi sur le plan local qui est le seul à être opérationnel. En effet, nous étions présents lors des expérimentations menées durant plusieurs années et qui ont permis d’aboutir à une juste évaluation des besoins locaux, et donc à la mise en place de nouvelles cellules destinées à lutter contre la fraude sous tous ses aspects, concernant notamment le travail illégal. Ces expérimentations concernaient des structures départementales et des juridictions.

À la suite de ce décret a été adressée aux juridictions une circulaire d’accompagnement qui trouve sa place dans un ensemble de circulaires qui n’ont cessé, d’une part, de rappeler l’implication du ministère de la justice et, d’autre part, de poser des règles et d’accompagner les juridictions dans le travail de lutte contre la fraude sociale.

Cette circulaire d’avril 2010 est à nos yeux très importante car elle a une finalité opérationnelle. Notre souci est bien que les juridictions appréhendent le phénomène le plus efficacement possible dans la mesure de leurs moyens – ils sont ce qu’ils sont, mais ils existent – et de la façon la plus cohérente possible afin de répondre aux questions qui nous sont posées par les personnes avec lesquelles nous travaillons – administrations, agents verbalisateurs, services d’enquête.

Cette circulaire a surtout été l’occasion pour nous d’insister à nouveau très fortement sur le rôle du ministère public et du procureur de la République aux côtés du préfet pour ce qui concerne les structures départementales, dans le cadre du comité plénier et, surtout, des comités restreints. Ces derniers sont le lieu où, sur le plan pénal, les actions judiciaires susceptibles d’être décidées doivent être conduites sous la main d’un parquet très présent, entouré des services dont il a besoin pour mener les opérations les plus efficaces possibles, peut-être les plus emblématiques.

Ainsi, cette circulaire nous a permis de souligner la place du ministère public comme possible déclencheur de poursuites en matière de fraude sociale.

Auparavant, deux circulaires, sinon fondatrices, du moins très importantes, ont rythmé l’engagement demandé au parquet. Une circulaire de septembre 2008 a marqué la place et le rôle essentiel de l’institution judiciaire et fait apparaître la nécessité de lutter contre la fraude. Une autre de mai 2009, relative à la lutte contre la fraude aux prestations sociales, a été élaborée avec la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), ce qui montre la nécessité absolue d’une interministérialité en la matière. Dans sa deuxième partie, elle propose une typologie d’un certain nombre infractions existantes, permettant aux juridictions, mais aussi aux services d’enquête et aux services verbalisateurs d’appréhender au plus près les comportements délinquants. Ce travail de synthèse – c’est le rôle d’une administration centrale – a le mérite d’apporter de la clarté.

Je précise que la circulaire de 2010, qui rappelait la nécessaire implication du parquet dans le travail de lutte contre la fraude, nous a valu quelques échanges avec la Délégation nationale à la lutte contre la fraude sur la notion d’opérationnalité.

M. le rapporteur. Lors de son audition du 8 juillet 2010, M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère du budget, a indiqué que : « la politique pénale doit être rationalisée. On a recensé vingt-quatre incriminations différentes, ce qui ne permet pas une bonne appréhension par le système judiciaire des différentes fraudes. Il faudrait peut-être les ramener à huit ou dix. »

Les organismes que nous auditionnons se plaignent d’ailleurs souvent de la complexité de la législation. La Cour des comptes elle-même indiquait, en avril 2010, que le système répressif actuel est complexe, notamment pour l’assurance maladie, et que les sanctions pénales ou ordinales restent trop peu dissuasives.

Mme Maryvonne Caillibotte. Il s’agit d’une critique récurrente à l’égard de la loi pénale, laquelle, je le rappelle, est votée par le législateur. La typologie contenue dans la circulaire de 2009 est très intéressante car elle fait référence à des infractions figurant dans le code pénal, le code de la sécurité sociale, le code de l’action sociale et des familles ou le code de la construction et de l’habitation, avec des échelles de peines allant de simples amendes jusqu’à l’emprisonnement.

Cette succession d’infractions pénales, nous la subissons d’une certaine façon. En effet, à chaque fois qu’une infraction pénale a été créée, c’est parce qu’il y avait une volonté de stigmatiser un comportement que l’on pensait ne pas être alors appréhendé par la loi. Cela est vrai pour la fraude sociale, mais aussi pour nombre d’autres domaines.

En matière d’organismes génétiquement modifiés (OGM), par exemple, le législateur a créé et défini le délit de fauchage, avec des sanctions. Cependant, ce comportement pouvait déjà être appréhendé et puni, par exemple sous la qualification de dégradation en réunion, laquelle permet des condamnations beaucoup plus lourdes. Par conséquent, le délit de fauchage n’est pratiquement pas utilisé par les juridictions.

Ainsi, lorsqu’un comportement précis n’est pas défini pénalement, on a l’impression qu’il n’est pas réprimé pénalement. Cela me semble être une erreur de droit qui peut se comprendre, mais que l’on constate malheureusement.

Tous les comportements très précis qui sont sanctionnés par des définitions non moins précises cohabitent avec des infractions de droit pénal général, par exemple l’escroquerie, très souvent reprise par les juridictions car elle est punie de peines d’emprisonnement et permet donc un placement en garde à vue, contrairement à un certain nombre d’infractions utilisées dans le cadre de la répression contre la fraude et punies de simples peines d’amendes.

Je ne fais pas l’apologie de la garde à vue, mais, dans un certain nombre de dossiers complexes où l’on a affaire à de vrais délinquants et non à un comportement individuel, elle est adaptée.

Si la complexité de la législation est très souvent critiquée, les parquets ne perçoivent pas les choses de façon aussi négative. Et je suis heureuse de constater que la Cour des comptes s’appuie davantage sur des éléments statistiques et des faits, et non pas simplement sur un sentiment, qui nous semble très souvent subjectif, d’une justice qui ne serait pas assez sévère, pas assez dissuasive.

Pour ma part, je ne peux pas mesurer un sentiment. Je peux vous donner le nombre de certaines condamnations et le montant des amendes prononcées. Je peux vous dire que les faits de récidive sont très peu fréquents, mais c’est aussi peut-être parce que les récidivistes n’ont pas été appréhendés. Les éléments de mesure dont nous disposons se limitent aux données que nous fournissent les juridictions.

En conclusion, les choix de procédure doivent sans doute être mieux expliqués.

M. le rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes indique que les organismes de sécurité sociale, au bout de cinq à sept ans de procédure, n’obtiennent une condamnation que dans 40 % à 50 % des cas.

Mme Maryvonne Caillibotte. Soit pour une affaire sur deux, ce qui est énorme ! Cela ne signifie pas absence de réponse pénale pour les 50 % restants. C’est pourquoi je parlais de pédagogie.

M. le rapporteur. Toujours selon la Cour des comptes, ce taux à nos yeux relativement faible n’est pas dû aux relaxes, mais plutôt à la fréquence des classements sans suite par les parquets. Et je parle de cas avérés proches de l’escroquerie, ce qui est décourageant pour les organismes sociaux.

