Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d'information relative à l'analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Mardi 13 septembre 2011

Séance de 10 heures 35

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Armand Jung, Président

Audition de M. Jean-Luc Nevache, délégué interministériel à la sécurité routière

- Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Nevache, délégué interministériel à la sécurité routière.

L’audition débute à dix heures trente-cinq.

M. le président Armand Jung. Monsieur le délégué interministériel, nous attendons beaucoup de votre audition pour les propositions que nous aurons à formuler. Avez-vous d’ores et déjà esquissé une stratégie ? Quelle sera votre action en matière de communication ? En particulier, souhaitez-vous travailler à l’émergence d’une « génération sécurité routière » ?

M. Jean-Luc Nevache, délégué interministériel à la sécurité routière. Même s’ils se sont améliorés depuis, les mauvais résultats du début de l’année ont confirmé que la baisse de l’accidentalité et de la mortalité sur les routes n’était pas une évolution acquise, comme pouvaient le laisser croire les progrès enregistrés depuis le début des années 2000. Ces progrès nécessitent un travail permanent.

Plusieurs éléments jouent contre nous, et d’abord le développement de formes de mobilité qui exposent aux risques les plus graves. En 2010, les collisions entre motos et automobiles ont provoqué la mort de 288 motards et de cinq automobilistes seulement ; les collisions entre vélos et automobiles celle de 66 cyclistes mais aucune d’automobiliste. On le voit : l’amélioration de la sécurité routière requiert des efforts pour un meilleur partage de la route avec les usagers les plus vulnérables, dont le nombre va continuer de croître.

Ensuite, bien que la consommation d’alcool soit en constante diminution dans notre pays, la part qu’elle tient dans les causes d’accidents ne se réduit pas. La moitié des accidents mortels s’explique par des taux d’alcoolémie dépassant 1,5 gramme par litre de sang ! Nous avons affaire là, d’une part, à des récidivistes, pour lesquels l’éthylotest anti-démarrage (EAD) est probablement une solution très prometteuse – un premier décret vient d’être publié sur le sujet – et, d’autre part, à des personnes qui ne sont coupables que d’un écart ponctuel et qui relèveraient plutôt de procédures d’autocontrôle.

La plupart de nos concitoyens sous-estiment le nombre des contrôles d’alcoolémie effectués par les forces de l’ordre, parce que ces opérations sont concentrées sur des périodes à risque pendant lesquelles eux ne circulent pas : les vendredis et samedis dans la nuit. Il n’empêche, ce nombre est élevé : quelque 11 millions par an. Pour autant, je crois qu’il y a place pour l’autocontrôle, et l’obligation faite aux discothèques de proposer des éthylomètres à leurs clients est probablement le type d’action qui mérite d’être généralisé.

Autre sujet de préoccupation : les deux-roues motorisés, qui comptent pour 2 % dans la circulation mais sont impliqués dans 26 % des accidents mortels. Cette situation est inacceptable, d’autant que la moitié des conducteurs de ces deux-roues n’étaient pas responsables de l’accident dans lequel ils ont perdu la vie. La baisse relativement forte de ces accidents, enregistrée en 2010 par rapport à 2009, le prouve : il est possible de parer à la vulnérabilité de ces usagers en conjuguant incitation, prévention et répression – mais, pour cela, il faut en finir avec les procès d’intention.

Nous nous inquiétons également de ce que j’appellerai les « distracteurs » : téléphoner au volant multiplie le risque par trois, envoyer un SMS le multiplie par vingt – et je ne parle pas du visionnage de films ! Or, les mesures que l’on pourrait prendre en la matière se heurtent à un problème d’acceptabilité sociale. D’autre part, s’il est acquis que 10 % des accidents corporels sont liés à l’usage du téléphone au volant, on ne sait quelle est la proportion d’accidents mortels dans ce cas – même s’il est probable qu’elle est plus faible en ville qu’en rase campagne, en raison d’une moindre vitesse. Des études s’imposent donc sur le sujet.

