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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mercredi 18 juillet 2007

1ère séance
Séance de 15 heures
18ème séance de la session
Présidence de M. Rudy Salles

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La séance est ouverte à quinze heures.

LUTTE CONTRE LA RÉCIDIVE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

M. Manuel Valls – Rappel au Règlement ! Madame la garde des Sceaux, je vous rappelle que le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche avait demandé que vous lui fournissiez les éléments chiffrés nécessaires pour éclairer ses travaux, en particulier le nombre de détenus au 1er juillet 2007, et dont notre Assemblée a besoin pour mesurer les conséquences de votre projet de loi. Nous réitérons cette demande, courtoisement mais fermement.

M. Christophe Caresche – Par l’amendement 3, la commission des lois a malheureusement proposé de supprimer l’important article 2 bis ajouté au texte par le Sénat sur proposition de son rapporteur. Selon cet article, pour pouvoir déroger aux peines plancher, le juge doit systématiquement disposer d’une enquête de personnalité portant sur le prévenu, en matière criminelle comme en matière délictuelle. Le supprimer, c’est donc restreindre encore davantage la possibilité de dérogation offerte au juge, au nom d’arguments spécieux, voire choquants.

Cette enquête bénéficierait nécessairement, laisse-t-on entendre, à l’accusé ; mais les informations sur le parcours personnel de l’accusé qu’elle fournit au juge pour éclairer sa décision ne confortent ni n’infirment en elles-mêmes l’accusation ! Deuxièmement, Mme la ministre a critiqué devant la commission le fait que cette enquête ne serait alors obligatoire que pour les récidivistes, et non pour les primo-délinquants. Or l’enquête est d’autant plus justifiée en cas de récidive que les peines encourues sont beaucoup plus lourdes.

M. Bernard Roman – Très bien !

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois Ces propos ne font que consolider l’argumentation de la commission en faveur de la suppression de l’article 2 bis, car, si le dispositif est séduisant, il s’agit en réalité d’une fausse bonne idée. Selon le texte voté par le Sénat, le procureur de la République ne peut prendre aucune réquisition tendant à retenir l’état de récidive légale s’il n’a préalablement demandé une enquête permettant de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale de l’accusé ; il s’agit donc d’inscrire dans le code pénal une mesure générale obligeant le procureur, chaque fois qu’il aura l’intention de lever l’état de récidive légale, à procéder à cette enquête. Or l’objectif poursuivi, beaucoup plus restreint, est de garantir cette enquête dans les cas où la récidive légale mise en jeu pourrait conduire à prononcer des peines minimales dont vous craignez qu’elles ne deviennent dès lors automatiques.

Ce décalage entre l’article additionnel et son objectif affiché renforce encore davantage nos autres arguments, que vous avez trop rapidement balayés. En premier lieu, le souhait de ses auteurs est en grande partie satisfait par le droit existant, car l’enquête rapide est déjà obligatoire dans de nombreuses hypothèses susceptibles de concerner des récidivistes, notamment en cas de réquisition de détention concernant des majeurs de moins de 21 ans, ou dans le cadre de la comparution immédiate ou de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Ensuite, elle s’avèrera inutile et trop lourde s’agissant de faits dont la gravité est si faible que la dérogation aux peines minimales serait justifiée par les circonstances de l’infraction, et non par la personnalité de l’intéressé. Enfin, l’article pourrait entraîner des conséquences absurdes, pour ne pas dire ubuesques : l’enquête serait également exigée pour des délinquants récidivistes encourant une peine inférieure à trois mois d’emprisonnement, pour lesquels, dans le projet, des peines minimales ne sont justement pas requises.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Avis favorable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Michel Vaxès – L’ajout du Sénat permet pourtant d’atténuer les conséquences perverses des deux premiers articles du texte initial, en donnant toute son effectivité au pouvoir d’appréciation que vous dites reconnaître au juge. Ainsi que l’a relevé M. Zocchetto, si le procureur peut demander aux services compétents de « vérifier la situation matérielle, familiale et sociale » et de recueillir des informations « sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale » de l'intéressé, ces enquêtes ne sont pas systématiques – et même si elles sont prescrites, elles ne sont pas toujours réalisées. Le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation a d’ailleurs affirmé la nécessité pour le juge d'instruction, en matière délictuelle, d'effectuer systématiquement une enquête de personnalité avant le règlement d'une information, ce qui n’est, en l'état actuel du droit, pas obligatoire. Et en matière criminelle, l'enquête de personnalité, qui n’est pas systématiquement actualisée avant l'audience, ne suffit pas à donner à la cour d’assises l’information dont elle a besoin pour agir au mieux.

Il nous paraît donc indispensable que le ministère public ne puisse retenir la circonstance aggravante de récidive s'il n'a pas préalablement requis une enquête sur la personnalité de l'intéressé et ses garanties de réinsertion. Aucun de vos arguments ne nous convainquent, et surtout pas celui selon lequel cette disposition assurerait un meilleur traitement des récidivistes que des autres. Nous voterons donc résolument contre cet amendement qui ne fait que confirmer, dans les faits sinon dans la lettre, le caractère automatique des peines planchers.

M. Arnaud Montebourg – Je suis extrêmement surpris que la ministre ne pense pas devoir prendre la peine d’expliquer sa réponse, concernant une question aussi sensible. Le problème n’est pas que formel – il se peut d’ailleurs qu’on en reparle assez vite devant le Conseil constitutionnel – puisqu’il touche à la mise en œuvre de l’individualisation de la peine et à la préparation de la décision judiciaire. Mais cet amendement montre surtout, maintenant que nous en arrivons aux modalités concrètes de votre dispositif, combien vos actes contredisent vos propos de la discussion générale, lorsque vous affirmiez que ce texte préserve les mécanismes d’individualisation de la peine. Pourtant, une partie de votre majorité, ici comme au Sénat, est favorable à l’idée de l’enquête de personnalité. M. Bruno Cotte lui-même, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, a rappelé qu’il valait mieux mesurer les circonstances de l’infraction et les caractéristiques de la personnalité pour individualiser la mesure pénale au plus proche de la condamnation. Sur ce sujet fondamental, nous demandons à la ministre de nous donner des explications plus précises, et notamment de démontrer la conformité de son texte à la Constitution.

M. Michel Hunault – Depuis le commencement de cette discussion, Madame la garde des Sceaux, les députés du Nouveau centre n’ont pas manqué de vous soutenir. Hier notamment, nous avons expliqué à l’opposition que ce projet de loi ne mettait à mal ni le pouvoir d’appréciation des juges, ni le principe d’individualisation des peines. Très objectivement, il nous semble justement que la disposition introduite à l’initiative du rapporteur au Sénat M. Zocchetto traduit cette double exigence. Il enrichit votre texte et je ne comprends pas qu’on puisse adhérer à un amendement qui tend à la supprimer.

Par ailleurs, hier, M. Valls a réclamé un certain nombre d’informations sur les prisons. Nous nous accordons tous sur le fait que la situation est préoccupante, mais ce qui nous gêne, c’est qu’il soit parti du postulat que ce projet de loi va l’aggraver, laissant entendre qu’il y aurait dix mille à vingt mille détenus supplémentaires dans les prisons après son adoption (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Or, non seulement une telle prédiction n’est pas vérifiable, mais c’est oublier que Mme la garde des Sceaux a annoncé pour les prochaines semaines deux textes que nous attendons depuis plus de dix ans : l’instauration d’un contrôle indépendant des prisons, la loi pénitentiaire. Assez de procès d’intention ! Cessez de faire exprès de mélanger les choses (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) pour jeter le discrédit sur ce projet.

Mme la Garde des Sceaux Aujourd’hui, le procureur a toute latitude pour prescrire une enquête de personnalité. Elle est par ailleurs obligatoire pour les mineurs et pour les jeunes majeurs en cas de comparution immédiate ou lorsqu’il y a des réquisitions de détention. Nous ne voulons pas la rendre systématique pour les récidivistes alors qu’elle ne l’est pas pour les primo-délinquants. La généralisation serait coûteuse – il faut compter de 40 à 77 euros par enquête – alors que dans le mécanisme actuel, à chaque fois qu’une enquête paraît utile, le procureur peut déjà la prescrire.

S’agissant des autres informations que vous avez demandées, la population pénitentiaire était au 1er juillet de 61 810 personnes placées sous écrou – mais pas toutes en détention puisque 4 979 sont en aménagement de peine, dont plus de 2 000 sous bracelet électronique. Les aménagements de peine ont augmenté de 28 % et les placements sous bracelet électronique de 59 %, grâce à une augmentation de 75 % du nombre des conseillers d’insertion et de probation depuis 2002. Par ailleurs, 1,1 milliard d’euros en autorisations d’engagement ont été destinés aux investissements pour la construction et la rénovation des prisons depuis 2002, pour 13 200 places de prison au total. 2 031 places seront ouvertes en 2008, 49 centres éducatifs fermés le seront d’ici fin 2008 – et je confirme à ce propos le financement des cinq centres à dominante pédopsychiatrique (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. Noël Mamère – Lorsque M. Geoffroy propose de supprimer l’article opportunément ajouté par le Sénat, il se fait prendre les doigts dans le pot de confiture ! Son amendement révèle l’hypocrisie d’un texte qui, pour apparaître conforme à la Constitution, proclame que le juge pourra aménager les peines, mais refuse de fixer des modalités sérieuses d’appréciation, telle l’enquête de personnalité. Vous affirmez que cette demande est en grande partie satisfaite par le droit existant car l’enquête rapide est déjà obligatoire dans de nombreuses hypothèses susceptibles de concerner les récidivistes, mais ceux-ci sont souvent jugés en comparution immédiate, et les juges n’ont pas le temps d’évaluer leur personnalité ! Vous dites aussi que les enquêtes coûtent entre 40 et 77 euros, mais nous venons de voter un paquet fiscal de 13 milliards ! Ne venez pas pleurer parce que vous ne pouvez pas financer des mesures qui contribuent à la paix civile, parce que vous avez préféré satisfaire les Français les plus riches sur le dos de ceux que vous considérez comme une menace pour la société ! Votre gouvernement, en vérité, n’a aucune envie de faire des efforts de réinsertion et d’éducation, et ses mesures de répression auront des conséquences dramatiques sur l’équilibre de notre société. Nous demandons que la disposition venant du Sénat soit maintenue, afin d’apporter quelques atténuations à un texte qui est 100 % conservateur, 100 % réactionnaire et 100 % répressif ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical et citoyen ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marc Ayrault – Madame la ministre, nous vous remercions de nous avoir donné les chiffres que nous demandions, mais il reste que votre texte risque à l’évidence d’aggraver les choses. Les Français attendent de la fermeté quant au respect de la loi, ils attendent que l’on fasse tout pour lutter contre la récidive : nous aussi. Mais le chemin que vous empruntez ne va que vers la désillusion, le découragement et la colère. On sait que les établissements pénitentiaires sont surpeuplés et que les conditions de détention rendent la réinsertion très difficile, et surtout pour les jeunes. Or, vous prenez sciemment le risque d’aggraver la situation ! Vous en porterez la responsabilité, certes, mais nous, c’est le résultat qui nous préoccupe !