Mme Maryvonne Caillibotte. Je crois que les organismes sociaux poursuivent toutes sortes de comportements, des moins graves aux plus graves. Ils ne sont pas forcément à l’origine des dossiers portant sur les comportements les plus graves. Les services de police ou de gendarmerie peuvent avoir des renseignements liés à de grosses affaires, de stupéfiants par exemple, lesquelles font émerger des comportements périphériques frauduleux.

Classement sans suite ne signifie pas absence de réponse pénale car, lorsque l’affaire le justifie, les parquets ont très souvent recours à la « troisième voie », qui est une solution de réparation, voire de médiation, permettant de régulariser la situation.

On attend des affaires qui « montent » à l’audience une portée symbolique, répressive et donc publique. Pour les autres affaires, la régularisation peut être une réponse qui, si elle n’est pas publique, n’en est pas moins dissuasive ; c’est en tout cas la position que soutient le ministère de la justice. Lorsque nous choisissons cette voie, plus furtive, l’important pour nous est d’en informer les organismes sociaux et d’obtenir leur assentiment.

Dans cette logique, nous encourageons, d’une part, la nomination de magistrats référents en matière de fraude sociale au sein des juridictions et, d’autre part, l’organisation par les parquets de juridictions dédiées.

C’est vers le magistrat référent que pourront se tourner les organismes sociaux. J’encourage les directeurs centraux à rencontrer le procureur de la République, qui est le directeur des poursuites sur le plan local et à même d’expliquer ses choix et de les moduler en fonction du moment, de l’affaire elle-même, des particularités locales, des contraintes de la juridiction.

Les audiences dédiées permettront d’élaborer une jurisprudence cohérente. Si elle ne l’est pas, le parquet pourra exercer les voies de recours en vue de peines dignes de ce nom.

En définitive, les organismes sociaux savent que classement sans suite n’équivaut pas à absence de réponse pénale.

M. le coprésident Pierre Morange. Des auditions précédentes, notamment des représentants des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), ont révélé une inéquité de traitement devant la loi selon les tribunaux, en particulier s’agissant de la délinquance en col blanc, ce qui a choqué la représentation nationale.

En outre, les travaux de la MECSS sur le fonctionnement de l’hôpital ont mis en évidence des violations du code des marchés publics. Or les cheminements judiciaires paraissent difficiles et la lenteur des procédures ne peut qu’alimenter les craintes quant à l’égalité de traitement et la bonne gestion de fonds publics. Comment s’expliquent ces dysfonctionnements ?

Mme Maryvonne Caillibotte. Je ne peux qu’adhérer à certains de vos propos, monsieur le président. Vous ne trouverez pas au ministère de la justice autre chose qu’une grande honnêteté, de l’humilité, et la volonté de toujours mieux faire.

Vous faites référence à la délinquance en col blanc. En réalité, nous visons une autre population de délinquants, qui n’est pas moins organisée et qui, bien évidemment, mérite toute l’attention des enquêteurs dédiés.

Vous évoquez la difficulté pour la justice de se mettre en œuvre de façon équitable, ce qui est une expression très forte…

M. le coprésident Pierre Morange. Je ne fais que reprendre les propos des représentants des unions de recouvrement.

Mme Maryvonne Caillibotte. Les représentants des unions de recouvrement ont d’autant plus de légitimité à dire ce genre de choses que leurs agents, avec lesquels les parquets ont l’habitude de travailler, souhaitent vraiment faire avancer les choses. Pour avoir travaillé avec eux sur le terrain, notamment dans les anciens comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI), je les connais bien : on peut vraiment s’appuyer sur eux.

Dans la lutte contre ce fléau qu’est la fraude sociale, la question est de savoir quelle est la meilleure réponse. Je ne prétends pas que la réponse pénale soit la plus efficace. Vous avez parlé de « lenteur », mais la justice pénale cohabite avec une justice administrative ou civile qui a aussi son intérêt.

Dans un certain nombre de cas, la justice pénale intervient très a posteriori. Lorsqu’une sanction administrative a déjà été prise pour un dossier qui arrive au pénal, la juridiction prend en compte les sommes déjà déboursées : c’est l’individualisation de la peine. La condamnation pénale, parce qu’elle est publique, doit-elle être plus dissuasive que la sanction administrative ? La question doit être posée. En tout cas, celui qui prononce la sanction pénale doit s’interroger sur la juste proportion de celle-ci.

M. le coprésident Pierre Morange. Eu égard à un certain nombre d’affaires ayant défrayé les chroniques, la puissance symbolique d’une décision judiciaire ne prend-elle pas tout son sens vis-à-vis du risque de récidive ?

Au cours de précédents travaux, le rapporteur évoquait des débats, avec notamment des représentants des caisses d’allocations familiales, me semble-t-il, dont il ressortait que des prestations continuaient d’être versées à des populations rapatriées dans leur pays d’origine à la suite d’une décision de justice, la préfecture n’en ayant pas informé les caisses. À cet égard, le caractère opérationnel de structures telles que les anciens comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI) vous semble-t-il réel ?

Enfin, comme il y a un palmarès des hôpitaux, ne doit-il pas y avoir un palmarès des tribunaux ?

Mme Maryvonne Caillibotte. On s’engagerait sur un terrain dangereux avec un palmarès des tribunaux…

M. le coprésident Pierre Morange. Au-delà de mon propos quelque peu polémique, ne faut-il pas tirer les conclusions de l’inéquité de traitement devant la loi ?

Mme Maryvonne Caillibotte. Les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), qui remplacent les comités opérationnels de lutte contre le travail illégal, sont des structures très utiles et opérationnelles.

Le comité en formation plénière, coprésidé par le préfet et par le procureur, est intéressant et permet de fixer les grandes orientations, de décliner les circulaires, d’impliquer les services. Dans le comité restreint vont se décider les opérations à vocation judiciaire, sous la direction du procureur, avec l’aide des services qui montent les enquêtes et aboutissent à des traitements.

Je ne peux pas vous rendre de comptes sur les décisions rendues par les tribunaux, l’indépendance des juges étant un fondement de la démocratie.

En revanche, j’ai une obligation de résultat sur la cohérence des critères de poursuite des procureurs de la République. Le parquet est hiérarchisé pour conduire une politique cohérente. C’est ma responsabilité, sous l’autorité du ministre de la justice. Plus les procureurs seront impliqués dans les comités locaux avec des feuilles de route claires, transparentes, cohérentes sur l’ensemble du territoire, déclinées en fonction des particularités locales, mieux ce sera.

M. le coprésident Pierre Morange. Mon propos ne consiste pas à remettre en question une décision qui relève de la compétence du juge, pierre angulaire de notre système judiciaire. Ma question est celle de savoir si des situations similaires sont traitées de façon équitable sur le territoire et avec la même diligence en fonction des instructions données aux parquets.

