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Commission des affaires sociales

Mercredi 16 mars 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi, sur le rapport relatif au diagnostic sur l’emploi des jeunes

– Information relative à la commission 15

– Présences en réunion 16

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 16 mars 2011

La séance est ouverte à dix heures quinze.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend, en audition ouverte à la presse, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi, sur le rapport relatif au diagnostic sur l’emploi des jeunes.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je suis heureux d’accueillir Mme Carrère-Gée, présidente depuis 2007 du Conseil d’orientation pour l’emploi (COE), accompagnée de M. Louis-Paul Pelé, secrétaire général. Le Conseil, créé en avril 2005, est une instance permanente d’expertise et de concertation placée auprès du Premier ministre. Ses cinquante et un membres représentent l’ensemble des intervenants du secteur ainsi que des parlementaires – Gérard Cherpion et Gaëtan Gorce pour l’Assemblée. Il vient d’adopter un rapport portant diagnostic sur l’emploi des jeunes qui détaille la situation et analyse les mesures spécifiques, telles que l’alternance et les divers dispositifs d’accompagnement des jeunes.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi. Nous avons été saisis de la question l’emploi des jeunes en toute fin d’année dernière. Contrairement à notre habitude, nous n’avons travaillé que sur le diagnostic de la situation, sans faire de propositions spécifiques : les partenaires sociaux ayant décidé d’engager des négociations au premier trimestre, ils ne nous ont laissé qu’un délai très court d’un mois, dans le seul objectif de faire un état de la situation. En revanche, nous avons rappelé des propositions récurrentes du Conseil sur les mesures anticrise, l’orientation scolaire et professionnelle, l’illettrisme ou la croissance verte par exemple, toutes questions qui ne sont pas sans lien avec l’emploi des jeunes.

Un point d’abord sur les indicateurs. L’un des plus fréquemment utilisés, le taux de chômage des jeunes, a l’avantage de permettre les comparaisons avec les autres classes d’âge. Mais il recèle d’importantes limites, la moindre n’étant pas qu’il conduit à des conclusions erronées. Ainsi, la presse déduit souvent de ce taux qu’un jeune sur quatre ou sur cinq est au chômage alors qu’il n’exprime que le nombre de jeunes au chômage parmi les jeunes actifs – tous les jeunes n’étant pas actifs – et que les situations sont très différentes selon les tranches d’âge : 15-20, 20-24 ou 25-29 ans. En outre, cet indicateur a le tort de laisser à penser que les jeunes constituent une catégorie homogène sur le marché du travail. Mais ce n’est pas une raison pour l’écarter complètement.

Ce taux fait apparaître des constantes. D’abord, les jeunes constituent bien une catégorie à part, avec un taux de chômage qui depuis les années 80 n’est jamais descendu au-dessous de 15 %. Ensuite, ils sont plus sensibles à la conjoncture que les autres classes d’âge. Pendant la crise, le taux de chômage moyen a progressé de deux points, en partant de 7 %, alors que le taux de chômage des jeunes, qui était déjà à 17,5 %, est passé à 24,2 ! En revanche, la part de chômage des jeunes, c’est-à-dire le nombre de jeunes au chômage dans l’ensemble de la génération, reste à peu près stable autour de 10 %.

Les difficultés d’insertion des jeunes dans la vie professionnelle ne sont pas spécifiques à la France. Dans certains pays toutefois, notamment anglo-saxons ou nordiques, le marché du travail accorde moins d’importance aux critères d’âge, ou alors assure une transition plus fluide avec la formation initiale, notamment grâce à l’alternance : c’est le cas de l’Allemagne, où 11 % des jeunes de 15 à 24 ans sont en apprentissage, contre 5 % en France. Le taux d’emploi des 15-29 ans est inférieur en France de deux points par rapport à la moyenne de l’Union européenne, et de quatre points par rapport à l’Union à quinze, mais leur part de chômage est équivalente à la moyenne européenne.

Enfin, il faut distinguer des éléments conjoncturels et structurels, qui se cumulent malheureusement. Pour ce qui est du conjoncturel, on a vu au cours des six derniers mois de 2010 s’éteindre un à un la plupart des dispositifs mis en place au moment de la crise. Les exonérations de charges dans les toutes petites entreprises, qui bien sûr ont créé des effets d’aubaine mais, c’est l’essentiel, ont montré leur efficacité, sont arrivées à échéance. Puis les administrations de l’emploi, ayant épuisé leurs crédits, ont donné un coup de frein silencieux mais brutal aux contrats aidés, en particulier pour les jeunes. Les contrats initiative emploi, dont toutes les études montrent l’efficacité, sont passés de 50 000 par trimestre à 5 000. Les mesures de soutien à l’alternance, limitées dans le temps – ce qui se comprend pour des mesures anticrise –, ont été un moment reconduites, non sans hésitation, avant de cesser à nouveau. Bref, la politique de l’emploi a connu un véritable coup d’arrêt. Certes, les mesures de soutien conjoncturel coûtent cher, mais elles devraient être maintenues tant que la crise n’est pas terminée. Le ralentissement des interventions publiques au deuxième semestre 2010 n’est pas pour rien dans l’évolution du nombre des demandeurs d’emploi en fin de mois.

La crise a donc eu un impact extrêmement fort sur les jeunes, dont le taux de chômage a explosé – il n’a d’ailleurs jamais été aussi éloigné du taux de chômage moyen. Le Conseil n’a cessé d’appeler au maintien de mesures conjoncturelles fortes, et stables : il faut éviter le stop-and-go permanent. Toutes les études montrent les bienfaits des contrats aidés pour l’insertion professionnelle des jeunes, notamment dans le secteur marchand. Il ne faut donc pas relâcher l’effort. Ils ont aussi leur utilité dans le secteur non marchand, en donnant au jeune une compétence qui lui permet ensuite de passer en entreprise. Mais il est possible de franchir une marche supplémentaire : les contrats aidés étant généralement à mi-temps, pourquoi ne pas les accompagner d’une formation en alternance ? Il ne s’agirait plus d’une simple mesure de traitement social, d’un emploi à durée déterminée dans le secteur non marchand, mais d’une véritable qualification professionnelle.