Plusieurs députés UMP – Qu‘aviez-vous fait ?

M. Jean-Marc Ayrault – Vous ne pouvez pas, à chaque question que nous vous posons, nous renvoyer à des textes à venir et à des établissements qui ne sont pas encore construits. D’ailleurs, il n’y aura que 2 000 places supplémentaires pour 2008 et 2009 alors que votre projet de loi va augmenter la population pénitentiaire, de l’avis de tous les professionnels – pas seulement les syndicats, mais tous ceux qui exercent sur le terrain. Ce qu’il faut, c’est intervenir dès le premier délit et exécuter sans faille la peine qui a été prononcée.

Mais où sont les postes d’éducateurs, de juges délégués, pour que toute la chaîne fonctionne et que les citoyens constatent que l’État de droit est respecté, que l’éducation, la prévention, l’adaptation de la sanction font diminuer la récidive ?

Hier, dans la discussion générale, certains députés UMP ont fait mine de s’étonner de notre discours sur la lutte contre la violence. Croyez-vous que les députés socialistes viennent de découvrir ce problème ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP) Voilà cinq ans que vous êtes au pouvoir et vous avez failli à votre responsabilité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous continuerez, avec cette loi, à décevoir les Français, mais pas avec nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

L'amendement 3, mis aux voix, est adopté. L’article 2 bis est ainsi supprimé.

ART. 2 TER

M. le Rapporteur – Les sénateurs ont eu une bonne idée en introduisant cette disposition qui concourt à prévenir la récidive. Mais, ayant pesé le pour et le contre en commission, il nous a semblé qu’elle avait aussi des inconvénients et qu’il fallait l’aménager. L’amendement 4 dispose donc que, lors du prononcé de la peine, le président de la juridiction « informe » – et non « avertit » – le condamné des risques qu’il encourt en cas de récidive, et, surtout qu’il laisse à sa libre appréciation de le faire « s’il l’estime opportun ». En effet, il faut que l’information soit personnalisée pour que le condamné ressente bien qu’elle lui est destinée et que ce n’est pas une rubrique parmi d’autres. Mais serait-il possible de le faire également pour chacun des 400 000 jugements prononcés chaque année ? Il serait dommage de prendre le risque de nullité. Prenons, d’autre part, un exemple qui n’a rien de caricatural : un président de cour d’assises vient de condamner l’auteur de plusieurs assassinats à la réclusion à perpétuité avec une peine de sûreté de 30 ans. Imagine-t-on qu’il puisse informer le condamné que s’il commet un nouvel assassinat, il sera passible d’une peine minimale de 15 ans ? Cela troublerait pour le moins les familles des victimes.

La rédaction est peut-être encore perfectible. Je vous propose néanmoins de voter cet amendement afin de laisser la CMP trouver la formulation définitive qui traduira l’intention des sénateurs, que nous partageons, mais sans les effets contraires.

Mme Marietta Karamanli – Mon sous-amendement 99 tend à insérer, après « informe le condamné », les mots « de manière circonstanciée et compréhensible par lui, des conséquences ». Informer ne suffit pas, il faut que le condamné comprenne bien ce qu’il encourt pour que la dissuasion joue.

M. le Rapporteur – La commission ne l’a pas examiné. À titre personnel, j’y suis plutôt défavorable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Bernard Roman – Quel sectarisme ! Il améliore le texte !

M. le Rapporteur – C’est justement parce que nous voulons que l’information soit précise et personnalisée que nous proposons par l’amendement 4 que le président de la juridiction estime lui-même s’il est opportun ou non de faire ce rappel. S’il estime nécessaire de le faire, ce serait lui faire affront que de lui dire que ce doit être de façon compréhensible.

Mme la Garde des Sceaux  Avis favorable à l’amendement 4 et défavorable au sous-amendement 99.

M. Jérôme Lambert – Quand je lis l’exposé sommaire de l’amendement, les bras m’en tombent ! On nous dit d’abord que, pour que l’information ait un impact sur le condamné, il faudrait que le président ne se borne pas à des généralités, mais que cela paraît matériellement difficile d’appliquer la règle aux 400 000 jugements correctionnels prononcés chaque année : en quelque sorte, cela paraît trop compliqué pour que les praticiens du droit au quotidien soient à même de l’expliquer !

Ensuite, on nous fait valoir que traiter certains condamnés comme des récidivistes en puissance « pourrait même laisser penser que la juridiction ne croit pas que la peine qu’elle prononce a un effet dissuasif » ! C’est confirmer tout ce que nous disons depuis hier sur le faible caractère dissuasif des peines…

M. Michel Hunault – Je ne comprends absolument pas la motivation du rapporteur. Les sénateurs ont voulu, en introduisant cette information donnée par le juge, renforcer le caractère dissuasif des nouvelles dispositions sur les peines minimales. D’ailleurs, les deux articles additionnels qu’ils ont introduits avaient ce même objectif, dans le respect de l’individualisation de la peine et du pouvoir d’appréciation des juges, d’informer le condamné des risques qu’il court en cas de récidive. Vous les supprimez tous les deux. Cela augure mal du déroulement de la CMP, et je souhaiterais que l’on respecte mieux l’unité de la majorité.

Le sous-amendement 99, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté.

L'article 2 ter, ainsi amendé, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 2 TER

M. le Rapporteur – L’amendement 5 tend à supprimer le dernier alinéa de l’article 132-24 du code pénal, qui dispose que la juridiction doit motiver son choix de la peine en cas de récidive. Il avait été introduit dans la loi du 5 mars 2007 pour compenser le fait qu’on ne créait pas de peines minimales. Mais il devient incohérent dès lors que celles-ci sont créées et que le juge devra motiver sa décision s’il y déroge.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme Delphine Batho – Hier, dans la discussion générale, nous avons opposé à votre logique une autre démarche pour prévenir la récidive des mineurs, qui est la fermeté précoce dès le premier délit.

Votre texte est fondé sur la théorie des « noyaux durs » de la délinquance, qu’on illustre souvent par une statistique erronée : on affirme en effet que 5 % des mineurs délinquants commettraient 50 % des actes, en se fondant sur l’enquête de Sébastien Roché, qui avait abouti au chiffre de 5 % d’une classe d’âge – ce qui n’est pas la même chose ! Le problème, c’est donc la fabrication massive d’une délinquance de mineurs ; les lenteurs de la justice pour les primo-délinquants entraînent un sentiment d’impunité, lequel favorise la récidive.

Hier, Madame la garde des Sceaux, vous aviez dit partager notre point de vue quant à la nécessité d’une sanction précoce pour les primo-délinquants. Nous vous invitons donc à confirmer vos propos en acceptant nos amendements 70 et 71, qui visent à ramener de six à trois mois le délai laissé au juge pour intervenir.

M. le Rapporteur – La commission approuve pleinement l’objectif, mais elle a créé ce matin une mission d’information sur l’exécution des décisions pénales, notamment pour les mineurs, et elle préfère en attendre les conclusions avant de légiférer. En outre, la refonte de l’ordonnance de 1945, que le Gouvernement va certainement confirmer, sera l’occasion de poursuivre la réflexion. Pour ces raisons, avis défavorable, mais sur le fond nous sommes d’accord.

Mme la Garde des Sceaux  Je veux tout d’abord saluer la création de cette mission d’information. Quant aux amendements, ils mettent en évidence l’inadaptation de l’ordonnance de 1945, qu’il convient de remettre à plat tant certaines de ses dispositions sont obsolètes ou incohérentes entre elles. Il faudra notamment adapter les procédures à chaque tranche d’âge – 10 à 13 ans, 13 à 16 ans, 16 à 18 ans. Avis défavorable, donc, puisque nous avons l’intention d’ouvrir ce chantier, mais je suis d’accord quant à la nécessité de juger les mineurs plus rapidement. La loi sur la prévention de la délinquance a d’ailleurs instauré une procédure de présentation immédiate devant le tribunal pour enfants pour les mineurs de plus de 16 ans récidivistes.

Mme Delphine Batho – Nous maintenons nos amendements : puisque des dispositions ont d’ores et déjà été adoptées concernant les plus de 16 ans récidivistes, pourquoi nous répond-on que, pour les primo-délinquants, il est urgent d’attendre ? Il y a là deux logiques incompatibles.

M. Bruno Le Roux – Il est contradictoire de nous faire débattre dans l’urgence d’un texte que l’on sait au mieux inefficace, au pire dangereux, et de repousser une mesure qui aura sans doute une place centrale dans le rapport de la mission d’information et qui pourrait être adoptée dès aujourd’hui à l’unanimité ! Si le Gouvernement n’a pas pour seul but de faire adopter un texte d’affichage, mais souhaite commencer de régler le problème des primo-délinquants, il doit appuyer ces amendements – les premiers d’une série qui vise à prévenir la récidive (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Arnaud Montebourg – Rappel au Règlement, fondé sur le premier alinéa de l’article 58, relatif au déroulement de nos travaux.

On nous fait légiférer en urgence, pendant l’été, sur des sujets sur lesquels on attend les conclusions d’un rapport ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Les professionnels de la justice et de la police nous ont tous dit la même chose : « Au lieu de faire des lois, donnez-nous des moyens ! » M. Beschizza, qui est pourtant proche de vos idées, a expliqué qu’il était fort difficile de constater la récidive, faute que les condamnations soient intervenues dans un délai suffisamment court ! Autrement dit, nous faisons une loi pour rien !… À Chalon-sur-Saône, on inscrit en marge des décisions concernant les mineurs : « en attente d’exécution »… Ce qu’il faut, ce sont des moyens. Or, on ne sait toujours pas, Madame la garde des Sceaux, comment seront financés les CEF, ni sur quel budget seront recrutés les juges délégués aux victimes. Je crains que l’écart entre le discours et la réalité soit source de graves déconvenues !

Faute de réponse à nos questions sur l’effort budgétaire que vous allez consentir, Madame la garde des Sceaux, nous serons contraints de demander des suspensions de séance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

Les amendements 70 et 71, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Manuel Valls – Rappel au Règlement ! Qu’il s’agisse des moyens budgétaires ou de l’effet attendu de ce texte sur le nombre de détenus, nous n’avons pas eu les réponses qui permettraient une discussion sereine et sérieuse. Au nom de mon groupe, je vous demande donc une suspension de séance, Monsieur le président (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 10.

Mme Delphine Batho – Dans la même logique que les précédents, l’amendement 72 fixe au juge un délai de trois mois maximum pour prononcer les sanctions éducatives prévues à l’article 15-1 de l’ordonnance de 1945. Cette proposition est tout à fait en rapport avec le projet de loi : une sanction éducative rapide préviendra la récidive.

M. le Rapporteur – Avis défavorable, pour les mêmes raisons que tout à l’heure. Cette proposition mérite d’être retenue – et le sera probablement – au titre des conclusions de la mission d’information qui a été créée ce matin. Nous avons là, en effet, une occasion de faire œuvre utile au profit de tous les mineurs.