Mme Maryvonne Caillibotte. En premier lieu, l’administration centrale a un rôle de direction, d’impulsion, puis de contrôle et d’évaluation pour que ce traitement soit cohérent, équitable, décliné de la même façon sur l’ensemble du territoire tout en prenant en compte les particularités locales en fonction du lieu et des moyens disponibles. S’il y a des dysfonctionnements, je peux m’en préoccuper.

En second lieu, si les condamnations prononcées ne me conviennent pas, nous disposons de voies de recours par l’intermédiaire des cours d’appel, voire de la Cour de cassation. Ma part de responsabilité est donc grande puisque le parquet est à l’origine des poursuites et que j’ai une obligation de cohérence et d’évaluation.

Je reviens sur la délinquance en col blanc. La compilation des rapports de politique pénale que nous établissons tous les ans fait apparaître que, pour cette année, l’activité des juridictions porte de plus en plus sur la fraude, mais également sur la délinquance économique et financière. Or comme je l’ai très souvent dit au directeur général de la police nationale et au directeur général de la gendarmerie nationale, nous avons des difficultés à disposer d’enquêteurs financiers très spécialisés nous permettant de conduire les enquêtes particulières qu’impose cette délinquance.

M. le rapporteur. Selon la Cour des comptes, les bonnes pratiques ne sont pas suffisamment diffusées.

Le code civil prévoyant l’obligation alimentaire, il est étonnant que les caisses d’allocations familiales (CAF) ne soient pas fondées à demander des recherches en paternité dans les cas de femmes ayant eu quatre enfants de quatre pères différents, dont elles n’ont plus de nouvelles. Ce sont des cas de fraude très probable à l’allocation de parent isolé (API), devenue revenu de solidarité active majoré (RSA majoré), très utilisée par certaines communautés. Or les inspecteurs des caisses d’allocations familiales ne sont pas très motivés pour lutter contre cette fraude.

Par ailleurs, la Cour des comptes note l’absence de volonté, sur le plan national, de lutter contre le marché parallèle du Subutex, la caisse de Toulouse étant la seule, à sa connaissance, à mener une action dynamique et très efficace en la matière.

Le ministère de la justice ne devrait-il pas conduire des actions de formation professionnelle auprès des organismes sociaux, où nos interlocuteurs sont très vite dépassés n’étant pas de grands juristes ?

Mme Maryvonne Caillibotte. Je partage entièrement votre constat. Les actions de formation ne doivent pas relever du seul ministère de la justice, mais nous y sommes très favorables. Nous organisons d’ailleurs déjà, dans la mesure de nos moyens, des réunions déconcentrées sur le terrain. Au-delà des juridictions, il s’agit de toucher tous les partenaires. Le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) nous semble donc adapté pour dispenser une formation juridique permettant aux agents de s’y retrouver dans le « fatras judiciaire » et de dépasser certains blocages. Les administrations d’autres ministères redoutent en effet souvent de mettre en branle, par leurs déclarations, la « machine judiciaire », qui peut broyer les personnes.

Bien sûr, ces réunions ne sont pas assez nombreuses ; mais nous allons en faire davantage et inciter les parquets, surtout les parquets généraux, à mettre en place des actions de formation ou à y participer. Cela peut aussi être fait via les administrations centrales.

Quoi qu’il en soit, le premier blocage à lever est la crainte de la justice. C’est d’autant plus important que nous sommes une « clientèle captive » : pour déclencher une procédure, la justice doit disposer de l’information. Or ces organismes savent beaucoup de choses et, en choisissant de les révéler ou de ne pas les révéler, ils exercent finalement un pouvoir qui n’est pas le leur.

En principe, toute situation susceptible de recevoir une qualification pénale doit faire l’objet d’une révélation à l’autorité judiciaire, qui décidera de l’opportunité des poursuites. Lorsque l’organisme social effectue un tri, c’est une part d’information – et de répression – qui disparaît : bref, il fait sa propre politique pénale, ce qui n’est évidemment pas satisfaisant.

M. le rapporteur. Vous évoquez un sujet sensible : la responsabilité de ceux qui instruisent les dossiers ou ont connaissance de faits délictuels qu’ils ne révèlent pas. C’est, hélas, fréquent dans le domaine social. Je pense, par exemple, à la reconstitution des carrières longues : la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) instruit des dossiers faisant apparaître que les personnes concernées ont commencé à travailler avant leur naissance ! Mais tout cela commence à être traité par la justice : des agents d’organismes sociaux ont été mis en examen.

Il faut tout de même un minimum de déontologie lorsqu’il s’agit d’argent public ! Peut-être le problème est-il d’ordre culturel : nous nous battons depuis des années pour la carte Vitale sécurisée, sans que la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) y mette un grand enthousiasme. Du moins pourrait-on sensibiliser les organismes sociaux à la nécessité de prendre certaines garanties avant de procéder à des versements.

On observe par ailleurs qu’il est rare qu’un fraudeur se cantonne à un type de fraude ou d’activité délictuelle. Il faut donc responsabiliser les uns et les autres !

Mme Solène Faou, rédactrice au bureau du droit social et de l’environnement. Un réseau de formateurs a été mis en place dans le cadre de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude. L’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, organisme de formation du ministère de l’emploi, organise des formations des agents de contrôle. La direction des affaires criminelles et des grâces y apporte sa contribution en intervenant auprès des agents de contrôle lors des actions de formation organisées sur le terrain. Des magistrats référents et des membres du ministère public assurent également des formations.

Ces formations comportent à la fois un volet pédagogique – il convient d’expliquer aux agents de contrôle les différentes voies de poursuite et la notion de réponse pénale – et un volet relatif à l’efficacité des contrôles, à la cohérence entre ceux-ci et aux relations avec les parquets.

M. le rapporteur. Il ne s’agit pas seulement de la fraude aux prestations, mais aussi du travail au noir. Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, les sommes en cause s’élèveraient à plusieurs milliards d’euros. Les moyens de lutter contre cette fraude paraissent dérisoires, et les sanctions sont rares. On ne peut en effet qu’être saisi de vertige devant le montant de la fraude : environ 3 milliards pour les prestations, de l’ordre de 10 à 15 milliards, sinon plus, pour le travail dissimulé. Je n’ai pas le sentiment que la réponse judiciaire soit suffisamment dissuasive. Et les chiffres n’évoluent pas, hélas, dans le bon sens.

Mme Maryvonne Caillibotte. Il serait présomptueux de ma part de vous dire que cette évolution peut facilement être enrayée. Hormis pour les fraudes très organisées, nous sommes en effet confrontés à une difficulté : si le chiffre global de la fraude donne le vertige, ses artisans – j’emploie ce terme à dessein – sont disséminés sur le territoire et la plupart des faits sont minimes. Il ne faut donc pas hésiter à marteler ce que représente réellement cette fraude, car une sensibilisation particulière est nécessaire pour dépasser le cas d’espèce et le replacer dans un cadre global. Les choses sont finalement plus complexes que pour les dossiers importants, dont on sait qu’ils donneront lieu à une condamnation – si tant est qu’on puisse rapporter des preuves. Sachez par ailleurs que, dans le domaine du travail illégal, les dossiers ne sont pas toujours simples à monter.

