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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 17 juillet 2007

2ème séance
Séance de 21 heures 30
17ème séance de la session
Présidence de M. Marc-Philippe Daubresse

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La séance est ouverte à vingt-et-une heures trente.

LUTTE CONTRE LA RÉCIDIVE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

M. le Président - Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Mme Marylise Lebranchu - Même si nous n’appartenons pas à la même famille politique, je tiens à vous exprimer, Madame la Garde des Sceaux, ma solidarité personnelle. On peut également admirer, me semble-t-il, la façon dont vous avez réécrit un texte relatif aux peines automatiques afin de lui donner une apparence acceptable d’un point de vue constitutionnel.

Sur ce sujet, qui peut encore penser que seule la majorité actuelle se soucie des victimes et lutte contre la récidive, contrairement à l’opposition, qui ferait de la récidive un phénomène normal ?

M. Jacques Myard - C’est pourtant le cas !

Mme Marylise Lebranchu - Si vous le croyez, c’est que vous n’avez pas écouté les orateurs de mon groupe... Nous sommes tous conscients des problèmes posés par la violence. C’est d’ailleurs pour cette raison que je regrette votre défaitisme : pourquoi ne pas avoir mené d’étude d’impact sur les textes votés au cours de la dernière législature ? Sont-ils si inefficaces qu’il faille à chaque fois réécrire le code pénal ?

Je pense au contraire que nous disposons déjà d’un arsenal juridique suffisant pour lutter contre la violence et les magistrats n’hésitent pas à infliger des peines de dix ou vingt ans de prison, voire la perpétuité, en cas de récidive, ni à faire incarcérer les mineurs. Je ne rejette pas la nécessité de la prison en cas de faits graves, mais vous n’empêcherez jamais la récidive en doublant les sanctions ou en instaurant des peines minimales. Ce serait non seulement une erreur, mais aussi une faute. Au lieu de lutter directement contre la récidive, vous nous demandez, avec ce texte, de sévir davantage une fois qu’une deuxième victime a été frappée. C’est la récidive elle-même que nous devons refuser !

Ayant eu l’honneur de présider une commission chargée d’élaborer un projet de loi pénitentiaire, je sais que nous devons nous soucier en priorité du sens de la peine, et faire de la privation de liberté un dernier recours ! Écoutons donc les associations de victimes qui nous invitent à passer d’une demande de vengeance à une demande de justice !

Plusieurs députés UMP - Ce ne sont que des mots !

Mme Marylise Lebranchu - Il serait terrible de ne pas appliquer de sanctions envers les mineurs…

M. Jacques Myard - Nous sommes bien d’accord !

Mme Marylise Lebranchu - …car cela reviendrait à les considérer comme des exclus, indignes de la République, sous prétexte qu’ils vivraient dans des conditions difficiles. Nous devons prendre des sanctions dès le premier acte délictueux, et surtout veiller à leur application. N’oublions pas non plus la proposition d’organiser des « séjours de rupture » en coopération avec l’institution judiciaire.

Jamais la suppression de l’excuse de minorité ne fera peur aux jeunes. Ce n’est pas la peur de subir une sanction plus grave qui fera reculer la délinquance. Vous risquez au contraire de favoriser des comportements dangereux chez ceux qui souhaiteraient échapper au bras de la justice.

Nous devons aujourd’hui revenir à la raison et nous mettre d’accord, comme nous y sommes déjà parvenus voilà quelques années, sur la nécessité de sanctions qui aient un sens. Pour lutter contre la récidive, il faut adopter une véritable loi pénitentiaire au lieu de continuer à modifier le code pénal tous les six mois. Les magistrats en ont assez ! Réfléchissons à l’organisation de l’institution judiciaire, qui doit être le dernier maillon de la chaîne, mais un maillon efficace.

Avec ce texte d’annonce, on a le sentiment que vous reconnaissez votre échec des cinq dernières années, que vous baissez les bras. C’est dommage : ensemble, nous pourrions accomplir de grandes choses afin que la justice préserve le calme sur le territoire de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Jean-Pierre Decool - Dans le droit fil de la lutte contre l’insécurité menée depuis 2002, le présent projet, conformément aux engagements pris pendant la campagne, propose un ensemble de mesures complémentaires. Ainsi, l’instauration de peines de prison minimales exercera un effet dissuasif sur les délinquants récidivistes. Une menace de sanction claire et systématique est un préalable indispensable au travail de prévention. Il ne s’agit pas pour autant de peines automatiques : nos collègues sénateurs ont utilement précisé que le juge conserve la possibilité d’aménager l’application de la peine. Quant à l’échelle de ces peines minimales, elle est conforme au principe de proportionnalité.

Par ailleurs, ce texte élargit le champ des infractions pour lesquelles l’excuse de minorité peut être écartée. Il y avait urgence : la délinquance des mineurs augmente, et près d’un tiers d’entre eux récidivent dans les cinq ans. Dorénavant, pour les crimes les plus graves, les adolescents de seize à dix-huit ans seront jugés comme des majeurs. C’est une mesure dissuasive, qui empêchera les plus grands de les instrumentaliser dans leurs bandes.

L’injonction de soins, outil essentiel à la réinsertion, s’appliquera désormais à tous les condamnés en suivi socio-judiciaire. En cas de refus, les décisions de sursis ou de liberté conditionnelle pourront être révoquées. La France ne peut laisser les délinquants – notamment sexuels – sortir de prison sans traitement. La prison doit isoler les criminels, mais aussi les préparer à leur réinsertion afin d’éviter la récidive.

Trois remarques, malgré tout. La première concerne les moyens que vous engagerez pour appliquer ces mesures qui entraîneront forcément l’augmentation de la population carcérale. Or, les capacités d’accueil sont déjà largement dépassées et les tribunaux engorgés. De même, nos capacités de suivi psychologique sont insuffisantes. Quels moyens envisagez-vous d’y consacrer ? Embaucherez-vous des psychologues supplémentaires ?

En ce qui concerne les peines légères encourues par les mineurs, ne doit-on pas élargir le champ des travaux d’intérêt général ?

Enfin, il faut maintenir les tribunaux en zones rurales. Ils sont les garants d’une justice de proximité. Je pense en particulier au tribunal de Hazebrouck, menacé de disparition.

M. Bernard Roman - En effet, il va disparaître !

M. Jean-Pierre Decool - En somme, ce texte juste et équilibré permettra de répondre aux attentes de nos concitoyens, dont la sécurité est une préoccupation constante. Il permettra de prévenir la délinquance et d’assurer le suivi des condamnés : je sais que ce sont là deux de vos priorités, Madame la Garde des Sceaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Nous voilà convaincus !

M. Gérard Charasse - La lutte contre la récidive est l’une des nombreuses promesses du Président de la République.

M. Jacques Myard - Ce n’est plus une promesse, c’est une réalité !

M. Gérard Charasse - L’ancien ministre de l’intérieur souhaite durcir les peines, après cinq années d’échec. Si l’insécurité – et notamment les violences sur les personnes – avait reculé, personne ne songerait plus aujourd’hui à en débattre.

M. Jacques Myard - N’importe quoi !

M. Gérard Charasse - Au nom des radicaux de gauche, je m’en tiendrai à trois remarques. Tout d’abord, nous n’avons pas encore changé de République : les magistrats conservent leur libre arbitre, qu’ils exercent au nom du peuple. Ils peuvent donc moduler les peines selon le contexte. En encadrant davantage encore leur travail, vous imposez au contraire aux justiciables de n’être plus jugés par un être humain, membre de la cité, mais par la grille des peines que vous établissez !

D’autre part, nous sommes nombreux à souhaiter une justice proche et réactive. Pourtant, dans le sud de l’Allier, le tribunal de Cusset est appelé à disparaître. Comment pouvez-vous parler de justice de proximité tout en supprimant des tribunaux en zones rurales, obligeant les citoyens à faire des dizaines de kilomètres pour que justice leur soit rendue ?

Je vous entends déjà répondre que la gauche est laxiste.

Plusieurs députés UMP - C’est vrai !

M. Gérard Charasse - Non : lorsqu’elle est républicaine, la sanction est utile et justifiée.

M. Jacques Myard - Il eût fallu l’appliquer !

M. Gérard Charasse - Pour autant, nous n’admettons pas que la privation de liberté ne soit plus l’exception. Ainsi les gardes à vue, dont le nombre explose, sont-elles un moyen de pression qui dénature le travail de la police et sape le monopole de la violence légitime, auquel nous sommes tous attachés. Je précise qu’elles sont notamment régies par l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Enfin, nulle République ne peut adopter des lois sans en mesurer les effets. Les conséquences d’une incarcération sont connues, alors que le nombre de jeunes emprisonnés augmente. Alain Peyrefitte le disait, qui n’était ni radical ni socialiste : la prison est l’école du crime.

M. Christian Vanneste - Il est le père de la loi « sécurité et liberté » !

M. Gérard Charasse - Aucun député ne peut donc en conscience voter une mesure dont il sait les effets désastreux. En somme, si votre Gouvernement n’amende pas le texte que vous nous présentez, nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Christian Vanneste - Au cours des trois dernières années, la lutte contre la récidive a fait l’objet de trois textes. Certains esprits chagrins pourraient prétendre que leur application est plus urgente qu’une nouvelle réforme, et peut-être auraient-ils raison. Chacun sait depuis Beccaria que la sévérité des peines est moins dissuasive que leur certitude et leur promptitude.

Grâce à l’action déterminée des gouvernements en place depuis 2002, la délinquance n’a cessé de décroître en France.

M. Jérôme Lambert - Pas les violences contre les personnes !

M. Christian Vanneste - La délinquance générale a baissé de 11 % entre 2002 et 2007, mais la violence contre les personnes a sensiblement augmenté.

Mme Marylise Lebranchu - Voilà le problème !

M. Christian Vanneste - Ainsi, elle a crû de 6 % dans le Nord, malgré une baisse de 8 % de la délinquance générale. Dans de nombreux quartiers, c’est désormais la victime qui a peur des représailles, alors que le coupable vit l’esprit tranquille. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) Pourquoi ne pas imaginer la création d’un délit spécifique de harcèlement social qui protègerait les citoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La liberté des victimes vaut plus que celle des délinquants !

La délinquance est souvent le fait de multirécidivistes que le renforcement des sanctions ne découragera pas tant que leur application ne sera pas certaine. C’est à cette certitude de la sanction que tend ce texte.

M. Jérôme Lambert - Il s’agit donc bien de peines automatiques !

M. Christian Vanneste - La peine, en effet, doit protéger la victime potentielle par la dissuasion, mais aussi permettre la réinsertion des délinquants. Selon Durkheim, elle doit aussi réparer une blessure faite à la conscience collective, à notre foi commune en certaines valeurs. Sans réparation, plus de foi ; sans foi, plus de République. Pourtant, moins de 42 % des peines prononcées sont appliquées, et elles le sont tardivement – à Bobigny, le délai moyen excède seize mois !

Le caractère dissuasif de la répression souffre des difficultés d’application des sanctions. Le cas de Pierre Bodein, criminel multirécidiviste, illustre les failles de notre système judiciaire. Après trente-cinq années passées de cellules en asiles, il a été à tort remis en liberté en mars 2004, alors qu’il était encore susceptible d’être dangereux. On connaît la suite, hélas.

Le rôle des psychiatres et des psychologues doit être clairement défini, afin que de telles catastrophes judiciaires ne se reproduisent pas. Aujourd’hui, le législateur laisse carte blanche au magistrat, qui s’en remet au psychiatre : il faut mettre fin à ce « rugby » judiciaire ! Nos concitoyens sont exaspérés par les délinquants récidivistes et le sentiment d’impunité des uns nourrit le sentiment d’insécurité chez les autres.

En troisième lieu, l'augmentation et l'aggravation de la délinquance de mineurs de plus en plus jeunes et de plus en plus violents justifient une nouvelle adaptation du régime de l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs – adaptation qu’ont d'ailleurs décidée plusieurs pays européens, notamment l’Angleterre. Voilà maintenant cinq ans que les centres éducatifs fermés ont été institués et, selon une étude, le taux de récidive est de seulement 10 % chez ceux qui en sortent, contre 60 % pour les mineurs sortant de prison. Je salue donc votre volonté, Madame la ministre, de créer cinq nouveaux centres éducatifs fermés…

M. Philippe Vuilque - Le compte n’y est pas !

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois - Vous avez voté contre leur création !