Dernier sujet de préoccupation : les seniors piétons. Contrairement à une idée reçue, les conducteurs âgés et même très âgés adaptent leur comportement à leurs capacités et on ne constate donc pas de sur-accidentalité dans cette population. En revanche, surtout au-delà de soixante-quinze ans, ces personnes deviennent très vulnérables quand elles marchent dans la rue. En effet, elles ne respectent probablement pas plus que les autres l’obligation de traverser dans les passages cloutés ou d’attendre que le feu soit au rouge pour les automobilistes, mais elles sont un peu moins rapides que vous et moi. Or les automobilistes ne les identifient pas nécessairement comme des personnes dont la mobilité est amoindrie, de sorte qu’ils n’estiment pas correctement le temps qu’il leur faudra pour traverser la chaussée… Cette population âgée étant appelée à croître, voilà une cause qui doit nous mobiliser.

Pour notre communication, nous avons fait le choix d’une nouvelle agence à la suite d’un appel d’offres. Une première campagne, au mois de novembre, sera axée sur l’alcool ; une autre, au début de l’année prochaine, visera à une remobilisation générale. Nous avons également arrêté un plan en vue d’être présents dans l’ensemble des médias. Avec la nouvelle agence, nous allons faire porter notre effort sur les réseaux sociaux pour avoir davantage accès aux jeunes et aux conducteurs de deux-roues, que les campagnes médiatiques ordinaires touchent moins que le reste de la population. Nous allons ainsi ouvrir un compte Twitter et un compte Facebook. Cette stratégie a d’ailleurs déjà inspiré la réalisation, par la délégation interministérielle, du film « Insoutenable », diffusé sur Internet. Beaucoup d’internautes l’ont vu et nous envisageons de répéter l’opération à la télévision, probablement au prix d’une adaptation, afin de rendre ces images moins choquantes pour le grand public tout en leur conservant leur force de persuasion.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Comment expliquez-vous les réactions suscitées par les décisions annoncées à l’issue du comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du 11 mai ?

M. Jean-Luc Nevache. Je proposerai deux explications, au demeurant partielles.

En premier lieu, en dépit de tous nos efforts de pédagogie, nous ne sommes pas parvenus à convaincre que la vitesse était un déterminant fondamental de la sécurité routière.

En effet, on confond cause et déterminant. La vitesse excessive est de moins en moins une cause directe d’accidents – les très grands excès ne comptent plus que pour 0,07 %. En revanche, dès lors qu’un conducteur dépasse de dix kilomètres-heure la vitesse qu’il devrait respecter, la gravité de tout accident se trouve accrue. Les très bons résultats des dix dernières années sont liés à la diminution de la vitesse moyenne. Il faut donc à la fois éliminer les excès de vitesse, notamment les grands excès, et continuer de réduire cette vitesse moyenne, pour diminuer la gravité moyenne des accidents.

Or nous avons du mal à faire admettre cette corrélation. On entend en permanence soutenir qu’une vitesse comprise entre 51 et 53 km/h, en ville, ne serait pas dangereuse. Or, outre que 51 km/h sur un procès-verbal correspondent, comme vous le savez, à une vitesse réelle de 56 ou 57 km/h, il faut savoir qu’un piéton heurté à 50 km/h survivra, mais qu’il mourra s’il l’est à 60 km/h. Cela fait une grande différence ! Il nous faut donc intensifier l’effort de pédagogie sur ce sujet des « petites » vitesses.

En second lieu, les Français ont peut-être eu le sentiment d’une distorsion entre l’attention portée à la vitesse et celle qui a été consacrée à la répression de l’alcoolémie.

En trois ans, le nombre de contrôles d’alcoolémie est passé de 9,5 à 11 millions et celui des dépistages positifs a franchi la barre des 100 000, puis des 110 000 et, enfin, des 120 000. La pression est donc réelle, mais, je le répète, elle n’est pas perçue car ces contrôles sont effectués à des moments où la plupart de nos concitoyens ne circulent pas. Combien en ai-je rencontré qui m’ont dit n’avoir pas eu à souffler dans un ballon depuis dix ans ! Mais un journaliste qui était dans ce cas m’a déclaré récemment : « Maintenant que ma fille sort le samedi soir et que je vais la chercher à la porte de la discothèque, j’ai été contrôlé trois fois en deux mois. » Reste que s’est installée chez beaucoup l’idée d’une différence de traitement entre ceux qui n’ont pas le sentiment d’être dangereux quand ils dépassent de quelques kilomètres-heure la vitesse autorisée, c'est-à-dire bien souvent eux-mêmes, et les autres personnes, qu’ils jugent au contraire très dangereuses car alcoolisées et, au fond, insuffisamment contrôlées.

