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Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale

Mercredi 16 février 2011

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 02

Présidence de M. Marc Laffineur, vice-président puis de M. Christian Blanc, vice-président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, membre du Conseil d'analyse économique, de M. Olivier Garnier, chef économiste de la Société Générale, membre du Conseil d'analyse économique et de Mme Mathilde Lemoine, directeur des études économiques et de la stratégie marchés de HSBC France, membre du Conseil d'analyse économique

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LA COMPÉTITIVITÉ DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

Mercredi 16 février 2011

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de M. Marc Laffineur puis de M. Christian Blanc,
vice-présidents de la Mission d’information)

La Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale entend, en audition ouverte à la presse, M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, membre du Conseil d'analyse économique, M. Olivier Garnier, chef économiste de la Société Générale, membre du Conseil d'analyse économique et Mme Mathilde Lemoine, directeur des études économiques et de la stratégie marchés de HSBC France, membre du Conseil d'analyse économique.

M. Marc Laffineur, président. Cette mission a pour objet d’analyser l’évolution de notre compétitivité face à nos principaux concurrents ainsi que l’impact de nos charges sociales. Nous recevons aujourd’hui Mme Mathilde Lemoine qui, outre ses fonctions à HSBC France et au Conseil d'analyse économique, est enseignante à l’Institut d’études politiques de Paris et a été conseiller pour la macroéconomie et la fiscalité auprès du Premier ministre en 2005 et 2006, M. Patrick Artus, économiste reconnu et directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, et M. Olivier Garnier, qui a été économiste auprès du Board des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine et, en France, conseiller auprès du directeur du Trésor et du ministre de l’économie et des finances.

Mme Mathilde Lemoine, directeur des études économiques et de la stratégie marchés de HSBC France, membre du Conseil d'analyse économique. La compétitivité-coût, la compétitivité-prix et la compétitivité à l’exportation sont des notions différentes qu’il convient de définir assez précisément. Pour cela, il faut s’aider des statistiques.

La France a un problème de compétitivité extérieure. Ses termes de l’échange – l’indicateur consacré en la matière – sont stables, ce qui montre qu’elle ne s’enrichit pas par rapport à ses partenaires. Il y a quand même une grande surprise : c’est que dans le secteur manufacturier, les termes de l’échange se sont améliorés de 9 %, contre 10 % en Allemagne. De ce strict point de vue, il n’y a donc pas de grande différence entre les deux pays malgré le mauvais comportement d’un secteur extrêmement important en France, celui de l’automobile, qui explique à lui seul depuis 2003, année du dernier excédent, une grande partie de la dégradation de notre solde commercial.

Cette dégradation de notre déficit commercial – qui, contrairement à ce qu’on entend souvent, n’est en rien un indicateur de perte de compétitivité – résulte à 61 % de celle du solde des produits manufacturés et à 44 % de celle du solde de la seule branche automobile. Le commerce extérieur français est extrêmement concentré : qu’un secteur aille mal et la dégradation est sévère. Il faut donc trouver un secteur relais, ce qui soulève des questions de coût du travail bien sûr, mais aussi d’innovation et de capacité à faire émerger de nouveaux secteurs. Ainsi, contrairement à l’Allemagne qui a su faire émerger son secteur des biotechnologies ex nihilo, la France est très en retard dans ce domaine. Quoi qu’il en soit, la question va se poser de l’accompagnement de la restructuration et du relais de croissance.

J’en viens à la compétitivité-coût, dont il faut bien garder à l’esprit qu’elle n’est qu’un tout petit aspect de la compétitivité totale. Elle résulte du coût de la main-d’œuvre et d’éléments tels que la valeur des consommations intermédiaires. Si on y ajoute les marges des entreprises, on obtient la compétitivité-prix. Pour ce qui est de la main-d’œuvre, on dispose de plusieurs études. Ainsi, des enquêtes d’Eurostat ont mis en avant une augmentation de son coût de près de 57 % entre 2000 et 2008. Mais un autre indicateur d’Eurostat, le coût horaire, fondé lui sur des bases déclaratives, n’a augmenté que de 28 %, et les comptes nationaux de l’INSEE font état d’un taux encore différent… Il faut donc bien savoir sur quelle donnée on se fonde et pourquoi. Et il ne faut pas oublier que les comparaisons du coût du travail se font au niveau macroéconomique, sans tenir compte de la structure productive du pays. Ainsi, si le secteur automobile est très important et le coût du travail assez faible, cela va influer sur le coût moyen. C’est là une limite importante de ces évaluations statistiques.

La compétitivité totale, elle, dépend largement de la compétitivité hors prix, qui résulte d’un certain nombre de facteurs au premier rang desquels se trouve la capacité du pays à innover. Or celle-ci est très faible en France, ainsi que le démontre un rapport réalisé par Patrick Artus pour le Conseil d’analyse économique. Les entreprises françaises n’investissent que 1,3 % du produit intérieur brut (PIB) dans l’innovation et cette proportion a tendance à reculer, alors qu’elle est de 1,9 % et qu’elle progresse en Allemagne. La capacité à exporter des produits diversifiés, demandés en tant que tels et pas simplement parce qu’ils ne sont pas chers, est assez faible en France. C’est là un élément important.

Il est évident qu’on peut alléger le coût du travail des charges universelles qui y sont rattachées, comme les allocations familiales, en les transférant sur la contribution sociale généralisée (CSG). Cela améliorera les chiffres sur une année, mais cela ne conduira en rien à un gain tendanciel de compétitivité. Pour parvenir à cette amélioration de la productivité tendancielle, c’est-à-dire durable, il faut améliorer l’investissement des entreprises dans l’innovation. Pour cela, il faudrait augmenter la rentabilité des investissements dans l’entreprise et alourdir le coût des investissements financiers. C’est possible grâce à des mesures assez simples, comme une exonération d’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis accompagnée d’une forte hausse de ce même impôt sur les bénéfices allant vers des investissements financiers, avec notamment un plafonnement de la déduction pour les intérêts d’emprunt ou une taxation des bénéfices utilisés pour les rachats d’actions. Cela peut vraiment jouer sur la productivité à moyen terme et sur la compétitivité à l’extérieur.

