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Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Mercredi 14 septembre 2011

Séance de 14 heures 15

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Armand Jung, Président

Auditions, ouvertes à la presse, de :

– M. Bernard Pottier, président, et de M. Jean-Yves Salaün, délégué général de l’Association Prévention routière 2

– Général Éric Darras, sous-directeur à la sécurité publique et à la sécurité routière, et du colonel Gérard Escolano, chef du bureau de la sécurité routière et des formations et moyens spécialisés (Gendarmerie nationale) 8

– M. Didier Bollecker, président, et de Roger Braun, directeur général de l’Association française des automobilistes (Automobile Club) 16

– Mme Monique Fritz, présidente, et de M. Nicolas Fritz, membre fondateur de l’Association d’aide aux victimes de la route (AIVAR) 24

– Mme Hélène Jacquot-Guimbal, directrice générale, de M. Jean-Paul Mizzi, directeur général adjoint, de M. Sylvain Lassare et M. Bernard Laumon, directeurs de recherche, et de M. Jean-Louis Martin, chargé de recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR) 29

– M. Claude Liebermann, président et de M. Dominique Lebrun, inspecteur général de l’équipement de l’Institut national de sécurité routière et de recherches 37

La séance est ouverte à 14 heures 30.

Présidence de M. Armand Jung, président.

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Pottier, président, et M. Jean-Yves Salaün, délégué général de l’Association Prévention routière.

M. le président Armand Jung. Je souhaite la bienvenue à MM. Pottier et Salaün. Notre mission, qui doit déposer ses conclusions mi-octobre, doit dorénavant resserrer ses travaux pour arriver au cœur de la problématique. Leur point de vue et leur expertise seront très importants pour notre compréhension de l’accidentologie.

M. Bernard Pottier, président de l’Association Prévention routière. La sécurité routière, depuis qu’elle a été érigée en chantier national le 14 juillet 2002 par le président Jacques Chirac, fait sans doute partie des actions publiques les plus réussies, tous domaines confondus. On est passé de 8 253 tués à trente jours en 2001, dernier exercice complet avant le programme gouvernemental, à 3 992 en 2010. La vitesse moyenne mesurée hors radars suit d’ailleurs une courbe tout à fait semblable. Elle est passée de plus de 90 kilomètres heure à moins de 80. Le Président de la République a proposé un objectif de 3000 tués en 2012, ce qui correspond à 47 tués par million d’habitants, contre 137 en 2001 et 62 en 2010. La Suède, le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont respectivement à 28, 31 et 32. Sauf à penser que la société suédoise attache plus de prix à la vie que la nôtre, cet objectif, tout ambitieux qu’il soit, n’est donc pas irréaliste.

Ainsi que l’a fait remarquer la sénatrice du Haut-Rhin Mme Troendle, avant 2001, on ne poursuivait que les grands chauffards. C’est en posant comme principe que chacun devait réduire sa vitesse qu’on a changé radicalement les choses. Certes, c’est un discours un peu plus difficile à tenir – le chauffard, c’est toujours l’autre ! – et certains parlementaires nous invitent d’ailleurs souvent à venir voir ce qu’en pensent les gens sur les marchés. Mais si l’on n’avait rien changé depuis 2001, beaucoup de ces gens, plutôt qu’au marché, seraient au cimetière ! Songez au nombre de maires qui ont eu un jour à annoncer à des amis qu’ils avaient perdu leur fils… Bref, le choix s’analyse de la manière suivante : veut-on dire aux gens sur les marchés qu’ils risquent de perdre un point, mais que cela sauve des vies, ou bien veut-on dire à des parents qui ont perdu leur enfant que cela évite de perdre trop de points ? Toute la noblesse du discours politique est là.

Et c’est bien la volonté politique qui me paraît la plus grave cause de la situation actuelle – le premier semestre 2011 marque la première dégradation depuis 2002. On fait des reproches à la sécurité routière ou à la délégation interministérielle, mais certains parlementaires ont tenu des discours profondément irresponsables, disant aux Français, en gros, qu’on allait arrêter de les ennuyer. On a déjà connu de tels messages, et leurs résultats se font tout de suite sentir dans les comportements, par exemple lorsque les gens espèrent une amnistie présidentielle, bien qu’il n’y en ait plus depuis Jacques Chirac. Quand Dominique Perben, nouveau ministre des transports, a dit en 2005 qu’il souhaitait faire une pause dans l’implantation des radars, il y a eu cent morts dans les deux mois qui ont suivi ! Mais lorsque ces nouveaux radars avaient été annoncés, en 2003, il y avait eu une baisse considérable des chiffres avant même leur installation… Ce qui compte, c’est donc moins les mesures que le message, parce que c’est de comportements qu’il s’agit – et ce sont moins les mesures qui affaiblissent le permis à points que nous condamnons, que le discours qui les accompagne.

M. le président Armand Jung. Je pense, moi aussi, que la pression politico-médiatique est déterminante. Nous avons eu le sentiment, à un moment donné, que le fil avec la population s’était rompu, que le message était troublé. Or, dans un domaine aussi sensible, cela se traduit immédiatement – par des chiffres, certes, mais également par des morts ! C’est pourquoi le sens des responsabilités doit prendre le dessus.

Sur quelles causes faut-il jouer, et de quelle manière ? Sont-elles multiples ? Comment voyez-vous l’organisation de la délégation interministérielle à la sécurité routière, où Mme Merli a été remplacée par M. Nevache ? Comment rétablir le dialogue entre le Gouvernement et les diverses associations ? On a parfois l’impression que les positions se figent de part et d’autre d’un mur d’incompréhension. Notre objectif est de rétablir ce dialogue dont dépendent beaucoup de choses.

M. Bernard Pottier. Les principales causes, on les connaît : la vitesse et l’alcool. Grâce aux radars et au permis à points, la première est devenue seconde et il est clair que l’on n’aurait pas fait les mêmes progrès sans ces deux mesures conjuguées.

M. le président Armand Jung. Faut-il plus de radars, à des endroits plus ciblés ?

M. Bernard Pottier. Le programme de cinq cents radars supplémentaires par an doit être mené à son terme. Il y a quelque temps, lorsqu’on circulait à 110 km/h sur une quatre voies, on était doublé par 10 % des véhicules. Aujourd’hui, par la moitié. Il y a donc un relâchement certain, facilité par les TomTom et autres Coyote. C’est pourquoi il faut poursuivre les efforts en matière de limitations de vitesse, mais en sachant que les résultats ne seront plus aussi importants qu’avant : les trois quarts du chemin ont déjà été parcourus.

Pour consolider cette action, nous souhaitons que tous les véhicules neufs soient équipés d’un limiteur volontaire de vitesse – à distinguer d’un régulateur, qui coupe le lien entre l’homme et la machine.

M. Philippe Houillon, rapporteur de la mission d’information. N’y a-t-il pas une immense hypocrisie à laisser construire des machines qui roulent à 250 km/h et à obliger les gens à acheter des outils pour les limiter ?

M. Bernard Pottier. L’une et l’autre réponse ne peuvent être apportées qu’au niveau européen, au minimum. Et bonne chance pour aller parler de bridage des véhicules à Bruxelles… Mais à tout le moins, on ne voit pas comment refuser à qui le veut, à la vitesse qu’il aura lui-même fixée, de se protéger contre sa distraction et d’éviter de mettre en danger sa vie et celle d’autrui. Voilà le rôle du limiteur volontaire de vitesse. Il y a un système plus efficace : le Lavia, pour « limiteur s'adaptant à la vitesse autorisée », qui est la version française de l’intelligent speed adaptation existant déjà dans un certain nombre de pays. Sous sa forme active, branché sur le limiteur volontaire de vitesse, il permet d’éviter l’accident non seulement à 150 km/h sur l’autoroute, mais aussi à 90 en ville. C’est d’ailleurs la technologie que préconisent, aujourd’hui, les tenants, hier, du bridage. Mais, au minimum, les pouvoirs publics doivent peser pour que tous les véhicules neufs, peut-être après un certain délai d’adaptation industrielle, soient équipés d’un limiteur volontaire de vitesse.

Cette question soulève toute la problématique des TomTom et autres équipements semblables. Un TomTom qui signale qu’on est en train de dépasser la limitation de vitesse, c’est bien. Un qui avertit qu’on va rencontrer un radar ou des gendarmes, non. Ces appareils sont sans doute pour beaucoup dans les excès que l’on constate actuellement. Nous pensons donc qu’il faut continuer à nous équiper de radars, surtout sur le réseau secondaire. Pour ce qui est des autoroutes, les pouvoirs publics semblent s’orienter vers des mesures de péage à péage. C’est une bonne idée. Certes, cela ne détecte pas les gens qui roulent à 250 et s’arrêtent le temps d’un repas, mais, encore une fois, il s’agit d’influer sur les comportements : on sait qu’on ne traite que 90 % des cas, mais cela permet quand même de progresser.

Une autre de nos propositions a été mise en place dans certaines préfectures, mais pas toutes : les commissions consultatives des usagers pour la signalisation routière. Les parlementaires sont encore plus convaincus que nous de leur utilité. Ce degré de latitude est nécessaire. Il ne s’agit certainement pas de rétablir les indulgences, mais d’avoir un lieu pour discuter des radars dont l’emplacement est contesté.

Tout cela touche aussi au problème de la signalisation des radars. Il y a eu un affreux cafouillage en la matière.

M. le rapporteur. Êtes-vous pour la fin de la signalisation des radars ?

M. Bernard Pottier. Au début, nous étions favorables à la signalisation, parce que le but était de faire changer les comportements. Les gens doivent s’habituer. De la même façon, je préférerais un Lavia informatif, voire intrusif – qui bippe lorsqu’on dépasse la vitesse limite – plutôt qu’automatique. Parce qu’il faudra un jour dépasser l’étape où l’on avertit les gens qu’il y a un gendarme tout près ! Placer le panneau n’importe où sur une distance de deux kilomètres plutôt que systématiquement à quatre cents mètres avant le radar serait une bonne façon de gérer l’évolution vers plus de rigueur. Les radars pédagogiques n’ont été qu’une façon de se sortir d’un mauvais pas. Nous ne sommes pas contre, mais à terme, il faudra un retrait des panneaux. Nous ne le demandions pas aujourd’hui, et n’avons pas été consultés. Comme nous avons toujours soutenu, de façon globale, la politique mise en œuvre depuis 2002, nous n’avons pas voulu nous insurger comme l’ont fait certains, mais l’affaire a été mal menée. Dans ce domaine, le brouillage du message a été incontestable.

L’autre grande cause d’accidents est évidemment l’alcool. Et là, il est clair que les alcooliers ne jouent pas le jeu. Il y a des étudiants qui partent en week-end avec des coffrets d’apéritifs pour chaque soir, des distributions gratuites, alors qu’elles sont en fait interdites… Ce n’est pas seulement la sécurité routière, mais aussi la santé publique qui est en cause. Le problème relève moins de la loi que de son application. Nous nous sommes, par exemple, beaucoup battus pour qu’il y ait des éthylomètres dans toutes les discothèques. Mais lorsque M. Novelli, secrétaire d’État au commerce extérieur, a, par mesure d’harmonisation, reculé les heures de fermeture de ces établissements, les gens de la sécurité routière l’ont découvert dans le Journal officiel ! Si la sécurité routière était véritablement une priorité, les auteurs du décret les auraient consultés… Il y a dans ce domaine des intérêts économiques qui s’opposent fortement aux objectifs de la sécurité routière, et probablement aussi de la santé publique.

Nous nous sommes aussi beaucoup mobilisés sur les éthylotests antidémarrage, et permettez-moi de dire que nous avons fait un bon travail. Le décret d’application est paru la semaine dernière. Nous avons mené une expérimentation en Haute-Savoie depuis 2005 et constaté, comme à l’étranger, une réduction du taux de récidive de 60 à 90 % de la conduite en état d’alcoolémie, à condition de coupler la mesure avec un accompagnement et un suivi médical en cas d’addiction. Nous avons donc fait du lobbying lors de l’élaboration de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, et nous nous occupons maintenant de la mise en œuvre des mesures d’application. L’avantage est de réduire le risque tout en permettant aux personnes concernées de continuer à conduire, ce qui est déterminant sur le plan économique et social.

M. Jean-Yves Salaün, délégué général de l’Association Prévention routière. Les éthylotests devaient aussi être rendus obligatoires dans tous les lieux vendant de l’alcool, mais la mesure d’application a pris beaucoup de retard. Le décret paru il y a quelques jours ne concerne que les établissements fermant après deux heures du matin. Il faut l’étendre à tous ceux qui vendent de l’alcool, sans oublier les associations, même pour une soirée. Dès lors qu’on vend de l’alcool, les consommateurs doivent avoir la possibilité de se tester.

M. le rapporteur. Dans les restaurants aussi ?

M. Jean-Yves Salaün. Oui.

M. Bernard Pottier. Dans ce domaine, il y a un changement très net : on n’hésite plus à manger au restaurant sans commander de vin. Mais il y a aussi d’autres évolutions, comme le binge drinking, la « défonce », qui vient des pays du nord et consiste à s’enivrer jusqu’à la limite ultime. Les jeunes Français le pratiquent moins que dans d’autres pays, mais ils prennent davantage le volant ensuite, d’où toutes nos actions « capitaine de soirée ».

Un autre problème nous préoccupe beaucoup : le téléphone – c’est-à-dire aussi les SMS, le GPS, la messagerie… Les gens ont pris l’habitude de tous ces usages et leur voiture est devenue un bureau, au détriment de la conduite. Pour nous, le kit mains-libres est pratiquement aussi dangereux que le téléphone tenu en main. Un certain nombre de pays, comme la Grande-Bretagne, interrogent les opérateurs à chaque accident pour savoir si une communication était en cours. Or, à chaque fois que nous en avons parlé avec les pouvoirs publics français, on nous a répondu que c’était très difficile à réaliser… C’est pourtant indispensable, face à une tendance qui se développe à grande vitesse. Le discours en la matière doit être plus net. L’action peut d’ailleurs aussi passer par les entreprises : certaines, par exemple, interdisent à leurs directeurs commerciaux d’appeler leurs représentants alors qu’ils sont en train de conduire.

M. le président Armand Jung. Vous êtes donc contre le kit mains-libres.

M. Bernard Pottier. Absolument contre. Les études montrent bien sûr une perte d’attention particulière lorsqu’on pianote son numéro, mais surtout une perte de concentration ensuite. Cela n’a rien à voir avec le cas où le conducteur discute avec son passager, parce que celui-ci voit la route en même temps que lui. Le directeur commercial qui dit à son VRP que son plus gros client est en train de le lâcher, lui, ne voit pas ce qui se passe. Les chercheurs ont mis en évidence en particulier un rétrécissement du champ visuel du conducteur.

Tout cela débouche sur une répression accrue, et je sais que c’est une véritable problématique. Notre vocation, c’est la prévention. Dire qu’éduquer les enfants en maternelle aurait permis de sauver autant de vies que les radars et le permis à points serait une vaste hypocrisie, mais si l’on veut dépasser un jour la peur du gendarme et obtenir un véritable changement des comportements, ce sera en enracinant dès le plus jeune âge des réflexes de route partagée. Tous les grands-parents ont entendu un jour un petit leur dire qu’ils n’avaient pas mis leur ceinture… Les réflexes doivent changer. Mais cela ne remplacera pas tout ce qu’il faut avoir le courage de faire en matière de contrôles, voire de sanctions.

Pour ce qui est de l’éducation routière, nous touchons en gros un quart des générations en primaire, 10 à 15 % en collège et moins de 10 % dans les lycées. On nous a demandé de mettre l’accent sur ces derniers – c’est l’âge de tous les dangers : un de nos outils pédagogiques s’appelle d’ailleurs « alcool, cannabis et conduite » ! – et nous sommes en train de mener une expérience, suivie par la sécurité routière et par l’éducation nationale, qui mériterait d’être développée. Plus généralement, de la maternelle à la terminale, il faudrait consacrer une heure par mois à l’éducation routière. C’est pour nous une des formes modernes de l’éducation civique – dire que la vie en société, cela consiste à partager les choses, y compris sur la route. Nous avons aussi obtenu la mise en place de référents dans les collèges et lycées, ils sont en train de s’installer.

M. Jean-Yves Salaün. Il ressort de l’expérimentation que nous conduisons actuellement qu’il est très difficile de faire une place à l’éducation routière dans les lycées, tant les programmes sont chargés. C’est pourtant vraiment le moment de tous les risques. Nous avions réussi à la faire entrer davantage dans les collèges en rendant obligatoire l’attestation scolaire de sécurité routière, et en primaire en créant l’attestation de première éducation à la route. On pourrait donc, comme il en a été question lors du dernier comité interministériel de la sécurité routière, imaginer un module de sécurité routière obligatoire dans les lycées. Face aux réticences de l’éducation nationale, nous avions opté pour l’expérimentation mais il faut maintenant reposer la question. C’est au lycée qu’il faut parler des risques de l’alcool et des drogues et sans une telle obligation, ce sera difficile à implanter.

M. Bernard Pottier. Nous proposons depuis un certain temps de transformer le brevet de sécurité routière, nécessaire pour conduire un cyclomoteur, en véritable permis, qui implique une formation et des points. En passant au permis voiture, le jeune conserverait son crédit ou débit de points. Nous sommes conscients de ce que cela implique au niveau du fichier national du permis de conduire, mais il semble que la nouvelle option technique qui a été prise le permettrait. Certains préféreraient faire passer l’âge minimum pour conduire un cyclomoteur de 14 à 16 ans, comme c’est le cas dans beaucoup de pays européens. Mais il ressort d’une de nos études, certes pas très scientifique, qu’à 14 ans les jeunes, notamment les garçons, sont peut-être un peu moins frimeurs qu’à 16 ans et qu’il n’est pas forcément idiot de commencer à cet âge.

