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Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale

Mercredi 11 mai 2011

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Marc Laffineur, vice-président puis de M. Bernard Accoyer, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Godet, titulaire de la chaire de prospective stratégique au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Conseil d’analyse économique (CAE), et de M. Philippe Weil, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), M. Jacques Le Cacheux, directeur du département des études, M. Henri Sterdyniak, directeur du département Économie de la mondialisation, et M. Xavier Timbeau, directeur du département analyses et prévisions

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LA COMPÉTITIVITÉ DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

Mercredi 11 mai 2011

La séance est ouverte à seize heures.

(Présidence de M. Marc Laffineur, vice-président de la Mission d’information,
puis de M. Bernard Accoyer, président)

La Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale entend, en audition ouverte à la presse, M. Michel Godet, titulaire de la chaire de prospective stratégique au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Conseil d’analyse économique (CAE), et M. Philippe Weil, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), M. Jacques Le Cacheux, directeur du département des études, M. Henri Sterdyniak, directeur du département Économie de la mondialisation, et M. Xavier Timbeau, directeur du département analyses et prévisions.

M. Marc Laffineur, président. Nous recevons aujourd’hui M. Michel Godet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), membre du Conseil d’analyse économique et de la Commission économique de la nation. Il a apporté sa contribution à des rapports importants du Conseil d’analyse économique : La Famille : une affaire publique (2009), Créativité et innovation dans les territoires (2010) et Libérer l’innovation (2010). Nous avons invité également une délégation de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), emmenée par son président, M. Philippe Weil, professeur des universités et spécialiste du marché du travail. Il est accompagné de M. Jacques Le Cacheux, professeur des universités à l’université de Pau et des pays de l’Adour, directeur du département des études, dont les travaux portent principalement sur la macroéconomie appliquée, en particulier à la recherche, la fiscalité ou l’agriculture, et aux aspects économiques de l’intégration européenne ; de M. Henri Sterdyniak, professeur associé à l’université Paris IX-Dauphine, directeur du département économie de la mondialisation à l’OFCE, qui a notamment mené des travaux sur l’économie financière internationale ; et de M. Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision.

Je tiens à remercier chacun d’entre vous, messieurs, de sa participation à cette table ronde qui, compte tenu de la variété de vos profils, s’annonce dense et riche d’informations.

M. Philippe Weil, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques. J’analyserai la compétitivité sous l’angle macroéconomique puis microéconomique, avant de répondre à la question de savoir si une réforme de la protection sociale pourrait améliorer la compétitivité française.

La crise n’est pas terminée. À l’aune du produit national brut (PNB) par habitant, la France est dans une position moyenne. Tous les pays ont été frappés, mais seule l’Allemagne a repris un sentier de croissance qui devrait lui permettre de retrouver son niveau d’avant la crise. Pour les autres pays de la zone euro, la perte sera durable et les taux de croissance ne suffiront pas à compenser la chute causée par la crise. L’Allemagne, d’un côté, l’Italie et l’Espagne, de l’autre, affichent des performances extrêmes, la France se situant dans la moyenne supérieure de la classe européenne.

Sans croissance, il sera quasiment impossible de ramener le ratio dette publique/PNB autour de 60 %, conformément aux engagements du pacte de stabilité. Les taux d’intérêt ne peuvent guère baisser, sauf le taux d’intérêt réel si une inflation massive se manifestait, mais les marchés n’y croient pas, tout au moins pour l’instant. Même en cas de stabilité des taux, l’effort fiscal qui serait requis exigerait, pour résorber l’endettement, au moins vingt ans de surplus primaire considérable, ce qui semble politiquement peu probable. La croissance est donc vitale.

L’amélioration de notre compétitivité et une réforme de la protection sociale sont-elles à même de fournir le surplus de croissance dont nous avons besoin ?

Les pertes et gains de compétitivité relative entre pays de l’OCDE, mesurés par les variations de la part à l’exportation de chaque pays en fonction de celles du coût unitaire du travail, révèlent que la France est un élève moyen supérieur. Comme beaucoup d’autres pays, elle a perdu des marchés à l’exportation mais cela tient en grande partie au fait que le développement du commerce international s’est surtout réalisé hors de la zone euro. L’Allemagne caracole en tête avec l’Autriche, leur compétitivité salariale s’étant considérablement accrue, mais la situation française n’a rien de catastrophique par rapport à celle des autres pays de la zone.

Cette dégradation relative de la compétitivité est-elle préoccupante ?

La corrélation entre compétitivité relative du coût unitaire du travail et taux de croissance n’est pas évidente sur la période 1999-2007. L’Allemagne affiche une compétitivité supérieure mais un taux de croissance légèrement inférieur à celui de la France. À partir de 2005 et jusqu’à la crise, la croissance a été plus forte en Allemagne qu’en France ; toutefois, ce résultat a été obtenu au prix d’une stagnation macroéconomique de 2000 à 2005. L’avantage de compétitivité de l’Allemagne tient à l’effondrement de la part salariale dans la valeur ajoutée à partir de 2000.

L’Allemagne est-elle un modèle pour l’Europe ? Peut-on imposer aux autres pays des réformes Hartz ? L’effet serait sans doute catastrophique. Une réduction brutale des salaires et de leur part dans la valeur ajoutée provoquerait une déflation dans l’ensemble de la zone, une appréciation de l’euro et une baisse des parts de marché vis-à-vis du reste du monde, mais une baisse des parts de marché de l’Allemagne par rapport à ses partenaires. De telles politiques d’appauvrissement ne sont ni souhaitables ni soutenables en Europe. Imiter l’Allemagne ne saurait tenir lieu de politique de sortie de crise en zone euro.

Sur un plan microéconomique, il est incontestable que la France souffre d’un déficit de compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne qui tient en partie à nos coûts salariaux, mais aussi à notre retard pris dans l’internationalisation de nos activités et dans la recherche-développement. L’avantage comparatif de l’Allemagne est en grande partie lié à l’organisation de son industrie et à son ouverture aux marchés étrangers. La baisse récente du coût unitaire du travail en Allemagne n’a fait que renforcer cet avantage mais il n’en constitue pas l’essentiel. La compétitivité à moyen et long termes dépend plus de la productivité, c’est-à-dire de l’investissement et de l’innovation que des coûts salariaux.

Le handicap de la France vient de ce que ses entreprises exportatrices, comparées aux entreprises allemandes, exportent des parts beaucoup plus faibles de leur chiffre d’affaires. Il n’est pas rare en Allemagne qu’une entreprise exporte 80 % ou 85 % de son chiffre d’affaires. En France, cela reste exceptionnel.

L’essentiel de la recherche-développement (R&D) se fait en Allemagne dans le secteur manufacturier. La désindustrialisation française – très sensible si l’on se réfère au nombre d’emplois – est dommageable à cet égard.

Les objectifs de notre politique industrielle sont donc clairement identifiables et font consensus. Il faut favoriser l’innovation et l’exportation, soutenir la réindustrialisation et l’industrie manufacturière, ne pas rater le virage écologique et veiller certes à la concurrence mais en même temps à la coopération entre les entreprises car la R & D exige de mobiliser des moyens importants. Il faut surtout ne pas sélectionner a priori des activités dont on croit qu’elles seront gagnantes, et davantage encourager l’innovation dans toutes ses dimensions. Les aides à la R&D devraient ainsi être subordonnées à l’exportation et à des engagements de coopération interentreprises. Cela passe par le développement de clusters, de consortiums technologiques, sans oublier l’évaluation des politiques publiques.

