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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mercredi 11 juillet 2007

1ère séance
Séance de 14:49
5ème séance de la session
Présidence de M. Rudy Salles

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

TRAVAIL, EMPLOI, POUVOIR D’ACHAT (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion après déclaration d’urgence du projet de loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l’emploi - J’aimerais saluer d’abord le travail formidable des rapporteurs, en particulier celui de M. Carrez, dont le brillant exposé aurait suffi, si besoin était, à me convaincre de l’opportunité de cette loi.

J’ai écouté avec attention toutes les questions, dans un souci d’efficacité, j’y répondrai de façon synthétique.

Ce « paquet fiscal » n’est ni un « paquet cadeau » pour les riches, ni un « paquet piégé » pour la croissance, ni un « paquet surprise » aux conséquences incontrôlables, mais une boîte à outils dans laquelle ceux qui travaillent pourront trouver ce qu’ils cherchent. Je suis d’ailleurs heureuse que M. Binetruy y ait déjà pioché des éléments adaptés à sa circonscription.

S’agissant de la constitutionnalité du texte, je vous propose d’évoquer cette question lorsque cela s’avérera nécessaire, article par article. Néanmoins, je rappellerai à ceux qui se saisissent de cette question pour meubler des débats ultérieurs que le seul juge de la constitutionnalité, c’est le Conseil constitutionnel. Ce texte a déjà été soumis au Conseil d’État, qui l’a validé. J’observe d’abord qu’il y aura compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales, conformément à la loi Veil de 1994 : les salariés continueront donc à voir leurs droits sociaux ouverts, et acquérir notamment leurs droits à la retraite, nonobstant les déductions. Par ailleurs, notre texte respecte les principes d’égalité et de progressivité, ainsi que l’exigence d’un caractère non confiscatoire de l’impôt.

M. Diefenbacher l’a bien dit : si l’on ne parle pas, dans cet hémicycle, de ce sujet essentiel pour la nation qu’est le travail, alors de quoi parlera-t-on ? On ne peut se contenter d’arguties idéologiques (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen)

M. Jean-Louis Idiart - Vous en savez quelque chose !

Mme la Ministre - Il s’agit d’un projet pragmatique, et c’est à ce titre qu’il intéresse les Français. Sa légitimité trouve son origine dans l’engagement du Président de la République et de l’ensemble de la majorité.

C’est le premier wagon du train de la réforme ; d’autres viendront s’y accrocher pour moderniser notre pays, comme l’a rappelé M. Chartier. Parmi ces mesures, figurera la sécurisation des parcours professionnels : des négociations sont en cours avec les partenaires sociaux. Je suis assurée de pouvoir compter sur le soutien sans faille de l’ensemble des parlementaires de la majorité qui auront à cœur de mettre en œuvre le programme pour lequel, eux aussi, ont été élus.

J’ai entendu ici et là que ce texte devrait porter plutôt sur l’offre ou plutôt sur la demande, s’inscrire dans une logique keynésienne ou appliquer, au contraire, les théories de Milton Friedman. En réalité, il propose une politique équilibrée et pragmatique, reposant sur les deux pôles économiques.

M. Patrick Lemasle - Cela consiste à alléger l’ISF ?

Mme la Ministre - Plusieurs mesures tendent à accroître la compétitivité des entreprises et à améliorer l’« offre France » : la possibilité pour les contribuables redevables de l’ISF d’investir dans les PME ; la possibilité pour ces mêmes contribuables, sous plafond de 50 000 euros, de verser de l’argent à des organismes de recherche et d’enseignement supérieur ; l’allègement du coût du travail grâce à la déduction forfaitaire des heures supplémentaires. Comme l’a rappelé M. Myard, « le travail appelle le travail ».

Le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt permettra de stimuler la demande en allégeant la dette et en augmentant le pouvoir d’achat de ceux qui ont accédé à la propriété au cours des cinq dernières années, ou qui achèteront une résidence principale dans l’avenir.

On a beaucoup dit que ce projet de loi était un « paquet cadeau fiscal ».

M. Alain Cacheux - C’est la vérité !

Mme la Ministre - Je voudrais vous démontrer, par une analyse comptable de ce texte, que ces mesures s’adressent à tous les Français...

M. Jean-Louis Idiart - Tous les Français ne payent pas l’ISF !

Mme la Ministre - …Le premier poste est dévolu aux heures supplémentaires : il représente 49 % du coût total du projet de loi. Or cette mesure s’adresse aux 15 millions des salariés du secteur privé, et si l’on inclut ceux du secteur public, à 22 millions de personnes.

Mme Martine Billard - Refaites vos calculs !

Mme la Ministre - Il ne m’a pas échappé qu’un tiers seulement des salariés effectuent des heures supplémentaires. L’objet de cette mesure est précisément d’inciter au travail…

M. Roland Muzeau - Mais c’est l’employeur qui le décide ! Que faites-vous du lien de subordination ?

Mme Martine Billard - Les salariés ne choisissent pas.

Mme la Ministre - Dans la mesure où, effectivement, l’employeur le requiert. À ce sujet, je remercie M. Tian d’avoir rappelé toute l’utilité économique et sociale des heures supplémentaires. Je voudrais rassurer M. de Courson : le Gouvernement n’a pas oublié les salariés qui, comme les journalistes, ne sont pas soumis aux règles de droit commun de la durée du travail. Nous y reviendrons durant l’examen du premier article de ce texte. Par ailleurs, nous avons été attentifs à maintenir une égalité de traitement entre salariés, en prenant en compte les taux de majoration (conventionnel ou, à défaut, légal) pratiqués par leur entreprise. Celle-ci, si elle le souhaite, pourra majorer le taux s’il est inférieur au taux légal, comme les exonérations l’y incitent.

Le deuxième poste, celui du crédit d’impôts sur les intérêts d’emprunt, représente 28 % du coût estimé de ce projet. Cette mesure concerne tous ceux qui achèteront un logement ou qui ont acquis leur résidence principale depuis moins de cinq ans.

M. Jean-Pierre Brard - Les RMistes seront comblés !

Mme la Ministre - Cela n’entraînera pas de hausse des prix immobiliers, Monsieur Bapt. Vous citiez la FNAIM à juste titre : dans sa lettre de conjoncture de juillet, elle indique que cette mesure non inflationniste aura un effet direct sur la croissance.

M. Jean-Pierre Brard - Après Confucius, la FNAIM !

Mme la Ministre - Ensuite, 16 % du coût du projet seront consacrés aux droits de mutation à titre gratuit, qui concerneront 95 % des successions.

M. Jean-Pierre Brard - Elles étaient déjà exonérées !

Mme la Ministre - Vous le voyez : 93 % des mesures contenues dans ce projet concernent tous les salariés, tous les futurs propriétaires et presque tous ceux qui héritent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Vous nous trompez ! C’est Pinocchia !

Mme la Ministre - M. Méhaignerie connaît certainement le principe du voile d’ignorance de John Rawls, puisqu’il a cité cet auteur dans son intervention. Je suis prête à le lever. Sur le sujet de l’impôt minimum, je suis disposée à travailler avec vous, car votre expérience nous sera précieuse. D’autre part, je vous annonce que les salariés couverts par un accord de modulation – qui servent précisément à faire fluctuer la durée du travail – bénéficieront des exonérations prévues pour les heures supplémentaires accomplies au-delà de la limite hebdomadaire ou annuelle. Aucun accord de branche n’interdira aux entreprises de choisir entre repos compensateur et paiement des heures supplémentaires, et toutes pourront bénéficier des exonérations.

J’en viens, Monsieur de Courson, à la question des transports routiers. Les salariés de ce secteur effectuent de la 36ème à la 39ème heure hebdomadaire des heures dites d’équivalence, consacrées à des tâches de chargement et non à la conduite proprement dite. L’exonération s’appliquera naturellement aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la 39ème heure, et non dès la 36ème.

M. Jean-Pierre Brard - Ce sont des heures travaillées pour le plaisir !

Mme la Ministre - Je rappelle à ce propos que nous débattons d’un texte fiscal. Il n’est pas question de modifier le code du travail, même marginalement – votre Assemblée a d’ailleurs décidé récemment que cela ne serait plus possible qu’après une concertation avec les partenaires sociaux.

Quant aux parachutes dorés, Monsieur Huyghe, ils n’étaient jusqu’ici encadrés par aucun texte. Dorénavant, le conseil d’administration fixera les conditions de performance des dirigeants. C’est l’organe le plus apte à en apprécier le respect, compte tenu de leur diversité d’un secteur à l’autre, et ce d’autant plus qu’y siègent des personnalités indépendantes. Je rappelle que le conseil d’administration, désigné par l’assemblée générale des actionnaires, est redevable de sa gestion devant eux. À lui d’évaluer les performances, afin d’éviter les abus constatés jusqu’ici.

M. Jean-Pierre Brard - On reste entre soi !

Mme la Ministre – M. Migaud a demandé où était la rupture : y a-t-il rupture plus symbolique que de vous voir à ce banc présider la commission des finances (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen) ?

Mme Martine Billard - C’est facile ! Vous comptez la resservir pendant cinq ans ?

Mme la Ministre - C’est cela aussi, la rupture : ouvrir les yeux, informer nos concitoyens, travailler ensemble au service de notre pays (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP) !

Je précise que de nombreuses expertises ont été effectuées, certaines contradictoires. Ce n’est pas à moi de trancher. Toutefois, les débats d’experts ne doivent pas masquer le débat politique. Nous avons proposé des solutions aux Français ; ils les ont choisies en élisant M. Sarkozy à la présidence de la République (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP) !