M. Jean-Yves Salaün. Pour ce qui est des relations entre les différents acteurs, le Gouvernement envisage de réactiver le Conseil national de la sécurité routière, qui a été un lieu de dialogue intéressant. L’époque était certes très différente : il s’agissait des quelques années d’un consensus qui était presque imposé par les résultats récurrents des actions de contrôle-sanction, alors que, depuis quelques mois, le doute s’est insinué dans certains esprits. Il est donc nécessaire de rétablir ce dialogue, et votre mission d’information y contribue d’ailleurs. Par exemple, la concertation lancée par Mme Merli sur la question des deux-roues motorisés aurait pu avoir lieu dans le cadre du Conseil national. Nous sommes plutôt favorables à sa remise en place.

M. Bernard Pottier. Quelle que soit l’organisation retenue, notre association est toujours entendue, même si elle n’est pas forcément suivie. Mais une instance institutionnalisée qui regroupe l’ensemble des acteurs a son importance.

M. le rapporteur. Ces acteurs, justement, nous en avons rencontré beaucoup : administrations, chercheurs, associations… avec, pour corollaire, un foisonnement de données. Est-ce une richesse ou faut-il rationaliser, synthétiser, clarifier ?

M. Jean-Yves Salaün. À une certaine époque, des chercheurs très pointus comme ceux de l’INRETS, l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité, étaient davantage entendus que maintenant. Puis a émergé le discours politique sur la sécurité routière, concentré sur les objectifs. Peut-être faudrait-il mettre à nouveau l’accent sur les données techniques dont nous disposons. Aujourd’hui, en effet, tout le monde produit ses propres études, parfois contradictoires. Pourtant, certaines sont plus sérieuses que d’autres, telles celles qui montrent le parallèle entre la baisse des vitesses moyennes et celle du nombre de tués… La vitesse a en effet un statut très particulier : elle n’est pas toujours à l’origine d’un accident mais elle est toujours, on ne l’a pas suffisamment rappelé dernièrement, un facteur aggravant. Un accident causé par l’alcool aura des conséquences bien différentes suivant la vitesse du véhicule. Par ailleurs, le fait que la sécurité routière dépende maintenant du ministère de l’intérieur, alors que les chercheurs dépendent du ministère chargé des transports, rend sans doute un peu plus difficile la coordination entre les acteurs publics.

M. Bernard Pottier. Une association comme 40 millions d’automobilistes, qui a émergé ces dernières années, explique, par exemple, qu’il n’y a pas de lien entre la baisse de la mortalité et celle de la vitesse parce que c’est en 2003 que le nombre de tués a le plus diminué, alors qu’il n’y avait pas encore de radars. Mais, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, les radars avaient été annoncés partout et les gens se méfiaient ! La baisse n’aurait pas duré bien longtemps si l’on avait continué sans vrais radars… Il faut donc prendre un peu de hauteur. Pour le reste, les données que produit l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière sont d’excellente qualité.

M. le rapporteur. Certains de nos interlocuteurs considèrent qu’on est arrivé avec 4 000 morts à un seuil qui n’est peut-être pas incompressible, mais très difficile à franchir par rapport à une population de 40 millions d’automobilistes, considérant, en outre, que 75 % d’entre eux ont leur douze points et que les comportements, au restaurant comme sur la route, ont beaucoup évolué. Bref, on aurait fait tous les gains de bon sens possibles depuis 2002 et les progrès seraient maintenant beaucoup plus difficiles à obtenir. Est-ce votre sentiment ?

M. Bernard Pottier. Pas du tout. L’objectif de 3 000 morts fixé par le Président de la République correspond à 47 tués par million d’habitants alors que la Suède, le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont respectivement à 28, 31 et 32. Nous avons donc un potentiel considérable. D’ailleurs, depuis que nous avons montré qu’il était possible d’être latin et de faire des progrès, les Espagnols et les Portugais ont fait encore mieux que nous – l’Espagne a moins de morts que la France par rapport à la population. Cet objectif ne sera pas atteint avec des discours comme en ont proféré certains parlementaires, très démobilisateurs. Il ne le sera pas non plus avec la seule conjonction du permis à points et des radars : les implantations doivent continuer, mais il faudra dorénavant mener une action plus diversifiée. En tout état de cause, cet objectif est réaliste.

M. le président Armand Jung. Je suis particulièrement sensible à cet optimisme, nous voulons continuer à faire baisser les chiffres.

M. le rapporteur. Les mesures en cours, que certains proposent de durcir, sont-elles adaptées à la bonne cible ? Par exemple, il semble que l’alcool soit la cause de 30% des accidents mortels mais ne fasse l’objet que de 9 % des poursuites, la majorité de celles-ci concernant la vitesse, et particulièrement les petits excès de vitesse. S’il faut, bien sûr, maintenir l’effort sur la vitesse, faut-il vraiment le durcir, sans être sûr d’y trouver des marges de progrès très importantes, plutôt que de chercher des réponses plus adéquates en matière d’alcool, où l’on est loin du compte ?

M. Bernard Pottier. C’est vrai : la somnolence est la première cause d’accidents mortels sur autoroute, et il n’y a pas de radar contre la fatigue. Mais ce que nous savons depuis 2002, c’est que face à une irresponsabilité de masse, il faut une réponse de masse. On l’a trouvée pour la vitesse, pas pour un certain nombre d’autres causes d’accidents. Dès qu’on parle de cible, on oublie l’ensemble des usagers pour se concentrer sur les grands chauffards. C’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. Ce qui a permis de faire des progrès, c’est de dire que tout le monde est responsable. Encore une fois, lorsqu’on roule aujourd’hui à la limite de vitesse sur une autoroute, on est doublé par beaucoup plus de gens qu’il y a quelque temps, peu après 2002.

M. le rapporteur. Pour quelles raisons ?

M. Bernard Pottier. Notamment, pas exclusivement, l’utilisation des TomTom, Coyote et autres. Ils ont leur utilité pour avertir qu’on dépasse la vitesse autorisée, ou qu’elle passe de 110 km/h à 90, mais ils ne doivent pas informer de la présence d’un radar mobile. Il faut se montrer indulgent à l’endroit de la distraction, pas des gens qui enfreignent volontairement, systématiquement, les limitations de vitesse – et il y en a.

M. le président Armand Jung. Merci pour la franchise et la clarté de vos propos.

M. Bernard Pottier. La volonté politique est prépondérante dans ce domaine. Nous attendons ardemment que vous rétablissiez le message qui a été brouillé par certains.

M. le président Armand Jung. C’est notre volonté.

*

* *

Puis, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, du Général Éric Darras, sous-directeur à la sécurité publique et à la sécurité routière, et du colonel Gérard Escolano, chef du bureau de la sécurité routière et des formations et moyens spécialisés (Gendarmerie nationale).

M. le président Armand Jung. Je vous remercie, mon général, mon colonel, d’avoir bien voulu participer à nos travaux.

En matière d’accidentologie, vous êtes en première ligne. Nous souhaiterions mener avec vous une analyse au plus près des faits, qui permettra à notre mission d’information de faire des propositions au Gouvernement et au ministre de l’intérieur.

M. le général Éric Darras, sous-directeur à la sécurité publique et à la sécurité routière (Gendarmerie nationale). Quelques mots tout d’abord concernant le bilan de l’action de la gendarmerie en matière de sécurité routière.

Les quatre premiers mois de 2011 ont été difficiles, notamment en raison de conditions météorologiques très différentes de celles de 2010 à la même période. Il y a assurément un lien de causalité entre ces conditions défavorables – enneigement, blocage des routes – et le nombre de tués. Les résultats ont été ensuite plus favorables, si bien que le bilan des tués sur les huit premiers mois se situe à peu près au niveau de celui des huit premiers mois de 2010, avec une augmentation légère de 1,5 % que nous allons nous employer à résorber avant la fin de l’année.

En matière de contrôle et de répression, la gendarmerie a accru son effort. Les actions entreprises reposent sur les unités à vocation généraliste et celles – pelotons d’autoroute, brigades motorisées – dont la mission première est la sécurité routière. Toujours sur les huit premiers mois de l’année, le nombre d’infractions constatées a augmenté de près de 23 % par rapport à la période correspondante de 2010.

Environ 43 000 gendarmes participent à cette mission, partagée en parts égales entre unités territoriales et unités spécialisées. La gendarmerie souhaite rationaliser l’implantation et l’organisation des unités de sécurité routière, notamment en ramenant le nombre de pelotons d’autoroute à une trentaine pour privilégier une action sur le réseau secondaire. Les brigades rapides d’intervention bénéficieront de la livraison échelonnée de nouveaux véhicules rapides.

Au sein des missions de la gendarmerie, la sécurité routière représente 15 % de l’activité. La révision générale des politiques publiques a eu un impact, avec une diminution d’effectif à hauteur de 350 équivalents temps plein, soit l’équivalent de 10 % de la capacité des unités spécialisées. En dépit de cet effort consenti par la gendarmerie, les résultats sont comparables à ceux de l’année dernière.

S’agissant maintenant des causes des accidents, notre système d’analyse statistique montre que les principales infractions à l’origine d’accidents sont la vitesse pour 24 %, l’alcool pour 10 % et les refus de priorité pour 15 %. À côté de ces causes que nous appelons « directes et définies », on peut relever aussi toutes sortes de défauts de vigilance – par exemple le changement d’un CD, l’endormissement du conducteur, etc. – pour lesquelles il semble difficile de mener une action ciblée.

Notre action répressive et préventive porte donc principalement sur la vitesse et l’alcool.

La mise en œuvre des systèmes automatisés de contrôle et de sanction a contribué à abaisser la vitesse moyenne de circulation de 91 km/h en 2002 à 81 km/h en 2010, ce qui a eu pour conséquence directe la diminution du nombre de tués. Il est également à noter que 90 % des titulaires de permis de conduire disposent d’un capital supérieur ou égal à 10 points. En matière de vitesse, la stratégie de la gendarmerie est double. Premièrement, des contrôles de vitesse avec interception, en utilisant des radars embarqués, automatiques ou portatifs. Deuxièmement, la traque des délinquants routiers à bord de véhicules banalisés – motocyclettes, véhicules légers – afin de cibler les infractions liées aux comportements, comme le téléphone au volant.

S’agissant de l’alcoolémie et des stupéfiants, je rappelle que l’alcool est devenu en 2010 la première cause d’accidents mortels. Ce constat a amené la gendarmerie à accroître le nombre de contrôles avec tous les moyens qui sont à sa disposition – éthylomètres, éthylotests – et à renforcer les actions à caractère plus préventif, notamment à la sortie des discothèques. Le dépistage des stupéfiants, en place depuis deux ans, commence à donner de bons résultats. Alors que ces contrôles nécessitent actuellement la présence d’un médecin, ce qui alourdit considérablement la procédure, la mesure décidée par le dernier CICR – comité interministériel de la sécurité routière – prévoit la réquisition d’un infirmier.

Compte tenu de la priorité que constitue la sécurité routière, le directeur général de la gendarmerie nationale a souhaité recentrer l’action des gendarmes sur leur « cœur de métier ». Ainsi, nous avons de plus en plus recours à des réservistes, nous nous désengageons progressivement de missions périphériques – notamment la gestion du réseau d’appel d’urgence des autoroutes, ce qui a permis de réaffecter des gendarmes sur le terrain –, nous avons supprimé les « plantons » des pelotons d’autoroutes, etc.

Notre effort est également très important dans le champ de la prévention, qui se divise en deux approches.

La prévention en aval tout d’abord. C’est celle que nous menons a posteriori sur les circonstances d’un accident ou lorsqu’une infraction a été commise, pour en tirer les enseignements, si possible avec les personnes impliquées.

La prévention en amont ensuite.

En premier lieu, elle consiste en une présence visible sur le terrain – celle qui provoque la fameuse « peur du gendarme » –, au bord des routes, dans les postes de surveillance ou de régulation, dans les patrouilles. Cette présence doit être autant que possible ciblée dans le cadre espace-temps.

Au-delà de cette prévention opérationnelle, nous participons à la prévention éducative en partenariat avec tous les acteurs de la lutte contre l’insécurité routière. Les militaires de la gendarmerie donnent des conférences et dispensent des formations dans les collèges, les lycées, les entreprises, les associations, ils organisent les pistes d’éducation routière, délivrent les attestations de première éducation à la route, le brevet de sécurité routière, etc. Nous considérons que c’est dès l’enfance que les bonnes habitudes doivent être prises.

En aval, notre action se situe dans le cadre des enquêtes « Comprendre pour agir », diligentées notamment dans le cas d’accidents mortels ou très graves afin d’éclairer les responsables départementaux et d’alimenter le programme « Agir pour la sécurité routière », destiné à appuyer la mobilisation et les initiatives de l’ensemble des acteurs locaux.

La prévention est, dans notre esprit, le complément indispensable de l’action répressive, d’autant plus indispensable que l’objectif qui nous est fixé devient plus difficile à atteindre compte tenu des bons résultats déjà obtenus. Il existe encore des gisements qui permettront de réduire le nombre d’accidents et de tués sur les routes, mais il faudra pour cela utiliser tous les instruments à notre disposition. De ce point de vue, nous croyons que la prévention, notamment auprès des plus jeunes de nos concitoyens, offre des perspectives prometteuses.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Comme beaucoup de nos interlocuteurs, vous constatez qu’avec 4 000 tués par an – pour 40 millions d’automobilistes –, on est arrivé, non pas à un seuil, mais du moins à un point dur qui nécessitera des actions plus spécifiques si l’on veut obtenir une nouvelle réduction.

D’autre part, alors que l’alcool est désormais la première cause d’accidents mortels – 30 % –, l’alcoolémie correspond à environ 9 % des infractions poursuivies, contre 70 % pour les excès de vitesse. Cette inadéquation a provoqué le débat qui a abouti à la création de notre mission d’information. Les forces de l’ordre effectuent 10 à 11 millions de contrôles d’alcoolémie par an. S’agissant de la gendarmerie, vous paraît-il possible d’aller au-delà ?

Enfin, considérez-vous qu’il serait opportun de créer une police de la route, comme certains professionnels le réclament ?

M. le général Éric Darras. Si l’on va plus loin en matière de contrôles d’alcoolémie, ce sera dans la limite des effectifs dont nous disposons et des « heures-gendarme » affectées à la mission. Il pourrait donc y avoir un effet sur d’autres champs infractionnels, comme la vitesse.

Pour être efficaces, les contrôles d’alcoolémie doivent être ciblés dans l’espace mais surtout dans le temps. À 10 heures du matin, un contrôle d’alcoolémie n’a guère de sens alors qu’un contrôle de vitesse est pertinent à toute heure. Pour ce qui est de l’approche spatiale, sans doute est-il préférable de mettre l’accent sur le réseau secondaire plutôt que sur l’autoroute, dans la mesure où les personnes qui savent qu’elles feront un long trajet sont peut-être plus vigilantes en matière d’alcool.

Bref, la conception des contrôles d’alcoolémie doit faire l’objet d’une approche très fine. Il est vrai que ces contrôles se font souvent le vendredi et le samedi soir, aux abords des discothèques, et qu’ils sont de ce fait un peu moins visibles que les contrôles de vitesse pour la plupart de nos concitoyens. Un effort supplémentaire peut être fait s’agissant de l’alcoolémie, à la condition expresse que les contrôles se fassent dans des conditions spatio-temporelles intelligemment déterminées.

M. le rapporteur. La gendarmerie dispose-t-elle de moyens suffisants en effectifs pour mener plus de contrôles, de manière à ce que la « peur du gendarme » puisse véritablement jouer ? Si, à l’heure actuelle, les personnes sortant de boîte de nuit savent qu’elles ont un risque sérieux d’être contrôlées, la plupart de nos concitoyens se disent en revanche qu’après un repas arrosé, ils ont peu de chances d’être contrôlés sur le trajet du retour. Bien entendu, il appartient aux professionnels de décider de la manière d’opérer, mais leurs effectifs leur permettent-ils de faire plus ?

M. le colonel Gérard Escolano, chef du bureau de la sécurité routière et des formations et moyens spécialisés (Gendarmerie nationale). L’effort peut encore être accru puisque, sur les 8 premiers mois de 2011, le nombre de dépistages a augmenté de 3 %. De plus, il existe désormais sur le marché un matériel permettant d’effectuer un pré-ciblage rapide des personnes susceptibles d’avoir consommé de l’alcool, sans avoir à utiliser l’éthylotest – qui suppose que l’on souffle dans certaines conditions. Au moyen de cet appareil, qui détermine seulement si l’haleine du conducteur contient ou non de l’alcool, on peut réaliser un premier aiguillage en distinguant les personnes qui n’ont pas du tout consommé de celles qui ont consommé, à charge d’établir ensuite si l’alcoolémie est verbalisable. Cela nous permettra d’augmenter le nombre de personnes évaluées.

Pour ce qui est des effectifs, nous savons bien que le contexte est difficile. Faire plus dans un domaine suppose peut-être de faire un peu moins dans un autre, mais suppose surtout que nous examinions, dans notre environnement de travail, ce qui mérite d’être changé pour nous permettre de nous consacrer, dans de meilleures conditions, à ce qui est vraiment prioritaire.

M. le général Éric Darras. La police de la route est déjà assurée par la gendarmerie et par la police. Je ne vois pas la plus-value qu’apporterait la création d’un service unique chargé de l’action répressive et préventive. Les deux forces actuelles exercent cette mission dans leurs zones de compétence respectives et je sais d’expérience que les dispositifs de coordination fonctionnent plutôt bien. Les nouveaux protocoles de coordination opérationnelle renforcée entre les agglomérations et les territoires – CORAT –, en cours de signature, portent non seulement sur la délinquance mais aussi sur la sécurité routière.

Bref, pour ce qui est de la gendarmerie, aucune réflexion n’est à l’ordre du jour concernant la création d’un corps spécifique de police de la route.

M. le rapporteur. Ceux qui y songent invoquent la valorisation des professionnels. Par exemple, les CRS affectés à la route semblent être moins considérés que ceux qui sont affectés au maintien de l’ordre.

M. le général Éric Darras. Nous n’avons pas connaissance de tels éléments. Les unités de gendarmerie affectées spécifiquement à la route ont une mission, non pas de police de la route, mais de police sur la route qui englobe tous les types de délinquance. Le dispositif est cohérent et s’intègre parfaitement dans notre organisation territoriale, en visant tous les cas de délinquance sur le secteur autoroutier. Une police qui ne s’occuperait que de sécurité routière aurait un champ d’action restreint, alors qu’il faut pouvoir intervenir sur des phénomènes qui concernent également les unités territoriales. La délinquance peut en effet arriver sur le secteur routier, et donc intéresser les professionnels qui y œuvrent en permanence. Il est important que ceux-ci appartiennent à la même communauté que les unités territoriales.