Quel rôle peut jouer le financement de la protection sociale dans un tel programme d’amélioration de notre compétitivité à long terme ? Pour ce qui est de la part des cotisations sociales dans le produit intérieur brut (PIB), la France est incontestablement en tête. Cependant, l’étude du lien entre ce pourcentage et le taux de croissance ne permet guère de tirer de conclusions car les données concernant la protection sociale reflètent des différences dans l’architecture du système, propre à chaque pays. Dans certains pays, l’assurance étant obligatoire, elle apparaît dans les prélèvements ; dans d’autres, elle ne l’est pas. Ainsi, le pays qui présente en 2007 à la fois le taux de croissance et le taux de cotisations sociales en pourcentage du PIB le plus bas est le Danemark – avec respectivement 1,5 % et 0,3 % – tandis qu’à l’opposé, on trouve la Suède qui affiche un taux de croissance supérieur à 3 % et une part des cotisations sociales dans le PIB très élevée : 12 %. Ce sont deux pays scandinaves qui financent différemment la protection sociale. Le lien entre protection sociale, prélèvements obligatoires et taux de croissance ne peut pas être interprété.

Une réforme du mode de financement de notre protection sociale permettrait-elle d’améliorer notre compétitivité sans nuire au pouvoir d’achat ? Une « TVA sociale » aurait des effets comparables à une dévaluation : elle attiserait les tensions inflationnistes et ses effets positifs seraient faibles et de courte durée si les salaires et les retraites n’étaient pas bloqués. La « TVA sociale » n’aurait donc que sociale son nom si les salaires et les retraites étaient bloqués. Remplacer les cotisations sociales des entreprises par la contribution sociale généralisée aurait l’avantage de permettre de choisir la victime : les salariés, les retraités ou les rentiers. Mais quel serait l’engagement auquel les entreprises souscriraient en contrepartie et comment être certain de l’obtenir ?

En conclusion, d’une part, les leviers de la compétitivité sont à chercher non dans une politique macroéconomique magique mais dans une politique industrielle de long terme tendant à accroître la productivité. D’autre part, si le financement de la protection sociale peut être amélioré, il n’y a pas non plus de miracle à en attendre sur la compétitivité.

M. Michel Godet, titulaire de la chaire de prospective stratégique au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Conseil d’analyse économique. Je ne partage tout à fait l’analyse qui vient d’être faite.

Si l’on considère l’évolution du PIB par tête, la France était à l’indice 100 en 1980 et la zone euro à l’indice 92. Aujourd’hui, elle est dans la moyenne. La France a donc reculé par rapport à l’ensemble. Le Royaume-Uni nous a dépassés alors qu’il était en retard de 10 points, pour ne rien dire de l’Allemagne. Nous reculons parce que, en partant de l’hypothèse que les productivités et les qualifications sont comparables entre les pays, la création de richesse dépend de la quantité de travail. Or un Français travaille 88 jours par an, soit trois semaines de moins qu’un Anglais et deux de moins que la moyenne européenne.

Le solde du commerce extérieur est excédentaire en Allemagne et déficitaire chez nous. Sans la zone euro, nous aurions dû dévaluer, ce qui aurait été à double tranchant. Au moins aurions-nous été obligés d’engager des réformes car nous vivons au-dessus de nos moyens : notre croissance a été financée par du déficit. Ainsi, l’année dernière, 1,5 point de croissance de PIB a été obtenu au prix de 7 points de déficit public. Autant arroser le désert avec 7 litres d’eau pour ne récupérer que 1,5 litre. Autrement dit, on finance la consommation des Français en prenant dans la poche de leurs enfants en créant toujours plus de dette.

La France se réjouit à juste titre de sa démographie vigoureuse par rapport à l’Allemagne, mais elle oublie que 25 % des naissances ont lieu dans des familles d’origine immigrée – dont 40 % en Île-de-France – et que ces populations ont peu accès à l’éducation, condition de l’intégration à la société. Or, le rapport du Conseil d’analyse économique dont j’ai été en charge La Famille : une affaire publique montre que le coût de l’échec scolaire est exorbitant pour la société. Un enfant placé dans une structure d’accueil coûte 30 000 euros par an à la collectivité, 180 000 euros dans un centre éducatif fermé. Si on régresse, c’est qu’on ne veut pas voir qu’on a concentré les handicaps dans certains quartiers. La compétitivité n’est pas toujours là où on l’attend, c’est-à-dire dans les indicateurs macroéconomiques, comme l’indiquent les rapports produits par le Conseil d’analyse économique sur la famille et sur les territoires.

Pour l’avenir, je suis plutôt optimiste, mais à condition d’entreprendre les réformes qui demandent du courage et de s’inscrire dans le temps. Les hommes politiques sont en contrats à durée déterminée : ils n’ont pas le temps de mener de telles réformes.

En faisant le tour de France à la recherche des initiatives locales, on se rend compte qu’il y a des territoires dynamiques. La Mayenne ou le bocage Bressuirais affichent des taux de chômage deux fois plus faibles que la moyenne nationale. Ils sont là pour prouver que ce ne sont pas les infrastructures qui font le développement mais les hommes dans une société de confiance. Cette confiance n’existe pas au niveau national à cause, entre autres, de l’instabilité fiscale. On a supprimé le bouclier fiscal – à raison – mais sans un regard pour la moitié des bénéficiaires qui n’étaient pas assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune. Ils ont été sacrifiés sur l’autel de la politique.

En 2002, à propos du bilan des 35 heures, j’avais proposé, sous les sarcasmes, d’en sortir par le haut avec des heures supplémentaires non imposables. Malheureusement, on a rajouté l’exonération de charges que je ne réclamais pas. Ou comment d’une bonne idée faire une mauvaise !

Les différences de dynamiques entre croissance démographique et économique sont éloquentes. Les régions au sud de la Loire ont une croissance beaucoup plus forte que celles situées au nord, à l’exception de la Bretagne. L’indice de fécondité est plus fort au nord, mais les territoires les plus attractifs sont au sud d’une ligne Avranches-Genève. Ils attirent les retraités qui fuient sans mot dire les zones urbaines sensibles. L’insécurité des biens et des personnes est un indicateur essentiel de la qualité de vie et les gens votent avec leurs pieds : ils quittent l’Île-de-France pour des raisons d’insécurité, de non-qualité de vie, de coût de la vie et du logement. Au moment où l’on s’apprête à faire le Grand Paris, la question de savoir si l’argent ne serait pas mieux employé à dynamiser le reste de la France mérite d’être posée. Le Grand Berlin, après tout, ne fait que 3 millions d’habitants.

