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Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Vendredi 2 septembre 2011

Séance de 09 heures 30

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Armand Jung, Président

Table ronde, ouverte à la presse, sur le coût économique et social des accidents, leur traitement judiciaire et l’aide aux victimes

– M. Dominique Mignot, directeur scientifique adjoint à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR) et Mme Martine Hours, médecin épidémiologiste, unité mixte de recherche épidémiologique et de surveillance - Transport Travail Environnement à l’IFSTTAR (ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement et ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche)

– M. François Werner, directeur général du Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) 

– Mme Barbara Berrebi, chargée d’étude au Groupement des entreprises mutuelles d’assurances (GEMA), Mme Nathalie Irisson, secrétaire générale de GEMA Prévention, et M. Philippe Hingray, fondé de pouvoir de la MAAF

– M. Louis Fernique, secrétaire général de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR)

– M. le Professeur Djamel Bensmail, chef de service en médecine physique et de réadaptation à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches

– Mme Dina et M. Jean-Pierre Freani, parents d’une victime 

– Mme Monique Fritz, présidente de l’association « Aide aux victimes des accidents de la route » (AIVAR), M. Nicolas Fritz, membre fondateur, et Me Laurent Hincker, avocat

– M. Vincent Julé Parade, vice-président de l’association « Victimes et citoyens contre l’insécurité routière »u laboratoire national de métrologie et d’essais.

– M. Michel Vilbois, sous-directeur de l’action interministérielle, Délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR)

Table ronde, ouverte à la presse, sur le coût économique et social des accidents, leur traitement judiciaire et l’aide aux victimes, avec la participation de :

– M. Dominique Mignot, directeur scientifique adjoint à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR) et Mme Martine Hours, médecin épidémiologiste, unité mixte de recherche épidémiologique et de surveillance - Transport Travail Environnement à l’IFSTTAR (ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement et ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche) ;

– M. François Werner, directeur général du Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) ;

– Mme Barbara Berrebi, chargée d’étude au Groupement des entreprises mutuelles d’assurances (GEMA), Mme Nathalie Irisson, secrétaire générale de GEMA Prévention, et M. Philippe Hingray, fondé de pouvoir de la MAAF ;

– M. Louis Fernique, secrétaire général de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) ;

– M. le Professeur Djamel Bensmail, chef de service en médecine physique et de réadaptation à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches ;

– Mme Dina et M. Jean-Pierre Freani, parents d’une victime ;

– Mme Monique Fritz, présidente de l’association « Aide aux victimes des accidents de la route » (AIVAR), M. Nicolas Fritz, membre fondateur, et Me Laurent Hincker, avocat ;

– M. Vincent Julé Parade, vice-président de l’association « Victimes et citoyens contre l’insécurité routière » ;

– M. Michel Vilbois, sous-directeur de l’action interministérielle, Délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR).

La table ronde débute à 9 heures trente-cinq.

Présidence de M. Armand Jung, président.

M. le président Armand Jung. Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Il sera question, ce matin, du « coût économique et social » des accidents de la route : l’expression peut paraître horrible, mais cette Mission d’information se devait de traiter du sujet. Cependant, elle a tenu à aborder également l’aspect humain de ce dossier, en entendant notamment les associations qui défendent le point de vue des victimes, ainsi que les familles de celles-ci. À tous, je demanderai de s’exprimer en toute franchise, en mettant en avant ce qui leur tient le plus à cœur.

M. Dominique Mignot, directeur scientifique adjoint à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR). Avant d’appartenir à l’IFSTTAR, organisme de recherche récemment créé, j’étais chercheur au Laboratoire de l’économie des transports et c’est avant tout en me fondant sur les travaux que j’ai alors menés, sur l’économie de la sécurité routière, que je m’exprimerai.

Je traiterai donc du coût économique des accidents, laissant à Mme Hours le soin de traiter de l’aspect social et humain. En France comme à l’étranger, la collectivité s’est depuis longtemps préoccupée de déterminer la valeur de la vie humaine, exprimée sous forme d’un montant monétaire. Ainsi, chaque fois qu’on envisage la création de grandes infrastructures – autoroutes, TGV… –, on s’attache à en évaluer les avantages comme les inconvénients et, dans les premiers, on comptabilise les vies qui seront sauvées, les blessures qui seront évitées. Traduire cela en valeur monétaire n’est certes pas aisé et a donné lieu à de nombreux travaux – vous trouverez des indications sur cette problématique dans un rapport que je vous remettrai, rédigé de concert avec l’INSERM, sur l’usage du téléphone au volant. Je dirai seulement que cette valorisation est susceptible d’approches différentes, selon qu’on est assureur ou puissance publique, selon qu’on prend en compte les seuls dommages mesurables ou également, par exemple, le nombre d’années d’activité perdues… Mais il a fallu faire un choix et une valeur qu’on nomme « tutélaire », en ce sens qu’elle est définie par la collectivité, reflète l’importance que cette dernière attribue à tel ou tel critère à un moment donné. Dès lors, elle ne peut qu’évoluer dans le temps : en France par exemple, elle a doublé entre 1995 et aujourd’hui – les préoccupations de sécurité routière y ont certainement contribué. Les variations sont également fortes d’un pays à l’autre : ainsi, dans les années quatre-vingt, l’écart était important entre les pays du sud et ceux du nord de l’Europe, ces derniers attribuant une plus grande valeur à la vie humaine.

Cette valorisation a un impact sur la décision publique : sont privilégiés les projets les plus susceptibles de favoriser la sécurité routière dès lors qu’on évalue la vie humaine ou l’intégrité physique à un niveau élevé. Actuellement, cette valeur est fixée à un million d’euros pour une vie sauvée. Nous pourrions aller au-delà : cela contribuerait à donner encore plus de poids aux considérations de sécurité routière dans les politiques publiques des transports.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Dans quel cadre prend-on en compte cette valeur d’un million d’euros ? C’est un montant que sont loin d’atteindre les dommages accordés par la jurisprudence.

M. Dominique Mignot. C’est la valeur utilisée par le ministère des transports pour estimer, par exemple, la rentabilité d’un projet d’autoroute : si l’on juge que sa réalisation économisera dix vies, on ajoutera dix millions aux recettes de péage escomptées.

Mme Martine Hours, médecin épidémiologiste, unité mixte de recherche épidémiologique et de surveillance – Transport Travail Environnement à l’IFSTTAR. Je suis depuis cinq ans une cohorte de 1 400 blessés de la route, avec le souci d’étudier les conséquences des accidents sur les victimes ainsi que sur leur entourage. J’ai constaté – mais, pour le vivre, les familles le diront sans doute mieux que moi – que le coût socio-économique individuel de l’accident, qui peut être très élevé, est aussi éminemment variable. Ne joue pas seulement le degré de gravité des lésions initiales : si 35 % des victimes d’accidents graves sont empêchées définitivement de reprendre leur travail, 4 % des blessés légers se retrouvent dans la même situation. Le profil des lésions est en outre différent selon l’âge ou selon qu’on est piéton, automobiliste ou cyclomotoriste : les blessures à la tête graves sont plus fréquentes chez les piétons âgés tandis qu’un jeune adulte sera davantage exposé à des problèmes orthopédiques. Et ce qui peut être bénin à une certaine époque de la vie peut à une autre entraîner une perte d’autonomie.

Ces conséquences ne se limitent pas à la personne du blessé. Si celui-ci peut avoir des difficultés à reprendre son travail, voire le perdre et être contraint à une réorientation professionnelle, sa famille aussi est affectée : un parent peut être obligé d’interrompre son activité, ce qui entraîne un manque à gagner ; il faut parfois réaménager le logement – c’est la situation dans laquelle se retrouvent 7 % des blessés, 4 % devant renoncer faute de moyens – ou déménager. L’accident entraîne aussi trop souvent un état de fragilité économique, soit que le véhicule n’ait pas été assuré, soit qu’il ait été incomplètement payé et qu’il faille continuer d’acquitter les traites. Ces difficultés-là s’estompent certes avec le temps, mais ce n’est pas le cas de celles qu’éprouvent les blessés les plus graves, condamnés à une absence de revenus faute de pouvoir reprendre leur travail.

Je souhaite également insister sur la complexité de la prise en charge médicale ainsi que sur celle des démarches administratives. Tout se passe à peu près bien tant que vous vous trouvez à l’hôpital mais ensuite, du jour au lendemain, vous n’êtes plus confronté qu’à des spécialistes, selon la nature des blessures reçues, sans que jamais personne vous prenne en charge globalement. Mal informés par les médecins hospitaliers, les généralistes ignorent qu’ils vont avoir à s’occuper d’un polytraumatisé ; souvent, ils ne savent pas non plus comment traiter le syndrome post-traumatique qui, faute de prise en charge rapide, risque alors de prendre une tournure chronique. Quant aux démarches administratives, leur complexité est telle que certains chercheurs en viennent à parler de « dose toxique » ! Certains accidentés, découragés, renoncent, quitte à ne pas être indemnisés.

En définitive, l’accident est un facteur aggravant des inégalités sociales : s’en sortent le mieux ceux qui savent ou qui peuvent s’offrir un avocat, les plus fragiles étant, eux, condamnés à le devenir encore plus.

M. François Werner, directeur général du Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO). Le FGAO a notamment pour mission d’indemniser les victimes de la route lorsque l’auteur de l’accident a pris la fuite ou était dépourvu d’assurance. En ce qui me concerne plus particulièrement, j’ai remis récemment à Mme Lagarde un rapport sur ce phénomène de la « non-assurance automobile ».