M. le colonel Gérard Escolano. L’action de sécurité routière est assurée par des unités de gendarmerie dont c’est la vocation, mais aussi, pour une large part, par des unités à vocation « généraliste ». Le périmètre de compétence d’une brigade territoriale inclut tout à la fois des missions de police judiciaire et de surveillance générale, une action de proximité et la sécurité routière. Si l’on créait une police de la route spécifique, faudrait-il envisager de retirer la mission de sécurité routière à ces brigades, qui couvrent pourtant 95 % du territoire ? Je doute que l’on y gagne.

M. Christian Vanneste. L’usage du cannabis présente des problèmes nouveaux de sécurité routière. Il semblerait que les moyens de contrôle soient moins nombreux et plus coûteux qu’en matière d’alcoolémie. Alors que les dangers du cannabis et de l’alcool pour la conduite sont similaires, il n’y aurait pas égalité de traitement. Pourriez-vous préciser les moyens dont vous disposez et l’emploi que vous en faites ?

Pour ce qui est des contrôles, l’idée est de cibler les actions sur les situations les plus accidentogènes. On le sait, ce sont les 18-25 ans qui paient le plus lourd tribut, très souvent lors des sorties du samedi soir. Vous arrive-t-il de mener des opérations « coup de poing », avec des contrôles massifs ayant un effet véritablement dissuasif ?

Enfin, certains véhicules échappent plus que d’autres au contrôle et à la sanction. Il y a le cas des deux roues, mais aussi et surtout le problème de l’impunité des conducteurs étrangers. La mise en œuvre d’accords avec certains pays constitue un progrès, certes, mais ces accords sont ponctuels. Il arrive que les conducteurs venant de grands pays où la vitesse n’est pas limitée sur autoroute continuent sur leur lancée en traversant notre territoire. Ils ne sont guère contrôlés – encore faudrait-il que la gendarmerie dispose de véhicules rapides en nombre suffisant – et, lorsqu’ils le sont, ils ne sont pas punis.

M. le général Éric Darras. Pour ce qui est de l’action en direction du public jeune, notamment à la sortie des discothèques, je peux vous faire part de mon expérience de colonel en charge du groupement de la Corrèze pendant trois ans et, auparavant, de commandant de compagnie en Normandie. En association étroite avec les gérants des établissements, nous conduisons, le vendredi et le samedi soir, des opérations ciblées sur l’information des jeunes, en les accompagnant parfois de contrôles sur les routes habituellement empruntées à la sortie de la discothèque ou aux alentours, notamment sur les routes qui la contournent.

M. le colonel Gérard Escolano. La question des stupéfiants appelle les mêmes remarques que celle de l’alcoolémie. En 2011, nous avons presque multiplié par deux le nombre des contrôles dans le domaine des stupéfiants. La gendarmerie continue de se donner les moyens de ces interventions, et ce d’autant plus que les accidents corporels feront désormais l’objet d’un dépistage systématique des stupéfiants au même titre que l’alcool.

Même si nous progressons plus rapidement, nous sommes sans doute dans la même situation que celle qui prévalait, il y a plusieurs décennies, en matière de contrôle d’alcoolémie. Lorsque nous avons dû mettre en place des moyens matériels, il n’existait sur le marché que très peu de kits de contrôle. Nous avons choisi à l’époque le meilleur produit. Aujourd'hui, alors que nous mettons à l’étude un nouveau marché, nous sommes confiants quant aux propositions que les entreprises nous feront car les matériels ont bien évolué.

Il existe également des dispositifs analogues à l’éthylomètre, c'est-à-dire faisant l’objet d’une homologation et fournissant des mesures qui permettraient de valider une verbalisation. Sans doute serait-il intéressant d’étudier les conditions et le cadre législatif dans lesquels on pourrait mettre en œuvre de tels appareils.

Enfin, les mesures décidées récemment permettront de procéder plus rapidement à une prise de sang après que l’on aura constaté qu’un conducteur est sous l’emprise de stupéfiants. Cette accélération de la procédure permettra aux personnels ayant conduit l’intervention de retourner plus vite sur le terrain.

J’en viens à la question des véhicules étrangers qui échappent aux sanctions. C’est une réalité indéniable. Un quart des infractions concernant les limitations de vitesse sont le fait de véhicules immatriculés à l’étranger. Pour la période estivale, le chiffre s’élève à 2 millions de véhicules. Pour répondre à cet enjeu considérable, des décisions ont été prises au niveau européen et la perspective d’une transmission d’informations relatives à ces infractions commence à se dessiner. Demain, le centre de traitement automatisé de Rennes pourra transmettre l’immatriculation des véhicules aux pays européens qui se seront associés à l’opération, en vue du traitement de l’infraction.

Un autre dispositif, le lecteur automatique de plaques d’immatriculation, pourrait aider à la lutte contre ce phénomène. Pour l’heure, il n’est pas ouvert à la sécurité routière. S’il l’était, il nous permettrait de constituer, avec toutes les garanties prévues par la loi, une base de données sur les véhicules impliqués dans des délits et nous pourrions les intercepter lors de leur passage sur le territoire.

Nous entendons également multiplier les interceptions afin de verbaliser sur-le-champ le conducteur en infraction.

On peut enfin recourir à une enquête judiciaire pour essayer d’identifier les conducteurs qui commettent régulièrement des infractions, mais la procédure est beaucoup plus longue.

M. le rapporteur. Bref, ce n’est pas encore au point...

M. le colonel Gérard Escolano. Il y a encore du travail à faire.

M. le rapporteur. En matière de politique de sécurité routière, on parle beaucoup d’acceptabilité sociale : une mesure ne serait appliquée, et donc efficace, que lorsqu’elle est comprise et acceptée ; au contraire, le rejet poserait des problèmes en termes d’efficacité. Les petits excès de vitesse, notamment, ont été au centre du débat après les mesures prises par le CISR au mois de mai. Que pensez-vous de cette notion d’acceptabilité sociale ?

Par ailleurs, nos concitoyens disent souvent qu’ils veulent bien être contrôlés, mais pas piégés comme ils en ont souvent le sentiment en matière de contrôle de vitesse. Selon eux, il arrive que les forces de police ou de gendarmerie se cachent – une circulaire ancienne, aujourd'hui abrogée, demandaient d’ailleurs aux forces de l’ordre de ne pas se mettre volontairement en situation de piège – ou pratiquent des contrôles à des endroits où la route n’est pas lisible : par exemple sur une route à quatre voies où la limitation de vitesse passe de 110 à 90 km/h sur quelques centaines de mètres, sans que l’on sache toujours très bien pourquoi.

Avez-vous des instructions particulières à ce sujet ? Quelle est votre opinion concernant ce sentiment de certain de nos concitoyens ? Existe-t-il, de fait, des méthodes de piégeage ? Il semblerait qu’il existe des instructions, y compris en provenance du Gouvernement, pour « faire du chiffre ». Il n’y a rien d’anormal à exiger des résultats de la part d’une administration. Mais on peut être alors tenté de se placer là où la pêche sera la plus prometteuse...

M. le général Éric Darras. J’opposerai à l’exemple de l’acceptabilité sociale des petits excès de vitesse celui de l’acceptabilité de l’insécurité routière et des tués sur les routes. La répression des excès de vitesse, petits ou moyens, peut en effet donner l’impression d’un acharnement des forces de l’ordre, d’une volonté de piéger l’automobiliste ou de « faire du chiffre ». Mais cette logique est totalement étrangère à la conception du service qui prévaut dans la gendarmerie en matière de sécurité routière. Nous ne sommes pas là pour piéger les gens mais pour les protéger, qu’il s’agisse de sécurité routière ou qu’il s’agisse d’autres formes de délinquance. Peut-être un sentiment est-il en train de se développer à se sujet dans la population, mais j’affirme que nous ne recherchons en aucun cas le piégeage.

Par ailleurs, la question de l’harmonisation des limitations de vitesse, pour laquelle une volonté s’est exprimée, est du ressort des élus et non de la gendarmerie ou de la police.

Je le répète, la présence de la gendarmerie au bord des routes est organisée dans un esprit de ciblage. Que de petits excès de vitesse soient sanctionnés, cela arrive, bien sûr. Mais si les conducteurs échappent à toute verbalisation en roulant à 10 km/h au-delà de la limite – ce qui est déjà beaucoup –, ils risquent de s’autoriser, quelques kilomètres plus loin, un dépassement beaucoup plus important.

En tout état de cause, je m’inscris en faux contre l’idée d’acharnement ou de piégeage.

M. le rapporteur. Ce sentiment peut venir du fait que 70 % des infractions relevées sont liées à la vitesse, notamment aux petits excès de vitesse. Il n’y a rien que de très logique à cela : il suffit de machines pour les constater alors que les contrôles d’alcoolémie mobilisent des effectifs pour appliquer la procédure. Il en résulte une inadéquation entre le taux de poursuite en matière de vitesse et en matière d’alcoolémie et le caractère accidentogène de chacune de ces deux infractions.

Si je vous entends bien, donc, il n’existe pas de dissimulation manifeste du contrôle ou de volonté de situer les contrôles à des endroits particulièrement propices à la constatation d’infractions...

M. le général Éric Darras. Notre priorité, je l’ai dit, est le ciblage dans l’espace et dans le temps. Nous n’avons plus les moyens de faire des contrôles n’importe où, d’autant que le nombre de tués et d’accidents reste très important. Nous ne nous installons pas à un endroit pour « faire du chiffre ».

M. le rapporteur. Pourtant, ce sont des situations que tous les automobilistes peuvent voir. Ce n’est pas une pure invention !

M. le général Éric Darras. Peut-être cela a-t-il pu être constaté, mais, je le répète, ce n’est pas ce qui inspire l’action répressive de la gendarmerie sur le terrain.

M. le colonel Gérard Escolano. Pour ma part, en huit ans de responsabilités dans des groupements, il ne m’est jamais arrivé de donner des directives visant à placer des contrôles pour faire « rentrer » un nombre important d’infractions. Sans doute peut-il arriver que l’interprétation soit différente localement, mais le mot d’ordre ne varie pas : les forces de l’ordre doivent se placer là où leur présence permettra d’abaisser le nombre de tués, c'est-à-dire de sauver des vies. Si leur présence visible pendant un laps de temps donné, sans enregistrer aucune infraction, permet d’éviter un accident mortel, elles auront été efficaces.

Assurément, le volume des infractions traitées augmente car nos moyens nous permettent de travailler un peu plus vite. Nous souhaitons que ces moyens s’accroissent afin de cibler encore mieux notre présence sur le terrain.

M. le rapporteur. De quels moyens parlez-vous ?

M. le colonel Gérard Escolano. Le procès-verbal électronique, par exemple, nous évitera d’avoir à gérer le procès-verbal une fois l’infraction relevée. Ce type de gain technologique nous permet de recentrer notre action. Pour le reste, notre objectif est de trouver le meilleur positionnement pour identifier et intercepter les conducteurs véritablement en marge, dont certains sont coutumiers de ces comportements et profitent des failles du système. Si notre action semble un peu moins lisible, c’est justement parce que nous ne ciblons pas monsieur Tout-le-monde, mais les automobilistes qui se refusent systématiquement à respecter les règles et qui sont de vrais dangers. Leur interception dans de bonnes conditions de sécurité et l’établissement de l’infraction avec certitude suppose le déploiement de toute une stratégie sur le terrain.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie de nous avoir apporté ces informations sur votre action et de nous avoir fait part de votre point de vue.

*

* *

Puis, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Didier Bollecker, président, et de Roger Braun, directeur général de l’Association française des automobilistes (Automobile Club).

M. le président Armand Jung. Nous poursuivons nos auditions relatives aux causes des accidents et à la prévention routière en accueillant les représentants de l’Automobile Club.

Nous avons déjà eu l’occasion de nous rencontrer lors d’une réunion décentralisée. Je vous propose, messieurs, d’aller encore plus loin, de nous faire partager votre expertise et votre connaissance de l’automobile et des automobilistes, et de nous présenter des propositions qui nous aideront à rédiger le rapport que nous allons remettre au Gouvernement.

M. Didier Bollecker, président de l’Association française des automobilistes (Automobile Club). L’Association Automobile Club est issue du regroupement de l’Automobile Club d’Alsace et d’une vingtaine d’autres Automobile-Clubs avec la Fédération française des Automobile-Clubs, à l’époque présidée par Christian Gérondeau, toujours membre de notre comité de direction.

Avec un peu plus de 700 000 membres cotisants, l’Automobile Club est probablement la première organisation représentative des automobilistes. À ce titre, elle est membre de la Fédération internationale de l’automobile (FIA), au sein de laquelle j’exerce des fonctions de juge auprès du tribunal international et de membre de l’Euroboard. Je suis également membre du conseil d’administration du fonds de garantie automobile, ce qui me permet d’aborder les questions de sécurité routière dans les circonstances particulières que constitue le défaut d’assurance.

L’Automobile Club se préoccupe de sécurité routière depuis maintenant 110 ans. Nous avons donc une certaine expérience et nous avons eu l’occasion d’observer de près le comportement de cet « homo mobilis » spécial qu’est le conducteur.

Un accident fait toujours intervenir trois facteurs : le conducteur, la voiture et les infrastructures. Les réflexions dont je souhaite vous faire part relèvent de ces trois domaines.

Je commencerai par la route, lieu où survient le drame. Les infrastructures ne sont pas toutes égales. En effet, sur le nombre total des accidents mortels, 6 % surviennent sur l’autoroute, 9 % sur les routes nationales, 66 % sur les routes départementales et 19 % sur les voieries communales et urbaines. Si nous pondérons ces chiffres par le kilométrage et le trafic, cela signifie qu’il est huit fois plus dangereux – avec le même véhicule et le même conducteur – de rouler sur une route départementale que sur une autoroute. L’infrastructure a donc une importance considérable.

C’est pour cette raison que la Fédération internationale de l’automobile a développé le programme EuroRAP, qui procède à une analyse des routes au moyen d’un système perfectionné d’enregistrement portant sur la qualité des revêtements et la signalisation, analyse mise en corrélation avec des données d’accidentologie. Ce programme n’a pas d’effets directs sur la sécurité, mais il constitue un outil clair et indiscutable pour déterminer les zones à risques. Malheureusement, la France est l’un des rares pays européens à ne pas y participer. Nous demandons instamment que notre pays rejoigne le programme EuroRAP. J’ai d’ailleurs quelque honte à vous avouer que les seuls axes qui ont pu être examinés en France l’ont été par nos homologues étrangers, à leurs frais, sur la route des vacances de leurs ressortissants. Cette situation est inadmissible. Le Président Chirac avait indiqué que la France rejoindrait le programme, mais, depuis, on invoque des problèmes techniques ou le fait que les routes dépendent désormais des départements. Ces arguments ne résistent pas à l’examen. Les moyens techniques et les données existent. Il faut que la France s’engage dans ce programme, d’autant qu’elle n’a pas à rougir de son réseau routier. Encore faut-il pouvoir détecter les points noirs.

J’en viens à un autre aspect des infrastructures, à savoir la notion de « route qui pardonne ». Des études suédoises ont montré que chaque conducteur commet, en conduisant, à peu près un geste erroné tous les 500 gestes – tourner le volant, changer de vitesse, actionner les phares, les essuie-glaces, etc… Cette donnée est statistique et, semble-t-il, irréductible. Un accident est donc la conjonction, dans un certain espace temps, de plusieurs gestes erronés, de la part du conducteur lui-même ou de celui qui vient en face. Il faut donc que la route pardonne : nous avons pour cela les rails de sécurité ou encore les pylônes protégés. Dans les pays scandinaves, il existe des glissières de sécurité sur des routes à deux voies. Dans la mesure où le conducteur est imparfait et le demeurera, la notion de route qui pardonne doit être prise en considération.

Le deuxième facteur d’accidents, ce sont les véhicules. Ceux-ci ont fait l’objet de progrès considérables – je pense à la ceinture de sécurité, introduite par Christian Gérondeau, aux cellules déformables en cas de choc, mises en évidence par le programme des crash tests, au fameux programme Euro NCAP, lui aussi initié par la FIA, à l’ESP, rendu obligatoire après une importante campagne de la FIA, et à bien d’autres aides électroniques. Les voitures d’aujourd’hui sont donc infiniment plus sûres que celles d’autrefois, même si cela peut avoir quelques effets pervers dans la mesure où plus confortables, plus silencieuses, elles peuvent entraîner la perte de la notion de risque pour le conducteur.

Ce tableau idyllique est quelque peu assombri par l’âge du parc automobile français. La France est, en effet, l’une des lanternes rouges de l’Europe dans ce domaine, puisque, depuis l’an dernier, l’âge moyen des véhicules a dépassé huit ans. Or, en huit ans, ont été accomplis d’importants progrès en matière de sécurité routière. C’est d’autant plus préoccupant que ce sont souvent les jeunes qui roulent dans de vieilles voitures et qui paient le plus lourd tribut à la sécurité routière. Il n’est pas admissible qu’un conducteur âgé soit simplement un jeune qui ait survécu.

Le facteur voiture me paraît donc globalement très en avance par rapport au dernier facteur, le conducteur. Le fossé se creuse entre le progrès technique et la formation du conducteur. Le viatique rose que l’on obtient lorsque l’on atteint sa dix-huitième année est en principe un permis à vie, alors que tout le monde s’accorde à dire qu’au lendemain de son permis de conduire, un conducteur ne sait pas conduire. Certes, il sait faire un créneau et respecter un certain nombre de règles, après avoir réussi à remplir son QCM sans faire plus de cinq ou six erreurs, mais il est clair qu’il ne sait pas conduire. Or, il va se retrouver dans le flux de la circulation. Que les jeunes paient un plus lourd tribut en matière de sécurité routière est malheureusement tout à fait normal parce qu’ils n’ont pas d’expérience, parce qu’ils roulent probablement dans un véhicule plus ancien et, enfin, parce que lorsqu’on est jeune, on n’a pas la même perception du risque que plus tard, lorsqu’on s’est un peu assagi.