L’innovation est déterminante. Mais l’innovation est à 80 % non technique. Elle est avant tout sociale, organisationnelle, financière et commerciale. Notre retard avec l’Allemagne s’explique en grande partie en raison d’un service de mauvaise qualité. Si on continue à mettre l’accent sur l’innovation technologique, nous persévérerons dans ce qui a fait notre réputation : des succès techniques qui sont autant d’échecs commerciaux. Le fondement du succès est la synthèse créative. Tout le monde sait que dans l’Iphone, aucune idée ne vient de chez Apple. L’important n’est pas tant la R&D high-tech que la valeur ajoutée. Le rapport du Conseil d’analyse économique met en évidence que les trois quarts des innovations viennent des clients ou des fournisseurs. Un crédit d’impôt recherche innovation aurait mieux valu qu’un crédit d’impôt recherche qui ignore les petites entreprises. Celles-ci représentent 96 % des entreprises et 40 % de l’emploi marchand. Nous sommes trop obnubilés par les entreprises du CAC 40, lesquelles n’ont pas besoin de l’aide des pouvoirs publics pour faire des bénéfices ailleurs qu’en France.

Pour innover, il faut cesser d’imposer les réformes d’en haut, annoncées à grand renfort de présentation sur les chaînes de télévision, du type revenu social d’activité (RSA) ou 35 heures. Elles ne marchent que sur le papier. Pour réformer, il faut au contraire mutualiser les bonnes pratiques en s’inspirant de ce qui fonctionne sur le terrain et en organisant la contagion des initiatives. Par ailleurs, le succès est souvent une affaire de temps, y compris dans l’administration. La caisse primaire d’assurance-maladie de la Sarthe est dirigée par un directeur qui est en place depuis vingt ans. Il a eu le temps de faire un formidable travail de sensibilisation auprès de la population sur la médecine active et préventive, permettant ainsi de diviser par trois les arrêts maladie. La mesure de la pauvreté aussi n’est pas forcément très significative : la Mayenne est l’un des départements les plus pauvres de France mais les habitants ne sont pas malheureux parce qu’ils gagnent tous autour de 1,3 SMIC. Ce sont les inégalités trop fortes qui rendent les gens malheureux. Nous avons surtout un grand besoin de cohésion sociale et d’harmonie.

Quant aux propositions concrètes, je suggère, en bon libéral interventionniste que je suis, une politique destinée aux jeunes en difficulté dans ce domaine. L’État ne peut pas laisser faire le marché qui ignore le long terme et l’intérêt général. Il faut faire pour les enfants défavorisés des cités ce que l’on a fait pour les enfants d’agriculteurs à partir des années 1920 en leur attribuant des bourses systématiques et même en les scolarisant en internat. Agir en amont coûte moins cher qu’en aval. Le laisser-faire du marché dans ce domaine est catastrophique, d’autant que nous avons des retards en matière éducative. Il faudrait par exemple généraliser la pratique des professeurs associés dans les collèges et les lycées pour enseigner le droit ou l’économie.

J’en terminerai par le régime de retraite qui doit être non seulement à points mais à horloge, de façon à contourner l’écueil des 35 heures. On mettrait la barre à 70 000 heures de travail à répartir à son gré au cours de la vie active. Les Pays-Bas ont un taux de chômage beaucoup plus faible parce que le temps partiel y est très répandu alors qu’il est honni en France. Il faut lever ce tabou ainsi que celui des inégalités, non de revenu mais de statut. Au nom de l’égalité des citoyens, il faut généraliser un seul contrat à durée indéterminée pour tous, et les contrats d’apprentissage pour pouvoir, tout au long de la vie, changer de carrière. L’ascenseur social est peut-être en panne, mais il y a toujours moyen, en travaillant, de construire des échelles et des escaliers. Dans ces conditions, le meilleur outil d’insertion reste de mettre les chômeurs en situation d’apprentissage.

M. Marc Laffineur, président. Comment la France se positionne-t-elle à l’égard des investissements étrangers ? Et pourquoi ont-ils brutalement augmenté en 2010 ?

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Si l’inégalité majeure est le chômage, pourquoi ne pas suivre l’exemple allemand dont la qualité première est de le réduire et d’améliorer la compétitivité ? Et que faire d’autre pour être efficace, sachant que les mesures en faveur de l’innovation ne peuvent pas se faire sentir immédiatement ?

Je note l’accent mis par Michel Godet sur l’absolue nécessité de la flexibilité. Le directeur d’une entreprise japonaise sur le départ à qui j’avais demandé quelle était, selon lui, la principale critique à adresser à la France, m’a répondu que la perspective du coût du plan de sauvegarde de l’emploi en cas de diminution de 30 % des effectifs dissuadait l’investissement. Qu’en pensez-vous ?

L’empilement des structures n’est-il pas notre premier problème en empêchant l’initiative et la responsabilité ?

M. Jérôme Cahuzac, corapporteur. Monsieur Michel Godet, vous nous avez vanté la politique du temps partiel menée aux Pays-Bas, et M. Pierre Méhaignerie le système en vigueur en Allemagne. La France a fait l’inverse en misant sur une idée qui était apparemment la vôtre, les heures supplémentaires défiscalisées et – ce que vous ne réclamiez pas – « désocialisées ». Quel jugement comparé portez-vous sur chacune de ces deux stratégies ? En Allemagne, le chômage a été réduit pour 5 ou 6 milliards d’euros tandis qu’en France, le chômage a considérablement augmenté malgré les 4 ou 5 milliards d’euros de manque à gagner au titre de la défiscalisation des heures supplémentaires. Devons-nous persévérer dans cette voie ou renoncer ?

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. J’ai demandé, dans mon bassin d’emploi, leur avis sur les heures supplémentaires à la fois aux salariés et aux entreprises. Les premiers ont exprimé une forte attente, d’autant que les ouvriers sont ceux qui en bénéficient le plus. Les entreprises peuvent utiliser le dispositif pour répondre à une commande ponctuelle pour laquelle elles n’ont pas l’intention d’embaucher. Il leur apporte une flexibilité supplémentaire qui leur permet de moins recourir aux contrats à durée déterminée (CDD). Qui plus est, le salarié accepte aujourd’hui plus facilement les heures supplémentaires parce qu’il est assuré de ne pas perdre l’aide au logement ou d’autres avantages, et de garder la même tranche d’imposition. Je vous fais part de ces observations car le débat ne doit pas être caricatural. Les heures supplémentaires ont procuré aux entreprises une flexibilité indispensable même si les cotisations sociales auraient peut-être dû être traitées différemment.

M. Xavier Timbeau, directeur du département études et prévisions de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Les entreprises ont toujours avantage à la flexibilité, variable qui détermine le partage du risque entre le capital et le travail, et même au-delà entre l’entreprise et ses fournisseurs, voire ses clients. Tout est affaire d’équilibre.

Je m’inscris en faux contre la croyance selon laquelle La France serait un pays rigide. L’Organisation de coopération et de développement économiques établit des indicateurs de protection de l’emploi. Selon ces derniers, la protection que procure un contrat à durée indéterminée fait de la France un pays peu rigide où la législation du travail autorise le licenciement à des coûts qui sont bas par rapport aux autres pays développés. En revanche, le contrat à durée déterminée (CDD) révèle un degré de protection élevé. De manière paradoxale, le CDD est conçu et utilisé en France comme un instrument de flexibilité, alors qu’il apparaît comme un facteur de rigidité dans les comparaisons internationales. Sur le papier, le CDD peut être utilisé si et seulement si le poste à pourvoir est temporaire. La pratique prouve le contraire, et aucune jurisprudence n’est venue la sanctionner. L’application dément la lettre de la loi. Ainsi, en France, depuis une vingtaine d’années, le développement de l’intérim ou des CDD a largement permis d’augmenter la flexibilité.