Je commencerai par décrire la situation telle qu’on peut la voir par le petit bout de la lorgnette : avec des chiffres. Chaque année, notre fonds verse de 75 à 80 millions aux victimes des conducteurs non assurés et un peu plus de 20 millions à celles des auteurs de délit de fuite. Ces montants ne diminuent pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser au vu des progrès de la sécurité routière. Cela tient sans doute à l’amélioration des conditions d’indemnisation mais, le nombre de dossiers étant globalement stable, cela pourrait aussi indiquer une augmentation du nombre de conducteurs sans assurance…

M. le rapporteur. Pouvez-vous faire le départ entre ceux qui sont simplement dépourvus d’assurance et ceux qui n’en ont pas parce qu’ils n’ont pas non plus de permis de conduire ?

M. François Werner. J’y viendrai en conclusion.

Ces coûts pour le FGAO ne sont que l’effet d’épreuves dont les associations et les familles rendront mieux compte que moi : celles que subissent les victimes. Mais il ne faut pas oublier, même si évoquer le sujet peut paraître à certains indécent, les difficultés rencontrées par les auteurs d’accident non assurés. Nous sommes en effet financés, non seulement par une taxe de 1,2 % sur les contrats d’assurance responsabilité civile – soit à peu près 2 euros par contrat d’assurance concernant les véhicules –, mais aussi par ce que nous pouvons recouvrer auprès de ces personnes, qui vont souvent traîner une dette importante tout au long de leur vie.

Qui sont-elles ? La mission que m’avait confiée Mme Christine Lagarde m’amenait à essayer de les identifier. Au vu d’un échantillon assez significatif de dossiers, on peut les diviser en deux catégories. Il y a, en premier lieu, des gens qui ont le droit de conduire mais qui, à un moment, vont se retrouver sans assurance, soit pour des raisons culturelles, soit parce qu’ils n’ont pu régler leur prime, soit encore pour des raisons de « facilité » – je pense par exemple aux cas où un adulte se déclare conducteur principal alors que celui-ci est en vérité un jeune, qui serait redevable d’une prime plus élevée.

L’autre catégorie, sans doute peu nombreuse mais à l’origine du plus grand nombre de dossiers parce que dangereuse, est celle des conducteurs sans permis, auteurs multirécidivistes d’accidents et souffrant d’addictions, qu’il conviendrait tout simplement d’immobiliser. Nous ne traitons pas tous les dossiers qui les concernent mais ceux qui nous arrivent nous permettent de cerner plus ou moins précisément leur profil. La proportion de ceux qui ont perdu le permis parce qu’on leur a retiré la totalité de leurs points est relativement faible. Bien plus nombreux sont ceux qui, soit n’ont jamais passé le permis, soit l’ont perdu depuis longtemps, du fait d’une ou même, parfois, plusieurs annulations judiciaires. Dans le monde des automobilistes, ce sont des marginaux.

Auprès de la première catégorie, le travail à mener est, nous semble-t-il, un travail de prévention et d’information – de pédagogie, sur l’utilité de l’assurance et sur les risques encourus en l’absence de police. Effort qui aurait d’ailleurs son utilité pour une plus large population : qui connaît exactement l’étendue des garanties couvertes par son assurance ? C’est une formation qui aurait toute sa place dans les écoles et auto-écoles…

La deuxième catégorie est donc constituée de ceux qui n’ont aucun droit de conduire mais qui, dans notre pays, n’en peuvent pas moins acquérir un véhicule et le faire immatriculer ! Toutes les démarches normales leur sont accessibles, sauf une : souscrire une assurance, car cela exige de pouvoir présenter un permis valable. La parade apparaît dès lors aisée : il suffirait, comme le font tous les pays voisins, de croiser avec le registre des cartes grises un répertoire des contrats d’assurance. Nous serions alors à même de détecter ces conducteurs avant qu’ils n’aient le temps de mettre en danger les autres usagers de la route.

Mme Barbara Berrebi, chargée d’études au Groupement des entreprises mutuelles d’assurances (GEMA). Au sein du GEMA, syndicat professionnel des assureurs mutualistes, je suis chargée d’études sur l’assurance-dommages, notamment dans le secteur automobile.

En 2009, on a comptabilisé environ dix millions de sinistres automobiles, entraînant le versement par les assureurs de 16,3 milliards d’euros, dont 26 % environ au titre de quelque 271 000 sinistres mettant en jeu la responsabilité civile corporelle. La proportion des victimes décédées était de 1 %, celle des blessés devant conserver une atteinte physique et psychique de 24 % – mais ils ont perçu 78 % des indemnités versées.

Ces victimes étaient pour 32 % conducteurs ou passagers d’un véhicule deux-roues motorisé et pour 43,7 % conducteurs ou passagers d’un véhicule quatre-roues – voiture particulière ou camionnette. Cependant, ce que cette statistique ne montre pas, c’est que les premiers sont quatre fois plus exposés que les autres usagers au risque d’accident de la route.

En 2008, l’Association française de l’assurance a publié un livre blanc sur l’indemnisation du dommage corporel, témoignant ainsi de la volonté qui anime la profession de faire évoluer le système d’indemnisation et d’harmoniser les pratiques en la matière afin de mieux répondre aux demandes des victimes. La première partie de ce document, intitulée « Pour un traitement équitable des victimes de dommages corporels », propose notamment des outils d’évaluation de ces dommages ; la deuxième est consacrée à l’accompagnement des plus lourdement handicapés, en particulier dans l’élaboration d’un projet de vie permettant une réinsertion socioprofessionnelle.

Depuis cette publication, les assureurs ont créé un comité de liaison réunissant les responsables des départements « indemnisation des dommages corporels » des principales sociétés du secteur. Par ce biais, nous avons pu réfléchir à une meilleure prise en charge des victimes de concert avec des associations telles que l’Association des paralysés de France (APF), la Fédération nationale des accidents du travail et des handicapés (FNATH), l’Association d’aide aux victimes d’accidents médicaux (AVIAM) ou encore le Réseau national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM). Ces échanges, qui ont contribué à rapprocher les points de vue sur certains points, ont permis un aggiornamento des missions d’expertise médicale grâce à l’élaboration d’un guide pratique destiné aux médecins experts – on y expose notamment les moyens d’améliorer la prise de contact avec la victime, phase particulièrement délicate de la procédure.

Les assureurs participent également aux groupes de travail du Conseil national de l’aide aux victimes, présidé par le Garde des sceaux : la réflexion porte là, notamment, sur l’évaluation des dommages corporels, sur la prise en charge des victimes d’accidents collectifs et, depuis cette année, sur celle des victimes d’infractions routières – une des premières réunions de ce groupe a été consacrée à la présentation du guide de l’accompagnement des victimes d’accidents de la route, élaboré par la Délégation à la sécurité et à la circulation routières.

La profession s’est également dotée d’une Association pour l'étude de la réparation du dommage corporel (AREDOC) qui a publié une brochure analysant la nomenclature Dintilhac des postes de préjudice ainsi que son application. Enfin, dans le même domaine, elle se mobilise en faveur de la formation des juristes et des médecins experts et contribue à de nombreux colloques, en France et en Europe.

M. Philippe Hingray, fondé de pouvoir de la MAAF. Je suis responsable du pôle Performance Corporel au sein de Covéa AIS qui regroupe les mutuelles GMF, MAAF et MMA. Mes missions concernent essentiellement la limitation des risques.

Pour compléter l’exposé de Mme Berrebi, je préciserai que, sur les quelque 16 milliards d’indemnisation, plus de la moitié va à seulement 3 % des blessés et plus de 30 % à seulement 1 % d’entre eux. Cela tient à la jeunesse des intéressés, dont l’intégrité physique et/ou psychique (IPP) est réduite de plus de 50 % : il faut dès lors une indemnisation qui couvre pratiquement la durée d’une vie – tout d’abord d’une vie professionnelle, dans la mesure où ils ne pourront plus jamais travailler, mais cette dépense recouvre aussi, dans la proportion d’une moitié, le coût de l’aide humaine nécessaire.

Le livre blanc en témoigne : notre principal souci est d’accompagner ces grands blessés dans la définition d’un projet de vie qui conduise à leur réinsertion professionnelle. Il nous paraîtrait à cet égard souhaitable de se garder d’une indemnisation trop rapide, effectuée avant qu’ils aient pris la pleine mesure des conséquences de leur handicap : l’échec serait à peu près assuré au bout de cinq ou dix ans. Je dois ajouter que l’imprévisibilité des coûts est la hantise des assureurs : nous voulons être à même de mesurer nos charges dans le temps. Cependant, sur ce point, nous nous heurtons à une disposition de la loi Badinter du 5 juillet 1985, qui oblige à indemniser « dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de [la] consolidation » – cette dernière notion renvoyant en général à la stabilisation des séquelles fonctionnelles, laquelle intervient au bout d’à peu près un an et demi ou deux ans chez les tétraplégiques. Or, ces séquelles, même si elles sont connues, ont des effets sur les chances de réinsertion qui ne peuvent être évalués qu’au terme d’un plus long délai. Nous avons donc engagé avec les associations une réflexion sur le sujet.

M. Dominique Raimbourg. Si j’ai bien entendu, l’enveloppe de 16,3 milliards est consacrée pour 26 % à l’indemnisation des préjudices corporels, mais ce montant se rapporte-t-il à l’ensemble des accidents, ou uniquement à ceux qui sont pris en charge par le GEMA ?

Mme Barbara Berrebi. Ces chiffres sont ceux de l’ensemble de la profession.

M. Philippe Hingray. Et les 30 % de l’enveloppe versés aux 1 % des blessés les plus lourdement atteints correspondent donc à une somme de quelque 4 milliards.

M. le président Armand Jung. Que savez-vous sur cette population particulière ? Avez-vous une idée des causes en jeu dans leur accident ?