M. Christian Vanneste - …même si je regrette qu'il n'y en ait pas dans le Nord. Enfin, la surpopulation carcérale constitue un problème réel, mais elle tient davantage à l'insuffisance des constructions qu'à un excès de condamnations. En effet, le taux de population carcérale en France est de 91,8 pour 100 000 habitants, loin derrière l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, l'Angleterre – où il est de 142,7, sans parler de l'Estonie… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) où il s’établit à 327,4. De surcroît, les peines alternatives doivent être réellement mises en oeuvre.

Pour conclure, la prévention de la récidive implique une meilleure prise en charge sociale, éducative et sanitaire de la personne, pendant qu’elle est détenue et à l'issue de la détention. Or le nombre de juges de l'application des peines et celui des agents des services d'insertion et de probation de l'administration pénitentiaire, notoirement insuffisant, devrait être accru. Le manque de moyens est flagrant pour faire appliquer les peines. Je salue donc votre volonté d'engager la réforme des prisons pour l'automne.

Accroître la certitude de la peine, adapter la loi à l'évolution de la société, augmenter les moyens de la chaîne judiciaire, tels sont les objectifs de ce projet. Je souhaite que notre excellent rapporteur veille à son application rapide et complète. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. André Wojciechowski - Pour soutenir nos magistrats et la justice de notre pays, nous devons trouver, ensemble, des solutions, et mes réflexions sur ce point seront celles d’un député de base conscient que l’institution de peines plancher constitue la clef de voûte d’un projet motivé par la volonté de mettre un coup d'arrêt à la récidive multiple et aussi de favoriser la réinsertion, car la justice doit être humaine et à l’écoute.

Mais n’est-ce pas mettre la charrue avant les bœufs ? (Marques d’approbation sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) L'effet premier d'une telle réforme sera l'augmentation exponentielle du nombre de détenus. Déjà, dans certaines maisons d'arrêt vouées à accueillir les courtes peines ici visées, le taux d'occupation est de 150 %, voire 200 %. Or, une étude prospective évalue à 10 000 le nombre de détenus supplémentaires par an si le projet est adopté. Sachant les délais requis pour la construction d'un bâtiment public, on peut estimer que les premières prisons nouvelles – à supposer que le texte soit assorti de moyens à cette fin – (Mêmes mouvements) ne seront prêtes qu'en 2011. Que fera-t-on en attendant ? Il faut d’abord construire des prisons, puis voter la loi ; il en va de la cohérence politique de notre projet.

M. Manuel Valls - Très bien !

M. André Wojciechowski - Par ailleurs, l’incarcération est-elle une solution réelle ? (Marques d’approbation sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) Des études ont montré que les prisons sont criminogènes et que, bien souvent, le premier séjour en détention marque le point de départ d'une entrée en délinquance. Mme Lebranchu l’a dit, il existe des alternatives efficaces à l’emprisonnement, qui permettent aux condamnés d'exécuter leur peine tout en restant insérés dans la société. Or quelqu'un qui travaille, qui a un logement et une famille a moins de chances de récidiver. (« Parfaitement ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

S’agissant de l'excuse de minorité, dont le projet fait une exception, le plus opportun serait selon moi d’apporter une réponse systématique à tout acte de délinquance des mineurs, mais une réponse graduée en fonction de l'acte commis et de la personnalité des mineurs. (Marques d’approbation sur les mêmes bancs) C’est le sens de la politique pénale à Mulhouse. L’automaticité de la sanction ne réglera rien. Ce dont il s'agit, c’est de faire confiance à des juges qui travaillent en bonne intelligence avec des éducateurs spécialisés, et qui n'hésitent pas, lorsque la gravité des faits l'impose, à recourir à l'incarcération, même pour des mineurs.

Enfin, l'injonction de soins deviendrait obligatoire. On en revient à la question des moyens, car le suivi socio-judiciaire suppose l'existence de médecins coordonnateurs. Or le secteur public manque de médecins volontaires et formés... («Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) et le projet ne prévoit pas la nécessaire coordination entre services médico-sociaux et services judiciaires.

Je voterai ce projet, mais je vous demande, Madame la Garde des Sceaux, de veiller à ce que ce ne soit pas une loi de plus pour rien.

M. Arnaud Montebourg - Cela risque fort de l’être !

M. André Wojciechowski - …car nos concitoyens attendent de nous une politique efficace. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Goujon - Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre ceux qui ont été les fossoyeurs de la sécurité dans notre pays s’ériger, de manière surprenante, en donneurs de leçons ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) Le temps de la naïveté serait-il révolu ? Je n’en suis pas sûr… (Exclamations sur les mêmes bancs) Pour ce qui nous concerne, après les élections vient le temps de l’action…

M. Philippe Vuilque - Après cinq ans au Gouvernement, il serait temps !

M. Philippe Goujon - …et nous nous apprêtons à tenir les engagements pris devant les Français. La lutte contre la récidive en fait partie, et votre texte, Madame la garde des sceaux, répond pleinement à cet impératif. Il complète notre code pénal en traitant les situations les plus préoccupantes, même s’il ne règle pas définitivement la question de la réitération ni celle de la très forte augmentation de la délinquance des mineurs, pour lesquelles nous attendons la remise à plat de l’ordonnance de 1945. Oui, pour certains mineurs qu’une première condamnation n’a pas dissuadés de recommencer à mal faire, l’incarcération est parfois nécessaire ; ceux-là sauront désormais que la ligne rouge ne doit plus être franchie. L’individualisation des peines ne sera pas pour autant bafouée… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) car la peine plancher ne sera pas automatique. Le nombre de détenus va-t-il considérablement augmenter ? Le rapporteur a expliqué qu’il n’en sera rien…

M. Jérôme Lambert - Pas du tout ! Il a dit qu’il n’en sait rien !

M. Philippe Goujon - …et depuis les travaux des commissions d’enquête parlementaires, des progrès sans précédent ont été accomplis : le parc pénitentiaire a été modernisé et sa capacité d’accueil augmentée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) Des établissements pour mineurs ont été créés, le nombre des personnels d'insertion et de probation a été accru, des efforts ont été faits en faveur de la réinsertion. Il nous faudra encore consacrer d'importants moyens à un plan d'accompagnement individualisé. Pour limiter davantage encore la récidive, reste l'impérieuse nécessité de trouver des solutions pour les personnes arrivées en fin de peine, mais toujours dangereuses car refusant de se soigner – on pense notamment aux délinquants sexuels. La systématisation de l'injonction de soins répondra, en partie, à cette nécessité. Mais il nous faudra aller plus loin et développer des « hôpitaux-prisons », sur le modèle néerlandais. Je préconise la création, dans les quinze établissements de ce type prévus d'ici à 2011, d'une unité accueillant les délinquants dangereux atteints de troubles mentaux pendant la durée de leur peine et même au-delà, si leur état le nécessite, sur décision de l'autorité judiciaire, pour une durée limitée et après avis de deux experts. Ainsi répondrait-on sans moyens financiers importants, et très rapidement, aux attentes de nos concitoyens, qui veulent être protégés des prédateurs les plus dangereux, susceptibles de récidiver.

Consensuelle, puisque adoptée à l'unanimité par la commission des lois du Sénat en juin 2006, cette solution pourrait trouver place dans la loi pénitentiaire, texte sur lequel nous comptons pour assurer une salutaire rupture, et pour laver la prison de l'accusation d'être une école de la récidive.

Néanmoins, le projet ne trouvera tout son sens et n'aura d’effet durable que s'il s'accompagne d'un effort considérable de prévention sociale et de suivi socio-judiciaire, car nous ne devons jamais perdre de vue que notre mission est de permettre à ces délinquants de retrouver leur dignité perdue. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Je remercie en premier lieu le président Warsmann et le rapporteur Guy Geoffroy de leur intervention et de leur soutien. Ils ont excellemment rappelé l’exigence d’équilibre qui doit guider la justice : la recherche d’une sanction efficace, mais adaptée à chaque délinquant, dans la tradition juridique de notre pays. Ce projet répond à cette exigence, avec notamment la gradation dans la réponse pénale. Ils ont aussi parfaitement compris l’esprit du texte s’agissant des mineurs : ils doivent être mis face à leurs responsabilités lorsqu’ils violent la loi. La limite leur sera donc clairement rappelée, et la loi appliquée.

Je tiens à rassurer M. Marie-Jeanne. Ce projet n’instaure pas de peines automatiques : il préserve l’individualisation de la peine. D’autre part, le Gouvernement poursuivra son effort immobilier en faveur des prisons. Fin juillet 2007, 80 nouvelles places seront livrées pour le centre pénitentiaire martiniquais de Ducos ; 150 places supplémentaires sont prévues pour 2011.

Je remercie M. Caresche d’avoir rappelé que M. Tournier, chercheur au CNRS, a envisagé plusieurs scenarii, dont l’un selon lequel la loi entraînerait une baisse de 8 500 détenus (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). M. Tournier a publiquement approuvé la décision du Président de la République s’agissant du décret de grâce collective, en estimant que celui-ci ne servait pas la réinsertion.

Monsieur Hunault, je pense comme vous aux victimes, qui ne peuvent comprendre comment une personne condamnée peut à nouveau commettre des faits graves. Je prendrai en compte vos propositions sur les prisons pour préparer le projet de loi pénitentiaire qui sera présenté à l’automne, et dont l’un des objectifs sera de mettre la France en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe. Nous poursuivrons également le programme immobilier : 13 200 places seront créées plus d’ici à 2012.

Je remercie M. Bénisti d’avoir qualifié le texte d’humain, de novateur et de courageux. Nous avons beaucoup travaillé sur le sujet crucial du suivi des mineurs délinquants sous la précédente législature. Nous devons les accompagner lorsqu’ils sortent des établissements pénitentiaires pour mineurs et des centres éducatifs fermés. Cela fera prochainement l’objet d’une instruction aux services déconcentrés. La récidive est bien moindre à la sortie des centres éducatifs fermés, mais personne ne s’occupe de ces mineurs…

M. Jérôme Lambert - On n’a pas les moyens !

M. Alain Néri - Il faut donner des crédits à la PJJ, alors !

Mme la Garde des Sceaux - Nous le ferons.

La réduction du délai moyen d’exécution, déjà passé de 7,2 mois en 2004 à 6,8 en 2005, devra se poursuivre. Les chiffres de 2006 et 2007 sont d’ailleurs encourageants.

Le projet, Monsieur Braouezec, ne remet aucunement en cause les principes fondamentaux de la justice des mineurs – primauté de l’éducatif, atténuation de la responsabilité pénale, juridictions spécialisées.

M. Jérôme Lambert - Il n’y a rien sur l’éducatif !

Mme la Garde des Sceaux - Si : on ne remet pas en cause les mesures éducatives. Je vous renvoie à la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, qui a instauré une palette de mesures dédiées aux mineurs délinquants, adaptées à chaque tranche d’âge. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

Vous avez insisté à juste titre sur la nécessité de consacrer des moyens au suivi des délinquants majeurs ou mineurs. Le budget de la PJJ a augmenté de 29 % entre 2002 et 2007. Le nombre des conseillers d'insertion et de probation a ainsi augmenté de 15 % entre 2006 et 2007, celui des éducateurs de la PJJ de 15 % également, mais entre 2002 et 2006 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Arnaud Montebourg - À l’évidence, cela ne suffit pas !

Mme la Garde des Sceaux - Vous n’aviez pas fait mieux.

Ce texte n’instaure pas de peines automatiques, Monsieur Caresche. Il ne repose sur aucune suspicion à égard des juges : le pouvoir d’appréciation des magistrats est préservé.

M. Julien Dray - Encadré !

Mme la Garde des Sceaux - Il l’est aussi dans d’autres cas.

M. Julien Dray - Là, il est sacrément encadré ! Cela s’appelle la justice en laisse !

Mme la Garde des Sceaux - Vous l'avez souligné à bon escient, Monsieur Fenech, le projet est équilibré car il assure une réponse graduée selon la gravité de l'infraction et le nombre des récidives.

Je tiens comme vous au développement du bracelet électronique mobile. Après l'expérimentation menée en 2006 et 2007, ce dispositif va être généralisé par un décret que je viens de signer et qui sera publié prochainement. Il sera élargi au-delà de la libération conditionnelle.

Monsieur Roman, je ne pense pas qu'il faille opposer répression et prévention. C’est un débat idéologique dépassé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Le texte crée un régime juridique clair adapté à la récidive, et ce n'est pas au détriment des moyens éducatifs.