Du point de vue structurel maintenant, les difficultés des jeunes sur le marché du travail se divisent en deux grandes catégories, cumulatives d’ailleurs. D’abord, il y a les problèmes liés à la formation initiale, lorsque les jeunes sortent du système scolaire sans qualification ou qu’elle est peu en phase avec les besoins immédiats du marché. Ensuite, il y a les discriminations. Il est difficile d’en chiffrer l’impact avec précision, mais elles existent. L’étude de l’INSEE qui compare deux groupes de jeunes, avec des noms bien français d’un côté et à consonance maghrébine ou africaine de l’autre, montre des trajectoires très différentes. Toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire en neutralisant l’effet par exemple des niveaux de formation ou des caractéristiques personnelles, seul un tiers des différences s’explique par des données objectives. Cela ne signifie pas que les deux tiers restants sont de la discrimination – il peut y avoir des obstacles matériels pour des jeunes qui habitent dans des zones ghettoïsées, par exemple –, mais il est sûr qu’elle joue un rôle. Cela montre bien que la question du chômage des jeunes ne se résume pas à la politique de l’emploi : elle passe aussi par l’éducation et l’orientation scolaire et professionnelle, ainsi que par des politiques de lutte contre les discriminations au sens large.

Par ailleurs, les jeunes sont surreprésentés dans les contrats précaires – sachant qu’il faut être prudent avec les chiffres : tous les CDD ne sont pas de mauvais emplois. Il y a de l’alternance dans les emplois précaires, et certains sont incontestablement des tremplins vers l’emploi durable. En revanche, depuis vingt ans, cette fonction de tremplin s’estompe en même temps que les contrats précaires progressent dans le marché du travail. La France a un volant d’emplois précaires plus élevé que de nombreux autres pays européens, et ces emplois sont surtout réservés aux jeunes. De notre point de vue, ils sont utilisés de façon excessive par les entreprises pour s’adapter à la conjoncture économique. Quand le carnet de commandes baisse, il existe nombre d’autres façons de procéder aux ajustements nécessaires : temps de travail, chômage partiel, évolutions salariales, organisation du travail au sein de l’entreprise… La France a un peu trop tendance à limiter la flexibilité à ces emplois précaires. Le temps n’est plus à la réflexion, mais aux décisions. Il y a un consensus parmi les partenaires sociaux pour traiter de cette question assez rapidement.

Enfin, le rapport montre les bons résultats des formations en alternance, à tous les niveaux de diplômes. Ainsi, 80 % des titulaires d’un bac professionnel en apprentissage trouvent un emploi très vite, contre deux tiers pour la voie scolaire. Le Conseil milite pour une acception large de l’alternance – il ne s’agit pas que des contrats d’apprentissage et de professionnalisation. Notre rapport sur l’orientation scolaire et professionnelle insistait – et je rappelle que nos propositions représentent un consensus entre tous les acteurs du marché du travail, de la CGT au MEDEF en passant par le service public de l’emploi – pour que tous les diplômes prévoient, en fin de cursus, un volet en alternance. Contrat d’apprentissage, stage ou quelle que soit la formule, il ne devrait pas être possible de délivrer de diplôme en France sans au moins un module en alternance. Cela ne résoudra pas tout, mais il faudra en passer par là.

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous envisageons une proposition de loi sur l’alternance, et plus généralement sur l’emploi des jeunes. Cet éclairage est donc très utile.

M. Gérard Cherpion. Le rapport du COE établit un diagnostic très intéressant, notamment en tordant le cou à certains clichés sur la spécificité de la France dans l’OCDE. Suivant la présentation des chiffres et le choix des périmètres, les résultats sont très dissemblables. En tout cas, les différences ne sont pas aussi importantes que d’aucuns le disent. Par ailleurs, il semble tout à fait fondamental que toutes les filières d’études comportent un volet en alternance. Il faudrait modifier la taxe d’apprentissage afin qu’elle ne bénéficie qu’à des établissements ayant mis en place une formation agréée.

Ne pensez-vous pas que la principale question à traiter soit celle du décrochage, qu’il soit dû à la discrimination ou à une situation personnelle ? C’est ce que suggère l’analyse de l’OCDE sur les NEET, ces jeunes qui ne sont ni en étude, ni en formation, ni en emploi – neither in employment, nor in education or training. Et n’y a-t-il pas un risque aujourd’hui de voir les jeunes entrer dans un chômage de longue durée, ce qui n’arrivait pas auparavant ? Auquel cas il faudrait prévoir des mesures spécifiques.

M. Jean-Patrick Gille. Ce diagnostic permet de reconsidérer l’ensemble des mesures mises en place – on peut se demander s’il n’y en a pas trop – et montre l’effet dévastateur des opérations stop-and-go. En début d’année dernière, de nombreuses mesures ont été instaurées. Puis il y a eu le coup de frein brutal de la fin du premier semestre. Il faut expliquer aux gouvernants les effets néfastes de ce genre de procédé.

Je me demande par ailleurs si nous ne gagnerions pas à segmenter l’analyse selon les types de problèmes, et donc à cibler les mesures. Il y a trois catégories : les diplômés qui ne trouvent pas de débouché, les peu qualifiés et ceux qui n’arrivent pas à entrer sur le marché du travail, le tout se superposant aux discriminations, qui impliquent une politique spécifique pour les quartiers par exemple. Ne faudrait-il pas également prévoir des mesures pour les 25-30 ans, qui commencent à connaître le même type de situations que les plus jeunes ?

S’agissant de l’apprentissage, une forme de consensus existe. Mais le rapport montre bien que tous les dispositifs des différents gouvernements depuis 1982 pour le développer bénéficient pour l’essentiel à des jeunes qui ont au moins le niveau du bac. Ce sont les jeunes de niveau V, c’est-à-dire CAP-BEP, qui sont le plus visés, mais leur effectif dans les formations en alternance stagne. Par ailleurs, quel est votre avis sur les contrats d’autonomie ? Lors de la discussion budgétaire, notre rapporteure, Chantal Brunel, les a dits chers et peu efficaces. Pourtant, le Gouvernement vient d’en annoncer 7 000 supplémentaires, ce qui représente un coût d’environ 50 millions d’euros, correspondant en gros au budget perdu par les missions locales pour l’accompagnement des jeunes vers l’entreprise… Quant aux dispositifs d’exonérations de charges, si l’ambiance est plutôt à les restreindre pour cause d’effet d’aubaine, n’ont-ils pas de sens pour des publics très ciblés, par exemple les jeunes des quartiers ?