M. le rapporteur. J’ai conduit une mission sur les fraudes dont ont été victimes les associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC). Il s’agissait toujours des mêmes individus, mais il n’y avait pas de fichier national des interdits de gestion ; pour déclarer la création de l’entreprise au greffe du tribunal, il suffisait de venir avec une photocopie de carte d’identité ; aucun recoupement n’était fait. Bref, le système était loin d’être parfait.

Les choses n’ont pas véritablement changé. Y a-t-il maintenant un fichier national des interdits de gestion ? Vérifie-t-on davantage l’identité des personnes qui déclarent la création d’une entreprise ? J’en doute. À trop vouloir simplifier, on finit par encourager la fraude. Quelques mesures de bon sens ont été prises, mais on retrouve finalement presque toujours les mêmes filières et les mêmes individus, notamment dans le travail clandestin. Il y a donc encore à faire ! On sait, par exemple, que le travail clandestin touche principalement trois secteurs : le bâtiment, le textile et la restauration. Et l’on sait comment fonctionne cette fraude, qui coûte très cher à la collectivité. Les sanctions et les contrôles sont-ils suffisants ? Le bon sens est-il encore au rendez-vous ?

Mme Maryvonne Caillibotte. Le fichier des interdits de gestion est en voie de création. Vous savez combien la notion de fichier national est sensible en France. Quoi qu’il en soit, ces outils de travail sont de plus en plus nécessaires. Nous avons beaucoup amélioré le traitement des infractions transfrontalières, mais nous devons nous préoccuper aussi de ce qui se passe sur le territoire national ! La mise en place de ce fichier est suivie par une autre direction du ministère, mais nous nous y intéressons de près, tout comme la Délégation nationale à la lutte contre la fraude. Cette mise en place devrait permettre des progrès sensibles.

M. le coprésident Pierre Morange. Quel est l’agenda de mise en œuvre de ce fichier ?

Mme Maryvonne Caillibotte. En toute honnêteté, je ne le connais pas ; mais je pourrai vous fournir des éléments complémentaires.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS s’est beaucoup investie sur cette question des échanges d’information et des interconnexions de fichiers. Nous avons légiféré pour permettre l’interconnexion des fichiers de 1 750 organismes sanitaires et sociaux. Le système est maintenant opérationnel.

Le fichier que vous évoquez, qui vise à colliger les informations concernant les individus peu scrupuleux qui se sont fait une profession de détourner l’argent public, pourra-t-il s’inscrire dans ce cadre ?

J’ai pour la part le sentiment que ce n’est pas tout à fait la même philosophie qui est à l’œuvre.

Mme Maryvonne Caillibotte. Il ne s’agit pas de la même architecture.

M. le coprésident Pierre Morange. Si l’interconnexion n’est pas pensée dès le départ, nous aboutirons à un système entièrement cloisonné, et nous perdrons en efficience.

Mme Maryvonne Caillibotte. Resteront tout de même les échanges indirects !

M. le coprésident Pierre Morange. Bref, il y a encore du travail !

Nous vous remercions de vos réponses, même si nous restons un peu sur notre faim – ce qui est somme toute classique à la MECSS !

Nous serons attentifs aux souhaits, et plus encore aux propositions précises et opérationnelles, que vous pourriez formuler. Nous sommes prêts le cas échéant à les défendre, que ce soit au Parlement ou en attirant l’attention du pouvoir exécutif sur tel ou tel point relevant du domaine réglementaire.

Mme Maryvonne Caillibotte. Pour finir, je souhaiterais vous livrer une réflexion, qui rejoint ce que disait tout à l’heure M. le rapporteur.

Pour limiter le « fatras judiciaire », il serait bon de revenir à sept, huit ou neuf infractions au lieu de quinze ou seize. On peut ensuite se demander s’il faut légiférer par addition ou par soustraction. Réduire le nombre des infractions permettrait quand même de garder plusieurs qualifications.

Si vous envisagez un travail législatif, je peux vous proposer une expertise, un accompagnement, dans la mesure où vous le souhaiterez. Mais le ministère de la justice souhaite mettre en garde contre la création successive d’infractions pénales qui soient peu ou qui ne soient pas assez poursuivies, la qualification d’escroquerie suffisant à couvrir la fraude sociale comme le travail illégal. Bref, nous préférons raisonner par voie de soustraction ! Mieux vaut avoir un « cordon pénal » efficace et réellement utilisé.

M. le coprésident Pierre Morange. Il s’agira donc d’une action législative dans la soustraction !

*

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir M. Jean-Yves Hocquet, directeur du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS), Mme Françoise Roger, directrice des affaires juridiques, et M. Jean-Paul Letertre, directeur de la gestion des créances. Madame, messieurs, nous aimerions notamment recueillir votre sentiment sur les effets des dernières actions qu’a menées l’Assemblée nationale pour combattre la fraude sociale : s’agissant de l’interconnexion des fichiers et des échanges d’informations, concernant notamment le centre, faut-il aller plus loin, ou la situation actuelle vous paraît-elle satisfaisante ?

M. Jean-Yves Hocquet, directeur du Centre des liaisons européennes et internationales de Sécurité sociale. Nous vous sommes reconnaissants de votre invitation car le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale est un petit organisme et, par ailleurs, l’international semble bien souvent se trouver dans l’angle mort des politiques publiques. Cela étant, je sollicite votre indulgence à titre personnel : maîtriser à la fois les règles, déjà complexes, de notre sécurité sociale et celles de ses équivalents étrangers représente un défi de l’ordre du monstrueux et mes deux collègues estiment qu’il faut environ quatre ans à un agent pour devenir pleinement opérationnel. Or je ne dirige le centre que depuis trois ans ! (Sourires.)

Pour nous, combattre les erreurs et la fraude consiste à éviter qu’on ne se soustraie au paiement des cotisations sur le territoire national et qu’on ne bénéficie de versements indus. Il s’agit donc de vérifier qu’on applique à chaque activité ou organisme concerné la législation nationale qui convient, et que les prestations sont bien versées par les institutions de l’État responsable.

Créé par le règlement n° 3 de la Communauté économique européenne, le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS) a environ cinquante ans. C’est un organisme de liaison pour l’application de la réglementation communautaire sur le territoire de l’Union européenne et de l’Association européenne de libre-échange (AELE) – y compris la Suisse donc. Il est également compétent pour l’application de 34 conventions bilatérales passées avec autant d’États extra-européens, et de trois décrets de coordination avec la Polynésie française, Mayotte et la Nouvelle-Calédonie.

Le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale est compétent pour l’ensemble des risques de sécurité sociale et pour l’ensemble des régimes. Il ne délivre pas de prestations individuelles et n’a de rapport direct ni avec les assurés ni avec les employeurs, mais il joue un rôle d’interface entre les institutions françaises et les institutions étrangères de sécurité sociale.