Comme vous, Monsieur Dupont-Aignan, j'ai conscience des besoins de la justice. Mais il faut aussi moderniser son fonctionnement. J'ai ouvert un grand chantier de développement des nouvelles technologies au sein des juridictions, qui ne sont pour l’instant équipées que d’outils de saisie. À compter du 1er janvier 2008, elles disposeront toutes de matériels de numérisation et de dématérialisation des procédures. Les greffiers pourront ainsi se consacrer à leurs missions essentielles.

Monsieur Mamère, vos propos me paraissent excessifs. Vous parlez de surenchère médiatique : je propose simplement un texte dissuasif qui crée un cadre juridique pour juger les récidivistes.

Vous avez raison, Monsieur Blanc, nous ne pouvons nous résigner à la récidive. C'est l’esprit même de ce projet qui renforcera la préservation de la paix publique.

Monsieur Raimbourg, vous déplorez que les mineurs récidivistes ne fassent pas l'objet d'un traitement spécifique. Tel est justement l'objet du texte, qui adapte la réponse pénale à l'âge et à la nature de l'infraction commise. J’ai d’ailleurs adressé une circulaire d’action publique aux parquets en ce sens.

Madame Fort, votre connaissance du sujet donne un écho particulier à vos propos. Dissuader, c'est prévenir. Prévenir les délinquants clairement de ce qu'ils encourent, c'est prévenir la délinquance.

Madame Batho, je refuse votre constat d'impuissance. Les mineurs comprennent s’ils sont sanctionnés dès la première infraction. S’ils ne le sont pas, ils ne comprennent pas pourquoi ils sont ensuite jugés pour plusieurs affaires.

Mme Delphine Batho - C’est ce que j’ai dit.

M. Bernard Roman - Quels sont les moyens ?

Mme la Garde des Sceaux - La circulaire que j'évoquais est fondée sur un principe simple : à chaque infraction doit répondre une sanction pénale. C'est l'intérêt de ces mineurs comme de notre pays. Vous dites que ce texte ne vise que 300 personnes. Bien sûr, puisque nous n’avions pas jusqu’ici de régime juridique adapté à la récidive.

Monsieur Aeschlimann, je vous rejoins : laisser prospérer la récidive, c'est accepter sa banalisation et nourrir un sentiment d'impunité inacceptable. Je vous remercie de votre soutien.

Monsieur Dray, comment pouvez-vous parler de « spectacle » alors que notre action – lutter contre la délinquance et surtout nous donner les moyens législatifs de sanctionner la récidive – est essentielle. Je m’étonne que vous n’y souscriviez pas !

M. Julien Dray - C’est un spectacle ! Vous ne m’avez pas démontré le contraire !

M. Christian Vanneste - C’est le situationniste qui s’exprime ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ; brouhaha sur tous les bancs)

M. le Président - Un peu de calme, mes chers collègues !

M. Julien Dray - M. Vanneste est un provocateur connu – et même trop connu !

Mme la Garde des Sceaux - C'est bien la droite qui a créé les centres éducatifs fermés en 2002. La gauche avait simplement créé les centres d'éducation renforcés, qui ne permettent que des séjours d'éloignement ponctuels – limités à quatre mois.

Dans les CEF – dont vous reconnaissez maintenant l’utilité –, le travail de réinsertion permet de faire diminuer la récidive. Aujourd’hui au nombre de 29, ils seront près de 50 à la fin de 2008, pour 500 places. J’ai souhaité – et ils sont financés – que cinq d’entre eux soient dédiés à la pédo-psychiatrie.

Je ne néglige pas la voie éducative. Il y a actuellement dans les deux établissements pour mineurs ouverts 16 enseignants et quatre professeurs techniques. Il y aura à terme, dans les 7 EPM, 77 enseignants et 14 professeurs techniques. Éducation et répression peuvent donc aller de pair.

Monsieur Pinte, le délai moyen entre les faits et la condamnation est de 9,8 mois en matière correctionnelle. On peut toujours faire mieux, mais cela ne justifie pas de renoncer à traiter la récidive. La loi du 5 mars a d’ailleurs créé la procédure de présentation immédiate pour les mineurs délinquants.

Monsieur Lambert, vous ne pouvez pas dénoncer un texte d'affichage et le qualifier en même temps de texte liberticide. Il donne un nouvel élan au suivi judiciaire, mesure efficace mais insuffisamment prononcée aujourd’hui.

Monsieur Diefenbacher, je vous remercie de votre hauteur de vue et de votre soutien. C'est en effet un message fort que ce texte adresse aux délinquants d'habitude.

Monsieur Montebourg, il faut des lois pour juger. Comptez sur moi pour ne pas en faire d’inutiles. Mais quand une loi est utile et attendue, je n'entends pas y renoncer au motif que la justice n'oeuvrerait pas avec une célérité suffisante ! Je note d’ailleurs une contradiction dans vos positions : vous appelez de vos vœux la célérité de la justice, mais vous êtes hostile à toute procédure rapide : vous vous êtes ainsi opposé à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) comme à la présentation immédiate des mineurs, en dépit des garanties importantes entourant ces procédures !

M. Arnaud Montebourg - Il faut nous donner des réponses sur les moyens !

Mme la Garde des Sceaux - Le budget des services judiciaires a augmenté de près de 40 % entre 2002 et 2007 – ce qui n’a pas été le cas dans les dix années précédentes. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg - C’est un peu ancien pour justifier vos échecs !

Mme la Garde des Sceaux - J'aurais toutefois préféré que vous parliez du texte : nous ne sommes plus en campagne électorale !

Monsieur Myard, le projet maintient l'alternative classique entre mesures éducatives et sanctions pénales à l'égard des mineurs. L'emprisonnement ne sera donc pas une solution automatique.

Madame Lebranchu, je vous écoutée avec une particulière attention. Je ne partage pas votre jugement sur le « défaitisme » de ce texte. Il s’agit au contraire d’un projet volontariste. Aider les victimes est une priorité – c'est pourquoi j'ai décidé la création d'un juge délégué aux victimes – mais ce n’est pas pour autant que cette loi est une loi de vengeance. C'est simplement une loi dissuasive.

Par contre, nous nous rejoignons sur la nécessité d’une loi pénitentiaire. Vous aviez ouvert le chantier en 2001 et vos travaux, très riches, nous seront très utiles pour l’élaboration du projet de loi qui sera présenté à l’automne. Je vous rends hommage pour ce que vous aviez alors lancé, de même que pour la création des centres de placement immédiat pour mineurs, car ils répondaient à un vrai besoin.

Monsieur Vanneste, vous avez souligné l’action déterminée contre la récidive entreprise depuis trois ans et que vient parachever le présent texte. Vous souhaitez à raison plus de certitude de la peine, une meilleure adaptation du droit aux évolutions de la société et plus de moyens pour la chaîne judiciaire : nous partageons les mêmes objectifs et nous les mettrons en œuvre.

Monsieur Charasse, le projet de loi respecte la convention internationale des droits de l’enfant. Je rappelle que l’ordonnance de 1945 est conforme aux principes internationaux, et ses dispositions vont bien au-delà de cette même convention.

Monsieur Decool, l’application du texte n’aura nullement pour effet une augmentation mécanique de la population carcérale… (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Arnaud Montebourg - Ça, on verra ! (Murmures sur divers bancs)

M. le Président - Merci de laisser la ministre poursuivre.

Mme la Garde des Sceaux - Je vous rejoins quant à la nécessité de promouvoir les solutions alternatives à l’emprisonnement, chaque fois qu’elles sont adaptées. Leur nombre a d’ailleurs augmenté de 12 % entre 2000 et 2005, cependant que celui des aménagements de peine progressait de 30 % en un an…

M. Jérôme Lambert - Ça, ce sont de gros pourcentages sur de très petits volumes !

Mme la Garde des Sceaux - Quant à celui des décisions de placement sous bracelet électronique, il a crû de 59 %.

Merci, Monsieur Goujon, d’avoir rappelé l’importance des hôpitaux en prison. Nous devons mieux traiter les délinquants qui souffrent de maladies mentales, pour éviter qu’ils constituent une menace pour la société. Nous allons créer 709 places en unités spécialement aménagées d’ici à 2011, ce qui me semble répondre à vos attentes légitimes.

Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Serge Blisko - Comme il y avait, au Grand Siècle baroque, des musiques de circonstance, composées notamment par Elgar ou Purcell pour les événements heureux de la cour d'Angleterre, notre Assemblée est aujourd’hui saisie d’un texte de circonstance, pour marquer la pensée judiciaire et pénale du président Sarkozy. On aurait pu dès lors l’espérer plus étayé, moins sommaire et plus réfléchi.

Comme beaucoup l’ont dit, ce projet de loi est marqué par son impréparation et son impuissance à répondre aux besoins urgents de la justice. Nous allons débattre d’un d'affichage, conçu à la hâte pour répondre à une promesse électorale. À preuve, vous n'avez pas jugé bon d'effectuer une étude d'impact. La frénésie législative apparue sous la législature précédente continue. Aucune évaluation de l'existant n'a été conduite, cependant que la plupart des décrets d'application des lois précédentes ne sont toujours pas publiés.

Quoi qu’il en soit, il n’est guère besoin d’études pour savoir que l’application de ce texte aurait un effet désastreux sur l’évolution de la population carcérale, et l’on comprend mal les querelles byzantines qui sont entretenues à ce sujet. Soit le texte vise à faire diminuer la population carcérale, mais je n’ai pas eu l’impression que telle était la tonalité du moment… Soit cette population ne bougera pas, et il est alors inutile ; soit il faut s’attendre, comme toutes les études l’indiquent, à devoir accueillir 10 000 détenus supplémentaires dans les cinq années à venir, alors qu’il y a déjà 10 000 détenus de plus qu’en 2002, et que vous vous êtes tous alarmés – à juste titre – de la montée de la violence interpersonnelle. Dix mille détenus de plus et toujours plus de violence : quelque chose a dû déraper dans la politique de dissuasion lancée en 2002 !

Selon une étude récente, citée par M. Dray, 32 000 places devraient être créées en cinq ans, ce qui porterait la population carcérale à près de 100 000 personnes, la plupart étant accueillies dans des conditions indignes.

L'efficacité du caractère dissuasif des peines plancher laisse songeur. Croyez-vous vraiment qu'une personne qui veut voler une voiture – agissant le plus souvent dans la pulsion de l’instant – renoncera à son acte parce qu’elle aura compris qu’elle encourt une peine de prison de trois ans au lieu de deux ? Qui peut l’imaginer ? Quel délinquant – a fortiori s’il est mineur ou sous l’emprise de drogues – peut être à ce point versé dans le code pénal pour tenir de tels raisonnements ? Le voleur agit parce qu’il pense qu'il ne sera pas pris ; il n'évalue pas, à l'année près, l'emprisonnement qu'il encourt !

M. Daniel Mach - La fois d’après, il y pensera !

M. Serge Blisko - Aux États-Unis, la persistance de la peine de mort n’a pas de caractère dissuasif. Du reste, on sait depuis Beccaria qu’il n’y a pas, en matière pénale, d’exemplarité de la peine. Ce qui pourrait peut-être dissuader le délinquant d’agir, c’est une augmentation significative du taux d’élucidation des affaires. C’est la peur, non pas de prendre trois ans au lieu de deux, mais d’être arrêté. Or le taux d’élucidation demeure insuffisant, faute de techniques policières adaptées. La tranquillité publique en pâtit, en particulier dans certains quartiers.

Parlons aussi du quasi-désert que constitue la réadaptation en prison : pas assez de travail en atelier, de formation – générale et professionnelle –, d’activités socioculturelles, de formation à la citoyenneté, de responsabilisation, d’aménagements des peines en milieu ouvert, de libérations conditionnelles… Parce que vous avez peur et que vous n’avez pas mobilisé les moyens nécessaires à un bon accompagnement des libérations conditionnelles.

En dépit du travail admirable des trop rares juges d’application des peines, l’encadrement reste insuffisant. Les moyens manquent pour la PJJ et les conseillers d’insertion et de probation. Vous annoncez des embauches, mais les personnels en place ploient sous leur charge de travail. Ils nous le disent : chargés de voir tous les détenus à leur arrivée, ils n’ont pas le temps de le faire, ni d’entrer en relation avec les familles.

M. Hunault a eu raison d’y insister : tant qu’on aura des prisons surpeuplées, au point de faire de la France la honte des pays développés pour ce qui concerne la condition pénitentiaire, rien ne pourra s’améliorer. Dans les maisons d'arrêt du Mans, de Bonneville, de Béthune, de Saint-Denis de la Réunion ou de Nouméa, la densité est supérieure à 200 détenus pour 100 places : les gens dorment par terre sur des matelas ! C’est avec ceux-là que vous allez réussir la réinsertion ? Je vous renvoie au débat biaisé qui a eu lieu sur la grâce du 14 juillet ! La situation pénitentiaire est extrêmement tendue.