M. Philippe Hingray. Non, nous savons uniquement de quel type de handicap ils souffrent.

Mme Martine Hours. La réponse à votre question, monsieur le président, peut être trouvée dans le registre des victimes d’accidents de la route du département du Rhône : on y trouve des données permettant de faire le lien entre le type d’accident et les lésions graves qui en ont résulté. Ainsi on sait que les lésions médullaires ont souvent pour origine les accidents de vélo.

M. le rapporteur. Mais il ne livre aucun élément financier…

Mme Martine Hours. Pour cela, il faut s’adresser aux assureurs. En raccordant ces deux sources, on peut remonter des coûts d’indemnisation aux circonstances de l’accident.

M. le rapporteur. Il est communément admis que le coût de l’insécurité routière se monte à quelque 24 milliards d’euros par an. Les compagnies d’assurance en prendraient donc 16 à leur charge, réparation des dommages matériels et corporels confondus. À qui incombe la charge des huit milliards restants, hormis au Fonds de garantie automobile (FGA) ? Est-ce la solidarité nationale qui couvre cette différence, et à quels postes sont affectées les sommes ainsi dépensées ?

M. Louis Fernique, secrétaire général de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR). La réponse n’est pas aisée car, dans ces affaires, un même concept peut recouvrir des réalités variables.

Établie chaque année par l’ONISR sur la base des valeurs tutélaires dont a traité M. Mignot – tant pour un décès, tant pour les blessures, etc. –, la valorisation de l’insécurité routière ne correspond pas forcément à des débours : elle se rapporte en fait aux différentes conséquences qu’a cette insécurité pour la société. Même si cette estimation peut intégrer des montants d’indemnisation, on est là sur un autre plan,. L’objectif est avant tout d’avoir un outil pour arbitrer entre priorités publiques et, secondairement car l’argument est pour moi d’une efficacité pédagogique incertaine, pour convaincre nos concitoyens de la nécessité d’agir en faveur de la sécurité routière.

Nous venons de recalculer ce coût économique et social pour 2010 : vous disposerez dans une dizaine de jours de ce tableau, qui confirme le chiffre de 24 milliards que vous avez donné tout à l’heure, monsieur le rapporteur – pour être précis, le coût global de l’insécurité routière a été évalué à 23,37 milliards, contre 23,7 en 2009, cette petite baisse s’expliquant par une moindre mortalité. Le premier « poste », avec 9,49 milliards, est constitué par les dommages relatifs aux victimes : les décès y sont comptés pour 5,04 milliards, les hospitalisations pour 4,15 milliards et les blessés légers pour 300 millions. Les dommages matériels accompagnant les accidents corporels ont été évalués, à partir des éléments fournis par les assureurs, à 430 millions cependant que les accidents n’ayant provoqué que des dégâts matériels ont coûté 13,45 milliards.

Dans l’évaluation, notamment en ce qui concerne les décès et les blessures, nous intégrons ce qu’on appelle les coûts marchands directs – coûts des transports sanitaires, des secours, des premiers soins, des médicaments, des appareillages, de la rééducation, de l’aide à domicile, coûts funéraires, etc., auxquels s’ajoutent les coûts matériels : dommages causés aux véhicules, aux propriétés, aux personnes impliquées dans l’accident, à l’environnement, frais de remorquage, de police, d’incendie, jusqu’à la consommation de carburant induite par la congestion du trafic provoquée par l’accident ! Sont également pris en compte les frais marchands indirects – perte de production temporaire des personnes blessées, perte de production future des personnes décédées et de leur descendance potentielle – ainsi qu’un certain nombre de coûts non marchands : préjudice moral, pretium doloris, etc.

M. le président Armand Jung. Pour étayer nos conclusions et nos propositions, il nous serait surtout utile de connaître la part respective des assurances et de la solidarité nationale dans cette dépense de 24 milliards.

M. Louis Fernique. Les procédures de valorisation ne sont pas identiques. Je vous énumérais en gros ce qui a été pris en considération pour une évaluation qui est effectuée chaque année, après fixation – arbitraire, par décision politique et compte tenu de certains indices – des valeurs tutélaires : 1 250 000 euros par exemple pour un décès. Il n’y a là rien qui me permette de déterminer le coût des indemnisations par les assurances, connu d’elles seules.

M. Dominique Raimbourg. Me tromperais-je beaucoup si je disais que, sur les 8 milliards restant après la soustraction des 16 milliards d’indemnisation aux 24 milliards que coûte l’insécurité routière, à peu près la moitié correspond à la « valorisation » des décès, les 4 milliards restants étant supportés par la collectivité, notamment sous forme de dépenses de secours ?

M. Louis Fernique. L’estimation est, me semble-t-il, assez juste en première analyse. Tout au plus faudrait-il prendre également en considération, par exemple, les dommages matériels non déclarés qui échappent aux assurances, les parties impliquées réglant l’affaire par des versements de la main à la main.

Mme Barbara Berrebi. Je précise que les 26 % de 16 milliards ne correspondent qu’à l’indemnisation des sinistres mettant en jeu la responsabilité civile, en présence d’un tiers responsable, et non à l’indemnisation de la totalité des accidents corporels, qui peuvent aussi se produire en l’absence de tiers. Dans ce cas, ils sont cependant pris en compte dans les 16 milliards à condition que les intéressés soient couverts par un contrat individuel.

M. le professeur Djamel Bensmail, chef de service en médecine physique et de réadaptation à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches. Les traumatismes crâniens et les atteintes médullaires dont souffre la grande majorité des victimes d’accidents de la route soignés dans mon service entraînent un parcours de soin extrêmement long. Rien que la phase initiale – réanimation et rééducation – exige six mois à deux ans, voire davantage. Le coût de ces traitements est donc élevé : la journée d’hospitalisation avec réanimation revient à 1 500 euros et, avec rééducation, de 400 à 500 euros. À cela s’ajoute la dépense résultant des complications induites par le handicap : complications urinaires, fréquentes en cas d’atteintes médullaires, complications cutanées – le traitement de certaines escarres coûte entre 150 000 et 300 000 euros ! –, etc.

Se pose ensuite le problème d’une réinsertion professionnelle, qui n’est accessible qu’à un tiers des patients souffrant de traumatisme crânien grave, à deux tiers si le traumatisme est modéré. Mais, parmi ceux dont le traumatisme n’est que léger, 15 à 17 % encore seront dans l’incapacité de reprendre une activité. On imagine le coût pour la société, sachant qu’on compte de 120 000 à 150 000 cas de traumatisme crânien, dont 40 à 50 % provoqués par des accidents sur la voie publique ! Quant aux blessés médullaires, une enquête menée à la fin des années 1990 et au début des années 2000 a montré que, sur 75 % qui exerçaient une activité professionnelle avant leur accident, seuls 33 % la reprenaient : moins de la moitié !

La question des aidants familiaux est également préoccupante. Beaucoup de conjoints arrêtent de travailler, se privant ainsi de revenu, et finissent par s’épuiser à force d’assister le malade, souvent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. D’autre part, les procédures d’indemnisation sont souvent très longues et il arrive que des patients restent dans les services de rééducation jusque trois ou quatre ans durant, faute des moyens de se payer une aide à domicile.

Être tétraplégique ou paraplégique est une épreuve mais, quand on est de plus socialement défavorisé, la situation est littéralement catastrophique. Certains doivent prolonger des années leur séjour en rééducation faute de pouvoir faire adapter leur logement. Et ceux pour qui le retour à domicile est exclu se heurtent au manque de maisons d’accueil, d’unités de logement spécialisées ou de foyers de vie médicalisés.

Enfin, dans les années à venir, va se poser avec de plus en plus d’acuité le problème du vieillissement de cette population d’handicapés. Avec les progrès de leur prise en charge, leur espérance de vie s’est accrue mais leur vieillissement suit un cours tout à fait spécifique. Ainsi, pour un paraplégique, la dépendance totale intervient souvent dès l’âge de 55 ou 60 ans.

Mme Dina Freani, mère d’une victime. Mon fils unique a trouvé la mort sur la route, à 21 ans. Il était au volant d’un tracteur : deux mois auparavant, après avoir achevé ses études avec succès, il avait trouvé un emploi chez un viticulteur.

C’était en pleine saison des vendanges, en Alsace, le 5 octobre à seize heures trente, sur une route nationale à quatre voies, parfaitement droite. Un poids lourd est arrivé, le chauffeur n’a pas vu le tracteur ; il a percuté mon enfant qui a été tué.

Le décès est intervenu à dix-neuf heures trente. Nous avons été prévenus par un coup de téléphone à vingt-deux heures.

Nous croyions la vie belle. Nous étions une famille recomposée, à qui s’offrait une deuxième chance dans la vie. Tout allait bien. Nous avions une activité professionnelle, un foyer équilibré. Nous avions un enfant unique, qui avait reçu une bonne éducation et ne posait de problèmes d’aucune sorte. Il avait trouvé un travail dès la fin de ses études. Et puis, un jour, arrive un coup de téléphone. Vous vous retrouvez devant le corps inanimé de votre fils. Tout explose, tout bascule.

Le traumatisme psychologique a été tel, pour moi, que j’ai dû abandonner mon activité professionnelle – la sécurité sociale m’a placée en invalidité, au taux de 80 % – et je n’ai plus aucune activité associative, sociale ni sportive, non plus. Plus rien : tout est parti en éclats ce 5 octobre, à vingt-deux heures.

M. le président Armand Jung. Merci, madame, pour ce témoignage. J’ai tenu à ce que vous puissiez vous exprimer, au nom de tous ceux qui ont connu le même drame.

