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Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Mardi 12 juillet 2011

Séance de 14 heures 15

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Armand Jung, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Beltoise, créateur de l’école « conduire juste »

En raison du débat, suivi du vote, en séance publique sur la Libye, la mission d’information suspend les auditions de 15 heures à 17 heures 45.

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Louis Derboulle, président, Laurent Hecquet, délégué général, Gérard Minoc, responsable de l’Institut d’études des accidents de la route, et Jean-Pierre Fourcat, président de la commission « sociologie des usagers » de l’association « 40 millions d’automobilistes »

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Geneviève Laferrère, présidente et de Mme Monique Giroud, suppléante, de la Fédération française des usagers de la bicyclette

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière

La séance est ouverte à 14 heures 15.

Présidence de M. Armand Jung, président.

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Beltoise, créateur de l’école « conduire juste ».

M le président Armand Jung. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui une personnalité tout à fait remarquable du monde automobile, M. Jean-Pierre Beltoise.

Monsieur Beltoise, votre action en faveur de la « conduite juste », de la conduite citoyenne, nous intéresse tout particulièrement. L’objet de notre mission est la connaissance des causes réelles de la mortalité sur les routes, afin de pouvoir faire des propositions au Gouvernement dès le mois d’octobre.

M. Jean-Pierre Beltoise, créateur de l'école « Conduire juste ». Monsieur le président, merci de votre invitation. Après avoir été pilote de Formule 1, j’ai travaillé à la sécurité des circuits automobiles, puis à celle de la route. Je crois être compétent en matière d’insécurité routière.

J’ai perdu un frère, puis ma première épouse, dans des accidents de la route. Ayant vécu dans le risque, j’ai fini par comprendre les raisons de ces deux accidents, a priori difficilement explicables. La voiture de mon épouse a percuté, avec un prototype matra, un poteau téléphonique sur l’autoroute A6, avant que ceux-ci ne soient protégés par des rails de sécurité. Mon frère a été percuté de face dans un virage par une voiture qui doublait ; après avoir considéré que le conducteur de celle-ci était responsable, je pense aujourd’hui que c’est mon frère qui roulait trop vite et qu’il a été victime d’un mauvais contrôle de sa vitesse. Il en va de même pour l’accident que j’ai eu en solex.

Lorsque j’ai créé l’école « Conduire juste », en 1986, on m’a expliqué qu’apprendre à conduire aux gens était utopique. On m’a pris pour un fou ! Cependant, depuis les années 1970, je travaillais sur l’insécurité sur les circuits automobiles, et donc sur l’insécurité routière. J’étais convaincu que les accidents de la route n’étaient pas une fatalité, mais la conséquence de comportements défaillants. Cette analyse a été confirmée par les études détaillées d'accidents menées par l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) et le Laboratoire d'accidentologie, de biomécanique et d'étude du comportement humain (LAB). Elles ont montré que plus de 80% des accidents de la route sont dus à une erreur de conduite ; 50 % de ces accidents peuvent être imputés à une mauvaise perception du danger – l’apprentissage de la conduite rend les conducteurs respectueux d’un système mais ne leur apprend pas à être méfiants – ; enfin 40 % de ces accidents sont dus à de mauvaises interprétations et prévisions du danger.

Au volant, la véritable performance est de savoir éviter de mettre en péril sa propre vie et celle des autres, et d’être capable de supprimer tout risque d’accident, même simplement matériel. C’est sur ces bases que j’ai créé l’école « Conduire juste ».

La philosophie de cette école est de faire en sorte que le conducteur ne soit jamais en situation d'urgence. Pour cela, nous déclinons quatre grands thèmes : préparer la conduite ; voir ; prévoir ; anticiper. Loin de prôner les qualités d’habileté d’un conducteur au volant, le référentiel « Conduire Juste » rappelle comment celui-ci doit se comporter en fonction des situations. La conduite n’est pas une affaire d’habileté, mais d’anticipation.

Le référentiel incite le conducteur à modifier son comportement dans le sens d’une meilleure conscience des risques et d’une meilleure attention à ceux-ci, donc d’une plus grande méfiance, d’une plus forte exigence envers lui-même et aussi d’une meilleure tolérance envers les autres. La sécurité routière passe par un comportement de non agressivité, de tolérance et de respect des autres.

Nos formations ont d’abord pour objet de faire prendre conscience aux conducteurs de la nature et de l'importance des risques routiers. En développant des stratégies de perception des situations et d'anticipation des événements dangereux, nous enrichissons l'expérience des conducteurs face aux situations à risque et aux réponses qu'ils peuvent y apporter. Ce travail, autrefois effectué sur piste, l’est maintenant sur simulateur.

Nous travaillons aussi à convaincre les conducteurs du caractère aléatoire de l'efficacité des techniques d'urgence : un bon conducteur ne doit jamais avoir besoin de donner un coup de frein ou de volant au dernier moment ; lorsqu’il en arrive là, il est déjà dans l’erreur.

Nous développons également une attitude de respect de la règle et des autres usagers, ainsi que de tolérance et de courtoisie à l’égard de ceux-ci.

Enfin, nous valorisons une démarche de conduite éco-citoyenne.

Pour atteindre ces objectifs, nous avons élaboré un référentiel de conduite facilement mémorisable, applicable à toutes les situations, permettant à chacun de s'auto-évaluer et de progresser facilement. Nos exercices privilégient l'observation, l'imagination – voire la curiosité – et l'anticipation plutôt que la maîtrise de techniques d'urgence : un bon conducteur ne se met pas en situation d’urgence.

Nous proposons un catalogue de stages théoriques et pratiques sur piste sécurisée, route et simulateur.

Les exercices s’effectuent à vitesse réelle – à 90 km/h – sur piste, en conditions réelles de circulation.

Nous disposons d’outils d'évaluation et d'enregistrement de la conduite – G-Cam, freinographes ou encore Nod-box. Ces systèmes d’acquisition de données réelles permettent de faire revivre au conducteur les moments où il aurait pu mieux éviter un éventuel accident, par exemple en étant plus attentionné.

Lors des exercices pratiques, chaque véhicule embarque un formateur et trois stagiaires : ainsi, chacun peut non seulement bénéficier de la parole du formateur, mais aussi évoquer avec les autres stagiaires les points forts ou faibles de sa conduite. Il s’agit d'enrichir l’expérience de chacun et sa capacité à comprendre le point de vue des autres passagers.

Afin de favoriser la participation, l'échange et l'attention, mais aussi d'éviter toute déperdition liée à un trop grand nombre de stagiaires, les groupes comprennent entre 12 et 24 personnes.

Notre équipe comprend 40 formateurs titulaires du BEPECASER – Brevet pour l'exercice de la profession d'enseignant de la conduite automobile et de la sécurité routière.

Nous disposons d’un circuit automobile à Trappes, à 25 kilomètres de Paris – base de notre système depuis plus de vingt ans –, et sommes en relation avec une dizaine de circuits partenaires en France.

Quels sont nos résultats ? En moyenne, nous observons une diminution de 50 % des accidents de nos clients – une lettre d’EDF fait état d’une diminution de 53 % des accidents. Loin d’être liée à des modes de répression exagérés – toujours injustes –, cette réduction a pour origine notre système pédagogique, fondé sur l’enseignement de la compréhension des situations.

Cette diminution s’accompagne de deux autres : celle, bien sûr, des coûts liés aux accidents, mais aussi celle de la consommation moyenne de carburant : consommer moins non seulement réduit les émissions de CO2, mais coûte aussi moins cher ! J’ai été l’un des précurseurs de cette démarche. Après leur formation, nos stagiaires consomment en moyenne 12 % de carburant de moins, avec la même voiture.

Avec des moyens modestes, nous sommes devenus le premier organisme de formation automobile postérieure à l’obtention du permis. Nos clients – nous comptons parmi eux de très grandes entreprises telles EDF ou Total – nous font part d’un taux élevé de satisfaction, et nous constatons une confiance renouvelée de leur part.

Lorsque j’ai envisagé la création de ce centre, en 1980, cinq ans après avoir abandonné la course automobile à très haut niveau, j’avais pour motivations la perte de mon frère et de mon épouse, mais aussi la connaissance que j’avais acquise, par la course automobile, que bien des éléments peuvent permettre de diminuer le risque : lorsque je courais en Formule 1, dans les années 1970, chaque saison voyait la mort de deux ou trois pilotes connus. Aujourd’hui, les morts sont infiniment moins nombreux alors que, compte tenu de l’accroissement considérable de la vitesse des voitures de course, la force de gravité transversale, qui s’exerce dans les virages sur un pilote de Formule 1, peut atteindre 4 ou 5 G, contre 2 ou 2,5 G à l’époque. Cette diminution du nombre des morts sur les circuits est certes due à l’évolution de la structure des voitures mais aussi à celle des structures des circuits.

L’amélioration de la structure des routes et de leurs abords peut être la source, en France comme ailleurs, de progrès considérables. Si je considère que le tracé des autoroutes est globalement fonctionnel, je suis parfois ébahi par les aberrations de celui de certaines routes, avec des passages très rétrécis ou des trottoirs à angle vif, facteurs potentiels d’accidents mortels – lesquels seront peut-être ensuite attribués à une surconsommation d’alcool ou à un excès de vitesse du conducteur, alors que ce n’en est pas la cause réelle.

D’autres actions sont encore à conduire pour diminuer le nombre et la gravité des accidents. Je pense par exemple à la fluidification du trafic par la coordination informatique des feux rouges en fonction de la vitesse, comme aux États-Unis ou sur le boulevard périphérique de Paris.

M le président Armand Jung. Merci, monsieur Beltoise, pour la sincérité de vos propos. Ils constituent une réelle contribution à nos travaux.

La comparaison avec les États-Unis ne serait-elle pas faussée par le fait que les Américains roulent globalement beaucoup moins vite que les Français ?

Quelle est, selon vous, la cause principale des accidents de la route ? Quelle principale mesure proposeriez-vous aux pouvoirs publics pour y remédier ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. Monsieur Beltoise, la formation dispensée dans les auto-écoles vous paraît-elle adaptée ? Des améliorations seraient-elles souhaitables, et si oui lesquelles ?

Par ailleurs, selon vous, les stages de récupération de points ont-ils une utilité pour l’amélioration de la conduite de ceux qui les suivent ?

M. Jean-Pierre Beltoise. Mon âge fausse sans doute mon opinion sur la formation au permis de conduire. Un de mes amis, âgé de 83 ans et cascadeur automobile prestigieux – il s’agit de Rémy Julienne –, a perdu son permis, sans doute points par points. Or il n’arrive pas à réussir de nouveau l’examen ! Les méthodes ont changé. De ce fait, alors que les jeunes se présentent avec succès, les personnes d’un certain âge, même responsables et habituées aux risques de la route, auront bien du mal à répondre aux questions posées.