Mme la Garde des Sceaux  Avis défavorable pour les raisons déjà dites.

M. Noël Mamère – L’amendement est des plus judicieux. Par le projet qui nous est présenté, un texte d’affichage, uniquement idéologique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), le Gouvernement cherche à faire croire, après M. Sarkozy pendant la campagne électorale, qu’il va mettre fin à la récidive et ramener la paix sociale et la sécurité dans le pays.

Ayant à peine fini de distribuer 13 milliards à une infime fraction de la population (« Hors sujet ! » sur les bancs du groupe UMP), le Gouvernement décide qu’il y aurait une classe dangereuse dans notre pays, singulièrement dans les banlieues (Protestations sur les mêmes bancs). La politique menée par l’ancien ministre de l’intérieur et actuel Président de la République n’a produit aucun effet (Mêmes mouvements), et les violences à l’encontre des personnes sont en augmentation exponentielle (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe UMP), alors que, depuis 2002, vous avez voté pas moins de dix lois relatives à la sécurité, dont les décrets d’application ne sont pas publiés ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Vous ne pouvez pas affirmer que l’ordre que vous voulez faire régner est un ordre juste ! (Exclamations et rires sur les mêmes bancs) Votre politique ne fera que susciter plus de désordres, et Mme Batho a raison : dans la ligne de la politique relative à l’enfance délinquante, une sanction éducative doit être appliquée rapidement. Or, actuellement, il faut le plus souvent six mois, sinon davantage, pour qu’elle le soit. L’amendement est justifié et nécessaire, et le rapporteur n’a pas à user de manœuvre dilatoires (Protestations sur les bancs du groupe UMP) pour faire croire que tout sera résolu dans six mois par la grâce d’une mission d’information ! Si urgence il y a, comme on nous le dit, c’est aussi celle de permettre des alternatives à l’incarcération.

M. le Président – Je donne la parole à M. Le Roux, dont je suis sûr qu’il ne se limitera pas à répéter les mêmes arguments (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Bruno Le Roux – Si quelqu’un répète les mêmes arguments, Monsieur le Président, c’est le rapporteur, le Gouvernement s’exprimant pour sa part avec une grande gentillesse mais avec une trop grande parcimonie. On ne peut se limiter à affirmer, comme l’a fait M. Geoffroy, que la disposition que nous proposons sera reprise dans les conclusions de la mission d’information, que nous examinerons en leur temps, c’est-à-dire dans plusieurs mois ! Nous aurions même pu aller plus loin et demander qu’aussitôt une infraction constatée, des mesures de suivi soient mises en place. Seulement, quand la commission a évoqué ce sujet, je me suis interrogé sur le nombre de psychologues en poste dans les services compétents et, m’étant renseigné, je puis vous dire qu’il y en a trois en tout pour le département de la Seine-Saint-Denis ! Un recrutement étant prévu à la rentrée, les services sociaux du département seront donc superbement dotés de quatre psychologues à l’automne… Autant dire que la prise en charge n’est absolument pas à la hauteur des besoins. Mettons-nous donc aujourd’hui dans l’obligation d’apporter une réponse éducative, dans les trois mois, à toute infraction commise par un mineur, au lieu de remettre la décision aux calendes parlementaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Jacques Alain Benisti – Mme Batho demande que l’on réagisse par des mesures immédiates à la première infraction commise par un mineur. Mais n’est-ce pas ce que nous avons fait par le texte adopté en mars ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Précisément ! C’était il y a quatre mois ! Où avez-vous vu qu’il soit appliqué ?

M. Jacques Alain Benisti – Il est vrai qu’il y a un problème d’application, et l’idéal serait bien sûr qu’un mineur ayant commis un délit soit sanctionné immédiatement. Mais l’on se heurte à l’ordonnance de 1945, dont chacun, majorité et opposition confondues, s’accorde à reconnaître que, frappée d’obsolescence, elle doit être entièrement révisée. Comment prendre pour base, comme le font les auteurs de l’amendement, un texte dépassé ? Les amendements sont intéressants mais ils s’inscrivent dans la réflexion relative à la refonte de l’ordonnance de 1945, qui demande du temps. Restons, aujourd’hui, concentrés sur la prévention de la récidive.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois – Il est profondément choquant d’entendre parler de supposées manœuvres dilatoires alors qu’élue il y a un mois et un jour, la majorité siège pour renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, conformément à l’un des engagements prioritaires du Président de la République ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) J’entends, sur les bancs de l’opposition, une chose et son contraire : que le projet serait inutile, puis qu’il serait dangereux…

M. Julien Dray – L’un n’exclut pas l’autre ! 

M. le Président de la commission – Ce n’est pas très convaincant ! Il faut choisir ! Si une majorité peut être fière de ses votes en matière de politique pénitentiaire, c’est bien la nôtre, qui a voté le plus grand plan de modernisation es prisons jamais lancé en France, et la création de 13 200 places ! Nous n’avons vraiment pas de leçons à recevoir. Je souligne par ailleurs que le projet ne tend pas à la refonte de l’ordonnance de 1945 – que n’aurions-nous entendu si nous avions osé proposer quelques dispositions en ce sens ! Alors que, la législature à peine entamée, nous avons déjà créé une mission d’information sur l’exécutions des décisions pénales comment pouvez-vous parler de manœuvres dilatoires ? La mission s’attachera méthodiquement à analyser, peine par peine, le fonctionnement de la chaîne pénale et se dysfonctionnements, et Mme la garde des sceaux a fait savoir qu’elle attendrait aimablement les conclusions de la mission avant de présenter un projet de refonte de l’ordonnance de 1945. Nous n’enterrons rien ! Enfin, on peut se faire plaisir en déposant des amendements, mais pourquoi proposer, comme on le fait ici, un délai butoir de six mois, sans étude d’impact ? Pourquoi six mois et pas deux ou quatre ? Ce n’est pas sérieux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) Il y a des difficultés, nous le savons et nous nous attachons à les résoudre mais ce qui nous occupe aujourd’hui, c’est d’exécuter les engagements du Président de la République relatifs à la lutte contre la récidive. Reprenons donc nos travaux, en espérant que l’opposition votera de manière plus conforme à ses déclarations. On entend en effet de grands trémolos (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) dans les gorges de ceux qui, en février dernier, ont voté contre la présentation immédiate des mineurs au juge (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), ceux-là même qui, après avoir voté contre les centres éducatifs fermés, ont pris la garde des Sceaux à partie, hier, au motif qu’il n’y en pas assez ! (Mêmes mouvements) J’admire vos évolutions, mais elles donnent le tournis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Manuel Valls - Rappel au Règlement !

Monsieur le président de la commission des lois, je vous ai connu plus calme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Aucun d’entre nous ne s’est permis de dire que les articles du projet de loi n’étaient «pas sérieux ». Lorsque vous vous permettez de qualifier de la sorte l’amendement défendu par notre collègue, vous sortez du rôle qui devrait être le vôtre.

M. Jacques Alain Benisti – Bla-bla-bla.

M. Manuel Valls – Cet amendement hors sujet n’aurait de surcroît fait l’objet d’aucune évaluation, avez-vous dit, ce qui est fort malvenu quand nous-mêmes n’arrivons à obtenir ni de vous ni du Gouvernement les informations indispensables, notamment sur le montant des crédits de la justice et les investissements nécessaires, et que nous ne disposons pas non plus des évaluations des chercheurs sur les conséquences qu’aura cette loi. On se contente de nous renvoyer systématiquement à la loi de finances et à la future loi pénitentiaire.

Monsieur le président de la commission, nous sommes disposés à travailler de manière tout à fait constructive avec vous, notamment dans le cadre de la future mission d’information. Mais pour terminer sereinement le présent débat, un autre ton est indispensable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Julien Dray – Rappel au Règlement.

M. le Président – M. Valls vient d’en faire un au nom de votre groupe.

M. Julien Dray – C’en est un autre.

M. le Président – Sur le fondement de quel article ?

M. Julien Dray – Article 58 …

M. le Président – Je mets aux voix l’amendement 72.

L'amendement 72, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Manuel Valls – Je demande une suspension de séance.

M. le Président – La séance est suspendue pour cinq minutes.

La séance, suspendue à 16 heures 30, est reprise à 16 heures 35.

M. Julien Dray – Monsieur le président de séance, avec tout le respect que je vous dois, les rappels au Règlement sont de droit. Celui-ci se fonde sur l’article 58, alinéa 2.

Monsieur Warsmann, avec tout le respect et l’amitié que j’ai pour vous, c’est la première fois que j’entends un président de notre commission des lois dire qu’il est là pour exécuter les engagements du Président de la République.

Un député UMP – Il n’a pas dit cela.

M. Julien Dray – Si, vous pourrez le vérifier dans le Journal officiel.

Quelle que soit la réflexion engagée sur l’évolution des institutions de notre République, la commission des lois, pas plus que le Parlement dans son ensemble, ne sont un lieu d’exécution des engagements de quiconque. Ce sont des lieux de réflexion où s’élabore la loi.

Vous nous avez reproché d’avoir arbitrairement retenu un délai maximal de trois mois. D’une part, l’idée n’est pas nouvelle : nous l’avions déjà exposée lors de débats précédents. D’autre part, ce délai paraît raisonnable. C’est un moyen terme entre la situation actuelle où les décisions de justice ne sont pas du tout exécutées et ce que l’on pourrait idéalement souhaiter, mais qu’il serait irresponsable d’exiger de suite, à savoir qu’elles le soient immédiatement.

Quand, dans une cité, un adolescent qui a commis une bêtise ressort libre, sans la moindre sanction, avec un sentiment d’impunité totale et même grandi aux yeux des autres par son acte, cela a des effets dévastateurs non seulement sur lui mais aussi sur son entourage. Qu’une sanction éducative soit prise dans un délai maximal de trois mois constituerait un premier pas.

Mme Delphine Batho – Dans mon département, deux mineurs ont récemment été interpellés de nuit pour avoir jeté des parpaings sur des véhicules en circulation. L’un, qui avait déjà commis des actes de délinquance, a été présenté au juge des enfants. L’autre, pour qui c’était la première fois, a été relâché, sans même la moindre convocation ultérieure. Nulle part l’ordonnance de 1945 ne dit qu’un mineur, même âgé de 14 ans seulement comme c’était le cas, ne doit pas être sanctionné. Le problème n’est pas l’ordonnance de 1945 -d’ailleurs très souvent modifiée, dont quatre fois dernièrement par l’actuelle majorité-, mais l’obligation de moyens et de résultat qu’il faut se fixer.

Monsieur le président de la commission des lois, les amendements que j’ai défendus ne sont pas « hors sujet ». En effet, ce projet de loi ne vise pas à renforcer la lutte contre les récidivistes, mais, selon son intitulé même, « contre la récidive des majeurs et des mineurs ». Et nous considérons, nous, que la prévention de la récidive fait partie de cette lutte.