M. le rapporteur. Les constructeurs sont autorisés à vendre des voitures qui peuvent atteindre 250 km/h, à la suite de quoi on s’ingénie à limiter la vitesse par tous moyens. Il y a là une grande hypocrisie, qui n’est d’ailleurs pas le fait de notre seul pays. Militerez-vous pour le bridage des voitures ?

Vos prédécesseurs ont eu des attitudes diverses, notamment en matière de communication. Comment allez-vous « incarner », vous, cette fonction de délégué interministériel ?

On a souvent bien du mal à se retrouver dans le foisonnement des organismes dédiés à la sécurité routière, ainsi que dans une surabondance de chiffres. Peut-on espérer une rationalisation ?

Envisagez-vous de réactiver le Conseil national de la sécurité routière (CNSR) ?

Enfin, avez-vous des propositions précises pour les deux-roues motorisés, en particulier s’agissant des plaques et des gilets réfléchissants ?

M. Jean-Luc Nevache. Le problème de la puissance des voitures se pose effectivement au niveau mondial et nous avons des voisins qui ne limitent pas les vitesses sur certaines de leurs autoroutes. Cela étant, nous assistons à des évolutions importantes, avec la volonté de combattre l’effet de serre ou de promouvoir la voiture électrique, dont les caractéristiques changeront la donne…

M. le rapporteur. Ce n’est pas exactement le discours que nous ont tenu les constructeurs.

M. Jean-Luc Nevache. L’autonomie de ces véhicules est très liée à la vitesse à laquelle ils roulent. Si cette flotte se développe selon nos vœux, se posera immanquablement la question de l’harmonisation des vitesses pour toutes les catégories de voitures.

M. le président Armand Jung. Le CISR du 11 mai a évoqué le projet de « voiture sûre ». Ne peut-on envisager que l’État ou votre délégation impose aux constructeurs un cahier des charges obligeant à installer un minimum d’équipements de sécurité sur les véhicules ?

Quant à la voiture électrique, j’y vois un immense espoir si l’objectif est bien de construire des voitures qui roulent moins vite et consomment moins, mais je constate que celui des constructeurs est d’en fabriquer qui roulent aussi vite que les véhicules thermiques ! C’est pure folie !

M. Jean-Luc Nevache. À l’heure actuelle, pour ces véhicules, il y a antinomie entre vitesse et autonomie : plus ils roulent vite, moins ils roulent longtemps.

La sécurité routière exige incontestablement une communication nourrie et je souhaite donc incarner fortement cette action dans les médias, comme le Gouvernement me l’a d’ailleurs demandé. Pour ce faire, j’insisterai sur le respect de la règle, mais aussi sur le fait que nous ne sommes l’ennemi d’aucun usager, en particulier pas des motards : le délégué interministériel que je suis veut qu’ils respectent les règles de vitesse mais aussi que les automobilistes se montrent plus attentifs à leur égard. Contrairement au discours ambiant de ces derniers mois, il ne s’agit pas d’opposer les premiers aux seconds, non plus que les cyclistes aux chauffeurs routiers. L’objectif auquel je me tiendrai est d’aboutir à un bon partage de la route.

En effet, monsieur le rapporteur, même si de nouveaux problèmes se font constamment jour, comme celui du téléphone, ces questions de sécurité routière font l’objet d’une documentation scientifique abondante. L’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), en particulier, effectue un travail remarquable. Cette expertise est indispensable car elle permet de prendre des décisions opérationnelles. Toutefois, on peut sans doute améliorer la coordination des études et leur exploitation, car on entend parfois des choses surprenantes, si ce n’est contraires aux connaissances scientifiques. Ainsi prétend-on que les Allemands feraient mieux que nous alors même que la vitesse ne serait pas limitée sur leurs autoroutes. Or, outre que ce n’est le cas que la nuit, leurs résultats sont meilleurs que les nôtres sur tous les segments de voirie à une exception près : précisément sur les autoroutes dépourvues de limitations de vitesse, où le taux des accidents est le triple du nôtre – ce sont leurs statistiques qui l’attestent. Il faudrait faire en sorte que la vérité scientifique l’emporte dans le grand public sur les idées reçues.

Le comité interministériel a décidé de reconstituer le CNSR et il faut s’en féliciter car les concertations, si positives qu’elles aient été, n’ont jamais remplacé cette indispensable instance de dialogue.