M. Alain Cacheux - Pourquoi nous réunir alors ?

Mme la Ministre - Un mot sur la prime pour l’emploi, qui peut constituer une part importante d’un revenu : mes services ont précisément confirmé l’avantage salarial, social et fiscal des heures supplémentaires après exonération.

Je répondrai maintenant à M. Idiart (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen). Je suis déçue que vous n’ayez pas remarqué la cohérence de mon propos.

M. Jean-Pierre Brard - C’est l’hommage du vice à la vertu !

Mme la Ministre - Le fil que j’ai suivi était pourtant clair : tout travail mérite un salaire, et tout salaire mérite un travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Lemasle - Les revenus du capital n’impliquent pas toujours un travail !

Mme la Ministre - J’en ai assez d’entendre parler de cadeaux fiscaux. De quels cadeaux parlez-vous, alors que nous contrôlons davantage les parachutes dorés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), alors que nous augmentons les heures supplémentaires et créons le RSA (Même mouvement), alors que nous proposons un crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt ? (Exclamations sur les bancs des groupes socialiste, radical et citoyen et de la Gauche démocrate et républicaine, applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

D’autre part, je précise que l’exonération des heures supplémentaires ne touche pas le revenu fiscal de référence. Comme d’habitude, seule la capacité contributive réelle de chacun est prise en compte : rien de plus normal.

Sur le bouclier fiscal (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen), je ferai une réponse synthétique.

M. Jean-Pierre Brard - Vous allez enfin commencer à répondre !

Mme la Ministre - C’est un sujet qui vous inquiète visiblement. (« Il y a de quoi ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen)

Cette mesure ne concerne pourtant que 4 % du coût total du projet, mais elle a accaparé plus de la moitié de votre temps de parole…

M. Jean-Pierre Brard - C’est un symbole !

Mme la Ministre - Heureusement, la majorité, constructive, a rétabli l’équilibre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Des béni oui oui !

Mme la Ministre - Le projet du Gouvernement ne comprend pas l’autoliquidation du bouclier fiscal, même si cette mesure ne génèrerait pas de fraude, selon moi.

M. Jean-Pierre Brard - Désavouée !

Mme la Ministre - D’ailleurs, nous n’avons pas parlé de supprimer le contrôle fiscal, que je sache.

À ce jour, les résultats du bouclier fiscal dont nous disposons ne sont pas encore significatifs. M. Woerth et ses services font en sorte que tous ceux qui y ont droit puissent en bénéficier.

Quant à l’intégration de la CSG et de la CRDS dans le bouclier, je rappelle l’arrêt Conseil constitutionnel : l’impôt ne doit pas être confiscatoire. Le taux de 50 % – qui a valeur constitutionnelle en Allemagne – paraît le plus raisonnable. Du reste, la CSG et la CRDS sont des impôts qui pèsent directement sur les revenus.

J’en viens à la compensation budgétaire. Je vous ai indiqué que le financement de ces mesures serait assuré à la fois par la diminution des dépenses publiques et par le surplus de recettes que nous tirerons d’une augmentation de la croissance nourrissant elle-même celle du PIB. Je n’ai pas tout à fait confondu l’augmentation du PIB et les recettes fiscales en résultant !

Hausse de la croissance, parce que j’y crois : je suis convaincue que nos mesures porteront rapidement leurs fruits. J’espère que nous serons vite entraînés dans le cercle vertueux de la croissance, et non « coulés » par la spirale vicieuse du doute et de la procrastination. Je partage votre optimisme, Monsieur Giscard d’Estaing, et vous remercie de l’avoir manifesté avec tant d’énergie à une heure aussi tardive.

M. Jean-Pierre Brard - Il n’est pas là, il fait la grasse matinée, lui !

Mme la Ministre - J’aimerais conclure comme j’avais commencé. Confiance, croissance, emploi, c’est dans cet ordre que nous devons procéder : c’est de la confiance que naîtra la croissance et de la croissance que naîtront les emplois. Les enquêtes, les sondages et les analyses d’opinion nous montrent aujourd’hui que la confiance se gagne et que nous sommes en train de la gagner. Je souhaite de tout cœur avec vous, Monsieur Censi, que les professionnels se mobilisent dès la promulgation de ce texte pour donner sa pleine mesure à ce choc de confiance que nous souhaitons créer. Comme l’a rappelé M. Taugourdeau, c’est en effet d’abord du moral de nos concitoyens que dépend l’essor d’une croissance forte et durable, seule à même de nous garantir la création d’emplois.

La confiance, c’est le pays qui nous l’a accordée. Nous saurons la mettre à profit. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement relatif au déroulement de nos travaux. La règle dans cet hémicycle, Madame la ministre, c’est que lorsque les députés interrogent un ministre, celui-ci réponde. Nous avons posé hier des questions précises : nous n’avons entendu aucune réponse ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Mme la ministre a égrené les poncifs comme on égrène les grains d’un chapelet. « Choc de confiance », « j’y crois » : des incantations, des actes de foi ! Mais sur le bénéfice moyen que procure le bouclier fiscal aux contribuables qui en bénéficient, nulle réponse, si ce n’est qu’il est trop tôt pour savoir ! Mais le peu que l’on sait corrobore ce que nous avions dit…

M. le Président – Il ne s’agit pas d’un rappel au Règlement.

M. Jean-Pierre Brard - Si ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Ne nous donner aujourd’hui, après le mutisme d’hier que des paroles pour ne rien dire – et surtout pour ne pas répondre à nos interventions

M. le Président – Ceci n’est pas un rappel au Règlement. Vous qui êtes un parlementaire chevronné, vous savez que le Gouvernement s’exprime quand il le veut et dit ce qu’il veut. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) Aucun article du Règlement n’oblige le ministre à répondre à une motion de procédure ou à une interpellation. Mme Lagarde vient de s’exprimer ; elle aura l’occasion de le faire à nouveau dans la suite du débat. Je prends acte de vos propos, mais ils ne se fondent sur aucun article de notre Règlement.

M. Jean-Louis Idiart - Rappel au Règlement fondé sur l’article 58, alinéa 2. Nous avons interpellé Mme la ministre hier, et nous considérons – que cela figure ou non dans le Règlement – qu’elle doit nous répondre. Voilà quatorze ans que je siège sur ces bancs : c’est la première fois que j’assiste à un exercice aussi déplorable. Et voilà que Mme Lagarde prétend de surcroît que le seul lieu où peut être évoquée la constitutionnalité d’un texte serait le Conseil constitutionnel, et qu’en défendant une exception d’irrecevabilité, je n’aurais fait que « meubler » le débat ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP)

Permettez-moi de vous rappeler qu’aux termes de l’article 91, alinéa 4 de notre Règlement, l’exception d’irrecevabilité a pour objet de « faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ». Je n’ai donc fait que remplir mon devoir, et notre collègue de Courson a d’ailleurs repris une partie de mes arguments. Vous considérez peut-être que votre devoir est de ne pas nous répondre, Madame la ministre, mais nous sommes ici pour faire respecter le Règlement et dire ce que nous pensons, car nous représentons une partie de l’opinion publique ! Ce n’est pas parce que Nicolas Sarkozy a été élu Président de la République que tous les autres doivent se taire ! Vous avez le droit de vous laisser caporaliser, mais nous ne l’acceptons pas quant à nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté – Que le revenu de solidarité active soit devenu un enjeu traité dès le premier texte de la législature est en soi un évènement, quand on pense à tous les efforts qui ont dû être déployés ces dernières années pour que ces sujets ne soient plus périphériques, appréhendés au travers des fausses représentations que l’on peut se faire des travailleurs pauvres ou des allocataires des minima sociaux. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs ») Qu’il s’agisse de soutenir ou de critiquer notre démarche, vous vous êtes tous référés aux travaux que nous avions conduits il y a quelques années : vous vous êtes faits les gardiens vigilants de ce consensus que nous avions pourtant peiné à trouver pour ouvrir une voie d’espoir à nos concitoyens en grande difficulté, sans commencer par les fustiger.

M. Jean-Pierre Brard - Sans perdre une partie des pages de votre rapport !

M. le Haut Commissaire – Vous avez été très nombreux – et je vous en remercie - à assister aux réunions des commissions, sous la présidence de Pierre Méhaignerie, qui fut l’un des pionniers du RMI, et de Didier Migaud – l’un des inspirateurs de la prime pour l’emploi. Je remercie aussi M. Tian et M. Taugourdeau, qui ont porté ces exigences en tant que rapporteurs.

Les interventions d’hier ont posé plusieurs grandes questions. La première concerne la portée des dispositions de ce texte. M. Migaud, M. Brard, Mme Touraine et M. Pinte se sont demandé pourquoi nous n’allions pas d’emblée plus loin. Mais les dispositions que nous proposons sont issues du travail que nous avons mené cette année avec les conseils généraux, qu’ils soient de gauche ou de droite. Nous avions, je l’ai souvent dit, une fenêtre entrouverte dans un mur, et encore celle-ci était-elle grillagée, puisque les mesures que nous devions proposer ne pouvaient concerner qu’une partie des allocataires du RMI, non les bénéficiaires de l’allocation de parent isolé – qui sont souvent dans une situation comparable – et que les conditions techniques, juridiques et financières dans lesquelles elles devaient s’inscrire étaient restreintes. Nos propositions sont directement issues des constats du terrain. Si nous avions dit il y a six mois aux conseils généraux que nous pourrions supprimer tous ces blocages, ils ne nous auraient pas crus ! C’est pourtant ce que nous avons voulu faire.