Compte tenu de tous ces facteurs, il existe aujourd’hui un divorce complet entre la formation du conducteur et les nécessités réelles de la conduite. Le meilleur exemple à suivre en la matière est celui de l’Autriche, qui, en 2003, a mis en place un cursus obligatoire de formation des jeunes conducteurs dans les douze mois qui suivent l’obtention du permis de conduire. Il n’est pas question de modifier la formation initiale du permis de conduire mais de reprendre les acquis, après un an de circulation effective, lorsqu’on commence à croire qu’on sait conduire. Cette formation, obligatoire pour la validation définitive du permis, consiste à passer un certain nombre d’heures sur des pistes de sécurité routière, destinées à montrer au conducteur ses limites et à quel point il est facile de sortir de la route.

L’Automobile Club exploite sur l’ensemble du territoire français sept pistes de sécurité routière qui permettent de former annuellement environ 20 000 stagiaires.

En Autriche, l’expérience conduite a entraîné une diminution permanente de l’accidentologie des jeunes conducteurs de 30 %. C’est un résultat tangible, scientifiquement constaté, non équivoque, qui constitue une piste extrêmement sérieuse pour diminuer l’accidentologie en France, particulièrement celle des jeunes conducteurs. Nous préconisons donc d’instaurer en France, le plus rapidement possible, un stage obligatoire post-permis, qui pourrait être effectué avant même l’attribution des douze points.

Comme vous le savez, une directive européenne dispose que le permis de conduire n’est plus décerné à vie mais doit faire l’objet d’une validation tous les quinze ans. Mais la transposition nationale de cette directive permet aux États de procéder à un renouvellement purement administratif. Le moment est peut-être venu de réfléchir aux modalités de renouvellement du permis de conduire. Nous pourrions peut-être envisager un stage de remise à niveau, qui pourrait avoir lieu sur des pistes de sécurité routière, ou encore un examen de la vue – 44 % des accidents interviennent de nuit, ce qui laisse penser que de nombreux conducteurs ont des problèmes de vision. Voilà des pistes que nous pourrions suivre.

M. le président Armand Jung. Nous vous remercions pour la clarté de votre exposé, mais j’attire votre attention sur le fait qu’en Autriche, le nombre de tués sur les routes par million d’habitants est encore largement plus élevé qu’en France.

M. Didier Bollecker. Cela n’exclut pas l’efficacité des solutions mises en œuvre !

M. le président Armand Jung. Il est évident pour notre mission qu’il faut faire quelque chose pour améliorer la formation au permis de conduire.

Êtes-vous favorable au bridage des moteurs et au limiteur de vitesse LAVIA ? Selon vous, quel équipement convient-il de rendre obligatoire ?

M. Didier Bollecker. S’agissant du bridage des véhicules, je vous répondrai de façon quelque peu provocatrice : les seuls véhicules bridés commercialisés en Europe sont les véhicules allemands haut de gamme des marques BMW, Mercedes et Audi, mais ils sont bridés à 250 km/heure. En revanche, aucun véhicule français n’est bridé. Cette boutade mise à part, le fait de brider les véhicules à 150 km/heure ne serait pas une solution, même si techniquement elle est simplissime, car la majorité des accidents se produisent sur les routes nationales et les routes secondaires, là où la vitesse est limitée à 90 ou à 110 km/heure. Le bridage ne pourrait être efficace que pour les véhicules circulant sur l’autoroute.

Par ailleurs, on ne peut créer deux catégories de véhicules. Or le bridage des moteurs n’est envisageable que sur les véhicules nouveaux – sur les véhicules anciens, il faudrait brider la course de l’accélérateur, donc la puissance et la faculté de dépassement, qui est un gage de sécurité. Compte tenu de l’état du parc français, dont l’âge moyen est de huit ans – ce qui signifie que certains véhicules ont un an mais que d’autres en ont seize –, le délai nécessaire pour équiper l’ensemble des véhicules serait de seize ans, ce qui est considérable.

La troisième raison pour laquelle je suis défavorable au bridage des moteurs, c’est qu’il m’arrive de rouler en Allemagne à plus de 130 km/heure. Je ne sais pas si c’est une bonne chose, mais j’en ai le droit. Il n’est pas envisageable de dire aux conducteurs que leur véhicule ne leur servira à rien à l’étranger. En outre, quelle devra être notre attitude vis-à-vis des véhicules étrangers qui, eux, ne seront pas bridés ? Or je viens d’entendre vos précédents intervenants indiquer que 24 % des infractions d’excès de vitesse concernent des véhicules étrangers. Pour toutes ces raisons, le bridage me paraît une fausse bonne idée.

Là encore, on veut suppléer à un défaut de formation – j’entends par formation la responsabilisation, voire le civisme des conducteurs. Allons-nous continuer à réprimer et à limiter ou allons-nous enfin nous engager dans la responsabilisation et la formation, comme le souhaite l’Automobile Club ?

Les aides électroniques qu’il conviendrait d’élargir à tous les véhicules sont nombreuses. On peut citer l’indicateur de franchissement de ligne continue, l’éthylomètre, le régulateur de distance. Quant au régulateur de vitesse, c’est un outil intéressant, mais le conducteur qui, sur l’autoroute, active son régulateur de vitesse en le fixant à 130 km/heure – en général, en dépassant légèrement cette vitesse – se laisse conduire par le véhicule. En ce qui me concerne, je n’utilise jamais le régulateur de vitesse sur autoroute car je le considère comme un facteur considérable d’endormissement, particulièrement la nuit lorsque la circulation est faible. La voiture roule toute seule. C’est très dangereux !

Le régulateur de distance, quant à lui, est un radar à effet doppler qui permet, en particulier sur l’autoroute, de maintenir une certaine distance – par exemple 75 mètres – entre votre véhicule et celui qui vous précède. Si ce véhicule accélère au-delà de 130, le vôtre restera à cette vitesse, mais s’il ralentit, votre véhicule ralentira pour conserver cette distance de 75 mètres. Il se trouve que mon véhicule est équipé de ce dispositif. Je l’ai testé cet été en Suisse, où les contrôles sont très fréquents. Il se trouve qu’un ralentissement brutal s’est produit, et la voiture a réagi avant moi. Le régulateur de distance est un dispositif très intéressant qui devrait être obligatoirement associé au régulateur de vitesse.

M. le président Armand Jung. Mais il n’est utile que sur l’autoroute.

M. Didier Bollecker. En effet. Il ne s’agit pas de demander aux constructeurs de l’installer car c’est un dispositif coûteux. Quant à l’ESP – l’électro-stabilisateur programmé –, il a été généralisé, et je m’en félicite car c’est un outil extraordinaire.

La première étape pourrait être l’avertisseur de franchissement de ligne continue, dont sont équipés quelques véhicules, notamment chez Citroën. Dès que le véhicule franchit une ligne continue – ou une ligne discontinue sans avoir activé le clignotant –, une vibration se produit dans le volant et dans le siège du conducteur. Ce n’est pas la panacée, mais c’est un progrès considérable, car beaucoup de gens déboîtent sans activer au préalable leur clignotant, tandis qu’un certain nombre de conducteurs franchissent les lignes continues.

M. le président Armand Jung. Quel serait, selon vous, le tableau de bord idéal ? Je m’étonne que des véhicules dont le coût dépasse les 30 000 euros soient encore équipés d’indicateurs analogiques.

M. Didier Bollecker. En matière d’ergonomie du tableau de bord, quelques tentatives ont été entreprises dans les années 1960-1970 – souvenez-vous du cadran rond composé d’une loupe installé sur la Citroën GS : les études ont montré que le conducteur avait une meilleure perception du cadran. Nous nous acheminons vers une nouvelle technologie qui va permettre de réduire le tableau de bord à un écran plasma, comme dans les avions. Le conducteur pourra organiser son écran comme il le souhaite – il lui sera par exemple possible de zoomer sur le compteur de vitesse, un peu comme sur un iPad. Mais je ne sais pas si cet outil aura un impact en matière de sécurité routière.

L’accessoire qui me paraît promis à un bel avenir est la projection des données sur le pare-brise, qui permet de visualiser des données sans perdre la route de vue. Ce dispositif représente à mes yeux un progrès considérable. Il sera d’autant plus utile si les véhicules sont équipés de systèmes de type LAVIA, qui communiqueront en permanence avec la voiture et donneront des indications au conducteur.

Je vous l’ai déjà indiqué, je suis opposé de façon rédhibitoire aux radars dits pédagogiques, car je trouve absurde de dépenser de l’argent pour indiquer aux conducteurs à quelle vitesse ils roulent, alors qu’il leur suffit de regarder leur compteur ! Vous pouvez m’objecter qu’ils ne regardent pas leur compteur, mais cela relève d’un problème de formation. En revanche, le système LAVIA me paraît être une excellente initiative, mais sa mise en place sur les routes et à l’intérieur des véhicules nécessitera des infrastructures très coûteuses, alors qu’un grand nombre d’accidents, j’en suis persuadé, pourraient être évités en améliorant la formation. Je crains qu’en agissant comme nous le faisons, nous continuions à déresponsabiliser les conducteurs.

M. le président Armand Jung. Notre rapporteur s’est souvent demandé pourquoi nous fabriquons des véhicules qui roulent à 250 km/heure pour ensuite mettre en place une batterie de dispositifs techniques afin de réduire la vitesse de ces véhicules.

Concernant l’ergonomie du tableau de bord, nous n’avons cessé d’entendre au cours de nos auditions l’argument selon lequel il faut avoir les yeux « rivés » sur le tableau de bord pour veiller à ne pas dépasser la vitesse autorisée. Il serait pourtant facile, pour les constructeurs, d’améliorer le tableau de bord, mais cela leur coûte cher et ils jugent plus valorisant de proposer des techniques plus sophistiquées.

Le système LAVIA est un bridage intelligent qui, selon nos informations, ne coûte pas très cher. Le problème est que nous ne disposons pas en France des cartes électroniques contenant l’ensemble des limitations de vitesse. Je crois pourtant, pour ma part, que notre pays est tout à fait capable de mettre en place cette cartographie électronique, indispensable à la réussite de ce type de limiteur de vitesse.

M. Didier Bollecker. Selon les chiffres de l’Observateur interministériel de la sécurité routière, les excès de vitesse supérieurs à 50 km/heure représentent 0,07 %, les excès supérieurs à 40 km/heure 0,2 %, et ceux supérieurs à 30 km/heure 0,6 %. Leur cumul n’atteint même pas 1 % ! Dans ces conditions, est-il opportun de mettre en œuvre des dispositifs comme le LAVIA ? Quant au bridage, cela reviendrait, à mon avis, à écraser une mouche avec un marteau-pilon !

M. le président Armand Jung. Si nous poussons votre raisonnement jusqu’au bout, on peut s’interroger sur la nécessité d’imposer des limitations de vitesse ? Mais pour cela, il faudrait que tous les conducteurs aient un comportement idéal ; or ce n’est pas le cas. Voilà pourquoi nous cherchons ce qui peut être amélioré.

M. Didier Bollecker. Il est vrai que le comportement des conducteurs n’est pas idéal et doit être amélioré. Pour autant, nous pourrions alléger notre réglementation. Certains pays expérimentent la suppression des feux tricolores en agglomération, et cela donne d’assez bons résultats : au lieu de passer au vert sans vérifier qu’aucun véhicule n’a grillé le feu rouge, tout le monde ralentit.

Si le Gouvernement annonçait sa décision d’imposer le bridage des véhicules, cela porterait un coup rude aux constructeurs français et aurait une incidence en matière de sécurité routière. Les États-Unis sont le premier pays à avoir introduit des limitations drastiques sur autoroute. Or cette mesure a totalement arrêté les progrès technologiques des voitures américaines, qui n’ont absolument pas les mêmes capacités techniques que les voitures européennes. Cela montre que certaines mesures risquent de freiner les progrès en matière de sécurité routière.

Nous sommes parvenus à un phénomène de seuil. Une voiture puissante, bien insonorisée et confortable, provoque l’endormissement du conducteur et la perte de la notion du risque. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut en revenir à la 4 CV, bruyante, mal amortie et qui freinait mal. Nous devons assumer le progrès et adapter la formation des conducteurs. Telle est notre position.

M. Roger Braun, directeur général de l’Association française des automobilistes (Automobile Club). Je souhaite revenir sur la vitesse et la formation. Nous savons que 66 % des accidents mortels de la circulation se produisent sur les routes départementales. Ces accidents sont plus souvent dus à une vitesse excessive par rapport aux circonstances qu’à un dépassement de la vitesse autorisée. La difficulté est de faire en sorte que le conducteur ne perde pas de vue la notion de risque. Or, les jeunes conducteurs, par manque d’expérience, n’ont jamais été placés dans des situations de danger : pourtant, ce sont eux qui dépassent les 60 km/heure sur une route enneigée ou en présence de brouillard. L’expérience autrichienne nous montre l’intérêt de placer le jeune conducteur, durant la première année après son permis de conduire, face à des situations qu’il risquera de rencontrer. C’est pourquoi sa formation doit comporter une phase pratique le plaçant dans des situations qu’il croit maîtriser, mais qu’en réalité, il ne maîtrise pas du tout.

Permettez-moi de vous raconter une anecdote. Lorsque l’Automobile Club s’est intéressé, il y a un certain nombre d’années, à la formation à la conduite, nous avons été amenés à reprendre sept pistes dispensant ce type de formation. J’ai personnellement suivi une formation, faisant équipe avec l’un de mes collaborateurs. Celui-ci, qui avait déjà suivi une formation visant à maîtriser son véhicule, m’a assuré qu’il viendrait à bout de l’épreuve… mais il n’y est parvenu qu’à son deuxième tour de piste. Or, sur la route, il n’y a pas deux essais, et c’est pourquoi il est indispensable que les conducteurs reçoivent une formation complète. Ils doivent comprendre que sur la route, on ne joue pas. Que la vitesse soit limitée ou non, un conducteur doit rester maître de son véhicule en toutes circonstances – à condition, bien sûr, de conduire un véhicule en bon état, de n’être ni fatigué ni sous l’emprise de telle ou telle substance.

La sécurité routière pose des problèmes complexes, pourtant, au fond, il s’agit de quelque chose de relativement simple : il suffit que chacun prenne conscience que la conduite n’est pas un acte anodin mais un acte reposant sur l’apprentissage, ce qui justifie une formation continue.

M. le président Armand Jung. Certains des intervenants que nous avons entendus ici même nous ont dit exactement l’inverse.

Quel délai faut-il prévoir entre l’obtention du permis et le stage post-permis ?

M. Didier Bollecker. Un délai situé entre douze et dix-huit mois serait convenable. Les conducteurs ne devraient pas pouvoir enlever le A avant d’avoir effectué le stage.

L’organisation de ces stages pose des problèmes d’infrastructures et de coût. Mais les Autrichiens considèrent qu’en réduisant accidents, décès et invalidités, les stages ont économisé près de 100 millions d’euros par an. Avec une telle somme, on peut former un certain nombre de stagiaires ! Sur le plan de l’équilibre macro-économique, cette formation ne semble pas poser de problèmes majeurs.

Bien que notre association soit une organisation sans but lucratif, nous avons tout de même des impératifs à respecter. L’exploitation des pistes de sécurité routière est un exercice difficile sur le plan financier. Si nous voulons que les gens investissent dans les pistes de sécurité routière, il faut qu’elles intéressent un nombre suffisant de stagiaires. Je pense qu’une incitation de l’État serait la bienvenue, non seulement en direction des jeunes conducteurs, pour qui ce stage serait obligatoire, mais aussi pour tout conducteur qui y participerait, la conduite sur une piste de sécurité routière constituant une expérience intéressante et très ludique. Cette incitation, qui ne serait pas forcément financière et ne coûterait rien à l’État, pourrait prendre la forme d’un bonus d’un point ou de deux points sur le permis du conducteur suivant un stage. Une telle incitation, de nature à multiplier le nombre des stagiaires, permettrait de développer les pistes et les infrastructures nécessaires pour accueillir massivement les jeunes conducteurs. En l’absence d’incitation, je crains que ces stages ne s’adressent qu’à un public marginal.

M. le président Armand Jung. Quel est le prix moyen d’une telle formation ?

M. Roger Braun. Le coût des formations les plus complètes, destinées aux personnels des entreprises, est de l’ordre de 260 euros, mais celui des formations destinées aux jeunes conducteurs est inférieur à 200 euros. Cela dit, le tarif des formations est naturellement lié à leur volume et une organisation plus industrielle permettrait de rendre l’opération encore plus accessible. Je rappelle, en outre, qu’elle intéresse également les assureurs, souvent enclins à contribuer à des opérations qui permettent de faire baisser la sinistralité. Du reste, une part non négligeable des stages que nous dispensons est réalisée en partenariat avec les assurances, qui prennent en charge tout ou partie de leur coût.

Nombre de Français sont persuadés de la nécessité de ces stages. Pour ma part, je ne connais pas de comité interministériel de la sécurité routière qui ne prévoit pas d’expérimenter la mise en place de stages de formation pour les jeunes conducteurs. Toutefois, une telle mesure n’est pas mise en œuvre, en dépit des préconisations de nombreux rapports, tant au plan européen qu’au plan national. Je citerai à cet égard le rapport Lebrun/ Mathieu de 2008 qui concluait au retard important de la France en la matière et à la nécessité de mettre en œuvre des stages post-permis pour les jeunes conducteurs. S’il ne fallait retenir qu’une seule mesure, ce serait celle-ci tant il est évident qu’elle aurait des résultats positifs.

M. Didier Bollecker. Je rappelle que, depuis l’ordonnance de 1970, la détention d’un alcootest dans tous les véhicules est obligatoire dans des conditions fixées par arrêté. Or cet arrêté n’a jamais été publié.

M. le président Armand Jung. C’est justement l’une des propositions de la Mission !

M. Didier Bollecker. À l’inverse, le décret d’application de la loi que vous avez récemment votée concernant l’éthylotest embarqué – cet EAD constituant une peine alternative pour les conducteurs condamnés – est paru, lui, le 5 septembre dernier.