Il faut enfin régler des problèmes structurels fondamentaux. Dans notre modèle de production, la jeunesse sert de variable d’ajustement. Si nous arrivons à maintenir la compétitivité de notre secteur automobile, c’est par l’embauche, en cas de pic de production, de jeunes en contrat de professionnalisation ou en intérim qui repartent aussi vite qu’ils sont venus. Et c’est la collectivité publique qui finance. Si nous ne nous y attaquons pas, nous pourrons toujours multiplier les mesures, elles ne serviront qu’à consolider ce système de précarité. Remplaçons-les plutôt par de l’accompagnement vers et dans l’entreprise, qui coûte moins cher et est plus constructif. N’y a-t-il pas d’ailleurs deux problèmes différents : la mise à l’emploi de jeunes qui n’ont jamais eu une première chance pour faire leurs preuves, et l’intermittence ? Un jeune sur deux que suivent les missions locales connaît l’emploi, mais de temps en temps. D’où peut-être la nécessité pour le service public de l’emploi d’agir à deux niveaux : d’abord la simple mise en relation entre l’offre et la demande, ensuite un dispositif d’accompagnement très renforcé. Tous les jeunes ont à passer le cap de leur entrée sur le marché du travail. Mais pendant longtemps, on a pensé qu’ils traversaient juste une période de flottement de quelques mois, maintenant quelques années. Aujourd’hui, on a le sentiment que certains se heurtent à un nouveau plafond de verre, qu’ils sont condamnés à l’intermittence. Ce n’est pas acceptable.

M. Bernard Perrut. Ce rapport essentiellement descriptif montre bien l’importance de l’effort financier de l’État en direction de l’emploi des jeunes, avec notamment le plan d’urgence pour l’emploi des jeunes et le plan « Agir pour la jeunesse », lancés par le Président de la République en avril et en septembre 2009. En revanche, il ne dresse qu’un bilan quantitatif. J’aurais aimé une approche qualitative permettant de savoir pourquoi certains dispositifs ont connu plus de succès que d’autres, comment les employeurs se sont mobilisés et comment les organismes professionnels, les missions locales ou Pôle emploi ont réagi. Cela aurait été très utile : trouver les chiffres n’est pas le plus difficile.

Par ailleurs, le rapport a été rédigé sans que l’Union nationale des missions locales ni leur Conseil national n’aient été auditionnés. Cet oubli a pu être ressenti sinon comme de la malveillance du moins comme un oubli par l’ensemble des cinq cents missions locales de France, qui accueillent plus d’un million de jeunes chaque année, qui ont été reconnues par le Président de la République comme le pivot de l’accompagnement des jeunes et qui sont entièrement chargées de la mise en place du contrat d’insertion dans la vie sociale, le CIVIS. Et pourtant, le rapport parle du million de CIVIS signés et du rôle des missions locales ! Sans compter l’inspection générale des finances, qui a récemment mis en exergue les actions qu’elles mènent.

Le rapport évoque la complexité de la gouvernance du système : État, partenaires sociaux, régions, départements, communes… Le problème est bien connu. Avez-vous des propositions ? Il dresse aussi un juste tableau des discriminations et du manque de formation des jeunes, notamment de son inadaptation aux besoins. Mais comment faire pour développer apprentissage et alternance ? Il faut des entreprises pour accueillir les jeunes, et des dispositifs d’accompagnement renforcés. Surtout, il faut que les jeunes les plus éloignés de l’emploi puissent aussi y accéder. Aujourd’hui, l’apprentissage est réservé aux jeunes les mieux formés, les plus utiles, les plus aptes à entrer dans l’économie. Comment faire en sorte que l’apprentissage devienne une porte d’entrée pour les jeunes les plus défavorisés ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Le Conseil n’a pas auditionné les structures nationales des missions locales faute de temps. Les partenaires sociaux nous ont saisis en décembre, le rapport a été rendu fin janvier. Dans ce contexte, nous avons privilégié l’audition d’un acteur de terrain, M. Régis Barbier, directeur d’une mission locale qui participe de surcroît à des expérimentations. Nous les entendrons bien volontiers si les partenaires sociaux, l’État et les collectivités locales décident enfin de travailler sur les questions de gouvernance. Je n’accepte un sujet que lorsque j’ai la certitude qu’un consensus pourra se dégager pour faire avancer les choses – je ne vois pas l’intérêt de propositions sans portée – et je militerai pour que ce soit le cas. C’est un vrai problème d’avoir un service public de l’emploi pour les jeunes complètement éclaté, dont chaque intervenant a certes sa légitimité, mais sans personne pour tenir les leviers.

Je remercie M. Cherpion de soutenir l’idée d’une part de formation en alternance dans tous les diplômes. On ne fera rien dans ce domaine sans réformer parallèlement les financements, c’est-à-dire la taxe d’apprentissage. Je vous fais confiance pour y veiller dans le projet de réforme structurelle de l’alternance que veut présenter le Gouvernement. Quant au chômage de longue durée des jeunes, c’est effectivement un fait nouveau. Traditionnellement, ils vivaient beaucoup plus de transitions entre emploi et chômage que les autres populations, mais restaient souvent peu de temps au chômage – beaucoup moins longtemps que les plus de 50 ans par exemple. La crise a changé la donne. La progression du chômage de longue durée chez les jeunes est spectaculaire, alors même que leur taux de chômage a tendance à régresser. Ce qui est inquiétant, c’est que dans certains cas, il n’existe pas d’outil adapté. Il y a des dispositifs pour les jeunes sans qualification ou avec une qualification très insuffisante : les missions locales en sont familières. Mais il y a de jeunes diplômés, parfois à haut niveau, et dans des matières en phase avec le marché du travail, qui ont eu la malchance de tomber au mauvais moment : ils n’ont pas voulu ou pas pu prolonger leurs études et se retrouvent en concurrence avec des gens tout aussi bien diplômés, mais plus fraîchement. Le service public de l’emploi n’a pas vraiment d’outil pour les prendre en charge. Les partenaires sociaux sont en train d’en discuter. Il est urgent de prévoir des dispositifs d’accompagnement renforcé avec l’Agence pour l’emploi des cadres : certains de ces jeunes n’ont pas mis les pieds dans une entreprise depuis deux ans.