Vous avez rappelé, Madame la ministre, tout ce qui découle de la mauvaise exécution des peines, en particulier le sentiment d'impunité. Nous nous rejoignons tous sur ce point. Mais est-ce le résultat d'une mauvaise volonté des juges ? Non. Car le vrai problème, et j'y reviendrai, c'est le manque de moyens. La justice fonctionne mal car elle ne dispose pas des moyens humains, financiers et matériels indispensables. Or, vous aviez la possibilité d’y remédier depuis 2002 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Las, que nous annoncez-vous aujourd’hui ? Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux ! Croyez-vous que vous pourrez améliorer la situation en ne recrutant pas massivement des fonctionnaires ? Pensez-vous que votre approche du service public va aider à la résolution des problèmes en suspens ? Au reste, les peines plancher sont récusées par tous les spécialistes qui sont en contact avec la réalité du monde pénitentiaire.

J’en viens à la généralisation de l'injonction de soins, prévue dans les articles 5 à 10 et rajoutée au texte une semaine seulement avant sa discussion au Sénat, ce qui n’est pas sérieux.

Nous savons que la santé – et plus particulièrement la santé mentale – ne fait pas partie des priorités du Président de la République. Sous la législature précédente, pas plus tard qu’au début de cette année, nous avons pu le mesurer avec les revirements successifs de M. Sarkozy au sujet du volet « santé mentale », un temps ajouté au projet de loi contre la délinquance. Devant les critiques très vives suscitées par cet amalgame entre délinquance et santé mentale, ce texte fut incorporé à une ordonnance sans aucun rapport, et finalement censuré par le Conseil constitutionnel. Je constate que nous sommes devant le même cas de figure aujourd'hui : impréparation, absence de concertation et confusion sur ce qui relève ou non de la psychiatrie publique en milieu pénitentiaire.

Je rappelle aussi l'émoi, quand il y a trois mois, M. Sarkozy déclarait que la délinquance sexuelle relevait de la génétique ; je reprends ses termes : « J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions pas soigner cette pathologie. » Passons ! Si nous sommes dans le domaine de la génétique, et donc de l'inné, il n'y a pas grand-chose à faire. Alors, bien sûr, il y a notre collègue très répressif Philippe Goujon, qui avec l’aide de son détecteur numéro un, M. Bénisti, voudrait enfermer dès leur plus jeune âge les pédophiles en puissance dans un établissement dont ils ne sortiraient jamais… (Murmures)

À présent, nous tombons dans l'excès inverse : le médical est la réponse à tout et l’on va généraliser l'injonction de soins. Arrêtez donc de simplifier et entrons dans le détail. Mais a-t-on seulement ouvert le débat public sur la réalité de la psychiatrie pénitentiaire ? Pouvez-vous, Madame la ministre, nous informer de la teneur de vos entretiens avec le secteur psychiatrique ? Avec les médecins experts ? Avec les médecins coordonnateurs ? Je pense connaître la réponse : vous n'avez consulté personne. Au mieux, certains médecins psychiatres ont été reçus au ministère de la santé. Vous ne disposez d’aucune donnée scientifique ni d’aucun bilan de l’application de la loi Guigou de 1998.

Le projet de loi propose une psychiatrisation de la justice. Le taux de pathologies psychiatriques est certes vingt fois plus élevé en prison que dans la population en général, et il faut partir de là ; mais cela exige un effort intellectuel important, plus exigeant que les effets de tribune ! Manifestement, le champ d'application de l'injonction de soins tel que vous l’avez finalement introduite est beaucoup trop large : « homicides, tous crimes ou délits sexuels, enlèvements et séquestrations, pédopornographie, corruption de mineurs,... », autant de situations très différentes. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Un délit sexuel par exemple n’est pas du tout de même nature lorsqu’il est commis à l’issue d’un raid prédateur, si j’ose l’expression, organisé par des mineurs ou dans le cadre conjugal. Et êtes-vous certains que l’auteur d’un enlèvement et d’une séquestration peut faire l’objet d’un quelconque suivi thérapeutique ? Moi, je l’ignore. Quant à la corruption de mineurs, incrimination très rare, appelle-t-elle une injonction de soins ? Je suis atterré par une telle confusion, qui traduit une profonde méconnaissance de la psychiatrie. En réalité, votre définition du champ de l’injonction de soins vise d’abord ce qui effraie, à juste titre, l’opinion publique, mais ne relève pas nécessairement d’une action thérapeutique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

La Fédération française de psychiatrie, fortement opposée à ce projet de loi, rappelle que moins d’un homicide sur vingt et moins d’une agression sexuelle sur cinquante sont commis par un malade mental. Le danger est dès lors de traiter la plupart des délinquants comme des malades mentaux alors que leur acte a des origines psychologiques, sociales, circonstancielles comme la prise de toxiques, mais n’est pas imputable à une maladie mentale. Il faut en finir avec cette vision simpliste qui consiste à tenir pour aliéné celui qui commet un acte fou – par quoi le sens commun entend un acte s’écartant de la norme, laquelle a beaucoup varié selon les siècles et les civilisations.

Vous vous centrez exclusivement sur ce que le délinquant a fait et non sur ce qu’il est. C’est là une profonde erreur. Tout acte qualifié d’anormal ne relève pas de la psychiatrie. La Fédération française de psychiatrie, toujours elle, rappelle « qu’une prise en charge thérapeutique ne saurait se concevoir pour l’ensemble des troubles du comportement ». Vous ne pouvez ainsi vous décharger sur la médecine et la psychiatrie de tous les comportements déviants. Et surtout vous ne pouvez pas prétendre que le principal moyen de prévenir les crimes et délits réside dans les soins, car il y aura toujours des personnes soignées durant des années susceptibles de recommencer.

Dans une récente étude sur l’expertise psychiatrique pénale, le docteur Cyril Manzanera note fort justement que, s’agissant de l’évaluation de la dangerosité, « la justice d’une société contemporaine portée par ses peurs devant l’insécurité sollicite l’expert bien au-delà de sa compétence de psychiatre en lui demandant d’élargir son approche et de faire une analyse psycho-criminologique, en oubliant que la criminologie est par essence multidisciplinaire, associant notamment un regard social, environnemental et culturel, sans parler de l’ouverture indispensable au droit pénal et à la pénologie ». On demande à l’expert-psychiatre de se prononcer sur le risque que présente un individu de récidiver. Or, il ne peut que poser un diagnostic à un moment donné, en aucun cas prédire le futur, ce qui ne relève pas de sa fonction.

Les attentes de la société à l’égard de la psychiatrie sont fortes, trop fortes. Que faire pour celui qui ne relève pas d’elle ou celui qui refuse de se soigner ? Un consentement aux soins « arraché » aux condamnés sera contre-productif. C’est là confondre dangereusement sanction et soins. Dans de nombreux cas, ne nous leurrons pas, les soins seront subis par des condamnés sans réelle volonté de se soigner ou qui dissimuleront à seule fin de voir leur peine réduite ou aménagée, ce qui ne pourra que conduire à l’échec de leur traitement.

Il conviendrait de revenir aux fondamentaux, si j’ose dire, et de bien distinguer le processus judiciaire du processus thérapeutique. Beaucoup de mes collègues ont insisté avant moi sur le manque de moyens de la justice et de la psychiatrie. Le rapporteur lui-même souligne dans son rapport que le principal obstacle aux mesures de suivi socio-judiciaire tient, dans certains départements, à la pénurie de psychiatres, en particulier formés au traitement des délinquants sexuels, et à la difficulté de désigner un médecin coordonnateur. Ce texte ne pourra pas être appliqué, faute de moyens. L’association nationale des juges d’application des peines dénombre cent médecins coordonnateurs, quand vous en comptez, vous, Madame la ministre, deux cents. Où sont passés les cent de différence ? Devant la pénurie générale de médecins dans certaines zones, vous aurez bien du mal à lancer le « plan ambitieux » promis d’ici à mars 2008, d’autant qu’aucune ligne budgétaire correspondante n’a été ouverte. Vous élargissez le champ de l’injonction thérapeutique, sans avoir ne serait-ce que les moyens d’appliquer la législation existante en ce domaine, à savoir la loi Guigou du 17 juin 1998. Nous serons très vigilants sur ce point.

Une loi de 1954 faisait déjà obligation aux personnes en état d’ivresse de se soigner -si elles ne se soumettaient pas à un sevrage très sévère, on pouvait leur retirer leur permis de conduire, ce qui était une très lourde sanction. C’est la loi de 1970 relative à la toxicomanie qui la première a invoqué l’« injonction thérapeutique ». Si ces deux lois ont pu être convenablement appliquées au début et permis des résultats, c’est qu’on y avait mis les moyens. Mais, au fil des ans, faute de personnels, faute de crédits, faute de lieux, faute d’évaluation, et, il faut le concéder, devant l’afflux de demandes, ces deux textes sont tombés en désuétude. Il eût été utile d’en dresser le bilan et d’analyser pourquoi ils avaient cessé de fonctionner.

En conclusion (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), nous aurions souhaité une approche plus qualitative que quantitative. En réalité, seul compte pour vous l’effet d’affichage. Vous voulez remplir les prisons, accroître les durées de détention, bref « faire du chiffre ». C’est une tentation gouvernementale permanente depuis 2002 et lorsque les chiffres ne répondent pas à vos attentes, vous présentez une nouvelle loi, dont vous prétendez à chaque fois qu’elle permettra enfin de rassurer la population, en contraignant les délinquants à retourner dans le droit chemin. Or, vous savez pertinemment que le taux de récidive n’est pas lié à la loi, mais varie très fortement selon l’âge, la formation, le milieu social de la personne, son passé judiciaire et les conditions de sa sortie de prison, en particulier l’existence ou non d’une insertion professionnelle. En cela, le travail des conseillers d’insertion et de probation est fondamental.

Les personnes incarcérées appartiennent de plus en plus à une population jeune, marginalisée, pauvre, socialement, économiquement et culturellement désinsérée. Pourtant, ce projet de loi ne fait aucune place à la prévention. Quant à votre refus de rendre obligatoire une enquête de personnalité dans certaines affaires pour les récidivistes, il montre bien le peu de cas que vous faites de l’individualisation des peines. Ce n’est que votre crainte du juge constitutionnel qui vous a en fait réaffirmer le principe.

C’est en raison de l’impréparation de ce texte, de l’insuffisante concertation préalable dont il a fait l’objet, du manque de moyens prévus mais aussi pour des questions de fond, comme la confusion opérée entre la médecine, la psychiatrie et la justice, que le groupe socialiste demande le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Comme beaucoup ici, j’ai un respect sincère pour les compétences de M. Blisko, mais il se méprend. Le Gouvernement n’a aucune intention de médicaliser la réponse pénale à l’égard des récidivistes. Nous vous l’avons d’ailleurs dit en commission lors de l’examen de tous les amendements de suppression des articles 5 à 9, qui attestent au contraire d’une volonté à la fois de réprimer, dans certains cas, plus sévèrement la récidive, mais aussi de mieux la prévenir. L’essentiel pour cela, on le sait, est d’éviter les sorties sèches de prison. Les articles 5 à 9 précisément prévoient que l’injonction de soins peut s’articuler avec une libération conditionnelle, un sursis avec mise à l’épreuve, un contrôle judiciaire, un aménagement de peine.

Il y a donc un cadre : c’est une expertise préliminaire à la décision du juge, qui peut ne pas prononcer d’injonction thérapeutique, même si l’expertise y incline. En outre, un amendement adopté au Sénat prévoit qu’en cas de refus du justiciable d’accepter les soins, le juge peut considérer que d’autres circonstances attestent que ce refus n’est pas suffisant pour priver ce justiciable des droits auxquels il peut prétendre. Ce que vous avez dit, Monsieur Blisko, pour pertinent que ce soit, est donc très éloigné de la philosophie, comme de la lettre, de ce texte.