Aucune formation de quarante heures ne permet de passer d’un statut de néophyte à celle de connaisseur maîtrisant un savoir-faire. Si, à l’issue de la formation en auto-école, un conducteur a appris les règles du code de la route et est capable de répondre aux questions posées par les examinateurs, il ne sait pas conduire. Les aviateurs expliquent qu’à 500 heures de vol, on croit savoir piloter, et qu’à 1 000 ou 5 000 heures on s’aperçoit qu’on ne sait rien.

Pour moi, il ne devrait pas être possible de se libérer du sigle « A », qui figure à l’arrière du véhicule de tout nouveau conducteur, simplement après deux ans de conduite sans incident majeur. Un examen supplémentaire devrait être nécessaire. Faute de le réussir, le conducteur devrait conserver le « A » qui, indiquant aux autres conducteurs qu’il reste un apprenti, susciterait ainsi leur attention.

Ce deuxième examen – qui créerait certes un léger coût supplémentaire – ouvrirait droit à une sorte de « permis de maturité ». Comme nous le pratiquons à « Conduire juste », il y serait vérifié la qualité du comportement du conducteur, sa maîtrise de la route et sa capacité de méfiance envers les autres ainsi qu’envers les aléas éventuels de la circulation ; bref sa capacité à rouler sans accident. Aujourd’hui, après l’obtention de son permis, le jeune conducteur est jeté ad vitam aeternam dans la circulation, où il prend ses habitudes, en général plutôt mauvaises. Un bon conducteur qui n’a pas d’accident parce qu’il a appris à se méfier ne le doit qu’à lui-même.

L’un de nos moniteurs a dit un jour qu’une journée de stage à « Conduire juste » valait dix ans d’expérience. Nos stagiaires n’imaginent pas que ce que nous allons leur enseigner, c’est la conduite en sécurité. Ils sont surpris d’apprendre qu’elle est faite d’un regard porté plus loin, plus large, d’une méfiance généralisée envers l’ensemble de l’environnement et d’une vigilance de chaque instant. En auto-école, on apprend des règles par cœur et à manœuvrer une voiture. Mais on en sort non pas méfiant mais confiant en sa capacité de maîtrise, au motif qu’on respecte les règles.

Comme tous les Français qui roulent beaucoup, j’ai été amené à plusieurs reprises à effectuer des stages de récupération de points. Il est en effet très difficile de ne pas commettre de petits excès de vitesse ; or ceux-ci sont très pénalisants. Ces stages sont étonnants par leur caractère suranné : alors que la presse évoque sans cesse les émissions de CO2, elles ne sont jamais évoquées lors de ces stages. De même, devant la violence des reproches d’un psychologue d’un stage envers un stagiaire, j’ai cru que celui-ci avait causé des accidents graves : en réalité, il avait simplement commis de petits excès de vitesse de moins de 10 km/h ! C’est insupportable.

Au bout du compte, ces stages permettent de faire connaissance avec d’autres personnes, de déjeuner avec elles à midi... Pendant le stage, certains écoutent – écouter quelqu’un parler de sécurité routière est toujours utile –, d’autres plaisantent…

Nous avons envisagé, à « Conduire juste », d’organiser des stages de récupération de points, assortis d’une heure de conduite sur notre circuit, pendant laquelle nous montrerions les dangers de la route. Mais ce concept nous amenait à être plus chers de 30 % ou 40 % que la concurrence. Nous n’étions pas compétitifs ! La philosophie du client d’un stage de récupération de points, c’est d’aller au plus tôt, au moins cher et au plus près possible de chez lui pour récupérer ses points.

M. le rapporteur. Les Français ne sont-ils pas moins disciplinés que les ressortissants d’autres pays ? Ne serait-ce pas leur comportement qui expliquerait, en matière de sécurité routière, les résultats moins bons de la France par rapport à ceux du Royaume-Uni ?

L’un de nos précédents interlocuteurs nous a expliqué que le conducteur le plus accidentogène, c’est celui qui, fort de la confiance qu’il pense avoir en son aptitude à la conduite, va prendre des risques. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Beltoise. Dans notre école, nous menons un travail d’éducation, de formation et d’information. Devant vous, je n’ai pas employé le mot de confiance, mais celui de méfiance : nous apprenons aux conducteurs à devenir méfiants. Manifestement, ce n’était pas une qualité que possédaient deux conducteurs que j’ai croisés avant-hier sur une petite route de la vallée de Chevreuse : alors que je me trouvais derrière un camion en panne, à proximité d’un croisement, ces deux conducteurs qui arrivaient en face n’ont pas ralenti, estimant certainement qu’ils avaient le droit de rouler à 90 km/h… Pour notre part, nous enseignons à ralentir quand c’est nécessaire ! Les conducteurs ne respectent plus l’article du code de la route qui impose d’être maître de sa vitesse, autrement dit d’être capable de s’arrêter quoi qu’il arrive. C’est parce que nous enseignons le respect de cette règle que nous constatons une réduction de plus de 50 % des accidents de nos stagiaires, et que nous conservons nos entreprises clientes, voire que nous en augmentons le nombre, malgré des tarifs plus élevés que ceux la concurrence. Par ailleurs, cette démarche entraîne aussi la réduction de la consommation de carburant : lorsqu’on regarde plus loin, on n’a pas besoin de freiner ou d’accélérer brusquement.

La culture anglo-saxonne est en effet fondamentalement différente de la culture française. Pour illustrer mon propos, je citerai un exemple personnel : alors que je signais des autographes à Silverstone, au Royaume-Uni, les deux seuls demandeurs indisciplinés auxquels j’ai eu affaire étaient des Français !

Cela étant, la France a fini par rattraper son retard sur la Grande-Bretagne en matière de sécurité routière. Il ne faut pas oublier que la Grande-Bretagne ne subit pas un trafic de transit du Nord au Sud, notamment du fait d’étrangers de passage. L’agglomération de Londres n’est pas moins accidentogène que celle de Paris. La Grande-Bretagne comporte aussi moins de zones rurales, notamment de montagne, que la France.

Les causes de l’accidentologie routière sont connues. Ce sont les jeunes de moins de 25 ans qui ont le plus d’accidents. Parmi eux, 80 % des victimes sont des garçons. Et la proportion de ceux qui en sont responsables est supérieure encore : 90 %. Les jeunes femmes de moins de 25 ans qui trouvent la mort sur la route sont le plus souvent des passagères.

Les routes les plus accidentogènes sont aussi les petites routes, moins surveillées que les autres.

La limitation de vitesse sur autoroute, telle qu’elle est appliquée, est un peu injuste. Un conducteur qui n’a pas conduit depuis un certain temps a besoin d’un temps d’adaptation avant de bien conduire à la vitesse maximale autorisée. Mais une fois réhabitué, et ayant retrouvé le niveau d’attention nécessaire, il pourrait rouler au-delà de la vitesse autorisée sur autoroute, jusqu’à 150 ou 160 km/h. Si, sur autoroute, je roule bien sûr à 130 km/h, à cette vitesse, je suis beaucoup moins attentif qu’avant. Je fais partie de ceux –nombreux – qui sont devenus de mauvais conducteurs sur autoroute : je ne suis plus assez attentif au volant !

Lors d’un voyage au Royaume-Uni, des responsables du ministère des transports m’ont expliqué franchement – au contraire de la France où je n’ai jamais pu obtenir toute la vérité à ce sujet – que l’accidentologie des autoroutes était si faible par rapport à celle des petites routes qu’elle ne constituait pas une question prioritaire. Je suis donc un peu étonné du renforcement des contrôles radar sur autoroute et du durcissement de la répression des excès de vitesse qui y sont commis. Pour la limitation de la vitesse à 130 km/h, si le taux d’émission de CO2 peut être un argument, la sécurité n’en est pas un.

Mme Françoise Hostalier. Monsieur Beltoise, si les personnes qui suivent des stages de récupération de points ont envie de bien faire et d’apprendre, je pense comme vous, par expérience, que l’organisation de ceux-ci est plus que perfectible.

La sécurité routière relève aussi du « vivre ensemble ». Quant à la prudence sur la route par rapport à des comportements inopinés, elle découle de la capacité d’anticipation.

Que pensez-vous de l’amélioration de la sécurité et de celle des conditions de conduite des véhicules ? Dans une 2 CV ou une Renault 4, on percevait la vitesse, on entendait le bruit du moteur ; aujourd’hui, le conducteur, enfermé dans une sorte de cocon, n’a plus aucune perception, en particulier de sa vitesse.

Enfin, quel serait votre sentiment sur l’organisation, tous les dix ans par exemple, de stages réguliers de remise en condition pour les conducteurs, comme il en existe dans d’autres pays ? Au bout d’un certain temps de conduite, le conducteur prend de mauvaises habitudes, alors même que les normes, ou même les panneaux, peuvent changer.

M. Michel Raison. Monsieur Beltoise, n’avons-nous pas un travail à faire sur l’acceptabilité et la compréhension des règles, dans la mesure où elles ne sont plus comprises. De même, étant donné que trop de dispositifs de sécurité nuisent à l’attention nécessaire à la conduite, ne conviendrait-il pas d’en diminuer le nombre ? Une expérimentation a été réalisée dans cet esprit, dans un pays du nord de l’Europe, laquelle a consisté à supprimer les feux tricolores en agglomération.

Mme Pascale Gruny. Quel est votre avis sur la conduite accompagnée, pratiquée depuis quelques années pour l’apprentissage de la conduite ? J’y suis moi-même assez favorable.

M. Patrick Lebreton. À la Réunion, département dont je suis député, la mortalité routière est légèrement supérieure à la moyenne nationale. De nombreux jeunes y pratiquent « la pousse », autrement dit la course sur route ouverte, en dehors de toute réglementation. La démarche de méfiance que vous préconisez est donc tout à fait d’actualité : ce ne sont pas toujours les « pousseurs » qui subissent les effets de leur action.

Pensez-vous que ce soit une bonne idée que les municipalités sécurisent la pratique de « la pousse » en installant des circuits réservés à cet effet ? En tant que maire, j’ai tenté d’organiser un projet en ce sens, pour faire prendre conscience aux jeunes des dangers de « la pousse », mais j’ai vite compris que l’autorité préfectorale n’y était absolument pas favorable.

M. Henri Nayrou. Monsieur Beltoise, vous avez raison : si les équipements actuels améliorent la sécurité des véhicules, ils favorisent le relâchement du conducteur, lequel nuit à sa propre sécurité. Quelles solutions préconisez-vous ?

Pour ma part, je n’ai réellement appris à conduire que onze ans après avoir obtenu mon permis, sur un circuit à Albi, avec un instructeur ancien pilote ; depuis, je n’ai jamais eu d’accident.

Comment allier la nécessité d’obtenir le permis de conduire et celle de se perfectionner à la conduite ? Avoir son permis de conduire ne signifie pas que l’on sait conduire.