Les contrats d’autonomie peuvent convenir à certaines de ces situations. La mesure a été très longue à décoller et il en a été dit beaucoup de mal, mais nous sommes plus nuancés. Elle est très adaptée aux besoins de coaching de certains jeunes, en matière de représentation ou de confiance en soi, par exemple. En revanche, il serait urgent d’évaluer les opérateurs chargés de sa mise en œuvre, qui ont des taux de réussite spectaculairement différents – et tout ne s’explique pas par des raisons géographiques. D’une manière générale, nous n’avons pas d’objection au recours à des opérateurs privés de placement. En tout cas, et quoi qu’on pense de la configuration idéale du service public de l’emploi, la crise n’a pas laissé le choix : aucun organisme ne pouvait faire face à l’afflux des demandeurs d’emplois, et il y avait des opérateurs privés qui savaient faire. Mais à titre personnel, je pense qu’il faudrait mettre de l’ordre dans l’activité des sociétés d’intérim intervenant comme opérateur privé de placement. Les entreprises d’intérim ne font pas spontanément de l’accompagnement, ou peu : c’est en plaçant des gens dans les entreprises qu’elles gagnent de l’argent. Je crains une sorte de conflit d’intérêt lorsqu’elles accompagnent des demandeurs d’emplois au titre de Pôle emploi et qu’ensuite elles les placent dans une entreprise, et qu’elles sont rémunérées pour les deux actions.

Pour ce qui est du stop-and-go, il est vraiment très difficile de réamorcer la pompe lorsqu’elle a été arrêtée. Quand on a annoncé 500 millions supplémentaires pour l’emploi, en février, c’était quinze jours après une circulaire demandant aux services déconcentrés de mettre le frein sur les contrats aidés… Pour ma part, je ne suis pas sûre qu’il y ait trop de mesures. En revanche, elles sont trop instables. En 2005 ou 2006, Jean-Louis Borloo a décidé de soutenir fortement l’alternance, avec une exonération de charges sociales pour les contrats de professionnalisation. C’était simple, efficace et cela a permis à ces contrats nouveaux de décoller. En 2008, l’exonération a été supprimée. En avril 2009, pour cause de crise, on a voulu relancer l’alternance, mais par le biais d’une aide financière de l’État. La mesure a pris fin en juin 2010, puis a été reprise de fin juillet à fin décembre. Aujourd’hui, on annonce de nouvelles aides, encore différentes. Je suppose que l’objectif est de mieux cibler les mesures, ce qui se comprend dans le contexte de nos finances publiques. Mais à force de finasser et de vouloir réinventer l’eau tiède à chaque changement de ministre, six régimes différents sont apparus en cinq ans ! C’est d’autant plus regrettable que si les contrats d’apprentissage sont en progression, pour l’immense majorité d’ailleurs dans le cycle supérieur comme cela a été rappelé, le nombre des contrats de professionnalisation reste étal. Si l’on veut vraiment booster l’alternance, il faut les développer eux aussi, d’autant que les dispositifs dont ils ont pris la place, comme les contrats d’adaptation et contrats de qualification, représentaient un volume global beaucoup plus important.

Comment diriger plus de jeunes vers l’apprentissage ? Le Conseil insiste sur le rôle du service public de l’orientation – ce qui implique un nombre suffisant de conseillers d’orientation. La communauté éducative doit aussi s’impliquer davantage. Une proposition du Conseil, très audacieuse si l’on considère qu’elle a été adoptée à l’unanimité, est que tous les enseignants de la filière générale aient fait un stage en lycée professionnel ou en centre de formation d’apprentis. Il faut que les deux mondes se connaissent, et surtout en finir une bonne fois pour toutes avec un certain mépris pour l’apprentissage – bref, que les systèmes soient beaucoup plus perméables. Enfin, il faut s’intéresser à la question des filles : dans l’industrie du bâtiment, elles représentent entre 4 et 20 % des apprentis ! Il est dommage que le meilleur outil d’insertion professionnelle leur soit de fait fermé – elles ne sont pas exclues d’office, mais elles ne sont pas là et personne ne vient les chercher. Tant qu’on ne s’en occupera pas, l’alternance ne progressera pas.

Vous avez dit que les jeunes étaient la variable d’ajustement de notre économie, ce qui obligeait la collectivité à financer des dispositifs d’aide. Mais c’est parfaitement normal ! Élargir les conditions d’indemnisation des demandeurs d’emploi en temps de crise est la moindre des choses. En revanche, il faut vraiment que les syndicats et le patronat se décident à trouver un accord interprofessionnel sur l’emploi précaire. Il n’est pas question d’interdire les CDD et l’intérim, qui ont une utilité incontestable, mais il faut sanctionner très fortement, financièrement ou par d’autres moyens, les entreprises qui en abusent. Les chefs d’entreprise ne sont d’ailleurs pas seuls responsables : il y a une sorte de résignation à l’égard de la situation des jeunes dans l’ensemble de la société, et même dans les syndicats, sur le mode « ils sont jeunes, ils finiront bien par s’insérer ».

Vous avez aussi signalé les difficultés des jeunes en tant qu’entrants sur le marché du travail. J’en profite pour alerter sur un discours très répandu en ce moment, selon lequel les politiques de l’emploi ne servent pas à grand-chose et qu’en ces temps d’économies budgétaires, ses millions seraient bien plus utiles ailleurs. L’argument se fonde sur une analyse assez perverse : si le taux de chômage des jeunes est assez élevé, c’est qu’il y a nécessairement un moment où ils cherchent leur premier emploi, ce qui prend environ trois mois pour la moitié d’entre eux, un peu plus pour d’autres. Si l’on retire trois mois aux statistiques, le taux de chômage s’effondre donc. Le raisonnement est séduisant, et il n’est pas faux. Mais il n’est pas vrai non plus. Qu’est-ce qu’un jeune en effet sinon une personne en situation d’insertion professionnelle, laquelle précisément est difficile ?