Si vous avez abondamment cité le rapport, vous avez toutefois omis les passages qui montrent bien que nous voulons que l’État dégage des moyens suffisants pour l’application des articles 5 à 9. D’ores et déjà, le Gouvernement s’est engagé à porter à 500, contre 202 aujourd’hui, le nombre de médecins coordonnateurs. Sans de tels moyens, le texte perdra en effet de sa substance, mais je fais confiance au Gouvernement, et c’est pourquoi je ne suis pas favorable à un renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Hunault - Le Nouveau centre s’oppose à un renvoi en commission. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) J’ai écouté attentivement M. Blisko, et je constate qu’il n’a pas prononcé une seule fois le mot « victime ». (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Or, je crois que les victimes sont au cœur de ce projet.

Il a contesté ce qu’on apprend à la faculté de droit, à savoir que la peine est dissuasive. Au contraire, ce texte est un signal, pour dire « assez ! » à la récidive. Monsieur Blisko, j’ai cru un moment que vous étiez le porte-parole de la fédération de la psychiatrie. Tel n’est pas le rôle du législateur, à qui il incombe bien plutôt de trouver les meilleures solutions contre la récidive, pour faire face à cette situation inadmissible qu’est l’augmentation de la délinquance du fait d’un sentiment d’impunité.

La Garde des Sceaux, tant en commission que lors de la discussion générale, a laissé ouverte la possibilité d’améliorer le texte par amendements. Tenons-en compte. Monsieur Blisko, vous avez posé de vraies questions sur la prison, qui est peut-être en elle-même un facteur de récidive pour ceux qui en sortent, mais la réponse n’est pas le renvoi du texte en commission ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP)

M. Christophe Caresche - Monsieur Hunault, ce texte n’est pas un progrès pour les victimes, car il restreint les capacités d’appréciation du juge au moment du prononcé de la peine. Dans la plupart des cas, le juge prononcera la peine plancher. Si vous appelez cela un progrès pour les victimes, nous n’avons pas la même conception de leurs droits !

Ce texte a été élaboré dans la précipitation, et de nombreux points restent flous. Par exemple, la notion de nouvelle récidive n’est pas suffisamment claire : on ne sait pas si elle s’applique à un même crime ou délit, ou bien à tout type d’infraction. Cela montre que le texte prête à confusion.

Le fait que les conséquences de ce texte n’aient pas été évaluées représente également un problème majeur. Il ne s’agit pas de mettre en cause l’excellent travail de M. Tournier, mais lorsque vous avez comme scénarios possibles, soit une diminution de 8 000 du nombre des détenus, soit une augmentation de 10 000, c’est bien que l’évaluation admet les interprétations les plus opposées, qu’elle ne permet dès lors en aucun cas de légiférer sereinement. Madame la Garde des Sceaux, vous aurez, dans les mois qui viennent, à gérer les problèmes que va créer votre texte, et vous comprendrez alors que la responsabilité, aujourd’hui, commande de renvoyer ce texte en commission, pour prendre le temps de l’étudier davantage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Noël Mamère - Je ne suis pas du tout de l’avis de M. Hunault, car il s’agit d’un texte déraisonnable et dangereux.

M. Daniel Mach - C’est vous qui êtes dangereux !

M. Noël Mamère - J’attends que l’on m’expose en quoi il serait logique d’infliger à qui commet un vol dans un RER en troisième infraction une peine plus lourde qu’à celui qui commet un meurtre en première infraction.

M. Daniel Mach - N’importe quoi !

M. Noël Mamère - J’attends qu’on m’explique pourquoi on applique à des mineurs des dispositions applicables aux majeurs, et pourquoi on remet en cause le travail de plus d’un demi-siècle de la justice des mineurs. Il s’agit en fait d’un texte idéologique, qui va criminaliser toute une partie de la jeunesse de notre pays.

M. Daniel Mach - Qui va protéger nos concitoyens !

M. Noël Mamère - D’autres dispositions ont été prises sous la précédente législature, telle la création de centres fermés.

M. Yves Bur - Excellente mesure !

M. Noël Mamère - Il faut arrêter de duper la population française en essayant d’expliquer que les centres fermés sont formidables. Alors que Paris et la région parisienne comptent douze millions d’habitants, il ne s’y trouve qu’un seul centre fermé, qui accueille en tout et pour tout six mineurs !

Nous savons bien que la réponse à la délinquance des mineurs n’est pas d’augmenter la répression : c’est de lutter contre ce qui mine notre société, les ghettos, le chômage, les familles éclatées, les discriminations de toutes sortes…

En outre, on est en train d’essayer de « psychiatriser » la récidive, et de procéder à un amalgame dangereux entre délinquance et pathologie. On essaie de faire croire, dans le droit fil des propos tenus par le Président de la République pendant la campagne électorale, qu’il y aurait une prédestination psychiatrique à la délinquance sexuelle ou au crime. Or, l’injonction de soins, qui a été introduite dans notre droit par une loi de 1998, sans être jamais évaluée et a été étendue en 2005 au suivi socio-judiciaire, prive le juge de toute capacité d’appréciation, car c’est l’expert psychiatrique qui décide à sa place, ce qui est inacceptable.

Nous ferions bien, de temps en temps, de regarder au-delà de nos frontières. L’Allemagne procède d’une manière exactement opposée à ce que veut imposer ce gouvernement 100 % conservateur,…

M. Daniel Mach - Et 100 % élu !

M. Noël Mamère - …puisqu’elle applique aux majeurs de 18 à 20 ans le régime pénal des mineurs. Les problèmes de délinquance sont identiques en Allemagne et en France, et pourtant les prisons de notre voisin ne sont pas engorgées comme les nôtres. Le problème de notre pays, c’est que les détenus n’y sont pas considérés comme des citoyens ; ce n’est pas l’opposition qui le dit, mais le président Canivet. C’est dans ce sens que nous devons nous battre, si nous voulons rétablir la citoyenneté à tous les étages de la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Jacques-Alain Bénisti - Monsieur Blisko, vous avez commencé par dire que nous allions, en adoptant ce texte, tenir une promesse électorale. Il faudra vous y habituer : mettez une cassette en route, parce que chaque texte qui viendra sera une promesse tenue ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Vous avez dit ensuite que les décrets des précédentes lois n’étaient pas encore publiés. Je vous signale qu’un certain nombre l’ont été, mais que, pour ce qui est de la loi de mars dernier que vous avez prise comme exemple, il est naturellement un peu trop tôt pour que tous le soient.

Par ailleurs, au cas où vous ne le sauriez pas, apprenez qu’un vol de véhicule est généralement un acte réfléchi, prémédité. Et la préméditation, en matière pénale, est sanctionnée !

J’en viens à votre souhait de changer les techniques policières. Votre proposition ravira sans doute les intéressés, mais quel est le rapport avec la récidive ?

Lorsque vous dénoncez le manque de formation professionnelle dont pâtiraient les délinquants, vous oubliez également l’essentiel : les multirécidivistes ont avant tout besoin d’une reconstruction psychologique et sociale.

Quant à la prétendue absence de concertation sur ce texte, faut-il vous rappeler que les textes adoptés en matière de sécurité au cours de la précédente législature ont été précédés de centaines d’auditions de professionnels ?

Il me semble aussi que vous confondez la détection précoce dans un cadre psychiatrique avec l’injonction thérapeutique à destination des délinquants sexuels et des personnes qui dépendent de la drogue. Vous assimilez à tort le rapport relatif à la prévention de la délinquance avec celui de l’INSERM, qui préconisait effectivement un dépistage systématique dès l’âge de trois ans. Tous les pédopsychiatres reconnaissent que l’éducation d’un enfant se joue avant l’âge de trois ans et que les troubles du comportement doivent être traités avant six ans. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

S’agissant du refus de soins, le texte est parfaitement clair : il faut effectivement traiter les troubles du comportement par des soins psychiatriques. Si l’application de cette mesure est reportée à mars 2008, c’est pour laisser le temps de recruter suffisamment de professionnels.

M. Alain Cacheux - C’est laborieux !

M. Jacques-Alain Bénisti - Je regrette enfin que vous ayez centré vos propos sur les textes déjà adoptés et sur la future loi pénitentiaire. Il aurait fallu parler de la loi aujourd’hui inscrite à l’ordre du jour !

Pour toutes ces raisons, la majorité rejettera votre motion de renvoi en commission. Nous nous reverrons certes en commission, mais au mois d’octobre, pour le prochain projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Arnaud Montebourg - Rappel au règlement sur le fondement de l’article 58, alinéa 1er. Il n’aura échappé à personne que ce débat nous renvoie aux questions budgétaires… Contrairement à la ministre de l’économie, la Garde des Sceaux a bien volontiers répondu à nos questions et je l’en remercie, mais je m’interroge : en quelques minutes, ce ne sont pas moins de 13 200 places de prisons qui viennent d’être annoncées, pour un coût d’au moins 500 millions d’euros, et même d’un milliard avec la création de 21 nouveaux centres fermés.

M. le président de la commission des lois - Ce n’est pas un rappel au Règlement.

M. Arnaud Montebourg - La création de 700 places supplémentaires en unités hospitalières devrait porter la facture à 1,5 milliard. Je rappelle que le précédent garde des sceaux avait pris un engagement similaire, mais sans parvenir à trouver le moindre euro pour financer cette mesure…

À cela s’ajoute enfin l’instauration de délégués aux victimes, alors que le nombre de places à l’ENM diminue. Il va falloir un véritable miracle budgétaire !

M. le Président - Quel est le rapport avec le déroulement de la séance ?

M. Arnaud Montebourg - C’est une question de méthode ! La majorité a amputé, hier soir, le budget de l’État de quelque 13 milliards, et dans le temps vous voudriez augmenter les dépenses de la justice de plus d’un milliard et demi. Comment est-ce possible ?

M. le Président - J’appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Sénat.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. Noël Mamère - L’adoption de l’amendement 95 ne coûtera pas un million de plus… (Sourires) Nous demandons seulement au Gouvernement de présenter chaque année un rapport sur la situation dans les établissements pénitentiaires et sur les mesures d’insertion en faveur des détenus.

Notre pays a en effet été épinglé par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, et nous ne respectons pas la convention internationale sur les droits de l’enfant, pourtant ratifiée par notre pays. Alors que la situation n’a jamais été aussi tendue dans nos prisons depuis 1945, ce projet de loi va augmenter le nombre de prisonniers. Vous allez mettre le feu aux poudres ! Comment ferez-vous face à une nouvelle augmentation de la surpopulation carcérale ?

En demandant la présentation d’un rapport annuel, nous souhaitons que Mme la Garde des Sceaux s’engage sur les orientations de la politique pénitentiaire. Il ne lui suffira pas de s’abriter derrière la future loi pénitentiaire. Nous voulons dès maintenant des réponses claires, qui n’engagent pas seulement ceux qui les écoutent…

M. Michel Hunault - La situation dans nos prisons doit faire l’objet d’un consensus, quelles que soient nos divergences. Souvenons-nous en effet de la mission présidée par Laurent Fabius, puis par Louis Mermaz, dont le rapport avait été adopté à l’unanimité. Nous avons tous dénoncé, au cours de la précédente législature, l’état de nos prisons. Or, ce texte va augmenter la surpopulation carcérale. Il y a pourtant déjà 61 000 détenus pour 48 500 places théoriquement disponibles…

Par l’amendement 96, nous demandons à notre tour que le Gouvernement présente un rapport annuel sur la politique pénitentiaire. Vous vous êtes engagée, Madame la Garde des Sceaux, à créer un contrôleur des prisons et à nous soumettre une loi pénitentiaire. Pouvez-vous le confirmer et vous engager à associer aux travaux à venir tous les groupes parlementaires ?

Nous souhaitons que la personne humaine soit replacée au centre de la logique carcérale afin que la seule sanction soit la privation de libertés, et non les privations permanentes constatées dans toutes nos prisons. Ne laissons pas non plus de côté les mesures de réhabilitation et de réinsertion, indispensables pour lutter contre la récidive et éviter les sorties « sèches ». Voilà les priorités autour desquelles nous saurons, je l’espère, nous retrouver.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - La commission a rejeté les amendements 95 et 96, mais elle vous suit bien volontiers s’agissant du constat et des voies que nous devons explorer pour sortir de la situation actuelle. Il n’est pas de plus grande cause que celle de la dignité humaine, y compris des personnes incarcérées. La privation de liberté doit effectivement être la seule peine infligée. Cela suffit bien !

La question que vous abordez est au cœur du texte qui nous sera présenté à l’automne. Pour éviter toute redondance et sous réserve de l’avis du Gouvernement, la commission vous propose donc de retirer vos amendements.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement aussi, qui vous présentera prochainement deux textes : la loi pénitentiaire d’une part, et le texte instituant un contrôleur indépendant des conditions de vie et de travail dans les prisons, lequel sera tenu de remettre un rapport annuel au Président de la République et au Parlement.