M. Jean-Pierre Beltoise. Monsieur Nayrou, la formation « Conduire juste » que nous proposons répond à votre préoccupation.

Si je ne suis pas partisan d’une obligation d’apprentissage du permis de conduire sur la base de formations du type « Conduire juste », je considère, en revanche, qu’il serait tout à fait possible de créer une formation obligatoire pour libérer les conducteurs du sigle « A » – ce qui leur permettrait de mieux conduire, et de façon plus responsable. De la sorte, quand les conducteurs verraient un sigle « A » à l’arrière d’un véhicule, cela signifierait que la personne qui le conduit a peu d’expérience, et donc qu’ils doivent faire plus attention.

Madame Hostalier, les nouveaux équipements des voitures ont en effet aseptisé celles-ci. Ainsi, une femme qui avait l’habitude de rouler à 120 km/h sur autoroute a été stupéfaite de découvrir qu’au volant de la voiture de son mari, elle roulait, presque sans s’en rendre compte, à 190 km/h ! La formation et l’information peuvent contribuer à l’accompagnement des processus d’amélioration des véhicules.

M. Henri Nayrou. Sept conducteurs sur dix sont victimes de somnolence !

M. Jean-Pierre Beltoise. Monsieur Lebreton, j’ai organisé un cycle de formation à la Réunion. Du fait du caractère autarcique des conditions de circulation dans cette île, une école appliquant nos principes aurait pu faire apparaître, en cas de réduction du nombre des accidents, l’efficacité de notre démarche. Malheureusement, le coût induit a empêché la réalisation de ce projet.

Mon ami Henri Pescarolo invite des stagiaires à rouler aussi vite que possible sur un circuit sécurisé ; l’objectif est qu’ils prennent conscience des risques de sortie de route !

Il est vrai que la sécurité des voitures actuelles provoque une sorte de déresponsabilisation ; or il faut avoir conscience de sa responsabilité personnelle.

Une expérimentation est en cours en Finlande pour remplacer les feux tricolores par des dispositifs de ralentissement – en l’absence de trafic, outre qu’elle fait perdre du temps, la succession des arrêts et des démarrages a un coût, que ce soit en consommation de carburant ou en émission de CO2. Il s’agit d’obliger les conducteurs à redevenir responsables de leur conduite et à respecter les autres. De plus, le dispositif est conçu de façon à ce que, en cas de choc, celui-ci ne soit pas violent.

M. le président Armand Jung. Très sincèrement, monsieur Beltoise, merci pour votre contribution aux travaux de notre mission.

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En raison du débat, suivi du vote, en séance publique sur la Libye, la mission d’information suspend les auditions de 15 heures à 17 heures 45.

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La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de MM. Louis Derboulle, président, Laurent Hecquet, délégué général, Gérard Minoc, responsable de l’Institut d’études des accidents de la route, et Jean-Pierre Fourcat, président de la commission « sociologie des usagers » de l’association « 40 millions d’automobilistes ».

M. le président Armand Jung. Nous poursuivons nos travaux en accueillant les représentants de l’Association 40 millions d’automobilistes. Nous avions hâte, messieurs, de vous rencontrer car vous avez pris sur le sujet qui nous intéresse des positions fermes et fortes et car nous espérons que vous nous aiderez à atteindre notre objectif qui est d’aller au plus près des causes et des faits en matière d’accidentologie. Nous serions également heureux d’entendre vos propositions précises

M. Louis Derboulle, président de l'association 40 millions d'automobilistes. Partant du constat d’une carence de la représentation des automobilistes auprès des différentes institutions gouvernementales, l’Automobile club de l’ouest (ACO) a décidé en 2005, à l’initiative notamment de MM. Fourcat et Minoc, de créer 40 millions d’automobilistes, afin de porter le concept d’« automobilité » et de représenter les automobilistes raisonnables. De fait, nous représentons aujourd’hui l’ensemble des Automobile clubs français membres de l'UNAC (Union nationale des automobile clubs) ainsi que de l’Automobile club de France (ACF) qui a lui-même créé la Fédération internationale de l’automobile (FIA) en 1904. Ainsi, « FIA action for all safety » est l’équivalent au niveau mondial de ce que nous essayons de développer en France. L’ACF et l’ACO entretiennent des liens tout à fait privilégiés : ils sont membres de droit l’un de l’autre et le président du premier est administrateur du second.

40 millions d’automobilistes s’intéresse à tous les aspects directs et indirects de l’automobile, de la route ainsi que du partage de cette dernière entre tous les usagers. Nous intervenons auprès des pouvoirs publics et des médias sur de nombreux dossiers : sécurité, infrastructures, technologie, développement durable. Nous prenons tout particulièrement en compte le besoin d’aide, de soutien et de conseils des personnes accidentées – on ne parle plus de victimes –, en faveur desquelles travaille une avocate remarquable, Mme Sylvie Vernassiere. Nous travaillons en commissions présidées par des experts professionnels et confirmés.

Notre objet est de comprendre pour transmettre : on comprend les raisons de l’accident, on les transmet par l’intermédiaire des médias et de différentes commissions, avec pour objectif absolu de diminuer le nombre des accidentés de la route, de la rendre plus sûre et plus compréhensible par les usagers.

La création de votre mission et vos débats sur la sécurité routière nous confortent dans le besoin de mieux comprendre le ressenti et les comportements de nos concitoyens vis-à-vis de l’usage et de la place de l’automobile dans notre société.

M. Gérard Minoc, responsable de l'Institut d'études des accidents de la route de l'association 40 millions d'automobilistes. Nous avons créé l’Institut d’études des accidents de la route parce que nous ne trouvions pas, dans les statistiques officielles, la réponse à nos interrogations. Il nous était par exemple impossible de savoir combien de piétons étaient tués la nuit sur la route. Nous nous sommes en particulier demandé ce qui se passe au moment d’un accident et comment il se produit. C’est le résultat de ce travail que nous vous présentons.

Nous avons segmenté les accidents à partir d’une étude qualitative portant sur les 1167 tués du premier quadrimestre de l’année, les résultats que nous vous présentons aujourd’hui portant sur les 907 tués du premier trimestre. A partir de là, nous avons souhaité appeler votre attention sur le problème majeur des pertes de contrôle en ligne droite qui représentent 30 % des tués, hors piétons et vélos.

M. le président Armand Jung. À quoi attribuez-vous ce phénomène ?

M. Gérard Minoc. Nous n’avons pas de certitude, mais il est bien évident que la ligne droite est le seul lieu où peut jouer la somnolence. Quoi qu’il en soit, l’ampleur de ce phénomène, le plus souvent inexpliqué, est impressionnante et il y a bien là un véritable problème.

M. le président Armand Jung. Les automobilistes roulent toujours lentement...

M. Gérard Minoc. Pas forcément, mais dans de très nombreux cas on ne comprend vraiment pas pourquoi l’accident a eu lieu.

Nous avons également souhaité appeler votre attention sur le problème des piétons, en particulier des seniors : aucune loi ne les rendra plus visibles !

Alors que nous pensions que l’étude montrerait que les chauffards traversent les carrefours sans faire attention, ce n’est absolument pas le cas. En fait, un grand nombre de conducteurs, relativement âgés, éprouvent de grandes difficultés à s’insérer dans le trafic : le conducteur d’une voiturette qui veut traverser une route à grande circulation ne peut tout simplement pas y parvenir, sauf à prendre le risque d’y laisser la vie…

Les accidents liés au dépassement ne concernent pas plus particulièrement les seniors, qui sont prudents, mais plutôt des gens pressés, qui vont trop vite.

Autre point noir, la combinaison alcool/drogue, que l’on trouve plus particulièrement les nuits de week-end, en ville, en particulier dans des pertes de contrôle sans raison apparente.

Parce que nos statistiques portent sur le début de l’année, nous n’avons pas traité le cas des deux-roues, qui sortent aux beaux jours...

Notre étude montre ensuite qu’il n’y a pas de dégradation de la sécurité routière. Les pouvoirs publics ont insisté sur le fait que l’on est descendu l’an dernier à un peu plus de huit tués par jour, mais c’était un résultat tout à fait exceptionnel. Aujourd’hui, on demeure en dessous de 10 tués par jour en hiver, soit sensiblement le résultat obtenu en 2006, et l’on passera probablement à 14 ou 15 en juillet et en août, la différence tenant principalement au fait que les deux-roues sont alors de sortie.

Voilà plusieurs années que l’on ne parle que des radars auxquels on attribue tous les succès. Mais on oublie que, de 2003 à 2007, on a aussi porté le nombre des contrôles d’alcoolémie de 9 à 13 millions, ce qui a eu des effets sur le nombre des tués jeunes et alcoolisés.

Nous sommes par ailleurs choqués non pas par le principe mais par le fonctionnement du permis à points. Nous ne comprenons pas qu’alors qu’au sein du ministère les mêmes personnes rédigent le rapport sur les infractions relevées et celui sur les infractions portées au fichier du permis à points, seulement une infraction sur deux se traduise par un retrait de points. L’argument des photos illisibles ne tient pas puisque le ratio est le même pour l’alcoolémie ou pour le défaut de port de la ceinture de sécurité…

Qui plus est, l’État ne dispose d’aucun outil de prévision. Ainsi, l’assouplissement du permis à points appliqué à partir de 2007 aurait dû permettre à des conducteurs de récupérer un point en 2008, mais on n’en trouve trace, dans les rapports publics sur la sécurité routière, ni cette année-là, ni la suivante. C’est seulement dans le dernier alinéa du rapport concernant l’année 2010 que l’on voit mentionné que 73 % des points perdus en 2008 et en 2009 ont été récupérés un an après. Il y a donc là un problème de fond : à quoi bon mettre au point une véritable usine à gaz pour confisquer 4 millions de points une année et en rendre 3 millions l’année suivante ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. Je vous remercie pour la contribution écrite que vous nous avez remise, à laquelle nous nous intéresserons de près.

Entre 2002 et aujourd’hui, la vitesse moyenne a été réduite de 10 km/h tandis que le nombre des tués sur la route diminuait de moitié. Selon vous, y a-t-il un lien, ou pas, ou pas seulement ?

M. Gérard Minoc. La réponse figure dans le document que nous vous avons remis. Les radars – c’est un de leurs grands succès – ont fait chuter le nombre des grands excès de vitesse, ceux de plus de 20 km/h au-dessus de la limite autorisée. C’est de la sorte que le nombre des tués a diminué mais, ces grands excès de vitesse ne représentant plus aujourd’hui que 1,7 % du total, on voit mal comment on pourrait réduire encore le nombre de ces fous de la route, qui tuent 4000 personnes...