M. Jean-Pierre Freani, beau-père de la même victime. Pour réduire le coût économique des accidents de la route, il faut pouvoir en réduire le coût social et humain : cela suppose que tous ceux qui en ont été victimes aient les moyens de se reconstruire, afin de ne pas avoir à dépendre de la solidarité nationale.

Je ne m’appesantirai pas sur les problèmes financiers qui peuvent se poser : pour notre part, même s’il y a fallu de longs mois de négociation et si la procédure est encore en cours au bout de cinq ou six ans, l’assurance a accepté de nous indemniser, la justice ayant par deux fois reconnu la responsabilité pleine et entière du chauffeur routier dans l’accident. Mais tout de même…

Un soir, à vingt-deux heures, on nous a donc appris par un coup de téléphone le décès de notre enfant. De Strasbourg où nous résidons, nous nous sommes rendus à l’hôpital de Colmar, où se trouvait son corps. Nous l’avons vu. On nous a demandé de rentrer chez nous pour revenir le lendemain pour les démarches. C’est ce que nous avons fait, et on nous a ensuite envoyé en face, aux Pompes funèbres, alors que nous étions dans un état psychologique que vous pouvez imaginer et que nous n’avions pas dormi de la nuit. Là, condoléances puis, comme nous expliquons que nous n’avons pas de caveau à Strasbourg et que nous voulons enterrer l’enfant à La Ciotat dont nous sommes originaires : « Bien, monsieur. Ce sera 2 500 euros. Vous payez comment ? ». À la mairie de La Ciotat, nous nous enquérons d’une tombe : « Un trou dans la terre, quatre places. C’est 4 200 euros. Vous payez comment ? » Entre-temps, le service des pompes funèbres de Colmar avait acheminé le corps à La Ciotat. Au cimetière, un autre opérateur prend le relais : « C’est 1 500 euros. Vous payez comment ? ».

Je suis cadre supérieur, nous avons des moyens confortables mais je ne sais pas comment d’autres personnes peuvent faire face.

Dans de telles circonstances, assommé par ce qui vous arrive, vous êtes totalement seul. L’attitude des assureurs est parfois assez surprenante, je vais y revenir, mais je voudrais surtout, sans faire pour autant le procès de la Justice, souligner l’existence dans la procédure judiciaire d’une faille qui peut avoir des conséquences morales assez rudes.

Le 28 septembre 2007 – l’accident date d’octobre 2006 –, a eu lieu le procès en première instance, d’une remarquable équité. Nous étions présents, toutes les parties ont pu s’exprimer et hormis, de la part du représentant des assurances, un propos où le cynisme le disputait à l’ignoble, rien n’a prêté à critique. Le chauffeur du poids lourd, reconnu entièrement responsable comme je l’ai dit, a été condamné à vingt mois de prison, dont quatre fermes. Il a fait appel. Ce deuxième procès s’est tenu le 6 février 2008 mais nous n’en avons été informés que par hasard, quatre mois après, au cours d’une conversation avec une amie magistrate à la cour d’appel de Colmar ! Il y a là, dans la procédure, une absence de suivi déplorable. Interpellée, la cour d’appel nous a répondu que la présence des parties civiles était possible mais non obligatoire et que, si nous n’avions pas été informés, c’est que le greffier était débordé de travail.

Nous avons ensuite découvert les attendus du jugement : « Compte tenu des circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise et de la personnalité du prévenu, il apparaît que la peine d’emprisonnement prononcée en première instance est excessive en ce qui concerne la partie ferme ». Celle-ci a donc été annulée, mais ce n’est pas ce qui nous trouble : aucune sanction ne nous rendra le gamin. En revanche, nous avons été privés de la possibilité qui nous avait été offerte en première instance d’apporter au tribunal des éléments qui démontraient la responsabilité du chauffeur. Celui-ci avait dit avoir été aveuglé par le soleil : nous avons pu prouver que son véhicule était doté d’un dispositif anti-éblouissement, ce que le tribunal aurait ignoré sinon. Notre conseil a également signalé qu’il avait dépassé son temps de travail limite et n’avait plus de points sur son permis – j’ajoute que, tandis que notre enfant agonisait, il était encore resté neuf minutes dans sa cabine pour téléphoner à son employeur et à une entreprise de dépannage et que, deux heures après l’accident, il était reparti pour achever ses livraisons. Enfin, comme il prétendait que la route était sinueuse à cet endroit, nous avons dû fournir des documents et des photographies au Parquet pour prouver que c’était faux. Il est donc indispensable que la partie civile soit présente au procès – ou qu’à tout le moins, le parquet dispose de suffisamment d’éléments pour que bonne justice soit rendue.

M. le président Armand Jung. Ce problème juridique qui est venu se greffer sur une affaire déjà dramatique a fait l’objet de débats à l’Assemblée : avec M. Raimbourg et d’autres, j’ai défendu, lors de la discussion d’une proposition de loi de simplification du droit, un amendement visant à renforcer les droits des parties civiles. Par la voix de M. Karoutchi, le Gouvernement s’est déclaré disposé à rendre obligatoire leur information, s’agissant du procès pénal en appel.

M. le rapporteur. Les choses sont un peu plus compliquées… Le problème s’est posé aussi pour les cours d’assises d’appel et la réponse a été que les parties civiles ne pouvaient y intervenir que pour discuter des intérêts civils. Or il est des cas où l’indemnisation sur le plan civil dépend de la seule responsabilité pénale…

M. Dominique Raimbourg. Simple précision de procédure, M. Freani : vous n’aviez pas formé d’appel incident sur l’appel du prévenu ?

M. Jean-Pierre Freani. Non.

Me Laurent Hincker, avocat. Il y avait uniquement un appel au pénal, il n’y avait pas d’appel quant aux intérêts civils de la part du prévenu.

M. le président Armand Jung. Ce qui est choquant, c’est que, même si elle n’avait pas formé elle-même d’appel, la partie civile n’ait pas été prévenue de la tenue du procès en appel.

M. le rapporteur. C’était peut-être une erreur.

M. le président Armand Jung. Le problème est que ce n’est pas obligatoire : certains magistrats le font, d’autres non, faute de temps parfois. Ainsi apprend-on incidemment que la peine ferme à laquelle le présumé coupable avait été condamné en première instance a été commuée en sursis. C’est insensé !

J’ai déposé une proposition de loi sur cette question, qui fait consensus sur tous les bancs de l’hémicycle.

Mme Monique Fritz, présidente de l’association « Aide aux victimes des accidents de la route » (AIVAR). Il nous est difficile, à nous qui avons vécu la même chose, de prendre la parole après le témoignage de Mme et M. Freani.

Je vous remercie de penser aux victimes. N’est-ce pas logique dès lors qu’il ne s’agit au fond que d’en réduire le nombre ? Pourtant, on les place sous une chape de plomb. Sans doute leur parole est-elle trop gênante. Toutefois, notre expérience nous donne une forme d’expertise.

Ainsi avons-nous, mon mari et moi-même, créé l’Association Laurence Fritz, qui a beaucoup fait en matière de prévention, par exemple en intervenant à la télévision, en tenant des stands éducatifs, en s’adressant aux élus et aux décideurs. Tout cela pouvant désormais être considéré comme acquis dans notre région, c’est l’AIVAR, l’association d’aide aux victimes de la route, qui a pris le relais.

Il nous est difficile d’assister à des réunions comme celle-ci, où l’on parle de coûts et de statistiques. Car pour nous, la valeur de la vie humaine, au-delà de toute estimation monétaire, appelle le respect, notamment en matière de communication. Ainsi l’idée des « morts économisées » nous paraît-elle quelque peu étrange. De même, la mention usuelle et officielle d’une « barre » de quatre mille tués, chiffre politiquement correct, nous met très mal à l’aise : s’agit-il du tribut auquel le Minotaure de la route aurait droit ? Mais, en réalité, nous déplorons chaque année 125 000 victimes, y compris les victimes par ricochet : aux personnes décédées ou blessées il faut en effet ajouter les membres de leur famille, qui porteront ce traumatisme en eux leur vie durant. À nos yeux, il est donc essentiel que la notion de personne ne soit pas oubliée et que l’on ne s’en tienne pas aux statistiques.

Précisons par ailleurs que l’indemnisation est plus délicate en cas d’accident individuel qu’après un accident collectif, lequel fait l’objet d’un traitement différent, en premier lieu de la part des médias.

J’ai préparé à l’intention de la mission d’information un dossier dont je résumerai brièvement le contenu.

Il présente d’abord l’AIVAR, association indépendante qui accueille les victimes de la route – victimes directes ou par ricochet –, et organise à leur intention des groupes de parole et des activités collectives, par exemple des week-ends d’art-thérapie, afin de leur permettre de se reconstruire peu à peu, ce qui est beaucoup plus facile à plusieurs.

Le dossier inclut également des témoignages recueillis auprès des personnes qui ont pris contact avec l’association. Permettez-moi de citer quelques phrases tirées de l’un d’entre eux.