L'amendement 96 est retiré.

M. Manuel Valls - Le débat que nous avons est sympathique, mais il ignore l’essentiel : le nombre de détenus. Le Gouvernement fait le pari que les peines plancher dissuaderont les auteurs de crimes ou délits de récidiver. Si c’est le cas, la loi n’aura pas même à être appliquée, puisque l’unique menace qu’elle contient sera assez dissuasive pour entraîner une diminution de la population carcérale – de l’ordre de huit mille personnes, selon l’estimation abondamment citée de M. Tournier, mais à laquelle lui-même dit ne guère croire. Mais ce ne sera pas le cas, nous dit-il aussi. D’ailleurs, tout en instituant ces peines plancher, vous prévoyez d’accroître le parc pénitentiaire : vous savez donc pertinemment que la surpopulation carcérale va s’aggraver.

Voilà ce qu’il faut étudier très précisément – c’était l’objet du renvoi en commission. Permettez-moi donc une question très précise, Madame la Garde des Sceaux : pouvez-vous nous faire part du nombre de personnes écrouées au 1er juillet 2007 ? Nous en avons besoin pour lever toute confusion sur les intentions de ce texte.

L'amendement 95, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. PREMIER

M. Dominique Raimbourg - Le quantum moyen des peines d’emprisonnement prononcées en cas de récidive est de treize à quinze ans. Ainsi, les peines plancher ne sont pas seulement susceptibles d’inconstitutionnalité, mais elles sont aussi inutiles, puisque les juges prononcent déjà des peines qui leur sont supérieures. Votre texte va donc à l’encontre du principe d’individualisation des peines, mais aussi à l’encontre de la pratique des tribunaux, déjà très sévères en matière de récidive.

M. Christophe Caresche - C’est exact : en matière criminelle, l’article premier n’aura strictement aucun effet, puisque les peines plancher sont inférieures aux peines actuellement prononcées. De plus, aux assises, aucune question concernant l’application des peines plancher ne pourra être posée lors du délibéré à la cour et au jury : l’article ne sera donc pas contraignant pour eux – preuve qu’il n’est qu’une simple déclaration d’intention.

Ensuite, la notion de nouvelle récidive pose problème : s’applique-t-elle à l’état de récidive – quel que soit le crime – ou à un même crime commis à nouveau ? La confusion est importante, car il ne s’agit pas de la même population : en cas d’interprétation extensive, la nouvelle récidive concernera des délinquants qui ont commis des crimes de nature différente.

Enfin, l’article 132-8 du code pénal ne prévoit que deux peines en cas de récidive : un emprisonnement de trente ans ou la perpétuité. Or, vous prévoyez des peines plancher pour des crimes qui ne sont punis que de quinze ou vingt ans de réclusion. Elles risquent donc de s’appliquer à des délinquants non récidivistes : voilà une autre confusion à préciser.

En tout état de cause, l’article premier est de pur affichage et n’aura aucune portée normative.

M. Arnaud Montebourg - En cinq ans, le surcroît de peines d’emprisonnement ferme a dépassé 17 000, et le taux d’occupation des prisons atteint parfois 200 %. Il y a 50 000 places dans nos prisons pour 63 000 écrous. Cette année, il n’y a eu ni grâce, ni amnistie, ni libération conditionnelle. Le Premier ministre – a-t-il seulement envie de le rester ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) – a même déclaré aujourd’hui que s’il fallait construire des prisons, on en construirait…

Quelle situation pénitentiaire nous préparez-vous donc ? Combien de prisons pour quel budget ? Répondez-nous ! M. Valls vous a demandé combien de personnes étaient écrouées au 1er juillet : qu’en est-il ? Allons-nous vers un schéma à l’américaine, où l’équivalent d’une ville de deux millions d’habitants vit en prison ?

C’est un choix possible, mais un choix qui n’a pas fait reculer la violence aux États-Unis. (« C’est faux ! »sur les bancs du groupe UMP) Mutatis mutandis, adopter la même politique en France conduirait à incarcérer 400 000 personnes, ce qui coûterait 12 milliards d’euros, rien qu’en investissement, sans compter le fonctionnment !

M. Georges Fenech - Nous n’y sommes pas !

M. Arnaud Montebourg - Peut-être, mais des projections nous sont nécessaires, Madame la Garde des Sceaux, car en termes budgétaires l’épure est incohérente, et sur le plan législatif nous savons que les peines prononcées ne seront pas exécutées faute de places en nombre suffisant dans les prisons.

M. Noël Mamère - Par l’amendement 17, nous proposons la suppression de l’article. La mesure nous est présentée comme devant avoir un effet dissuasif. Or, il a été mis fin en 2001 aux expériences semblables conduites depuis 1997 dans les Territoires du Nord de l’Australie en raison des nombreux suicides enregistrés en prison et de l’engorgement des établissements pénitentiaires. On sait aussi que la Grande-Bretagne est en passe d’abandonner ce système et, pour apprécier exactement la situation américaine, il faut, Monsieur Fenech, lire les études qui la décrivent dans toute sa crudité : aux États-Unis, où l’on a décidé de criminaliser une partie de la population, huit Noirs sont emprisonnés pour un Blanc et, comme l’a rappelé mon collègue Montebourg, bien que deux millions de personnes soient incarcérées, on ne sache pas que la violence y ait diminué ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

L’article pose un autre problème, de principe. Contrairement à ce qui avait été annoncé pendant la campagne électorale, les peines plancher ne sont pas réservées aux seuls actes de violence : elles sont prévues pour s’appliquer aussi en cas de vol ou d’abus de confiance. Ainsi, un vol simple commis dans le métro et qui constituerait une troisième infraction serait beaucoup plus durement puni qu’un premier crime ! De plus, à l’opposé de ce qui se passe en Allemagne, où c’est le droit des mineurs qui s’applique aux majeurs de 18 à 20 ans et non l’inverse, on appliquerait aux mineurs les mesures prévues pour les majeurs ! Enfin, la peine serait prononcée indépendamment du préjudice causé, et donc de la gravité des faits commis. L’article doit être supprimé, et Mme la ministre doit nous donner des informations sur la situation dans les prisons françaises au 1er juillet 2007. Sans chiffres pour éclairer le débat, on ne peut discuter un texte aussi lourd de conséquences.

M. Michel Vaxès - Les statistiques de la chancellerie prouvant qu’en ce qui concerne la récidive en matière criminelle, ce dont nous traitons, les magistrats, loin de prononcer des peines trop légères, prononcent des peines dont le quantum moyen est toujours plus élevé que les peines plancher, cet article est de pur affichage. Quelle est son utilité, d’autant que toutes les expériences étrangères montrent que le durcissement des peines n’a pas d’effet dissuasif ? Je rappelle au passage que l’argument de la dissuasion est celui qu’emploient volontiers les partisans de la peine de mort. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) L’amendement 36 a donc pour objet de supprimer l’article.

M. le Rapporteur - La commission a exprimé un avis défavorable sur ces amendements de suppression. En premier lieu, et contrairement à ce qui a été dit, le dispositif n’enfreint pas le principe de l’individualisation des peines, puisque le juge pourra toujours prononcer une peine inférieure à la peine plancher. S’agissant du quantum des peines prononcées jusqu’à présent, j’observe que l’on a parlé de « quantum moyen », ce qui signifie en creux que si certaines peines ont effectivement dépassé les peines plancher, d’autres ont été inférieures. J’ajoute que l’objectif du texte est la certitude de la peine et non le prononcé de peines plus lourdes. D’autre part, l’article 132-18 du code pénal prévoit déjà des peines minimales applicables pour tout premier crime. Je tiens enfin à préciser que l’excuse de minorité jouera toujours pour la première infraction et la première récidive ; ce n’est qu’à la deuxième récidive qu’il n’y aura plus atténuation de la responsabilité pénale.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable.

Mme Marylise Lebranchu - Le rapporteur n’a pas répondu à nos questions. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Si les prisons françaises comptent, depuis quelques années, 11 000 détenus supplémentaires, n’est-ce pas que les juridictions ont été sévères ? Mais, dans le même temps, nous constatons tous que la violence augmente. Si l’on incarcère à tout va et que les atteintes aux personnes se multiplient, qu’a-t-on gagné ? La question mérite d’être posée quand on connaît la situation des prisons – et les parlementaires qui les ont visitées savent de quoi je parle. Bref, soit l’augmentation des incarcérations est sans effet, soit, parce qu’elles ont lieu dans de mauvaises conditions, elles ont un effet criminogène mais, dans tous les cas, il y a quelque chose de pourri au royaume de France. Aussi, la loi pénitentiaire ne doit pas seulement viser à créer de nouvelles places de prison, même si ces places supplémentaires sont indispensables pour restaurer la dignité des personnes incarcérées ; elle doit conduire à s’interroger sur le bien fondé de l’incarcération dans un pays qui est parmi les plus répressifs et qui, malgré cela voit se multiplier les atteintes aux personnes. C’est une question qui nous est posée à tous.

Les peines plancher n’auront sans doute guère d’effet. Souvenez-vous, lorsque nous avons voulu diminuer le nombre des détentions provisoires avec la loi sur la présomption d’innocence – que vous avez votée…

M. le Président de la commission – Nous ne l’avons pas votée ici.

Mme Marylise Lebranchu – Soit, mais elle l’a été au Sénat par certains membres de l’UMP. Quoi qu’il en soit, le nombre des détentions provisoires a enregistré une très forte diminution dans les huit mois qui ont précédé l’entrée en vigueur de la loi. Les magistrats ne sont donc pas insensibles aux messages qui leur sont adressés. Mais à la suite du drame de l’affaire Bonnal, le nombre de ces détentions provisoires a de nouveau augmenté. Il aurait été intéressant de discuter de tout cela avec les magistrats. Je reste en tout cas persuadée que l’incarcération n’a servi à rien pour enrayer l’augmentation des violences faites aux personnes.

Les amendements 17 et 36, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur – Le Sénat a inséré aux articles 1er et 2, à l’initiative de Robert Badinter, une disposition très importante qui rappelle que pour les mineurs, seules les sanctions pénales prononcées par le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs sont prises en compte pour l’établissement de l’état de récidive légale. Il nous a semblé que cette disposition trouverait mieux sa place dans l’ordonnance de 1945, c’est-à-dire à l’article 3. L’amendement 1 vise donc à la supprimer à l’article 1er – l’amendement 2 faisant de même à l’article 2, ce qui nous permettra dans le même temps de rectifier une erreur de rédaction. L’essentiel est que la disposition proposée par Robert Badinter soit bien reprise, et qu’elle le soit à sa juste place.

L'amendement 1, adopté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Noël Mamère - L’amendement 18 est défendu.

M. le Rapporteur – Favorable.

Mme la Garde des Sceaux  Même avis.

M. Arnaud Montebourg - Il n’a échappé à personne que des questions ont été posées au Gouvernement. Celui-ci reste muet. Ces questions sérieuses appellent pourtant des réponses précises. Nous n’avons pas l’intention de l’accepter : si nous n’avons pas de réponse, nous prendrons les moyens qui s’imposent pour convaincre Mme la ministre de consulter son entourage.

L'amendement 18, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère - L’amendement 19 est défendu.

L'amendement 19, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Hunault - L’amendement 49 est défendu.

L'amendement 49, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christophe Caresche - Notre amendement 88 rectifié a le même objet. Je renouvelle tout d’abord ma question. Le texte, qui parle de « crime commis une nouvelle fois en état de récidive légale » me semble prêter à confusion. S’agit-il d’un troisième ou d’un quatrième acte ?

Mme la Garde des Sceaux  D’un troisième.

M. Christophe Caresche - Ce n’est pas si clair ! L’amendement que nous proposons, déposé au Sénat par M. Zochetto, vise à élargir la capacité du juge à déroger en cas de nouvelle récidive. Le texte prévoit que lors de la première récidive, le juge peut déroger en raison de la personnalité, des circonstances de l’infraction ou des capacités de réinsertion du prévenu. Mais en cas de nouvelle récidive, il ne peut déroger que s’il existe des capacités de réinsertion. Autrement dit, il ne peut plus tenir compte de la personnalité et des circonstances de l’infraction. Il n’aura donc pas la capacité de déroger - ne serait-ce que parce que dans la plupart des cas, les prévenus ne présenteront pas ces garanties de réinsertion – et sera par conséquent tenu d’appliquer la peine plancher. La rédaction du texte fait échec, dans les faits, à l’individualisation de la peine – et il faudra que le Conseil constitutionnel se prononce sur ce point.