M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, membre du Conseil d'analyse économique. Il faut bien se rendre compte de la gravité de la situation. La part de marché à l’exportation de la France, hors énergie, est passée de 6 % en 1999, lors de l’entrée dans l’euro, à 3,5 % aujourd’hui, soit une perte de plus de 40 %. L’Allemagne, elle, est restée absolument stable, à 9 %, ce qui est d’ailleurs une performance exceptionnelle puisque dans le même temps la part de marché de la Chine passait de 2 % à 12 %. Nous perdons des parts de marché sur tous les produits et sur tous les marchés de façon à peu près homogène. Cela n’a rien à voir, contrairement à ce qu’on lit souvent, avec notre structure productive – le fait que nous produisions moins de biens d’équipement par exemple – ou avec l’orientation géographique des échanges. Le rapport qu’a évoqué Mme Mathilde Lemoine, que j’ai écrit avec M. Lionel Fontagné, détaille tout cela et montre aussi que cette perte de parts de marché n’est pas, ou très peu, attribuable à un problème de coûts. La France est le pays le plus désindustrialisé de la zone euro avec la Grèce et l’Espagne, la part de l’emploi manufacturier dans notre emploi total tournant autour de 11 %. Ce problème de recul de l’industrie manufacturière, très particulier à la France, est extrêmement inquiétant.

Pour ce qui est de la compétitivité-coût, il faut vraiment faire très attention aux chiffres auxquels on se réfère. Ainsi, si les coûts salariaux unitaires ont plus augmenté en France qu’en Allemagne pour l’ensemble de l’économie, ils ont évolué de façon presque identique pour la seule industrie manufacturière. Cela s’explique par un effet de structure : quand la part des services dans l’économie est grande, les salaires y augmentant à peu près comme dans l’industrie, les coûts salariaux unitaires de l’ensemble de l’économie s’accroissent mais cela ne reflète absolument pas une perte de compétitivité de l’industrie. Il n’y a en réalité dans la zone euro que deux pays qui connaissent une perte de compétitivité-coût dans l’industrie : l’Espagne et la Grèce. Pour les quinze autres, elle évolue comme en Allemagne, voire mieux. Les chiffres de compétitivité totale donnent des résultats très différents, mais faux, puisqu’ils mélangent la compétitivité du tourisme, de la restauration, des services aux particuliers ou des transports par exemple, qui sont essentiellement non exportables.

Pour ce qui est de la compétitivité-hors coût, de nombreux travaux concluent que le problème majeur serait le faible nombre de nos PME exportatrices. À ce propos, il faut garder à l’esprit une spécificité de la France : la situation des grandes entreprises cotées n’y reflète absolument pas celle d’ensemble du pays. Si vous observez les entreprises qui composent l’indice de la bourse de Francfort (le DAX) ou celles du Standard & Poor’s (S&P) aux États-Unis, vous verrez à peu près la situation de l’économie allemande ou américaine, tandis que les indicateurs de la cotation assistée en continu (CAC 40) sont non seulement différents, mais à l’opposé complet de ceux des autres entreprises françaises ! Souvent, suivant la thèse qu’ils veulent défendre, les commentateurs se fondent sur l’un ou l’autre de ces chiffres. Il faut y faire très attention.

La France ne compte que 90 000 entreprises exportatrices, et ce nombre diminue, contre 250 000 en Allemagne, où il augmente. Nos petites et moyennes entreprises (PME) sont de taille nettement plus petite, et nos entreprises nouvelles ne connaissent pas de croissance : au bout de cinq ou sept ans, elles ont toujours le même nombre d’emplois que lors de leur création. Autrement dit, si deux types créent Google dans un garage en France, dix ans plus tard ils seront toujours deux dans un garage ! Il en va tout autrement dans les autres pays. Ce fait pèse sans doute sur notre recherche et développement. Nous avons aussi des problèmes dans les relations de sous-traitance, qui ont été bien étudiés par M. Jean-Paul Betbèze. Enfin, les entreprises françaises souffrent de deux éléments très perturbateurs : leur profitabilité est dramatiquement basse – et ne cesse de diminuer – et elles sont financées essentiellement par la dette. Leur taux d’autofinancement, c’est-à-dire le rapport entre les profits et l’investissement, dépasse tout juste 60 %, ce qui est après le Portugal le niveau le plus bas d’Europe – il est de 110 % en Allemagne, de 130 % au Royaume-Uni, de 120 % aux États-Unis. Or quand on est le patron d’une entreprise à la fois peu profitable et très endettée, la seule chose à faire, c’est de ne prendre aucun risque. Cela explique pour l’essentiel l’absence de développement de nouveaux produits, d’efforts à l’exportation et de création d’emplois.

Que faire ? En matière de profitabilité, contrairement à ce qu’on lit parfois, les salaires augmentent en France depuis le début des années 2000 plus vite que la productivité. L’évolution est inverse dans la plupart des autres pays, ce qui peut d’ailleurs être critiqué. Quoi qu’il en soit, les entreprises françaises ont vu leurs marges bénéficiaires comprimées, sauf bien sûr celles du CAC 40, qui se réalisent essentiellement en dehors de France. Quant au financement, il y a pour l’instant très peu de fonds propres accessibles aux petites et moyennes entreprises, malgré les mesures fiscales visant à les accroître. Il y a là matière à réflexion.

Pour ce qui est de la fiscalité, si l’on observe de façon tout empirique l’ensemble des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour savoir quelles caractéristiques fiscales influent sur le taux de l’emploi, la seule qui paraisse extrêmement significative est le poids des charges sociales, en particulier de celles qui pèsent sur les employeurs. C’est elle qui explique la faiblesse du taux d’emploi dans l’ensemble de la population, ou le taux élevé du chômage des jeunes par exemple. Rien d’autre, dans les systèmes fiscaux, ne peut expliquer les différences de structure du marché du travail. Il convient certes de dépasser la stricte observation des chiffres, mais là se situe bien le problème majeur, et non dans ce dont on débat en ce moment dans les médias, comme la progressivité de l’impôt sur le revenu. La façon dont nous finançons la protection sociale, essentiellement sur les salaires, est, de ce point de vue, empirique la seule explication de notre situation en matière d’emploi.

Au total, la situation de la France n’est pas florissante ! Nous avons perdu 40 % de nos parts de marché à l’exportation, et le mouvement s’accélère. Ce n’est probablement pas dû à un problème de coûts, mais au fait que nos entreprises restent petites. Reste maintenant à bien analyser le poids des différents facteurs en jeu, et à travailler sur les charges sociales des employeurs, qui semblent – globalement, sans entrer dans le détail des allégements de charges sur les plus bas salaires – avoir un effet majeur sur la performance du marché du travail.

M. Olivier Garnier, chef économiste de la Société Générale, membre du Conseil d'analyse économique. Même si cela doit démentir la réputation faite aux économistes, je suis d’accord avec ce que viennent de dire mes deux collègues – à une petite réserve près : s’il est clair que nous manquons de petites et moyennes entreprises de taille moyenne, aucune étude n’a démontré de manière convaincante que cela expliquait notre faible performance à l’exportation.