« Ce dimanche matin, dimanche comme tant d’autres, deux coups de sonnette nous sortent du lit. Je me lève, encore engourdie de sommeil et de rêves, je demande : “Qui est-ce ? — C’est la police. Nous venons voir M. X.” Je réponds que nous descendons. Dans le couloir froid, deux policiers en habit de travail nous saluent. L’un d’eux nous tend un morceau de papier découpé dans un brouillon de papier administratif utilisé, où on peut lire un numéro de téléphone. Le policier nous dit de téléphoner à ce numéro – celui de la gendarmerie d’un village alsacien. Je dis alors : “Ce sont les enfants ? Il est arrivé quelque chose ? Ils étaient sortis hier soir. Mais pourquoi devons-nous téléphoner à cette gendarmerie ? – Nous ne savons pas”, répondent-ils. Nous remontons, la tête vacillante, la gorge serrée. On se précipite sur le téléphone. Suit un long temps d’attente avant un contre-appel ; cela dure une éternité. Et, en effet, l’éternité nous attend au bout du fil, mais nous ne le savons pas. Puis le téléphone sonne enfin. Nous sommes assis sur le canapé, à l’endroit même où notre fille était assise la veille vers dix-huit heures trente, attendant un coup de fil de son fiancé pour partir. Notre interlocuteur nous dit : “Ils ont eu un accident. Votre fille est décédée. Son fiancé est blessé. Vous devez aller à neuf heures à la gendarmerie du village. Sincères condoléances.” Le malheur vient d’entrer dans notre vie, une vie paisible, riche d’un bonheur construit chaque jour. Je reste incrédule : comment y croire ? Je vois écrit “vingt-cinq ans” ; je vois que c’est court. Puis je ne sais plus. »

Le dossier souligne également d’autres aspects, dont le fait que, comme je l’ai dit, la prévention passe aussi par une communication respectueuse. « Vous roulez juste un peu vite ; vous l’avez juste un peu tué » ou « Vous avez juste oublié un clignotant ; il est juste un peu mort » : qui pourrait être fier de ces slogans ? Il s’agit d’une campagne officielle de la sécurité routière !

Un autre document énumère ce qui a déjà été fait. Il mentionne notamment le numéro national de l’INAVEM. D’autre part, nous avons réfléchi aux modalités de l’annonce du décès : comment peut-on apprendre par un simple coup de fil que son enfant est mort dans un accident de la route ? Nous nous sommes donc tournés vers les services de police et de gendarmerie, qui ont bien voulu nous entendre : ils travaillent désormais en partenariat avec notre psychologue et à la lumière de notre expérience du terrain. Il s’agit d’une belle réussite ; nous leur en savons gré, car nous savons que leur rôle n’est pas facile.

Nous avons enfin publié un guide, « L’accident de la route : quels droits, quelles aides ? », qui en est à sa deuxième édition. Nous en avons envoyé un exemplaire aux rédacteurs du guide d’accompagnement juridique des victimes de la route. Je regrette qu’ils ne nous aient pas ajoutés à la liste des associations qu’ils y ont dressée.

S’agissant enfin de ce qu’il reste à faire, le 26 octobre 2005, l’ONU a invité ses États membres à célébrer la journée mondiale du souvenir des victimes des accidents de la route. Parce que le problème est mondial, nous devrions, comme chaque État membre, mener cette importante action de communication au niveau national.

En outre, nous avons demandé que soit prolongé le congé officiel de trois jours accordé aux parents d’une personne tuée sur la route. Voici la réponse que j’ai reçue d’un chef de bureau : « Un décès est une affaire strictement personnelle et familiale, que l’administration prend néanmoins en compte en autorisant l’agent à s’absenter pour assister aux obsèques et accomplir toutes les démarches nécessaires. L’affliction et la peine s’estompent et se guérissent avec le temps […]. » Cette réponse est citée dans le dossier.

Notre association a reçu plus de deux cents personnes. Nous avons développé une expertise de terrain qui concerne la police, la gendarmerie, les hôpitaux, les tribunaux. Le document que nous vous avons transmis en fait état et énonce nos propositions de manière claire et précise.

Pourtant, il nous est particulièrement difficile de nous faire entendre. Des trente et un responsables nationaux à qui nous avons adressé ce document, neuf en ont accusé réception ! Mais tous ont fait suivre, qui à un collègue ministre, qui au service ou à l’organisme censé être compétent – hormis la cour d’appel de Colmar, qui ne nous a pas compris et a répondu qu’elle ne pouvait pas nous accorder de subvention. En somme, tout le monde se débarrasse de la patate chaude ! Nous n’avons pas de véritable interlocuteur.

M. le président Armand Jung. Voilà pourquoi, plutôt que de vous répondre moi aussi par un accusé de réception, j’ai préféré, Madame, vous donner officiellement la parole dans le cadre de cette Mission d’information. J’ajoute que le dossier que vous venez d’évoquer a déjà été versé à nos travaux. En effet, c’est la seconde fois que vous êtes auditionnée par la Mission, après une première rencontre à Strasbourg.

Mme Monique Fritz. Il s’agissait plutôt alors de prévention.

M. le président Armand Jung. Quoi qu’il en soit, le rapporteur et moi-même avons tenu à ce que vous vous exprimiez par deux fois devant la représentation nationale.

Mme Monique Fritz. Je vous en remercie.

M. Vincent Julé Parade, vice-président de l’association « Victimes et citoyens contre l’insécurité routière ». Notre association œuvre à la fois pour l’aide aux victimes et pour la prévention des accidents de la route.

Le coût économique des accidents a été fort bien analysé par des intervenants beaucoup plus compétents que moi. J’ajoute toutefois que lorsqu’un jeune de vingt ou vingt-cinq ans meurt sur la route ou s’y trouve grièvement blessé, cela réduit brutalement à néant les espoirs que la société tout entière plaçait en lui et l’investissement concret que ces espoirs avaient favorisé et que la société avait consenti. Un haut gradé de l’armée a ainsi souligné devant nous le coût de l’accident qui frappe un futur pilote de chasse, dont la formation est extrêmement onéreuse. Cet aspect du coût des accidents est rarement évoqué.

Quant au coût social, j’ai beaucoup apprécié la conclusion de Mme Hours : les accidents de la route sont un facteur aggravant de l’inégalité. De fait, il ressort de notre travail quotidien avec les victimes une inégalité flagrante face aux accidents, qu’il s’agisse de l’accueil immédiat, de l’accompagnement auquel les victimes ont droit ou de leur avenir. Ainsi, la répercussion sociale d’un accident diffère selon que l’on appartient ou non à une famille favorisée. Face à une tétraplégie, à un handicap particulièrement lourd, des parents défavorisés ne pourront réagir de manière appropriée, ne serait-ce que du point de vue relationnel.

Revenons à l’assistance immédiate, évoquée par Mme Fritz et par M. Freani. Nous le constatons, nous qui accueillons vingt-quatre heures sur vingt-quatre des victimes d’accidents de la route : si, quant à la lettre, la France a su se doter d’une charte d’accueil des victimes en milieu hospitalier, sur le terrain, ce texte n’est pas appliqué – faute de moyens, bien souvent, plutôt que par mauvaise volonté. Combien de parents, parmi ceux que nous accueillons, sont reçus aux urgences, entre deux distributeurs de boissons, par un interne débordé ? Les personnels soignants ne sont pas en cause, mais bien plutôt, je le répète, le manque de moyens.

De même, le décès est le plus souvent annoncé à la famille à domicile par les représentants de l’ordre public, lesquels repartent rapidement parce qu’ils considèrent que leur mission est accomplie et parce qu’ils ne savent comment réagir aux effets de leur démarche. Il faut donc mieux former les services de police et de gendarmerie, ainsi que les personnels soignants urgentistes.

En outre, l’accident jette bien souvent les familles dans les dédales d’un système judiciaire qu’elles ignoraient jusqu’alors totalement. C’est l’un des intérêts du guide que nous proposons. Parce que votre enfant a été victime d’un accident grave, vous découvrez soudain la différence entre l’action pénale et l’action civile, sans bien comprendre d’ailleurs pourquoi vous êtes parfois devant le juge civil, parfois devant le juge pénal. Autre question : est-on tenu de faire appel à l’accompagnement juridique proposé par son assureur ? Voilà un point sur lequel les familles sont souvent mal informées. Or, elles ont le droit de savoir qu’elles sont autorisées à recourir à une expertise indépendante.

M. le président Armand Jung. Pourriez-vous transmettre à la mission un exemplaire de ce guide ?

M. Vincent Julé-Parade. Volontiers.

S’agissant du rapport du groupe de travail réuni par la Chancellerie afin de mieux accompagner les victimes de la route, plusieurs points méritent d’être soulignés. D’abord, l’information immédiate doit être pertinente et synthétique. Les associations réalisent des plaquettes d’information, mais tous les commissariats, toutes les gendarmeries n’en disposent pas ; ne faudrait-il pas réfléchir à un outil plus simple et plus systématique ?

Quant à l’accompagnement au cours de la procédure, il a été proposé de créer des cellules spécialisées dans le contentieux routier. On touche là à un autre aspect de l’inégalité entre victimes de la route : selon la juridiction qui instruit le dossier, les magistrats connaîtront plus ou moins bien ce domaine juridique, particulièrement pointu et technique. Pour mesurer l’importance de la spécialisation des magistrats, il n’est que de comparer, dans un autre domaine, les décisions rendues en matière de procédure par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui n’est pas spécialisée, et celles de la deuxième, qui l’est.

J’en viens à la place de la victime en instance pénale. Dès la première instance, une mesure simple permet souvent d’apaiser la souffrance et la frustration qu’a exprimées M. Freani : le président peut donner la parole à la partie civile, et non simplement à son conseil. Il s’agit d’un usage, non d’une obligation ; mais cela donne aux victimes le sentiment d’être entendues.

En ce qui concerne l’indemnisation, la fameuse nomenclature Dintilhac – du nom du président de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui l’a établie – est de plus en plus utilisée par les juridictions du fond. Ne peut-on aller plus loin ? Le groupe de travail appelle ainsi de ses vœux un décret tendant à généraliser son usage. Cela permettrait d’identifier plus clairement les postes de préjudices réparables.