M. Alain Néri - Et le financement ?

M. le Haut Commissaire – J’y reviendrai.

Vous vous êtes demandé si cette démarche nous permettait de nous rapprocher de l’objectif que nous nous sommes fixé - faire en sorte qu’il y ait moins de travailleurs pauvres et que les minima sociaux n’enferment personne -, ou si au contraire elle nous en éloignait. Relisez attentivement notre rapport de l’époque : nous avions identifié ces difficultés, et c’est pourquoi nous n’avions pas suggéré d’aller d’emblée à l’objectif final. Il fallait en effet, nous l’avions dit, voir si ces dispositifs fonctionnaient ou non, en adoptant une méthode graduée, avant d’aller plus loin en nous fondant sur des certitudes concrètes.

Nous vous donnons donc rendez-vous pour les étapes qui suivront. Ce n’est pas un changement de pied, mais le choix délibéré d’une méthode.

M. Michel Bouvard – Très bien !

M. le Haut Commissaire – Fallait-il intégrer d’emblée les travailleurs pauvres, intégrer les autres allocataires de minima sociaux ? Aucun amendement ne l’a en tout cas proposé.

Mme Martine Billard - L’article 40 nous l’interdit !

M. le Haut Commissaire - Nous n’avons pas voulu bouleverser d’emblée un ensemble de dispositifs à l’architecture très complexe, au risque de pénaliser certaines personnes en difficulté. Nous avons souhaité prendre le temps de la concertation, de façon à éviter les effets pervers dont plusieurs d’entre vous ont exprimé la crainte.

Le financement du dispositif a suscité de nombreuses questions. Les crédits prévus par le Gouvernement sont-ils suffisants ? Le dispositif pèsera-t-il sur les finances des conseils généraux ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen) Lorsqu’il sera nécessaire d’aller plus loin, le pourra-t-on ? Les transferts de compétences ne sont-ils pas seulement un transfert de dépenses ? S’accompagnent-ils du transfert des ressources correspondantes ? Christophe Sirugue, président de la commission sociale de l’Assemblée des départements de France, est particulièrement attentif à ce point, et nous en parlons depuis longtemps avec l’ADF.

M. Alain Néri - Parler c’est bien, payer c’est mieux !

M. le Haut Commissaire - Nous paierons. De combien disposions-nous l’an passé pour accompagner les premiers départements qui se lançaient dans l’expérimentation ? De 600 000 euros.

M. Jean-Pierre Brard - Rien !

M. le Haut Commissaire - Nous aurons cette année 25 millions d’euros.

M. Jean-Pierre Brard - Trois fois rien !

M. le Haut Commissaire - L’effort est démultiplié (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. le Président - Laissez le ministre poursuivre, je vous prie !

M. Jean-Pierre Brard - Il n’est pas ministre, il ne l’a pas voulu. Et il a eu raison !

M. le Haut Commissaire - Alors que certains, dois-je le rappeler, estimaient que l’État n’avait pas à s’engager financièrement dans un domaine de la compétence des départements, il accompagnera ceux qui sont volontaires pour saisir les nouvelles opportunités qui leur sont offertes. Et le financement prévu couvre une très large part des dépenses qu’ils exposeront.

Mme Martine Billard - La moitié !

M. le Haut Commissaire - Les premières expérimentations sur le terrain montrent que lever ainsi la trappe à pauvreté permet aux allocataires du RMI qui reprennent une activité de ne plus être à la charge entière des départements, mais seulement de manière résiduelle. Au-delà du bénéfice qu’en retirent les personnes, ce dispositif est aussi un moyen de réduire les dépenses sociales. Sans que cela se fasse au détriment des allocataires de minima sociaux, car ceux-ci verront leurs revenus augmenter. Nous pouvons vous l’assurer, tous documents à l’appui (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L’État a-t-il tenu ses engagements lors du transfert du RMI aux départements ?

M. Alain Néri - Non !

M. le Haut Commissaire – Nous préparons pour 2008 une réforme globale des minima sociaux. Nous regarderons à cette occasion, en toute impartialité, où en sont les compteurs, vu l’évolution de l’effectif des allocataires et des ressources, et ce qu’il convient de faire. D’ici là, je vous demande de ne pas nous faire de procès d’intention et de ne pas prendre en otage, à ce motif, les premières expérimentations. Nous ne pouvons pas priver les personnes concernées de la bouffée d’oxygène qu’on commence à leur apporter (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Joyandet - Voilà un point qui devrait faire l’unanimité.

Mme Huguette Bello - Et l’outre-mer ?

M. le Haut Commissaire - S’agissant des droits connexes, question abordée notamment par M. Hénart, M. de Courson et Mme Hoffman-Rispal, nous avons estimé que simplifier d’un coup la cinquantaine d’aides existantes risquait d’une part d’accroître les coûts, notamment pour les collectivités, d’autre part de faire passer à côté de situations particulières exigeant un traitement spécifique. C’est pourquoi nous proposons aux collectivités volontaires, départements, communes et groupements de communes – M Pinte a eu raison de dire que celles-ci ne devaient pas être oubliées – d’examiner avec elles les barèmes d’octroi des aides et des tarifs réduits de façon à éviter tout effet de seuil. Sur la base de ces expérimentations, nous verrons s’il est nécessaire ou non de légiférer. C’est à cette démarche pragmatique que nous proposons de vous associer.

Pour ce qui est des contrats aidés, la loi de mars 2007 permet déjà aux départements qui le souhaitent d’expérimenter ce qui s’apparente à un contrat unique d’insertion. Si les élus locaux sont demandeurs, nous irons plus loin. Soyez assurés que nous serons à vos côtés pour avancer et passer le plus vite possible de l’expérimentation à la généralisation.

M. Alain Néri - Vous voulez réduire le nombre de contrats aidés !

M. le Haut Commissaire - Une évaluation récente de l’allocation de retour à l’activité, mise en place outre-mer, a montré tout l’intérêt de ce dispositif qui permet de conjuguer revenus du travail et revenus de solidarité, et dont nous pouvons dire qu’il a inspiré notre démarché. Nous allons regarder cela de près.

Mme Huguette Bello - Regarder ne suffit pas.

M. le Haut Commissaire - Nous regarderons si le dispositif peut être transposé tel quel ou doit être adapté, compte tenu des enseignements tirés de l’expérience.

M. Jean-Pierre Brard - Nous sommes dans la contemplation !

M. le Haut Commissaire - Non, dans l’action.

Certains se sont demandé hier s’il fallait aller aussi vite. Nous avons, nous, estimé qu’il fallait démarrer d’emblée. Nous n’avions pas le droit de ne pas prendre dès que possible les dispositions législatives nécessaires, sauf à risquer que des collectivités et leurs travailleurs sociaux se trouvent empêchés d’agir, ce dont les allocataires des minima sociaux auraient été les premiers pénalisés.

Je prends ici l’engagement que nous serons fidèles aux travaux et aux propositions de la commission que j’ai présidée. Je prendrai sur moi les attaques pouvant viser mes choix personnels mais n’oubliez pas que l’idée d’un revenu de solidarité active a été reprise par les principaux candidats à l’élection présidentielle, que des conseils généraux, de droite comme de gauche, se sont engagés dans cette direction et qu’à chaque fois, l’opposition y a voté avec la majorité un dispositif qui sera peut-être bientôt généralisé. Si vous souhaitez m’attaquer personnellement, attaquez-moi, mais de grâce, ne prenez pas en otages les allocataires de minima sociaux. N’en faites pas les victimes de balles perdues (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) N’entravez pas ce qui doit permettre de réduire la pauvreté. Une lettre signée du Président de la République et du premier ministre reprend les objectifs fixés par la commission que j’ai présidée.

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Alors, qu’ils paient !

M. le Haut Commissaire - Si ces objectifs ne sont pas tenus, vous aurez le droit de vous en prendre à moi, mais, s’il vous plaît, facilitez ma tâche et permettez que les progrès nécessaires puissent être réalisés. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical et citoyen une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Jérôme Cahuzac – Cette motion de renvoi n’a évidemment pas pour finalité d’empêcher le Gouvernement d’accomplir sa tâche et la majorité de le soutenir ; pas davantage de demander le rejet de ce texte. Elle veut au contraire rendre hommage à l’ambition affichée, qui est considérable, en demandant que lui soit consacré le temps requis pour l’examiner en commission. Il y va quand même d’une quinzaine de milliards d’euros, ce qui n’est pas rien – encore que les informations là-dessus varient : après le Conseil des ministres, on disait 11 milliards, un peu plus tard c’était 10, en commission des finances on arrivait à 13, quelques jours après à 13,6, et nous en sommes à présent à 15, d’après les estimations du président de la commission des finances. Ce dernier a certes, été élu grâce à la volonté du Président de la République et du Premier ministre, à laquelle les parlementaires de la majorité ont adhéré…

M. Jean-Pierre Brard – Disons qu’ils se sont soumis !

M. Jérôme Cahuzac – Mais cette élection, qui est une forme d’hommage à la compétence d’un homme, ne fait pas de celui-ci votre obligé, contraint d’approuver tous vos choix. Ou alors, c’était une supercherie !