C’est un établissement public administratif, financé essentiellement par les contributions des organismes de sécurité sociale. Lors du contrôle qu’elle a effectué en 2008, la Cour des comptes a estimé que, dans sa gestion quotidienne, il était soucieux de la maîtrise des dépenses – un peu trop, à mon sens, car il gagnerait sans doute à être plus ambitieux.

Il assure également une mission de traduction.

M. Jean-Paul Letertre est responsable de la gestion des créances, c’est-à-dire de tout ce qui concerne le remboursement aux institutions et organismes étrangers des dépenses engagées pour les assurés français sur leur territoire – environ 300 millions d’euros – et le recouvrement des créances nées des soins dispensés à des assurés étrangers sur le territoire national – environ un milliard. Le solde est donc positif pour notre balance des paiements.

M. le coprésident Pierre Morange. Le milliard d’euros de rentrées est-il conforme aux prévisions ? Récupérez-vous la totalité ou seulement une partie de ce qui est dû ?

M. Jean-Yves Hocquet. Les contrôles du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale sont effectués, non sur la base des factures individuelles, mais sur celle de documents administratifs fournis par nos partenaires étrangers. En effet, nous ne parlons ici que des rapports d’institution à institution et les remboursements et recouvrements auxquels nous procédons partent des flux constatés – les dépenses, par exemple, ayant déjà été prises en charge par nos homologues étrangers.

Je laisse à M. Jean-Paul Letertre le soin de vous parler des contrôles et du règlement des litiges, ainsi que de l’opération que nous menons actuellement avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sur le contrôle des dépenses.

M. Jean-Paul Letertre, directeur de la gestion des créances du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale. Nous recevons à peu près 350 000 factures par an des organismes étrangers. Ces factures s’élèvent à environ 200 millions d’euros pour les dépenses remboursables au coût réel, et à quelque 120 millions d’euros pour les dépenses remboursables forfaitairement.

Les contrôles varient selon les types de dépenses : identification de l’assuré, vérification des droits ouverts à son bénéfice au moment des soins, existence d’une caisse française compétente pour rembourser les dépenses… Toutes ces informations sont répertoriées sur les relevés individuels de dépenses effectives que nous recevons de l’étranger. Si ces factures sont incomplètes, les contrôles qui pourront être opérés via le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS)…

M. Dominique Tian, rapporteur. Dites le « fichier Morange » ! (Sourires.)

M. Jean-Paul Letertre. …nous permettront de lever le doute sans avoir à aller vérifier auprès de la caisse française à laquelle elles sont destinées, ou auprès de la caisse étrangère, ce qui prend encore plus de temps.

Nous avons demandé à la caisse nationale d’assurance maladie de procéder à un contrôle portant sur un échantillon de factures réduit – environ 150 en 2010 –, mais plus approfondi, en ce qui concerne les droits comme du point de vue médical. Ce travail n’est pas encore achevé. Les caisses primaires d’assurance maladie semblent se heurter aux mêmes difficultés que le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale. Elles ont relevé un certain nombre d’anomalies – doubles facturations, absence d’informations –, ce qui ne fait que corroborer les conclusions de nos propres contrôles. Sont maintenant en cours des recherches portant sur l’aspect médical de ces dossiers ; elles concernent une trentaine d’assurés, qui seront éventuellement convoqués par les caisses afin de vérifier la nature des soins reçus à l’étranger et de s’assurer de leur nécessité. Les résultats sont attendus pour la fin de l’année.

Pour la caisse nationale d’assurance maladie, ces contrôles représentent une charge importante, en particulier en raison du temps exigé pour obtenir des données médicales de caisses étrangères, ainsi que des contraintes de traduction. Aussi s’interroge-t-elle sur l’opportunité de les étendre à l’ensemble des factures. Elle n’a pas encore de philosophie arrêtée, et les autres régimes attendent son avis pour se prononcer.

M. Jean-Yves Hocquet. Les flux que nous gérons sont pour l’essentiel des flux au sein de l’Union et, avant tout, entre la France et l’« arc frontalier » Belgique-Luxembourg-Allemagne – encore que les retraités britanniques figurent en bonne place dans nos comptes ! Comme en France, l’hospitalisation représente la plus grande part des dépenses.

M. le rapporteur. Pourquoi vous limiter à l’Europe ? Nous aimerions en savoir plus sur les dettes contractées par certains pays vis-à-vis de la France. Il est évident, pour prendre un exemple, qu’il y a davantage de Marocains concernés que de Luxembourgeois. Pouvez-vous nous donner un échantillon pays par pays et faire le point sur ces dettes ?

M. Jean-Paul Letertre. Il faut distinguer le cas de l’Union européenne de celui des pays auxquels nous lient des conventions bilatérales. Dans le premier, le remboursement des dépenses est individuel. Dans le second, il s’effectue sur une base forfaitaire. Après recensement du nombre de personnes concernées par catégorie, on applique un coût moyen de soins de santé, déterminé par les États. On ne peut donc pas procéder aux mêmes contrôles.

M. le coprésident Pierre Morange. Il serait instructif pour la représentation nationale d’avoir connaissance de ces coûts moyens pour pouvoir les comparer. Il ne s’agit pas de stigmatiser tel ou tel État, mais d’assurer équité de traitement et transparence.

M. Jean-Yves Hocquet. Nous avons un suivi des coûts moyens. Il s’agit d’une définition administrative, qui vaut également pour l’Union européenne : tous les ans, la commission des comptes avalise les coûts moyens déclarés par chacun des membres de l’Union. En ce qui concerne les États avec lesquels nous sommes liés par une convention bilatérale, je pourrai bien entendu vous fournir les coûts moyens, dont nous discutons lors des commissions mixtes. À cet égard, le premier pays concerné en volume des dépenses de santé est l’Algérie. Sachez néanmoins que les sommes en jeu n’ont rien à voir avec ce qu’elles sont pour les pays de l’Union : le Luxembourg pèse bien plus que l’Algérie !

M. le rapporteur. Dans une optique de comparaison, il est indispensable que nous disposions de ces coûts moyens pour tous les États.

Le versement de prestations vieillesse à l’étranger relève-t-il de votre compétence ?

M. Jean-Yves Hocquet. La branche Vieillesse est la plus internationalisée de notre système de sécurité sociale : environ 10 % des retraités relevant de la caisse nationale d’assurance vieillesse vivent à l’étranger. L’essentiel des 6 milliards versés par la France au titre de la sécurité sociale correspond à des pensions de retraite.

M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous préciser ?

M. Jean-Yves Hocquet. Sur un total d’environ 6 milliards d’euros versés en 2008, 5,6 milliards l’ont été au titre des rentes, pensions et allocations à des bénéficiaires résidant à l’étranger.