M. Pierre Méhaignerie vient d’évoquer le cas d’une entreprise qui doit faire face à une chute de 30 % de l’activité. Par bonheur, les chocs d’une telle ampleur sont rares même si la question s’est posée avec la crise de 2008. Le cas est tellement exceptionnel qu’il est difficilement concevable d’adapter la législation en conséquence. Il vaut mieux se demander comment éviter de pareils à-coups. À cet égard, la comparaison avec l’Allemagne est instructive. Face à un choc plus brutal, l’Allemagne a fait preuve d’une plus grande capacité d’adaptation que la France grâce à un chômage partiel largement financé par le Gouvernement et à des mécanismes d’évolution des salaires qui ont permis aux entreprises de reporter une partie du prix de la flexibilité sur les salariés qui ont accepté des baisses de salaire. Ces mesures ont été prises en vue de ne pas porter atteinte au contrat de travail. La conclusion à en tirer pour nous, c’est que la flexibilité peut ne pas être synonyme de précarité. Certains théoriciens de l’économie du travail ont démontré que des contrats fragiles entre une entreprise et ses salariés provoquent des dysfonctionnements. Aucune des deux parties ne s’investit : l’entreprise ne forme pas le salarié et le salarié ne s’implique pas, si bien que la synergie escomptée et qui constitue l’essence même de l’entreprise ne se produit pas. Le débat sur la flexibilité a pris, en France, une mauvaise direction en faisant le choix d’une précarisation destructrice pour les salariés, mais qui, finalement, ne profite pas non plus à l’entreprise.

M. Henri Sterdyniak, professeur associé à l’université Paris IX-Dauphine, directeur du département Économie de la mondialisation à l’Observatoire français des conjonctures économiques. L’Allemagne n’est pas un modèle pour la France, ni pour la zone euro, ne serait-ce que parce que sa population active potentielle diminue. C’est à cette évolution qu’elle doit la baisse de son chômage. Par ailleurs, la France s’est engagée dans une stratégie de report de l’âge de la retraite qui suppose de créer un très grand nombre d’emplois dans les années à venir. Le modèle allemand n’est pas transposable.

Si l’on remonte à 1999, les inégalités se sont profondément creusées en Allemagne au point que ce pays, traditionnellement égalitaire depuis 1945, est devenu l’un des plus inégalitaires avec la précarité ou le développement des emplois à un euro. Du fait de la stagnation de la demande intérieure, la croissance a été obtenue exclusivement par des gains de productivité au détriment de ses partenaires de la zone euro – la France, l’Italie, l’Espagne. Les excédents de l’Allemagne ont pour contrepartie les déficits des autres pays. Aligner tous les pays de la zone sur l’Allemagne en faisant pression sur la demande interne serait une stratégie parfaitement suicidaire.

M. le président Bernard Accoyer remplace M. Marc Laffineur à la présidence.

M. Michel Godet. J’invite M. Marc Laffineur à lire l’ouvrage de M. Lionel Fontagné publié par le Conseil d’analyse économique qui démonte l’illusion de l’attractivité de la France. En s’appuyant sur les chiffres de la Banque de France, il montre que les entrées effectives de capitaux doivent en réalité être divisées par cinq ou six car elles intègrent les profits que les entreprises françaises rapatrient de leurs filiales à l’étranger. Notre attractivité est tout à fait surfaite.

Depuis le début, je pourfends les 35 heures parce que ce n’est pas en ramant moins que le bateau avance plus vite. La quantité de travail mobilisée en France n’est pas suffisante. Nous avons une France qui fonctionne à mi-temps, ce qui perturbe en profondeur les services aux entreprises et le fonctionnement global de l’économie. Par la défiscalisation des heures supplémentaires, mon idée était d’éviter de s’attaquer de front à l’acquis social des 35 heures mais d’inciter le bricoleur qui veut bien poser du carrelage le samedi matin à travailler davantage que celui qui reste dans son lit, en l’autorisant en quelque sorte à travailler au noir officiellement.

En tout état de cause, il n’y a pas, en France, assez de gens qui travaillent. Faute d’emploi, certes. Les trois quarts des créateurs d’entreprises ne font pas le saut de la première embauche. Pourquoi ? Ils n’y sont pas préparés, et ils savent aussi que, s’ils se trompent sur la personne ou s’ils ne décrochent pas le marché espéré, ils risquent fort de mettre la clé sous la porte. Les lois sociales sont ainsi faites que le patron de la petite entreprise est fragilisé par rapport à son employé.

Sur le plan démographique, l’Allemagne perd 300 000 personnes par an et semble suivre, comme le Japon, un modèle suicidaire. Toutefois, notre démographie ne sera un atout que si nous réussissons l’intégration, notamment en Île-de-France. À quoi bon avoir des jeunes s’ils ne sont pas éduqués et si on ne peut pas les embaucher ? La moitié des jeunes qui ne savent pas lire, écrire et compter en entrant en sixième ont été embauchés par les entreprises de moins de vingt salariés. Les entreprises ont surtout et avant tout besoin de savoir-être : le savoir-faire, lui, s’apprend sur le tas. Le vrai problème aujourd’hui, ce sont les 22 % de jeunes des quartiers en difficulté où l’on a concentré les handicaps. Pour la compétitivité future, agir sur les quartiers, surtout en Île-de-France, tient de l’urgence sociale car, à long terme, la compétitivité est le produit du capital humain. Quant à l’autre moitié, celle qui reste, elle n’est pas employable en l’état par manque d’éducation au sens large. Ce cruel manque d’éducation d’une partie de ces jeunes renvoie aux responsabilités de la société envers les familles. En matière éducative, on agit trop en réparation, et pas assez en prévention.

M. Paul Giacobbi. Les statistiques sur les investissements directs étrangers n’ont aucun sens. La perception de la France par l’étranger est assez différente de la réalité, mais elle est décisive. Les industriels étrangers, américains notamment, ont une mauvaise image de la France. Ils n’y vont pas parce qu’ils craignent de payer plus d’impôts qu’ailleurs, alors qu’ils en paieraient plutôt moins.

En tant que législateur, nous devons nous intéresser à l’impact de nos décisions sur la croissance économique et sur l’équilibre des finances publiques. Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart ont étudié le lien à moyen et long termes entre croissance et équilibre des finances publiques. Ils reprennent, de manière plus rustique, une thèse ancienne dont Friedman et Schwartz s’étaient, avant eux, fait l’écho en expliquant que ce ne sont pas les déficits budgétaires qui provoquent la croissance mais, à long terme, la tenue de la masse monétaire. Sur le plan statistique, leurs conclusions d’après lesquelles les déficits publics vont de pair avec une faible croissance sont difficilement contestables même s’il s’agit d’une corrélation, et non une causalité. De telles conclusions s’appliquent-elles, d’après vous, à la France et à l’Allemagne ?

Quand on compare l’équilibre des finances publiques de la France et de l’Allemagne, on ne compare qu’un tiers du problème. L’endettement résulte de trois composantes : premièrement, les finances publiques en ne se limitant pas à l’État fédéral – car celles de certains Länder réservent des surprises ; deuxièmement, les provisions résultant des engagements de l’État ; et, troisièmement, l’endettement privé. En somme, la corrélation doit être étudiée en prenant la mesure de l’ensemble des déséquilibres et de l’endettement.