Quinze milliards, c’est au demeurant le montant qui était avancé par le candidat Sarkozy. Mais la hausse n’est pas terminée : notre excellent collègue de Courson a estimé hier que si l’on ajoutait les heures supplémentaires effectuées dans le secteur public et par les personnes travaillant à temps partiel, le coût serait majoré de 50 %, ce qui nous ferait passer de 15 à 18 milliards. Ne barguignons pas : pour financer cela, il vous faut trouver un point de PIB. Comment allez-vous faire ?

Mme Lagarde – dont je regrette qu’elle ne soit plus à vos côtés sur ce banc, Monsieur le haut commissaire – nous a répondu par un discours assez convenu, entre le slogan et l’acte de foi.

Le slogan, dont je constate d’ailleurs qu’il est de moins en moins repris, est que ces mesures seraient gagées par le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique. Il a eu une certaine efficacité électorale, mais je crains qu’il en ait moins sur le plan économique et financier. L’une des questions que la commission aurait dû se poser si elle en avait eu le temps est celle-ci : de quels fonctionnaires parlons-nous ? Certainement pas de la fonction publique hospitalière, sauf à ce que vous nous expliquiez, Monsieur le haut commissaire, que nous avons trop d’infirmières, trop d’aides-soignantes, trop de médecins, trop d’urgentistes… Pas davantage de la fonction publique territoriale, puisqu’il existe un principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Il ne peut donc s’agir que de la fonction publique d’État. Or, François Chérèque, dont chacun reconnaît l’objectivité et l’ouverture d’esprit, faisait remarquer qu’un fonctionnaire d’État sur deux est un enseignant : autrement dit, vous vous apprêteriez tout benoîtement à supprimer un poste d’enseignant sur quatre. Vous ne le ferez pas ! Au demeurant, y parviendriez-vous que vous n’en tireriez pas 15 ou 18 milliards, mais 3 milliards en vitesse de croisière, soit cinq à six fois moins.

Seule la croissance, donc, permettrait de gager ces 15 à 18 milliards. Et voici l’acte de foi, que Mme Lagarde délivre à chacune de ses interventions ici ou ailleurs : notre pays va retrouver la croissance – que nos voisins ne cherchent plus pour la connaître depuis de nombreuses années. Et comment allons–nous faire ? Serait-ce grâce au commerce extérieur ? Mme Lagarde, qui connaît bien le sujet, s’est bien gardée de l’évoquer car le commerce extérieur « contribue », si je puis dire, de façon négative à la croissance, à hauteur d’un point de PIB ces deux dernières années. Serait-ce grâce à l’investissement ? Pas davantage, celui-ci étant évoqué dans ce texte non pas comme une finalité mais comme un moyen de réduire – encore et toujours – l’assiette de l’ISF, au point qu’on ne comprend pas très bien pourquoi nos collègues s’étonnent que cet impôt rapporte de moins en moins et que le ratio coût/rendement se dégrade… L’amendement adopté en commission des finances contribue à cette réduction de l’assiette et je le regrette ; mais enfin, mes chers collègues puisque la rupture est à l’ordre du jour, assumez-le : supprimez purement et simplement l’ISF, ce sera moins hypocrite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Au moins, nous aurions un vrai débat là-dessus et nos concitoyens pourraient en juger.

Si donc la croissance ne peut venir ni du commerce extérieur ni de l’investissement, il faut qu’elle vienne de la consommation. Et d’elle seule, pour un point de PIB : cet acte de foi sympathique va se heurter aux faits. Comment imaginer qu’avec une croissance de 2,5 % l’année prochaine, notre pays puisse tout à la fois se désendetter, assumer ces mesures fiscales et financer les dépenses à venir, notamment celles relatives aux universités – sur lesquelles, peut-être, nous pourrons nous retrouver, à condition naturellement que les financements soient réels et non pas hypothétiques. La chose est impossible.

Ces propos généraux, que je m’excuse d’avoir tenus devant vous car ils auraient, naturellement, eu davantage leur place en commission, s’appliquent à chacune des mesures considérées dans le détail.

Prenons les parachutes dorés. Là-dessus, on ne demande plus aux membres de la majorité d’être les greffiers scrupuleux des promesses de M. Sarkozy, comme pour le bouclier fiscal ou les heures supplémentaires : contrairement aux engagements pris, les parachutes dorés ne seront pas interdits, et ceux à qui Mme la ministre suggère d’élaborer des critères sont ceux-là mêmes qui, déjà, avaient accordé ces rémunérations extravagantes… En toute hypothèse, on ne saurait compter sur cette mesure pour obtenir le point de croissance dont nous avons besoin.

Prenons les mesures en faveur des étudiants – qui coûteront 40 millions, nous a-t-on dit en séance publique, alors que j’avais compris 80 en commission, nouvelle preuve de l’improvisation qui préside à l’examen de ce texte. Elles sont sympathiques, mais je déplore qu’on ne fasse aucune distinction entre les étudiants autonomes, contraints d’exercer une activité pour financer leurs études, et ceux qui sont rattachés à un foyer fiscal et auxquels cette défiscalisation, dont on peut contester la légitimité, n’apporte rien qu’ils n’aient déjà. Il ne faut pas compter non plus sur cette mesure pour stimuler la consommation.

Prenons le bouclier fiscal. Comme Mme la ministre vient elle-même de le reconnaître, nous ne connaissons pas encore précisément les effets du bouclier fiscal à 60% ! On espérait 100 000 bénéficiaires, ils sont moins de 2000 ; on estimait le coût à 450 millions, il sera finalement de 100 millions. Mais que peut-on espérer de ce pouvoir d’achat considérable que vous vous apprêtez à accorder à des gens qui ont déjà tout (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) ? Rien !

Quatrième mesure : l’exonération des droits de succession. Quatre Français sur cinq, neuf conjoints sur dix étaient déjà totalement exonérés ; vous souhaitez qu’ils soient désormais cinq sur cinq et dix sur dix, ce qui coûtera près d’un milliard. Là encore, qu’espérez-vous de cette redistribution massive de pouvoir d’achat aux catégories les plus aisées ? Il ne s’agit pas de porter un jugement moral car parfois, on arrive à l’opulence par le mérite, mais où est la justice fiscale ? Et l’intérêt des finances publiques ? Faut-il vraiment se précipiter pour voter une telle mesure ? En fait de rupture, n’allez-vous pas rompre seulement le mur de la dette ?

Cinquième mesure : la déductibilité des emprunts pour la résidence principale. Il s’agissait avant tout, nous disait-on, d’une mesure d’incitation à l’accession à la propriété. Mais ce n’est plus cela, il ne reste qu’une mesure de pouvoir d’achat : 1,8 milliard l’année prochaine, 3,2 en vitesse de croisière. Un pouvoir d’achat distribué à qui ? Que vont faire ces foyers de cette aubaine, puisque certains ont déjà contracté ces emprunts ?

De tout cela, nous ne savons rien, et le travail en commission n’a rien éclairci. (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Chers collègues de la majorité, si vous savez à quelle fraction de la population profiteront ces 3,2 milliards, ne vous gênez surtout pas pour nous le dire, plutôt que de vous agacer que j’ose poser la question ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Chacun sait que les ménages qui accèdent à la propriété se voient opposer la charge de remboursement la plus lourde dans les premières années : dès lors que proposez-vous pour éviter que les organismes bancaires – qui ne sont certainement pas les entreprises les plus en difficulté dans notre pays – ne cannibalisent l’avantage consenti aux emprunteurs en augmentant les taux d’intérêt dans des proportions déraisonnables ? En l’état, tout porte à craindre que les banques ne soient les premières à bénéficier, indirectement, de ces 3 milliards d’allégements !

S’agissant des heures supplémentaires, notre collègue de Courson a déjà eu l’occasion de regretter que rien ne soit prévu pour la fonction publique ou pour les heures complémentaires destinées aux salariés à temps partiel. Il semble aussi qu’en peu de temps, le coût de la mesure soit passé de 6 à 9 milliards. Sachant qu’un peu plus d’un tiers des salariés effectuent des heures supplémentaires, à hauteur de 57 heures par an en moyenne – alors que la majorité précédente a déjà relevé le contingent annuel à près de 250 heures –, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale les raisons qui vous font espérer tant de la mesure que vous proposez ? Vous ne présentez aucune étude d’impact à ce sujet, préférant vous contenter de quelques exemples pour le moins curieux.

Ainsi, selon un slogan répété à l’envi, un salarié aux 35 heures effectuant 4 heures de plus chaque semaine pourrait escompter un gain annuel de 2 500 euros. Ce n’est certes pas négligeable, et l’on comprend dès lors que la mesure intéresse. Malheureusement pour vous, une étude de l’ACOSS, préalable au dépôt de votre texte, table plutôt, dans le même cas de figure, sur un bonus de 1 850 euros, ce qui reste conséquent. Comment justifiez-vous cet écart ? Pis, la même étude relève qu’une telle hypothèse ne trouverait à s’appliquer que dans les PME, où, ironie du sort, les salariés effectuent déjà 39 heures, les 35 heures n’y étant pas généralisées. Au final, l’ACOSS estime que vos dispositions ne pourront procurer aux salariés concernés un gain moyen annuel supérieur à 650 euros. Ce n’est pas rien, mais on est loin des 2 500 euros annoncés : alors, de grâce, ne trahissez pas la confiance des salariés les plus modestes en leur donnant de faux espoirs.