Je vais restreindre mon propos à huit remarques.

D’abord, et c’est une « tarte à la crème », la compétitivité et la performance du commerce extérieur ne sont pas une fin, mais un moyen. Ce qui compte d’abord et avant tout pour un pays, c’est la progression de son niveau de vie, mesuré par exemple par le produit intérieur brut par tête sur moyenne période – ce qui n’a rien à voir avec ses performances relativement aux autres pays : si nous avions 3 % de croissance, nous serions très heureux, même avec une croissance allemande de 5 %. L’enjeu principal est d’améliorer notre niveau de vie, notamment par le biais de la productivité.

Ensuite, quand on réfléchit sur le commerce extérieur, il ne faut pas oublier les importations. Souvent, les pays qui réussissent bien à l’extérieur sont ceux qui savent bien importer. Ils profitent de la mondialisation, qui offre des possibilités d’acheter à de meilleurs prix. L’Allemagne est un bon exemple : elle a su utiliser le vivier de l’Europe de l’est pour faire de la sous-traitance, ce qui a amélioré ses performances à l’exportation. Ainsi, les importations allemandes représentent 36 % du produit intérieur brut, contre 25 % en France. Ce qui montre bien que l’ouverture économique est un sujet d’importance.

De la même manière, on a souvent tendance à se focaliser sur sa capacité à attirer les investissements directs étrangers, mais les études montrent une très forte complémentarité avec le phénomène inverse. Ainsi, les Allemands font beaucoup d’investissements directs à l’étranger, qui participent à leur performance à l’exportation.

Pour ce qui est du financement cette fois, encore une « tarte à la crème » : toutes les questions de structure des prélèvements obligatoires ou de mode de financement de la protection sociale ne sont que des éléments de second ordre par rapport à la question de la taille des dépenses à financer. La première des différences avec l’Allemagne, c’est que le poids de nos dépenses publiques dans le produit intérieur brut tourne autour de 55 %, contre 46 % chez eux !

Dès lors, tous nos débats qui visent à substituer un prélèvement à un autre à recettes constantes – sur la taxe sur la valeur ajoutée (dite TVA sociale) par exemple – se trompent de sujet. Compte tenu de la taille de nos déficits publics, ce qu’il faut se demander, c’est quel serait le moins mauvais prélèvement à augmenter pour les résorber ! Arriver, sur une longue période, à faire progresser les dépenses publiques ne serait-ce qu’en ligne avec la croissance potentielle de l’économie, serait déjà une performance, que nous n’avons jamais réussi à accomplir.

Toujours à propos du financement de la protection sociale, je rappelle qu’il ne reste plus grand-chose à réduire aujourd’hui dans les charges sociales des employeurs sur les bas salaires. Au niveau du salaire minimum de croissance (SMIC), elles sont déjà très basses. Or, c’est sur les bas salaires que les allégements de charges ont le plus d’efficacité en termes d’emploi. Si l’on instaurait brutalement une TVA sociale, cela reviendrait plutôt à baisser les charges sur la partie des emplois qui sont les moins sensibles aux effets de coût.

Quant à l’impôt sur les sociétés, on entend souvent dire que si son taux est plutôt plus élevé en France que dans les autres pays, ses recettes en part du produit intérieur brut sont moindres et qu’il y a donc sans doute matière à optimisation. Mais c’est oublier tous les impôts qui pèsent sur les comptes d’exploitation – une soixantaine de taxes ! – et viennent grignoter l’assiette de cet impôt. Il faut tenir compte de ce premier prélèvement. D’autres éléments, qui peuvent être tout à fait justifiés, comme le crédit impôt recherche, peuvent aussi expliquer ces différences. Il faut donc se méfier de ce constat un peu brutal.

Enfin l’on entend de plus en plus avancer, à droite comme à gauche, l’idée de taxer les revenus du travail et de l’épargne exactement de la même manière, au barème de l’impôt sur le revenu. Cela peut paraître logique, mais aucun pays de l’OCDE ne le fait. La raison en est simple : les revenus de l’épargne sont de la consommation différée. Imaginez deux personnes ayant le même revenu, l’une qui dépense tout immédiatement et l’autre qui en met une partie de côté pour la dépenser plus tard. Dans le système imaginé, la deuxième sera plus taxée. Pour être équitable – ce qui est souvent l’argument avancé en faveur de cette idée –, il faudrait déduire la somme épargnée de l’impôt sur le revenu, et l’on retomberait alors dans une sorte de taxe sur la consommation. Et encore faudrait-il aussi déduire les effets de l’inflation sur les rendements de l’épargne… Le problème est donc plus compliqué qu’il n’y paraît. L’un des pays qui a accompli la réforme la plus achevée, la Norvège, a établi au début des années 2000 un système dual d’impôt sur le revenu. Il y a un premier impôt à 28 % sur tous les revenus, impôt sur les sociétés compris, puis une surcharge progressive sur les revenus du travail qui peut aller jusqu’à 20 % – ce qui fait 48 % au total –, avec une déductibilité pour les revenus des actions afin d’éviter une double imposition entre impôt sur les sociétés et impôt sur le revenu.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Voilà qui est plutôt pessimiste. Avez-vous mesuré l’influence d’éléments tels que la réduction de la taxe professionnelle sur les entreprises, le crédit impôt recherche, la rupture conventionnelle du contrat de travail à durée déterminée, l’allégement des charges sur les bas salaires et même le statut de l’auto-entrepreneur, qui est un moyen de développer l’initiative et la responsabilité ?

Quant aux coûts du travail, ils semblent très difficiles à comparer. L’Allemagne a un système fédéral. Il y a des conventions collectives dans certaines branches, mais pas dans d’autres où beaucoup d’emplois sont rémunérés à 8 euros de l’heure, comme l’industrie agro-alimentaire. Au total, les coûts paraissent moins élevés en France dans certains cas, plus dans d’autres… Comment peut-on sortir de ce débat ? Le but de cette mission est d’essayer d’arriver à une convergence sur les diagnostics, à défaut de le faire sur les solutions.

Enfin, la France et les Français aiment-ils leur industrie ? Il y a quelques jours, Le Monde a parlé de ces bassins d’emplois qui ont un grand dynamisme et qui continuent à créer des emplois dans l’industrie. Ils ne sont hélas pas très nombreux. Avez-vous étudié les raisons de leur réussite : une éthique du travail, un environnement favorable à l’esprit d’entreprise ?