S’agissant des deux-roues motorisés, il faut, je le répète, sortir des procès d’intention. Le CISR avait dans un premier temps décidé d’imposer le port de vêtements pourvus de bandes réfléchissantes. On lui a alors objecté le coût pour les motards, obligés de changer leur équipement. Le comité a alors proposé – mais non imposé – le gilet réfléchissant, qui ne coûte que quelques euros. Il y a donc eu malentendu. Cela étant, le problème de la visibilité des motards est incontestable.

Deux formes de plaques sont aujourd’hui autorisées pour les motos, dans notre pays. La plus petite mesure 220 centimètres carrés quand les plaques belges en font 290, les plaques italiennes 310, les espagnoles et les autrichiennes 350, les nouvelles plaques allemandes 360 - soit un tiers de plus que les nôtres – et les britanniques 720. La Fédération des motards en colère nous ayant reproché d’aller à contre-courant de l’Allemagne qui diminue la taille des siennes, je lui ai répondu : « Chiche, alignons-nous ! » – ce à quoi elle a consenti. Les dimensions de nos plaques pourraient donc passer de 17 centimètres sur 13 à 20 cm sur 18. Au demeurant, tout le monde le sait : l’enjeu est de faire en sorte que les radars soient à même de lire les plaques des motards. Pour ce qui me concerne, je n’ai pas beaucoup d’états d’âme sur ce sujet car il en va de l’égalité des citoyens devant la loi.

M. le rapporteur. Il se trouve que les deux tiers des photographies prises à l’occasion des contrôles automatiques le sont par l’arrière. Pas de problème pour les motos, toujours pourvue d’une plaque arrière, mais un certain nombre d’automobilistes contrevenants échappent à la sanction, par exemple lorsque la carte grise du véhicule est au nom d’une société, faute de pouvoir être identifiés. Ne pourrait-on étudier la question des contrôles par l’avant ?

M. Jean-Luc Nevache. Pour les motos en tout cas, cela ne nous a pas paru s’imposer, les plaques à l’avant étant assez peu usitées dans la communauté internationale. .

Il nous faut travailler sur l’équipement individuel des motards. Aujourd’hui, il n’y a pas d’obligation en la matière, mais les intéressés semblent relativement ouverts à des évolutions. De leur côté, les équipementiers consentent des efforts assez notables. On trouve aujourd’hui dans le commerce des blousons avec airbag, certes chers, mais qui offrent une bonne protection. Dans un premier temps, il faut que nos motards portent, outre un casque, des gants, des bottes et un blouson. Les Belges ont rendu obligatoire un équipement minimum depuis le 1er septembre et nous devrions pouvoir nous attaquer, nous aussi, à la question avec l’ensemble des motards, y compris les usagers de deux-roues urbains.

M. Gilbert Le Bris. Depuis les débuts de la Ve République, l’on est passé d’une conduite ludique, caractérisée par une forte liberté, une faible réglementation… et un nombre élevé de morts, à une conduite plus réglementée dont l’effet a été d’atténuer les conséquences des accidents. Mais ne va-t-on pas en arriver à une conduite empêchée, du fait d’un trop grand nombre de contraintes ? Pour faire face à tous les dangers, il faut s’en tenir selon moi à l’indispensable, à ce qui est vital, sans s’attarder à des mesures qui n’auraient d’effets que « périphériques ». Ainsi, je ne vois pas l’utilité vitale des gants pour les motards – dont je suis.

Dans ce dilemme constant entre liberté et responsabilité, quels sont pour vous les domaines vitaux d’intervention et les catégories d’usagers pour lesquels nos efforts ne sont pas encore suffisants ?

M. Jean-Luc Nevache. Un tiers des accidents mortels sont dus à l’alcool ; les « distracteurs » sont impliqués dans 10 % des accidents corporels et 26 % des morts de la route sont des conducteurs de deux-roues motorisés qui ne contribuent pourtant que pour 2 % à la circulation générale. Ces chiffres vous indiquent les grandes priorités.

Si l’on veut faire passer le nombre annuel de morts de 4 000 à 3 000, et peut-être en deçà encore, il faut s’attaquer aux gisements identifiés : d’une part, les mauvais comportements – l’usage de l’alcool et des stupéfiants – ; d’autre part, la vulnérabilité des conducteurs de deux-roues motorisés et des seniors piétons.

En outre, il faut aussi un travail auprès de l’ensemble des automobilistes en vue d’un apaisement et d’un partage de la route. Dans ce cadre, l’abaissement des vitesses moyennes est un élément déterminant pour le succès des politiques de sécurité routière - indépendamment de la responsabilité des conducteurs.