J’en viens à l’amendement 73 qui prévoit la désignation d’un tuteur référent, chargé du suivi de la sanction éducative prononcée à l’encontre d’un mineur. Aujourd’hui, les mineurs sont en effet souvent promenés d’éducateur en éducateur, sans prise en charge personnalisée continue qui, seule, permet un véritable travail éducatif. C’était une proposition de la commission d’enquête sénatoriale de 2002 qui n’a, hélas, jamais été reprise, vraisemblablement faute de moyens.

M. le Rapporteur – Pour les mêmes raisons que précédemment, la commission a jugé l’idée intéressante mais estime que, dans l’attente des conclusions de la mission d’information, cet amendement ne doit pas être adopté.

Mme la Garde des Sceaux Avis défavorable. Je l’ai dit tout à l’heure : l’ordonnance de 1945 a été modifiée par petites touches à de multiples reprises, mais elle n’a jamais été refondue. Depuis le 9 décembre 2002 – date de début des travaux préparatoires à la loi du 5 mars 2007 –, puis au cours des débats portant sur ce dernier texte, chaque fois que nous avons tenté de remettre à plat l’ordonnance de 1945, l’opposition s’y est refusée. Elle s’est ainsi opposée à l’introduction de procédures plus rapides pour les mineurs, en dépit des conclusions de nombreux rapports. Quant aux dispositions visant non seulement à éviter la récidive, mais aussi à prévenir la délinquance par des mesures et des sanctions éducatives, la loi du 5 mars 2007 en comporte un grand nombre. L’occasion s’offre aujourd’hui à nous – même si cela demande du temps et n’est pas l’objet premier du projet de loi – de remettre à plat l’ordonnance de 1945, conformément aux trois principes qui la régissent – primauté de l’éducatif, juridiction spécialisée pour les mineurs et atténuation de responsabilité – et à l’exigence de protection des mineurs, qu’ils soient victimes ou auteurs d’infractions. Vos propositions, qui sont intéressantes, doivent donc être accordées avec le texte et avec une refonte plus générale de l’ordonnance de 1945 (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) .

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – S’agissant de la question du jugement des mineurs, nous sommes, quelle que soit notre couleur politique, très majoritairement imprégnés de l’idéal de l’ordonnance de 1945. Lors de la précédente législature, loin d’adopter la position que vous venez, Madame la ministre, de critiquer, nous avons simplement refusé la logique du tout ou rien. Tout traitement du problème de la délinquance des mineurs, qu’il s’agisse des compétences du juge des enfants, des mesures éducatives ou des tribunaux pour enfants, doit, d’une part, prendre en considération la minorité, donc la responsabilité des parents, et, d’autre part, se conformer à l’esprit de l’ordonnance de 1945 ; dès lors qu’une mesure technique ou juridique porte atteinte à celui-ci, nous nous y opposons.

Monsieur Warsmann, il n’y a aucune contradiction entre notre refus d’une comparution immédiate devant le juge pour enfants et notre souhait que la saisine du juge lui permette de rendre un jugement dans un délai de trois mois ; simplement, l’improvisation d’une rencontre immédiate avec le juge est contraire à l’importance que l’ordonnance de 1945 attache à la convocation par le juge et à la réunion d’informations sur la situation du mineur et de sa famille et sur les circonstances des faits.

M. Jacques Alain Benisti – Pourquoi trois mois ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Les risques que comporte l’immédiateté des jugements sont manifestes en comparution immédiate, et nul – magistrats compris – n’est fier de ce qui s’y passe ! La non-immédiateté n’empêche pas un enfant d’être conscient de la possibilité de la sanction. Étant donné les instruments de lutte contre la récidive que vous avez choisis, et que nous n’approuvons pas – à la différence de l’objectif poursuivi -, tentez au moins d’améliorer les conditions d’intervention du juge pour enfants, dont nous savons bien que, faute de temps, il n’ouvre un dossier que lorsque celui-ci pose problème, sans en avoir pris préalablement connaissance.

Le problème de fond est l’instrument d’application des dispositions de la loi. La commission d’enquête parlementaire sur Outreau – dont les conclusions, approuvées à l’unanimité par notre Assemblée, ont été lâchement négligées par la majorité, à l’opposé de ses propres convictions – nous a montré les moyens mis en œuvre tant en matière de procédure d’instruction que pour les détenus en détention préventive. Madame la ministre, votre dispositif sera inefficace si vous ne vous posez pas d’emblée cette question des moyens, faute de quoi vous accréditerez l’idée que vous ne visez que l’affichage au détriment des solutions.

Je rappelle que les décrets d’application des deux dernières lois sur le sujet ne sont pas encore tous publiés. Comment appliquer votre loi si l’on ne peut appliquer la précédente ? La jurisprudence aura de quoi faire !

L’amendement 73, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 3

Mme Delphine Batho – La rédaction de cet article, pierre angulaire du projet, est contournée et contradictoire : d’un côté, la version grand public – les mineurs récidivistes seront condamnés comme des majeurs ; de l’autre, la version pleine de prudence et de précaution que vous nous donnez à entendre et selon laquelle l’article préserverait les spécificités à valeur constitutionnelle propres à la justice des mineurs. Comme nous l’avons déjà dit, ce texte est inadapté à la lutte contre la récidive des mineurs et contre l’augmentation des violences visant les mineurs : il s’attache à la récidive légale alors que le problème est celui de la réitération ; il concerne les mineurs de seize à dix-huit ans alors que les délinquants mineurs sont de plus en plus jeunes ; il n’aura aucun effet dissuasif.

En premier lieu, l’article applique les peines plancher aux mineurs ; or l’ensemble de nos objections relatives à la personnalisation des peines valent a fortiori pour les mineurs.

En second lieu, il allonge la liste des dérogations à l’atténuation des peines qu’ils encourent. À ce propos, l’expression d’ « excuse de minorité » est tout à fait inappropriée, car s’il existe une responsabilité pénale des mineurs, qui doit faire l’objet d’une atténuation, il ne s’agit en rien d’excuser l’acte commis ! En réalité, la gradation des peines en fonction de l’âge est l’équivalent dans notre droit des pratiques empiriques des parents qui ne punissent pas de la même façon un enfant de onze ans et un enfant de dix-sept ans qui ont commis la même bêtise.

Troisièmement, il déroge au principe de la motivation, à tel point que c’est la non-atténuation de la peine qui sera la règle, l’atténuation seule devant être motivée. Dès lors, l’obligation de motivation contenue dans l’article 2 de l’ordonnance de 1945, selon lequel « le tribunal pour enfants ne peut prononcer une peine d'emprisonnement, avec ou sans sursis, qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine », absent du tableau récapitulatif des règles de motivation des décisions de justice s’appliquant aux mineurs qui figure dans le rapport de la commission des lois, deviendra purement formelle.

De retouche en retouche – les nouvelles modifications s’ajoutant à celles qu’introduisait la loi du 5 mars 2007 -, le droit pénal des mineurs est progressivement aligné sur celui des majeurs. La démarche est suffisamment subtile pour procéder par étapes, épargnant chaque fois certains principes à valeur constitutionnelle.

Pour résoudre le problème de la récidive des mineurs, vous auriez très bien pu inscrire dans votre projet un durcissement des peines qu’encourent les mineurs récidivistes, au lieu de permettre aux juridictions d’appliquer aux mineurs les mêmes peines qu’aux majeurs et de déroger pareillement, dans les deux cas, à l’obligation de motivation. Voilà la preuve que votre projet est entièrement idéologique, se contentant de reprendre le leitmotiv de la majorité depuis des années ; or – c’est là tout le problème – c’est par des mineurs que sont commises les violences qui nous préoccupent, non par des majeurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Noël Mamère – Je ne peux qu’abonder dans le sens de Mme Batho. Si l’opposition n’avait besoin que d’un motif pour saisir le Conseil constitutionnel, elle le trouverait dans cet article fondamental du projet, contraire à la fois à la Constitution et à la Convention internationale des droits de l’enfant et sur lequel le Conseil d’État a émis plusieurs réserves. M. le président de la commission des lois – je regrette qu’il soit parti – s’est tout à l’heure emporté, affirmant que notre mission était d’appliquer les promesses du Président de la République, comme si nous n’étions qu’une chambre d’enregistrement, une Assemblée de godillots ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Il nous a reproché d’avoir changé d’avis, lui qui nous affirmait en décembre 2004, défendant une proposition de loi qui l’opposait à M. Estrosi, que les peines minimales obligatoires étaient contraires à notre droit, néfastes à la société, à la justice et aux justiciables ! L’on propose désormais de reléguer l’atténuation de la peine au rang d’exception lors de la seconde récidive d’infraction violente, ce qui est non seulement anticonstitutionnel mais contraire à l’esprit de l’ordonnance de 1945, dont vous prévoyez, une fois de plus, la refonte.

Depuis 2002, non seulement les lois sécuritaires qui ont été votées n’ont pas été évaluées, mais certains décrets ne sont même pas sortis ! Et voilà qu’au nom des engagements pris par le Président de la République, pour des raisons purement idéologiques, vous présentez en urgence une nouvelle loi qui sèmera plus de désordre que de paix sociale ! Depuis 2002…

Plusieurs députés UMP – Arrêtez de radoter !

M. Noël Mamère – L’opposition a pour mission de porter les idées qu’elle a défendues durant la campagne (Rires sur les bancs du groupe UMP).

Un député UMP – Lesquelles ?

M. Noël Mamère – Elle a pour mission de défendre son projet de société.

Plusieurs députés UMP – Qui n’est pas celui des Français !

M. Noël Mamère – Si l’on doit radoter pour défendre une société ouverte contre une société réactionnaire et tournée vers les plus privilégiés, je revendique l’honneur d’être un radoteur !

Depuis 2002 donc, les moyens que vous avez accordés à la protection judiciaire de la jeunesse ont été centrés sur le milieu carcéral. Vous pouvez nier, Monsieur le rapporteur, mais ce sont les auditions que nous avons menées qui le disent ! En particulier, les juges manquent de moyens pour appliquer des mesures éducatives.

L’amendement 26 tend à supprimer cet article 3, qui est au cœur de ce projet, lequel jettera encore plus de mineurs en prison et à criminalisera toute une partie de la jeunesse. Nous ne sommes pas des béni-oui-oui. Nous n’avons pas à exécuter sans protester les promesses du Président de la République. Nous avons pour mission de défendre un projet de société alternatif.

Plusieurs députés UMP – Les Français ont choisi !

M. Noël Mamère – C’est la démocratie, oui, mais cela ne vous empêche pas de respecter la parole de l’opposition ! N’oubliez pas que les choses peuvent très mal se terminer pour les majorités méprisantes et arrogantes. Je demande donc la suppression de cet article qui montre la réalité de votre projet, un projet conservateur, idéologique et répressif.