Notre analyse en fonction des réseaux montre bien que la formule selon laquelle 1 % de vitesse moyenne en plus est à l’origine de 4 % de tués ne fonctionne pas. En appliquant cette formule aux autoroutes – domaine privilégié de la vitesse – entre 2003 et 2007, le nombre des tués aurait dû être réduit de 14 %. Or, il a diminué de 64 % ! En fait, parce qu’elle est en facteur 4 et linéaire, cette formule sous-estime le poids des grands excès de vitesse et elle ne peut être vérifiée mathématiquement. On a ainsi vu en 2000 qu’elle ne fonctionnait pas puisque l’on a observé à la fois une augmentation de la vitesse et une diminution du nombre des tués… Contrairement à ce que l’on prétend, il ne s’agit donc pas de la formule de Nilsson, qui est en puissance 4 et exponentielle : plus on va vite, plus c’est dangereux et c’est bien pourquoi la sanction en nombre de points retirés s’accroît proportionnellement à la vitesse.

M. Jean-Pierre Fourcat, président de la commission « sociologie des usagers » de l'association 40 millions d'automobilistes. La corrélation est un sujet extrêmement important. Nous parlons ici d’une corrélation macro, qui ne signifie pas forcément une relation de causalité directe : on peut faire cette corrélation sur les grandes masses mais elle ne vaut pas obligatoirement pour un accident donné. Or nous avons besoin de comprendre chaque accident.

On observe en outre une forte diminution de la relation entre la vitesse et l’importance des conséquences d’un accident. Cela tient aux progrès très importants enregistrés ces dernières années dans la sécurité des voitures, notamment dans la protection interne avec les ceintures et les airbags : un accident provoque aujourd’hui moins de dégâts mortels qu’auparavant.

Il faut faire d’autant plus attention à l’interprétation des données que nous manquons d’éléments approfondis pour comprendre ce qui se passe au moment même de l’accident, en particulier au regard de la somnolence et de la baisse de vigilance en ligne droite. Nous sommes ainsi fort peu capables d’apprécier les effets de panique face à un obstacle, un nid-de-poule ou un phénomène particulier comme le brouillard. Alors qu’elle est particulièrement développée dans le domaine aéronautique et ferroviaire, la recherche en la matière est insuffisante pour l’automobile.

M. le rapporteur. Nos travaux nous montrent déjà que la sécurité routière n’est pas une science exacte, puisque nous entendons ici tout et son contraire, ainsi que beaucoup de généralités…

Comme dans beaucoup d’autres pays, il n’est pas possible sur notre territoire de rouler à plus de 130 km/h. Faudrait-il dès lors préconiser que l’on bride les véhicules, par exemple à 150 km/h ? Ainsi, les constructeurs ne pourraient plus vendre des véhicules qui roulent à 250 et en faire la promotion sur cette base…

M. Gérard Minoc. Statistiquement, on n’économiserait aucune vie.

M. le président Armand Jung et M. le rapporteur. Pourquoi ?

M. Gérard Minoc. Tout simplement parce que cela ne concernerait que les autoroutes, donc 6 % seulement des tués, qui le sont en outre peu souvent à cause de la vitesse.

M. le rapporteur. Alors que les autorités affirment qu’il faut réduire la mortalité et l’accidentalité sur les routes, que la question de la vitesse est sans cesse mise en avant, on continue à vendre des voitures qui vont à 250 km/h bien que l’on ne puisse pas rouler à plus de 130, voire de 150 en tenant compte des petits excès de vitesse !

M. Laurent Hecquet, délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes. L’objectif de la sécurité routière est de mettre en œuvre des mesures véritablement efficaces. Or, 72 % des personnes sont aujourd’hui tuées sur le réseau secondaire où la vitesse est limitée à 90 km/h…

M. le président Armand Jung. D’où tirez-vous ces chiffres ? Nous avons du mal à nous y retrouver car, depuis le début de nos auditions, ceux qui nous sont donnés vont du simple au triple !

M. Gérard Minoc. Vous trouverez les nôtres en page 9 de notre document. Ils sont identiques à ceux de la gendarmerie et nous les tirons des fiches rédigées sur chaque accident, qui montrent où les gens se tuent et dans quelles conditions

M. le rapporteur. Ma question est infiniment plus simple : dans la mesure où il est peu probable que l’on autorise demain à rouler à 200 km/h sur les autoroutes, où est la logique quand on continue à vendre des voitures de plus en plus puissantes ?

M. Laurent Hecquet. Je n’ai pas de position.

M. le président Armand Jung. Cela paraît étonnant de la part d’une association qui est habituellement prompte à prendre des positions tranchées, qui font beaucoup parler d’elle. Nous aurions précisément aimé bénéficier de vos certitudes…

M. Laurent Hecquet. Cette idée, qui revient régulièrement dans les débats, me paraît un peu dogmatique. Même si nous ne sommes pas pleinement compétents pour nous prononcer, on peut s’interroger sur son utilité…

M. le rapporteur. Êtes-vous pour ou contre ?

M. Laurent Hecquet. Contre car je pense que cela n’apportera pas de solution au regard d’une accidentalité qui se concentre sur le réseau secondaire.

M. le rapporteur. Je persiste à ne pas comprendre à quoi sert de vendre des voitures que l’on ne peut pas utiliser au maximum de leurs possibilités…

M. Laurent Hecquet. La puissance d’un véhicule est parfois gage de sécurité, par exemple pour éviter un obstacle subit, mais je conviens que je ne vais pas au maximum de la puissance de ma propre voiture.

Cela étant, il est faux que les voitures puissantes sont à l’origine de l’accidentalité. Brider les véhicules peut donc être une mesure intéressante, mais qui ne résoudra pas le problème. C’est une fausse bonne idée, qui pourrait entraîner les constructeurs sur de mauvaises pistes.

M. le rapporteur. Vous ne répondez toujours pas à la question « à quoi ça sert ? » !

M. Jean-Pierre Fourcat. Vaste question : faut-il autoriser les objets inutiles ?

M. le rapporteur. Et inutilement dangereux !

M. Jean-Pierre Fourcat. Dans notre société de consommation, nous sommes entourés d’objets que nous jugeons inutiles. Certaines chaînes hi-fi développent 1000 W, mais nous ne les mettons jamais à fond…

M. le rapporteur. En l’occurrence, la législation interdit l’usage des véhicules trop puissants !

M. Jean-Pierre Fourcat. Elle en interdit l’usage dans certaines conditions mais elle n’interdit pas de rouler à 130 avec une voiture qui peut rouler à 250… Toutes les études montrent qu’une très grande partie de ceux qui possèdent des voitures puissantes ne les utilisent pas de façon absurde. On peut en revanche se poser la question de la maîtrise de tels véhicules par des conducteurs débutants : peut-être faudrait-il un permis particulier. Mais de là à interdire les belles mécaniques…

J’ajoute que les constructeurs français sont assez peu présents sur ce marché qui se développe pourtant beaucoup, en particulier en Chine, où il est vrai que les accidents sont nombreux.

Plus généralement, votre question renvoie à la place de l’automobile dans la cité. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, elle est devenue un bien indispensable à la vie d’une grande partie de nos concitoyens. C’est ce qui explique les réactions très fortes et parfois épidermiques lorsque les Français ont l’impression que l’on s’attaque à l’automobile.

M. le rapporteur. Pourriez-vous précisément en venir à la décision du CISR (Comité interministériel de la sécurité routière) de supprimer les panneaux annonçant les radars ?

M. Jean-Pierre Fourcat. Le nombre des voitures a beaucoup augmenté ; les ménages sont de plus en plus multi motorisés, le lien entre les femmes et l’automobile s’est considérablement renforcé depuis une quarantaine d’années.

On souligne rarement à quel point le sentiment de proximité de l’accident potentiel s’est développé : nous connaissons désormais presque tous quelqu’un qui a été touché d’une façon ou d’une autre. Je crois que cela explique pourquoi les gens ont été réceptifs à bien des modifications du code de la route, même s’il a fallu du temps pour que l’idée du permis à points pénètre les esprits et remplace un certain sentiment d’impunité.

M. le rapporteur. Le permis à points ne fonctionne pas si mal que cela puisque 75 % des conducteurs disposent de la totalité des points…

M. Jean-Pierre Fourcat. Cela signifie aussi que 25 % d’entre eux n’ont pas tous leurs points, c’est beaucoup…

Lorsqu’ils perdent des points, beaucoup d’automobilistes ont le sentiment d’avoir été piégés, notamment par les radars.

Outre que les Français réagissent mal lorsqu’ils ont le sentiment que l’on s’en prend à l’automobile, l’annonce brutale et sans concertation de la suppression des panneaux à bousculé leurs habitudes. Or, la concertation et l’explication me paraissent aujourd’hui essentielles pour la sécurité routière. Nombreux sont ceux qui considèrent que l’on retire les panneaux pour les piéger.

Nous recevons d’ailleurs beaucoup de courrier d’automobilistes qui ont le sentiment d’avoir été piégés pour un excès d’1 km/h…

M. le président Armand Jung. C’est impossible !

M. Jean-Pierre Fourcat. C’est bien évidemment faux, mais cela s’explique par le fait que le compte-rendu que reçoit l’automobiliste mentionne, par exemple, que la vitesse observée était de 56 km/h et que la vitesse retenue a été de 55. C’est donc un défaut de communication, dans une société en perpétuelle recherche de sens, qui est à l’origine de cette incompréhension et qui freine l’acceptation sociale de la décision. Nous ne saurions trop recommander de rechercher systématiquement la concertation, mais aussi de dégager une vision à long terme – c’est-à-dire qui aille au-delà d’un objectif chiffré – des buts poursuivis par la sécurité routière.

Cela pourrait passer aussi par le rattachement du CISR à une autorité supérieure, par exemple le Premier ministre. Je suis scandalisé qu’il existe aujourd’hui, au sein du même ministère, deux sources statistiques et que la moitié seulement des infractions déclarées par la police et la gendarmerie fasse l’objet d’un retrait de points. Et les explications avancées ne valent pas, puisque cet écart est le même pour les infractions en matière d’alcoolémie !

M. le président Armand Jung. Depuis le début de notre mission, nous avons appris à nous méfier des statistiques et des chiffres. Nous procéderons donc à des vérifications.

M. Gérard Minoc. En dépit de nos demandes d’explications, nous n’avons jamais eu de réponse…

M. le rapporteur. Il existe 2000 radars fixes automatique et l’on dit que, pour couvrir le territoire, il en faudrait 3000 de plus, dont 1000 immédiatement. Quel est votre sentiment à ce propos ?

M. Gérard Minoc. Le nombre des radars a fortement augmenté de 2007 à 2010, sans effet sur le nombre de tués.

M. le président Armand Jung. Les chiffres sont peut-être sujets à caution et l’on peut être opposé au système des radars, mais il est faux de dire qu’ils n’ont pas eu d’impact sur le nombre de tués sur les routes !