Vous vous appuyez, pour repousser cet amendement, sur un argument spécieux : vous considérez qu’en cas de nouvelle récidive, la personnalité de l’auteur de l’infraction serait en quelque sorte contenue dans l’acte de nouvelle récidive. Mais c’est au juge de d’apprécier ! Il y a donc bien dans votre texte, que vous le vouliez ou non, une forme de suspicion à l’endroit des magistrats.

M. le Rapporteur – On parle de première récidive lorsqu’une première infraction – premier élément - est suivie d’une deuxième – deuxième élément, qui peut être soit le même crime ou délit, soit un crime ou délit assimilé. La deuxième récidive a comme premier élément la première récidive et comme deuxième élément la troisième infraction. Le texte vise donc, pour répondre à votre question, la troisième infraction.

M. Christophe Caresche - Ce n’est pas ce qui est écrit ! La rédaction n’est pas claire !

M. le Rapporteur – Si ! Je vous renvoie à la page 70 du rapport : « On parle de nouvelle récidive légale lorsqu’une personne commet une troisième infraction qui constitue le deuxième terme d’une récidive dont le premier terme est aussi le second terme d’une première récidive. » Cela peut paraître compliqué, mais c’est très simple !

J’en viens à votre amendement. Nous ne pouvons pas – et ne voulons pas – considérer la deuxième récidive comme la première. Assurer à l’auteur d’une infraction qu’il sera traité de la même manière - voire qu’il se verra infliger la même sanction – que pour la première récidive, c’est encourager la première, la deuxième puis la multirécidive. Les garanties prévues pour la première récidive ne peuvent donc jouer pour la seconde. Les garanties exceptionnelles n’en pourront pas moins être réunies par le juge à l’appui d’une décision de ne pas appliquer la peine minimale. La commission est donc défavorable à cet amendement.

Mme la Garde des Sceaux  Ce texte crée un régime juridique adapté à la récidive. Il prévoit un régime simple pour la première récidive - instauration de peines minimales auxquelles les magistrats peuvent déroger, avec un pouvoir d’appréciation encadré et suivant trois critères : circonstances de l’infraction, personnalité de l’auteur et garanties d’insertion ou de réinsertion.

Nous prévoyons un régime spécial pour la récidive aggravée – trois faits de même nature ou assimilés. Si les critères du pouvoir d’appréciation sont les mêmes que pour la première récidive, il n’y a plus de régime différencié. Je rappelle qu’en droit commun, le juge doit motiver sa décision au regard de l’infraction, de la personnalité et du quantum de la peine, mais qu’en cas de récidive, il n’a pas à se justifier de nouveau au regard de la personnalité.

Bref, nous avons un régime simple, avec trois critères, et un régime aggravé, avec un critère, qui intègre les faits précédents. Le passé pénal devient de fait un élément de personnalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'amendement 88 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Hunault - L’amendement 48 est défendu.

L'amendement 48, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès - Notre amendement 37 – de repli – vise à substituer à la notion de garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion, celle de garanties sérieuses ou suffisantes. En effet, bien que la ministre et le rapporteur s’en défendent, l’article 1er est contraire au principe de l’individualisation de la peine. J’ai fait état, dans la question préalable, des inquiétudes, très sérieuses, de tous les professionnels. Permettez-moi d’y ajouter celles du président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, M. Cotte, qui estime que prendre la décision sur la base de garanties « exceptionnelles » reviendra, en pratique, à n’accorder ce bénéfice qu’à une infime partie des prévenus, compte tenu notamment de la situation de l’emploi pour les personnes présentant le statut d’ancien détenu. Le critère de garanties exceptionnelles est excessivement restrictif, et, dans les faits, incompatible avec le principe d’individualisation de la peine.

J’ai examiné attentivement les arguments de notre rapporteur et ceux qu’a bien voulu développer Mme la Garde des sceaux devant les sénateurs : ils ne me convainquent pas. Avec beaucoup de sagesse, le rapporteur de la commission des lois du Sénat a admis en séance que les garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ne sont pas faciles à appréhender pour les magistrats, et, qu’au terme de ses travaux, la commission n’avait pas réussi à comprendre ce que l’on pouvait entendre par de telles garanties ! Comme l’a exposé M. Badinter, que je cite : « Comment voulez-vous que les magistrats et les jurés, au moment où ils vont prononcer une peine criminelle très lourde, puissent déterminer s’il y aura à la sortie de prison – c'est-à-dire six, sept, dix ou quinze ans plus tard – des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ? C’est impossible. Aucun jury de cour d’assises n’est en mesure de le savoir. En fait, les seuls pouvant en justifier seront des fils de famille, ceux dont les parents pourront affirmer devant la cour que dans dix ans, ils assureront les garanties d’une réinsertion grâce aux moyens dont ils disposent. » Je pense que ces propos méritaient d’être rappelés. Et pensez vous, chers collègues, qu’un tel clivage social soit acceptable pour la justice de notre pays ?

L’amendement de la commission des lois du Sénat s’est heurté à l’opposition du Gouvernement et n’a donc pas été adopté. Je le regrette, car il prévoyait que la garantie de réinsertion ne pouvait être le seul critère de dérogation. Il retenait donc en complément les circonstances de l’infraction et la personnalité de son auteur.

Faisons simple et retenons, pour la deuxième récidive, la notion de garanties « suffisantes », plus facile à appréhender et à retenir par les magistrats. En adoptant cet amendement, notre assemblée marquerait sa volonté que les peines plancher ne deviennent pas des peines automatiques.

L'amendement 37, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christophe Caresche - Madame la ministre, permettez-moi de vous indiquer que je ne conteste nullement la simplicité du système que vous proposez, puisque je le trouve même simpliste ! Vous généralisez le système en matières criminelle et délictuelle, et c’est ainsi qu’en deuxième récidive, nombre de personnes se trouveront condamnés plus lourdement que d’autres ayant commis des faits autrement plus graves, au seul motif qu’elles sont récidivistes : un vol simple commis en récidive sera passible de peines plus lourde qu’un premier crime. Vous introduisez donc dans notre droit une machine à condamner sans discernement.

Notre amendement 89 demande que ce mécanisme ne soit pas appliqué aux mineurs. À cet effet, en cas de nouvelle récidive, les possibilités offertes au juge de déroger aux peines plancher devront aussi tenir compte de la personnalité de l’auteur et des circonstances de l’infraction. Les mineurs sont des êtres en devenir. Dans la mesure où il n’est pas raisonnable de les considérer comme des adultes, le juge doit conserver plus de latitude et il faut s’attacher à respecter le principe de la proportionnalité des peines.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement surprenant, qui tend à réécrire le droit actuel sans rien apporter de nouveau ! En effet, ses auteurs évoquent l’état de récidive légale, ce qui correspond exactement au droit actuel, applicable aux mineurs comme aux majeurs. Ce qui atteste sans nul doute d’une erreur de rédaction, c’est que l’exposé sommaire dit le contraire. Les auteurs ont certainement voulu parler de la nouvelle récidive – à partir de la deuxième – et non pas de l’état de récidive légale.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable.

M. Noël Mamère - Ce qui compte, Monsieur le Rapporteur, c’est l’esprit de cet amendement. Il ne s’agit – excusez du peu ! – que de réhabiliter le rôle du juge et de réaffirmer les principes fondamentaux du droit, de manière à relancer une véritable politique pénale destinée aux mineurs. Le texte qui nous est soumis va mettre à mal des décennies d’efforts de la PJJ. Comme l’a très bien souligné M. Caresche, l’introduction des peines plancher va jeter toujours plus de mineurs en prison, alors qu’il faudrait mettre l’accent sur la prévention et l’insertion. N’oublions pas que votre Gouvernement et ceux qui l’ont précédé depuis 2002 ont coupé les vivres aux structures d’accompagnement. L’amendement 89 incite à ne pas considérer les mineurs comme des concentrés d’adultes, mais comme des personnalités en évolution. On ne peut pas se contenter d’accentuer la répression sans consentir aucun effort en faveur de toutes les politiques sociales de lutte contre la relégation sociale.

L'amendement 89, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

M. Manuel Valls - Rappel au Règlement relatif au déroulement de la séance. Tout à l’heure, M. Montebourg a demandé des éclaircissements sur les annonces budgétaires qui ont été faites, et j’ai moi-même demandé à Mme la ministre de nous donner des éléments sur la statistique mensuelle des personnes écrouées au 1er juillet 2007. Je renouvelle ces demandes, en vue d’éclairer la suite de nos travaux.

Mme la Garde des Sceaux - S’agissant des éléments budgétaires, je rappelle que le programme de construction des places de prison date de 2002 ; 13 200 places ont été lancées et je m’engage à vous apporter des précisions complémentaires à ce sujet dès demain après-midi, ainsi du reste que sur les établissements pour mineurs, les centres éducatifs fermés, la PJJ et le juge dédié aux victimes. Pour ce qui concerne les statistiques relatives aux prisons, la direction de l’administration pénitentiaire communique régulièrement, et vous pouvez vous adresser à elle pour obtenir toutes les précisions qui vous intéressent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

ART. 2

M. Dominique Raimbourg - Pour ce qui concerne l’individualisation des peines, cet article aggrave encore les choses par le fait qu’en matière de deuxième récidive, le tribunal ne peut prononcer qu’une peine d’emprisonnement ferme. Il ne semble pas que l’article prévoie une possibilité d’y déroger. Par ailleurs, la possibilité de dérogation laissée au juge est trop restrictive, dans la mesure où elle ne peut s’argumenter que sur l’existence de garanties exceptionnelles de réinsertion.

M. Christophe Caresche - L’article 2 traite du champ délictuel. Or, si, en matière criminelle, les peines plancher restent largement inférieures au quantum moyen prononcé en cas de récidive, il n’en va pas de même en matière délictuelle, et les peines minimales sont donc assez sensiblement supérieures au quantum moyen…

Un député UMP - C’est fait pour !

M. Christophe Caresche - Peut-être le juge aura-t-il la possibilité d’y déroger, mais l’on sait très bien qu’il aura du mal à le faire en comparution immédiate, car il ne disposera pas des éléments lui permettant d’apprécier la personnalité du délinquant. Il est donc probable que les dispositions de ce texte en matière délictuelle contribueront à accroître encore la surpopulation carcérale. D’autant qu’aux dizaines de milliers de détenus supplémentaires du fait des nouvelles dispositions s’ajouteront tous ceux qui ne seront pas sortis par anticipation, du fait de la suppression de la grâce présidentielle – dont le principe était certes des plus contestables, mais qui avait pour effet de désengorger quelque peu nos prisons. 

Comment gérerez-vous ce surplus de détenus ? Vous annoncez la création de 13 000 places en 2012, mais comment ferez-vous d’ici là ? Et de toute façon ces places elles-mêmes ne suffiront pas. Ma crainte est qu’avec votre loi pénitentiaire et la mise en place d’un contrôleur général indépendant des prisons, vous ne vous débarrassiez du problème à bon compte.

Mme la Garde des Sceaux - Deux mille places de prison seront livrées d’ici à l’année prochaine. Ce sont des gouvernements de droite qui se sont lancés dans des programmes sans précédent de construction d’établissements pénitentiaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Julien Dray - C’est normal, puisque vous faites le choix du tout-carcéral !

Mme la Garde des Sceaux - Monsieur Dray, la délinquance a augmenté de plus de 17 % entre 1997 et 2002, et même de plus de 50 % s’agissant des atteintes aux personnes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Julien Dray - On ne va tout de même pas remonter à Mathusalem ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Garde des Sceaux - La dernière loi pénitentiaire, adoptée sous un gouvernement de droite, remonte au 22 juin 1987. C’est encore la droite qui s’était attelée au problème. Et dois-je vous rappeler que le taux d’aménagement des peines était extrêmement faible sous les gouvernements de gauche ? C’est nous qui avons augmenté de moitié le recours aux bracelets électroniques, que vous contestiez à l’époque, et dont vous refusiez le principe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Mme Marylise Lebranchu - Un mot en réponse à Mme la Garde des Sceaux. En matière pénitentiaire, le Sénat et l’Assemblée nationale avaient, sous l’avant-dernière législature, produit deux rapports d’excellente qualité, nous permettant d’élaborer une loi pénitentiaire qui avait recueilli un très large consensus – approuvée notamment, Madame la ministre, par l’une de vos collègues du Gouvernement actuel.

Prétendre, comme vous l’avez fait, que la droite a tout fait et la gauche rien ne sert pas la démocratie.