M. le coprésident Pierre Morange. Dispose-t-on d’une ventilation par pays ?

M. Jean-Yves Hocquet. Oui, pour les flux sortants, et depuis l’an dernier, notre connaissance des flux entrants commence à s’affiner.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelles sont les modalités techniques de versement de ces prestations, notamment des pensions ? Cela se passe-t-il de structure assurantielle à structure assurantielle, ou de structure assurantielle à bénéficiaire ? Éventuellement par l’intermédiaire d’une banque ?

Mme Françoise Roger, directrice des affaires juridiques du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale. En principe, le paiement des pensions et rentes se fait directement au bénéficiaire. Les paiements par les organismes de liaison ont été pratiqués dans le passé, mais à ce jour ils ne concernent plus que le Mali – les pensions françaises destinées à des Maliens sont payées à l’Institut national de la prévoyance sociale du Mali, qui se charge d’en assurer la distribution, tandis que le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale reçoit les prestations maliennes qui doivent être versées en France. Dans tous les autres cas, il s’agit de versements directs, les organismes français de sécurité sociale ayant choisi le paiement par voie bancaire. Chaque bénéficiaire de prestations communique les coordonnées de son compte, la caisse nationale d’assurance vieillesse passant un contrat avec une banque choisie par appel d’offres. Les autres modes de paiement – mandats, lettres-chèques, comptes de non-résidents – ne sont utilisés qu’à titre exceptionnel.

M. le rapporteur. Comment êtes-vous informés du décès des personnes ?

Mme Françoise Roger. Nous sortons là de la compétence du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale… Les organismes français débiteurs de prestations envoient régulièrement aux bénéficiaires – tous les ans pour les organismes vieillesse, tous les trois mois pour les pensions d’invalidité – un questionnaire dit « questionnaire de vie ». Dès lors que ce questionnaire est renvoyé avec un document attestant de l’existence de la personne, la vie de celle-ci est supposée se poursuivre.

M. le coprésident Pierre Morange. L’emploi que vous venez de faire de « supposée » sous-entend-il un doute ou une interrogation ?

Mme Françoise Roger. D’une manière générale, les contrôles, notamment en Europe, sont tout à fait fiables. Mais dans certains pays où les personnes semblent vivre jusqu’à un âge très avancé, des procédures de contrôle sont actuellement mises en place, notamment grâce au décret qui nous autorise à choisir un prestataire à l’étranger pour effectuer ces contrôles.

M. le rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes est plus précis : il s’étonne des progrès de la médecine dans certains pays… Il en cite un certain nombre où les centenaires semblent légion, alors que les gens meurent bien plus jeunes dans le pays voisin ! Or cela représente des sommes non négligeables.

M. Jean-Yves Hocquet. Dans les années 1980, j’ai géré l’accompagnement de plans sociaux dans un certain nombre d’entreprises. On sait qu’à cette occasion, nombre de personnes ont « vieilli » très rapidement pour pouvoir accéder aux dispositifs de préretraite… Même si le phénomène n’a eu qu’une ampleur relative, il se peut qu’il ait un effet-retour aujourd’hui.

Sous l’égide de la direction de la sécurité sociale, nous expérimentons aujourd’hui le recours à des prestataires chargés de vérifier physiquement l’existence des personnes. Il faut par ailleurs savoir que, pour ce qui est des certificats de vie, la caisse nationale d’assurance vieillesse procède à ces contrôles selon une périodicité variable d’un pays à l’autre. Les bénéficiaires maliens, par exemple, sont ainsi astreints à fournir un certificat deux fois par an.

M. le coprésident Pierre Morange. Au-delà de l’anecdote, il serait important de connaître le nombre des bénéficiaires par pays et les volumes financiers en jeu. Cela permettrait de faire le tri entre ce qui relève du procès sans fondement et ce qui correspond à un réel préjudice, appelant des mesures correctrices. S’agissant des prestataires chargés de contrôler l’état civil, peu fiable dans certains pays, leur nombre vous semble-t-il suffisant ?

Mme Françoise Roger. La nécessité de combattre la fraude est de mieux en mieux comprise et d’importants efforts sont déployés. Phénomène nouveau, des dispositions d’entraide administrative et en faveur de la communication entre institutions apparaissent dans les conventions, notamment bilatérales. Un certain nombre d’États, comme le Maroc, commencent eux-mêmes à prendre conscience de l’existence de fraudes nées sur leur territoire et nous envoient des signalements détaillés. La structure juridique qui le permettait existait ; grâce à cette sensibilité nouvelle, elle est aujourd’hui opérationnelle.

M. Jean-Yves Hocquet. Vous pourrez trouver dans notre rapport statistique l’ensemble des informations que vous demandez sur les volumes financiers en jeu et sur le nombre de bénéficiaires, tous régimes confondus.

Dans la lutte qu’il mène contre la fraude, le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale entend utiliser tous les instruments à sa disposition, qui sont de trois types : les expérimentations de contrôle sur place, avec l’aide de prestataires ; les dispositions, telles que le rapprochement de fichiers électroniques, prévues par les accords bilatéraux ; le recours aux services administratifs des États concernés, dont font mention les procès-verbaux des commissions mixtes.

M. le coprésident Pierre Morange. Envisagez-vous d’engager des prestataires pour assurer des contrôles physiques ? Nous souhaiterions connaître le nombre d’agents contrôleurs pour le rapporter à celui des bénéficiaires. Par ailleurs, dans quelle mesure nos services consulaires ont-ils connaissance de la situation des pensionnés, et peuvent-ils s’assurer qu’ils sont encore en vie ?

M. Jean-Yves Hocquet. Le décret autorisant le recours à des prestataires est récent, puisqu’il date de 2009. Le dispositif qui sera prochainement mis en œuvre est le suivant : les consulats des pays concernés lanceront une procédure d’appel d’offres et sélectionneront les candidats. Ceux-ci feront l’objet d’un agrément par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, qui agira comme élément « facilitateur » pour le compte des caisses. Nous transmettrons ensuite ces agréments aux consulats. Sous l’autorité de la direction de la sécurité sociale, nous procédons actuellement à une première expérimentation en Tunisie, pour laquelle le prestataire a d’ores et déjà été sélectionné.

M. le coprésident Pierre Morange. Il sera donc chargé de contrôler l’exactitude des réponses aux questionnaires de vie ? Pour quel coût ?

M. Jean-Yves Hocquet. La mission de ces prestataires sera relativement large, puisqu’elle couvrira l’assurance vieillesse et l’assurance maladie. L’état civil comme la réalité des soins feront ainsi l’objet de contrôles. Quant au coût, il fera l’objet d’une estimation par le prestataire en fonction du cahier des charges, mais on peut estimer que l’opération donnera des résultats intéressants, précisément en raison de l’étendue du champ couvert.