M. Gérard Minoc. Le nombre des radars a triplé depuis 2007 mais on a arrêté d’augmenter le nombre des contrôles d’alcoolémie, qui reste de 11 millions depuis 2007. Or, depuis lors, le nombre de tués est resté quasiment identique

M. le rapporteur. Il y a quand même eu 620 morts de moins !

M. Dominique Raimbourg. Dans la mesure où les causes des accidents sont multiples, il est bien difficile de trouver « la » mesure qui répondrait à toutes les questions.

Parmi les diverses solutions, vous paraîtrait-il acceptable de réfléchir à des dispositifs anti-endormissement ou d’aide à la vigilance et à des systèmes anti-démarrage couplés à un éthylomètre ?

S’agissant des personnes âgées, si perdre son permis c’est aussi perdre une partie de sa vie sociale, notamment à la campagne, serait-il néanmoins possible d’organiser une visite médicale à partir d’un certain âge – assez tôt pour que cela ne paraisse pas discriminatoire ?

Ma dernière question, un peu annexe, porte sur les automobiles qui ne roulent pas : le fort développement de la motorisation des ménages amène un grand nombre de véhicules sur l’espace public, qui n’est pas extensible. Réfléchissez-vous à des utilisations de la voiture moins consommatrices d’espace, notamment lorsqu’elle ne roule pas ?

M. Laurent Hecquet. Vous avez évoqué les technologies embarquées, notamment pour lutter contre la somnolence. Il existe déjà des solutions, mais nous sommes preneurs de toutes celles qui permettraient une avancée significative sur cette question majeure – pas seulement sur le réseau autoroutier. Je pense en particulier à tous les dispositifs, beaucoup plus simples, de marquage au sol, qui provoquent une vibration délivrant un message fort à l’automobiliste. Hélas, ce marquage n’est obligatoire que sur le réseau principal, alors que le réseau secondaire représente une grande partie de notre réseau total d’un million de kilomètres. Le développement de ce concept de la « route intelligente » fait partie de nos préconisations. L’administration a elle-même proposé des solutions, tel le système SARI (Surveillance automatisée des routes pour l’information des conducteurs et des gestionnaires de réseaux) élaboré par le laboratoire central des Ponts et Chaussées, qui aide à réfléchir à la signalisation en courbe et aux accidents en ligne droite. L’État a donc mis de l’argent et de l’énergie dans des études destinées à apporter des solutions techniques intéressantes. Je confirme que nous sommes preneurs de toutes ces évolutions.

On ne peut qu’être également favorable aux outils permettant de combattre l’alcoolémie, tels les éthylotests anti-démarrage – dont l’usage a été heureusement systématisé dans les transports en commun et professionnels. J’observe toutefois que ces dispositifs ne sont installés qu’après qu’on a constaté l’infraction. Aussi, il ne faut pas se tromper de cible, donc être d’abord efficace dans la lutte contre l’alcoolo-dépendance. Or, les familles concernées sont souvent identifiées depuis longtemps par les services sociaux : il s’agit d’un problème de société qui dépasse largement le cadre de la route. Il faut donc agir en amont, notamment par l’éducation, en montrant aux jeunes que l’on peut s’amuser autrement qu’en consommant de l’alcool, et par la sensibilisation des familles.

Les visites médicales sont un sujet d’autant plus complexe que la population vieillit et qu’il faut éviter toute stigmatisation liée à l’âge. Qui plus est, certaines personnes de 75 ans sont pleinement aptes à conduire. Est-il vraiment nécessaire de créer un nouveau « machin » ? Notre système de santé est performant, ne suffirait-il pas de sensibiliser les médecins-traitants – mais aussi les familles ?

La question relative à la multi motorisation des ménages renvoie aux modes de vie : 36 % des ménages sont multi motorisés, nombre de familles vivent à la campagne et ont besoin de plusieurs véhicules. Si l’on veut inverser cette tendance, il faut proposer des alternatives intelligentes aptes à favoriser des reports modaux, mais cela suppose une réflexion de fond à laquelle notre société ne semble pas encore prête. Il y faudrait en outre du temps : il est bien difficile de traiter ces questions à très long terme pendant la durée d’un mandat électoral… Or, c’est quand on prend des décisions précipitées que l’on provoque des réactions. Ainsi, on peut faire comprendre que réduire la place de l’automobile en ville est une nécessité, mais il faut pour cela proposer des alternatives car on ne peut empêcher les gens de vivre.

M. le président Armand Jung. Merci beaucoup, messieurs.

*

* *

Puis, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Geneviève Laferrère, présidente et de Mme Monique Giroud, suppléante, de la Fédération française des usagers de la bicyclette.

M. le président Armand Jung. Présentés tantôt comme les victimes, tantôt comme les responsables de nombreux accidents, les deux-roues ont été au cœur d’une grande partie de nos auditions. D’après vous, quelles sont les principales causes d’accidents impliquant les deux-roues non motorisés ? Quelles mesures préconisez-vous pour y remédier ?

Mme Monique Giroud, présidente suppléante de la Fédération française des usagers de la bicyclette. Au risque de sembler provocatrice, je dirai d’abord que la réflexion sur la sécurité ne concerne pas tellement les vélos : il n’y a que 150 cyclistes tués par an sur un total de 4 000 victimes de la circulation.

Mme Geneviève Laferrère, présidente de la Fédération française des usagers de la bicyclette. Certes. Mais tant pour le nombre que pour la gravité des accidents, la distinction entre deux-roues avec ou sans moteur est essentielle. En faveur des premiers, il faut vraiment faire un effort national. Mais le nombre de tués à vélo a baissé de 10 % l’an dernier pendant que le nombre total de tués sur route ne diminuait que de 2 %. Or, dans le même temps, la pratique du cyclisme a explosé en centre-ville. Le fait est qu’en provoquant une baisse de la vitesse, l’augmentation du nombre de cyclistes réduit le nombre de blessés et de tués, comme l’a montré le Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (CERTU).

Mme Monique Giroud. À Paris et à Lyon, où Vélib’ et Vélo’V ont fait augmenter de 80% la pratique du vélo, la fréquence des accidents de cyclistes par rapport au nombre de déplacements a baissé de 20%.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Le fait que certaines villes autorisent les vélos à rouler à contresens ou sur les trottoirs, en dépit du code de la route, est-il accidentogène ?

Mme Geneviève Laferrère. L’article R-110 du code de la route dispose que, dans les zones où la vitesse de circulation est limitée à 30 kilomètres-heure, les vélos peuvent rouler à contresens dans les rues à sens unique, à moins que le maire ne l’interdise. Mais il est vrai que cette règle n’est pas connue de tous, d’où certains malentendus. À Grenoble, où elle est appliquée de manière systématique, tout se passe très bien.

En revanche, il ne semble pas souhaitable de multiplier les aménagements cyclables sur trottoir. Selon le code de la route, les cyclistes de plus de huit ans ne doivent pas rouler sur les trottoirs s’il n’existe pas d’aménagements spécifiques. Le problème est que ces derniers empiètent sur le domaine très restreint des piétons, ce qui génère des conflits avec les cyclistes, lesquels croient souvent plus sûr de ne pas rouler sur la chaussée, alors que c’est l’inverse. La place des vélos, comme celle des autres véhicules, est sur la chaussée.

Mme Monique Giroud. Une étude de l’Observatoire de la sécurité des déplacements, qui a recensé tous les accidents survenus depuis dix ans dans l’agglomération grenobloise, montre qu’ils se produisent à 80 % en intersection, particulièrement le long des axes urbains à quatre voies, parce que les automobilistes ne voient pas arriver les cyclistes qui roulent sur le trottoir.

M. le rapporteur. En dehors de l’aspect réglementaire, la circulation à contresens, de plus en plus fréquente même hors des zones limitées à 30 kilomètres-heure, est-elle dangereuse ?

Mme Monique Giroud. À Strasbourg, Grenoble et Bordeaux, où les rues à double sens cyclable sont nombreuses, la fréquence des accidents n’a pas augmenté, bien au contraire.

M. le président Armand Jung. Je le confirme pour Strasbourg.

Mme Geneviève Laferrère. Quand les cyclistes arrivent de face, les conducteurs de véhicules les voient mieux. Ils apprécient plus précisément les distances latérales que lorsqu’ils effectuent un dépassement. Enfin, ils ne risquent pas d’ouvrir une portière. En ville, on se respecte quand on se voit. C’est pourquoi il y a très peu d’accidents à contresens.

M. le président Armand Jung. La première fois qu’un automobiliste voit surgir face à lui un cycliste dans une rue à sens unique, il est forcément surpris, mais tout est question d’habitude. Généralisation, réglementation et pédagogie sont essentielles.

M. le rapporteur. En effet. Autre chose : croyez-vous souhaitable que les infractions concernant les cyclistes soient répercutées sur le permis à points ?

Mme Monique Giroud. Selon un arrêt du Conseil d’État qui remonte à 1995, cela serait illégal.

Mme Geneviève Laferrère. Au nom du principe d’égalité : cela conduirait en effet à sanctionner plus lourdement les usagers de la bicyclette qui ont passé leur permis.

M. le president Armand Jung. Il y a en effet une jurisprudence dans ce domaine. En revanche, l’automobiliste et le cycliste qui grillent un feu rouge acquittent la même amende.

M. Dominique Raimbourg. Constatez-vous des difficultés particulières liées à la montée en puissance des vélos électriques ? L’éclairage des bicyclettes est-il satisfaisant à l’achat et sur la durée ?

Mme Monique Giroud. Les vélos à assistance électrique homologués ne posent aucun problème particulier tant qu’on n’augmente pas leurs seuils de puissance et de vitesse.

Le fait que beaucoup de vélos circulent sans éclairage satisfaisant tient à l’insuffisance des équipements de première main. Le problème n’est pas réglementaire. Il concerne les normes de qualité industrielles.

M. Gérard Voisin. Que penser de la forte pression qui s’exerce sur les élus locaux pour qu’ils mettent en place à grands frais des voies cyclables dont l’utilisation sera restreinte ? Au Japon, où je me rends souvent, l’utilisation des trottoirs par les vélos, qui ne requiert aucun investissement particulier en dehors de quelques panneaux, ne pose aucun problème. Pourquoi en va-t-il différemment en France ?

Mme Geneviève Laferrère. Sans être nécessaires partout, des aménagements sont utiles à certains points stratégiques, notamment aux carrefours entre les axes principaux. Grâce aux nouveaux outils prévus par le code de la route ou celui de la rue, la cohabitation entre les différents usagers a été aménagée dans les centres-villes. Ailleurs, notamment dans le périurbain, la place de chacun doit être réservée, par exemple au moyen d’un marquage au sol.

Le vélo n’est pas dangereux, mais son développement doit être organisé. Dans les villes, il faut de toute façon limiter la place de la voiture, même électrique, car les rues sont saturées. La difficulté est de redonner un espace aux vélos sans empiéter sur les trottoirs. Nous militons depuis longtemps pour qu’on laisse le cycliste sur la voirie, où on le voit mieux, et pour qu’on rende le trottoir aux piétons. Nous y travaillons au niveau local avec des associations de parents d’élèves ou de défense des droits des piétons. L’une d’elles, « Rue de l’avenir », veut donner leur juste place aux transports en commun, aux piétons et aux cyclistes.