M. Michel Vaxès – L’amendement 40 est identique. L’article 3 étend en effet aux mineurs le principe des peines minimales défini aux articles 1 et 2. Il limite le principe de l'atténuation de la responsabilité pénale pour les mineurs de plus de 16 ans posé par l'ordonnance de 1945. Depuis cinq ans, vous avez, petit à petit, par des dispositions disséminées, vidé cette ordonnance de son contenu. Cette fois, vous mettez définitivement à mal le souffle humaniste qu’elle portait. Nos divergences sur le sujet sont profondes. Vous recherchez dans l’aggravation des peines et la dureté de la réponse la solution au dramatique problème de la délinquance. Cela vous mènera dans le mur, comme tous les autres pays qui ont choisi la même voie et qui voient la violence s’aggraver et s’organiser. Ce n’est pas ainsi que vous obtiendrez les résultats que nous souhaitons tous. Il suffit de regarder la carte des violences pour s’en convaincre : elle correspond aux îlots de pauvreté ! Si donc les mesures de punition, y compris par enfermement, sont indispensables, elles doivent impérativement être accompagnées d’une politique sociale et éducative forte.

Cet article permet au juge d’écarter l'excuse de minorité sans motivation spéciale pour les délits de violence volontaire, d'agression sexuelle et les délits avec circonstance aggravante de violences. Il oblige également à écarter l'excuse de minorité lorsque le mineur se trouve une nouvelle fois en état de récidive : les peines prévues pour les majeurs s'appliqueront alors, sauf si le juge décide de retenir tout de même l'atténuation de la peine, auquel cas sa décision doit être spécialement motivée. En renversant ainsi le principe de l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs, cet article remet fondamentalement en cause l'esprit de l'ordonnance de 1945. Il contredit aussi la Convention internationale des droits de l'enfant, dont la Défenseure des enfants a pourtant rappelé qu’elle oblige à ce qu’un mineur bénéficie toujours d'une justice adaptée à son âge. C’est pourquoi Mme Versini vous demande de maintenir les dispositions actuelles, qui permettent déjà au juge d'écarter l'excuse de minorité en fonction de la gravité de l'infraction et de la personnalité du mineur.

L'Allemagne, l'Autriche, le Portugal, les Pays-Bas, l'Espagne et la Croatie ont un régime pénal plus protecteur, même au-delà de la majorité. La France prévoit un régime moins protecteur dès 16 ans. Vous conviendrez que ces dispositions ne la grandissent pas.

C’est pourquoi je demande la suppression de cet article.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – L’amendement 74 est également de suppression. Je voudrais d’abord souligner que le concept d’excuse de minorité ne vise pas à excuser l’acte lui-même : il s’agit, compte tenu du principe de personnalisation de la sanction, de prévoir une atténuation de peine pour les mineurs. Ce principe doit continuer à guider les décisions du juge. Mais le dispositif a été égratigné à d’innombrables reprises, jusqu’à aujourd’hui, pour la première fois, être carrément inversé. Désormais, en cas de récidive d’un mineur, c’est lorsque le juge décide de ne pas aggraver la sanction qu’il doit s’expliquer ! Il ne décide pas systématiquement une atténuation de peine, il se justifie de ne pas l’aggraver ! C’est très grave. Cela déroge en outre à la convention des droits de l’enfant, selon laquelle toute démocratie doit, quel que soit le seuil de majorité qu’elle retient, sanctionner un acte commis par un enfant par des mesures appropriées, qui comprennent une dimension d’éducation et laissent encore place à des promesses d’avenir.

J’ai toujours pensé qu’on ne pouvait pas combattre des injustices au bout du monde si on n’était pas capable de les combattre chez soi. La révolte que suscite en nous ce dispositif est exactement de la même nature que l’indignation qui nous submerge à voir des enfants travailler dans des conditions inacceptables à l’autre bout du monde.

M. Franck Gilard – On ne peut pas faire une comparaison pareille ! C’est inadmissible !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Nous ne contestons certes pas le principe de la sanction, mais la responsabilité de la société est de trouver un juste équilibre entre la promesse d’avenir et cette sanction indispensable. L’ordonnance de 1945 y parvenait, mais votre disposition lui porte un coup dramatique.

Notre amendement de suppression n’est donc surtout pas l’expression d’une volonté de ne pas sanctionner, mais de rappeler que, surtout s’agissant des mineurs, le sens de la justice doit être au cœur du dispositif. À défaut, le combat que vous engagez sera perdu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Rapporteur – Notre seul point d’accord est que l’article 3 est bel et bien au cœur d’un dispositif qui vise à remédier à la délinquance des mineurs, en particulier à combattre la tendance à la réitération, à la récidive et à la multirécidive des mineurs. Pour le reste, vos propos sont tellement éloignés du texte qu’ils ne sont plus qu’une caricature.

L’article 3 traduit la volonté du Gouvernement de traiter ces questions en respectant un principe fondamental de l’ordonnance de 1945, qui est la gradation de la réponse de la justice pour le mineur délinquant. Dans son 1°, il dit en effet que « la diminution de la moitié de la peine encourue s’applique également aux peines minimales… » C’est bien l’atténuation de la peine, ou si l’on veut l’appeler ainsi, l’excuse de minorité. Le 2° précise d’abord que ces dispositions s’appliquent aux mineurs de plus de 16 ans – il n’est pas inutile de le rappeler. Dans ce cas, le tribunal peut décider qu’il n’y a pas lieu de faire bénéficier le mineur de l’atténuation de la peine prévue dans trois cas, qui ne sont pas banals, jugez-en : « lorsque les circonstances de l’espèce » – donc la gravité des faits – « et la personnalité du mineur le justifient » ; « lorsqu’un crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne a été commis en état de récidive légale » ; « lorsqu’un délit de violences volontaires, un délit d’agressions sexuelles, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale ». Ce n’est pas rien ! Dans ces cas graves, il n’est pas besoin de motiver spécialement la décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l’atténuation de la peine. Enfin, l’atténuation de la peine ne s’applique pas aux mineurs de plus de 16 ans multirécidivistes. C’est ce que vous appelez un renversement, et que nous assumons.

Ce texte ne mérite donc pas d’être caricaturé et traité d’indigne comme vous le faites. La commission n’a pas adopté les amendements de suppression. Cette majorité n’est pas composée d’élus béni-oui-oui, le petit doigt sur la couture du pantalon. Nous avons été élus sur un projet qui est le projet présidentiel, lequel comporte des engagements clairs. C’est le peuple qui a décidé qu’il fallait les retenir et les appliquer. Le Président de la République s’était engagé à dire ce qu’il ferait et à faire ce qu’il aurait dit. Nous ne sommes pas en train d’appliquer servilement une politique dont le peuple ne connaît rien, nous appliquons, de manière lucide et responsable, une politique que les Français ont faite leur en élisant le président et cette majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jérôme Lambert – Ce sont les députés qui font la loi, pas le Président.

Mme la Garde des Sceaux  Nous sommes attachés à préserver le droit spécifique des mineurs. Les trois principes de l’ordonnance de 1945 sont la primauté de l’éducatif, des juridictions spécialisées et l’atténuation de la responsabilité pénale. Notre projet les respecte. Actuellement, le tribunal pour enfants peut déjà écarter le principe de l’atténuation de la responsabilité pénale dès lors que le mineur de plus de 16 ans est récidiviste au sens légal, et il peut le faire sans motiver sa décision. Ce que dit le projet, c’est que pour le mineur de plus de 16 ans qui en est à la troisième récidive pour des crimes avec violence ou de nature sexuelle, le principe de l’atténuation de responsabilité ne s’appliquera plus. Mais le magistrat pourra le rétablir à condition de le motiver. C’est parfaitement cohérent avec l’ordonnance de 1945.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – C’est un renversement.

Mme la Garde des Sceaux  Ce n’est pas un renversement, c’est une gradation. Comme pour les peines minimales, on a un régime de récidive simple et de récidive aggravée.

Je veux juste évoquer un exemple, parmi tant d’autres. Comment excuser le meurtre sauvage de la jeune Ghofrane, morte lapidée avec une quarantaine d’impacts de pierres sur le crâne, un doigt et une oreille sectionnés, 17 dents cassées, plusieurs côtes fracturées… Ses deux meurtriers, âgés de 16 et 17 ans, avaient été condamnés avant les faits, dix fois pour le premier, quatre fois pour le deuxième, et dans un cas en assises. Pour ces condamnations antérieures, on avait respecté le principe d’atténuation de la responsabilité. Cela n’avait pas servi à grand-chose. Avec ce principe, ils encouraient une peine maximale de 15 ans. La cour d’assises en a décidé autrement et les a condamnés à 23 ans de réclusion criminelle. C’est le verdict d’un jury populaire. Il faut cesser de faire de l’angélisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Alain Benisti – M. Le Bouillonnec s’indigne de l’injustice qu’il y aurait à moins protéger ces mineurs. Mais ils ne ressemblent plus aux mineurs de 1945. Mme la ministre vient de donner un exemple. Dans votre propre département, Monsieur le Bouillonnec, un commerçant qui portait sa recette à la banque a résisté à son agresseur. Un autre a pris sa moto et lui a roulé dessus. Il a eu le bras arraché. Comment traiter un délinquant capable de tels actes odieux ? Soit, il faut conserver les bases de l’ordonnance de 1945. Mais il faut aussi s’adapter à l’évolution de la délinquance. C’est Mme Batho qui nous le dit, aujourd’hui un fait de grande délinquance aggravé avec violence est, une fois sur deux, commis par un jeune mineur.

Mme Delphine Batho – D’abord, je suggère de ne pas se jeter les victimes à la figure. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Alain Benisti – C’est vous qui ne faites que donner des exemples !

Mme Delphine Batho – Le sujet est assez grave pour mériter le respect réciproque.

Reprenons l’exemple de la jeune Ghofrane. Les auteurs n’en étaient pas à leur premier acte de violence, pas plus que ceux qui ont brûlé Mama Galedaou à Marseille, pour citer un autre exemple souvent mis en avant par le Président de la République. Nous ne voulons pas accepter cet échec terrible que serait le fait de prononcer une sanction grave une fois que ces jeunes femmes ont été lapidées ou brûlées. Ce que nous voulons, c’est qu’il y ait une sanction assez ferme et assez précoce pour que cette récidive n’ait pas lieu.

Et n’y a-t-il pas ici une forme d’hypocrisie ? Dans de multiples déclarations, le Président de la République et les membres de son équipe de campagne ont expliqué que l’objet de ce texte était de supprimer l’excuse de minorité et de juger les mineurs récidivistes comme des majeurs. Il y a donc bien une entorse au principe de l‘ordonnance de 1945 auquel le Conseil constitutionnel a donné valeur constitutionnelle. En effet, ce texte ne dit pas que pour un mineur récidiviste, il faut durcir la sanction, mais que le mineur récidiviste doit être jugé comme un majeur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Noël Mamère – Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Toucher au code pénal, à la procédure pénale, c’est toucher à la situation de chaque citoyen, coupable, condamné ou victime.

Vous aurez beau ressasser les promesses du Président de la République, le Parlement n’est privé d’aucun de ses droits ; c’est à lui que revient la responsabilité de faire la loi, en particulier la loi pénale, et nous, minorité, nous continuerons à défendre nos positions. Nous voulons une loi juste, équitable, qui ne se transforme pas en rouleau compresseur – comme ce fut le cas pour les textes précédents, la commission d’enquête sur Outreau l’a bien montré.