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous en revenons aux questions de nos collègues, sachant que Jean-Louis Borloo, qui fut un ministre passionné, peut toujours apporter sa contribution.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Un ministre passionné en effet qui a pris en charge de la bonne façon le sujet de l’emploi dans le plan de cohésion sociale, c'est-à-dire de manière cohérente en balayant le champ allant de la maternelle à l’insertion professionnelle, tout en prenant en compte la discrimination dont souffrent certains jeunes.

M. Fernand Siré. En termes de rationalisation budgétaire, on ne peut que constater la faillite de l’éducation nationale s’agissant de la formation des jeunes : non seulement certains s’arrêtent avant le niveau bac + 2 sans diplôme tandis que d’autres quittent l’école à seize ans sans rien faire après, mais on perpétue des classes dans le seul intérêt de professeurs dont le souci est uniquement de protéger leur emploi.

Mieux vaudrait rationaliser les dépenses en supprimant toutes les filières qui ne conduisent à rien – par exemple psychologie, sociologie ou encore géologie à l’université – et en réintroduisant les entreprises dans la formation plutôt que de leur demander de faire des efforts sur leurs propres deniers pour former des jeunes : alors que c’est le rôle de l’éducation nationale, celle-ci délivre au contraire à des jeunes entre seize ans et dix-neuf ans une fausse formation que les parents se seront sacrifiés à payer bien qu’elle ne mène à rien.

M. Georges Colombier. Vous dénoncez à juste titre des formations qui ne sont pas en phase avec les offres d’emploi. À cet égard, le COE a formulé des propositions en avril 2008 et janvier 2009. Sont-elles suivies d’effets ?

Si les politiques d’emploi et de formation souffrent d’une gouvernance complexe, l’amélioration passe selon vous par une modification du pilotage, notamment grâce à la clarification de la répartition des compétences. Pourriez-vous être plus précise ?

Mme Martine Carillon-Couvreur. Votre présentation a montré combien l’orientation et l’accès à l’emploi s’étaient dégradés ces dernières années. Pourtant, dans cette période où les baby-boomers partent à la retraite, ne devrait-on pas compter sur une amélioration de l’entrée des jeunes dans l’emploi ?

Plus généralement, on ne peut traiter cette question de l’emploi des jeunes sans se préoccuper du point de départ, à savoir l’éducation et, au-delà, la formation et l’orientation. Il faut poursuivre l’effort dans tous ces domaines. À cet égard, la proposition d’insérer un volet d’alternance dans tous les cursus est une bonne chose. Il faut très vite une expérience qui puisse être accompagnée d’une formation permettant une professionnalisation.

Le travail précaire est souvent la seule solution offerte aux jeunes, au point que certains, si l’on continue comme cela, n’auront connu rien d’autre. Qu’adviendra-t-il pour eux en fin de carrière ?

Enfin, il faut arrêter de remettre sans cesse en question les politiques en la matière. Ce n’est qu’en tenant bon un cap que l’on pourra en finir avec la dégradation de la situation de l’emploi des jeunes.

M. Jacques Domergue. Je placerai mon intervention sous le signe de l’efficacité et de la lisibilité.

Comment veut-on qu’un chef d’entreprise s’y retrouve quand le système d’exonération des charges varie dans le temps et quand les contrats aidés, qui représentent un véritable maquis, ne sont qu’un pis-aller ne débouchant souvent sur rien, sauf sur de l’occupationnel ?

Quant à la formation, l’exemple du président Méhaignerie, qui a été à l’initiative de la mise en place dans son secteur de la faculté des métiers, devrait être suivi.

M. le président M. Pierre Méhaignerie. Ce faisant, un président d’université a estimé que j’humiliais l’université française !

M. Jacques Domergue. Tel est également le point de vue de nombre d’universitaires qui considèrent malheureusement comme très dévalorisant le fait de donner un titre universitaire à des métiers dits manuels.

Le marché de l’offre et de la demande le montre, de nombreux secteurs où existe encore de l’activité ne trouvent pas forcément des personnels qualifiés pour occuper des emplois. Les enseignants doivent comprendre – certains en ont conscience – qu’ils ne peuvent délivrer un enseignement général sans se préoccuper de la qualification en vue d’un emploi. Aussi est-il indispensable que les chefs d’entreprise puissent participer à la vie des collèges et des lycées afin d’en finir avec cette étanchéité entre le milieu de la formation et celui de l’emploi.

Pourquoi n’arrive-t-on pas à dresser un état des lieux afin – en fonction de l’emploi prévisible dans certains secteurs – de prendre des dispositions pour faire bénéficier des personnes, certes d’une formation générale, mais surtout d’une formation spécifique à ces emplois potentiels ? Faute de pragmatisme, les gens sont souvent livrés à eux-mêmes, ce qui conduit certains à regretter l’ANPE, sa fusion avec les Assedic donnant l’impression que les personnels de Pôle Emploi sont plus préoccupés par leur propre carrière que par l’avenir des chômeurs. Trouver un système simple permettant une adéquation entre formation et débouchés potentiels permettrait d’améliorer les choses.

Mme Pascale Gruny. Je rejoins votre analyse concernant les raisons du non-emploi des jeunes, qui peut en effet être dû à l’illettrisme, à la formation et à l’orientation, mais je ne peux vous suivre lorsque vous parlez de s’en remettre sur ce dernier point aux conseillers d’orientation, car leur échec est patent. La cité des métiers qui, dans mon secteur, est adossée à une maison de l’emploi, constitue en revanche une vraie réponse, car l’orientation se fait aussi en fonction des débouchés.

On ne parle pas assez non plus du « savoir être ». Des offres d’emploi ne sont pas pourvues parce que les jeunes ne savent pas toujours se présenter, et vous pourrez prendre toutes les mesures que vous voudrez, l’entreprise n’embauchera pas ces jeunes, lesquels sont souvent les plus éloignés de l’emploi et issus de familles où il a manqué une certaine forme d’éducation. À cet égard, le dispositif EPIDe, du nom de l'Établissement public d'insertion de la défense, répond à l’attente de nombreuses entreprises qui sont ravies de les recruter lorsqu’ils en sortent.

S’agissant par ailleurs de mobilité, les programmes européens autres qu’ERASMUS pour les jeunes étudiants, vont-ils prendre en compte l’apprentissage ?

Si en matière d’alternance, je suis d’accord avec mes collègues pour dire que c’est la solution, les entreprises doivent aussi pouvoir accueillir les jeunes en question à un coût moindre et disposer du temps et de tuteurs suffisants. Attention à ne pas trop charger la barque.