M. Jérôme Cahuzac, corapporteur. Contrairement à M. Pierre Méhaignerie, je n’ai pas jugé pessimistes les propos que j’ai entendus. Je me suis même demandé si notre mission avait un sens, dans la mesure où Mme Mathilde Lemoine nous a expliqué que la France n’avait pas de problème de compétitivité-coût dans le secteur industriel, et que nous n’avions pas à rechercher avec l’Allemagne une convergence qui existait déjà – et qui devrait d’ailleurs être mise au crédit de l’Allemagne, puisque, dans un précédent article, Mme Mathilde Lemoine avait indiqué que le coût du travail était plus élevé au Royaume-Uni et en Allemagne qu’en France. Puis, en écoutant M. Patrick Artus, il m’a semblé étonnant que, étant donné la différence de montant des charges sociales, les deux pays puissent avoir la même compétitivité-coût dans le secteur industriel. Serait-ce lié au fait que, si les charges sociales sont plus élevées en France, les salaires sont supérieurs en Allemagne ? Bref, j’aimerais savoir si la France a, oui ou non, un problème de compétitivité-coût.

Monsieur Olivier Garnier, je n’ai pas bien compris votre raisonnement sur la fiscalité de l’épargne et la distinction que vous faites entre le stock, qui ne saurait être imposable, et les revenus. En quoi le fait de taxer de la même manière les revenus du travail et ceux du capital serait-il inéquitable ? Il me semble que c’est au contraire la différence actuelle entre le niveau d’imposition des revenus du travail et celui des revenus du capital qui manque d’équité ! Par exemple, on peut être imposé à 31,2 % sur les plus-values de cessions mobilières et à 20 % ou à 40 % sur le revenu : il ne me paraît pas absurde de vouloir faire converger les deux taux.

M. Patrick Artus. Nous sommes tous les trois d’accord sur un point : quelles que soient les compensations possibles entre le niveau des charges sociales et celui des salaires, la compétitivité-coût n’est pas le principal problème de la France. D’ailleurs, dans les modèles de l’équilibre économique général, la fiscalité est neutre à long terme : si l’on augmente les charges sociales, les salaires baisseront d’autant, et si l’on augmente la taxe sur la valeur ajoutée tout en diminuant les charges sociales, les salaires s’indexeront sur celle-ci. Tout changement de structure de la fiscalité ne peut avoir que des effets transitoires.

En l’espèce, si les charges sociales sont plus lourdes en France, les salaires y sont également plus bas, ce qui revient au même en termes de coût du travail. On peut toujours discuter de la valeur exacte de celui-ci, tous les travaux empiriques – comme celui, particulièrement méticuleux, que M. Lionel Fontagné et moi-même avons mené – montrent qu’il ne s’agit pas du principal facteur explicatif de l’évolution des parts de marché des différents pays ; le problème, c’est la compétitivité hors coûts – et c’est bien ce qui complique les choses.

Par ailleurs, vous avez raison, monsieur le Président Pierre Méhaignerie : il convient d’être prudent lorsqu’on compare le marché du travail en France et en Allemagne. Au cours de la dernière décennie, l’Allemagne a entrepris de créer un marché du travail dual, avec un secteur de l’industrie, majoritairement masculin, aux salaires élevés et un secteur des services, majoritairement féminin, aux salaires faibles. L’explosion des inégalités de revenus dans ce pays est une conséquence directe des lois Hartz, qui comprenaient des incitations très fortes au retour sur le marché du travail, même à un salaire très bas. Ce dispositif a permis à l’Allemagne d’augmenter le taux d’emploi et de préserver de hauts niveaux de salaire dans l’industrie, au prix d’une grande flexibilité dans les autres secteurs.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Le niveau de salaire varie cependant beaucoup d’une industrie à l’autre.

M. Patrick Artus. Globalement, le secteur industriel offre des salaires élevés, même s’il existe des exceptions, comme l’agroalimentaire. C’est dans la distribution et les services à la personne que l’on trouve les plus bas salaires, de l’ordre de 700 à 900 euros par mois, pour des emplois occupés à 80 % par des femmes.

Quand on compare les chiffres, il faut donc distinguer ceux qui se rapportent à l’industrie et ceux qui concernent l’ensemble de l’économie. Ceux qui affirment que les coûts salariaux sont plus élevés en France ne considèrent que les seconds : du fait du salaire minimum de croissance, les salaires dans le secteur non industriel sont moins bas en France qu’en Allemagne.

M. Olivier Garnier. Monsieur Jérôme Cahuzac, exception faite des héritages, le stock vient de l’épargne accumulée, c’est-à-dire de revenus déjà imposés. On peut taxer les transmissions, mais, pour la plupart des contribuables, le stock d’épargne ne tombe pas du ciel. D’où l’argument d’équité que j’évoquais.

Par ailleurs, si l’on veut faire des comparaisons, il faut tenir compte de l’ensemble des prélèvements existants. Que les impôts portent sur les stocks, sur les plus-values ou sur les revenus, d’un point de vue strictement économique, cela revient au même : on taxe la rentabilité de l’actif. L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) peut s’analyser ainsi. La réforme fiscale néerlandaise, si souvent citée en exemple, a supprimé l’impôt sur la fortune, mais elle l’a remplacé par une taxation à hauteur de 30 % des revenus de l’épargne, sur la base d’une rentabilité théorique de 4 % – ce qui revient au même qu’un ISF à 1,2 % !

Mme Mathilde Lemoine. Selon les derniers chiffres publiés par Eurostat, le coût du travail serait, en valeur, identique en France et en Allemagne, à environ 33 euros par heure. Le problème, c’est que les chiffres qui ont servi de base aux publications récentes ont été retirés du site d’Eurostat en raison d’une suspicion d’erreurs de calcul. Il faut donc prendre toutes ces données avec prudence.

Bien entendu, le coût du travail participe de la compétitivité globale d’une entreprise, mais en partie seulement. Pour prendre un exemple polémique, le coût horaire du travail dans le secteur automobile est, d’après les enquêtes, de 41 euros en France contre 43 en Allemagne ; cela n’a pas empêché le déclin de notre industrie automobile, qui joue un grand rôle dans la dégradation de notre déficit commercial depuis 2003.

Par ailleurs, il faut prendre en considération à la fois le niveau et la tendance. On peut d’ores et déjà s’accorder sur un constat : le coût du travail a augmenté plus vite en France qu’en Allemagne, mais les deux pays sont très proches en termes de niveau. Toutefois, la situation variant d’une industrie à l’autre, il convient d’affiner l’analyse : comme la structure n’est pas prise en compte dans les statistiques, on ne peut pour l’instant tirer aucune conclusion en terme de compétitivité.