Enfin, je suis convaincu que l’équipement des motards est très important. On oublie parfois qu’il y a autant de handicapés définitifs que de morts tous les ans, soit 4 000 – et près de 70 000 blessés. Par conséquent, on ne peut se focaliser uniquement sur la diminution du nombre des morts, il faut aussi se préoccuper de faire baisser celui des accidents corporels.

Mme Annick Lepetit. Dans notre pays, quels que soient les gouvernements, les campagnes de communication sur la sécurité routière ont souvent été sujettes à polémique : n’allait-on pas heurter le grand public ? Dans les pays voisins, on craint moins de choquer, l’objectif premier étant d’alerter. Cela étant, compte tenu de leur coût et de l’enjeu, ces campagnes doivent être préparées et menées avec beaucoup de soin.

En ville comme à la campagne, nos concitoyens utilisent de plus en plus les moyens de transport en fonction de leurs besoins et peuvent donc être successivement piétons, automobilistes, conducteurs de deux-roues motorisés et cyclistes. Ne conviendrait-il pas de développer, en partenariat entre l’État et les collectivités, les actions menées à l’école, afin de faire comprendre aux enfants que le code de la route – ou le « code de la rue » – est synonyme de comportement civique ? Même si la peur du gendarme y a contribué, les jeunes commencent à se convaincre de la nécessité de ne pas conduire en état d’ivresse le samedi soir. La prévention et l’accompagnement mis en place par les établissements de nuit sont également une très bonne chose, mais il ne faut surtout pas relâcher l’effort

Tout ce qui contribue à distraire de la conduite nous inquiète également. Il est choquant de voir des cyclistes téléphoner tout en pédalant. Une action pédagogique s’impose, ainsi que – pourquoi pas ? – une interdiction ferme, et cela pour toutes les catégories d’usagers : peut-être en sera-t-il alors comme du port de la ceinture de sécurité, obligation fortement contestée à l’origine et depuis très largement admise…

Selon des statistiques fournies par la Préfecture de police de Paris, les accidents les plus graves de deux-roues ou de piétons seraient souvent liés à l’existence d’angles morts pour les conducteurs de poids lourds. La réglementation relative aux rétroviseurs de ces véhicules a été renforcée dans les années 2000, mais elle n’est guère respectée, faute de contrôles suffisants à mon avis. Il faut certes mener des actions incitatives auprès des constructeurs, mais il conviendrait aussi de développer les contrôles sur les routes et, plus largement, d’appliquer les mesures que nous avons votées dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

Enfin, les piétons âgés sont fragiles entre tous dans la mesure où ils se déplacent lentement et peuvent souffrir de problèmes d’audition et d’équilibre. Mais se pose également la question des personnes âgées au volant. Connaissant l’évolution de la démographie, il serait dangereux de ne s’adresser qu’aux jeunes. Certes, il n’est pas aisé de dire à une personne âgée qu’elle devrait éviter de conduire mais, précisément, ne faudrait-il pas diversifier les messages ainsi que l’accompagnement en fonction de ceux à qui on s’adresse ? À cet égard, avez-vous toutes les marges de manœuvre souhaitables ?

M. Jean-Luc Nevache. Madame la députée, je n’ai pas le sentiment que mes marges de manœuvre soient contraintes en quoi que ce soit.

S’agissant des campagnes télévisées, je suis très frappé du caractère très professionnel du travail réalisé par la Délégation à la sécurité routière. L’agence de communication lui propose des scénarios ; la Délégation en présélectionne deux ou trois ; puis, elle fait réaliser de petits films tests qui sont expérimentés auprès de publics cibles pour vérifier leur pertinence et la bonne réception des messages ; enfin,elle fait réaliser un film complet destiné à la diffusion.

Si vous souhaitez des messages plus punchy ou trash, regardez « Insoutenable » ! Je précise néanmoins que ce type de film ne peut pas être réutilisé trop souvent car le message est d’ordre émotif, non pédagogique. Après qu’ils l’ont vu une ou deux fois, les gens ont très vite le sentiment de la répétition et, d’après les spécialistes, chercher l’émotion plutôt que s’adresser à la raison ne permet pas nécessairement de modifier les comportements – même si cela nourrit les conversations sur le coup.