J’en viens à la flexibilité. Le jeune qui n’a pas été en alternance n’a pas sa première expérience, ce qui est un frein à l’entrée dans le monde du travail. À cet égard, l’emploi précaire peut être une chance. Si j’ai rappelé, dans mon rapport il y a six mois au Parlement européen sur « les contrats atypiques, la flexisécurité et la sécurisation des parcours professionnels », que la norme devait être le contrat à durée indéterminée, il ne faut pas craindre pour autant ces petits contrats qui permettent de donner un premier contact avec l’entreprise.

Enfin, je ne puis être d’accord avec vous s’agissant de la discrimination. Que l’on ait vingt ou quarante ans, le nom ou le prénom reste un même problème : la discrimination n’est pas un problème d’emploi des jeunes. Il se pose à tout le monde à tous les niveaux.

Mme Monique Iborra. La politique dite du stop-and-go devrait plutôt être qualifiée de politique incohérente, notamment en matière d’exonérations de charges, incohérence que nous avons dénoncée d’autant que la situation de crise non seulement n’est pas terminée mais qu’elle est permanente pour les jeunes.

Par ailleurs, on oublie souvent que la politique de l’emploi dépend de la croissance. Ne pas tenir compte de cet élément conduit à prendre des mesures conjoncturelles sur lesquelles on n’hésite d’ailleurs pas à revenir, ce qui conduit à cette situation aujourd'hui très peu satisfaisante, en particulier chez les jeunes.

Quant au fait que les missions locales n’aient pas été auditionnées, je rappelle que les régions ne l’ont pas été davantage.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Un représentant de l’Association des régions de France siège au COE.

Mme Monique Iborra. Mais depuis 2004, la politique en matière d’apprentissage a été confiée aux régions qui en sont aujourd'hui les premiers financeurs.

Si le nombre d’apprentis a augmenté grâce aux contrats d’objectifs, vous avez raison de dire que c’est surtout le niveau supérieur qui en a bénéficié. Or, aujourd'hui la demande du monde économique ne porte plus sur le niveau V, mais à partir du niveau IV. Vouloir créer des sections d’apprentissage sans tenir compte des demandes des entreprises est une aberration, car les jeunes concernés n’auront pas d’emploi à la sortie.

Concernant l’adéquation du marché de l’emploi, savoir où se situent les déficiences en matière de formation ne suffit pas. Quand on est sur le terrain, on sait à quel point il est difficile, y compris pour les partenaires sociaux et les branches professionnelles, de se projeter même dans un avenir à court terme tant le marché du travail est en mutation constante. Une qualification bonne une année pourra ne plus l’être l’année suivante.

Quant à la gouvernance, si l’apprentissage a un pilote – les régions, avec des mesures incitatives de l’État –, le maquis le plus obscur règne en revanche pour les contrats de professionnalisation. Si, comme on nous l’indique, ce sont les partenaires sociaux qui les pilotent, ils ont alors de gros progrès à accomplir dans la gestion du dispositif, car non seulement celui-ci ne donne pas les résultats escomptés – même si des améliorations ont été récemment constatées –, mais il ne permet aucune visibilité en la matière.

M. Michel Liebgott. Je me félicite que le rapport du COE souligne la nécessité de l’intervention publique. Aux Pays-Bas ou au Danemark, par exemple, lorsqu’un jeune souhaite obtenir une aide sociale, une activité – formation ou travail – est demandée en compensation. Il me semble essentiel d’aller vers un tel dispositif, car le vrai problème des emplois aidés, au-delà du stop-and-go, est d’être plus une variable d’ajustement servant à rendre meilleures les statistiques du chômage qu’une formation réelle pouvant déboucher sur un emploi dans l’entreprise d’accueil ou ailleurs.

Les systèmes allemands et luxembourgeois sont à cet égard fondamentalement différents. Ainsi, des postes ont été récemment supprimés dans des lycées professionnels de la région lorraine – cinq par établissement en moyenne – ce qui a conduit à supprimer les filières « carrière sanitaire et sociale », « électronique », ou encore « métaux » alors que des jeunes auraient pu trouver là des formations débouchant sur des emplois clairement identifiés – sachant que parmi ceux qui entrent en université dans des cycles généraux, un sur cinq en sort sans diplôme et six sur dix simplement avec un premier cycle. Or, que font les Allemands voire les Luxembourgeois ? Ils viennent chercher dans nos lycées des jeunes avant même qu’ils aient terminé leur formation pour les placer en alternance dans leurs propres entreprises afin de les former à un métier. C’est dire si les pays qui vont le mieux sont les pays les plus interventionnistes – les pays scandinaves, notamment.

Dans notre pays, les interlocuteurs en matière de formation en alternance sont nombreux et ont du mal à se parler, d’autant que le système institutionnel français conduit à avoir, d’un côté, des régions d’une certaine sensibilité et, de l’autre, un État qui a une politique différente voire souvent opposée.

M. Michel Issindou. Non seulement la lisibilité du dispositif est pour le moins ardue, mais la politique en direction des jeunes est quelque peu erratique Si personne ne conteste l’utilité de la formation en alternance, la seule manière de créer des emplois, notamment dans le secteur marchand, serait d’avoir une vraie politique industrielle, d’autant que des emplois nouveaux existent dans le développement durable, par exemple en matière d’économies d’énergie dans les bâtiments. On aura beau changer les dispositifs, si, au bout du bout, vous n’avez pas de carnets de commande, vous ne créerez pas d’emplois.

Pour redonner de la confiance à la jeunesse qui est désespérée, qu’elle soit diplômée ou non, il faut mener une politique d’emplois aidés – même s’ils n’ont pas toujours de débouché, comme le faisait remarquer peut-être avec quelque excès Jacques Domergue, ils permettent une expérience qui reste et qui peut être utile par la suite –, et lutter plus fortement contre les discriminations spatiales et raciales et contre la précarité.

Enfin, il existe à mon sens – sans qu’il soit question de mettre en opposition les jeunes et les vieux – un lien direct entre la réforme des retraites et la difficulté d’insertion des jeunes, la première étant un frein à l’embauche des seconds. Ne pensez-vous pas que cette réforme arrive au mauvais moment pour les jeunes ?