Il circule beaucoup de chiffres sur le nombre d’heures travaillées. Le débat public s’est saisi des données issues des enquêtes, lesquelles sont, comme on l’a vu, sujettes à caution. Si l’on regarde les comptes nationaux, le nombre d’heures travaillées semble avoir beaucoup moins baissé qu’on ne le dit.

Conséquence du haut niveau des charges sociales, la rémunération par heure travaillée est, selon Eurostat, plus faible en France qu’en Allemagne.

Selon nos calculs, la réforme de la taxe professionnelle aurait provoqué une augmentation moyenne de 3 points de l’excédent brut d’exploitation (EBE), ce qui n’est pas négligeable, même s’il s’agit de données macroéconomiques à manier avec prudence. Le problème est de savoir comment orienter ce gain vers l’investissement productif et l’innovation afin d’améliorer la productivité et la compétitivité : entre 2000 et 2007, les coûts salariaux unitaires, c’est-à-dire le coût du travail divisé par la valeur ajoutée, ont augmenté de 1,5 % en France et diminué de 11 % en Allemagne, tandis que la compétitivité-prix, qui intègre les marges et les consommations intermédiaires, a diminué dans le même temps de 1 % en France et de 0,5 % en Allemagne.

M. Patrick Artus. Si, à coût égal, la production n’est pas de gamme équivalente, les performances à l’exportation s’en ressentent. Toutes les études empiriques sur le commerce extérieur comparé – notamment celles du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) – parviennent à la même conclusion : le niveau de gamme de la France est inférieur à celui de l’Allemagne. Cela se vérifie notamment par les effets des fluctuations du cours de l’euro sur les exportations : quand l’euro s’apprécie de 10 %, les exportations de la France hors de la zone euro diminuent d’environ 8 %, celles de l’Allemagne de 1,5 %. Dans l’autre sens, en Italie, la hausse des coûts salariaux est entièrement attribuable à une montée en gamme. Selon moi, le niveau de gamme est le vrai problème, non les coûts salariaux.

Il existe de nombreux travaux économétriques très sophistiqués relatifs aux charges sur les bas salaires, qui montrent tous l’existence d’une forte sensibilité de l’emploi aux charges et au coût du travail jusqu’à 1,4 ou 1,5 SMIC.

Sur la rupture conventionnelle du contrat de travail à durée déterminée, il commence à y avoir des travaux, notamment ceux de M. Pierre Cahuc, qui montrent que ce dispositif est utilisé par les entreprises comme un substitut aux préretraites.

M. Hervé Novelli. Si cette mission arrivait à un constat partagé, ce serait déjà fort utile. Or tout le monde ici a admis une perte de compétitivité des entreprises françaises à partir des années 2000 ; les taux de marge se sont érodés et le coût salarial – quoi qu’on pense de son niveau et de son rôle – ayant crû, nous avons perdu un avantage compétitif important. En revanche, aucune réponse claire n’a été donnée sur les raisons de cette évolution.

S’agissant de la compétitivité hors prix, le président Pierre Méhaignerie a raison : les données fournies par Mme Mathilde Lemoine sur le niveau des dépenses de recherche et développement remontent à 2008, c’est-à-dire qu’elles ne tiennent pas compte des effets, probablement très importants, du crédit d’impôt recherche. Il serait bon que notre mission établisse un bilan chiffré des politiques structurelles mises en œuvre depuis trois ans : outre le crédit d’impôt recherche, la réforme de la taxe professionnelle, la politique des brevets, la mise en place des pôles de compétitivité ou le rôle d’OSÉO.

M. Christian Blanc, vice-président, remplace M. Marc Laffineur à la présidence.

M. Éric Woerth. Monsieur Patrick Artus, pourriez-vous nous donner quelques précisions sur les écarts de niveaux de gamme qui semblent jouer un si grand rôle dans la différence de compétitivité entre la France et l’Allemagne ?

Par ailleurs, il conviendrait de ne pas se focaliser sur la comparaison avec l’Allemagne, car nous avons d’autres concurrents. Comment aborder la question de manière plus large ?

M. Marc Goua. Les PME sont bien plus petites en France qu’en Allemagne. Ne s’agit-il pas du principal problème de la France, avec le niveau de gamme ? Quelle en est la cause ? Les banques, auxquelles les chefs d’entreprise reprochent de ne pas les aider à grandir, n’ont-elles pas une responsabilité en la matière ?

M. Jean-Claude Sandrier. À vous entendre, la différence de compétitivité entre la France et l’Allemagne tiendrait, pour une assez grande part, au manque d’innovation des entreprises françaises. Cela soulève la question – fort peu évoquée, au demeurant – de la répartition de la richesse créée par l’entreprise entre, d’une part, l’investissement, l’innovation et la formation, et, d’autre part, les actionnaires.

Total a ainsi annoncé la distribution de la moitié de ses 10 milliards de bénéfices à ses actionnaires, tandis qu’EDF va distribuer des dividendes équivalant au double de son résultat net, en baisse. Cela confirme le déplacement de la richesse nationale vers les patrimoines, au détriment des investissements productifs. On s’étonne aujourd’hui de la faiblesse de l’industrie française, alors que, depuis le premier choc pétrolier au moins, on n’a eu de cesse de la décrédibiliser. Pensez-vous que si l’on modifiait le partage des richesses à l’intérieur des entreprises, cela permettrait d’améliorer la compétitivité ?

M. Olivier Carré. Une remarque, pour commencer : certains produits d’épargne sont en réalité un habillage du salaire à des fins d’optimisation fiscale – ce qui a une influence sur les modèles fiscaux, qui travaillent sur l’imposition marginale.

On nous dit souvent qu’une des grandes différences entre les sociétés françaises et les sociétés allemandes ou italiennes, c’est que les nôtres travaillent souvent seules, alors que le parrainage des PME par de très grandes entreprises renforcerait notre puissance à l’exportation. Qu’en pensez-vous ?

La rigidité du marché du travail français a-t-elle une influence sur notre compétitivité ? Existe-t-il des indicateurs objectifs permettant de la mesurer ?

M. Alain Vidalies. Nous avons engagé nos travaux sur la foi d’une étude qui, après avoir fait le « 20 heures » de TF1 et les grands titres de la presse nationale, après avoir été commentée par des hommes politiques et par de brillants économistes qui y voyaient un encouragement à la réforme structurelle du marché du travail, s’est révélée fondée sur des données erronées – notamment parce que les statisticiens avaient évalué le coût du travail effectué dans le cadre des conventions de forfait sur la base des 35 heures ! Cette erreur grossière a débouché sur une folie collective, ce qui doit nous inciter à la prudence.

Tout le monde semble d’accord pour dire que la question de la compétitivité ne se réduit pas au problème des coûts. Il reste que personne ne conteste que la France a un problème à cet égard et qu’il faut en rechercher les causes pour essayer de trouver des marges de manœuvre.