Non, Madame la ministre, nous ne sommes pas angéliques, et nous ne servons pas les délinquants plutôt que les victimes ; mais nous constatons une rupture avec l’ordonnance de 1945, dont le principe était l’atténuation des peines par l’excuse de minorité : on inverse la règle, et désormais, il faudra que le juge apporte une justification.

Ce n’est pas en se focalisant sur la récidive qu’on va empêcher qu’il y ait des victimes. Ce qu’il faut, c’est agir pour que les infractions ne soient pas commises.

Les amendements 26, 40 et 74, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Michel Vaxès – Mon amendement 41, qui est de repli, tend à compléter l’alinéa 3 par la phrase suivante : « Toutefois, le tribunal pour enfants peut, dans tous les cas, prononcer une mesure éducative. » En effet, l’emprisonnement des mineurs doit demeurer l’exception, et il n’est pas superflu de le rappeler, contrairement à ce que vous avez indiqué au Sénat.

M. le Rapporteur – Cet amendement est sympathique, mais il ne fait que répéter ce qui est écrit au premier alinéa de l’article 2 de l’ordonnance de 1945. Avis défavorable donc.

Mme la Garde des Sceaux  Même avis. Le fait de privilégier les mesures éducatives est le principe même de l’ordonnance de 1945.

M. Michel Vaxès – Comme vous avez annoncé sa remise à plat, mieux vaut prendre des précautions.

M. le Rapporteur – Ne vous faites pas peur !

M. Michel Vaxès – Force est de constater que vous remettez en cause l’esprit de cette ordonnance. Il ne suffit pas de vous réclamer des engagements pris par le Président de la République : souvenez-vous qu’au lendemain du deuxième tour, un sondage a montré que 61 % de nos concitoyens étaient hostiles à la franchise sur les soins. Quand les Français verront comment se concrétisent ces engagements, ils auront d’autres surprises douloureuses !

M. le Rapporteur – Le seul vrai sondage, c’est l’élection !

L'amendement 41, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 6 est rédactionnel.

L'amendement 6, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme Delphine Batho – Les amendements 77 et 75 rectifié sont défendus.

Les amendements 77 et 75 rectifié, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur – L’amendement 7 rectifié est de coordination.

L'amendement 7 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Noël Mamère – L’amendement 27 est défendu.

L'amendement 27, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 8 rectifié est rédactionnel.

L'amendement 8 rectifié,accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 9 est de coordination.

L'amendement 9, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 3 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 4

M. le Président – Je suis saisi de trois amendements de suppression.

M. Noël Mamère – Le 28 est défendu.

M. Michel Vaxès – Le 42 aussi.

M. Manuel Valls – Ainsi que le 78.

M. le Rapporteur – À ces amendements de suppression par coordination, avis défavorable par coordination.

Les amendements 28, 42 et 78, repoussés par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article 4, mis aux voix, est adopté.

ART. 5

M. Serge Blisko – Nous avons souligné dans la discussion générale l’extrême difficulté dans laquelle les articles 5 à 9 allaient mettre le monde de l’expertise psychiatrique et les juges de l’application des peines.

L’injonction de soins suppose en effet une extrême précision dans ce qu’on cherche à obtenir ; à cet égard, comme nombre de professionnels qualifiés l’ont indiqué, l’extension du champ des incriminations visées n’est pas satisfaisante. À force de tout psychiatriser, on va déresponsabiliser : la médecine va tenir lieu de sanction.

Le paradoxe, c’est que dans le même temps, on va continuer à demander de punir des gens qui sont vraiment malades ; on en trouve de plus en plus dans le monde carcéral, où elles sont mal soignées. Il faudrait que les services médico-psychologiques régionaux – SMPR –, voire, demain, les unités hospitalières spécialement aménagées – UHSA – soient beaucoup mieux dotés en personnels compétents pour accomplir correctement ce travail difficile, qui suscite tant d’angoisses et d’interrogations. Il faut aussi multiplier les SMPR, car le délabrement de ce volet de la médecine pénitentiaire est bien réel. Enfin, il faut qu’il y ait des structures intermédiaires pour continuer à aider et à soigner ces personnes lorsque leur détention prend fin. Les obliger de manière aussi détestable à se faire soigner en mettant leur sursis ou leur libération conditionnelle dans la balance ne me paraît pas de bon augure, surtout en psychiatrie, où le consentement aux soins est essentiel. Bref, tout cela est confus, grave et peu étayé.

M. le Président – Je demande à nos collègues qui sont inscrits sur les articles de respecter leur temps de parole : il est de cinq minutes pour tout le monde.

M. Michel Vaxès – J’irai plus loin, Monsieur le président, puisque mon intervention sur l’article vaudra défense de tous mes amendements de suppression des articles relatifs aux injonctions de soins, à commencer par l’amendement 43.

La psychiatrisation de la délinquance que vous organisez opère un transfert dangereux de la responsabilité de la justice vers la médecine. Je crains surtout qu’elle ne serve de justification à l’absence de prise en charge socio-éducative des délinquants. Le cadre socio-éducatif demeure pourtant, dans l’immense majorité des cas, le plus adéquat pour prévenir la délinquance.

En confiant finalement un pouvoir juridictionnel aux experts, vous vous défaussez de toute responsabilité. Nous ne sommes plus dans la logique de la séparation des pouvoirs. Le manque de médecins coordonnateurs assurant l'interface entre le juge de l'application des peines et le médecin traitant est au surplus tel que le phénomène sera encore amplifié. Vous assurez vouloir en recruter en nombre, et c'est pourquoi vous n'envisagez l'application de ces mesures qu’en mars 2008. Vous n'ignorez cependant pas que plusieurs centaines de postes de praticiens hospitaliers sont vacants en psychiatrie. Comment allez-vous faire ? Imposerez-vous aux psychiatres du secteur privé de s'investir dans le secteur pénitentiaire ? Je vous souhaite bien du plaisir !

J'ajoute que les psychiatres considèrent – à juste titre – que l'instauration d'une relation de confiance avec le patient est indispensable à l'évolution positive de toute psychothérapie. Il serait d'ailleurs utile, dix ans après la loi de 1998 instaurant le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins, de dresser un bilan de cette mesure. Rien n'a été fait en ce sens à ma connaissance. Mais qu'importe, puisque vous systématisez ces injonctions de soins sans même vous préoccuper de leur pertinence. Au fond, ce qui vous intéresse n'est pas de soigner, mais de vous débarrasser des problèmes que posent les délinquants. Les articles 8 et 9 prévoient même d'interdire les réductions de peine et la libération conditionnelle aux personnes refusant les soins !

M. Jacques Domergue – Il ne s’agit pas de psychiatriser les délinquants, Monsieur Vaxès, mais d’identifier ceux d’entre eux qui relèvent d’une prise en charge psychiatrique. Les arguments fallacieux sur le manque d’effectifs dans le secteur psychiatrique n’y changeront rien : la société demande que l’on prenne en considération les problèmes auxquels elle est confrontée. Certains délinquants relèvent d’une prise en charge purement éducative,…

M. Michel Vaxès – La majorité !

M. Jacques Domergue – …d’autres d’une mesure répressive, et d’autres d’une prise en charge médicale. Le discernement n’est certes pas aisé, mais nous devons avant tout être efficaces. Remettre en liberté des personnes qui n’ont pas toute leur conscience et qui font courir des risques à la société n’est pas souhaitable. Si l’on veut protéger nos concitoyens, il est indispensable de faire la part des choses.

M. Michel Hunault – Je ne comprends pas la réaction de nos collègues sur cet article 5. Nous avons nous-mêmes constaté, dans les rapports que nous avons rédigés sur la situation des prisons, qu’un certain nombre de détenus relevaient davantage de la psychiatrie que de la prison. Le taux de récidive est important pour les crimes et délits sexuels. Pour lutter efficacement contre la récidive, le texte prévoit d’assortir les sanctions d’une obligation de soins. En quoi est-ce condamnable ? Il subsiste en revanche une incertitude sur l’obtention des moyens nécessaires à la mise en œuvre de ces dispositions – mais Mme la garde des Sceaux a pris des engagements hier à cette tribune. En effet, le besoin en personnels qualifiés est important. Notre soutien vous sera précieux, Madame la garde des Sceaux, pour livrer cette bataille des moyens !

M. Noël Mamère – Mon intervention vaudra défense de l’amendement 29 de suppression de l’article. On ne peut nier qu’il y a une psychiatrisation de la délinquance. Vous savez pertinemment qu’un certain nombre de criminels et de délinquants sexuels ne sont pas atteints de troubles psychiatriques, mais de troubles de la personnalité – devant lesquels la psychiatrie moderne reste assez impuissante. Nous savons en revanche, pour avoir visité des prisons dans le cadre de la commission d’enquête sur les prisons, qu’un certain nombre de malades y sont envoyés alors qu’ils n’ont rien à y faire. J’ai rendu visite avec l’Observatoire international des prisons au SMPR d’Amiens, qui a été supprimé. Dans bien des prisons, les détenus ne peuvent pas rencontrer de spécialistes pour les aider. Les articles 8,9 et 10 sont encore un autre moyen de supprimer l’individualisation des peines. Si l’on veut vraiment se pencher sur la question des malades en prison, il faut aborder celle des moyens médicaux à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons. Mais on préfère donner 13 milliards d’euros à 1 % de la population plutôt que se donner les moyens de la pacification et de la réinsertion ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Par l’amendement 80, nous proposons de supprimer l’article, qui tend à rendre systématique, dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, l’injonction thérapeutique dont le prononcé était jusqu’à présent facultatif. Mais comme c’est la seule modification apportée à l’article 131-36-4 du code pénal, la personne concernée pourra toujours refuser les soins. À nouveau, un principe est modifié, le prononcé de l’injonction thérapeutique s’imposant désormais au juge sauf décision contraire dûment motivée, sans que l’on comprenne le pourquoi d’une telle mesure qui paraît superfétatoire, puisque tout dépendra in fine de la volonté de la personne considérée. Serait-ce pour donner une dimension plus honorable à ce texte ?

M. le Rapporteur – Ma réponse vaudra pour ces amendements de suppression comme pour ceux qui portent sur les articles 6 à 9. L’injonction de soins n’est pas née d’une réflexion récente du Gouvernement, puisqu’elle résulte de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles et à la protection des mineurs. L’objectif était, en aidant le délinquant par une meilleure prise en charge, à prévenir la récidive. Je tiens à souligner que les articles 5 à 9 du présent projet fixent des orientations mais que la juridiction conserve toujours la maîtrise complète de la décision pénale. Toute autre vision du dispositif conduit à une interprétation réductrice, partiale donc erronée du texte. Il est faux de dire que cet article opérerait un transfert de responsabilité de la justice vers la médecine. Le juge se prononcera sur la base de l’expertise médicale, mais il aura toujours la faculté de ne pas suivre l’avis des experts. L’expertise médicale sera donc mise au service de la justice et du délinquant, et si le prononcé de l’injonction de soins est systématisé, elle n’est pas imposée au juge, qui pourra ne pas la prescrire s’il l’estime opportun.