M. Élie Aboud. Concernant les discriminations raciales, si elles entraînent un temps d’accès à l’emploi plus long, la situation à long terme et à formation égale est-elle si inégalitaire que cela ? Qu’en est-il au niveau bac + 4 ou 5 ? Le problème n’est-il pas finalement le même qu’entre milieu rural et urbain ou qu’entre hommes et femmes ?

M. le président Pierre Méhaignerie. Peut-être Jean-Louis Borloo pourrait-il nous dresser un bilan de son expérience ?

M. Jean-Louis Borloo. Je tiens d’abord à vous remercier, madame Carrère-Gée, d’avoir fait le point de manière sereine, chiffres en mains, encore qu’il soit toujours difficile de passer de l’analyse à des propositions.

Ce qui m’a toujours perturbé, monsieur le président, c’est d’avoir affaire à un pays qui apparaît centralisé alors qu’il est invraisemblablement émietté. Je ne connais pas de pays européen où les capacités opérationnelles, financières et organisationnelles soient aussi éclatées. C’est stupéfiant en matière de formation : un centre d’apprentissage peut refuser des jeunes alors qu’à dix kilomètres de là on ferme des classes dans un lycée professionnel faute d’un nombre suffisant d’élèves ; des sommes peuvent se révéler inutilisées en fin d’année dans un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) alors que des tensions financières existent ailleurs ; la formation professionnelle est de la responsabilité de la région, mais encore faut-il une coordination avec les branches professionnelles ou les partenaires sociaux. Quant à la prévisibilité des emplois à un, trois ou cinq ans elle n’existe pas, alors qu’essayer de prévoir la situation dans tel ou tel bassin me parait une réflexion élémentaire – même si des erreurs sont inévitables.

M. Michel Issindou. Pourquoi n’est-ce pas fait ?

M. Jean-Louis Borloo. Parce que nous sommes dans un pays où, comme le notait M. Liebgott, des institutions agissent en termes de pouvoirs et de contre-pouvoirs, sans vouloir considérer qu’elles concourent à un même objectif. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais un constat. Les partenaires sociaux, par exemple – sans qu’il soit question de les mettre en cause – qui gèrent des fonds très importants, sont très soucieux de leur légitimité. L’information n’atteint pas les missions locales.

Si les maisons de l’emploi ont été, avec des succès et des échecs, une tentative de fédérer un peu tout le monde, ma conviction absolue est, d’une part, que sans poste de pilotage où chacun contribuerait de bonne foi au dispositif général sans se croire propriétaire de formations et de financements, il n’y a aucune chance d’amélioration, et, d’autre part, que l’emploi des jeunes dans certains quartiers relève d’une autre problématique dont l’enjeu quantitativement assez faible est majeur pour le maintien de la cohésion républicaine.

Ce qu’il faut en l’espèce, c’est un programme spécifique, et je suis d’ailleurs très étonné que l’article 1 de la loi de 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, qui prévoyait l’obligation pour toute instance délibérative en France – région, département, ville, agglomération, communauté de communes, chambres de commerce et d’industrie, de métiers et d’agriculture,... – de rendre périodiquement un rapport public sur son apport marginal à cette jeunesse, n’ait jamais été appliqué. Je suis d’autant plus stupéfait que, sincèrement, l’effort conjugué de tout le monde en faveur de quelques centaines de cas dans de petits quartiers et de quelques milliers dans des grands changerait la donne.

Cette cohésion générale – cette sorte de cabine de pilotage commune – vous semble-t-elle possible ? Par ailleurs, le service militaire adapté (SMA) qui marche formidablement là où il existe, vous semble-t-il souhaitable en France métropolitaine ?

M. le président Pierre Méhaignerie. J’ai fait mienne la doctrine de Jean-Louis Borloo : j’ai en effet mis en place à Vitré une maison de l’emploi qui regroupe ANPE, chambres consulaires, associations, centre d'information et d'orientation (CIO), Mission locale, bien sûr, et j’en oublie.

Mme Monique Iborra. L’université ?

M. le président Pierre Méhaignerie. Non.

Nous avons obtenu à titre expérimental d’avoir un seul directeur pour l’ensemble des structures. Tout a changé. Aujourd'hui, les jeunes viennent, et les entreprises proposent 60 % d’offres d’emploi supplémentaires.

Le problème de gouvernance, d’unité, de continuité et de simplification, ne tient donc pas à plus d’argent, mais à une meilleure gestion des moyens financiers. Le résultat de l’expérience est en tout cas à la hauteur des espérances.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. S’agissant des CIO à propos desquels je laisse à Mme Gruny l’emploi du terme « échec », nous avions pour notre part avancé plusieurs propositions.

D’abord, laisser à l’éducation nationale la responsabilité de l’orientation.

Ensuite, élargir le recrutement, car les conseillers d’orientation, auxquels on reproche absolument tout mais qui ne peuvent tout faire, devraient, selon nous, non pas être forcément des psychologues, mais avoir travaillé en entreprise ou encore avoir reçu une formation en sciences économiques ou autres.

Il conviendrait par ailleurs de disposer d’une offre de formation plus réactive, ce qui implique de mieux cerner les besoins des entreprises. À cet égard, le programme « Prospective des métiers et qualifications » (PMQ), piloté par le Centre d’analyse stratégique (CAS) devrait être porté – une fois rendu plus clair, car il est très technique – à la connaissance des élèves, des parents et de la communauté éducative pour que chacun puisse prendre conscience des grandes évolutions générales. Par exemple, le COE a rendu un rapport intitulé « Croissance verte et emploi », aux termes duquel il a appelé l’État à décider d’investissements nouveaux dans ce secteur porteur – encore que je sois aujourd'hui un peu inquiète, après une impulsion très forte, quant à la mobilisation gouvernementale pour la traduction de cette politique en emplois et en formations.