M. Patrick Artus a ainsi signalé qu’à coûts salariaux quasiment identiques, la rentabilité des entreprises françaises était plus faible que celle des entreprises allemandes, en raison de l’insuffisance de leurs fonds propres et du poids des dettes inscrites à leur bilan. Ce constat doit nous conduire à nous interroger sur les modes de financement de l’investissement industriel dans notre pays, que ce soit en termes d’accession à ces financements ou de règles relatives aux fonds propres.

S’agissant des PME, je note que cela fait deux fois que nous entendons la même chose : la semaine dernière, un grand capitaine d’industrie avait déjà admis que les grandes entreprises françaises n’assumaient pas leurs responsabilités à l’égard des PME. Il ne faudrait pas en rester au stade du discours !

Je ne comprends pas pourquoi, dans certaines entreprises, en particulier dans la métallurgie et dans l’industrie automobile, on fait appel à tant d’intérimaires. Un tel parti pris relève de l’obscurantisme social ; ce mode de management ne vise qu’à fragiliser les salariés, et peu importe que cela ait un coût, dû à l’augmentation des salaires induite par les primes de précarité. C’est absurde !

Il me semble que les pouvoirs publics disposent en la matière de certaines marges de manœuvre, notamment sur la mutualisation des cotisations chômage, dans la mesure où les entreprises qui créent de la précarité accroissent les dépenses de l’Unédic en générant de nouveaux droits, alors que celles qui fidélisent leurs salariés ne sont pas récompensées.

M. Jérôme Cahuzac, corapporteur. M. Hervé Novelli s’est interrogé sur les raisons de l’érosion de la compétitivité de nos entreprises depuis les années 2000. J’ai appris, de mon côté, qu’entre 2005 et 2010, le nombre de voitures fabriquées et immatriculées en France avait baissé de moitié, et celui des poids lourds d’un tiers. Pouvez-vous nous le confirmer ? Comment expliquer une telle dégradation de ce secteur en un laps de temps aussi court ?

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Monsieur Alain Vidalies, je soumets deux phrases à votre réflexion. La première a été prononcée par le président d’American Express s’adressant à des chefs d’entreprise américains : « Surtout n’allez pas en France, tout y est trop compliqué ». La seconde est due au président de Nestlé : « Je mets tellement de temps en France pour fermer une usine qui ne correspond plus aux besoins des consommateurs que je n’en ai plus pour en créer de nouvelles. » Cela révèle un problème réglementaire franco-français, y compris sur le marché du travail.

Madame, messieurs, vous raisonnez davantage en termes macroéconomiques que microéconomiques. Mais ne croyez-vous pas que le chef d’une entreprise de cinq cents salariés a beaucoup plus intérêt à vendre son entreprise qu’à la transmettre à ses enfants ? Si oui, quel rôle joue l’impôt de solidarité sur la fortune dans sa décision ?

M. Christian Blanc, président. Monsieur Patrick Artus, vous avez remarqué que, dans la compétition internationale, le niveau des gammes de produits avait vraisemblablement plus d’importance que celui des coûts. Pourriez-vous développer votre propos ? L’amélioration de la chaîne de l’innovation ne permettrait-elle pas d’élever le niveau des gammes de produits ?

M. Patrick Artus. Il est extrêmement difficile de mesurer ce niveau. Pour y parvenir, les économistes comparent le prix relatif de milliers de produits dans différents pays. Ils relèvent les variations de prix qui n’ont pas entraîné de variations de parts de marché et s’ils constatent, par exemple, que le verre allemand est devenu plus cher que le verre français sans faire baisser la part de l’Allemagne sur ce marché, ils en concluent que cette hausse de prix s’explique par une meilleure qualité, et donc par un niveau de gamme supérieur. De fait, on ne peut mesurer qu’un niveau de gamme relatif. Or nous déplorons aujourd’hui une baisse de ce niveau pour à peu près tous les produits français, à l’exception du matériel de transport et de la pharmacie.

Les économistes ont observé par ailleurs, en travaillant sur ces données extrêmement fines, que la France avait une logique de montée de gamme par niches, alors que les autres pays avaient adopté une logique de montée de gamme globale. C’est ainsi que les Allemands ou les Italiens peuvent être très bons sur tous les produits et faire du « haut de gamme » dans la chimie, le plastique, le bois, le textile, etc. et pas seulement dans les trains et les avions.

Comment monter en gamme ? Je ne sais pas. Certains pays l’ont fait, comme la Suède, le Japon et surtout l’Italie qui, depuis quinze ans, vend plus cher des produits plus sophistiqués en augmentant ses marges. Et la politique de recherche et développement, s’agissant de ce pays, ne semble pas y être pour grand-chose. La réponse est peut-être à trouver dans la stratégie d’entreprise…

M. Christian Blanc, président. Peut-être dans les modes d’organisation ? Je pense aux grappes d’entreprise, aux clusters, aux distritti italiens, etc.

M. Patrick Artus. Réunir les entreprises a sans doute un effet de synergie. C’est ce qui s’est passé dans le Jura pour la plasturgie, par exemple. Reste que les chiffres français sont assez éloquents : nous sommes en baisse de niveau de gammes relatif par rapport à presque tous les pays : les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche, l’Italie, l’Allemagne, la Finlande, la Slovénie, le Japon, le Canada…

Je tiens à revenir sur le débat opposant les entreprises du CAC 40 aux petites et moyennes entreprises, car il ne me semble pas bien posé.

D’abord, on ne dispose pas de statistiques fiables sur l’origine géographique des profits du CAC 40. L’exercice est d’ailleurs très compliqué en raison des prix de transferts, des localisations des profits à certains endroits, des arbitrages de fiscalité, etc. On sait malgré tout que près 80 % de ces profits sont réalisés hors de notre pays. Par exemple, Total fait « zéro profit » en France. Dans ces conditions, comment mesurer le partage des revenus à l’intérieur des entreprises multinationales ?

Ensuite, si l’on se réfère à l’ensemble des entreprises, il apparaît que la part des salaires dans le produit intérieur brut a augmenté, après avoir été stable dans les années quatre-vingt-dix. Le problème, selon moi, tient à l’insuffisance de l’autofinancement des investissements ou de la recherche – à 60 % de taux d’autofinancement, dans un environnement qui n’incite pas à s’endetter, les entreprises ne peuvent que contracter leurs dépenses – et aux dix années de baisse de profitabilité, plutôt qu’au CAC 40. Certes, les salaires n’ont pas augmenté de façon extravagante en France, mais ils ont augmenté plus vite que la productivité – de 1,2 % ou 1,3 % par an depuis la création de l’euro. La difficulté me semble surtout tenir à la « sous-profitabilité » des entreprises, liée à une insuffisante augmentation de leur productivité.