La part de l’alcool dans les accidents est très élevée – de l’ordre de 31 %. Et même si l’alcool est rarement un facteur unique, il est souvent déterminant. Une action pour lutter contre l’alcool au volant serait certainement plus utile que le bridage des véhicules.

M. le président Armand Jung. Nous avons appris, dans le cadre de notre mission, à nous méfier des chiffres. Les causes d’un accident sont très souvent multiples –vitesse, alcool, non respect d’une priorité… – et très difficiles à analyser. Sur laquelle de ces causes faut-il agir prioritairement ?

M. Roger Braun. Nous nous méfions, nous aussi, des chiffres ; c’est la raison pour laquelle tous ceux que nous avons cités sont ceux de l’Observatoire national de la sécurité routière.

Pour illustrer mon propos concernant notre méfiance à l’égard des chiffres, il me suffit de prendre l’exemple du programme REAGIR – Réagir par des enquêtes sur les accidents graves et par des initiatives pour y remédier – portant sur les causes multiples des accidents de la circulation. Alors que, à l’époque, nous nous battions pour que le contrôle technique des véhicules soit enfin généralisé, certains rapports affirmaient que seulement 2 à 3 % des accidents étaient liés à l’état du véhicule ; or, les enquêtes REAGIR, réalisées par une commission composée de fonctionnaires et de responsables associatifs, ont démontré que ce taux atteignait en réalité 21 % – ce qui a été déterminant pour la mise en place du contrôle technique.

Pour définir la cause d’accident à laquelle il convient de s’attacher prioritairement, il faudrait être capable de répondre à la question de la multicausalité des accidents. Il est incontestable que la solution à mettre en œuvre pour qu’il n’y ait aucun accident réside dans l’association d’un conducteur 5 étoiles, conduisant une voiture 5 étoiles, sur une route 5 étoiles…

M. le président Armand Jung. Je partage votre avis, mais se pose un problème d’égalité car tout le monde ne peut pas posséder une voiture 5 étoiles. Au reste, si le conducteur d’un 4x4 bénéficie d’une plus grande sûreté, ce n’est pas le cas de celui qui se trouve en face en cas d’accident.

M. Roger Braun. Et qui peut être un cycliste ou un piéton !

Désormais, à la demande de ceux qui ont créé les tests européens en la matière – dont Euro NCAP et les Automobile-Clubs –, pour avoir droit aux 5 étoiles, un véhicule ne doit plus protéger seulement ses occupants mais également les personnes qui se trouvent à l’extérieur. Ainsi, la hauteur des pare-chocs a été revue afin de pouvoir, en cas d’accident, absorber une partie du choc.

Toutefois, si l’accident se produit, il faut pouvoir compter sur l’intervention rapide des secours – l’Automobile Club a formulé des propositions en ce sens. Il existe désormais un processus européen, iCall, qui permet aux occupants d’un véhicule de signaler leur problème à une centrale d’appel. Celle-ci rappelle le conducteur et s’il ne répond pas, des secours sont envoyés sur place. Or, alors que ce système est mis en place depuis peu dans un certain nombre de pays européens, la France n’a pas encore adhéré au protocole. Voilà une autre piste intéressante.

L’Automobile Club a également fait une proposition pour aider les services de secours en cas d’intervention. En effet, les véhicules actuels, parce qu’ils protègent mieux, posent un certain nombre de difficultés techniques aux sauveteurs : tôles renforcées, airbags dont l’emplacement n’est pas toujours connu… C’est pourquoi l’Automobile Club a lancé l’idée de la présence de fiches de secours à bord, destinées à renseigner ceux qui interviennent en cas d’accident. Nous avons évoqué ce sujet avec la Direction de la sécurité civile et la Direction interministérielle de la sécurité routière. Les pouvoirs publics devraient développer l’usage de ces fiches. Certes, tout le monde n’a pas la même voiture, mais tous les usagers doivent bénéficier du même niveau de sécurité.

M. le président Armand Jung. Messieurs, je vous remercie pour votre contribution.

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Puis, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Monique Fritz, présidente, et M. Nicolas Fritz, membre fondateur de l’Association d’aide aux victimes de la route (AIVAR).

M. le président Armand Jung. Je vous remercie, madame, monsieur, de votre présence. Nous avons déjà eu l’occasion de nous rencontrer pour évoquer ensemble ces drames que sont les accidents de la route, mais nous devons aujourd’hui formuler des propositions. C’est donc à ce titre que je souhaite vous interroger, compte tenu de ce que vous avez vécu et de votre présence sur le terrain, dans le cadre de l’Associations d’aide aux victimes de la route (AIVAR). Quelles propositions déterminantes devrait-on faire, selon vous, au Gouvernement et au ministère de l’intérieur en matière de sécurité routière ?

Mme Monique Fritz, présidente de l’Association d’aide aux victimes de la route. Je vous remercie de cette invitation qui nous permet de partager avec vous l’expérience de l’Association Laurence-Fritz « Savoir vivre la route » au sein de laquelle, pendant une dizaine d’années, nous avons œuvré dans le domaine de la prévention. C’est ainsi que nous avons acquis une culture de la sécurité routière, bien évidemment très utile lorsque nous intervenons sur les plans local, départemental, national voire européen – en effet, on ne s’improvise pas intervenants dans ce domaine sans disposer d’une culture et d’une expérience spécifiques.

Trois points principaux nous paraissent devoir être soulignés.

Premier point : les facteurs des accidents de la route. Trois d’entre eux sont en l’occurrence décisifs : le conducteur, le véhicule et l’infrastructure. Si le deuxième et la troisième compensent la défaillance du premier, la situation est optimale ; en revanche, si l’infrastructure est défaillante en raison, par exemple, de la présence d’obstacles latéraux, l’accident sera plus grave ; si les pneus de la voiture sont lisses, la situation sera encore différente. Toute action en matière de sécurité routière doit donc systématiquement tenir compte de ces trois paramètres, un accident résultant toujours de la conjonction de plusieurs éléments.

Plus précisément, la responsabilisation du conducteur implique de dispenser une éducation à la sécurité routière dès le plus jeune âge. C’est auprès des collégiens et des lycéens, au-delà des attestations scolaires de sécurité routière de niveaux 1 et 2 (ASSR 1 et 2), qu’il convient de mettre en place une véritable pédagogie s’insérant dans les programmes obligatoires. La mesure 17 définie lors du comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du 11 mai 2011 dispose que l’éducation à la sécurité routière se généralise au lycée. Il s’agit là d’une bonne idée puisque, dans le cadre de cette sensibilisation, une expérimentation sera lancée dans 80 établissements de 7 académies. Une telle initiative, néanmoins, me semble insuffisante : intégrer des questions sur ce thème dans les programmes de SVT, physique, français et éducation civique permettrait sans doute, à terme, de mettre en place une épreuve au baccalauréat.

L’article L. 312-13 section 6 du code de l’Education - section dédiée aux enseignements de la sécurité - dispose quant à lui que l’enseignement du code de la route est obligatoire et est inclus dans les programmes d’enseignements des premier et second degrés. En outre, l’article L. 312-13-1 dispose qu’il est également nécessaire, au cours de la scolarité obligatoire, de sensibiliser les élèves à la prévention des risques, aux missions des services de secours et à l’apprentissage des gestes de premiers secours. Enfin, l’article D. 312-43 du code de l’Education dispose que cet enseignement s’intègre obligatoirement dans le cadre des horaires et des programmes en vigueur aux premier et second degrés.

L’application de ces dispositions, après leur intégration au sein des programmes scolaires édités par le Bulletin officiel de l’Education nationale, constituerait une véritable avancée. Par exemple, expliquer aux jeunes la nature de l’énergie cinétique permettrait de leur faire comprendre l’origine des lésions corporelles. En effet, s’il est toujours possible d’améliorer les véhicules et les infrastructures, on se heurte vite aux limites physiques et physiologiques du corps humain : ni un air bag ni une ceinture de sécurité ne peuvent empêcher qu’à 60 km/h le poids de nos organes, inéluctablement projetés contre les parois osseuses lors d’un choc violent, soit multiplié par 16,5, et par 28 à 100 km/h. Au-delà de 65 km/h en choc frontal contre un obstacle fixe et à 35 km/h en choc latéral, le risque de mort est prépondérant. Il faut que les plus jeunes d’entre nous apprennent cela afin de comprendre que la vitesse constitue un élément essentiel de l’accidentologie et qu’il est normal de s’acharner à vouloir la réduire.

Par ailleurs, il importe de continuer à soutenir, grâce aux contrats aidés, les municipalités qui agissent auprès des scolaires dans le cadre des circuits de première éducation – la Ville de Strasbourg a ainsi édité un livret ASSR délivré aux collégiens de la communauté urbaine de cette ville (CUS). Nous avons, quant à nous, fait paraître un ouvrage à destination des plus jeunes, Reste prudent, afin de leur expliquer les risques encourus par les piétons ou les cyclistes. La Documentation française, enfin, a publié un très bon livre pour engager les maires à agir en ce domaine.

En ce qui concerne l’environnement, nous avons beaucoup réfléchi à la question des obstacles latéraux et, en particulier, à l’origine des plantations d’arbres situés en bordure des routes – dont nous savons qu’en cas de heurt, ils ne pardonnent pas – qui émerveillent tant les écologistes. Ils ont été plantés au XVIème siècle afin de fournir du bois pour les affûts de l’artillerie royale, les crosses de fusils, les charpentes des bateaux et les allumettes. Au XVIIIème siècle, les arbres ont été plantés un peu plus loin des chemins, les platanes et les arbres fruitiers n’ayant été, quant à eux, introduits qu’au XIXème siècle. Or, en Alsace, 40 % des victimes sont tuées lors de collisions contre des obstacles latéraux : ainsi, dans sa seule édition du 12 août, notre journal local relevait que dix personnes avaient été blessées dans des accidents de la route et cinq autres tuées ; le 8 septembre, une voiture a percuté un arbre et les jambes de son conducteur ont été broyées. Nous ne sommes pas dans la fiction mais dans la réalité, hélas, la plus banale.

Deuxième point : les spécificités du monde agricole. Nous nous interrogeons sur la circulation de tracteurs – dont la vitesse maximale est de 40 km/h – parfois conduits par de très jeunes gens. Si ceux d’entre eux qui sont issus d’un milieu agricole ne rencontrent pas de difficultés particulières compte tenu de leur expérience, il n’en va pas de même des autres : à tel point que la mise en place d’un permis pourrait être selon nous envisagée. Si, s’agissant de la signalisation, le gyrophare est bien entendu utile, il n’est hélas guère visible. Il conviendrait donc d’améliorer la visibilité de ces véhicules très lents dont la présence brutale peut surprendre les conducteurs.

Troisième point, enfin, la communication, laquelle s’avère très délicate dans le domaine de la sécurité routière, chacun réagissant selon son histoire personnelle. À cet égard, le site du ministère des transports dédié à la sécurité routière pourrait être plus offensif et sans doute une mise à jour s’imposerait-elle, certains documents en ligne datant de 2004 ou de 2007.

M. le président Armand Jung. Bien des personnes ont été auditionnées dans le cadre de cette mission. Comment envisagez-vous la mise en place d’une synergie, notamment au sein du milieu associatif mais également avec les scientifiques, les enseignants, les techniciens, les experts, les constructeurs, les conducteurs, sur le plan tant départemental que national ou européen ?

Mme Monique Fritz. À Strasbourg, où il ne se passait naguère pas grand-chose en ce domaine, les différents acteurs ont appris à se connaître au fil des réunions et ils parviennent aujourd’hui à travailler ensemble, même si des associations demeurent plus spécifiquement dédiées aux piétons, aux cyclistes ou aux automobilistes. Nous parvenons ainsi à mener des actions communes, y compris sur le plan européen – nous avons rencontré Ari Vatanen –, même si des crispations se font jour, chacun essayant d’abord de tirer la couverture à soi. Il n’en reste pas moins qu’un véritable travail de fond est mené grâce à des expertises partagées : c’est en nous écoutant les uns les autres que nous parvenons à acquérir un savoir. Ne sommes-nous pas tous réunis, au fond, pour faire en sorte que les personnes que nous aimons demeurent près de nous ?

M. Jacques Myard. Si les causes des accidents, vous l’avez dit, sont multiples, que pensez-vous des zones partagées et de la modification du code de la route permettant aux cyclistes de rouler à contresens ?

Mme Monique Fritz. À Strasbourg, les cyclistes sont nombreux et se sont octroyés progressivement tous les espaces, y compris les trottoirs et les zones piétonnières, à tel point que nous sommes confrontés à un problème de respect, les touristes se montrant parfois étonnés de la vitesse à laquelle roulent les vélos ainsi que de la nervosité de leurs pilotes. Il ne faut surtout pas lâcher la main des jeunes enfants promenés dans les zones piétonnes si l’on veut éviter des bousculades ! Les zones de rencontres constituent donc un bel idéal si leurs usagers se respectent : nous avons tous le droit de nous déplacer que l’on soit à pieds, à vélo, sur une chaise roulante, avec une poussette, aveugle ou mal-voyant.

M. Jacques Myard. Précisément, n’est-ce pas faire preuve d’idéalisme ou d’angélisme que de promouvoir de tels espaces ? L’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ? Un adolescent qui circule à vélo un peu vite peut heurter un bambin qui zigzague !

Mme Monique Fritz. En effet.

M. le président Armand Jung. Je note que vous utilisez des formules différentes pour désigner une même réalité, les zones de rencontres et les zones partagées.

M. Jacques Myard. Ce sont des zones piétonnes où sur des trottoirs assez larges peuvent circuler des cyclistes.

Mme Monique Fritz. Dans ces zones, les problèmes de cohabitation sont effectivement toujours les mêmes.

À Strasbourg, les cyclistes qui circulent à contresens ne posent pas trop de problèmes dès lors que les automobilistes connaissent la ville. On ne peut pas en dire autant lorsque tel n’est pas le cas – je sais d’ailleurs que des accidents ont eu lieu – mais, selon les experts, il n’en reste pas moins que cette pratique diminuerait les risques encourus. En tout cas, il convient de faire en sorte que les cyclomotoristes qui se sont engouffrés dans cette brèche, eux, cessent de le faire. J’ajoute que les cyclistes empruntent parfois des rues dans des sens qui leur sont interdits et qu’ils ne s’arrêtent pas toujours aux feux rouges. Les usages étant mal définis, seule l’exemplarité permettra d’être durablement efficace.

Enfin, afin d’accroître la cohésion entre les différents intervenants et afin de formuler plus aisément nos préconisations en matière d’infrastructures, nous souhaitons la création d’un secrétariat d’État à la sécurité routière : un interlocuteur unique, en effet, nous éviterait d’avoir à nous adresser aux ministères de l’intérieur, de l’écologie et des transports, au comité interministériel, au Premier ministre, aux préfet, aux maires…

M. le président Armand Jung. Faut-il favoriser une nouvelle synergie nationale des associations autour du Conseil national de la sécurité routière, lequel pourrait à la fois les conseiller et formuler des propositions au Gouvernement ou à l'Assemblée nationale, étant entendu que l’actuel système a peut-être atteint ses limites ?

Par ailleurs, si nous nous sommes rendus compte que tous les acteurs de la sécurité routière se connaissent, il n’en demeure pas moins que leurs points de vue sont très souvent aux antipodes de ceux que vous venez d’exprimer : les approches, qui résultent d’un long travail, sont toujours très affirmées et sensiblement divergentes ! Afin d’éviter de réunir autour d’une table des personnes qui n’ont plus envie de travailler ensemble, la mise en place d’une organisation plus locale, départementale ou régionale, ne serait-elle pas de bonne politique ?

Mme Monique Fritz. La création de maisons départementales de la sécurité routière a été envisagée sans jamais être généralisée. Les problèmes qui se posent, pourtant, diffèrent selon les endroits : nous avons eu l’occasion d’observer le mode de conduite parisien – notamment celui des cyclomotoristes – alors qu’en Alsace, par exemple, ce sont plutôt les cyclistes qui se distinguent ; les infrastructures, de surcroît, ne sont pas les mêmes, non plus que les typologies des accidents. Les mesures doivent donc être prises sur un plan national, certes, mais avec des aménagements régionaux ou départementaux.

Je souhaite maintenant vous présenter le livre de Dongo Rémi Kouabenan, professeur de psychologie du travail et des organisations à l’université Pierre Mendès-France, intitulé Explication naïve de l’accident et prévention. Cet essai est particulièrement intéressant en ce qu’il formule les déterminants de « l’explication naïve de l’accident », lesquels sont perçus différemment selon l’âge. Il explicite ainsi le processus en œuvre dans ce type d’explication : biais de supériorité – l’observateur se juge plus habile que la victime de l’accident et considère que, dans pareille situation, il aurait adopté une conduite plus efficace ; sur le même registre, un grand nombre de conducteurs pensent qu’ils commettent moins d’infractions routières que les autres et sont ainsi persuadé qu’ils seront capables de faire face à un obstacle brusque, même à vive allure ; le biais d’optimisme irréaliste – tendance générale à croire que nous avons plus de chances de vivre des événements positifs que négatifs ; le biais d’illusion de contrôle ; le biais d’invulnérabilité – tendance de certaines personnes à se percevoir comme moins exposées qu’autrui à la victimisation ou aux conséquences néfastes d’événements négatifs. Ainsi, si la conception classique et le diagnostic de sécurité sont l’affaire de spécialistes, il est indispensable de tenir compte des explications ordinaires et subjectives – ce qui constitue d’ailleurs un atout majeur de votre mission car les personnes auditionnées peuvent vous donner une idée très large des problèmes qui se posent. En effet, la prise en compte du fonctionnement cognitif de l’individu ordinaire semble fondamentale pour le succès des actions de prévention, parce qu’elle conditionne leur compréhension et constitue une source appréciable de motivation pour les acteurs de la prévention. En outre, pour qu’une information sur le risque paraisse pertinente et soit assimilée par un individu, il importe qu’elle soit en accord avec ses croyances initiales. Lorsque le CISR applique une mesure « surprise », les réactions sont assez vives faute de préparation, d’où l’aspect contre-productif des dispositifs proposés. Il faut apprendre à évaluer notre propre vulnérabilité et notre pouvoir de contrôle et à développer des techniques pour permettre de nous rendre compte que nous ne sommes pas à l’abri d’un accident, les mesures de prévention nous étant personnellement adressées. Enfin, il convient de faire participer l’individu ordinaire à l’analyse causale des accidents et des risques que présente son environnement. Si tel n’est pas le cas, tout notre travail est vain.