Et puis, il y a le RSA, ce petit cousin de province invité à la dernière minute à la table des grands sans y être tout à fait toléré. Monsieur le haut commissaire, que pèsent les 25 millions de votre expérimentation dans les 13 milliards du paquet fiscal ? N’eût-il pas été plus raisonnable de disjoindre cette mesure, eu égard à son coût et au nombre de bénéficiaires potentiels, plutôt que de s’inviter à un festin qui n’est assurément pas préparé pour les publics derrière lesquels vous vous abritez ? J’observe du reste que vous semblez un peu isolé au banc du Gouvernement… (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP ; Mme la ministre et M. le secrétaire d’État à la consommation font des signes de dénégation) Entendons-nous bien : oui, l’expérimentation du RSA constitue une piste intéressante. Mais une telle mesure n’a pas sa place dans un paquet fiscal dédié aux plus favorisés. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen)

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - C’est du Guignol !

M. Jérôme Cahuzac – Ce qui nous inquiète le plus, Madame la ministre, c’est de voir le Gouvernement et la majorité répéter les erreurs du passé en considérant que la sanction des urnes – dont nul ne songe à contester la légitimité – leur donne quitus pour appliquer l’intégralité de leur programme. D’autres, avant vous, sont tombés dans le même piège, ceux qui, en 1981 se sont crus autorisés à couper les vivres à l’école privée parce que cela figurait dans le programme de François Mitterrand, ou ceux qui, en 1996, ont voulu réformer les régimes sociaux sans concertation préalable en excipant du programme de 1995. La hâte est mauvaise conseillère et il ne faut pas céder à l’euphorie de la victoire pour prendre des décisions précipitées.

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur pour avis - La différence, c’est que nous avons dit avant ce que nous ferions après !

M. Jérôme Cahuzac - Madame la ministre, plutôt que de nous demander un saut dans l’inconnu, faites en sorte qu’une discussion sereine s’engage… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Et accueillez les propositions de l’opposition avec moins de morgue. (Même mouvement) Au lendemain des victoires électorales, tout paraît possible et il semble aux vainqueurs du moment qu’ils sont seuls légitimes pour écrire l’histoire. Rien n’est plus trompeur, car la confiance est plus lente à gagner qu’à s’étioler. Aussi, ce n’est pas par esprit d’obstruction ou dans le but d’entraver l’action du Gouvernement que j’ai l’honneur de demander à notre Assemblée d’adopter cette motion de renvoi en commission. J’en appelle, mes chers collègues, à votre sagesse. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen ; applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de la consommation et du tourisme Monsieur le député, au début de votre intervention – que j’ai préféré aux propos un peu méprisants que vous avez tenus plus tard à l’encontre de Martin Hirsch –, vous avez bien voulu rendre hommage à l’ambition de ce texte, que vous avez même qualifié de fondateur.

M. Henri Nayrou - Fossoyeur !

M. Luc Chatel, secrétaire d’État - Je vous en remercie, comme je vous remercie d’avoir bien compris qu’en respectant l’intégralité des engagements du Président de la République, nous créons les conditions d’une relance durable de la confiance – et donc de la croissance – dans notre pays. Et si nous assumons pleinement nos choix, c’est que les Français les ont validés à quatre reprises : n’est-ce pas la meilleure étude d’impact que l’on puisse rêver ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Bourguignon - Autisme !

M. Luc Chatel, secrétaire d’État - Ce texte présente aussi le grand mérite de dissiper le mirage du partage du travail, qui a fait tant de mal au pays en bloquant les initiatives et en tendant à diffuser un modèle de société dans lequel aucun autre pays ne s’est fourvoyé…

M. Jean-Pierre Brard - Et alors ? En 1789 aussi nous étions pionniers !

M. Luc Chatel, secrétaire d’État Alors oui, Monsieur Cahuzac, nous n’avons pas peur de dire qu’il faut investir ces 13 milliards, pour les mettre au service de la croissance, de l’emploi et du pouvoir d’achat, pour libérer les énergies et restaurer la confiance. Ce seront des fonds bien mieux employés que les milliards destinés aux 35 heures, qui ont verrouillé les initiatives, bloqué les entreprises, et, finalement, empêché de travailler ceux qui en avaient le plus besoin.

S’agissant du financement du programme, je doute que nous ayons des leçons à recevoir. Si la loi de finances initiale pour 2007, année électorale par excellence, était sincère, je me dois de rappeler qu’il n’en était pas de même pour celle de 2002… (Exclamations)

M. Jean-Marie Le Guen - Voulez-vous que nous parlions de la sincérité de vos comptes sociaux ?

M. Luc Chatel, secrétaire d’ÉtatLe budget pour 2007 sera exécuté dans de bonnes conditions, ce qui est loin d’avoir toujours été le cas en période de transition. Au reste, cette majorité a engagé des réformes considérables pour stabiliser – puis réduire – la dépense publique et le Président de la République n’a eu de cesse de défendre cette objectif, comme cette semaine encore, à Bruxelles, avec Mme Lagarde.

Enfin, bien sûr qu’il faut accroître le pouvoir d’achat des Français : ce texte va faire sauter les verrous, libérer les entreprises qui ont de la croissance, de la créativité et de l’activité en réserve…

M. Jean-Pierre Balligand - Ça, c’est présomptueux !

M. Luc Chatel, secrétaire d’État – …et donc libérer l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Domergue - J’ai cru que M. Cahuzac ne s’arrêterait jamais. Quel dommage que ce sens du théâtre, que l’énergie déployée pour ce réquisitoire extraordinaire contre une réforme attendue par tous les Français n’aient pas été utilisés à mettre en valeur ce qui, dans ce projet, devrait nous faire reprendre confiance en notre avenir ! M. Cahuzac a certes souligné la cohérence qu’il y avait entre l’investissement réalisé – 13 milliards, excusez du peu ! – et les promesses de campagne du Président de la République, mais que n’a-t-il persévéré dans cette veine et souligné l’effet qu’aura ce texte fondateur sur la confiance des Français, tant en l’avenir qu’en une notion que vous n’aviez fait que dévaloriser durant cinq ans : celle de travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La France a besoin de travail. Elle a besoin de créer de l’emploi. Mais celui-ci, nous n’avons pas la même façon de le concevoir : pour vous, c’est de l’emploi public, que l’on décrète et qui n’a pas à être productif.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical et citoyen – Rengaine !

M. Jacques Domergue – Ce dont nous avons besoin, c’est de créer de l’activité et des richesses, de faire revenir ceux qui ont quitté le territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marie Le Guen - En fait, vous êtes le parti des émigrés !

M. Jacques Domergue - Nous avons besoin de redonner confiance aux entreprises pour faire naître les futurs emplois. Redonnons confiance aux Français pour qu’ils travaillent davantage. Voilà les valeurs de ce texte !

Jamais un texte n’a autant été discuté en commission (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Quatre commissions l’ont analysé, amendé, fait évoluer. Allez expliquer, Monsieur Cahuzac, aux millions de Français qui vont bénéficier de la déduction fiscale sur les intérêts des emprunts que vous êtes contre ! Allez leur expliquer que vous ne voulez pas augmenter leur pouvoir d’achat et leur permettre de faire des heures supplémentaires !

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical et citoyen – Ce n’est pas ça qui va augmenter leur pouvoir d’achat !

M. Jacques Domergue - Les Français attendent que nous prenions nos responsabilités. Allons jusqu’au bout, faisons en sorte que le pays se reprenne, créons une dynamique favorable à l’emploi ! La confiance est en train de naître, l’activité économique en découlera. Cet investissement de 13 milliards va être rentabilisé dans les mois et les années qui viennent. C’est cela, la nouvelle façon de gérer notre pays et je comprends que cela vous surprenne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Il ne faut pas être négatif et essayer de décourager les gens. Nous sommes dans un monde où les choses vont vite. Vous avez parlé une demi-heure pour exprimer des idées qui tenaient en cinq minutes. Le temps compte. Si nous ne nous hâtons pas, si nous ne nous adaptons pas à ce monde, la France entière sera en difficulté ! C’est pour toutes ces raisons que le groupe UMP rejette cette motion. Prenons nos responsabilités en séance. Oeuvrons pour que la France se ressaisisse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

M. Charles de Courson - Pour ma part, je voudrais féliciter M. Cahuzac : il n’était pas simple de faire acte de repentance et de reconnaître que François Mitterrand – le « Prince de l’ambiguïté » – s’était fait élire élu en sachant parfaitement que ce qu’il promettait ne pourrait jamais être financé. Mais c’est bien soudainement que M. Cahuzac se découvre vertueux : que ne l’a-t-il pas été durant la campagne présidentielle ! Comment peut-il n’avoir jamais demandé à Mme Royal comment elle comptait financer les 62 milliards que représentaient ses promesses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP) Je ne lui reproche pas aujourd’hui de poser la question du financement de ce texte, mais de ne pas donner de réponse ! Le Nouveau Centre, lui, a fait des propositions. C’est la preuve que vous n’allez jamais au fond. Mais en politique, il faut se méfier des effets boomerang.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical et citoyen – Certainement !