De même, nous avons estimé que l’éducation nationale ne jouait pas suffisamment le jeu dans l’adaptation des formations aux nouvelles normes et compétences qui feront l’univers économique de demain, et que les professionnels n’étaient pas suffisamment impliqués s’agissant en tout cas des formations non supérieures. Nous avons ainsi proposé que le taux d’insertion professionnelle de toutes les formations soit publié de façon obligatoire afin qu’en dessous d’un certain taux une réflexion s’engage immédiatement entre l’État, les régions et les partenaires sociaux. Certes, ce n’est pas parce qu’une formation a un taux d’insertion peu satisfaisant qu’elle est forcément mauvaise. Mais, aujourd'hui, un lycée ou un CFA ne doivent plus offrir une formation répondant à des emplois qui n’existent plus. Or, il arrive encore que de telles formations constituent dans une ville la seule voie d’orientation professionnelle pour des jeunes qui ne réussissent pas bien à l’école et dont les parents n’ont pas les moyens de payer un logement à 200 kilomètres pour une autre formation. C’est pour éviter de tels cas que l’on a demandé la création d’une procédure d’alerte.

Nous avons également demandé que les formations soient regroupées, quitte à ce que des options soient offertes, de façon qu’elles soient plus lisibles pour les jeunes mais aussi pour les DRH qui s’y perdent, et que des passerelles entre offres de formation soient mises en place. À cet égard, je ne suis pas d’accord pour dire que les formations en psychologie ou en sociologie doivent être abandonnées, d’abord parce qu’elles offrent des débouchés directs, ensuite parce que des passerelles pourraient permettre à des jeunes qui ont suivi ces spécialités d’obtenir une spécialisation dans une autre matière, car l’avenir est aux compétences variées et aux profils non uniformes.

Concernant les contrats précaires, je ne suis pas favorable à ce que dans cette phase de reprise qui reste incertaine, on prenne des mesures tendant à décourager cette forme de recrutement. Les 120 000 emplois créés au cours de l’année correspondent d’ailleurs, aux quatre cinquième, à des contrats d’intérim qui bénéficient à plein aux jeunes : de même qu’ils avaient été les premières victimes, ils sont les premiers embauchés. Ce n’est qu’une fois la période de crise passée, que l’on pourra réfléchir à d’autres modes d’adaptation de l’emploi à l’activité économique que ce recours à un volant de main-d’œuvre précaire.

Sur le plan statistique, si les emplois précaires sont moins qu’avant un tremplin vers l’emploi stable, les jeunes qui ne connaîtraient que l’alternance entre emplois précaires et chômage pendant des périodes très longues ne représentent qu’un pourcentage d’environ 5 %. Cette proportion reste scandaleuse, mais elle n’est pas non plus massive.

Quant à la fusion qui a conduit à la création de Pôle emploi, il me semble que c’était une bonne décision, même si elle est mal tombée.

M. Michel Issindou. Elle aurait pu être faite plus tôt ou plus tard, voire carrément abandonnée.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Il était difficile, au moment où elle a été prise de savoir qu’il y aurait une crise financière et économique mondiale majeure l’année suivante. Comme dans toute entreprise, arrêter un processus de fusion au milieu du gué peut aussi être pire que tout.

Je partage pleinement les propos de Jean-Louis Borloo sur l’émiettement des responsabilités : même si chacun souhaite de bonne foi atteindre un objectif commun, chacun reste néanmoins convaincu que ses méthodes sont les bonnes et que ses financements n’appartiennent qu’à lui.

Nous avions souligné au début de la crise que l’on ne réussirait pas à lutter efficacement contre les conséquences sur l’emploi si l’on ne changeait pas de mode de gouvernance, et qu’il convenait d’oublier, au moins de façon provisoire, tout conflit politique entre partenaires sociaux et État, entre État et région, etc. Des efforts ont été accomplis, mais on aurait pu faire mieux. À l’évidence, il faudra des réformes structurelles plus importantes, car il est insupportable que des questions de gouvernance conduisent à des pertes de chance pour des jeunes et plus généralement pour les Français.

Bien évidemment, il faut une politique industrielle et de croissance surtout pour les jeunes qui sont, plus que les autres, sensibles à la conjoncture économique. C’est le b.a.ba.

Enfin, lorsque nous avons traité de l’orientation scolaire et professionnelle, c’était la première fois qu’une instance chargée de l’emploi s’intéressait à cette question. Comme on pouvait le craindre, la communauté éducative s’est immédiatement méfiée, au même titre par exemple que les acteurs de l’emploi – chefs d’entreprise, etc. – se méfient du monde de l’éducation. Il faut arriver à surmonter ce problème culturel en France. Notre expérience montre cependant que l’on peut parvenir à travailler non seulement avec tous les acteurs du marché du travail, mais également avec la communauté éducative, les syndicats d’enseignants, les directeurs de CIO et les conseillers d’orientation par exemple. Nous avons même réussi à impliquer directement par des consultations Internet des jeunes et leurs parents.

Au-delà des institutions heureusement – pour finir sur une note d’optimisme –, les choses bougent sérieusement dans les têtes.

M. le président M. Pierre Méhaignerie. Je note en tout cas des convergences entre nous, qu’il s’agisse de la simplification et de la continuité de l’action ou de la responsabilité.

La séance est levée à douze heures cinq.

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Information relative à la Commission

La Commission des affaires sociales a désigné Mme Valérie Boyer, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

Elle a désigné Mme Edwige Antier et Mme Martine Pinville pour participer aux travaux du CEC sur la médecine scolaire.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 mars 2011 à 10 heures

Présents. - M. Élie Aboud, Mme Edwige Antier, M. Gérard Bapt, M. Serge Blisko, M. Jean-Louis Borloo, Mme Valérie Boyer, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Georges Colombier, M. Rémi Delatte, M. Jacques Domergue, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Cécile Dumoulin, M. Jean-Patrick Gille, M. Maxime Gremetz, Mme Pascale Gruny, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Yves Jégo, M. Guy Lefrand, M. Jean Leonetti, M. Jean-Claude Leroy, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Jean Mallot, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, Mme Marie-Renée Oget, Mme Dominique Orliac, M. Christian Paul, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Luc Préel, M. Arnaud Richard, M. Arnaud Robinet, Mme Françoise de Salvador, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Jean-Louis Touraine

Excusés. - M. Jean Bardet, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, M. Jean-François Chossy, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Michèle Delaunay, Mme Laurence Dumont, M. Claude Leteurtre, M. Roland Muzeau, M. Simon Renucci, M. Jean-Marie Rolland, Mme Marisol Touraine

Assistaient également à la réunion. - M. Régis Juanico, Mme Colette Langlade