Mme Monique Giroud. Le seul cas dans lequel le double sens cyclable génère un risque d’accident, c’est quand, à une intersection, l’automobiliste oublie de regarder des deux côtés. Le danger disparaîtra bientôt si l’on généralise le dispositif et qu’on l’explique.

Je ne connais pas le Japon, mais, à mon sens, on ne peut pas transposer en France des mesures en vigueur dans les pays où les automobilistes respectent parfaitement piétons et cyclistes. En Grande-Bretagne, il suffit d’avancer un pied ou une roue sur un passage réservé pour que les voitures s’arrêtent.

Mme Geneviève Laferrère. En outre, au Japon comme dans les pays nordiques, les trottoirs sont larges. En France, il faut éviter la congestion urbaine, un phénomène qui pénalise tout le monde. Au lieu de réfléchir uniquement en termes de sécurité, on doit organiser la cohabitation. À Strasbourg ou Bordeaux, le développement massif du vélo s’est accompagné de la mise en place de tramways et de systèmes de transport lourd.

Mon point de vue vous paraît sans doute plus technique que celui d’un simple militant associatif. C’est que j’ai une formation d’ingénieur transport ; j’ai travaillé sept ans au CERTU, et trois ans à la cellule dédiée aux déplacements et à la sécurité dans le Rhône.

En matière de sécurité, nous réfléchissons essentiellement sur la problématique des angles morts des camionnettes, des poids lourds et des autobus.

M. le président Armand Jung. Il semble d’autre part que neuf cyclistes sur dix ne respectent pas les feux rouges.

Mme Monique Giroud. Peut-être. Néanmoins, selon un rapport de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, la proportion de conducteurs responsables en cas d’accident est légèrement inférieure parmi les cyclistes.

M. le président Armand Jung. Que préconisez-vous quant au port du casque ? Faut-il le rendre obligatoire ?

Mme Monique Giroud. Ce serait une fausse bonne idée. Selon une étude de l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS), il n’est protecteur que dans 2% des accidents. En outre, le pourcentage de lésions à la tête étant le même pour les cyclistes et les piétons, il faudrait alors, en bonne logique, l’imposer aussi à ces derniers.

M. le président Armand Jung. Faut-il se fier à ces chiffres ? Il semble exister de grandes différences selon les sources.

Mme Geneviève Laferrère. Celui que je cite ne provient pas de la sécurité routière, mais du suivi effectué par les services d’urgence du département du Rhône, qui ont reçu plus de 8 000 cyclistes accidentés en dix ans. Ils ont relevé leur âge, le type de blessures et leur gravité, la durée d’hospitalisation, le lieu et les conditions de l’accident, en précisant chaque fois s’ils portaient ou non un casque. Sur 144 cyclistes gravement blessés à la tête, il n’y a guère que les cyclistes sportifs accidentés en rase campagne.

Mme Monique Giroud. Il faut ajouter à cela le risque d’un effet pervers. Dans les quelques pays où le port du casque a été rendu obligatoire, 30% des cyclistes se sont reportés sur les deux-roues motorisés, qui sont infiniment plus dangereux que les vélos.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie, mesdames, de ces réponses claires et précises.

*

* *

Enfin, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière.

M. le président Armand Jung. Je souhaite la bienvenue à Mme Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière, dont l’avis nous sera précieux s’agissant de la ou des causes principales de l’accidentologie.

Mme Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière. Je vous remercie de m’accueillir et de pouvoir ainsi restaurer quelque peu l’image de la Ligue, car nous sommes souvent victimes de caricatures – nous serions autophobes, motophobes...

Nous sommes des bénévoles qui partageons les mêmes valeurs de partage, de tolérance, de respect de l’autre et des règles, ce dont il faudrait presque parfois s’excuser. Tout a commencé en 1983 avec quatre femmes qui avaient perdu leurs enfants dans des accidents de voiture et qui avaient décidé que cela n’arriverait pas à d’autres. À l’époque, elles pouvaient dire, en se rendant dans les écoles, qu’un enfant sur dix mourrait avant ses dix-huit ans ou serait gravement blessé. Tout était à faire, car dans la tête des gens l’accident n’était pas évitable : c’était une fatalité.

Notre objectif, comme cela figure dans notre logo, est zéro accident. Cela fait rire, et il est vrai que cela relève un peu de l’utopie. Mais n’est-ce pas ce qui fait souvent progresser l’humanité ? En tout cas, si nous avons choisi cet objectif, auquel nous tenons beaucoup, c’est aussi pour appliquer ce qui se fait dans le monde de l’entreprise, à savoir l’analyse de toutes les causes, en l’occurrence de l’accident, pour mieux les combattre.

Nous n’avons pas de conflits d’intérêt – nous n’organisons pas, par exemple, de stages de récupération de points –, nous sommes apolitiques – nous aiguillonnons aussi bien la droite que la gauche –, et tous ceux que nous accueillons viennent nous voir pour faire avancer une cause, c'est-à-dire un grand problème de santé publique.

Nous ne privilégions aucune cause s’agissant des facteurs de l’accidentalité. Pour nous, les quatre premiers facteurs d’accidents sur nos routes sont d’abord l'alcool, puis la vitesse, l’utilisation du kit mains libres et le non-port de la ceinture.

Nous avons un bilan dont nous n’avons pas à rougir. Nous nous sommes battus pour que le taux d’alcoolémie délictuel baisse, pour que la vitesse en ville passe à 50 kilomètres/heure maximum, pour que le port des ceintures à l’arrière soit obligatoire – cela nous a pris sept ans pendant lesquels nous avons été, là encore, traités de grands utopistes qui privaient les gens de leur liberté –, ou pour que les enfants aient des systèmes spécifiques pour s’attacher à l’arrière des voitures. Qui oserait remettre cela en cause aujourd'hui ?

Nous nous portons partie civile lorsque notre cause est battue en brèche, et pour faire avancer celle-ci dans les tribunaux par des procès exemplaires. Nous avons mené un très grand combat pour le permis à points et, en 1992, lorsque les routes étaient bloquées, c’est en discutant avec les routiers, qui étaient alors taillables et corvéables à merci, que nous avons réussi à obtenir que, si l’on changeait leurs conditions de travail, ils lèveraient les barrages.

Nous collaborons avec de nombreux pays – l’Espagne, la Colombie et bien d’autres encore – et nous avons été des ambassadeurs du modèle français, en montrant tout ce que notre pays avait été capable de réaliser à partir de 2002, et en étant très fiers d’exporter ce modèle. Aujourd'hui, je me suis permis d’arborer une décoration qui m’a été remise par le ministre de l'intérieur espagnol, M. Alfred Perez Rubalcaba – qui a parlé, à cette occasion, d’une nouvelle technologie espagnole : le « copier-coller des Français » –, car nous avons aidé son pays à mettre en place le permis à points, notamment en facilitant la rencontre entre M. Rémy Heitz, délégué interministériel français à la sécurité routière, et M. Pere Navarro, directeur général espagnol du trafic.

Du fait d’ailleurs de ces nombreuses relations avec les autres pays, nous lançons la Ligue internationale contre la violence routière, car nous sommes saturés de ces grandes institutions, pleines de bonne volonté – OMS, ONU, etc. –, qui organisent de grandes Journées du souvenir, mais qui ne prennent pas les décisions que nous attendons, telle que la limitation de la vitesse des voitures à la construction, que nous réclamons depuis la rédaction du Livre blanc demandé par M. Michel Rocard en 1988. Et de même que nous mettons en place des passerelles avec les autres associations pour échanger les bonnes pratiques, nous souhaitons que les pays le fassent à leur niveau.

Pour atteindre l’objectif zéro accident et donc pour faire avancer la situation s’agissant des quatre facteurs d'accidents que je décrivais, nous demandons la mise en place de boîtes noires – l’ADN des accidents – afin d’avoir une meilleure connaissance de l’accidentologie. Personne ne remet en cause les boîtes noires sur les avions, et l’on en a besoin pour les accidents de train. Pourtant, on nous dit souvent que c’est un « flic » embarqué. Non. C’est un avocat embarqué. C’est une aide dans la procédure, et les familles ont besoin de comprendre ce qui s’est passé. Et cette boîte enregistre les paramètres des dernières secondes avant l’accident, notamment la vitesse exacte.

Prenons l’exemple de l'accident de Joué-les-Tours, qui a défrayé la chronique fin mai, où une camionnette a fauché des enfants tuant une fillette de cours élémentaire et faisant des blessés graves et des blessés légers. Avec la boîte noire, les gendarmes, au lieu de se lancer dans une enquête technique approfondie, auraient disposé tout de suite des paramètres de l’accident. Nous souhaiterions donc le lancement d’une expérimentation en la matière, notamment dans les flottes publiques. Il est prévu depuis plus d’un an que 200 boîtes noires soient expérimentées par la gendarmerie nationale. La mise en œuvre de cette expérimentation serait un signe très fort. Quand, à Berlin, la police a installé des boîtes noires sur ses véhicules, six mois après on comptait un tiers d’accidents en moins. De même, quand la société Cofiroute a placé des boîtes noires dans les véhicules d’une vingtaine de volontaires, là encore un changement des comportements a pu être constaté. Aux États-Unis, 65 % des véhicules ont une boite noire à l’insu du conducteur, simplement pour répondre à l’acheteur en cas de procès, et les autorités fédérales réfléchissent à une généralisation. La boite noire permettra de faire progresser l’accidentalité et l’accidentologie.

J’en viens au Lavia, l’avertisseur radar permanent, système qui informe immédiatement les conducteurs – qui sont des millions à souhaiter ne plus avoir à scruter en permanence leur compteur – de la vitesse de leur voiture. Ce serait la fin des radars au bord de nos routes. Qui peut s’opposer à cela ? Pourtant, une sorte d’omerta entoure ce procédé alors qu’une expérimentation faite dans les Yvelines a montré que ce système embarqué était fiable et opérationnel. Nous attendons la deuxième expérimentation, mais encore faut-il que la cartographie embarquée soit certifiée, ce qui implique que l’État s’engage. Sinon, les constructeurs ne mettront jamais en place ce système. Nous déplorons donc l’arrêt de l’expérimentation, sachant que le blocage, concernant par ailleurs la limitation de la vitesse des voitures à la construction, vient notamment de la part des constructeurs allemands.