Nous avons un bon partenariat avec l’Éducation nationale. Le brevet de sécurité routière (BSR) et les attestations scolaires de sécurité routière (ASSR) des niveaux 1 et 2 sont plutôt des sujets de satisfaction.

Vous avez raison à propos du téléphone portable. La difficulté tient à ce que tout le monde l’utilise aujourd’hui et que le risque est pour ainsi dire le même avec le Bluetooth qui est, lui, autorisé. Les usagers ont conscience du danger, mais une interdiction serait très mal acceptée : compte tenu de la longueur des trajets domicile-travail, le temps passé au téléphone équivaut à du temps social, consacré à ses amis, à ses enfants ou à ses parents. Un travail de sensibilisation est donc nécessaire, mais nous devons aussi nous procurer des données objectives sur le sujet : quand nous pourrons enfin dire combien de morts sont dues à l’utilisation du téléphone portable au volant, nos concitoyens accepteront plus facilement une interdiction.

Les poids lourds provoquent effectivement des accidents extrêmement graves, mais dans une proportion bien plus faible que leur part dans la circulation générale.

Enfin, je pense que notre société n’a pas à empêcher les seniors de conduire, qu’elle doit préserver leur mobilité. En tant qu’automobilistes, ils ne constituent d’ailleurs pas une population dangereuse, toutes les études montrant, comme je l’ai dit, qu’ils adaptent leur comportement à leurs capacités. En revanche, ils présentent une vulnérabilité particulière, qui nous fait un devoir de chercher à les protéger.

(M. Philippe Houillon, rapporteur, remplace M. Armand Jung à la présidence de la séance.)

M. Jacques Myard. Monsieur le préfet, je suis intimement convaincu qu’il n’y a de bonne politique que dans la durée. Autrement dit, il faut fixer une ligne et s’y tenir.

Il faut aussi, vous avez raison, sensibiliser l’opinion publique par un effort de pédagogie. À ce titre, vous devriez davantage insister sur le nombre de blessés – 70 000 tous les ans –, car ce sont autant de drames engendrant des souffrances immenses.

Notre pays souffre d’un problème culturel. Je suis par exemple frappé de la mauvaise entente entre pouvoirs publics et motards. Les associations représentant ces derniers souffrent-elles d’un manque de cohésion interne, ont-elles des difficultés à faire passer des messages à leurs adhérents ? Sont-elles confrontées à un manque de représentativité ?

Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut systématiquement s’aligner sur les positions allemandes mais si l’on doit à tout prix se livrer à des comparaisons internationales, je relèverai que les grosses cylindrées sont interdites au Japon. Le temps n’est-il pas venu chez nous aussi de prendre des mesures draconiennes ?

D’autre part, les cyclistes sont dorénavant autorisés à prendre des sens interdits. Cela ne revient-il pas à ruiner toute une culture qui faisait que ceux-ci étaient respectés ? Certes, la route doit être partagée mais plusieurs accidents se sont produits à Paris en raison de fautes grossières de cyclistes.

Enfin, disposez-vous de statistiques sur les accidents mortels ou corporels graves impliquant des conducteurs dépourvus de permis de conduire ?

M. Jean-Luc Nevache. Les plus grosses motos, au-delà de 100 chevaux, sont interdites en France.

Les premières années de conduite d’une moto sont caractérisées par une sur-accidentalité : le nombre de tués est beaucoup plus élevé les deux premières années, surtout parmi les très jeunes gens n’ayant pas l’expérience de très gros engins. Une solution serait d’adopter un dispositif « en marches d’escalier », consistant à n’autoriser les deux premières années que la conduite d’une moto de moins de 400 cm3, puis d’élever progressivement la limite.

S’agissant des vélos et des sens interdits, je crois que l’on se focalise trop sur la mortalité. À ma connaissance, cette année, nous n’avons eu à déplorer aucune mort de cycliste à Paris. En revanche, on constate chez ces usagers un très fort accroissement des accidents corporels. Nous étudions le phénomène avec la Préfecture de police afin de savoir s’il est lié aux nouvelles règles.

M. Jacques Myard. Modifier les cultures de conduite en si peu de temps peut se révéler extrêmement dangereux, car les automobilistes n’ont pas le temps d’intégrer ces changements pour se comporter en conséquence.