M. le rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes de septembre 2010 est assez sévère à votre encontre. Les magistrats rappellent que le rapprochement préconisé entre le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés depuis plusieurs années n’a toujours pas été effectué, que le manque de coordination est patent, et ils posent même la question d’une intégration du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale au sein de la caisse nationale d’assurance maladie. En vous présentant comme des prestataires de services ou des « facilitateurs », vous nous confortez dans cette analyse. À moins que vous n’ayez une compétence particulière pour exercer vous-mêmes les contrôles, ce dont je doute, la caisse nationale d’assurance maladie pourrait se charger de ce volet.

M. Jean-Yves Hocquet. La Cour des comptes n’évoque que la gestion des créances de l’assurance maladie, périmètre couvert par M. Jean-Paul Letertre. Il est vrai que depuis des années, nous nous trouvons contraints de corriger, parfois manuellement, les informations qui nous sont transmises par la caisse nationale d’assurance maladie, les fichiers n’ayant pas été modifiés malgré nos demandes récurrentes. Ces problèmes purement techniques pèsent sur notre productivité globale. La Cour des comptes, qui avait noté en 2008 que l’ensemble des caisses était satisfait de nos services, suggère que la caisse nationale d’assurance maladie se sentirait responsabilisée si elle était chargée de cette tâche.

Je ne suis pas certain que ce soit la meilleure solution. L’activité du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale ne représente que 6 % de l’activité des caisses d’assurance maladie. Pourquoi les gestionnaires de la caisse nationale d’assurance maladie s’intéresseraient-ils aux dossiers internationaux, dont le traitement est complexe et long, et qui ne sont pas valorisés dans les rapports de performance ? La partie concernant l’invalidité n’entre même pas dans la mesure de la productivité des caisses.

Il existe plusieurs modèles d’organisation possibles ; celui que préconise la Cour des comptes nous ferait perdre un peu de taille critique, mais il ne remet pas en cause l’ensemble des fonctions du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale.

M. Jean-Paul Letertre. Pour traiter les créances françaises – c’est-à-dire relatives aux soins prodigués en France à des assurés relevant de régimes étrangers –, nous recevons chaque année quelque 700 000 factures individuelles. Or, soit que cela suppose des mises à jour trop coûteuses de ses applications, soit qu’elle n’en discerne pas l’intérêt, la Caisse nationale d’assurance maladie a du mal à intégrer dans ses systèmes informatiques les modifications successives des règlements. Nous devons donc intervenir sur les fichiers et corriger les erreurs avant leur transmission aux caisses étrangères. Devant l’inertie de la Caisse nationale d’assurance maladie, la Cour des comptes a suggéré qu’il serait préférable que celle-ci prenne en charge l’ensemble du traitement. Cette préconisation paraît simpliste, dans la mesure où les personnels de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ne maîtrisent pas forcément les règlements communautaires.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelle masse financière est en jeu dans ce risque d’embolisation ?

M. Jean-Yves Hocquet. C’est le milliard d’euros que nous avons mentionné au début de notre présentation. Les coûts liés au travail manuel de correction pourraient être économisés…

M. le coprésident Pierre Morange. C’est ainsi que l’assurance maladie a pu économiser en coûts de gestion l’équivalent de 200 millions d’euros grâce à la télétransmission, qui a permis de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

M. Jean-Yves Hocquet. L’activité du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale est sans doute marginale par rapport à celle de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés mais, même si notre organisation n’est pas optimale, nous remplissons notre mission : les créances sont présentées, la France recouvre l’argent qui lui est dû. Les frais de gestion du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale ne représentent que 0,8 % de la masse des prestations de sécurité sociale. Globalement, le système fonctionne.

Dans la mesure où notre tâche consiste principalement à corriger les erreurs administratives, les économies viendront plutôt des améliorations apportées à notre fonctionnement interne que de mécanismes lourds de contrôle des dossiers médicaux.

M. le coprésident Pierre Morange. Très concrètement, avez-vous des soupçons de fraude institutionnelle ?

M. Jean-Yves Hocquet. Compte tenu du fait que les dépenses ont transité par des services administratifs supposés aussi fiables que les nôtres, les risques de fraude institutionnelle sont limités. Les litiges avec nos collègues étrangers portent essentiellement sur des informations administratives.

M. le rapporteur. Dans la convention d’objectifs et de gestion pour 2009-2011, l’État vous incite à lutter contre la fraude. Or vous ne semblez pas vous livrer à une chasse aux fraudeurs effrénée, vous abritant derrière le montant insignifiant des sommes en cause. Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de percevoir ce phénomène de la fraude, qui représente 1 % du déficit de la sécurité sociale, soit environ 3 milliards d’euros !

Il est tout de même inquiétant que les magistrats de la Cour des comptes, soulignant des problèmes récurrents de fonctionnement, aillent jusqu’à douter de la validité et de l’exhaustivité de vos créances. Nous pensions que cette audition serait pour vous l’occasion de nous fournir des éléments statistiques, de détailler les dettes de certains pays, comme le Mali, et de nous présenter un plan d’action contre la fraude.

M. Jean-Yves Hocquet. Dans le rapport statistique que nous tenons à votre disposition, les flux avec l’Union européenne et avec l’Association européenne de libre-échange, ainsi qu’avec les États auxquels nous sommes liés par des conventions bilatérales, sont décrits dans le détail, sur la base des informations qui nous sont fournies par les régimes de ces pays.

90 % des créances d’assurance maladie sont d’origine européenne. Or les règlements européens prévoient que nous travaillions sur la base des comptabilités des organismes d’assurance maladie, le principe étant celui de la bonne foi. C’est la raison pour laquelle la Cour des comptes rappelait, dans un contrôle précédent, que notre intervention ne pouvait conduire à remettre en cause les créances de nos homologues. Nous avons fait valoir cette « règle du jeu » auprès d’un nouvel État membre, qui nous demandait systématiquement les dossiers médicaux pour procéder au remboursement de créances importantes. Je ne pense donc pas que ce soit du côté de la lutte contre la fraude à l’assurance maladie que nous pouvons attendre des gains importants, dans ce cadre européen bien balisé. Mais il est vrai que la convention d’objectifs et de gestion nous a investis d’une mission à cet égard, et nous luttons donc contre ce phénomène avec nos moyens, ceux d’un établissement de liaison comptant 120 personnes. Nous effectuons des contrôles à l’étranger en appui à l’action du ministère. Surtout, nous veillons à ce que soit appliquée la législation qui convient, et à ce que tous ceux qui sont redevables de cotisations en France s’en acquittent.

Dans ce cadre, nous avons mené une opération en lien avec l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, les caisses primaires d’assurance maladie et le Centre national des firmes étrangères (CNFE) de Strasbourg sur le détachement des intérimaires employés au Luxembourg. Nous avons pour ce faire utilisé une base de données qui recueille l’ensemble des formulaires de détachement et un logiciel d’analyse des situations suspectes, tous deux mis en place en 2008. Nous apportons également notre expertise juridique à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale dans les dossiers concernant les compagnies aériennes à bas coûts (low cost) aérien et les détachements de salariés de plates-formes de gestion en Suisse.