M. Charles de Courson - Il faut donc que vous trouviez une réponse concernant les 62 milliards de dépenses de Mme Royal.

Par ailleurs, votre grand argument est que la majorité ne travaille que pour les riches. Mais qui fait des heures supplémentaires – mesure qui représente la moitié du coût du texte – : les milliardaires, ou huit millions de salariés modestes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP) Qui acquiert sa maison à crédit : des personnes richissimes ? Mais vous oubliez que 57 % des Français sont propriétaires, et que la mesure est assortie d’un plafond qui correspond à un achat de 150 000 euros, soit le prix moyen d’un logement en France ! (Même mouvement) Sans compter que la mesure prend la forme d’un crédit d’impôt afin que tout le monde puisse en bénéficier, y compris les non imposables. Pour les gens riches en revanche, ce ne sont pas ces 1 500 ou 1 800 euros de déduction qui changeront quelque chose ! Cette disposition bénéficie donc clairement aux plus modestes. Quant aux étudiants, restons sérieux ! La mesure est plafonnée. C’est aux étudiants qui font leur propre déclaration de revenus et qui gagnent 1,2 ou 1,3 SMIC qu’elle bénéficiera, puisqu’ils ne seront plus imposables. Cela représente beaucoup pour eux, et quasiment rien pour la toute petite minorité issue des couches sociales supérieures ! Arrêtez donc d’employer ces arguments.

Enfin, vous vous répandez sur la question du bouclier fiscal et des droits de succession. Le coût du bouclier fiscal est estimé à 800 millions. Je pense qu’il sera beaucoup moins élevé, de même que le bouclier fiscal à 60% n’a coûté en réalité qu’une centaine de millions sur les 400 prévus. Si le coût de cette mesure est au final de 400 millions, cela ne représentera que 3 % du coût de l’ensemble du texte, mais vous ne parlez que de cela ! Quant aux droits de succession, je vous rappelle que plus des trois quarts des ménages ont déjà fait une donation au dernier vivant et qu’en la matière, par exemple, le projet ne changera pas grand-chose ! Vos arguments sont donc très loin d’être fondés (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

Voilà les raisons pour lesquelles le Nouveau centre repoussera la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. Jean-Claude Sandrier - Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, lui, la votera. Une seule raison y suffirait : c’est l’incertitude concernant le financement des mesures envisagées.

M. Jean-Pierre Soisson – Ça vous va bien !

M. Jean-Claude Sandrier - Les recettes, d’abord, sont fondées exclusivement sur une hypothèse de croissance déjà contestée par des études très sérieuses. Quant aux dépenses, vous vous targuez de les réduire, mais en oubliant de préciser lesquelles. Ce que l’on sait, c’est que le nombre de postes dans les écoles va être réduit et que les dotations des hôpitaux ne suivent pas l’inflation, alors que des menaces pèsent sur les cours d’appels et tribunaux d’instance ainsi que sur les dotations des collectivités, qui sont pourtant les principaux investisseurs du pays… Ajoutons-y le silence assourdissant concernant la TVA sociale et la vente, discrète mais efficace, du patrimoine national : 16 milliards l’an dernier, 3 milliards d’actions de France Télécom et bientôt celles de GDF…

Cette raison financière suffirait, disais-je, mais il y en a aussi d’autres. Vous avez évoqué, Madame la ministre, ces réfugiés fiscaux qui prennent l’Eurostar à la gare du Nord pour aller faire des affaires en Grande-Bretagne. Mais vous avez oublié de préciser qu’ils reviennent tous les soirs en France ! La raison en est très simple : aujourd’hui, un cadre supérieur sur six quitte la Grande-Bretagne, parce qu’elle est en voie de « tiers-mondisation » en ce qui concerne la santé, les transports ou la criminalité par exemple.

La Grande-Bretagne est certainement un paradis pour les riches ; ce n’est pas, loin de là, celui des pauvres : 22 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, et si le taux de chômage a tant baissé, chacun sait que c’est parce que 2 millions de demandeurs d’emploi ont été déclarés inaptes au travail et sortis des statistiques.

Madame la ministre, votre idéologie vous fait croire qu’enrichir encore les riches permet de créer des richesses et de mieux les répartir. La question n’est pas d’être pour ou contre les riches, comme nous en accusait un collègue de l’UMP, le problème est de savoir qui crée les richesses et comment s’effectue leur répartition : or, tandis que les inégalités se creusent toujours plus, le travail est moins rémunéré que les dividendes. Les profits du CAC 40 ont augmenté de 250 % en quatre ans et les dividendes de plus de 100 %, cependant que les salaires dans ces entreprises ne progressaient que de 6,6 %. Et plutôt que de favoriser le travail, vous choisissez d’aider les rentiers et les oisifs ! Ce n’est pas notre conception : le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical et citoyen).

M. Gaëtan Gorce - Je veux saluer l’exercice auquel s’est livré Jérôme Cahuzac, de manière talentueuse et surtout précise. Or Madame la ministre, c’est bien la précision qui vous fait défaut lorsque nous vous interrogeons sur le coût réel et l’impact sur nos finances publiques des mesures proposées, lorsque vous contournez un débat – que nous voudrions être à l’honneur de notre assemblée – avec un argument idéologique et politique. Il vous suffit en effet de répondre, quand nous voudrions parler économie et fiscalité, que ces mesures figuraient dans le programme du Président de la République,…

Plusieurs députés UMP - Eh oui !

M. Gaëtan Gorce - … ancien ministre de l’intérieur, ancien ministre des finances.

Votre engagement est fondé sur des a priori, injustifiables d’un point de vue économique et technique. Sans le dire, vous vous attaquez directement à la durée légale du travail et à l’ISF grâce à deux assertions fausses. Selon vous, tout d’abord, les Français ne travailleraient pas assez. Mais ils ne sont pas suffisamment nombreux à travailler ! Interrogez-vous plutôt sur l’insuffisance des formations offertes aux salariés, sur la faiblesse des investissements réalisés dans les entreprises. Ensuite, vous prétendez que les riches ne seraient pas suffisamment riches et que ceux qui veulent gagner plus ne se verraient pas récompensés de leurs efforts. Mais le journal Le Monde publiait hier encore un rapport du CNRS montrant que les écarts de patrimoines et de revenus n’avaient jamais été aussi élevés.

C’est grâce à un tel biais de raisonnement que vous justifiez des dépenses considérables pour la collectivité. Notre rôle est de vous rappeler à vos responsabilités. Pouvons-nous nous permettre, au regard de la situation dans laquelle vous avez placé la France depuis cinq ans, un « paquet fiscal » – dont on ignore s’il sera de 11, de 13, de 15 ou de 16 milliards d’euros – sans que l’on sache comment vous le compenserez pour la sécurité sociale et comment vous comptez le gager pour les finances publiques ?

Dans l’intérêt du pays et de ce parlement, qui devrait sortir des débats idéologiques surannés,…

Plusieurs députés UMP - Oui, c’est vrai !

M. Gaëtan Gorce - … vous devriez nous répondre précisément. Il serait logique, avant l’automne, que les Français et leurs représentants connaissent vos intentions : y aura-t-il de nouveaux prélèvements pour couvrir ce déficit que vous allez creuser ? Selon quelles règles de « justice et de solidarité » seront-ils définis ? Par ailleurs, il serait intéressant de connaître la nature exacte des engagements que le Président de la République a pris à Bruxelles.

Sur ces questions qui n’ont rien d’idéologique, il serait utile d’obtenir des réponses précises. Car ce qui est en jeu, c’est l’avenir de nos finances publiques, de nos finances sociales et, d’une certaine manière – mais c’est peut-être moins grave – de votre crédibilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen)

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.

M. Jean-Louis Idiart - Rappel au Règlement. Il ne vous échappe pas que nous travaillons dans des conditions un peu particulières. Nous siégeons ce matin, alors que nos groupes ont prévu de se réunir. En conséquence, je sollicite une suspension de séance.

M. Jean-Pierre Brard – Rappel au Règlement. Contrairement à ce qu’on a affirmé tout à l’heure, nous ne connaissons pas des conditions idéales de travail. Ainsi que l’a souligné Charles-Amédée de Courson, nous travaillons dans l’urgence ! Au nom de Jean-Claude Sandrier, je demande une suspension de séance d’une heure pour réunir les actionnaires de notre conseil d’administration ! (Sourires)

M. le Président – Monsieur Brard, vous n’avez pas de délégation de votre groupe. Mais comme M. Idiart, lui, est habilité à demander une suspension de séance, celle-ci est de droit.

La séance, suspendue à 11 heures 25, est reprise à 11 heures 55.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances - Avant d’entamer la discussion des articles, je tiens à préciser brièvement les critères que j’ai retenus pour appliquer l’article 40 de la Constitution aux quelques 470 amendements déposés. Tout amendement entraînant une perte de recettes doit être correctement gagé. C’est une exigence formelle, mais pas seulement : chacun doit mesurer la portée financière de ses amendements. Tout amendement non gagé a donc été déclaré irrecevable.

Par ailleurs, tout amendement entraînant l’aggravation d’une charge publique, ne pouvant être gagé, tombe sous le couperet de l’article 40. Voilà qui explique notamment l’absence d’amendements, que regrettait M. Hirsch, concernant le RSA.

S’agissant de la compensation financière du RSA aux départements, j’ai fait preuve de souplesse compte tenu des engagements pris par le Gouvernement devant les commissions des finances et des affaires sociales.

Enfin, pour que les choses soient bien claires, j’enverrai un courrier à tous nos collègues pour leur rappeler les obligations auxquelles sont soumis les auteurs d’amendements. J’envisage aussi, à l’avenir, d’indiquer sommairement les raisons de l’irrecevabilité d’un amendement.

Malgré tout, il reste 410 amendements à examiner : je nous souhaite un bon débat !

ART. PREMIER

Mme Martine Billard – Cet article propose plusieurs exonérations et baisses de cotisations, parce qu’il faut « travailler plus pour gagner plus ». Il est vrai que travailler plus pour gagner moins serait pour le moins problématique… D’autre part, je rappelle que c’est M. Fillon, alors ministre des affaires sociales, qui avait réduit en 2002 la majoration des heures supplémentaires de 25 % à 10 %. Vous ne faites donc que rétablir l’ancien taux.