M. Jean-Claude Sandrier. Il me semble que vous optez pour une approche simpliste et brutale de phénomènes complexes. Selon vous, les Français fuiraient la banlieue et l’immigration. C’est inexact. Ils fuient la pauvreté. Ce n’est pas la même chose.

Quant à la durée du travail, calculée en nombre d’heures travaillées par an, la France est dans la moyenne. Arrêtez de brandir ces trois ou quatre semaines de travail en moins. De surcroît, nous sommes l’un des pays d’Europe où la productivité horaire du travail est la plus élevée.

Selon le récent rapport sur l’immigration paru la semaine dernière, l’immigration aurait « rapporté » plus qu’elle n’a « coûté ». Peut-être les chiffres sont-ils contestables mais ils méritent que l’on s’interroge.

S’agissant des déficits, il faut arrêter le chantage aux enfants concernant la dette publique. Les causes du déficit sont connues. Pour un tiers, il s’agit de la crise – qui sont les responsables ? – et les deux tiers restants s’expliquent par les cadeaux fiscaux.

Ceux qui investissent en France invoquent toujours les mêmes raisons : la qualité des infrastructures, la qualité de la formation, la qualité du service de santé, et, plus discrètement, les taux d’imposition. Notre fiscalité en France favorise les riches ménages et les entreprises. Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires montre que ce sont les plus fortunés qui sont les plus épargnés par l’impôt sur le revenu. Le 1 % des plus riches sont imposés non pas au taux marginal de 41 %, mais à 15 %, et c’est scandaleux. Et les grandes entreprises non pas à 33 %, mais à 8 %. Il y a donc en France des gens qui investissent pour des raisons fiscales.

La question fondamentale est celle du déplacement de la richesse qui s’est opéré du travail vers le capital ces dernières décennies. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, en dix-huit ans, les salaires ont augmenté de 81 % en France, les dividendes de 355 %. J’ai récemment visité une entreprise dans ma circonscription où il n’est question que de coûts salariaux et de coûts sociaux alors que l’usine fabrique des produits de luxe commercialisés à 300 euros, pour un prix de revient est de 20 euros. Est-ce vraiment le coût du travail qui fait le prix de la marchandise ? Il faudrait commencer par se poser les vraies questions avant de ponctionner les salaires et de rogner sur les prestations sociales, c’est-à-dire de mener une politique qui mène tout droit à la régression sociale et économique.

M. Marc Laffineur. Il n’y a pas tant une fuite du monde urbain vers le monde rural qu’une attractivité de ce dernier. Les études d’opinion révèlent que les Français préfèrent une maison avec jardin à des appartements. C’est ainsi qu’on ouvre des classes en zone rurale et qu’on en ferme en zone urbaine. Nous n’avons pas à décider pour eux de l’endroit où les Français souhaitent vivre.

Le pacte européen de compétitivité permettra-t-il d’améliorer la compétitivité ou, au contraire, risque-t-il de la freiner ? De même, que faut-il attendre en termes de compétitivité des grands programmes européens d’infrastructures souvent évoqués ?

Alors que la France dispose d’un avantage démographique sur l’Allemagne, comment se fait-il que notre croissance soit actuellement moins importante que la sienne ?

M. Alain Vidalies. S’agissant du marché du travail, il faut se méfier des comparaisons hâtives.

Je prends un exemple : nous avons institué les 35 heures et les Pays-Bas le temps partiel généralisé. Il est évident que si trois fois plus de salariés travaillent à temps partiel aux Pays-Bas qu’en France, le taux de chômage y sera moindre. De même, certains pays ont préféré classer un grand nombre de leurs chômeurs comme inaptes au travail : c’est ainsi que la Grande-Bretagne compte deux fois plus de handicapés que la France, ce qui permet de les sortir des statistiques.

Par ailleurs, je suis étonné, monsieur Michel Godet, de vos propos sur la prétendue insertion des jeunes « qui ne savent ni lire ni écrire ». Si seulement vous aviez raison ! Malheureusement, les enquêtes générationnelles révèlent que si, deux ans après la fin de leurs études, la plupart des jeunes connaissent des difficultés, cinq ans après, les bac + 2 sont installés sur le marché du travail alors que les sans diplômes connaissent toujours la précarité et que c’est encore le cas quinze ans plus tard. Les 150 000 « jeunes décrocheurs » qui sortent chaque année du système scolaire sans emploi ni formation constituent un coût collectif considérable puisqu’ils devront être aidés toute leur vie. Ne tenons pas un discours apaisant, contraire à la réalité. Il faut se mobiliser très en amont pour réduire le décrochage, qui est un drame humain et coûte cher à la société sur le long terme.

S’agissant du chômage, thème cher au président Méhaignerie, son coût est aujourd’hui mutualisé entre les entreprises : c’est le système de l’Unedic qui le veut ainsi. 28 % seulement des cotisations génèrent 80 % des droits. En effet, un salarié perçoit des indemnisations lorsqu’il est licencié ou en fin de CDD ou d’intérim. Donc, plus le recours aux CDD et à l’intérim est important, plus le coût est élevé pour l’Unedic. Ainsi, alors que certaines entreprises abusent des CDD et de l’intérim, d’autres, qui n’y recourent jamais, paient leurs cotisations à l’Unedic sans jamais générer de droits. Les entreprises qui abusent sont-elles repérables ? En tout cas, ce n’est pas le carcan juridique du droit du travail qui les empêchera d’abuser, puisque, aux yeux de la Cour de cassation, le surcroît temporaire d’activité, y compris pour la création d’un nouveau modèle chez Peugeot, justifie l’emploi de 10 000 intérimaires. Ne conviendrait-il pas de séparer la caisse de l’Unedic en deux ? Alors que l’emploi permanent d’intérimaires paraît une aberration, puisque ces derniers coûtent aux entreprises quelque 25 % plus cher que les autres salariés, certaines entreprises y recourent toutefois à grande échelle. Si elles sont capables de payer un tel surcoût, pourquoi n’assumeraient-elles pas également les droits au chômage que génère leur politique ? Cela permettrait de diminuer les cotisations des autres entreprises.

L’ouverture d’une négociation sur le sujet susciterait peut-être la seule proposition alternative intéressante : tout faire pour éviter la rupture du lien entre le salarié et l’entreprise. Mettre l’accent sur l’utilisation actuelle des fonds de l’Unédic permettrait en tout cas de dégager des propositions constructives.

M. Henri Sterdyniak. La dernière proposition est appliquée aux États-Unis et en France seulement pour les accidents du travail. Les entreprises paient des cotisations en fonction des risques qu’elles font subir à la collectivité. Cependant, un effet pervers contrebalancerait toutefois l’effet incitatif : cette mesure favoriserait les grandes entreprises stables, qui peuvent se permettre de conserver leurs travailleurs, au détriment de celles qui sont dans des secteurs en difficulté ou qui prennent des risques, en acceptant, par exemple, d’embaucher des chômeurs en réinsertion. Les pénaliser lorsqu’elles les licencient pourrait les décourager.