Mais tout cela n’a de sens que si des moyens supplémentaires sont accordés à la médecine psychiatrique en milieu judiciaire. C’est pourquoi la mesure ne prendra effet qu’au 1er mars 2008, ce délai permettant à la chancellerie, en coordination avec le ministère de la santé, de procéder à un recrutement massif de médecins coordonnateurs, dont le nombre passera de 202 à 500. Mme la garde des Sceaux l’a indiqué en commission et, plusieurs fois, dans cet hémicycle.

L’injonction de soins est une chance pour le condamné, et elle contribue à lutter contre la récidive. C’est pourquoi la commission s’est prononcée contre les amendements de suppression des articles 5, 6, 7, 8 et 9.

Mme la Garde des Sceaux  L’injonction de soins a fait la preuve de son efficacité. Dès que les experts diront considérer un traitement nécessaire, les soins deviendront obligatoires, sauf si le tribunal ne l’estime pas nécessaire. S’agissant des personnes déjà condamnées, le projet tend à systématiser la faculté offerte au juge de l’application des peines de prononcer une injonction de soins. En aucune manière le juge ne se fait médecin ni le médecin juge. Je rappelle par ailleurs que seule pouvant être jugée une personne responsable de ses actes, des experts psychiatres sont déjà chargés, aux assises, de déterminer l’existence de troubles graves de la personnalité. Leur intervention, dans le cadre de ce projet, contribuera à la prévention de la récidive. J’exprime donc un avis défavorable aux amendements de suppression.

Mme Marylise Lebranchu – J’aurais aimé que l’on parle de la psychiatrie en prison, mais je suppose que nous y viendrons lors de l’examen de la loi pénitentiaire. Cependant, Madame la garde des Sceaux, que se passera-t-il en mars 2008 si, malgré ses efforts, le Gouvernement n’a pas réussi à recruter les 300 médecins coordonnateurs qui font défaut ? Actuellement, entre un tiers et la moitié de ces postes sont vacants selon les établissements, ce qui entraîne de considérables difficultés dans l’exécution des soins. Le cas a ainsi été évoqué d’un condamné qui attend un rendez-vous depuis sept mois… Que fera-t-on quand de nouvelles injonctions seront prononcées, qui ne pourront pas davantage être appliquées ? La solution consiste à former de médecins dans le système pénitentiaire mais, dans l’intervalle, qui fera le suivi ?

Les amendements 29, 43 et 80 mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Serge Blisko – J’ai quelques doutes sur la possibilité pour le Gouvernement de recruter, en sept mois, 300 psychiatres publics formés aux tâches qui les attendent. De plus, l’article supprime l’obligation de double expertise, ce qui n’est pas innocent. On pourrait penser que la pénurie étant ce qu’elle est, la mesure tend à s’éviter des difficultés insurmontables et des délais impossibles, mais ces raisons ne sont pas recevables. Si la loi de juin 1998 a institué la double expertise, c’est qu’elle est indispensable tant est lourde la responsabilité qui découle de la décision qui sera prise.

Tous les experts psychiatres le savent, ce sont là des questions éminemment complexes. Aucun d’entre eux n’est capable de prédire ce que deviendra tel ou tel délinquant sexuel dans tel délai si lui est appliqué tel programme de soins. Ce n’est pas possible, à moins de recourir à des traitements radicaux que notre humanisme en matière médicale nous interdit d’envisager.

C’est pourquoi nous proposons, par l’amendement 81, de rétablir la double expertise.

M. le Rapporteur – Une expertise unique poserait problème s’il s’agissait, comme dans l’article L. 712–21 du code de procédure pénale, d’examiner la possibilité d’une libération conditionnelle. Mais il ne s’agit ici que de déterminer les modalités de mise en œuvre du suivi socio-judiciaire. L’amendement alourdirait donc inutilement le dispositif prévu.

Mme la Garde des Sceaux  Même avis.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – L’ensemble des experts psychiatres entendus par la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau ont souligné l’extrême difficulté de leur tâche et le poids de la responsabilité qui pèse sur eux, encore accrus en cas d’expertise unique. À supprimer l’obligation d’une double expertise, vous prenez des risques considérables. Je comprends bien que c’est le manque de moyens qui dicte votre décision mais à chaque fois que l’on a modifié la procédure pénale pour des raisons budgétaires, on s’est lourdement trompé et on a pris le risque d’aboutir à des situations de non-droit et à des errements – dont la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau a unanimement conclu qu’ils ne devaient plus pouvoir se reproduire.

M. Manuel Valls – Très bien !

L'amendement 81, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 10 est de clarification.

Mme la Garde des Sceaux  Avis favorable.

M. Serge Blisko – Je conteste que cet amendement clarifie quoi que ce soit. Il est au contraire particulièrement obscur.

M. le Rapporteur – Il s’agit bien d’un amendement de clarification qui supprime l’adverbe « alors » dans le 2° de l’alinéa 8. La rédaction actuelle du texte pourrait en effet donner à penser que l’audition du condamné, l’avis du procureur de la République et le caractère exécutoire de la décision du juge d’application des peines sont réservés aux seuls cas où le condamné refuse les soins proposés, encourant ainsi une peine d’emprisonnement. Or, ces garanties s’appliquent tout au long de la procédure devant le juge d’application des peines.

L'amendement 10, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 11 est de coordination.

L'amendement 11, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 5, modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 6

M. Noël Mamère – L’amendement 30 tend à supprimer l’article.

M. Manuel Valls – L’amendement 82 également.

Les amendements 30 et 82, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Serge Blisko – L’amendement 83 est défendu.

L'amendement 83, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 12 est de coordination.

L'amendement 12, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 6, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 6

M. Manuel Valls – Les amendements 65 rectifié et 66 sont défendus.

L'amendement 65 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l’amendement 66.

ART. 7

M. Noël Mamère – L’amendement 31 tend à supprimer l’article.

M. Manuel Valls – L’amendement 84 également.

Les amendements 31 et 84, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article 7, mis aux voix, est adopté.

ART. 8

M. Noël Mamère – L’amendement 32, de suppression, est défendu.

M. Manuel Valls – L’amendement 85 également.

Les amendements 32 et 85, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article 8, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 8

L'amendement 52 est retiré.

ART. 9

M. Noël Mamère – L’amendement 33 est de suppression.

M. Manuel Valls – L’amendement 86 également.

Les amendements 33 et 86, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur – L’amendement 13 est de clarification, l’amendement 14 rédactionnel et l’amendement 15 de coordination.

Les amendement 13 à 15, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'article 9, ainsi modifié, est adopté.

APRÈS L'ART. 9

M. Serge Blisko – L’amendement 79 demande que le Gouvernement dresse, avant l’entrée en vigueur des dispositions du présent texte, un bilan, quantitatif et qualitatif, de l’application de l’injonction de soins instituée par la loi du 17 juin 1998.

D’après les statistiques de la Chancellerie, 1 066 justiciables se seraient vu imposer un suivi socio-judiciaire, soit seulement 10 % des quelque dix mille condamnés potentiellement concernés. Laurent Bedouet, membre du bureau de l’Union syndicale des magistrats, expliquait dans Le Figaro du 16 juin dernier que le recours encore insuffisant à ce dispositif s’expliquait en grande partie par le manque de médecins coordonnateurs. Xavier Lameyre, ancien juge de l’application des peines dans l’Essonne, aujourd’hui chargé de formation et de recherche à l’ENM, explique, pour sa part, que les juges disposent aujourd’hui de tous les outils juridiques nécessaires, et de conclure : « Là n’est pas la question, l’important est de pouvoir mettre en œuvre les dispositions existantes, notamment en matière de soins. »

Nombre de magistrats partageant notre scepticisme, nous aimerions savoir exactement quels moyens seraient nécessaires pour que la loi de 1998 soit correctement appliquée.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. D’une part, l’amendement évoque une confusion entre la punition du délit et le soin, alors que le texte propose de généraliser l’injonction de soins, dont l’efficacité est prouvée, aux fins d’une meilleure connaissance du délinquant et d’une meilleure justice. D’autre part, malgré la célérité bien connue des services du ministère de la justice, je suis surpris que vous demandiez un bilan pour la date d’entrée en vigueur de la loi ! Enfin, l’amendement sous-entend que les effets de l’injonction de soins seraient mal connus et que ce dispositif ne devrait entrer en vigueur qu’une fois établi le bilan demandé, alors que la procédure n’a rien d’une nouveauté et que tous – y compris les experts que mentionnait M. Blisko – en reconnaissent l’efficacité pour limiter le risque de récidive.

Mme la Garde des sceaux – Même avis, car le bilan demandé existe déjà : il est consultable sur le site du ministère de la justice. Cela étant, votre préoccupation est légitime car, si le suivi socio-judiciaire est en effet extrêmement efficace pour lutter contre la récidive, il n’est prononcé que dans 10 % des cas où il serait nécessaire. Voilà pourquoi, soucieux de disposer des moyens indispensables à ce suivi, nous renvoyons au 1er mars 2008 l’entrée en vigueur des dispositions relatives à l’injonction de soins.

L’amendement 79, mis aux voix, n'est pas adopté.

AVANT L’ART. 10

M. le Rapporteur – L’amendement 16 tend à réécrire l’intitulé du chapitre III.

L’amendement 16, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

ART. 10

M. Noël Mamère – L’amendement 34, de suppression, est défendu.

L’amendement 34, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Serge Blisko – Madame la garde des Sceaux, nous nous accordons tant sur les bons résultats du suivi socio-judiciaire que sur son application insuffisante. C’est en raison de ces constats que, jugeant quelque peu utopique votre projet de créer 300 postes en six mois et souhaitant garantir les moyens d’une pratique sérieuse de l’injonction de soins, nous proposons par l’amendement 87 de substituer à la date du 1er mars 2008 celle du 1er mars 2010 pour l’entrée en vigueur du texte.

L’amendement 87, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L’article 10, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L’ART. 10

M. Serge Blisko – À partir du 1er mars 2008, nous serons en terrain mouvant, car le juge d’application des peines devra appliquer la loi sans en avoir les moyens. Selon l’amendement 68 rectifié, une évaluation de la loi est nécessaire afin de mesurer la pertinence des dispositifs créés et les effets bénéfiques ou néfastes des mesures adoptées. Cela permettra d’introduire d’éventuelles corrections. Il s’agit d’un amendement de repli, qui demande une évaluation pour le 31 mars 2011, à défaut de l’obtenir pour le 1er mars 2008 ou le 1er mars 2010.

M. le Rapporteur – Dans sa première version, l’amendement nous semblait contenir une idée intéressante que nous souhaitions pouvoir retenir. Je remercie nos collègues socialistes d’en avoir retravaillé la rédaction. La commission est favorable à l’amendement ainsi amélioré (« Ah ! » sur de nombreux bancs).

Plusieurs députés UMP – Quelle ouverture !

Mme la Garde des sceaux – Tout comme il nous a paru nécessaire de différer l’entrée en vigueur de la loi, il nous paraît légitime d’en accepter l’évaluation, en particulier s’agissant du suivi socio-judiciaire. Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.