J’évoquerai enfin un cas problématique, qui résulte du régime d’indemnisation défini par la loi Badinter du 5 juillet 1985. Il s’agit du statut du conducteur victime. Actuellement, la garantie du conducteur n’est qu’une option du contrat d’assurance. Ainsi, nous sommes quotidiennement témoins de la situation dramatique dans laquelle se trouvent de jeunes conducteurs qui se sont « plantés » tout seuls et qui ne bénéficient donc d’aucune indemnisation, ce qui compromet leur réinsertion sociale. Ce problème s’était déjà posé aux rédacteurs de la loi de 1985, notamment au professeur Tunc. Il faudrait donc s’efforcer de ne plus faire de différence entre la victime conducteur et la victime non-conducteur, tout en conservant la clause d’exonération en cas de faute inexcusable et cause exclusive de l’accident.

Je transmettrai une note écrite à la Mission d’information.

Me Laurent Hincker, avocat. On l’a dit, la loi Badinter indemnise, mais répare rarement. Voilà qui étonne le spectateur – faussement naïf – de l’appareil judiciaire que je suis. Comment remédier aux limites de ce texte ? Comment réparer au-delà de l’indemnisation ? Tel est aujourd’hui l’enjeu. Ainsi, les victimes d’un accident causé par un tramway circulant sur une voie qui lui est propre ne sont pas automatiquement indemnisées, ce qui peut paraître incongru, par exemple lorsque l’accident survient dans une cour urbaine, où il peut être difficile de distinguer la voie propre du trottoir.

D’autres problèmes sont posés par les délais d’indemnisation, évoqués par M. Freani : il faut parfois attendre plusieurs mois la première provision, ce qui oblige à avancer de l’argent. Les choses s’aggravent lorsque les victimes osent aller jusqu’au procès. Car l’indemnisation est censée éviter le procès : telle est la position des assurances. En outre, les experts d’assurances ne sont pas indépendants, puisqu’ils sont payés par l’assureur. Cette absence d’un expert indépendant au côté des victimes relance un débat fondamental : celui qui oppose la procédure accusatoire, selon laquelle chacun serait assisté d’un expert indépendant, au recours à des experts supposés compétents au motif que leur nom figure sur une liste.

Ces violences institutionnelles s’ajoutent à la violence initialement subie par les victimes. Je songe à cette personne qui, après le décès de son enfant, a trouvé une proposition d’indemnisation griffonnée sur un papier glissé dans sa boîte aux lettres. Il en résulte une immense frustration.

En outre, les victimes ont rarement accès au dossier pénal par le biais des assurances, ce qui les conduit à faire appel à un avocat. Sans compter la manière dont l’appareil judiciaire, débordé, règle le litige. Je songe à cette famille qui est venue me trouver la semaine dernière : lors de la médiation pénale qui lui avait été proposée, le chauffard qui avait renversé son enfant – ne fracassant heureusement que son casque – avait été incapable de formuler ne serait-ce qu’une parole d’excuse. Voilà pourquoi cette famille voulait un procès. Dans un cas comme celui-là, ce n’est pas la victime directe qui est en jeu, mais bien les victimes par ricochet, littéralement fracassées sur le plan psychique.

Nous voilà reconduits au fameux syndrome post-traumatique, qui n’est reconnu en France ni par les experts ni par les médecins. Heureusement, le préjudice d’anxiété défini par la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’amiante nous fournit une échelle utilisable.

Le procès peut donc être justifié par sa vertu cathartique, à condition, naturellement, d’être bien mené. M. Freani a évoqué un procès exemplaire en première instance – n’était l’intervention de l’avocat de la compagnie d’assurance, qui a accusé la grand-mère de profiter du décès de son petit-fils pour réclamer une indemnité !

Pour éviter de telles situations, nous considérons, à la lumière de notre pratique professionnelle, qu’il faut distinguer le procès pénal de la considération des intérêts civils, y compris en cas de décès, au lieu de les confondre dans une même procédure, comme on le fait généralement aujourd’hui – sauf en cas de préjudice corporel, où les deux aspects sont dissociés et où l’affaire revient souvent devant le tribunal après expertise.

M. le rapporteur. Ce n’est pas lors d’un décès que l’affaire revient après expertise, mais en cas d’incapacité permanente partielle de travail, par exemple.

Me Laurent Hincker. Je veux simplement dire qu’en faisant cette distinction, on épargnerait aux victimes ces violences institutionnelles que leur infligent des avocats d’assurances d’abord soucieux de défendre les intérêts de leurs mandants.

Dans le cas dont nous parlons, en présence de grands-parents qui venaient de perdre leur petit-fils, un tel débat, jurisprudentiel et technique, était indécent. L’audience devant le tribunal correctionnel de Colmar avait pourtant été, je le répète, extraordinaire. Toutefois, peu de temps auparavant, à Saverne, le juge demandait à des parents désireux d’être entendus si, pour formuler une telle requête, ils avaient été témoins de l’accident qui avait coûté la vie à leur enfant ! La fonction cathartique de la justice ne suppose-t-elle pas que la parole puisse réparer ? Le tribunal n’est pas seulement un lieu où l’on fait du droit ; c’est un lieu où l’on devrait rendre la justice. Mais cela nous renvoie de nouveau à l’alternative entre système accusatoire et système français.

J’ai créé en 1982 la toute première association française d’aide aux victimes, qui a été l’une des associations fondatrices de l’INAVEM. Celui-ci est aujourd’hui une institution. Mais, pour faire leur travail, les associations membres de ce réseau doivent être de véritables fourmis d’administration qui ne cessent de courir après les subventions. Elles ont 30 millions d’euros pour assister les 300 000 victimes qu’elles accueillent chaque année. Que l’on fasse le compte : cela ne représente que 300 euros par victime assistée.

On assiste parallèlement à l’émergence d’associations de défense des victimes – ce qui n’est pas la même chose que l’aide aux victimes. Ces associations ne sont pas institutionnalisées et manquent de moyens. Pour les financer, il faudrait que, en sus des amendes, les auteurs d’infractions acquittent une contribution financière, comme cela se pratique au Québec, afin que l’aide aux victimes ne soit pas seulement à la charge de la collectivité mais dépende de ce que les Québécois appellent la justice restaurative, qui associe l’auteur, la victime et le corps social. Le produit de cette contribution serait directement affecté aux associations d’aide aux victimes ou de défense des victimes.

La prise en considération du préjudice suppose en outre la formation de magistrats spécialisés. Je rappelle, sans vouloir pratiquer l’amalgame, que la remarquable loi du 9 juillet 2010 sur les violences conjugales, qui prévoyait une formation de tous les acteurs concernés, n’est pas appliquée sur ce point car le rapport sur lequel devait se fonder cette formation n’a pas été déposé en juin 2011 comme il aurait dû l’être.

Enfin, pour remédier au morcellement que tous dénoncent, il faudrait envisager un lieu de coordination, une sorte de guichet unique qui permettrait aux victimes de mener leurs démarches plus sereinement.

M. le président Armand Jung. Je vous suggère de nous communiquer par écrit, en termes très précis, les modifications législatives ou réglementaires que votre expérience et votre compétence professionnelles vous conduisent à nous proposer.

M. Michel Vilbois, sous-directeur de l’action interministérielle, Délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR). Dans le domaine qui nous occupe ce matin, l’action de la DSCR porte plus particulièrement sur l’amélioration de l’accueil et de l’information des victimes ; avec nos partenaires, notamment associatifs, nous avons élaboré un guide de l’accompagnement juridique des victimes de la route, dont il a déjà été question et que je vous remettrai.

La prise en considération des victimes est à la fois un problème de sécurité routière et un enjeu de société. De quoi parlons-nous ce matin ? De la qualité de l’accueil dans les services publics ; de la place des victimes et de leur famille dans la procédure judiciaire ; de la manière de prendre en charge les blessés et leurs familles pour leur permettre de retrouver une vie normale. Autant de questions irréductibles au seul domaine de la sécurité routière.

En ce qui concerne l’annonce d’un décès ou de blessures graves, l’application de la charte de 2002 dépend naturellement de la formation des personnels. Nous y travaillons notamment avec les services de police et de gendarmerie. On l’a dit, leur fonction n’est pas facile. Y a-t-il une bonne manière d’annoncer une très mauvaise nouvelle ? Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas mieux former les jeunes policiers et les jeunes gendarmes.

Au-delà de cette charte, plusieurs intervenants l’ont dit, nous travaillons avec plusieurs associations afin de coordonner, avec l’INAVEM, les initiatives en matière d’information des familles. Notre guide d’accompagnement juridique est le fruit d’un travail mené avec dix-sept associations de victimes. Assurément, elles pourraient être plus nombreuses encore ; du reste, le panel, déjà relativement large, a vocation à évoluer, et la contribution de l’Association Laurence Fritz sera naturellement prise en considération.

Cet outil reconnu doit être largement diffusé. 30 000 exemplaires sont disponibles et, surtout, le guide est accessible en ligne afin que tous les services concernés puissent s’y référer.

Enfin, madame Fritz, nous ne pouvons nous satisfaire du chiffre de 4 000 morts. Notre objectif est de réduire le nombre de personnes tuées sur les routes, comme les pouvoirs publics l’ont fait depuis 1972, année la plus meurtrière. On ne peut parler d’un droit à un nombre donné de morts, seulement d’une obligation de réduire ce nombre.

Ma collègue Laurence Derrien-Lallement l’a dit hier matin, la communication sur ce sujet est complexe et sensible. Nous avons aussi réalisé une campagne sur les 12 000 vies sauvées grâce à l’évolution favorable du comportement des Français. Quant à la campagne « Juste un peu », je regrette qu’elle ait pu être mal comprise ; il s’agissait au contraire de montrer qu’il n’y a pas de petit excès de vitesse en ville : en roulant à soixante kilomètres-heure en agglomération, on peut tuer un piéton, un enfant, une personne âgée. Voilà qui confirme qu’il faut toujours remettre l’ouvrage sur le métier.