La dette publique française n’est pas une exception à l’échelle mondiale. Son montant en 2010 est identique à celui de la dette publique allemande. Nos déficits ne constituent donc pas, pour la croissance française, un handicap particulier. Le monde capitaliste dans lequel nous nous trouvons a été frappé par la crise de la globalisation financière. Les responsables de nos difficultés, ce ne sont pas les dépenses publiques, mais bien les marchés financiers qui, en implosant, ont provoqué des déficits élevés. Les travaux de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, suivant lesquels les dettes et les déficits publics auraient un impact sur la croissance, sont très contestables. Dans le dernier numéro de l’OFCE, une analyse montre qu’il existe, par le passé, très peu de cas où la dette publique a été si élevée : on ignore si c’est la dépression qui l’a engendrée ou l’inverse.

Comment accepter que la globalisation, les marchés financiers et les largesses fiscales accordées aux plus riches continuent de mettre en péril les finances publiques ? Il faut repenser le système pour empêcher le gonflement des dettes et des déficits publics, sinon la zone euro ne survivra pas.

M. Michel Godet a raison de rappeler que la priorité, pour la France, est de retrouver des emplois industriels. Les jeunes des classes populaires ont besoin d’emploi dans l’industrie ou dans le bâtiment. L’apprentissage leur permettait auparavant de s’intégrer dans la société. La disparition de ses emplois industriels est un drame pour la France. Mais nous ne la réindustrialiserons pas en faisant baisser la demande ou en diminuant la protection sociale.

M. le président Bernard Accoyer. S’agissant des situations respectives de la dette publique en France et en Allemagne, je crains que les données précises ne confirment pas vos propos, monsieur Henri Sterdyniak. Il nous faut regarder cela de près.

M. Jacques Le Cacheux. Le pacte européen de compétitivité est en réalité un pacte de stabilité réformé, agrémenté de mesures qui ne sont susceptibles d’améliorer ni la compétitivité de la zone euro, ni celle, a fortiori, de la France. Le pacte prévoit en effet d’augmenter les contraintes sur l’évolution des dépenses publiques nationales et sur celle des salaires alors que ce ne sont pas tant les évolutions salariales qui posent problème que la productivité. En s’attaquant aux symptômes plutôt qu’au mal, on améliorera d’autant moins la situation que, comme l’exposé de M. Philippe Weil l’a montré, le grand problème est la divergence au sein de zone euro entre, d’un côté, l’Allemagne et, de l’autre, les pays du sud de l’Europe. Le pacte de compétitivité ne le réglera pas.

M. Philippe Weil. Je porte beaucoup d’intérêt aux travaux de M. Michel Godet sur les territoires. Le fait que je sois macroéconomiste ne m’interdit pas de penser que nous devrions dépasser les visons strictement macroéconomiques de la compétitivité. Son explication sur les territoires attractifs et répulsifs est à cet égard riche d’enseignements, notamment en matière d’immobilier. Une étude sur les causes, aux États-Unis, de l’immigration intérieure en direction du sud du pays a montré qu’elle avait pour origine la politique foncière et le prix de l’immobilier.

Nous en savons très peu sur les déterminations régionales, voire intrarégionales du chômage. On évoque toujours le taux de chômage moyen d’un pays : il faut savoir qu’il peut varier du simple au triple d’une région à une autre, voire d’un quartier à un autre, à législation et charges sociales égales. En Belgique, la fiscalité du travail est punitive, du fait que, la dette publique étant élevée depuis longtemps, le pays a dû dégager des excédents primaires ; or le taux de chômage en Flandres est inexistant. On ne peut donc accuser systématiquement la fiscalité en matière de chômage. Les niveaux d’activité ou de compétitivité reposent sur d’autres déterminants. Les Flandres ou encore l’Italie du Nord privilégient les marchés spécialisés, les réseaux dédiés à l’exportation ou les clusters d’innovation : ces choix expliquent peut-être que ces régions soient prospères en dépit des problèmes macroéconomiques pesant sur la Belgique ou l’Italie dans leur ensemble.

Si nous devions trouver un terrain d’entente entre M. Michel Godet et nous, ce serait celui-là.

M. Michel Godet. Monsieur Jean-Claude Sandrier, si je partage votre réaction devant des inégalités insupportables, il ne faut pas, toutefois, se voiler la face : dans les territoires, des hommes innovent et sont à même d’entraîner les autres. Les facteurs endogènes du développement, notamment culturels, existent bien.

Dans le cadre de la comparaison avec l’Allemagne, il convient de s’interroger sur les raisons pour lesquelles la filière automobile est quasiment déficitaire en France alors qu’elle est excédentaire en Allemagne. Comparant la France et l’Allemagne, le rapport du Centre d’observation économique et de recherche pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (Coe-Rexecode) révèle que la France a perdu douze points de compétitivité en raison de son coût du travail. Notre industrie était moins chère de dix points il y a dix ans, ce qui nous permettait de bien vendre nos produits, alors même que leur qualité globale était inférieure à celle des produits allemands en termes de services, de performances ou d’image. Aujourd’hui, nos produits sont plus chers sans être meilleurs. Or on ne peut vendre plus cher que lorsqu’on est meilleur : c’est à cela que sert l’innovation.

Notre grande différence avec l’Allemagne réside dans la dépense publique, qui est supérieure de dix points en France. Elle a augmenté dans les deux pays en raison de la crise, mais moins en Allemagne que chez nous. Ce sont surtout les charges qui pèsent sur le coût du travail. Il ne faut pas diminuer la protection sociale, mais revoir peut-être certaines charges inutiles. Plus de services publics ne signifie pas nécessairement plus de dépenses publiques. Il ne faut pas confondre non plus le service public avec le statut public des agents qui le rendent. Il y a aujourd’hui un véritable problème de management public. Les préfets ne restent pas suffisamment longtemps en place pour réformer : tout ce qu’ils veulent, c’est ne pas faire de vague. Il en est de même des directeurs d’administration centrale qui ne restent que trois ans dans leur poste. Ce n’est pas un problème d’homme mais de gouvernance.

Pour ce qui est de la formation, la France compte cinq fois moins d’apprentis que l’Allemagne. Le système scolaire français laisse trop longtemps des enfants devant des enseignants qui, eux-mêmes, ne sont jamais sortis de l’école. C’est pourquoi j’ai proposé de faire entrer les actifs du monde économique dans les écoles, comme professeurs associés.

S’agissant de la productivité, il existe un vrai problème de désinformation économique. Vous avez raison de dire que la productivité apparente du travail en France est la plus élevée du monde, mais il n’y a pas lieu d’en être fier puisqu’on se contente de mesurer la valeur ajoutée par actif, ce qui signifie qu’on a éliminé du marché de l’emploi ceux qui ne sont pas assez productifs et qui, de ce fait, sont à la charge de la société. La quantité de travail et les richesses créées dans un pays, selon les indicateurs de l’OCDE, dépendent du nombre de jours travaillés par habitant et non par actif. En France, le nombre de jours est 88 contre 102 aux Pays-Bas, ce qui fait une différence de deux semaines. La quantité de travail y étant plus importante, les Pays-Bas créent plus de richesses.

En ce qui concerne les différences entre les territoires, j’étais à Annecy il y a quelques jours, où le taux de chômage est très faible.