M. Nicolas Fritz, membre fondateur de l’Association d’aide aux victimes des accidents de la route. Je souhaite quant à moi formuler quelques remarques de bon sens.

Les camionnettes de livraison étant le plus souvent conduites en dépit du bon sens, ne serait-il pas judicieux d’inclure dans les contrats de travail des chauffeurs qu’aucune sanction ne sera prise si la livraison n’est pas terminée en fin de journée ?

De plus, ne pourrait-on pas s’inspirer de l’exemple anglais s’agissant des radars fixes ? Ils sont en grand nombre sans être pour autant tous équipés pour flasher les automobilistes, ceux qui le sont variant d’emplacement au gré des autorités ?

Ne serait-il pas possible d’autoriser parfois la circulation des motos dans la Forêt Noire afin d’éviter que des hordes de motards, notamment allemands, ne viennent dans le massif des Vosges chaque fin de semaine ?

Ne contribuerait-on pas à accroître la responsabilisation des cyclistes en imposant la souscription d’une assurance obligatoire ainsi que l’immatriculation des vélos, comme tel est d’ailleurs le cas en Hollande ?

Enfin, comme en Allemagne, une meilleure coordination des feux me semble nécessaire aux carrefours, de manière à ce que les voitures tournent sans avoir à s’arrêter immédiatement pour laisser passer les piétons, et qu’inversement ces derniers puissent traverser en toute sécurité, les voitures étant de tous côtés à l’arrêt.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie pour ces propositions.

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Puis, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Hélène Jacquot-Guimbal, directrice générale, M. Jean-Paul Mizzi, directeur général adjoint, M. Sylvain Lassare et M. Bernard Laumon, directeurs de recherche, et de M. Jean-Louis Martin, chargé de recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR).

M. le président Armand Jung. Nous poursuivons les auditions de la mission d’information en accueillant les représentants de l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux, qui est l’un de nos plus importants partenaires.

Je vous remercie, madame et messieurs, d’avoir accepté de participer à nos travaux. Nous allons ensemble tenter de cerner au mieux les problématiques de l’accidentologie en vue de l’élaboration du rapport que nous remettrons dans quelques semaines au Gouvernement.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal, directrice générale de l’IFSTTAR. Je vous remercie à mon tour de nous donner l’occasion de montrer à quoi sert un établissement public de recherche finalisée qui a pour devoir de conseiller l’État et les pouvoirs publics. Nous sommes heureux de pouvoir valoriser nos travaux et nous réjouissons de la confiance que vous nous témoignez.

M. Jean-Paul Mizzi, directeur général adjoint. Le rapport que nous venons de vous remettre a pour origine une synthèse scientifique effectuée sur une durée très courte, donc volontairement condensée et limitée à l’essentiel, des connaissances en matière de sécurité routière. Il ne s’agit pas d’une expertise collective, incompatible avec l’ampleur de la question posée et avec la brièveté des délais impartis.

Sur la base de ces connaissances, un certain nombre d’éléments concernant les causes des accidents peuvent être avancés et des mesures susceptibles d’améliorer la lutte contre l’insécurité routière peuvent être évaluées.

Même si l’accidentalité a beaucoup baissé en France, elle reste élevée par rapport à celle d’autres pays européens, et il est nécessaire de poursuivre une politique volontariste en matière de sécurité routière. La France fait partie des pays européens intermédiaires entre les pays les plus performants en la matière – moins de 60 tués par million d’habitants – et les nouveaux États membres – plus de 100 tués par million d’habitants.

L’efficacité des politiques de sécurité routière exige des analyses précises, ciblées sur les circonstances des accidents – types de réseaux, périodes de conduite –, et les populations à risques – nouveaux conducteurs, en particulier jeunes conducteurs de deux-roues motorisés –, et également des coopérations entre toutes les parties prenantes.

Le document est structuré en deux parties principales : la première rappelle les causes d’insécurité en lien avec les usagers, les infrastructures et le parc automobile ; la seconde recense, par grands domaines, les mesures, générales ou plus spécifiques, qui ont pu être prises et les enseignements qui ont pu en être tirés.

La connaissance en matière de sécurité routière repose essentiellement sur l’observation d’échantillons d’accidents ou de sujets expérimentaux, souvent de taille limitée. Or, cette observation peut parfois être trompeuse, ou pour le moins comporter une part d’incertitude quant à la pertinence de sa généralisation. La décision publique doit s’appuyer sur une quantification la plus exacte possible des enjeux inhérents à telle ou telle cause d’insécurité routière, mais aussi sur une appropriation plus fine, donc nécessairement plus qualitative, des phénomènes sous-jacents. En d’autres termes, il s’agit d’éviter que le vraisemblable prime sur le vrai.

Cela étant, il convient de préciser la nature de l’accidentalité. Ainsi, à côté du nombre de morts sur la route et en conservant l’objectif de le diminuer au maximum, le regard doit être porté sur les blessés, qui représentent aujourd’hui un enjeu particulièrement important, notamment pour les jeunes et pour les usagers de deux-roues motorisés : à chaque tué correspond un handicap lourd.

Pour accroître la pertinence de notre regard sur les blessés, il faudrait également prendre en compte la réduction de l’espérance de vie des blessés les plus graves.

En ce qui concerne les causes d’accident, il est indiscutable que celles-ci sont multifactorielles. Il n’y a pas une cause unique d’accidentalité, et c’est sur cette multicausalité qu’il faut agir, par le biais d’une coordination des différentes politiques et mesures, afin que les limites naturelles de l’adaptation humaine ne puissent mettre les usagers de la route dans des situations qui les blessent ou les tuent.

Plus les situations routières seront compliquées, surprenantes, plus elles imposeront de contraintes temporelles, plus elles pousseront à bout les capacités humaines d’adaptation. La prise de risque peut être volontaire, délibérée, active, mais elle peut aussi être liée à la non-perception d’un danger.

S’agissant du risque d’accident, la vitesse reste un facteur causal clé. Le taux d’accidents par véhicule/km sur un réseau augmente en fonction de la vitesse moyenne pratiquée sur le réseau selon un facteur 4.

Parmi les autres causes, nous pouvons souligner le rôle particulier de l’alcool, dont le poids dans l’accidentalité est constant depuis une décennie. S’agissant des autres psychotropes, peu de résultats ont pu être mis en évidence, à l’exception de ceux du cannabis, notamment lorsqu’il est associé à l’alcool.

Parmi les causes, l’inadaptation de la vitesse à l’infrastructure et aux conditions de circulation peut également être notée. Par défaut d’information adéquate ou pour des raisons de détection, la mauvaise adéquation de la vitesse à l’infrastructure, notamment dans les virages et aux intersections, et aux conditions de circulation est source d’accidents.

J’en viens aux causes de l’insécurité en lien avec les véhicules. Les véhicules légers constituent le principal enjeu en termes de mortalité du fait de l’augmentation de la masse des véhicules constatée. Pour ce qui est des deux-roues motorisés, l’enjeu s’apprécie en termes de blessés graves – les origines en sont le non-port du casque et la difficulté de perception par les automobilistes.

Au-delà des causes elles-mêmes, il faut souligner que deux groupes de personnes sont plus vulnérables en cas d’accident : d’une part, les piétons – en particulier les enfants et les personnes âgées – et les cyclistes ; d’autre part, les usagers de deux-roues motorisés. Mais parmi cette population, il existe une sous-population : l’homme jeune, qui reste le plus exposé.

En ce qui concerne les mesures à mettre en œuvre en matière de sécurité routière, il faut souligner que trop peu de mesures et de politiques de sécurité routière font l’objet d’évaluations.

En tout cas, le bilan des politiques de sécurité routière dans le monde montre que, compte tenu du caractère multifactoriel des accidents, la sécurité routière doit être une action publique multisectorielle qui nécessite un véritable leadership gouvernemental.

Cette action, par définition interministérielle, doit aussi privilégier une approche « intégrale » qui prenne en compte la politique environnementale, la politique de l’aménagement du territoire et la politique de santé publique. Elle doit par ailleurs être élaborée de manière conjointe par l’ensemble des parties prenantes – chercheurs, industriels, associations, institutions.

Dans le débat public, la sécurité routière ne peut être réduite essentiellement à un problème de comportement des usagers. Au niveau mondial, trois modèles inspirent les politiques de sécurité routière car ils affichent clairement une vision hautement ambitieuse et à long terme de la sécurité routière : il s’agit des modèles suédois, hollandais et anglais. Les programmes de ces pays reposent également sur l’adoption d’objectifs intermédiaires pluriannuels et sur des objectifs finaux à long terme.

La sécurité routière doit devenir une priorité des politiques d’aménagement à tous les échelons territoriaux. Des progrès sont possibles, même si ce n’est pas simple, comme le montrent les expériences étrangères, grâce à des politiques coordonnées et structurées portant par exemple sur une intégration de la sécurité routière dès la conception des systèmes, comme cela a été fait pour la sécurité industrielle. La sécurité routière n’étant jamais linéaire, une efficacité continue suppose d’être présent en permanence sur la scène médiatique, en s’appuyant sur des campagnes d’information et leur évaluation.

La politique de sécurité routière doit agir à différents niveaux : instaurer une véritable formation post-permis, du permis probatoire à l’accès gradué à la conduite ; contrôler la vitesse, encore et toujours ; établir des diagnostics préalables à l’aménagement des routes existantes ; moderniser la signalisation des dangers et l’adapter aux conditions de conduite – vitesse, trafic, météo ; améliorer les systèmes d’aide à l’intérieur du véhicule, plutôt en termes de sécurité primaire, mais aussi pour les deux-roues, notamment en ce qui concerne leur détectabilité – casque, dispositifs réfléchissants ; enfin, engager une action à destination des entreprises, plus particulièrement dans le domaine des transports, et mettre en place des plans de prévention routière.

Tous ces éléments en témoignent, la recherche scientifique peut contribuer à améliorer l’efficacité des politiques menées. Comme cela a été le cas en Grande-Bretagne, les travaux scientifiques interviennent d’abord dans la définition et l’analyse des problèmes à résoudre. Des recherches sont donc nécessaires pour produire et affiner les connaissances concernant les causes des accidents et les mesures à mettre en œuvre pour réduire l’accidentalité.

Je souligne la nécessité de faire progresser la connaissance sur l’évaluation des politiques, notamment d’aménagement, et sur l’accidentalité, notamment par catégories d’usagers et par classes d’âge. Il y a également un grand intérêt à cibler des populations particulières comme les personnes vulnérables, les imprudents, les réfractaires. Pour que ces études puissent être réalisées, l’observation, continue ou ponctuelle, est fondamentale.

Parmi les pistes de recherche, on peut également souligner l’intérêt d’une approche en termes d’années de vie perdues, de handicaps, et d’années de vie en bonne santé gagnées, ce qui permettra notamment de se focaliser sur les jeunes, particulièrement vulnérables, qu’ils soient piétons, cyclistes ou usagers de deux-roues motorisés. Il serait, en outre, intéressant d’identifier les situations potentiellement conflictuelles et susceptibles de mener à l’accident, afin de construire un environnement et un tracé de la route complètement lisibles et susceptibles d’induire des comportements sûrs.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie pour cet exposé dont nous allons nous inspirer dans nos conclusions. Quelle gouvernance – nationale, régionale ou départementale – est-elle selon vous la plus en mesure de créer une synergie autour de la problématique de la sécurité routière ? Faut-il créer un poste de Haut commissaire, de secrétaire d’État ou de délégué interministériel rattaché au Premier ministre ? Pour assurer la continuité nécessaire, faut-il créer un Parlement de la sécurité routière, ou au contraire privilégier le niveau local et laisser au préfet le soin de définir les zones à risques ?

M. Jean-Paul Mizzi. Il ressort des expériences étrangères que, compte tenu des causes et du faible nombre des accidents, l’analyse doit être faite à partir d’un échantillon suffisamment vaste. Il est donc important d’associer politiques locales et action gouvernementale.

M. Sylvain Lassare, directeur de recherche. Nous devons en effet étudier les exemples étrangers et les adapter à notre situation. Ainsi les Anglais ont récemment créé un groupe parlementaire, le Parliamentary Advisory Council for transport safety (PACTS), qui a pour mission de promouvoir la sécurité dans les transports et la sécurité routière. Aux Pays-Bas, c’est le SWOW – l’Institut de recherche en sécurité routière des Pays-bas qui pilote cette politique et conseille le ministère concerné ; toutefois, pour s’adapter au prochain passage à une politique décentralisée, de nouveaux outils de management sont mis en œuvre.

M. Bernard Laumon, directeur de recherche. En tant que provincial et membre de l’Observatoire de la sécurité routière du Rhône, je considère que la connaissance globale et nationale est absolument indispensable, car chaque département doit pouvoir se situer par rapport aux autres. L’analyse au niveau départemental du nombre de tués pose un problème lié au fait que cela correspond à des chiffres trop petits. Admettons que, dans le département du Rhône, le nombre de cyclistes tués passe en un an de un à trois : quelle est la signification de ce chiffre ?

Nous avons mis en place à Lyon un système de location de vélos : quel est l’impact de cette politique en termes de sécurité routière ? Nous contenter d’une évaluation purement locale ne nous apprend rien : ou bien il est déjà trop tard, ou bien il n’y a rien à apprendre.

En tant que chercheur, j’estime que la connaissance doit être d’abord nationale pour ensuite se décliner à un niveau local, et que le niveau local a besoin d’une vision nationale pour prendre des décisions.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal, directrice générale. Nous devons nous situer à des niveaux différents selon les fonctions qu’il nous faut prendre en compte pour la sécurité globale. Lorsqu’on parle de sécurité, on pense surtout à la vérification de la règle – c’est le rôle du ministère de l’intérieur. Mais il faut écrire cette règle, et c’est un travail différent, et ensuite il faut l’évaluer, et c’est également un travail différent.

On peut définir localement les mesures à instaurer en fonction des risques locaux, mais nous avons également besoin de définitions nationales, et nous avons surtout besoin de préserver le cercle formé par la définition de la règle, l’application de celle-ci, sa vérification et son évaluation. Si ce cercle est rompu et que seule subsiste l’application de la règle, plus personne ne la comprend.

M. Jean-Paul Mizzi. Je reviens sur les échantillons et l’intérêt de bénéficier d’un nombre suffisant de données. Aujourd’hui, nous n’avons plus 12 000 morts sur nos routes : nous pouvons donc considérer qu’il existe, au niveau de nos infrastructures, non plus des points noirs mais seulement des points gris. Pour autant, il faut que nous ayons suffisamment de points gris pour dégager les éléments qui nous permettront de prendre les bonnes mesures. C’est pourquoi l’IFSTTAR a engagé des recherches sur les « quasi-accidents » afin d’augmenter la base de la pyramide.

M. le président Armand Jung. Au-delà des chiffres, souvent variables, nous avons besoin d’analyses plus approfondies de ce qui se passe sur la route. Selon vous, quelle est la réforme majeure que nous pourrions proposer au Gouvernement ?

M. Jean-Paul Mizzi. Il faut avant tout adopter une approche systémique, voir le problème dans son ensemble et non de façon sectorisée. Par exemple, toutes les actions menées en faveur de la politique environnementale, comme celles visant à favoriser le transfert de la voiture vers les modes doux ou les transports en commun, ont des impacts en termes de sécurité routière. Il faut savoir anticiper ces impacts et sortir du système « action/ réaction ». Ce que nous pouvons retirer des expériences hollandaise et suédoise, c’est bien l’intérêt de cette approche intégrée et systémique.

M. Jacques Myard. On perçoit clairement cette approche systémique dans le document que vous nous avez transmis, qui analyse un certain nombre d’éléments sans les hiérarchiser. Je suis pour ma part convaincu que, face à un phénomène complexe, il faut agir sur l’ensemble des éléments. Nous savons que la vitesse multiplie par quatre le risque d’avoir un accident grave. Mais lorsqu’un conducteur qui a bu a un accident en roulant trop vite, la vitesse est-elle la cause réelle de l’accident ou la conséquence de l’état alcoolique – tropisme qui serait alors le premier facteur d’accident ?

M. Jean-Paul Mizzi. Selon nous, l’alcool et les autres substances psychotropes sont des facteurs aggravants, mais le premier d’entre eux est la vitesse.

M. Jacques Myard. On ne peut pas être aussi affirmatif ! Un conducteur appuie sur l’accélérateur parce qu’il est ivre, ou est-ce l’inverse ? Où est la poule et où est l’œuf ?

M. Bernard Laumon. Les méthodes que nous utilisons nous permettent de prendre en compte la part de chacune des causes d’accident. Ce n’est pas parce qu’un individu qui provoque un accident est alcoolisé, voire fortement alcoolisé, que l’alcool sera la cause de l’accident. Puisque les causes d’accident sont multifactorielles, chaque facteur peut être concomitant à un autre facteur et ne contribuer que pour une part à l’accident.

Pour répondre à votre question sur la vitesse, sachez qu’il existe une majorité d’accidents sans alcool, mais qu’il n’existe aucun accident sans vitesse. La vitesse n’est pas une cause comme les autres car elle est toujours présente. La vitesse multiplie par quatre le risque de provoquer un accident et elle est déterminante pour transformer un accident matériel en accident corporel, voire en accident mortel – je précise que nous avons limité notre expertise aux seuls accidents corporels.