Plus généralement, encourager à faire des heures supplémentaires, est-ce valoriser le travail, comme vous le prétendez ? Bien au contraire ! En soutenant que c’est là une manière – la seule ? – de gagner plus, vous reconnaissez implicitement que les bas salaires ne permettent pas de nourrir, d’éduquer et de soigner une famille.

Nous avons donc là un désaccord sur la façon de valoriser le travail, mais cela va encore plus loin : votre mesure risque, selon nous, d’entraîner un blocage du taux horaire des salaires, les patrons considèrent que les salariés n’ont qu’à travailler plus s’ils veulent gagner plus !

J’en viens au problème des temps partiels contraints, qui concerne à 80 % des femmes. Nous avions déjà eu ce débat au moment de la loi sur l’égalité salariale, muette sur le sujet. Ici, tout ce que vous proposez à ces femmes, ce sont des heures complémentaires. Or, en la matière, il en va comme pour les heures supplémentaires : la décision appartient au seul chef d’entreprise, elle ne relève pas d’un choix du salarié.

Bref, pour les petits salaires comme pour les temps partiels contraints, la revalorisation du travail ne passe pas par cet article premier !

Il est en outre économiquement absurde d’opposer heures supplémentaires et temps libre. Vous prétendez revenir sur un mouvement – celui de la réduction du temps de travail – entamé voici un siècle en permettant d’aller jusqu’à 48 heures par semaine – le maximum autorisé par les textes européens –. Mais vous oubliez que cette évolution a permis le développement du bénévolat et de nouveaux secteurs d’activité, liés au bricolage ou au jardinage par exemple, et qui sont créateurs d’emplois non délocalisables.

Cet article entraîne également une inégalité des salariés devant les heures supplémentaires, puisque pour bénéficier de la défiscalisation, il faut être imposable. Quant à la défiscalisation des heures complémentaires prévue dans l’alinéa 5, c’est à se demander si vous êtes sérieux ! Croyez-vous vraiment que les salariés qui en sont à essayer d’obtenir des heures complémentaires soient imposables ? De qui se moque-t-on ? Pour ceux qui ont des salaires plus élevés, c’est évidemment différent.

Votre réponse sur la réduction des cotisations salariales ne m’a pas convaincue, Madame la ministre.

M. le Président - Il faut conclure.

Mme Martine Billard - Vous nous dites que les salariés ne perdront pas de droits à la retraite : mais c’est la loi, puisqu’ils cotisent !

M. Jérôme Chartier - Cela n’a pas toujours été le cas !

Mme Martine Billard - Le rapport de la commission reste en outre flou sur la compensation des exonérations, notamment en ce qui concerne les régimes de retraite complémentaire et les ASSEDIC. Nous préférerions des réponses précises à des envolées lyriques sur des points qui ne soulèvent pas de problème !

M. le Président - Je vous rappelle que chaque orateur ne dispose que de cinq minutes. Compte tenu du nombre d’orateurs inscrits, je vous demande de vous tenir à ce temps.

M. Henri Nayrou – Si le sujet n’était pas sérieux, voire dramatique, on pourrait rire de l’intitulé de votre projet - travail, emploi, pouvoir d’achat – et singulièrement de son article premier, qui traite de ce qui constitue pour vous l’arme décisive contre les fléaux qui gangrènent notre économie. Tout aussi étonnante est cette phrase qui figure au début de l’exposé des motifs : « L’augmentation de la durée moyenne du travail est une condition essentielle à la baisse durable du chômage. » Au vu des exemples danois et hollandais, je pense que son auteur serait bien placé pour remporter le Grand Prix de l’humour noir !

Sur le fond, vous partez du principe que, pour stimuler le pouvoir d’achat, la consommation et la croissance, il faut travailler plus. Même si c’est contestable, pourquoi ne pas essayer ? Mais voilà que vous choisissez le levier des heures supplémentaires, autant dire un levier de pacotille, puisque ce ne sont pas ces heures qui créent la croissance, mais la croissance qui débouche sur la création d’emplois et sur un recours accru aux heures supplémentaires.

Permettre à quelques-uns de travailler plus au détriment du plus grand nombre ne permettra pas d’agir efficacement sur le triptyque travail-emploi-pouvoir d’achat.

La rupture d’égalité fiscale et sociale et la violation de dispositions constitutionnelles promettent à votre texte le même sort qu’au CNE, qui trône désormais - comme nous l’avions prédit – parmi les fausses bonnes idées de l’UMP.

Vous commettez la même erreur qu’en 2002. Vous nous aviez assuré à l’époque qu’en baissant l’impôt sur le revenu au profit des plus aisés, vous relanceriez la machine économique : c’était une supercherie.

Je relève enfin le caractère élastique de la notion de rupture, théorisée par M. Sarkozy et prudemment appliquée par le Président de la République. Vos argumentaires et votre misérable stratégie (Protestations sur les bancs du groupe UMP) reposent sur les prétendus méfaits des 35 heures. Dès lors, pourquoi n’avoir abrogé cette loi ? C’est que malgré ses quelques inconvénients, elle a l’avantage d’avoir créé bien plus d’emplois que ne pourront jamais le faire vos CNE, CPE, CDD à répétition et autres heures supplémentaires.

Un jour de 2006, M. Sarkozy a dit que ce qu’avait fait une loi, une autre pouvait le défaire. Assumez la condamnation que vous portez, au lieu d’inventer des usines à gaz qui vont vous exploser au visage ! La rupture économique s’arrête décidément là où commence le risque politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen)

M. Michel Liebgott - J’ai là un article de presse dans lequel un salarié de l’usine Kronenbourg déplore qu’on veuille l’obliger à faire des heures supplémentaires à 55 ans alors que son fils qui travaille depuis dix ans dans la même brasserie comme saisonnier ne parvient pas à s’y faire embaucher. On marche sur la tête, dit-il. Cette opinion est largement partagée dans les milieux les plus défavorisés. Mais votre souci premier n’est manifestement pas de développer l’emploi. C’est bien plutôt de permettre davantage de flexibilité dans le fonctionnement des entreprises – ce qui améliorera leurs performances, au profit des actionnaires mais certainement pas des salariés précaires.

Du reste, tous les syndicats sont opposés à vos réformes. La CGT parle d’arnaque, la CFDT les qualifie d’inéquitables ; même la CFE-CGC estime que c’en est trop !

On s’interroge sur votre stratégie globale. Vous avez parlé d’équilibre entre l’offre et la demande, Madame la ministre. Mais si vous aviez vraiment le souci de l’offre, vous vous seriez d’abord préoccupée des demandeurs d’emploi. Lorsque le chômage est élevé, c’est une sécurité sociale professionnelle qu’il faut mettre en place. Comment imaginer des heures supplémentaires alors que tant de gens ne travaillent pas ? En réalité, on parle moins ici des hommes que des structures. Et ceux qui pourraient gagner un peu plus verront leur niveau de vie diminuer du seul fait du coût fiscal des mesures que vous proposez. Les entreprises, elles, ne paieront pas plus d’impôts. Le bouclier fiscal leur permettra même d’échapper aux impositions locales !

Nous sommes quant à nous pour une relance par la demande. Nous condamnons aussi la disparition de certains dispositifs – et je regrette que M. Hirsch ne soit plus là. Sous la précédente législature, vous avez supprimé tous les emplois aidés. Vous y êtes revenus dans la perspective des élections. Aujourd’hui, ils disparaissent à nouveau. Les entreprises accueilleront-elles tous les jeunes demandeurs d’emploi ?

Vous manquez de cohérence. Depuis plusieurs années, vous criez haro sur les 35 heures. Mais l’honneur du Parlement n’est-il pas de permettre que l’on travaille mieux et que l’on vive mieux ? Je crains que ces politiques technocratiques n’oublient tout simplement l’Homme. Du reste, il n’y a pas eu de manifestations populaires contre les 35 heures. Il y a eu, en revanche, des décisions de justice contre le CNE, qui sont la preuve que la justice peut encore être indépendante. Soyez cohérents : abrogez les 35 heures, plutôt que de faire adopter chaque année une loi qui les détruit !

M. Pierre-Alain Muet - Je ne doute pas que beaucoup de salariés dans notre pays souhaitent « travailler plus pour gagner plus ». Je pense aux chômeurs, à ceux qui sont contraints de travailler à temps partiel alors qu’ils ne l’ont pas choisi – ils sont un million dans ce cas, dont 80 % de femmes –, à ceux qui n’arrivent plus après 55 ans à retrouver un emploi. Mais hélas, ce ne sont pas eux qui sont concernés par cet article premier. Favoriser le recours aux heures supplémentaires est le contraire de ce qu’il faudrait pour développer l’emploi. Les entreprises préféreront en effet profiter de la mesure plutôt que d’embaucher. Quant aux dispositions prévues pour les heures complémentaires, elles ne résoudront en rien le problème du temps partiel, lequel devrait être encadré par la négociation sociale.

En vérité, vous construisez une usine à gaz. Ce n’est pas moi qui le dis, mais quasiment toutes les études sur le sujet, y compris celles diligentées par vos services, Madame la ministre. Un rapport du Conseil d’analyse économique, comme d’autres rapports émanant du ministère, souligne les « effets incertains sur l’emploi et le pouvoir d’achat » de cette mesure, d’un « coût exorbitant » pour les finances publiques.