S’agissant du téléphone, l’expertise collective lancée sous l’égide de Mme Michèle Merli, déléguée interministérielle à la sécurité routière, a montré que le téléphone, qu’il soit tenu en main ou qu’il s’agisse d’un kit main libre, multiplie le risque d’accident par trois. Chaque année, 400 personnes meurent dans notre pays parce que quelqu’un téléphonait. Or, dix-neuf mois d’études plus tard, aucune décision n’a été prise ! Il faut tout de même rappeler, quand l’on entend parler d’atteinte à la liberté individuelle, que, dans 60 % des cas, celui qui va mourir n’a rien fait. C’est une famille heureuse, de retour de vacances, qui est victime d’un choc frontal avec un véhicule dont le conducteur téléphonait.

On nous parle du cannabis – encore que le risque est moindre puisque l’on compte 120 morts chaque année du fait de son usage. Est-ce qu’il serait moins grave de mourir parce que quelqu’un a téléphoné au volant ? Quelle différence cela fait-il pour la famille ? Aussi, nous demandons de la cohérence : qu’il y ait, bien évidemment, des actions contre la conduite sous l’emprise du cannabis, mais que l’on sanctionne également ceux qui téléphonent au volant.

Quant à la mise en place des radars de troisième génération – mesure qui avait été présentée en mars 2006 comme urgente à prendre –, l’appel d’offres a bien été lancé par les services de M. Claude Guéant, quelques semaines après son entrée en fonction, mais que de temps perdu ! Pourtant, cela signifierait – même si je préfère le Lavia – que partout et à tout moment nous serions susceptibles d’être contrôlés,

Nous souhaitons aussi une communication efficace. Or, il n’y en a eu aucune depuis trois ans. Comment voulez-vous que les Français acceptent des mesures qui « réduisent » leur liberté si on ne leur explique pas pourquoi ? L’acceptabilité dépend de l’information. Quand M. Rémy Heitz était délégué interministériel à la sécurité routière, un tiers de son temps était consacré aux médias, lesquels sont affamés d’information. Ils sont là pour relayer et pour expliquer ce que les politiques ont décidé. Les campagnes d’information doivent donc accompagner les mesures. Sinon, elles ne font que jouer sur l’émotion, sans rien changer aux comportements.

Nous demandons la remise en place du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), disparu – dans quel monde vivons-nous ? – depuis trois ans. Comment en effet aider les décideurs politiques s’il n’y a pas en amont des discussions organisées avec les acteurs de la sécurité routière et, surtout, les experts ? De même, il conviendrait que l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) dispose des moyens humains nécessaires à la production de statistiques. Nous serons d’autant plus exigeants qu’ils seront nombreux – et non quatre ou cinq comme à l’heure actuelle – pour répondre à nos demandes.

Nous insistons pour qu’un travail soit entrepris dans le monde de l’entreprise où un accident sur deux est dû à la route – l’accident de trajet. Rien n’y est fait, sinon signer des chartes – nous avions une déléguée interministérielle qui en était une spécialiste –, le tout sans aucun suivi. Or, on assiste depuis quelques années à une remontée de l’accidentalité concernant les véhicules utilitaires légers car il n’y a pas de carnet de bord. On ne sait pas qui conduit et l’amende est payée sans qu’il y ait de retrait de points, ce qui peut entraîner par là même des conditions de travail insupportables pour l’employé.

Nous réclamons un – ou une – délégué interministériel qui dépende de Matignon et non d’un seul ministère. Avec l’intervention du ministère de l’intérieur, la connotation est extrêmement négative, le terme de répression étant préféré à celui de sanction. À l’université, si les étudiants ne satisfont pas au contrôle de fin d’année, une sanction tombe : ils n’ont pas leur examen. Est-ce pour autant qu’ils accusent l’université d’être répressive ? Quand on ne respecte pas une règle, on est sanctionné.

Après deux ans de stagnation, le constat que l’on peut faire aujourd'hui est mauvais. L’objectif du Président de la République de baisse du nombre annuel des accidents pouvait pourtant être atteint, puisque l’on avait constaté une diminution de 10 % environ chaque année. Or, il ne l’a pas été ces deux dernières années et demi – je ne pointerai pas à nouveau l’action de la déléguée interministérielle – alors que ce sont 1 800 vies qui auraient pu être sauvées si la courbe descendante que nous connaissions depuis 2002 s’était poursuivie. Il faut en effet expliquer aux Français que 25 000 vies ont été sauvées depuis cette date, d’autant qu’on ne leur parle déjà pas assez de ces familles meurtries qui vivent avec des personnes handicapées, cela sans qu’on les aide suffisamment.

On parle du racket des radars. Il faut être sérieux ! Qu’est-ce que 500 millions d’euros perçus en amendes au regard des 24 milliards d'euros du coût de l'insécurité routière en 2009 ? Et qu’en est-il des assurances qui n’ont pas augmenté pendant des années – encore qu’elles vont certainement croître de 10 à 20 % du fait de l’accidentalité qui remonte ?

Que doit-on faire ? Se croiser les bras ou prendre des mesures qui fâchent ? N’aurait-on pas le courage dans ce pays d’expliquer pourquoi on prend de telles mesures ? C’est pourtant de la vie des gens dont on parle !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Je suis quelque peu désappointé car vous avez répondu par avance à l’essentiel des questions que j’allais poser.

Concernant cependant la vitesse, comment expliquez-vous, alors que l’on ne peut rouler en France, comme dans nombre de pays européens à plus de 130 km/h, que l’on vende des voitures qui roulent à 250 km/h ? À quoi cela sert-il et pourquoi n’y a-t-il pas, comme dans certains pays, de bridage des véhicules à la construction ?

Mme Chantal Perrichon. On peut en effet vraiment se demander à quoi cela sert, surtout que, sur l’ensemble du réseau, donc même en ville, ce sont les voitures les plus puissantes qui ont le plus d’accidents – les bases de données des assureurs sont éloquentes. On nous répète que les autoroutes allemandes ne sont pas limitées. C’est se moquer du monde : un tiers d’entre elles seulement n’est pas limité. Nous n’arrivons d’ailleurs pas à obtenir du gouvernement allemand l’accidentalité entre les autoroutes limitées et les autres – je vous laisse deviner pourquoi. Un représentant de la police allemande m’a avoué pour sa part que si l’on relevait 200 morts sur les deux tiers d’autoroutes limitées, on en comptait plus du double sur les autres. Cherchez l’erreur ! On sait bien que la vitesse tue. Il faut être dans le déni de la réalité pour affirmer le contraire.

Ce qui a tout changé en 2002, c’est la mise en place des radars, et non pas l’appel à la responsabilité des conducteurs ou encore la transformation des véhicules ou des changements dans l’infrastructure. Tout le monde, brusquement, a alors changé son comportement au volant.

Certains, certes, ne comprennent pas pourquoi on s’attaque aux petits excès de vitesse. Mais la gauche s’était attaquée aux grands excès de vitesse en annonçant en 1997 sa volonté de diviser par deux le nombre de morts en cinq ans. Or, non seulement en 1998 le nombre des morts avait augmenté, mais au bout de cinq ans l’accidentalité n’avait baissée que de 2,2 %, ce qui montre bien que l’objectif visé n’était pas le bon. Si le comportement a changé ensuite, et que la vitesse moyenne a baissé, c’est parce qu’il n’y avait plus de tolérance pour les petits excès, sachant que la gendarmerie acceptait un dépassement jusqu’à 30 km/h de la vitesse autorisée au prétexte que sinon elle devrait arrêter tout le monde.

Nous savons, depuis les travaux de Nilsson en 1982, que 1 % de vitesse en moins se traduit toujours par 4 % de morts en moins. Nous l’avons nous-même vérifié entre 2002 et 2009 où la baisse des vitesses moyennes pratiquées de 10 km/h a abouti à 40 % de tués en moins.

Concernant l’alcool, en 2002 comme aujourd'hui, 30 % des morts sont dus à cette cause. Or, rien n’a été fait en matière de lutte contre l’alcool – on compte toujours 10 millions de contrôles d’alcoolémie par an. Le lobby de l’alcool est extrêmement puissant. Nous n’avons pas obtenu l’interdiction de la vente d’alcool dans les stations service, et ceux qui ont un problème avec l’alcool ne sont ni suivis ni orientés vers les centres d’addictologie – dans l’accident de Chelles, le conducteur était ivre, sans permis et récidiviste.

Ce qui a changé cependant, c’est que l’on roule moins vite. Les causes de l’accident étant multifactorielles, quand vous supprimez un facteur dans l’arbre des causes, le risque d’accident diminue : à alcoolémie égale, si vous roulez moins vite, l’accident n’arrive pas.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Êtes-vous d’accord avec la mesure adoptée dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) assouplissant le système actuel de récupération des points – dans un délai de 6 mois, au lieu d’un an pour les petits excès de vitesse ?

Mme Chantal Perrichon. Certes non ! Comment voulez-vous obtenir plus de vigilance et de concentration de la part d’un conducteur s’il sait qu’il récupérera le point perdu au bout de six mois et non plus un an, et qu’il pourra suivre un stage de récupération de points tous les ans – quelle que soit la gravité de la faute et en dépit de l’iniquité entre ceux qui pourront s’offrir un stage chaque année et les autres ?

Sans être trop désagréable, permettez-moi de dire que ceux qui ont présenté les amendements en question ne parlent pas avec des experts. Il faut aller voir ceux qui savent. La Ligue, pour sa part, n’en est pas un. Si elle a accumulé une petite culture en matière de sécurité routière, elle travaille en permanence avec des experts : ce n’est pas parce que vous faites de l’automédication que vous devenez cardiologue. Chacun croit savoir, mais n’a en fait qu’un petit vernis de sécurité routière. Nous avons même parfois l’impression que les amendements en la matière, c’est un peu le concours Lépine ! Or, très concrètement, ce qui est en cause c’est la vie de 66 millions de Français.

Nous sommes donc contre de tels amendements. Nous avons d’ailleurs souhaité que le Gouvernement se mobilise, et nous avons été très déçus. Nous espérions qu’il n’autorise que la récupération de deux points chaque année car on sait bien que cette petite pression qui joue sur le conducteur oblige à plus de concentration. Avec douze points, on peut en perdre un – à la Ligue, des gens ont perdu un voire deux points et ce n’est pas un drame. Simplement, celui qui perd un point fait attention pendant un an. Or, ce qui est grave, c’est que, alors que l’on était dans un cercle vertueux avec 36 % de plus de conducteurs ayant récupéré l’intégralité de leurs points au bout de trois ans, on freine brusquement la démarche engagée.

Nous avions alors annoncé que l’on courait le risque d’une augmentation des morts et des blessés. Les résultats des mois qui viennent de s’écouler vont dans ce sens. Les gens sont plus sereins, font moins attention. C’est la raison pour laquelle le Lavia nous semble si important. Les radars, c’est hier. Le Lavia, c’est aujourd'hui et demain.