M. le rapporteur. J’aimerais poser une question aux assureurs et au représentant du FGAO. Nous partageons évidemment le point de vue que vient d’exprimer M. Vilbois : on ne peut parler d’un droit à 4 000 tués et à plusieurs dizaines de milliers de blessés. Cela étant, quel est votre avis sur le propos qu’on nous a tenu hier, à savoir qu’il n’y a plus de marge de progrès du côté des conducteurs raisonnables et qu’il faudrait donc s’attaquer au « noyau dur », c’est-à-dire aux chauffards – ce qui est bien sûr plus compliqué ?

M. Lionel Tardy. Monsieur Werner, les parlementaires ont longuement débattu du permis à points et de son allègement. Certains d’entre eux ont fait valoir que le nombre de personnes conduisant sans permis risquait d’augmenter si le système actuel était maintenu.

Vous avez dit tout à l’heure que la conduite sans permis ne résultait guère de l’invalidation du permis à points : elle concerne plutôt des personnes qui n’ont jamais passé le permis ou qui ne l’ont plus depuis longtemps. Or, selon les chiffres que la gendarmerie nationale nous a fournis, parmi les personnes contrôlées, 17 252 conduisaient sans permis en 2006, 20 356 en 2010. Ces mêmes chiffres diffèrent des vôtres en ce qui concerne les personnes conduisant après une invalidation de leur permis, c’est-à-dire alors que leur solde de points est nul : elles auraient été 2 827 en 2006, 6 356 en 2010. Comment expliquer cette évolution alors que le nombre des rétentions a baissé ?

D’autre part, l’idée de vérifier la souscription d’une assurance au moment de l’achat du véhicule constitue une piste très intéressante. Car en la matière comme dans les situations d’addiction, dont nous avons parlé hier, il faut prévenir plutôt que guérir.

M. le rapporteur. Mais cela ne résout pas le problème du stock !

M. Dominique Raimbourg. Je m’adresserai d’abord, à la fois, aux représentants des compagnies d’assurance et à M. Bensmail.

Beaucoup déplorent l’absence d’un corps d’experts indépendants, non missionnés par les compagnies d’assurance. Seul l’expert auprès du tribunal fait exception. N’aurait-on pas intérêt à créer un tel corps ? Certes, cela aurait un coût, mais peut-être apaiserait-on ainsi le climat ambiant et les victimes elles-mêmes, qui regrettent de n’être assistées que par un expert proche de l’assureur. D’autre part, une personne qui a contribué à administrer les soins ne pourrait-elle apporter son concours à l’expertise ? Cela permettrait de résoudre le problème mentionné par Mme Hours : l’absence d’un généraliste qui coordonne les interventions des différents spécialistes.

Ma deuxième question s’adresse aux seuls assureurs. La Sécurité sociale intervient nécessairement dès lors que l’accident de la route est aussi un accident du travail, et elle applique à la même blessure un barème différent du vôtre. Cela pose-t-il un problème ?

Ma troisième question est prospective. Comment protéger les conducteurs de deux-roues motorisés ? En bridant les moteurs ? En réduisant la vitesse autorisée ? Il ne s’agit que de pistes, car on sait que de telles mesures sont très impopulaires dans cette catégorie de population.

Mme Françoise Hostalier. Je souhaite revenir sur le témoignage des parents de victimes. Ce que vous avez dit, mesdames, monsieur, m’a profondément bouleversée ; j’étais loin d’imaginer une telle inhumanité. Il est de la responsabilité de la représentation nationale de mettre fin à ces violences institutionnelles, dénoncées par Me Hincker.

Je travaille depuis longtemps sur la maltraitance des enfants et sur les violences faites aux femmes, également évoquées par Me Hincker. Nous sommes parvenus à créer un numéro vert et à accélérer la prise en charge des victimes grâce à une formation spécifique des forces de police et de gendarmerie et à un relais associatif devenu quasi immédiat, par exemple lorsqu’il s’agit de soustraire une femme battue à son milieu. Je suis donc très surprise que la prise en charge des victimes des accidents de la route, accidents auxquels nous sommes tous exposés, demeure aussi lacunaire.

D’autre part, qu’en est-il de la prise en charge des auteurs d’accidents ? On a parlé de la violence volontaire infligée par les mauvais conducteurs, mais le risque de causer un accident de la route n’épargne lui non plus personne : un assoupissement au volant, un instant d’inattention peuvent suffire à faire de tout un chacun un criminel. Et cela aussi peut gâcher une vie.

Je suis également très surprise des lacunes en matière d’assurance que révèle le témoignage de M. Freani. À quoi sert de souscrire des contrats d’assurance si, lorsqu’un accident survient, on est totalement démuni, réduit à avancer les sommes nécessaires au rapatriement du corps de son enfant ? S’il existe, comme on l’a dit, un seuil de toxicité des démarches, n’est-ce pas aux assureurs d’éviter à leurs clients de l’atteindre ?

En outre, ne faudrait-il pas vérifier lors des contrôles non seulement l’assurance du véhicule, mais aussi celle du conducteur lui-même ?

Enfin, l’estimation du coût d’un accident est-elle la même pour un accident de la route et pour les autres types d’accidents – accident du travail ou de la vie, par exemple ?

M. François Werner. La question de M. le rapporteur est délicate, car nous ne pouvons nous fonder que sur notre sentiment et sur l’observation de la population des non-assurés, qui constitue une catégorie particulière. Mais je répondrai plutôt par l’affirmative : il existe en effet une population résiduelle très dangereuse que les campagnes de prévention peinent à atteindre.

En ce qui concerne le permis à points, le nombre de personnes qui perdent leur permis est d’environ 75 000 par an. La durée d’invalidation du permis étant de six mois lorsque le solde de points a été ramené à zéro, cela revient à un stock moyen de 37 000 personnes, ce qui n’est pas très élevé. Les chiffres issus des constats de police établis lors des contrôles routiers sont assez fluctuants, comme le montrent les statistiques de la sécurité routière, car ils dépendent également de la politique de répression en vigueur. Mais les constats consécutifs à un accident corporel, plus systématiques, ne témoignent pas d’une augmentation considérable du nombre de conducteurs sans permis.

N’oublions pas que tous les conducteurs qui ont perdu leurs points n’en informent pas leur assureur, si bien que celui-ci couvre généralement son client, surtout lorsque le sinistre est mineur. Ces conducteurs ne sont donc pas comptabilisés.

Nous proposons pour notre part que l’on vérifie grâce au fichier des cartes grises que chaque carte grise correspond à un contrat d’assurance.

Je précise à l’intention de Mme Hostalier qu’en principe, un conducteur qui monte dans un véhicule assuré est lui-même couvert, sauf cas particulier lié à une fausse déclaration au moment de la souscription du contrat.

Mme Françoise Hostalier. Mais que se passe-t-il si le propriétaire d’un véhicule, qui l’a assuré, le prête à un étranger et que celui-ci a un accident ?

M. François Werner. Si cette personne a un permis de conduire valide, elle sera couverte.

Mme Barbara Berrebi. J’ajoute que, dans le cas contraire, la déchéance de garantie n’est pas opposable aux victimes. La victime sera donc indemnisée. Libre à l’assureur de former ensuite un recours contre le conducteur. Mais, le véhicule étant assuré, c’est à l’assureur du véhicule qui cause l’accident de prendre l’indemnisation en charge.

M. Dominique Raimbourg. Je crois que Mme Hostalier fait référence au cas d’un conducteur qui se blesserait seul et qui n’aurait pas souscrit de garantie individuelle accident : ce conducteur n’est pas assuré.

Mme Barbara Berrebi. En effet.

Mme Martine Hours. C’est un problème grave. L’absence de garantie du conducteur est responsable de véritables drames humains.

M. Dominique Mignot. Monsieur Raimbourg, de nombreux travaux attestent des comportements à risque chez les jeunes conducteurs de deux-roues motorisés. On a réfléchi aux moyens de les protéger, par exemple par des airbags ventraux. Ces questions seront sans doute évoquées au cours de la table ronde qui sera consacrée à ce sujet.

Quoi qu’il en soit, pour en revenir à la dimension économique, peut-être faut-il changer de point de vue dès lors que ces conducteurs et, plus généralement, les jeunes sont en jeu. Plutôt que de se focaliser sur le nombre de morts et de blessés, il s’agirait d’insister sur le nombre d’années de vie en bonne santé préservées. Cette logique existe en économie de la santé et bien des pays l’appliquent déjà au domaine des transports. En faisant de même, nous nous intéresserons naturellement aux jeunes, puisque c’est dans leur cas que l’enjeu est le plus élevé, et nous nous concentrerons sur les accidents les plus graves.

M. Louis Fernique. À propos de la conduite sans permis, beaucoup de chiffres divergents circulent. Certains, liés à différents points de vue, présentent un intérêt propre ; d’autres sont totalement fantaisistes.

À l’ONISR, nous nous efforçons, à partir des statistiques de l’accidentalité, qui fournissent des indications assez fiables sur le permis de conduire et l’assurance de chacun des conducteurs impliqués dans un accident corporel, de reconstituer le taux de prévalence de la conduite sans permis et de la conduite sans assurance dans la population totale. Nous cherchons également à en connaître les raisons : si l’on conduit sans permis, est-ce parce qu’on l’a perdu, parce qu’on ne l’a jamais passé ? Notre travail statistique se fonde sur l’observation des seconds conducteurs, c’est-à-dire des conducteurs non responsables, impliqués par hasard dans l’accident : ils nous servent de pseudo-échantillon.