Chaque individu, à un moment ou à un autre, présente plusieurs facteurs d’accident : il roule trop vite, il est alcoolisé, il a fumé du cannabis, il est inexpérimenté… Nous avons les moyens de faire la part de chacun de ces facteurs. Nous pouvons affirmer que l’alcool est responsable d’un accident sur trois. Quand vous vous demandez, monsieur le député, quelle est la cause principale de l’accident survenu à un conducteur ivre roulant trop vite, il est indiscutable, en tout cas, qu’un conducteur alcoolisé – étant entendu qu’on parle là d’un taux d’alcool encore relativement bas – roulera plus vite que s’il n’était pas alcoolisé – mais ce n’est pas vrai pour le cannabis.

Permettez-moi de prendre un exemple encore meilleur, celui de l’hypovigilance, car l’hypovigilance a des causes multiples. Considérer le fait que les conducteurs s’endorment au volant comme une cause d’accident est totalement restrictif. Il faut rechercher la cause de cette hypovigilance : ce peut être l’alcool, le cannabis, la fatigue, le stress, les conditions de travail ou des pathologies comme l’apnée du sommeil. C’est seulement lorsqu’elle est physiologique que l’hypovigilance est une vraie cause d’accident.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal. Si nous avions la bonne solution et si tout le monde appliquait la loi, le problème serait réglé. Nous avons vécu plusieurs étapes déterminantes dans l’histoire de la sécurité routière, mais si nous nous référons au principe des 80/20, nous avons utilisé les 80… Pour les 20 restants, soit nous réduisons globalement la vitesse à moins de 20 km/heure – mais ce serait une entrave à cette autre liberté fondamentale qu’est la mobilité, et je vois mal les Français respecter une telle disposition –, soit nous devons mettre en place des actions beaucoup plus complexes que par le passé. Pour continuer à faire des progrès, nous devons recourir à l’analyse systémique. Nous sommes navrés de devoir vous le dire, le grand soir n’est pas à l’ordre du jour.

M. Jacques Myard. Je suis frappé par le nombre de personnes qui conduisent sans permis. Est-ce parce que la répression n’est plus la bonne réponse aux causes des accidents ?

M. Jean-Paul Mizzi. La répression seule est insuffisante. Il faut naturellement une sanction, qui soit graduée par rapport à l’acte délictueux, et surtout il faut avoir la certitude qu’elle sera appliquée. Le contrôle sanction automatisé (CSA) répond à cette exigence.

M. le président Armand Jung. Nous non plus ne croyons pas au grand soir, madame la directrice générale, et nous sommes conscients que nos propositions ne régleront pas tous les problèmes. Mais notre pays compte encore 4 000 morts par an sur les routes et nous ne parvenons pas à infléchir ce chiffre de façon significative. Comment pourrions-nous faire baisser ce chiffre ?

M. Sylvain Lassare. Tous les pays qui s’attaquent au problème l’envisagent sous tous ses aspects : voilà la solution. Mais cela suppose de mobiliser beaucoup de monde. Pour mettre en place leur plan d’action, les Autrichiens ont passé en revue 200 mesures, ce qui représente un travail considérable. La France doit s’engager dans cette voie.

Contrairement à ce que vous croyez, monsieur le président, le nombre des morts continue de baisser dans notre pays. Quoi qu’il en soit, nous devons passer à un autre régime en mobilisant les professionnels, les chercheurs, les politiques.

M. le président Armand Jung. L’année 2011 n’annonce pas d’amélioration puisque nous en sommes déjà, à la fin du mois d’août, à 2 642 morts.

M. Bernard Laumon. Je précise que l’essentiel des causes de l’accidentalité sont toutes liées à un interdit. Si la réglementation relative à la consommation d’alcool était respectée, nous verrions immédiatement baisser d’un tiers le nombre des tués sur les routes ! Quant aux pathologies, qu’elles soient ou non liées au vieillissement, elles sont toutes réglementées par l’arrêté de 2005 qui invite les personnes atteintes de certaines pathologies à s’en ouvrir à leur médecin en vue de vérifier si elles sont aptes ou non à la conduite. Toutes les causes que nous avons invoquées devraient donc disparaître. On dit que l’alcool est responsable d’un tiers du nombre des morts, mais il s’agit de personnes qui n’ont pas respecté la réglementation ! Ce n’est pas l’alcoolémie inférieure à 0,5 g qui tue. D’aucuns proposent d’abaisser le seuil d’alcoolémie tolérée : nous leur répondons simplement qu’il n’y a pas d’effet notable de l’alcool au volant en dessous de 0,5 g.

M. Jacques Myard. Dites plutôt qu’aucun accident survenu avec un taux inférieur à 0,5 g n’a été acté comme ayant été provoqué par l’alcool.

M. Bernard Laumon. Je ne suis pas favorable, à titre personnel, à un abaissement du seuil à 0,2 g, mais cela aurait peut-être pour effet de réduire l’ensemble des alcoolémies et donc d’abaisser significativement le bilan des morts sur la route.

M. Sylvain Lassare. Il a été envisagé d’abaisser le seuil d’alcoolémie à 0,2 g pour les jeunes conducteurs, ce qui équivaut, en fait, à un taux zéro. Pourquoi ne pas aller jusque là ?

M. le président Armand Jung. Cela pose un problème d’égalité entre les citoyens, voire un problème constitutionnel.

Tous les spécialistes de la lutte contre l’alcoolisme que nous avons auditionnés ont reconnu qu’aucun accident n’avait été identifié comme ayant été causé par un individu présentant moins de 0,5 g d’alcool dans le sang. Cela dit, la réduction de ce taux serait une bonne chose en matière de santé publique…

M. Bernard Laumon. En matière de lutte contre l’alcoolisme sur la route, les progrès existent, mais ils s’inscrivent dans des tendances lourdes et ne sont pas spectaculaires, d’autant que nous assistons à une réduction générale de l’alcoolisme en France.

M. Jean-Paul Mizzi. Je reviens sur les différentes approches, systémique et intégrale. Certains chiffres relèvent du principe des vases communicants. Ainsi, les politiques engagées en faveur de certains modes de transports incitent les gens à se reporter sur les deux-roues motorisés, ce qui augmente le nombre des accidents. Toutes les politiques de transports et d’aménagement du territoire doivent intégrer la sécurité routière.

M. Jacques Myard. Que pensez-vous de la possibilité offerte aux cyclistes d’emprunter les sens interdits ? Ce changement de culture ne va-t-il pas à l’encontre de l’action systémique que vous prônez ?

M. le président Armand Jung. Les cyclistes sont autorisés à rouler à contre-sens et non à emprunter les sens interdits!

M. Sylvain Lassare. Nous recommandons d’évaluer cet aménagement, de vérifier qu’il ne provoque pas un surcroît d’accidents et d’étudier la façon dont se comportent les conducteurs.

M. Jean-Louis Martin, chargé de recherche. Cet aménagement sera bientôt évalué, mais il est clair que la circulation des cyclistes doit l’être de façon globale. L’autorisation pour les cyclistes de rouler à contre-sens a été mise en place pour compenser le manque de continuité de certaines voies cyclables, mais je reconnais qu’elle est troublante pour les autres conducteurs car elle va à l’encontre d’un grand principe.

M. Jacques Myard. C’est une forme d’acculturation.

M. Sylvain Lassare. Le problème vient de ce que les automobilistes ne s’attendent pas à faire face à des cyclistes.

M. Bernard Laumon. La mise en place des couloirs de bus à contre-sens a provoqué dans un premier temps de nombreux accidents de piétons, puis ils se sont habitués à un nouveau mode de fonctionnement. Le même phénomène se produira pour les cyclistes.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal. Cette discussion montre que chacun a en tête ses propres évidences. Il est sans doute dangereux pour un cycliste de circuler à contre-sens dans une voie à sens unique, mais il voit la voiture arriver et peut toujours se ranger en cas de danger. C’est en tout cas moins dangereux que le fait pour un piéton de traverser un couloir de bus. Le report modal auquel nous assistons a accru le nombre de cyclistes. L’augmentation du nombre de morts est-elle due au fait que les cyclistes ne portent pas de casque ou au fait qu’ils utilisent les rues en sens interdit ? Nous sommes incapables de prédire la dangerosité d’un tel aménagement. Tous les automobilistes savent bien que les cyclistes ne respectent pas les feux rouges et ils sont habitués à faire attention pour ne pas les renverser.

M. Philippe Houillon, rapporteur de la Mission d’information. Certaines mesures heurtent le bon sens le plus élémentaire. Dans une voie à sens unique, on ne s’attend pas à trouver quelqu’un circulant en face. Prendre une telle mesure en disant que c’est une bonne idée ne peut que susciter des interrogations.

Mme Hélène Jacquot-Guimbal. Le bon sens, que nous partageons tous, est quelquefois contrarié par le résultat d’une expérience. Au reste, comment le sens commun peut-il fonctionner quand les contraintes sont si nombreuses qu’il n’est plus possible de les percevoir et donc de les anticiper ? Peut-être que cette mesure est une très mauvaise idée ? Peut-être que l’idée n’est pas si mauvaise que cela ? Actuellement, nous ne le savons pas. Quoi qu’il en soit, les chiffres globaux des accidents sont désormais insuffisants – même si 4000 morts par an est un chiffre monstrueux – pour pouvoir en tirer des statistiques.

M. le président Armand Jung. Madame, messieurs, vous remercie pour la qualité de vos travaux et votre disponibilité.

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Enfin, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Claude Liebermann, président et M. Dominique Lebrun, inspecteur général de l’équipement de l’Institut national de sécurité routière et de recherches.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie de votre présence et vous propose de commencer par un exposé liminaire de votre point de vue et, plus encore, de vos suggestions. Je vous remercie de faire en sorte qu’elles soient les plus concrètes possibles, car notre mission entre maintenant dans la phase au cours de laquelle elle devra formuler ses propositions au gouvernement.

M. Claude Liebermann. L’INSERR, créé en 1993 par Pierre Bérégovoy, alors premier ministre, est implanté à Nevers. Il forme les inspecteurs du permis de conduire, assure un certain nombre de formations connexes, comme celle des experts automobiles et des animateurs des stages liés au permis à points, et remplit des missions de recherche en matière de sécurité routière. Il exerce donc une assez large compétence en ce domaine.

Nous-mêmes jouons autant le rôle d’experts auprès du gouvernement, au titre du Conseil général de l’environnement et du développement durable, que de responsables de l’INSERR. Nous avons déjà remis un certain nombre de rapports sur la sécurité routière, notamment sur la formation des enseignants du permis de conduire et sur la réforme de ce dernier. Nous travaillons actuellement sur le problème du vivier des candidats au permis.

Nous disposons aussi d’une bonne connaissance des politiques locales de sécurité routière, ainsi que des politiques comparées des différents États européens en vue de réduire l’accidentologie.

M. Dominique Lebrun, alors conseiller technique au cabinet de M. Gilles de Robien, lorsque celui-ci était ministre chargé des transports, fut l’un de ceux qui initia la mise en place des radars automatiques à partir de 2002.

Les diverses causes des accidents de la route ont déjà dues être largement exposées devant votre mission mais on ne peut se dispenser de rappeler les deux principales : la vitesse et l’alcool. La première représente un facteur à la fois déclenchant et aggravant, comme l’ont montré de nombreuses études, spécialement celle du suédois Nilsson sur les comportements des conducteurs. Nous l’avons encore vérifié en 2002 avec l’installation des radars automatiques qui, ayant diminué la vitesse moyenne principalement sur route, ont réduit le nombre d’accidents.

D’autres causes commencent à apparaître, telle que le défaut de vigilance, difficile à repérer dans les statistiques de l’accidentologie. On l’impute généralement à l’endormissement, qui affaiblit les capacités d’attention et de réaction des conducteurs, parfois accentué par la consommation d’alcool et de drogues, ainsi qu’à l’usage du téléphone portable.

Deux catégories de population posent des problèmes particuliers : les jeunes de 18 à 24 ans et les utilisateurs de deux-roues motorisés.

Les limitations de vitesse doivent être à la fois claires et cohérentes. Ce n’est pas toujours le cas en France. Tous les rapports insistent sur la nécessité de les homogénéiser tout au long d’un même itinéraire et de signaler les points singuliers, en tant que tels, sans créer de leurres, car, dans cette hypothèse, le point suivant n’est pas respecté. Or plusieurs autorités publiques concourent en même temps à la détermination des limitations de vitesse, en fonction de la nature de la collectivité et non en fonction de celle de l’itinéraire, ce qui pénalise les routes françaises.

Quand les limites sont fixées, elles doivent être respectées. Nous avons peiné à sortir du système antérieur dans lequel on retenait des limites plus basses afin de prendre en compte leur non respect par les conducteurs. Lors de la mise en place des nouveaux radars, en 2002, nous n’avons conservé qu’une marge de 5 km/h. Mais certains maires cherchent à se rassurer par des limitations de vitesse plus sévères que ne le nécessiteraient les besoins de la sécurité routière et les possibilités de circuler. C’est une erreur : la prescription est seulement moins bien observée par les usagers, qui ressentent mal l’existence de ces pièges, considérés comme de simples « pompes à fric ». Il faut parvenir, au niveau local, à supprimer de telles distorsions, probablement sous l’autorité des préfets.

Nous avons envisagé plusieurs séries de mesures.

La première consiste à achever la réforme du permis de conduire, par un nouveau programme de formation accordant une place plus importante à la maîtrise du comportement humain. La conduite n’est pas seulement affaire de règles techniques : les conducteurs doivent apprendre à juger par eux-mêmes leur capacité à tenir convenablement le volant. L’alcool n’est pas seul en cause : il faut aussi savoir s’arrêter quand on est fatigué et, d’une façon générale, intégrer la conduite dans le déroulement de la vie. Nous nous souvenons tous du film de Claude Sautet, Les choses de la vie. Aujourd’hui, les école de conduite enseignent parfaitement le maniement des vitesses mais insuffisamment la bonne façon de se conduire au volant. Ce qui explique d’ailleurs ce qu’on appelle à Nevers, siège de l’INSERR, « le paradoxe des filles » : un plus faible taux de réussite au permis que les garçons et, cependant, un moindre nombre d’accidents lors des premières années de conduite. Car les filles se placent tout de suite, par une sorte de réflexe naturel, au deuxième niveau de l’usage de l’automobile, celui de la réflexion. Elles se montrent spontanément plus attentives. Il convient donc que les programmes de formation des jeunes intègrent des mécanismes propres à susciter davantage la prise de conscience.

Pratiquée dans de bonnes conditions, la conduite accompagnée constitue une excellente formule. Encore faut-il que les parents se comportent eux-mêmes correctement afin de transmettre les bons usages à leurs enfants.

Notre deuxième proposition vise à renforcer tous les éléments de probation. Le permis de conduire ne doit pas ouvrir un droit à faire n’importe quoi sur la route. Aussi bien, une période probatoire succédant immédiatement à l’obtention du permis pourrait être envisagée : au cours de celle-ci, le jeune conducteur, se sentant sous la menace d’une mesure de sanction, serait ainsi incité à se montrer plus attentif. Elle pourrait avoir un impact sur l’accidentologie des 18/24 ans. Quelques idées révolutionnaires ont surgi … Mais elles sont difficiles à présenter car elles peuvent paraître vouloir s’attaquer aux jeunes.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Lesquelles ?

M. Claude Liebermann. Nous avons constaté que, après une période de conduite accompagnée, l’inspecteur du permis de conduire n’apporte pas grand-chose de plus à l’apprenti conducteur que son moniteur. On pourrait multiplier les exemples de jeunes sachant déjà conduire lorsqu’ils passent le permis et auxquels l’inspecteur n’offre aucune valeur ajoutée. Peut-on, dès lors, imaginer de délivrer le permis sans intervention de l’inspecteur, après un apprentissage par conduite accompagnée ?

M. le rapporteur. Il faut bien exercer un contrôle à un moment donné.

M. Claude Liebermann. Certes, mais voilà peut-être aussi un moyen de renforcer la responsabilité des différentes parties prenantes : depuis les assureurs, qui, aujourd’hui, ne participent pas à la régulation du système, considérant que c’est à l’État de le faire, jusqu’aux réseaux des écoles de conduite, qui, par ailleurs, fonctionnent plutôt bien.

Selon l’idée esquissée, on délivrerait d’abord un permis probatoire puis un permis définitif, octroyé sur dossier au terme d’un certain temps de pratique de la conduite, par exemple à l’âge de vingt ans. Et pourquoi ne pas attribuer le permis probatoire dès dix-sept ans, les jeunes sachant alors déjà conduire, comme tend à le montrer l’augmentation de leur conduite sans permis ? La question mériterait d’être au moins mise à l’étude, l’essentiel étant, je le répète, de renforcer la période probatoire.

Notre troisième série de propositions porte sur la formation des conducteurs de deux-roues motorisés et sur l’apprentissage du partage de l’espace de conduite entre les différentes catégories d’utilisateurs en fonction des zones urbanisées. Celui-ci pose de plus en plus de problèmes. Le danger augmente. Il suffit de se déplacer dans Paris pour constater les conflits entre cyclistes, cyclomotoristes, motocyclistes, automobilistes et piétons. La situation devient parfois invivable, notamment sur les trottoirs, faisant apparaître de nouveaux facteurs accidentogènes. On distingue de plus en plus difficilement les différents compartiments de la voirie. Un code de bonne conduite serait nécessaire afin que les diverses catégories d’utilisateurs des espaces de circulation se respectent entre eux. Pour la première fois l’année dernière, nous avons relevé à Paris un plus grand nombre de morts chez les piétons et chez les conducteurs de deux roues que chez les automobilistes.

L’INSERR se préoccupe aussi du développement de ce que nous appelons « l’écomobilité », c’est à dire l’apprentissage d’une conduite apaisée, où l’on apprend que rouler moins vite présente plusieurs avantages. Jusqu’ici, la France était un pays qui magnifiait la vitesse : on cherchait à parcourir les distances le plus rapidement possible, à l’inverse des Etats-Unis où l’on apprend à conduire régulièrement, afin de se rendre d’un endroit à un autre dans un temps donné. En cultivant le mythe de la performance, le conducteur français ignore le temps réellement gagné, prend plus de risques sur la route et consomme davantage d’essence.