M. Jacques Myard. J’ai toujours pensé qu’il fallait aller vers celui qui cherche la vérité et fuir celui qui la trouvait. À cet égard, je vous trouve dogmatique. Nous avons eu 10 % de tués en plus sur nos routes – taux en effet inacceptable, car nous sommes d’accord sur l’objectif – contre 16 % en Allemagne, 19 % en Finlande et 27 % en Suède ; or, pour expliquer ce phénomène, vos explications sont un peu courtes. De plus, rejeter la faute sur des députés dits irresponsables est inadmissible.

Les experts auxquels vous vous référez l’ont démontré : un mouvement incontrôlé à 40 km/h peut tuer comme à 70 ou à 80 km/h. La camionnette qui a provoqué l’accident que vous avez analysé allait à très basse vitesse. Vous focaliser sur la vitesse, alors qu’il faut rechercher les causes en amont, relève de l’autisme.

Je suis convaincu que l’alcool est un problème tout comme le cannabis, le mélange des deux ou encore la somnolence. À cet égard, je suis d’accord avec vous concernant le Lavia, c'est-à-dire l’information en temps réel sur la vitesse qui doit être respectée. Mais mettre l’accent uniquement sur la vitesse n’est plus, je le crains, d’actualité. Il faut rechercher les causes réelles des accidents en allant au-delà de la simple répression de la vitesse, politique qui a eu ses effets, mais qui a aujourd'hui atteint ses limites.

Mme Françoise Hostalier.  Que pensez-vous des campagnes de communication avec des images violentes comme celles qui ont porté sur le tabac ? Est-ce positif ou contre-productif ?

Ne faudrait-il pas par ailleurs mener davantage d’actions de prévention dans les écoles pour prévenir la violence des futurs conducteurs ou des jeunes usagers de deux roues ?

M. Alfred Trassy-Paillogues.  Vous avez souhaité en introduction de votre propos ne pas être caricaturée. Pour ne pas l’être, encore faut-il soi-même ne pas caricaturer les autres. Or, vous avez caricaturé quelque peu Mme Merli et, plus massivement encore, les élus que nous sommes. Que cela plaise ou non, nous représentons notre population.

Vos raisonnements ne sont d’ailleurs pas exempts d’à peu près : vous expliquez parmi les paramètres de l’accidentologie que l’alcoolisme, ce n'est pas trop grave à petite vitesse. Mais quand on a deux grammes d’alcool dans le sang, attache-t-on de l’importance à la présence ou non de radars et donc à la vitesse ?

Là où je vous rejoins en revanche, c’est que l’arrivée des nouvelles technologies – assistance à la conduite et autres – permettra des améliorations grâce à des véhicules et à une route que l’on pourra qualifier d’intelligents. Ces nouvelles technologies répondront d’ailleurs, de façon quasi automatique, à la question du bridage des véhicules puisque les véhicules électriques, par exemple, rouleront à des vitesses moindres pour préserver une certaine autonomie. Renault sortira d’ailleurs deux modèles à grande diffusion en 2011 et deux autres en 2012.

Vous n’avez pas par ailleurs évoqué le problème de la signalétique fantaisiste sur les routes françaises, ni l’état de ces dernières et les éventuels points noirs.

Vous évoquez également la nécessité d’une concentration extrême du conducteur. Mais une réglementation toujours plus répressive n’est-elle pas plutôt anxiogène, notamment pour les conducteurs qui ont besoin de leur permis de conduire pour travailler ?

Enfin, que penseriez-vous d’une expérimentation de contrôles massifs d’alcoolémie et d’usage de drogues sur un an, délai qui permettrait de comprendre vraiment ce que ces fléaux provoquent comme accidentologie et ce que leur traitement pourrait avoir comme résultat ?

M. Dominique Raimbourg. Pourriez-vous nous expliquer plus précisément en quoi consiste le Lavia ?

Par ailleurs, comment le bridage des véhicules à 130 ou 150 km/h peut-il permettre de respecter les vitesses limitées à 50 ou 90 km/h ?

M. le président Armand Jung. Le Lavia est un limiteur intelligent de vitesse lié au GPS ou, dans deux ou trois ans, à Galiléo.

M. Jacques Myard. Permet-il toujours d’accélérer ?

M. le président Armand Jung. Tout à fait. Le problème est que le GPS n’est intelligent que par rapport aux données qu’on lui donne. Or, les changements de données ne sont pas forcément instantanés, et celles-ci peuvent donc être erronées.

Mme Françoise Hostalier. Il peut y avoir problème aussi lorsque le signal GPS se perd.

Mme Chantal Perrichon. Les mots, monsieur Myard, qui m’ont été adressés sont forts.

M. Jacques Myard. Je les maintiens, mais ils ont été prononcés en toute amitié.

Mme Chantal Perrichon. Préservez-moi alors de votre amitié !

Vous avez plus fait part d’un sentiment que de questions, et je n’y répondrai donc pas. Je suis dogmatique, autiste : notre association reste toujours pour vous quelque chose de caricatural.

M. Jacques Myard. Pas sur tout.

Mme Chantal Perrichon. Il y a un progrès !

S’agissant, madame Hostalier, de la pédagogie, notre association est une fédération nationale composée d’associations départementales dont les adhérents qui le souhaitent se rendent dans les écoles pour expliquer la dangerosité de la route. Nous veillons cependant à ne pas tout faire peser sur les épaules de l’enfant en lui demandant à lui seul de faire attention. La rue en effet n’est plus faite pour les piétons, mais pour les voitures, et c’est pourquoi nous demandons une meilleure répartition des responsabilités. L’école est toutefois importante, car c’est un socle à partir duquel on va pouvoir faire passer des messages afin qu’en grandissant, les enfants comprennent mieux pourquoi certaines mesures sont prises.

Pour ce qui est des campagnes de communication, celles que les pays anglo-saxons ont produites pendant longtemps étaient extrêmement violentes. À notre tour, dix ou quinze ans après, nous nous sommes lancés dans de telles campagnes qui choquent. Pour autant, nous ne changerons pas un comportement uniquement par l’émotion. Cela laisse une trace, mais quand il conduira, l’automobiliste ne pensera pas à la campagne de communication. C’est pour cela que celles qui sont lancées doivent être pédagogiques en expliquant pourquoi certaines mesures sont prises.

Concernant les deux roues auxquels vous avez fait allusion, nous demandons que des contrôles soient réalisés de temps en temps dans les établissements scolaires, car, dès qu’ils achètent un cyclomoteur, la première chose que font les jeunes c’est de commander des kits de débridage – hier en Belgique, aujourd'hui sur Internet. Non seulement ils apprennent ainsi à contourner la loi, mais ils se mettent en danger, avec une mortalité effrayante. Nous souhaitons même qu’une charte soit signée par les parents par laquelle ils s’engagent, avec l’enfant, à ce que le cyclomoteur ne soit pas débridé. Il devrait d’ailleurs en aller de même pour le permis de conduire qui devrait s’appeler « engagement à conduire » – les mots sont très importants.

Pour ce qui est de la signalétique, monsieur Trassy-Paillogues, nous estimons que, plutôt que de dépenser 8 millions d'euros pour l'installation des nouveaux radars pédagogiques, il aurait suffi de déplacer ceux existants de façon aléatoire. L’argent ainsi économisé aurait alors permis d’installer des radars dans les villes ou à leurs abords.

Il conviendrait d’ailleurs que les commissions départementales de la sécurité routière, qui se réunissent fréquemment, soient l’occasion de vérifier la légitimité des limitations de vitesse, car si elles ne sont pas compréhensibles, les gens ne pourront pas les accepter.

Quant au côté anxiogène qu’il y aurait à conduire avec la peur de perdre son permis, qu’il me soit permis de rappeler que 75 % des conducteurs ont douze points et que 90 % en ont entre dix et douze. Que je sache, nous ne fréquentons pas que des gens anxieux ! À cet égard, on nous parle souvent du permis blanc. Mais la France est le seul pays à utiliser cette formule. Lorsque quelqu’un a perdu ses points, l’entreprise peut très bien l’affecter à une autre tâche pendant le délai de six mois au terme duquel il pourra obtenir un nouveau permis.

Pour prendre l’exemple de la SAAQ, une compagnie d’assurance du Québec, les primes sont fonction du nombre de points retirés, car ses dirigeants sont arrivés à la conclusion que le degré de dangerosité d’un conducteur était corrélé au nombre de points perdus – la prime est multipliée par 4 après que les conducteurs ont perdu une première fois leur permis. On parle toujours ici de répression. Au Québec, cette mesure dissuasive a été prise, qui donne d’excellents résultats, pour faire en sorte que les comportements se modifient. S’il y a anxiété, cela concerne quel pourcentage de la population et pour combien de vies sauvées ?

Nous ne sommes pas une association de familles de victimes. Lorsque ces femmes ont créé la Ligue, la charte d'accueil des familles de victimes de la violence routière l’a souligné dès les premières lignes : nous accueillons les familles et les orientons vers des professionnels. Nous sommes dans la prévention. L’anxiété à cet égard de ceux qui ont perdu quelqu’un ne devrait pas être oubliée. Nous ne sommes pas ici en effet que pour parler de chiffres. Ce soir, des familles vont traverser un drame, et c’est pour cela que nous sommes aussi réunis, et non pas seulement pour fantasmer sur des données selon lesquelles la vitesse, par exemple, pourrait ne pas tuer. Nous sommes dans du concret et nous voulons des mesures concrètes qui nous permettront de gagner la bataille de la vie sur la route, parce que nous y croyons.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Pensez-vous qu’arrivé à un certain âge, il faudrait un examen pour vérifier les capacités à conduire ?

Mme Chantal Perrichon. Il s’agit d’une question récurrente importante. Très souvent lorsqu’un senior est auteur d’un accident mortel, la presse met en exergue l’âge du conducteur. Or les bases de données des assureurs montrent que ce ne sont pas les seniors qui sont les plus accidentogènes. Ils sont même, le plus souvent, victimes, car leur corps est plus fragile. Surtout, les seniors adaptent leur comportement à leurs performances : ils feront des trajets moins longs, ils rouleront moins de nuit et plus lentement. Leur comportement est à cet égard moins dangereux. Si 92 % des permis suspendus appartiennent à des hommes, faut-il d’ailleurs en conclure que, dans ce pays, seules les femmes pourraient conduire ?

Plus sérieusement, l’Espagne a mis en place des examens médicaux. M. Pere Navarro, directeur général du trafic espagnol, m’a conseillé de ne surtout pas le demander en France car ces visites, effectuées de façon automatique, ne servent à rien : elles n’ont pas fait baisser l’accidentalité.

Partons du principe que les seniors ne sont pas plus dangereux que les autres, sachant que s’il fallait vraiment se fonder sur la dangerosité, ce serait peut-être une autre catégorie de la population qui devrait ne pas conduire...

M. le président Armand Jung. Merci, madame, pour la clarté de vos propos et pour la passion que vous y avez mise.

La séance est levée à vingt heures vingt.

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