Je terminerai sur les ventes précoces de petites et moyennes entreprises, évoquées à juste titre par plusieurs d’entre vous. Selon l’INSEE, dans 90 % des cas, les PME françaises sont vendues par leur propriétaire à de grands groupes, ce qui fait qu’elles disparaissent des statistiques. Ce n’est pas le cas en Allemagne, où les PME ont l’opportunité de grandir. Et selon des chiffres venant des banques privées, un créateur de PME vend celle-ci quand elle vaut, en moyenne, entre 15 et 20 millions d’euros.

Il n’y a pas, à ma connaissance, d’études scientifiques sur les raisons de ces ventes précoces. Si je me réfère à certaines interviews, le phénomène serait plutôt lié à la taxation des plus-values en capital qu’à l’impôt de solidarité sur la fortune.

M. Olivier Garnier. Je remarque moi aussi, monsieur Éric Woerth, que l’on a trop tendance aujourd’hui à faire de l’Allemagne un modèle – alors qu’il y a seulement quelques années, c’était l’inverse. Les Allemands rencontrent eux aussi certains problèmes, et ils ne sont pas exemplaires dans tous les domaines. Il faut donc être prudents dans nos comparaisons.

En termes de coûts salariaux unitaires, nous avons fait mieux que les autres pays de la zone euro, notamment que ceux de la « périphérie » de cette zone, où ils ont connu une forte augmentation.

Il faut plus particulièrement se méfier des comparaisons qui ne portent que sur la dernière décennie. Souvenons-nous que l’Allemagne avait fortement perdu en compétitivité au cours des années quatre-vingt-dix à la suite de la réunification, et qu’elle est entrée dans l’euro avec un taux de change surévalué. L’effort, notamment salarial, accompli dans ce pays au cours des années 2000 est la contrepartie des pertes accumulées au cours de la précédente.

Il n’en reste pas moins que les indicateurs font apparaître, en France, une accélération de la dégradation des performances à l’exportation au cours de ces dernières années. Je ne suis pas sûr que nous puissions l’expliquer. Peut-être est-ce dû au fait, souligné par M. Patrick Artus, que l’économie française est plus sensible que d’autres aux effets du taux de change. Il faudrait donc travailler sur cette hypothèse, en s’en tenant à la partie hors zone euro : au sein de la zone euro – à l’exception de l’Allemagne – nous avons plutôt gagné en compétitivité-coût ; en revanche, à l’extérieur, nous avons subi des pertes liées à l’appréciation du taux de change de l’euro à partir de 2002.

Par ailleurs, les entreprises ne distribueraient-elles pas trop de dividendes ? Elles peuvent choisir d’en distribuer ou non – dans ce dernier cas, le gain de l’actionnaire prend plutôt la forme de plus-values – et les raisons de leur choix sont essentiellement fiscales. Voilà pourquoi, selon les pays, les entreprises distribuent plus volontiers des dividendes ou plus volontiers des plus-values. Pour les économistes, le fait qu’elles optent dans un sens ou dans l’autre n’influence pas la décision d’investissement. Certains d’entre eux considèrent cependant qu’il vaut mieux distribuer les dividendes. En effet, cela inciterait l’entreprise à mieux investir et éviterait que l’argent conservé en son sein ne soit mal utilisé.

Enfin, s’agissant de la fiscalité des revenus du travail et des revenus de l’épargne, l’un de vous a fait remarquer que certaines formes de rémunération pouvaient être déguisées en produits d’épargne. Mais si, pour y faire obstacle, on taxait de la même manière les revenus de l’épargne et ceux du travail, cela obligerait à détaxer au départ les revenus du travail qui sont épargnés…

Mme Mathilde Lemoine. Concernant le secteur automobile, certains chiffres sont assez éloquents. Entre 1995 et 2010, le solde commercial français s’est dégradé de 72 milliards d’euros et celui de l’Allemagne s’est amélioré de 110 milliards d’euros. Le secteur automobile a contribué à ces deux évolutions inverses pour, respectivement, 10 et 63 milliards, de sorte qu’il a contribué pour quelque 40 % à l’écart ainsi creusé entre les deux pays. Certes, le raisonnement est très réducteur, dans la mesure où l’on sait que la balance commerciale ne signifie rien en matière de compétitivité. Mais il fait apparaître qu’il s’est vraiment passé quelque chose dans le secteur de l’automobile.

On peut regretter le détachement avec lequel on observe le phénomène, qui pèse de plus en plus sur la dégradation de la position relative de l’industrie, et risque d’avoir des conséquences très importantes sur l’investissement. En effet, si l’investissement de l’industrie automobile représente à peu près à 9 % de l’investissement des entreprises françaises, il explique 21 % des variations de ces dernières années.

Que se passe-t-il donc ? Faut-il accompagner l’évolution ou la restructuration de ce secteur ? Pour le coup, le raisonnement microéconomique s’impose. Mais est-on capable de développer, par exemple, un secteur des biotechnologies comme l’ont fait les Allemands qui, en cinq ans, ont pris rang parmi les leaders mondiaux ? Pourquoi ne le fait-on pas ? Je ne le sais pas, mais je considère qu’il faudrait regarder de plus près cette question de l’industrie automobile, sans stigmatiser pour autant ce secteur.

M. Christian Blanc, président. Est-ce que nous apprécions le phénomène de la même façon ? Quelles conséquences en tirer ?

Mme Mathilde Lemoine. Les termes de l’échange sont un moyen d’apprécier l’évolution de la compétitivité d’un pays. Sur la période 1995-2010, ils ont été à peu près stables en France, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, mais ils se sont dégradés dans l’industrie automobile.

M. Marc Goua. À côté de chez moi, une fonderie travaillait pour une grande marque automobile française, qui a décidé d’aller produire dans les ex-pays de l’Est, juste au moment où le groupe Volkswagen venait de passer avec cette fonderie des marchés prometteurs. C’est incompréhensible : cette fonderie ne rencontrait ni problèmes de compétitivité ni difficultés techniques !

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. La situation du secteur agroalimentaire, où nous étions puissants, est en train de se dégrader. Un jeune éleveur, parfaitement formé, a besoin de quatre ans pour pouvoir étendre sa porcherie ou son élevage. La pression exercée par certaines associations militant contre la pollution empêche pratiquement tout le secteur de s’adapter. Ainsi, la Bretagne va perdre plusieurs unités de transformation dans les cinq à dix ans à venir.