M. Marc Laffineur. Toute une partie de l’Ouest de la France a également un taux de chômage inférieur à 5 %.

M. le président Bernard Accoyer. Je viens de recevoir les chiffres de la dette que j’avais demandés : elle s’élève en France à 1 600 milliards d’euros, soit à 82 % du PIB ; en Allemagne à 74 % du PIB. De plus, le déficit structurel est nettement plus élevé chez nous. Enfin, la dette par habitant s’élève à 23 300 euros en France contre 21 400 euros en Allemagne.

M. Henri Sterdyniak. Ces chiffres sont bien du même ordre de grandeur. Ils corroborent mes affirmations. L’idée que l’Allemagne ne serait pas endettée contrairement à la France est fausse.

M. le président Bernard Accoyer. J’ai tenu à communiquer ces chiffres car les vôtres n’étaient pas tout à fait exacts, monsieur le professeur.

Je tiens également à rappeler que l’évolution du coût du travail entre les deux pays a été divergente. D’ailleurs, si nous avons créé cette mission, c’est pour savoir ce que vous, les économistes, pensiez de cette évolution. Vous l’avez vous-même affirmé : la France doit cesser de perdre des emplois industriels. Elle doit même en créer.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Une étude récente classe les régions en fonction de leurs performances économiques et du degré de cohésion sociale. Les Pays-de-la- Loire et la Bretagne sont aux deux premiers rangs. La principale raison réside, me semble-t-il, dans le système d’urbanisme du Grand Ouest, qui ne repose pas sur deux grandes métropoles mais sur un réseau de villes petites et moyennes intégrées à un réseau rural motivant et responsabilisant.

Si l’industrie, aux États-Unis, passe du nord au sud, c’est aussi en raison du degré de syndicalisation.

Aux États-Unis où les formations en deux ans font florès, du fait que les universités et les collèges sont ouverts en semaine jusqu’à 22 heures 30 et tout le samedi. L’ouvrier peut ainsi devenir technicien, le technicien ingénieur ou l’aide-soignante infirmière. Il n’en est pas de même en France en raison des pesanteurs bureaucratiques et de la longueur des formations.

M. Marc Goua. Nous avons reçu les représentants d’entreprises qui ont relocalisé. Ils nous ont signalé deux difficultés : la première tient au système bancaire, qui ne joue pas son rôle ; la seconde à l’hyperréglementation, qui annihile les initiatives.

Par ailleurs, il arrive que la cessation d’activité d’une entreprise ne soit liée ni à un problème de compétitivité ni à un problème technique, mais tienne à un problème de volonté politique, de management. À cet égard, je peux vous citer le cas d’une fonderie qui travaillait en sous-traitance : dans le même temps que Peugeot lui a retiré ses commandes Volkswagen souhaitait lui en passer, mais elle a tout de même dû déposer le bilan à cause de la différence de montée en charge.

M. Christian Blanc. J’ai lu avec plaisir votre dernier ouvrage, monsieur Michel Godet : le guerrier antiacadémique et iconoclaste que vous êtes se lit mieux qu’il ne s’écoute. Je vous encourage à continuer d’ébranler nos certitudes.

La question des territoires est primordiale. Le fait de croiser différentes problématiques – clusters, zone urbaine, facteurs culturels, problème de formation – me paraît essentiel pour dépasser les limites de l’approche macroéconomique et mieux éclairer la décision politique.

Le projet de Grand Paris m’a permis de le vérifier. Il doit être pensé selon trois dimensions : un système de six ou sept clusters, une identité urbaine qui leur soit adaptée et une forte cohésion sociale, ce qui renvoie à la question de la formation. Or il est très difficile de communiquer sur ces sujets, y compris avec les économistes, parce qu’ils répondent qu’ils n’ont pas les moyens de les évaluer.

Des auditions précédentes nous ont permis de recueillir des informations précieuses sur les « niveaux de gamme » et sur l’innovation scientifique, technique et sociale. M. Pierre Méhaignerie a eu raison d’insister sur les territoires : il en existe effectivement plusieurs modèles. Le tout est de s’inspirer des modèles performants : on en trouve en France comme en Europe. Pour le Grand Paris, l’exemple de ce qui se passe en Bavière est très intéressant. Les modèles ruraux – je pense à la Vendée – le sont également.

M. Jean-Claude Sandrier. À la suite de votre intervention, monsieur le président, je pense qu’il conviendrait de s’entendre, au sein de cette mission, sur une définition de la dette.

Il convient également de se pencher sur la composition de notre déficit budgétaire, pour contrecarrer l’idée reçue selon laquelle il aurait pour origine la dépense publique. C’est faux. Il a pour origine les ressources fiscales et la crise. On peut toujours affirmer qu’on va résoudre le problème de la dette en pesant sur la dépense publique, mais, je le répète, il est faux de prétendre que celle-ci en serait à l’origine.

M. Nicolas Forissier. Avez-vous le sentiment que la politique d’aménagement du territoire conduite en France permet à nos territoires d’exprimer toute leur attractivité ? Le Berry, où le taux de chômage est inférieur à 5 %, est très attractif. Le vrai défi pour ce territoire, c’est le haut débit internet, afin d’éviter la fracture numérique, et le TGV Grand Centre-Auvergne, doublé de l’aménagement de la ligne historique Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. Le Grand emprunt n’a malheureusement retenu comme prioritaire que le haut débit. Pensez-vous que les efforts consentis soient à la fois suffisants et suffisamment concrets pour permettre aux territoires de développer leur attractivité ?

Par ailleurs, on dit souvent que la France est un pays compétitif parce qu’elle est un grand pays exportateur. Or nous avons perdu quelque 20 000 entreprises exportatrices depuis quinze ans, passant de plus de 120 000 à 100 000 à peine. Et les plus efficaces sont souvent les très grandes entreprises. Certes, elles entraînent parfois avec elles des petites et moyennes entreprises, mais c’est loin d’être toujours le cas.

En matière d’action publique, la création d’UbiFrance et l’unification des missions économiques et financières représentent un progrès indéniable. Cependant, n’existe-t-il pas également un problème d’ordre culturel ? La France ne s’ouvre pas suffisamment au monde. Les petites entreprises hésitent à aller sur les marchés étrangers. En tant que président du groupe parlementaire d’amitié France-Inde, je me bats pour que des entreprises agroalimentaires françaises se déplacent là-bas. C’est un des premiers pays agricoles du monde, qui, de plus, souhaite travailler avec nous, mais nous n’arrivons pas à y emmener d’entreprises françaises. Notre compétitivité ne peut qu’en souffrir.

M. Michel Godet. Dès le cours préparatoire, les enfants en difficulté devraient être repérés. On attend qu’ils soient en échec scolaire pour réagir. Je suis socialisant et volontariste en la matière. Chacun sait que l’enseignement est meilleur en Bretagne et dans les Pays-de-la-Loire en raison de la concurrence qui règne là-bas entre le public et le privé.

Monsieur Christian Blanc, si je suis meilleur à l’écrit qu’à l’oral, c’est que j’ai le temps, à l’écrit, de développer mes arguments.

L’Île-de-France est la seule région française qui connaisse un déficit migratoire, toutes catégories sociales et professionnelles confondues. Si l’Île-de-France ne se vide pas, c’est uniquement en raison de la fécondité des immigrés. Je me réjouis donc de l’apport migratoire, d’autant que l’Europe va manquer de 25 millions d’actifs. Le problème est de réussir l’immigration en intégrant les enfants issus de l’immigration.