Il ressort des résultats que nous publions chaque année – les chiffres pour 2010 seront disponibles sous peu – que la population générale compte quelque 450 000 conducteurs sans permis. Parmi eux, 20 % environ, soit 90 000 personnes, ont perdu leur permis, que celui-ci ait été suspendu ou leur ait été retiré ; 9 % ne sont pas titulaires du permis correspondant à la catégorie de véhicule qu’ils conduisent ; enfin, 70 % ne détiennent aucun permis, soit qu’ils ne l’aient jamais obtenu, soit qu’ils ne l’aient même jamais passé. Au-delà de cette tripartition, cette population recouvre des catégories très diverses, des personnes qui circulent très peu, parce qu’elles redoutent un contrôle, à celles qui conduisent au contraire beaucoup. Nous venons d’entamer une étude, dont les résultats seront disponibles dans un an, sur les raisons pour lesquelles certains circulent sans aucun permis.

Le nombre de conducteurs sans assurance est sensiblement identique, puisqu’il représente 2,2 % des conducteurs, soit environ 450 000 personnes encore. Naturellement, les deux catégories se recoupent en partie : 1,6 % des conducteurs assurés et environ 32 % des conducteurs non assurés conduisent sans permis.

Ces chiffres, issus d’une estimation à partir d’un échantillon relativement réduit, apparaissent toutefois comme les plus plausibles. Les chiffres en millions qui circulent sont totalement infondés.

M. le président Armand Jung. Merci d’avoir été aussi précis, monsieur Fernique. Les chiffres que nous avons entendus jusqu’à présent allaient du simple au double ou au triple, voire davantage. Or nous devons nous fonder sur les données les plus réalistes, sans quoi nos travaux risquent de rester lettre morte.

Me Laurent Hincker. M. le rapporteur se demandait comment résorber le noyau dur des délinquants qui ne sont sensibles ni à la pacification, ni aux slogans de prévention. Il s’agit, comme dans d’autres domaines, de passage à l’acte violent : on parle de violences routières comme on parle de violences conjugales, et les délinquants sont souvent les mêmes.

Il est possible de travailler avec ces personnes, à condition de les repérer très tôt et de pratiquer la tolérance zéro lorsque leur pathologie se manifeste pour la première fois – c’est souvent quand ils brûlent un feu rouge, ce qui n’est pas un délit mineur. Cette prise en charge suppose toutefois que l’on dispose d’experts indépendants, compétents en la matière. Ils sont malheureusement rares en France, mais ils existent : je songe à des universitaires avec lesquels je travaille et qui connaissent bien ces cas de passage à l’acte délictueux, qui, au-delà de l’homicide involontaire, constituent des actes de violence contre autrui ou contre soi-même. Ainsi l’association Regain, à Strasbourg, spécialisée dans les violences conjugales, prend-elle en charge à la fois les victimes et les auteurs.

M. le président Armand Jung. Madame Freani, madame Fritz, souhaitez-vous répondre à Mme Hostalier ?

Mme Françoise Hostalier. Je me bornais à une constatation, monsieur le président : j’ai été très touchée et très surprise par le témoignage de M. et Mme Freani. Il ne faut plus que les choses se passent ainsi et les propositions que nous formulerons dans notre rapport doivent y concourir.

Je fais partie de la commission de la défense nationale. Lorsque nous déplorons des blessés graves ou des morts, notamment en Afghanistan, leurs familles sont immédiatement prévenues et prises en charge. Le contexte est très différent ; mais l’inhumanité avec laquelle vous avez été traités, madame, monsieur, est inconcevable.

M. Jean-Pierre Freani. Je vais vous raconter de manière très factuelle ce qui est arrivé.

L’accident est survenu à 16 heures 45. À 22 heures, nous avons été prévenus, non par la gendarmerie, mais par l’employeur de notre fils. Je ne fais pas le procès de la gendarmerie française, mais les gendarmes ne nous ont jamais informés d’un accident qui avait eu lieu à quatre-vingt-quinze kilomètres de chez nous, alors que nous sommes dans l’annuaire et que nous sommes bien connus à Strasbourg.

Nous avons alors appelé l’hôpital de Colmar, distant de soixante-dix kilomètres. Nous n’avons pu être renseignés immédiatement. Puis l’on nous a dit que l’on ne pouvait nous répondre par téléphone : nous devions nous rendre aux urgences de l’hôpital. Nous y sommes arrivés vers 23 heures. C’était une nuit froide d’octobre. Nous nous présentons à l’accueil ; tout le monde s’en va, tout le monde nous fuit.

Arrive un interne qui venait de prendre son service ; il nous conduit dans une salle nue – une table, deux chaises – et nous dit : « J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Votre enfant est décédé. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’a pas souffert. Je viens de prendre mon service : je ne peux pas vous donner d’autres renseignements. » Une infirmière arrive, lui demande quelque chose ; il sort pour lui répondre ; nous devons aller le chercher.

Nous étions déjà assommés. Mon épouse a eu une crise ; il lui a proposé des médicaments, qu’elle a refusés. Il allait partir ; nous avons demandé à voir le corps. « Attendez, il faut le préparer. » Nous avons attendu là, dans cette salle nue, environ un quart d’heure. Quelqu’un – un infirmier – est venu nous chercher. Nous sommes montés au premier étage. On nous a fait entrer dans une salle rectangulaire : une chaise, une table, et un corps. Et vous, vous êtes là.

Au bout d’un quart d’heure, on vient voir si vous êtes toujours là. Puis, de nouveau, au bout d’une demi-heure. Alors vous partez. Nous sommes sortis par une petite porte ; nous sommes rentrés chez nous.

Avant que nous ne partions, on nous avait dit qu’il faudrait déclarer le décès le lendemain.

Voilà les faits.

Vous l’avez dit, madame : on se croit assuré, mais rien n’est prévu. Notre mutuelle nous a indemnisés quelques semaines plus tard. Notre situation était particulière, car, comme je vous l’ai dit, nous avons enterré le gamin à La Ciotat. Mais le montant de nos débours, demandé par notre assureur, était de 18 000 euros. Comme il a commencé à chicaner sur les détails, nous n’avons pu nous mettre d’accord avec lui. Nous avons été indemnisés pour partie trois ans plus tard. Il se trouve que nous avions les moyens d’avancer ces sommes ; je me mets à la place de ceux qui ne les ont pas.

Je ne fais pas non plus le procès des assurances, mais je constate que l’assureur est informé assez rapidement des circonstances de l’accident par le système Trans-PV. Il peut donc savoir rapidement qui est responsable et évaluer la responsabilité de son client.

Mme Barbara Berrebi. Non.

M. Jean-Pierre Freani. Notre assureur nous a contactés au bout de dix jours pour nous proposer un rendez-vous. Il nous a certifié que la compagnie prendrait en charge tous les frais liés à l’accident et aux obsèques, mais a précisé que nous devions collationner toutes les factures. C’était compréhensible. C’est ce que nous avons fait, toujours, je le rappelle, dans un état somnambulique.

Lorsque nous avons présenté les factures, on nous a fait remarquer que nous avions fait passer deux avis de décès dans la presse, l’un à Strasbourg, où nous habitons, l’autre à Rouffach, où notre gamin travaillait. « Vous comprenez, 450 euros… » Nous avons commencé à nous demander ce qui se passait.

Me Hincker a évoqué le procès. Je me souviens parfaitement de ce qui s’est dit alors. J’ai dit tout à l’heure que le représentant de la compagnie d’assurance avait eu un comportement ignoble : voici pourquoi. Nous avons été obligés – parce qu’on nous a tué un gamin ! – d’acheter un caveau de quatre places à La Ciotat. Nous avions le choix entre l’incinération, la fosse commune et ce trou bétonné dans la terre, de deux mètres sur un mètre, dans lequel on peut mettre quatre cercueils. Nous n’y sommes pour rien ! Cela coûtait 4 200 euros. En plein procès, l’assureur nous dit : « Je vous paie une place, 1 000 euros ; pour le reste, vous essayez d’escroquer l’assurance : vous vous êtes mis d’accord avec vos beaux-parents pour leur payer leur future sépulture ! »

C’était inacceptable. Voilà pourquoi nous sommes allés au conflit. Et nous avons été indemnisés, mais en partie seulement : l’assureur nous a payé une place, les trois autres sont à notre charge. J’ai les moyens ; je le répète, d’autres ne les ont pas.

Nous sommes des victimes indirectes, des victimes par ricochet. Aujourd’hui, la somme maximale versée par les assureurs aux victimes indirectes, pour préjudice moral et solde de tout compte, est de 25 000 euros. Mesdames et messieurs les députés, dans notre pays, mieux vaut avoir un problème avec le Crédit lyonnais que perdre un enfant !

M. le président Armand Jung. Merci, monsieur Freani, d’avoir apporté ce complément à votre témoignage.

Nous devons conclure cette table ronde. J’ai conscience de ce que cela peut avoir de frustrant, mais toutes les personnes auditionnées peuvent également nous faire parvenir des documents, les plus précis possibles.

Mme Françoise Hostalier. L’une de mes questions est restée sans réponse. L’estimation du coût d’un accident est-elle la même pour un accident de la circulation que pour un autre accident ?

Mme Barbara Berrebi. D’un tribunal à l’autre, le montant de l’indemnisation varie. Voilà pourquoi nous appelons de nos vœux des outils communs d’évaluation de la réparation pour dommage corporel. Cette disposition faisait du reste partie de la proposition de loi Lefrand, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture.

Pourquoi ne pas envisager en outre un référentiel de l’indemnisation, qui permettrait aux victimes d’être indemnisées de la même façon pour un même poste de préjudice, au lieu de cette disparité surprenante d’un tribunal à l’autre ?

M. le président Armand Jung. Merci à tous.

La table ronde s’achève à midi.

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