M. le rapporteur président. Je suis assez de cet avis.

Mme Annick Lepetit. Lorsque a paru le décret, qui concerne toutes les communes, certains ont prédit un grand nombre d’accidents. Il se trouve qu’aucun cycliste n’a perdu la vie cette année à Paris. Cela étant, le Club des villes cyclables avait demandé une campagne nationale, ne serait-ce que pour informer des nouvelles règles. En effet, introduire un élément totalement nouveau peut avoir des conséquences auxquelles il faut veiller : je pense en particulier aux piétons, notamment aux piétons âgés, qui souvent ne regardent que du côté d’où viennent habituellement les voitures avant de traverser.

Je n’ai pas réussi à me procurer des chiffres précis sur les accidents de vélo, mais il serait intéressant de savoir si ceux-ci sont dus par exemple au fait que les cyclistes ont brûlé un feu rouge, ou s’ils ne s’expliquent pas parfois par l’obligation où ils se sont trouvés de quitter la piste cyclable à cause de voitures garées en double, voire en triple file.

M. Jean-Luc Nevache. La proportion des défauts de permis de conduire constatée à l’occasion d’accidents mortels, après avoir culminé à 4,5 % en 2009, a commencé à décroître à partir de l’an dernier pour s’établir aujourd’hui à 3,8 ou 3,9 %. Parmi les conducteurs concernés, 20 % avaient perdu leur permis, 74 % ne l’avaient jamais eu et 6 % ne détenaient pas le permis de la bonne catégorie.

M. Jacques Myard. À combien peut-on estimer leur nombre ?

M. Jean-Luc Nevache. En croisant les données de l’accidentologie et les relevés d’infractions, on estime qu’il est compris entre 400 000 et 450 000, ce qui est considérable. La très grande majorité – entre les deux tiers et 80 % – n’a jamais passé l’examen.

M. le rapporteur président. Tout en insistant sur les progrès accomplis, qui ont permis de faire tomber le nombre des tués de 17 000 à 4 000 par an, beaucoup des personnes que nous avons auditionnées ont considéré qu’il serait difficile d’améliorer ce résultat. Êtes-vous de leur avis ?

Un sentiment d’injustice commence à s’exprimer à propos des contrôles automatiques installés au passage des feux tricolores. Certains ont sans doute des comportements inadmissibles, car brûler un feu rouge peut entraîner des accidents mortels, mais il arrive aussi que des conducteurs soient « flashés » et se voient retirer quatre points alors qu’ils n’ont pas eu un comportement dangereux, ni le sentiment de griller le feu rouge.

S’agissant des infrastructures, ne va-t-on pas assister à un désengagement de l’État ? Les collectivités pourront-elles se substituer à lui ?

La politique de sécurité routière doit reposer sur deux jambes : la pédagogie et la communication, d’une part ; les contrôles et la sanction, d’autre part. On estime que la vitesse est à l’origine de 20 % des accidents, l’alcool de 30 %. Or 9 % des infractions relevées concernent l’abus d’alcool et près de 70 % les petits et moyens excès de vitesse : n’y a-t-il pas disproportion ? D’autre part, pour constater les infractions, il faut des agents : la baisse annoncée des effectifs ne va-t-elle pas entraîner un déficit de contrôles et, par conséquent, un affaiblissement de la politique de sécurité routière ?

Enfin, notre collègue Myard a raison : on ne communique pas suffisamment sur le nombre de blessés. Toutefois, selon des services de police présents sur les routes, on se heurte à un problème de décompte. En effet, toute personne impliquée dans un accident et qui voit un médecin est comptabilisée dans les victimes d’accidents corporels même si elle n’est pas blessée. Il y a donc abondance de chiffres, mais sont-ils tous fiables ?

M. Jean-Luc Nevache. Il sera sans doute difficile de passer de 4 000 à 3 000 tués. Cependant, il reste des gisements relativement importants à exploiter : je pense en particulier à la lutte contre l’alcoolémie. En outre, indépendamment de la répression des comportements dangereux, l’essentiel du gain est à attendre d’un meilleur respect des petites limites de vitesse, grâce à une conduite plus apaisée de l’ensemble des usagers. La chose est certes difficile à faire comprendre, mais si tout le monde roule un peu moins vite, le nombre des accidents diminuera.