M. Éric Woerth. Vous avez dit qu’en quelques années, l’Allemagne était arrivée à se hisser très haut dans le secteur des biotechnologies. Est-ce le fruit d’une décision collective ? Quelle part y ont prise les acteurs économiques, le gouvernement et les Länder ?

M. Christian Blanc, président. Je crois avoir la réponse : il y a dix ans, le gouvernement allemand a pris la décision stratégique de s’engager dans les biotechnologies, à l’instar des États-Unis. Il a lancé un concours d’idées en précisant que seraient présélectionnés les dix Länder qui montreraient le plus d’aptitudes à développer ces technologies. Au bout de six mois, il a retenu la candidature de la Bavière et du Bade-Wurtemberg. Finalement, en prenant en compte une multitude de critères, il a restreint le choix définitif à la Bavière et à une partie du Bade-Wurtemberg. Et au bout de cinq ans, l’Allemagne est devenue la première puissance européenne en matière de biotechnologies. Cela signifie que des politiques volontaristes peuvent aboutir.

A contrario, alors que le sud de Paris, entre Orly et Évry jusqu’au périphérique, concentre 60 % de l’industrie pharmaceutique, personne n’a eu l’idée de mener une politique de « fertilisation » prenant en compte cette spécificité. Nous avons essayé, dans le cadre du Grand Paris, mais visiblement, cela prendra du temps.

Mme Mathilde Lemoine. Je souhaiterais donner quelques précisions sur le crédit impôt recherche. Les chiffres que l’on cite régulièrement ne vont pas au-delà de 2008 et nous attendons ceux du ministère de l’économie et des finances concernant les années plus récentes. J’espère que l’impact du dispositif ne se limite pas à contenir le recul de la France. En effet, si la France avait la même compétitivité hors prix que l’Allemagne, ses exportations auraient augmenté de 50 % de plus entre 2004 et 2007. À quoi nos difficultés sont-elles dues ? Il y a de nombreuses pistes et la question est certainement importante.

Par ailleurs, nous avons tous insisté sur le fait que le coût du travail n’était pas suffisant pour expliquer la différence de performances avec l’Allemagne, et que ce n’était qu’une part de la compétitivité extérieure des entreprises et d’un pays que l’on mesurait par les termes de l’échange. Pour autant, si l’on baissait les salaires de 50 %, notre compétitivité extérieure s’améliorerait momentanément. Cela peut paraître caricatural. Il n’en reste pas moins que nous devons nous interroger sur l’amélioration tendancielle que nous voulons obtenir, au-delà du court terme. L’Allemagne va-t-elle continuer à améliorer sa compétitivité-coût relative pour nous dépasser ? Quelles en seront les conséquences ? De telles questions sont elles aussi très importantes.

Enfin, une étude, que nous pouvons vous transmettre, vient d’être réalisée par des économistes du CEPR (Center for economic policy research), un centre de recherches anglais. Elle montre que l’augmentation du nombre de PME et de salariés dans ces entreprises est corrélée à l’importance du rôle joué par l’État dans l’économie. D’autres facteurs comme la définition des droits de propriété ou certains facteurs institutionnels interviendraient, mais la variable la plus significative serait le pourcentage de dépenses publiques dans le produit intérieur brut, lequel mesure la taille de l’État. Et la conclusion de l’étude est que plus l’État prend de la place, moins les entreprises se développent.

M. Jérôme Cahuzac, co-rapporteur. Les salaires ont évolué plus vite et mieux que la productivité, dites-vous. Or je remarque que le pouvoir d’achat par unité de consommation n’a progressé qu’en raison de la faiblesse de l’inflation et que, si l’on ne prend pas en compte ce dernier facteur, il a plutôt baissé. Comment ces deux évolutions inverses sont-elles possibles ? Apparemment, il y a contradiction.

M. Patrick Artus. Le problème vient de ce que l’on ne prend en compte que la période précédant la crise. Pour 2009, 2010, 2011, des évolutions assez différentes se dessinent.

En 2011, les salaires réels baisseront. Mais ils baisseront en raison de la hausse des prix des matières premières, si vous les calculez avec le prix de la consommation. Si vous les calculez avec le prix du produit intérieur brut – et c’est ce qui compte pour les entreprises –, il n’est pas du tout sûr qu’ils baissent. Il y a donc une grosse différence suivant que vous considérez le pouvoir d’achat du point de vue des entreprises ou du point de vue des consommateurs.

Il y a maintenant des biais énormes entre l’indice des prix à la consommation et celui des prix du produit intérieur brut. Il faut comparer le salaire réel calculé avec les prix du PIB, et la productivité : c’est cela qui mesure l’évolution du partage des revenus. Mais comme depuis le début de 2009, les matières premières augmentent très vite, les prix à la consommation montent énormément par rapport aux prix du produit intérieur brut : vous avez donc une divergence complète entre le salaire réel vu de l’entreprise, et le salaire réel vu du côté des consommateurs.

Cette année, nous risquons de très mauvaises surprises. Si le prix du baril de pétrole reste à 104 dollars, l’inflation sera de 3 % et le salaire réel vu par le consommateur baissera de 1,2 % – le salaire nominal n’ayant augmenté que de 1,8 % – alors que le salaire réel vu par l’entreprise augmentera. Il s’agit donc de faire attention : ces deux concepts sont assez différents et ils peuvent connaître de grosses variations, notamment en raison du prix des matières premières.

Mais nous n’avons pas abordé les problèmes d’emploi et de qualification. Certaines enquêtes, certains travaux académiques, notamment ceux du CEPR précité, révèlent l’importance de la capacité du système éducatif à fournir des diplômés dans les matières scientifiques. En Allemagne en particulier, le nombre de ces diplômés est en augmentation assez forte alors qu’il est en chute libre en France. Le Gouvernement mène d’ailleurs une réflexion sur les moyens d’inciter les jeunes Français à s’engager dans ces disciplines. Quant à la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), elle voit dans la difficulté à recruter des diplômés scientifiques une des explications de la faiblesse de notre croissance.

M. Christian Blanc, président. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 février 2011 à 16 heures

Présents. – M. Christian Blanc, M. Jérôme Cahuzac, M. Olivier Carré, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, M. Marc Laffineur, M. Pierre Méhaignerie, M. Alain Moyne-Bressand, M. Hervé Novelli, M. Jean-Claude Sandrier, Mme Marie-Hélène Thoraval, M. Alain Vidalies, M. Éric Woerth

Excusés. – M. Bernard Accoyer, M. Gérard Charasse, M. Albert Facon, M. Nicolas Forissier, Mme Monique Iborra, M. Jean-Charles Taugourdeau