Tous ceux qui le peuvent quittent l’Île-de-France et ce n’est pas uniquement pour une question de pauvreté. Pourquoi ne pas lever le tabou du SMIC identique ? Celui-ci ne devrait-il pas varier en fonction des territoires ? Personne ne peut se loger à Paris avec un SMIC.

La notion de « société de la connaissance » est devenue un mythe. La vraie société de la connaissance, c’est lorsque chacun sait lire, écrire et compter et qu’il a acquis un minimum d’éducation. Nous en sommes loin ! Nous manquons évidemment d’ingénieurs, notamment d’ingénieurs femmes, mais il faut commencer par le commencement : le savoir-être.

M. Laurent Davezies nous révèle que les pôles de compétitivité ne comptent que pour 20 % dans les enjeux de revenus d’un territoire, 20 % étant liés à la production marchande au service de la population réellement présente appelée l’économie présentielle. Ce sont donc 40 % seulement des enjeux de revenus qui sont liés à la production marchande, contre 60 % liés aux revenus de transferts, en provenance majoritairement d’Île-de-France, la région la plus riche : 30 % pour les revenus des retraités et 30 % pour les revenus des fonctionnaires et les transferts sociaux. Les pôles de compétitivité et l’industrialisation sont donc secondaires par rapport à la qualité de la vie. M. Pierre Méhaignerie l’a souligné : ce qui compte ce sont les conditions de vie, l’harmonie sociale, l’absence d’insécurité, la vie associative et culturelle. Les retraités fuient les zones urbaines sensibles.

Il faut également améliorer l’efficacité de la dépense publique. Or c’est loin d’être le chemin suivi par les collectivités territoriales, où l’emploi public a fortement augmenté l’an dernier – plus 68 000 créations de postes d’agents publics –, ainsi que l’absentéisme : vingt jours par an. C’est la Cour des comptes qui l’affirme, ce n’est pas moi.

M. Henri Sterdyniak. Parler de dix points d’écarts entre la France et l’Allemagne est très exagéré. En effet, les Allemands dépensent beaucoup moins que nous en matière d’éducation, de crèche, d’allocations familiales – ils ont beaucoup moins d’enfants –, ce qui leur fait économiser deux points de PIB. La France doit-elle s’aligner sur la politique familiale allemande ? Je ne le pense pas. Il faut également prendre en compte les dépenses militaires.

En ce qui concerne les retraites, les entreprises et les salariés allemands doivent payer des primes à des sociétés d’assurance, qui ne sont pas comptées dans les prélèvements obligatoires. Il en est de même de l’assurance-maladie – au-delà d’un certain plafond, les cotisations sont facultatives. C’est pourquoi la Cour des comptes a réduit l’écart réel à quatre points.

De plus, les pays très productifs comme l’Allemagne ou la Chine, qui accumulent des excédents, créent des problèmes à l’échelle mondiale, la Chine aux États-Unis et l’Allemagne à l’Europe. Si les salaires ont été trop élevés dans les pays du sud de l’Europe, ils ont évolué en France en fonction de la productivité : 0,9 % par an sur dix ans, ce qui est raisonnable, alors qu’en Allemagne, ils ont stagné. Cela se traduit évidemment pour la France par une perte de neuf points de compétitivité par rapport à l’Allemagne. Toutefois, suivre le modèle allemand, ne serait-ce pas une catastrophe pour notre consommation ? La bonne stratégie est de coordonner les politiques économiques à l’échelle européenne pour inciter les Allemands, les Autrichiens, les Néerlandais et les Scandinaves à relever les salaires et les revenus sociaux.

M. Xavier Timbeau. Il faut se méfier du rêve suranné d’une France composée de régions harmonieuses se développant de façon équilibrée, alors que, dans le monde, la dynamique d’agglomération repose sur l’attractivité des grandes villes en termes de création de richesses et de compétitivité. Les zones les plus compétitives sont structurées autour de ces lieux de connexion avec le reste du monde, de concentration de la décision et d’échanges culturels, économiques et financiers que sont les mégalopoles.

En Europe il n’existe que trois mégalopoles : la première est Düsseldorf, la deuxième est Londres et la troisième Paris, avec l’Île-de-France. Paris est une chance pour la compétitivité de la France au plan mondial.

Le fait que le prix de l’immobilier en Île-de-France soit deux fois plus élevé que dans le reste du pays a pour origine cette attractivité. Si le prix de l’immobilier était le même à Paris et à Bordeaux, M. Michel Godet n’aurait pas besoin de proposer un SMIC différent selon les régions.

M. le président Bernard Accoyer. Quelle conclusion devons-nous tirer de votre remarque ?

M. Xavier Timbeau. Alors que Paris est, avec l’Île-de-France, une mégalopole à l’échelle mondiale, la ville n’est pas équipée pour recevoir la population qui vient y travailler. Le partage du territoire avec les régions limitrophes n’étant pas organisé, Paris connaît un phénomène de suragglomération qui s’accompagne d’une hausse répulsive de l’immobilier. On fait ainsi l’impasse sur un moteur de développement.

M. le président Bernard Accoyer. Le même problème ne se pose-t-il pas à Londres ou à Tokyo ? Pourquoi critiquer uniquement Paris ?

M. Xavier Timbeau. Ce problème se pose beaucoup moins à Düsseldorf, New York, Chicago ou Los Angeles qu’à Londres, Moscou, Tokyo ou Paris. Seules les mégalopoles en voie de saturation se trouvent dans cette situation.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Paris, comme toutes les mégalopoles, concentrent des revenus très élevés.

Quant à La Californie, n’est-elle pas l’inverse d’une mégalopole ?

M. Xavier Timbeau. La notion de mégalopole peut varier : elle n’implique pas nécessairement une densité très élevée.

M. Michel Godet. Cette question repose sur le mythe de la taille critique. La Finlande a une petite capitale. Le groupe Beaumanoir, que j’ai récemment visité, ne veut surtout pas s’installer à La Défense : c’est beaucoup plus facile de rendre son personnel heureux en Bretagne. On met plus de temps pour aller de Mantes-la-Jolie à Roissy, et dans des conditions moins favorables, que de Nantes à Paris. Les technologies de l’information et les transports rapides rendent caduque ce type de raisonnement, qui ne fait qu’exprimer le jacobinisme traditionnel français. On peut développer des territoires avec des entrepreneurs innovants à partir du moment où le terreau est favorable. Cela dépend de la qualité de vie de ceux qui y travailleront et de la disposition d’esprit de la main-d’œuvre – certains salariés, il est vrai, ne veulent pas quitter la région parisienne.

M. le président Bernard Accoyer. Je vous remercie, messieurs.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 11 mai 2011 à 16 heures

Présents. – M. Bernard Accoyer, M. Christian Blanc, M. Jérôme Cahuzac, M. Nicolas Forissier, M. Paul Giacobbi, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, M. Marc Laffineur, M. Pierre Méhaignerie, M. Jean-Claude Sandrier, M. Alain Vidalies

Excusés. – M. Olivier Carré, M. Hervé Novelli, M. Jean-Charles Taugourdeau