La moitié de l’augmentation des points retirés entre 2009 et 2010 est liée à l’installation de radars aux feux tricolores. On assiste certes à des contestations car les gens ont le sentiment d’être passés à l’orange. Mais, techniquement, il est assuré qu’ils sont passés au rouge. En effet, il y a deux flashs successifs : le premier, au moment du franchissement de la ligne de feux, ne se déclenche qu’au rouge ; le deuxième, une demi-seconde plus tard, permet de vérifier que le conducteur n’a pas « pilé » et a bien eu un comportement dangereux en traversant le croisement.

M. Jacques Myard. Diriez-vous cela la tête sur le billot ? Car en général, on est « flashé » quand on reste au milieu du carrefour.

Dans certains pays, un décompte en secondes s’affiche à proximité du feu pour indiquer le temps restant avant le passage au rouge. Je ne suis pas contre les flashs, mais je crois que nous devrions améliorer notre système afin d’avertir les conducteurs.

M. Jean-Luc Nevache. Je confirme mes propos sur les deux flashs successifs. Le Centre automatisé de constatation des infractions routières (CACIR), installé à Rennes, exploite les photographies et vérifie si le conducteur a immédiatement pilé après avoir franchi la ligne au rouge. Ainsi, la sanction n’intervient que si le véhicule a effectivement traversé le croisement, mais non en cas de repentir.

Certaines contestations sont compréhensibles. En effet, des conducteurs, en voyant le feu à l’orange, accélèrent au lieu de freiner. Or en accélérant, ils regardent autour d’eux et perdent de vue le feu qui passe au rouge. Ils ont donc le sentiment de passer à l’orange, alors qu’il n’en est rien.

M. le rapporteur président. S’ajoute le problème de la densité de la circulation : le phénomène que vous décrivez se produit souvent quand un grand nombre de voitures roulent très lentement.

M. Jacques Myard. Combien de secondes dure le feu orange ?

M. Jean-Luc Nevache. Je ne suis pas capable de vous répondre immédiatement, mais je vous communiquerai cette information par écrit.

M. le rapporteur président. Que préconisez-vous sur ce point ?

M. Jean-Luc Nevache. Il faut rappeler les automobilistes à la règle. Le code de la route est en effet parfaitement clair : on doit « marquer l’arrêt » à l’orange. Or un certain nombre d’automobilistes ne le font pas et passent alors que le feu orange vient juste de s’allumer, voire après. Et ce comportement devient de plus en plus fréquent.

En ce qui concerne les infrastructures, la décentralisation a entraîné le transfert d’un grand nombre de routes aux départements. Tout le monde le sait : c’est sur les belles routes qu’on se tue. Pour avoir été préfet de Haute-Corse, je peux vous confirmer que l’on meurt davantage sur des routes où l’on peut rouler vite, comme celles qui relient Bastia à Calvi et à Porto-Vecchio, que sur celles où la circulation est plus lente, comme les routes de la Castagniccia ou de la haute Balagne. Et il est notoire que les Anglais ont à la fois de bons résultats en matière de sécurité routière et des infrastructures de qualité contestable...

Quant au nombre des contrôles d’alcoolémie, loin d’avoir baissé, il a continué d’augmenter au cours du premier semestre de cette année, ce qui prouve la priorité accordée par le ministre de l’intérieur à ce sujet. Les consignes sont claires et la pression est forte. Mais il est vrai, et j’ai expliqué pourquoi, que la perception n’est pas celle-là.

M. le rapporteur président. La baisse des effectifs va mécaniquement entraîner une baisse des contrôles dans les mois ou les années à venir.

M. Jean-Luc Nevache. Je constate une augmentation des contrôles sur les trois dernières années. D’autre part, les politiques de prévention ne peuvent plus être ce qu’elles étaient il y a dix ou vingt ans : nos concitoyens prennent mieux en compte le risque, notamment les femmes. C’est pourquoi, je l’ai dit, je crois beaucoup au développement de l’auto-contrôle. Il y a là un vrai gisement.

À cet égard, l’obligation faite aux boîtes de nuit de proposer des alcootests est très importante. D’ailleurs, la plupart des établissements, avec lesquels nous avons eu des discussions très ouvertes, perçoivent bien l’intérêt, y compris pour eux, de cette politique. Ce dispositif peut, selon moi, être élargi car, en se fiant au sens de la responsabilité des conducteurs, on facilite son acceptation.

M. Jacques Myard. Chaque génération est un peuple nouveau…

M. le rapporteur président. Monsieur le préfet, nous vous remercions infiniment pour votre apport.

L’audition se termine à midi dix.

——fpfp——