« Travailler plus pour gagner plus » est un objectif que doit se fixer une société à l’échelle globale, et non individuelle. Ce n’est rien d’autre que viser le plein emploi, ce dont vous ne prenez pas le chemin ! Le rapporteur général tente d’expliquer à la page 56 de son rapport, graphique à l’appui, que les pays qui ont retrouvé le plein emploi sont ceux qui travaillent le plus. Or, les données objectives figurant à la page 51 du même rapport démontrent tout le contraire. Ce sont en effet les Pays-Bas et la Norvège qui, ayant depuis longtemps diminué de manière considérable le temps de travail, à la fois travaillent le moins et connaissent le plein emploi. Et au contraire, ce sont les trois pays qui travaillent le plus, la Grèce, la Pologne et la République tchèque, qui connaissent durablement les taux de chômage les plus élevés – près de 20 % pour la Pologne ! Ne vous en déplaise, la réduction du temps de travail est aussi l’un des moyens d’atteindre le plein emploi.

En France, depuis un siècle, la durée individuelle du travail et le nombre total d’heures travaillées ont été divisés par deux. Cette baisse a été continue, sauf de 1997 à 2002 où certes, le temps de travail individuel a diminué mais où deux millions d’emplois ont été créés. C’est la seule période où la France a effectivement travaillé plus pour gagner plus, et ce parce que le revenu national s’accroissait de 3 % par an. On en est loin aujourd’hui ! Vous feriez bien, Madame la ministre, de tirer les leçons de ces comparaisons internationales et de l’histoire. Le meilleur service que vous pourriez rendre à notre pays serait de retirer cet article ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen)

M. Paul Giacobbi – Si « réhabiliter la valeur travail », « travailler plus pour gagner plus » ont été d’excellents slogans de campagne électorale, leur traduction législative est plus délicate.

La valeur travail est un concept de l’économie classique, que tous les économistes ont abandonné depuis la fin du XIXe siècle et qui ne subsiste plus que chez les derniers économistes marxistes de stricte obédience – que je ne pensais pas voir siéger sur les bancs de la majorité et du Gouvernement.

On persiste à penser en France que la compétitivité internationale se fonderait uniquement sur les différences de rémunération du travail entre les pays, d’où l’idée que le seul moyen d’améliorer notre compétitivité serait de réduire le coût du travail, ce qui est méconnaître totalement les réalités de la mondialisation et de l’essor des pays émergents.

Cet article premier est une très mauvaise application du slogan « Travailler plus pour gagner plus ». En effet, cela ne fera pas croître sensiblement le temps travaillé, ni n’apportera de salaire supplémentaire. Cela ne fera que diminuer les charges et les taxes au détriment des comptes publics, pourtant déjà fortement dégradés.

Le temps de travail augmente quand les entreprises ont des commandes. C’est en ce cas qu’elles recourent à des heures supplémentaires, et non parce que le coût du travail diminue, fût-ce de manière considérable. Par ailleurs, un effet de substitution est à craindre entre les rémunérations grevées de charges et de taxes et celles qui en seront exonérées. Qu’est-ce qui empêchera un entrepreneur qui rémunère ses salariés sur la base de 35 heures et les fait travailler un peu plus moyennant une prime de rendement soumise à cotisations sociales et imposable – pratique universelle, notamment pour l’encadrement, y compris dans le secteur public –, qu’est-ce qui l’empêchera, dis-je, de remplacer cette prime par une déclaration d’heures supplémentaires, exonérées de toutes charges et taxes ?

M. Michel Bouvard - Pure suspicion !

M. Paul Giacobbi - Ce risque, pourtant grave, est à peine mentionné à la page 97 du rapport de la commission des finances.

En définitive, ce texte n’encouragera pas à « travailler plus pour gagner plus ». Il permettra, à travail constant, une exonération de charges et de taxes qui aggravera le déficit des seuls comptes sociaux de cinq milliards d’euros.

Si vous souhaitez diminuer les charges et les taxes sur le travail, il existe des moyens infiniment plus simples et efficaces de le faire. Nous vous proposerons d’ailleurs des amendements en ce sens.

M. le Président - La parole est à M. Gorce. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Gaëtan Gorce - Face à l’enthousiasme de nos collègues de la majorité, je ne peux résister à la tentation de m’exprimer à nouveau pour essayer d’obtenir des précisions sur le fondement, le coût et l’impact du dispositif – ce à quoi je ne désespère pas de parvenir…

Si vous vous défendez officiellement de vouloir remettre en question la durée légale du travail, tel est pourtant bien votre objectif. Vous continuez d’instruire le procès des 35 heures, exclusivement à charge, sans jamais soumettre votre avis au jugement des Français (« Ah bon ?» sur les bancs du groupe UMP). En réalité, vous souhaitez, tout en culpabilisant les salariés, passer outre les 35 heures sans les remettre en cause directement – ce à quoi il y a certainement d’autres raisons qu’une simple timidité politique. Tout cela mériterait un large débat que nous avions commencé d’avoir dans la mission d’information sur le sujet animée par M. Ollier et M. Novelli, et dont l’une des conclusions les avait beaucoup embarrassés, à savoir que pour un coût net de sept à huit milliards d’euros en 2002, les 35 heures avaient permis de créer 350 000 emplois. Il n’eût pas été inutile de savoir, chiffres à l’appui, combien vous escomptez créer d’emplois grâce aux sept milliards d’exonérations prévues, soit à peu près l’équivalent du coût des 35 heures. Cela aurait épargné bien des polémiques !

Beaucoup d’incertitudes demeurent sur le coût du dispositif. A quelle hauteur les finances publiques seront-elles sollicitées ? Comment sera compensé le manque à gagner pour les budgets de la sécurité sociale et de l’État ? Comment allez-vous faire pour que les déficits publics ne s’aggravent pas encore ? Il faut des réponses claires. L’équilibre des comptes publics doit être le souci de tous, non seulement parce que le Président de la République a pris de nouveaux engagements sur le sujet – engagements que nous ne connaissons d’ailleurs pas –, mais parce qu’il y va de la préservation de notre système de protection sociale et de la réduction de notre dette, c’est-à-dire en définitive de notre capacité à financer les dépenses utiles.

J’en viens à l’impact du dispositif. S’il n’est pas évident en matière d’emploi, non plus qu’en matière de pouvoir d’achat – qu’en attendez-vous au juste sur ce point ? –, il est en revanche certain sur les conditions de travail et de vie des salariés. Nous avons d’ailleurs déposé des amendements à ce sujet. Nos collègues de la majorité ont en effet l’air d’oublier que l’augmentation du temps de travail réduit d’autant le temps consacré aux loisirs, à la vie familiale, aux engagements et au développement personnels – autant d’exigences auxquelles vous devez pourtant, comme nous, être attachés. Tout cela ne compterait-il soudain plus pour rien ? L’essentiel du temps de nos concitoyens doit-il être consacré à l’activité économique ? Le salaire doit-il se déterminer sur une base individuelle entre l’employeur et le salarié, et non par la négociation collective ? Peut-on négliger les incidences de l’augmentation de la durée du travail sur l’évolution des conditions de travail, de la santé au travail et des accidents du travail – on dénombre chaque jour deux mille accidents du travail entraînant une interruption d’activité. Toutes les enquêtes démontrent que les conditions de travail se dégradent et que le stress au travail augmente, ce qui n’est pas sans conséquence sur la productivité horaire, et donc sur la compétitivité de notre économie (Manifestations d’impatience sur les bancs du groupe UMP). Je ne parle pas idéologie ou politique politicienne. Je pose des questions précises auxquelles nous aurons, je l’espère, des réponses précises car cela intéresse au plus haut point les salariés de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen)

Mme Annick Girardin - Je voudrais évoquer dès maintenant l’amendement que j’ai déposé, afin d’en souligner toute l'importance pour Saint-Pierre-et-Miquelon – dont le statut particulier attribue des compétences fiscales à la collectivité territoriale et organise un régime de sécurité sociale spécifique.

L’adoption de cet article en l'état aurait pour conséquence une applicabilité partielle de la norme dans nos îles : les dispositions du code de la sécurité sociale, du code du travail et du code rural n’étant pas toutes en vigueur à Saint-Pierre-et-Miquelon, le dispositif vaudrait pour les employeurs et les salariés agricoles, mais non pour les autres salariés. Dans le cas présent, il n’est pas possible de procéder par habilitation gouvernementale et ordonnance ; au demeurant, cette procédure a montré ses limites car bien souvent les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon n’ont pas obtenu l'accès promis aux mêmes droits que les autres Français. Pour prendre un exemple parmi tant d’autres, le dispositif des aides personnalisées au logement, adopté par le Parlement en 1977, n’est toujours pas applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon, après des années d'efforts auprès de l'administration…

L’amendement que je propose permet de résoudre le problème de façon simple et immédiate. Il ne fait que reprendre une formulation retenue à de nombreuses reprises dans le passé, par exemple dans la loi d'orientation pour l'outre-mer votée en 2000.

Son adoption s’impose, eu égard aux exigences constitutionnelles d'égalité des citoyens devant la loi. L’archipel fait partie de la République, à laquelle sont associés des droits et des devoirs : les travailleurs et employeurs de Saint-Pierre-et-Miquelon doivent avoir les mêmes droits que leurs compatriotes de métropole et des DOM. Je suis sûre que vous comprendrez qu’il s’agit là d’un impératif d’intérêt général.

M. le Président - Dans la discussion des amendements, sans doute pourrons-nous considérer que vous avez déjà défendu le vôtre.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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