Plusieurs députés UMP - C’est pourtant la vérité !

Mme Marylise Lebranchu - Une loi pénitentiaire ne s’élabore pas en trois semaines, ni même en trois mois. Nous avions mis plus de dix mois pour boucler notre projet de loi. Celui-ci était prêt lorsque je l’ai remis en mai 2002 à M. Perben, lequel reconnaissait l’urgence du problème et s’était laissé dire que ce texte était bon – je le cite de mémoire. Hélas, alors même que tout était prêt, rien n’a été fait jusqu’à aujourd’hui (Rires sur les bancs du groupe UMP) Ce n’est pas drôle. Je ne hurlerai pas de rire, moi, lorsque vous présenterez votre bilan.

Nous avions prévu un programme de construction de places de prison, doté des moyens nécessaires, en novembre 2001. Le gouvernement qui a succédé au nôtre au printemps 2002, au lieu d’utiliser les crédits budgétaires prévus, a décidé, par la voix de M. Bédier, de faire appel au privé pour la construction des établissements. Deux ans et demi ont été perdus de ce seul fait – sans parler d’autres difficultés survenues ultérieurement, et que je ne rappellerai pas par respect pour les personnes.

Notre idée à l’époque était de construire les places nécessaires dans des établissements neufs et de fermer les prisons les plus vétustes, qu’il n’était pas envisageable de réhabiliter, comme celles de Lyon, de Nancy ou du Mans. La situation aujourd’hui est encore différente, où vous allez devoir faire face à un afflux de dix mille détenus supplémentaires.

J’en viens à ce pour quoi j’avais initialement demandé la parole. Gardons à l’esprit, sur tous les bancs, que devant une peine trop lourde à prononcer, certains magistrats renonceront finalement à en prononcer une, et ils trouveront toujours un motif légitime. Nous avons tous entendu des juges d’application des peines, des avocats, des éducateurs nous expliquer que c’est parfois seulement après la commission d’une troisième infraction qu’un délinquant témoignait d’une réelle volonté de se réinsérer et était prêt à fournir les efforts nécessaires, ce dont le magistrat tenait compte dans le prononcé de la peine et qui ne sera plus possible avec ce texte.

M. Michel Hunault - L’opposition estime que ce texte enfreint les deux principes constitutionnels d’individualisation des peines et de liberté souveraine d’appréciation des juges. Le Conseil constitutionnel tranchera sur la question. Mais j’avoue, chers collègues, n’avoir toujours pas perçu pour l’heure la pertinence de vos arguments sur ce point.

M. Christophe Caresche - Demandez à M. Zochetto !

M. Michel Hunault - Restons à l'Assemblée nationale…

Mme la Garde des Sceaux s’est engagée devant la représentation nationale à faire adopter une loi pénitentiaire et à mettre en place un contrôleur général indépendant des prisons. Alors, de grâce, cessons les procès d’intention ! La future loi pénitentiaire n’est pas destinée à répondre à l’augmentation du nombre de détenus, mais à redonner tout son sens à l’incarcération. Nos collègues essaient de nous faire peur en expliquant que le présent texte conduira à 70 000, voire 100 000 détenus, mais la future loi pénitentiaire pourra, comme cela se pratique par exemple au Canada, privilégier les peines alternatives à l’emprisonnement et ainsi éviter l’explosion redoutée de la population carcérale.

M. Julien Dray - Vous devriez vous inscrire à l’UMP !

M. Jacques-Alain Bénisti - La surpopulation carcérale concerne essentiellement les majeurs…

M. Julien Dray - Pas seulement !

M. Jacques-Alain Bénisti - ...alors que la récidive, elle, concerne principalement les mineurs. Donc, le problème n’est pas ici celui de la surpopulation, car nous n’avons pas de crise de surpopulation carcérale concernant les mineurs.

Sur le plan carcéral, je veux bien que l’on dise que M. Jospin avait fait réaliser des rapports et des études, mais c’est véritablement le précédent gouvernement qui a lancé un plan carcéral, et qui a même nommé un ministre en charge de ce problème.

M. Julien Dray - Cela n’a pas duré longtemps !

M. Jacques-Alain Bénisti - Enfin, rien n’atteste un rapport de cause à effet entre l’augmentation des incarcérations et celle des actes délictueux, laquelle est due, entre autres, au défaut de réponse pénale aux délits constatés.

Quant à ceux qui prétendent que les États-Unis n’auraient pas obtenu les résultats qu’ils escomptaient de la tolérance zéro, je signale que des rapports internationaux font état d’une diminution, en quinze ans, de 40 % des premiers délits et de 60 % des seconds délits. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Julien Dray - On ne peut pas laisser dire des choses pareilles !

M. Noël Mamère - Madame la Garde des Sceaux, les excès ne servent pas la cause que vous prétendez défendre : non, la gauche n’a pas rien fait ! Et, franchement, vous vanter d’une politique qui augmente le nombre des prisons, c’est admettre que vous avez renoncé à des politiques alternatives à l’enfermement.

Monsieur Bénisti, sur la politique pénale américaine, vous devriez lire Loïc Wacquant, qui montre que tout ce que vous venez d’expliquer n’est qu’un tissu de contrevérités.

M. Jacques-Alain Bénisti - Il ne dit pas du tout cela !

M. Noël Mamère - L’article 2, comme l’article 1er, va aggraver la surpopulation carcérale, qui est déjà de 150 % par rapport aux capacités des prisons. Ce qu’explique le professeur Tournier, c’est qu’avec cette loi, le nombre de détenus passera, de 60 000 aujourd’hui, à 70 000 demain.

Enfin, il sera très difficile pour le juge de prononcer des aménagements de peine, d’une part, parce que les récidives sont jugées en comparution immédiate et, d’autre part, parce que vous avez fixé à un an le reliquat à purger. Il ne faut donc pas nous faire croire que les dérogations sont autre chose qu’un alibi dans votre texte. Les peines plancher ne contribueront qu’à envoyer davantage de mineurs en prison, aggravant ainsi la surpopulation carcérale dénoncée par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

M. Michel Vaxès - L’amendement 38 tend également à supprimer l’article.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Mme la Garde des Sceaux - Même avis.

M. Julien Dray - Monsieur Bénisti, aux États-Unis, certains états appliquent la tolérance zéro, d’autres non. Vous avez certainement inventé à la dernière minute les chiffres que vous citez !

Les amendements 20 et 38, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Noël Mamère - L’amendement 21 tend à revenir au principe de l’individualisation des peines, auquel nous ne renonçons pas.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. La motivation est de nature à rendre la décision du juge compréhensible à la fois par le mis en cause et par la victime. Elle est donc indispensable à la dérogation comme à l’individualisation de la peine.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable.

M. Christophe Caresche - Mme la Garde des Sceaux nous explique que ce texte n’aura pas de répercussions sur la population carcérale parce que le Gouvernement mènera une politique d’aménagement des peines. Or, les lois votées depuis 2002 n’ont eu de cesse de réduire ces capacités d’aménagement. Et le présent texte continue, en limitant les possibilités de libération conditionnelle.

M. le président de la commission - C’est faux !

M. Christophe Caresche - Au fond, la véritable raison d’être de votre texte, c’est que vous croyez à l’existence d’un noyau dur de la délinquance, qu’il faudrait, non réinsérer, mais neutraliser, c’est-à-dire incarcérer, mettre à l’écart de la société. Ainsi la nouvelle récidive ressemble-t-elle à l’ancienne tutelle pénale, disposition supprimée par la loi « sécurité et liberté ».

Madame la Garde des Sceaux, je voudrais que vous nous communiquiez la note de l’administration pénitentiaire évoquée par M. Valls, pour que nous sachions pourquoi cette administration envisage une augmentation considérable de la population carcérale dans les années à venir.

Enfin, la motivation va devenir exceptionnelle, alors qu’elle devrait être la règle.

Mme la Garde des Sceaux - Notre texte ne remet pas en cause l’aménagement des peines prévu par le code. Comment pouvez-vous dire que les précédents gouvernements auraient restreint ces dispositifs, alors que ceux-ci ont augmenté de 30 %, que le recours au bracelet électronique a augmenté de 50 %, que l’alternative à l’incarcération a augmenté de 12 % ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christophe Caresche - Et la liberté conditionnelle ?

Mme la Garde des Sceaux - Elle a stagné, en effet, mais elle concerne surtout les délinquants sexuels et est assortie d’une obligation de soins.

S’agissant de la motivation, je vous renvoie au code de procédure pénale : toute décision doit être motivée.

M. Christophe Caresche - Vous supprimez la motivation !

Mme la Garde des Sceaux - Pas du tout. Pour placer quelqu’un en détention provisoire, il faut une décision spécialement motivée. Nous ne touchons en rien les principes de notre droit.

Enfin, la note que vous évoquez est une note de prospective, basée sur des indicateurs de l’INSEE relatifs aux évolutions démographiques et aux taux de délinquance. Elle a été produite dans le cadre de l’activité normale de prospective de l’administration, et elle vous sera communiquée si vous ne l’avez pas.

L'amendement 21, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère - Nous ne sommes pas des juristes, mais des spécialistes du général, et nous nous intéressons à tout. Ce que vous ne dites pas, c’est que, dans votre projet, le juge n’est pas obligé de motiver sa peine plancher, et que c’est la dérogation qui doit être motivée. Vous supprimez donc bien un principe du code de procédure pénale.

Notre amendement 22 est de repli.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Mme la Garde des Sceaux - Même avis.

Mme Marylise Lebranchu - Si la motivation est obligatoire, pourquoi la prévoir explicitement dans certains cas ? Nous souhaitons que les peines soient systématiquement motivées, mais ce n’est pas le cas. Reconnaissez-le !

Je rappelle également que nous étions tous d’accord pour faire de la privation de liberté un dernier recours, ce qui est incompatible avec les peines plancher. Afin de favoriser la réinsertion et d’éviter la récidive, il faut que les magistrats disposent d’une certaine latitude… Mme Boutin ne reconnaissait-elle pas qu’un encadrement excessif des peines pose inévitablement problème à l’intérieur des prisons ? Vous étiez d’accord sur ce point…

M. le Président de la commission - C’est faux !

Mme Marylise Lebranchu - Pourquoi changer d’avis ?

L'amendement 22, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Manuel Valls - L’amendement 92 est défendu.

L'amendement 92, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère - L’amendement 23 est défendu.

L’amendement 23, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est défendu.

M. le Rapporteur - L’amendement 2 tend à supprimer l’alinéa 13. Je m’en suis déjà expliqué.

L'amendement 2, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Manuel Valls - L’amendement 91 rectifié est défendu.

L'amendement 91 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère – L’amendement 24 est défendu.

L’amendement 24, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. Noël Mamère - L’amendement 25 est défendu.

M. Michel Hunault – De même que l’amendement 51.

Les amendements 25 et 51, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Michel Hunault - L’amendement 50 est défendu.

M. Christophe Caresche - L’amendement 90, identique à l’amendement 50, tend à supprimer le caractère « exceptionnel » des garanties de réinsertion que vous voudriez exiger en cas de récidive. En restreignant à ce point le pouvoir d’appréciation laissé aux juges, vous allez empêcher l’individualisation des peines ! Il ne s’agit ni d’être laxiste, ni d’être ferme, mais de prononcer une peine juste à la fois pour la victime et pour le condamné.

M. le Rapporteur - Rejet.

Mme la Garde des Sceaux - Même position.

M. Julien Dray - De quelles garanties de réinsertion s’agit-il ? J’aimerais comprendre comment sera défini leur caractère exceptionnel. Il faut laisser aux juges la responsabilité d’apprécier la situation ! Et comment feront-ils demain si le législateur ne précise pas les garanties visées ?

M. Georges Fenech - Faites confiance à la jurisprudence ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Julien Dray - Pourquoi le législateur devrait-il se taire ?

L'amendement 90, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 2 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 2

M. Christophe Caresche - Par l’amendement 93, nous demandons au Gouvernement de présenter chaque année un rapport sur l’application des articles 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal. Y aura-t-il, en effet, 8 000 détenus en moins, ou bien 10 000 en plus ?

Je précise que nous sommes prêts à retirer cet amendement si le président de la commission s’engage à ce qu’un rapport soit fait sur l’application de cette loi dans un délai de six mois.

M. le Président de la commission - Sur ce texte, comme sur tous les autres, j’userai de la possibilité ouverte par le règlement.

L'amendement 93 est retiré.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures

La séance est levée à 1 heure 10.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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