Il serait dommage de ne pas évoquer ces opérations, qui sont lourdes et qui impliquent un grand nombre de partenaires. Car en matière de lutte contre la fraude, leur taux de rentabilité est tout à fait satisfaisant. Nous rapportons plus d’argent à la sécurité sociale en faisant en sorte que les cotisations qui reviennent au régime français soient effectivement acquittées, plutôt qu’en intervenant en appui des caisses à propos de la gestion de prestations qui se trouvent hors de notre champ de compétence. C’est ainsi que la Cour des comptes avait estimé, en 2008, que le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale coûtait peu pour le service rendu.

Mme Françoise Roger. L’une des missions de la direction des affaires juridiques du centre consiste à déterminer la législation applicable dans des situations complexes, plus nombreuses en Europe que dans les pays auxquels nous sommes liés par des conventions bilatérales. La règle principale de rattachement est que les travailleurs sont soumis à la législation de l’État sur le territoire duquel ils exercent leur activité professionnelle. Grâce au système informatisé de recherche des détachements autorisés et réguliers (SIRDAR), nous avons constaté qu’un certain nombre de personnes exerçant leur activité sur le territoire français étaient, de fait, rattachées à des régimes étrangers de sécurité sociale.

M. le rapporteur. L’Union européenne n’a-t-elle pas été créée en vue de la libre circulation des personnes et des capitaux ? Le détachement d’intérimaires au Luxembourg est certainement un sujet de très grande importance, mais ne serait-il pas conforme à la mission de lutte contre les fraudes qui vous a été confiée par l’État de vous préoccuper aussi de vérifier les dettes contractées par les autres pays du monde, tels le Maroc, la Tunisie, l’Algérie ou la Chine ? Nous nous attendions à ce que le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale soit davantage tourné vers l’international.

Mme Françoise Roger. Certes, la libre circulation est un principe européen. Mais est-il normal que les salariés d’une entreprise française soient brusquement payés par une société luxembourgeoise d’intérim pour exercer les mêmes fonctions, et soient rattachés au régime luxembourgeois de sécurité sociale ?

Les différences qui existent entre les législations nationales font varier le coût du travail et incitent les entreprises à ne pas respecter le règlement européen. Ce détournement de la législation européenne, qui prévoit le rattachement au régime du pays sur le territoire duquel est exercée l’activité, constitue bien une fraude.

Le phénomène n’est pas marginal. Grâce au système informatisé de recherche des détachements autorisés et réguliers, nous avons pu identifier 3 700 fausses missions d’intérim sur la période allant du 1er janvier 2010 au 31 mars 2010. Si l’on considère que ces salariés sont payés au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), ces détachements entraînent un « manque à gagner » pour le régime français de 4 millions d’euros par trimestre. Cela représente, sur plusieurs années, des sommes importantes. De surcroît, les procédures de gestion européennes font qu’une partie des prestations auxquelles auront droit ces personnes incomberont au régime français.

M. Jean-Yves Hocquet. Les créances de la France sur le Luxembourg, au titre de l’assurance maladie, se montaient en 2008 à 120 millions d’euros, contre 29 millions pour l’Algérie.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous souhaiterions disposer d’une présentation affinée des créances par branche et par pays.

M. le rapporteur. Je ne savais pas les Luxembourgeois si grands consommateurs de biens de santé !

M. Jean-Yves Hocquet. La population frontalière est importante. La création d’un hôpital supplémentaire à Luxembourg entraînerait automatiquement une baisse de la consommation en France. Ce problème de coopération transfrontalière sanitaire est un sujet intéressant, que la direction de la sécurité sociale nous a chargés d’étudier.

M. le coprésident Pierre Morange. Pourriez-vous nous transmettre des éléments concernant les effets de la création d’un tel établissement de santé sur les flux financiers de prise en charge assurantielle ? Dans la même logique, je préconise que les sommes actuellement consacrées à l’aide médicale d’État (AME), qui attire dans notre pays des personnes en situation irrégulière désireuses de bénéficier de soins de qualité – puissent servir à la création d’établissements de santé dans les pays sources de cette immigration clandestine. Cela répondrait aux besoins d’un plus grand nombre de personnes, optimiserait l’effort fourni par chaque Français au titre de la solidarité et s’inscrirait dans la tradition d’humanisme de notre pays.

Par ailleurs, j’espère que la disposition législative adoptée dernièrement, dont le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale a bénéficié – l’interconnexion avec le répertoire national commun de la protection sociale – permettra de remédier aux problèmes de coordination soulignés par la Cour des comptes.

M. Jean-Yves Hocquet. Cet amendement permet en effet de remédier à une partie des carences évoquées par la Cour des comptes, puisque nous pourrons désormais accéder directement aux fichiers sans passer par les caisses. Il s’agit pour le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale d’un gain significatif.

Nous vous avons remis un dossier dans lequel sont détaillées les opérations menées par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale au titre de la lutte contre la fraude. J’ai d’ailleurs omis d’insister comme il le faudrait sur notre mission de traduction, qui permet de contrôler les dossiers médicaux et les pièces d’état civil pour le compte de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF).

M. le rapporteur. Beaucoup d’organismes sociaux nous ont fait part, en effet, de la difficulté qu’ils ont à vérifier l’identité des prestataires. Comment procédez-vous lorsque l’état civil est inexistant, pour ainsi dire, dans un pays ?

M. Jean-Yves Hocquet. Nous certifions la qualité de la traduction des documents.

M. le rapporteur. Si l’état civil est approximatif, que vaut cette traduction ? L’un des problèmes que rencontrent les organismes sociaux est la certification de documents faux.

M. Jean-Yves Hocquet. Sans vouloir sortir de mon champ de compétence, je rappellerai l’une des dispositions du décret, qui est l’exercice de contrôles in situ.

La semaine dernière, j’ai eu l’occasion de dialoguer avec nos homologues suisses sur les pratiques de lutte contre la fraude. Leurs contrôles, réalisés par des filiales d’entreprises de contrôle à l’étranger, ont abouti à des résultats suffisamment probants pour qu’ils menacent de dénoncer la convention qui les lie avec certains pays.

M. le rapporteur. C’est exactement ce que nous attendions de vous ! Il est bon que vous imaginiez des actions de coopération avec d’autres pays européens, notamment à l’égard des fraudes facilitées par l’absence d’état civil dans certains pays. Pourriez-vous nous adresser des éléments écrits, propres à confirmer certaines suspicions ? L’exemple du Luxembourg est instructif, mais je ne pense pas qu’il soit le seul.

M. Jean-Yves Hocquet. Le dossier que nous vous avons transmis contient la liste des accords signés par le ministère en matière de lutte contre la fraude. Celle-ci est également évoquée dans les procès-verbaux des commissions mixtes présidées par le ministère chargé des affaires sociales. Nous sommes à votre disposition pour compléter ces informations et poursuivre le débat.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous remercie.

La séance est levée à onze heures trente.