C’est pourquoi, nous avons organisé des formations destinées aux entreprises de transport routier, ainsi que des journées ouvertes au grand public sur le circuit de Magny- Cours près de Nevers. Nous obtenons déjà des résultats encourageants quant aux changements de comportement des personnes qui, par exemple, constatent la diminution de leurs factures d’essence, de l’ordre de 20 à 25%, ainsi qu’un nombre moindre d’accidents.

L’arrêt progressif de la vie de conducteur soulève de délicats problèmes. Vient un moment où il faut cesser de conduire. Le bon moment dépend de chacun, ainsi que les modalités correspondantes. Le médecin de famille doit, sur cette question, jouer un rôle fondamental, mais il n’est pas formé pour cela. C’est pourquoi nous essayons aussi de prendre des initiatives en ce domaine, telle que, avec l’aide du professeur Bernard Laumon, président du conseil scientifique de l’INSERR, la création d’un site internet afin que les médecins libéraux s’investissent dans la sécurité routière. Des contrôles existent déjà au titre des commissions médicales préfectorales mais ils sont insuffisants. Seul le médecin de famille, proche de ses patients, peut convaincre les personnes en voie de vieillissement, soit de renoncer à la conduite – ce qui peut s’avérer difficile voire négatif dans certaines zones, notamment rurales – soit plutôt de ne conduire que dans des rayons limités : pour des besoins identifiés, en supprimant les longs voyages fatigants et en évitant certaines heures ou la conduite de nuit. Toute une pédagogie est à mettre en place car elle éviterait certains accidents ; elle s’impose du fait des perspectives à 30 ans du vieillissement de la population française. Reste bien sûr à déterminer comment le médecin de famille serait rémunéré pour cette nouvelle mission et comment il trouverait le temps de l’exercer : nous n’avons pas abordé ce type de questions, mais nous souhaitons sensibiliser le corps médical au problème qui se pose. En plus du site internet, nous entendons, en collaboration avec le Délégué à la sécurité routière, organiser une ou plusieurs réunions par an, sur des thèmes particuliers de sécurité routière, avec les médecins, dans leurs régions. Il s’agit de permettre aux personnes âgées d’achever en douceur leur carrière de conducteur.

Nous cherchons aussi à impliquer le milieu associatif, notamment sportif. Les clubs départementaux participent – ou non – positivement – ou non – aux actions visant à améliorer les comportements au volant, s’agissant plus particulièrement de la consommation d’alcool et de la conduite sans permis. Comme ils représentent des exemples pour les jeunes, nous aimerions les compter à nos côtés, ce qui n’est pas toujours le cas.

Nous déplorons le dessaisissement du Conseil national de la sécurité routière. Bien qu’ayant joué un rôle important pour la popularisation de la politique menée à partir de 2002, il a été mis aux oubliettes depuis quatre ans. Le relancer serait une bonne chose car il avait réalisé des études intéressantes et constitue un instrument médiatique pouvant s’avérer précieux. Dans ce domaine, tout ce qu’on peut dire dans le sens du renforcement de la prévention, comme des sanctions, bénéficie d’une incidence positive : les populations comprennent que des mesures sont prises ou vont l’être ; elles sont ainsi incitées à prendre davantage garde à la conduite sur route.

Enfin, nous souhaitons une mobilisation interministérielle en faveur de la sécurité routière. Le ministère auquel on la rattache importe peu. Il est essentiel que le Premier Ministre prenne lui-même la tête de la politique menée dans ce domaine.

M. le rapporteur. Je partage nombre de vos analyses et de vos conclusions. La question des deux-roues motorisés me paraît tout particulièrement sensible. Que pensez-vous de l’idée d’une certaine légalisation des remontées de files, dans les hypothèses d’embouteillage ou de vitesse inférieure à 20 km/h, ainsi que cela vient d’être fait en Belgique ? Au-delà, quelles mesures significatives permettraient de réduire le volume des accidents frappant les deux roues ?

M. Claude Liebermann. Une certaine tolérance à l’égard des remontées de files par les deux roues pourrait apparaître comme une décision permissive et envoyer ainsi un signal négatif.

La notion de deux roues recouvre des catégories très différentes d’usagers, comme l’ont montré notamment les jeudi de l’INSERR, au cours desquels, une fois par mois, un thème de sécurité routière donne lieu à une table ronde avec des spécialistes et des inspecteurs du permis de conduire en formation. La catégorie des motards se regarde comme la mal aimée, ce qui n’est pas totalement faux quand on considère certains aménagements routiers, exclusivement conçus pour les automobiles et dangereux pour les deux roues. On y remédie progressivement. Les motards considèrent aussi que la réglementation n’est pas faite pour eux, spécialement les limitations de vitesse, l’interdiction de remonter les files et celle de dépasser entre les voitures … Il faudrait parvenir à une sorte d’accord avec eux, afin qu’ils ne se sentent plus exclus de la politique de sécurité routière et qu’ils admettent, en contrepartie, leur devoir d’en respecter les exigences. Mais l’expérience montre que toute mesure allant dans leur sens est immédiatement ressentie comme un encouragement supplémentaire à se dispenser un peu plus de l’observation des règles : en d’autres termes, quand vous leur donnez le bras, ils prennent l’épaule. C’est pourquoi tout signal qui leur est adressé, même s’il peut s’expliquer techniquement, comme l’autorisation de remonter les files dans certaines circonstances, présente un risque.

M. le rapporteur. Vous parlez d’un accord avec les motards. Mais, dans la réalité, la remontée de file, bien qu’interdite, se pratique couramment et n’encourt de fait ni contrôle ni sanction. Ce serait d’ailleurs impossible en zone urbaine. Ne peut-on donc la légaliser tout en renforçant les obligations relatives à la vitesse ?

M. Claude Liebermann. N’oublions pas que la remontée de file à vive allure est dangereuse : il suffit de l’ouverture d’une portière pour provoquer un accident mortel. Il faudrait donc mener des expériences en milieu urbain, là où les véhicules vont moins vite, où se produisent des embouteillages, afin d’étudier le comportement des personnes. Mais il faut par-dessus tout éviter de donner l’impression d’une victoire du lobby des motards.

M. le président Armand Jung. L’idée d’un accord avec les motards n’est pas forcément à exclure. Il est vrai qu’ils ont tendance à se considérer comme placés au dessus des règles : les limitations de vitesse ne seraient pas faites pour eux. Nous avons indiqué à leurs représentants que l’application de celles-ci n’était pas négociable. Si l’on pouvait seulement obtenir une diminution de 10% de la vitesse moyenne des motos, l’incidence sur les accidents ne serait pas négligeable.

M. Claude Liebermann. On peut discuter avec les motards de nombreuses questions concernant leurs relations avec les autres usagers, notamment celle du partage de l’occupation des domaines routier et piétonnier. Mais le respect des limitations de vitesse n’est pas négociable car le facteur d’accident est trop important.

M. Jacques Myard. Comment se fait-il que la population des motards se croie au dessus de toute réglementation ? Il s’agit d’un problème interne à cette catégorie d’usagers de la route. Pourquoi ne parvient-on pas à mieux leur faire passer des messages de bon sens ?

M. Claude Liebermann. Le problème est spécifiquement français : les motards allemands n’ont pas le même comportement et leurs associations ne raisonnent pas comme leurs homologues françaises. Leur vision de la réglementation est beaucoup plus saine.

M. Dominique Lebrun. Il faut distinguer trois catégories de conducteurs de deux roues : les motards que la vitesse passionne et qui, chevauchant des engins pouvant atteindre ou dépasser les 250 km/h, succombent à la tentation de s’en servir ; ceux, de plus en plus nombreux en ville, notamment à Paris, qui cherchent à éviter les embouteillages et qui, dans la plupart des cas, ne bénéficient d’aucune formation particulière pour ce type de conduite, souvent accessible avec un permis B ; enfin, les jeunes, conduisant un cyclomoteur de moins de 50 cm3, mais qu’ils font débrider, souvent avec l’appui des parents à qui l’on a expliqué qu’une puissance insuffisante était aussi cause d’accident. Nous en avons vu un exemple à Agen avec la côte du Caoulet, qu’il serait impossible – soit disant - de franchir avec un moteur bridé. Aucune de ces trois catégories de conducteurs de deux roues ne respecte convenablement le code de la route.

Je ne crois donc pas qu’on puisse faire progresser la sécurité en adoptant des mesures plus souples pour les deux roues. Dans la réalité, la remontée des files « en bon père de famille » ne soulève guère de problèmes et la police de la route n’inquiète pas les intéressés. Il en va tout différemment de ceux qui, d’ailleurs très agiles, cherchent l’exploit à travers les rodéos et autres figures de style.

A été récemment instituée l’obligation de suivre sept heures de formation pour conduire un deux roues n’exigeant pas de permis. Mais, dispensée par les auto-écoles, elle ne donne lieu à aucune sanction et n’a d’autre conséquence que le droit de souscrire une assurance.

M. Jacques Myard. On ne supprime pas les feux rouges au motif que certains conducteurs ne les respectent pas. Gardons-nous de la politique du sapeur Camembert.

M. Claude Liebermann. Dans le cadre d’un accord global avec les deux roues, avec pour indicateurs la diminution du nombre des accidents ainsi que celui des infractions commises dans des domaines essentiels, pourquoi ne pas admettre la pratique de la remontée de file ? Mais on ne peut légaliser des pratiques au seul motif qu’on doit céder quelque chose, alors qu’une mesure de tolérance sera ressentie comme un signe de faiblesse et justifiera de nouvelles demandes.

M. le rapporteur. Que pensez-vous des stages de récupération de points de permis ? Certains propagent l’idée qu’il suffit de payer pour retrouver l’intégralité de son permis.

M. Dominique Lebrun. Je n’approuve pas la disposition, votée par l’Assemblée nationale, permettant de récupérer des points chaque année. Elle tombe sous le reproche que vous venez de mentionner.

Il faut, certes, conserver le mécanisme de la récupération de points mais veiller à ce que les stages soient efficaces. Ceux qui les suivent pour la première fois en tirent quelques enseignements. Mais les stages se trouvent un peu pollués par les « récidivistes », qui se présentent pour la deuxième fois, la troisième, ou bien davantage, et qui cherchent uniquement à racheter leurs points. Il y a là une réflexion à mener pour améliorer le système et lui ôter son aspect d’opération commerciale.

M. le président Armand Jung. Je précise que tous les parlementaires n’ont pas voté la disposition incriminée.

M. Claude Liebermann. Il faut prêter la plus grande attention à la façon dont ces stages sont organisés et vécus. L’INSERR en forme les animateurs. L’équipe d’animation doit comporter à la fois un psychologue et un titulaire du brevet d’aptitude à la formation des moniteurs d’enseignant de la conduite des véhicules à moteur (BAFM). Mais on éprouve parfois des difficultés à réunir les deux.

Certains stages se déroulent dans le cadre d’une formation continue des conducteurs : les réseaux des écoles de conduite le font assez bien. D’autres stages se sont spécialisés dans le rachat des points et ressemblent en effet à des « pompes à fric ». Il conviendrait donc de les soumettre à un certain contrôle, auquel l’INSERR pourrait participer.

M. le rapporteur. Aujourd’hui, des gestionnaires de stage peuvent contribuer à la récupération de quatre points sans aucun contrôle extérieur de la qualité des prestations qu’ils offrent.

M. Claude Liebermann. Toutes les pertes de points ne sont pas de même nature : certaines proviennent de sanctions infligées à la suite d’infractions importantes, dues à l’alcool et à la vitesse, et d’autres à des fautes beaucoup plus légères. Les conducteurs appartenant à la première catégorie sont souvent irrécupérables. D’autres conducteurs ont besoin de leurs points pour leur travail et sont plus concernés par les excès de vitesse que par l’alcool. Enfin, le tout-venant rassemble des personnes ayant perdu leurs points par des concours de circonstances et par la multiplication de petites infractions : eux sont tout à fait récupérables. Le stage leur fournit l’occasion de renforcer leur connaissance des exigences de la sécurité routière. Je serais donc favorable à une sorte de formation continue des conducteurs, liée à la récupération des points. Reste à savoir comment financer ce système. Les assurances et les mutuelles pourraient s’y impliquer. Car, si le nombre des accidents s’en trouvait diminué, tout le monde y gagnerait. En revanche, les stages de récupération de points au cours desquels les conducteurs n’apprennent rien ne constituent qu’un gaspillage de fonds privés. Il y a là un travail de reconfiguration à effectuer pour l’ensemble du dispositif.

M. Dominique Lebrun. Le système actuel souffre, en effet, d’une carence dans le contrôle des centres de récupération de points, comme d’ailleurs dans celui des écoles de conduite - dont l’agrément est renouvelé tous les cinq ans sans vérification particulière -, alors même que les uns et les autres participent à une mission de service public. Comme il n’est guère imaginable, par les temps qui courent, de créer un nouveau corps de contrôle, les inspecteurs du permis de conduire pourraient pallier cette carence à condition qu’on dégage pour eux le temps nécessaire. Un de nos rapports, remis en 2008, estimait cela possible à hauteur de 25 à 30 % de la durée de travail des inspecteurs, sans accroître pour autant le stock de candidats au permis de conduire.

À titre d’exemple, on peut se demander si le permis poids lourd doit encore être délivré par les inspecteurs, alors qu’il relève pleinement de la formation professionnelle des chauffeurs routiers et que ceux-ci, après l’obtention de leur permis, suivent une formation dite initiale minimale obligatoire (FIMO) durant huit semaines. On peut aussi s’interroger sur l’épreuve du code : un inspecteur ne perd-t-il pas son temps lorsqu’il déroule les visuels des questions posées aux candidats ? Faut-il enfin conserver autant de centres d’examen, quand on voit que certains d’entre eux sont installés dans des cafés, autour desquels, dans les zones reculées, on peine à trouver un feu rouge ? Tout cela a un coût, notamment celui du déplacement de l’inspecteur.

M. le rapporteur. Que pensez-vous de la question des radars sur les feux rouges ? Faites-vous des préconisations à ce sujet ?

M. Dominique Lebrun. Des radars de ce type sont déjà installés, dans des endroits judicieusement choisis comme, à Saint-Cloud, devant une sortie de lycée où plusieurs accidents se sont déjà produits. Ils ont, au début, provoqué quelques émois. Les conducteurs locaux y sont maintenant habitués et veillent à mieux respecter les signaux lumineux.

Les médias en parlent peu et nous sommes rarement sollicités à ce propos, bien que l’infraction correspondante entraîne un retrait de quatre points.

Curieusement, le sujet suscite aujourd’hui moins de réactions que les radars de contrôle de vitesse en 2003. A l’époque, les automobilistes ne comprenaient pas pourquoi un dépassement de la vitesse autorisée en rase campagne coûtait 45 euros, contre 90 euros en ville – sachant que l’on considérait alors que le premier dépassement était moins dangereux que le second.

M. le rapporteur. Les radars sur feux rouges ont entraîné 17 962 sanctions automatiques en 2009 et 287 421 en 2010. N’est-ce pas éloquent ?

M. Dominique Lebrun. Il faut rapprocher ces chiffres du nombre de radars installés en 2009 et en 2010.

M. Jacques Myard. Le principal problème n’est-il pas celui du champ balayé par le radar et de l’instant où le flash se déclenche ? Compte tenu de la longueur moyenne d’une voiture, le radar peut repérer celle-ci franchissant un feu rouge alors que le conducteur s’est engagé au feu orange.

M. Dominique Lebrun. Il faut vérifier, sur le plan technique, que le système fonctionne de façon juste. Il y a peut-être quelques aménagements à effectuer.

On sait très bien, notamment la nuit, que les feux rouges sont très mal respectés. Ce qui justifie pleinement l’installation des radars.

M. le rapporteur. Se pose tout de même le problème du passage de l’orange au rouge et du flash consécutif. Les règles sont-elles suffisamment claires ?

M. le président Armand Jung. Il semblerait que les radars soient bien réglés et que le flash ne se déclenche que pour les véhicules passant vraiment au feu rouge.

M. Jacques Myard. Le problème réside dans le temps qui s’écoule entre l’avancée de la voiture à l’orange et le déclenchement du radar au feu rouge. On devrait pouvoir décompter les secondes correspondantes.

M. Claude Liebermann. On pourrait procéder comme pour les radars de vitesse et admettre une tolérance équivalente à celle des 5 km/h. Le choix est affaire de techniciens. Les premières études ont montré qu’il s’agissait d’un problème très délicat. Nous l’avions déjà éprouvé pour le couplage des radars avec les feux de signalisation des passages à niveau. Les expériences ne sont pas encore achevées.

M. le président Armand Jung. Il est, je crois, prévu de généraliser la mesure.

M. Claude Liebermann. Les appréciations techniques sont toujours complexes pour les radars. On le mesure aussi s’agissant des radars dits pédagogiques. Ceux-ci étaient initialement conçus pour l’usage des communes. La technologie soulève des difficultés lorsque existent plusieurs files de circulation et que certains automobilistes roulent beaucoup plus vite que les autres. Au début, quelques ratés sont inévitables.

Dans le domaine de la sécurité routière, trop souvent, les décisions interviennent en même temps que se déroulent les expérimentations. Or, il faudrait stabiliser les systèmes, les adosser à des règles claires, elles-mêmes peu susceptibles de changements. Les initiatives nouvelles se fondent sur de bonnes intentions, mais elles perturbent immanquablement les dispositifs déjà en place, ce qui suscite des mesures compensatoires qui, elles-mêmes, ont des conséquences sur d’autres mécanismes, et ainsi de suite. Les populations éprouvent parfois des difficultés à en comprendre l’enchaînement.

La politique inaugurée en 2002 a été bien perçue car l’annonce de l’installation de nouveaux radars fut enregistrée comme répondant à la nécessité de rouler moins vite. Du coup, les automobilistes ont ralenti, presque un an avant la pose du premier radar. Puis, les mesures ont été appliquées telles qu’annoncées. Une politique de communication unique donne des résultats tangibles, il ne faut donc pas la brouiller.

Mais on s’attaque désormais à des niches, qui donnent moins facilement lieu à la mise en place de systèmes simples et stables. Nous nous trouvons dès lors confrontés à une contradiction entre l’exigence de la simplicité et celle de l’efficacité opérationnelle. Il nous faut la gérer.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie.

La séance est levée à vingt heures vingt.