L’amendement 68 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – À l’unanimité !

ART. 11

M. Noël Mamère – L’amendement 35, de suppression, est défendu.

M. Manuel Valls – L’amendement 69 est identique.

Les amendements 35 et 69, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L’article 11, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Nous avons achevé l’examen des articles. Conformément à la décision de la Conférence des présidents, nous allons procéder aux explications de vote et au vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Noël Mamère – Nous l’avons dit : cette loi est une loi d’affichage, une loi idéologique, accordée à l’esprit conservateur et répressif qui anime la majorité, dans la lignée des lois sécuritaires proposées à partir de 2002 par le ministre de l’intérieur devenu Président de la République – lois qui ont prouvé leur inefficacité, puisque la violence contre les personnes a considérablement augmenté depuis lors. Celle-ci est contraire à l’esprit de la Constitution – et nous nous réservons le droit de saisir le Conseil constitutionnel sur ce texte hypocrite – comme à l’idée d’une politique judiciaire destinée aux mineurs. Il devient ainsi obligatoire pour le juge de motiver la remise en liberté d’un mineur : contrairement à l’Allemagne, la France applique donc aux mineurs les dispositions prévues pour les majeurs, comme si les premiers étaient des adultes en réduction et non des êtres en développement ! Cette confusion dangereuse contribue à criminaliser une partie de la société française et une fraction importante de notre jeunesse. Pour répondre à la faillite du système judiciaire et des dispositifs sociaux et éducatifs, vous avez choisi la répression ; le moment viendra où vous devrez en rendre compte devant les Français (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Tous les spécialistes – magistrats, avocats, associations – qui se préoccupent de la situation des mineurs et de celle des prisons s’accordent pour dire que la loi que la majorité s’apprête à approuver ne fera qu’accroître la surpopulation carcérale et la dégradation des conditions de détention, qui atteint déjà un niveau inégalé depuis 1945. C’est endosser une grave responsabilité devant la représentation nationale. Voilà pourquoi le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera résolument contre ce texte.

M. Yves Censi – Vous êtes des imprécateurs !

M. Michel Hunault – Madame la ministre, vous avez le soutien du groupe Nouveau Centre, qui votera en faveur du texte. Celui-ci honore devant les Français un engagement contracté par le Président de la République au cours de sa campagne. En instaurant des peines minimales pour les récidivistes, il dote la récidive d’un régime juridique spécifique. En excluant l’excuse de minorité pour les mineurs récidivistes, il contribue à mettre fin au sentiment d’impunité. En outre, il soumet à un suivi judiciaire et psychiatrique les condamnés atteints de troubles mentaux et les auteurs de crimes sexuels.

Pour être efficace – le groupe Nouveau centre l’a souligné –, ce projet doit bénéficier des moyens financiers indispensables à notre justice. Mais, contrairement à ce qu’affirme l’opposition, il ne restreint pas la capacité de juger des magistrats, auxquels le pouvoir d’évaluer la peine prononcée est conservé. Le juge ne sera en aucun cas contraint d’appliquer mécaniquement la loi : sa liberté d’appréciation est donc maintenue. Il conserve également la possibilité d’aménager les conditions d’application de la peine privative de liberté.

En outre, il est faux de soutenir que ce projet instaure un système de condamnation systématique ; du reste, les principes de personnalisation et d’individualisation de la peine comme de liberté d’appréciation laissée aux magistrats sont garantis par le Conseil constitutionnel.

Enfin, le projet se place résolument du côté des victimes.

Je salue l’engagement, que vous avez confirmé lors de la discussion générale, de déposer dès le mois de septembre deux projets visant, pour l’un, à instaurer un contrôle indépendant des prisons et, pour l’autre, à élaborer une loi pénitentiaire redéfinissant les missions de la prison ; nous vous assurons de notre soutien dans ces deux entreprises. En réalité, la crainte, dont l’opposition s’est fait l’écho, d’une augmentation sensible du nombre de détenus dans un contexte carcéral déjà préoccupant est tout à fait infondée : ce sera au législateur, lors de l’examen de la loi pénitentiaire, de promouvoir les peines alternatives à l’emprisonnement – contrôle judiciaire, bracelet électronique ou semi-liberté, par exemple – et de rendre plus exceptionnelle la détention provisoire.

Pour lutter efficacement contre la récidive, il faut développer le travail et la formation en prison et éviter les sorties sèches. Il faut aussi veiller à l’exécution des peines, sachant qu’un tiers des 100 000 peines d’emprisonnement prononcées chaque année ne sont pas exécutées.

Madame la garde des Sceaux, le Nouveau centre apporte son soutien à ce projet de loi qui concilie fermeté et humanité et il sera au rendez-vous des deux prochains textes, qui permettront sans doute d’améliorer la situation dans les prisons (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. Jacques Alain Benisti – Le débat extrêmement constructif qui vient d’avoir lieu a permis de démontrer que le texte que nous allons voter est novateur, par son système de peines minimales, mais également juste et humain grâce à ses articles 5 à 11 qui pour la première fois incluent dans la procédure pénale une aide psychologique, notamment pour les délinquants sexuels, et enfin équilibré, du fait des nombreuses possibilités données aux magistrats d’aménager les sanctions. C’est un complément indispensable aux réponses que le Gouvernement avait déjà apportées aux problèmes de la délinquance. Le groupe UMP votera évidemment ce projet qui répond à la fois à une demande forte des Français, souvent victimes de ces délits à répétition, et au premier des engagements du Président de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

M. Manuel Valls – Au terme de cette discussion, Madame la garde des Sceaux, l’on a pu lire ici ou là que le groupe socialiste vous ménageait. Nous ne vous ménageons pas, nous vous respectons – au nom de quoi nous estimons pouvoir vous juger sur votre action et sur elle seule. Aujourd’hui, ce jugement est sévère.

M. Arnaud Montebourg – Très sévère !

M. Manuel Valls – Nous avons abordé ces travaux dans un esprit d’ouverture, animés par la conviction que la récidive n'est une fatalité que pour ceux qui s’enferment dans des certitudes dogmatiques. Avec un talent que chacun a pu découvrir, Delphine Batho a bien exprimé cet état d'esprit. Ce qui en est ressorti, ce sont les responsabilités de chacun, votre incapacité à traiter la violence depuis des années, le pragmatisme de nos propositions et notre refus commun, ou en tout cas partagé avec la quasi-totalité de la majorité, de transformer la discussion en débat entre les angéliques et les tout répressifs. Je crois donc pouvoir affirmer qu’aucun député du groupe socialiste ne s'est livré à ces attaques outrancières dénoncées par la Chancellerie.

L’échange n’a malheureusement pas eu lieu. Hormis celui de Serge Blisko, nos amendements ont tous été rejetés et nos interrogations sont restées sans réponse, bien qu’elles aient été relayées au cœur même de la majorité – c’est ainsi que nous apprécions que certains de nos amendements aient été soutenus par M. Fenech ou que, dans une intervention remarquée, Étienne Pinte ait fait part de sa perplexité et de sa crainte que le dispositif entraîne un accroissement de la récidive chez les mineurs. Même Jacques Myard, favorable au texte, s'est ému – c’est dire ! – qu’on envoie des mineurs en prison, au risque de les mettre au contact des vieux chevaux de retour – il sait de quoi il parle !

Les conditions d'une discussion constructive étaient réunies. Faute de nous avoir écoutés, la majorité portera seule la responsabilité de son inévitable échec. Car il est inévitable ! Le projet de loi a été rédigé sans concertation, dans une hâte fébrile dénoncée par tous les experts et par la presse de toute opinion… (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Arnaud Montebourg – Sans exception !

M. Manuel Valls – Il rate sa cible et provoquera sans doute de graves dommages. Car, comme de très nombreux orateurs l'ont expliqué, la justice souffre avant tout d’une insuffisance criante de ses moyens humains et matériels. Or, cela ne fait pas un mois que vous êtes au pouvoir, comme vous aimez à le dire, mais un mois et cinq ans : vous êtes responsables de ce bilan ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Plusieurs députés UMP – Vingt ans ! Vous avez été là vingt ans !

M. Manuel Valls – Certes, il est moins médiatique d'augmenter une ligne budgétaire que de présenter un huitième projet de loi en Conseil des ministres. Certes, il est plus populaire – dans vos rangs – d'accorder des avantages fiscaux aux plus riches… (« Encore ! » sur les bancs du groupe UMP) que de créer des postes de médecin psychiatre ou de greffier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Pourtant, rien n’ira tant que l’on n’accordera pas à la justice les moyens de son fonctionnement.

Enfin, ce texte ne comprend aucune mesure de nature à faire diminuer la réitération, phénomène qui constitue l'essentiel de la délinquance des mineurs et qui provoque l'exaspération de nos concitoyens. C’est sans doute pour cela que Bruno Beschizza, secrétaire général du syndicat de police Synergie, le considère comme une escroquerie !

M. le Président – Monsieur Valls, il faut conclure.

M. Manuel Valls – Ce projet, qui restera inefficace contre la récidive, risque cependant d'entraîner des conséquences dangereuses. Ses trois premiers articles mettent à mal plusieurs principes constitutionnels. Un juriste captivé par la forme expliquera sans doute que les droits fondamentaux sont respectés dans la lettre, mais tous ceux qui s'attachent à l'esprit des lois savent que le fond porte atteinte aux principes de l'individualisation des peines et de la spécificité de la justice des mineurs. Nous saisirons le Conseil constitutionnel à ce propos (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Monsieur Valls…

M. Manuel Valls – Monsieur le président, nous avons fait en sorte que le débat s’accélère, je vous demande de me laisser conclure.

Alors que le nombre de détenus s'élève, au 1er juillet, à 61 810 personnes, soit son plus haut niveau depuis le pic historique de juillet 2004, Pierre-Victor Tournier a montré que ce texte pourrait le faire passer à 70 000 dès l'année prochaine (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Pour sa part, Arnaud Montebourg a expliqué que la facture s’élevait à 1,5 milliard : 500 millions pour les 13 200 places de prison, autant pour les 21 centres éducatifs fermés et autant encore pour les 700 places en unités hospitalières. Comment croire à ces promesses, sachant que le budget annuel de la justice ne dépasse pas 6 milliards ? Pour toutes ces raisons, nous vous appelons à voter contre ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

À la majorité de 144 voix contre 93 sur 237 votants et 237 suffrages exprimés, l’ensemble du projet de loi est adopté.

M. le Président – Madame la garde des Sceaux, vous avez la parole (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP).

M. Julien Dray – N’en faites pas trop, chers collègues, on croira à une session de rattrapage ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Garde des Sceaux  Au terme de ces débats, je tiens à vous remercier pour la qualité de nos échanges, ainsi que pour le soutien qui m’a été apporté à titre personnel sur tous les bancs de cet hémicycle. L’Assemblée s’intéresse depuis de très nombreuses années à l'efficacité du dispositif pénal applicable aux récidivistes, aux délinquants mineurs et aux criminels sexuels. Je tiens à rappeler avec émotion le rôle éminent joué par le regretté Gérard Léonard dans la commission d'information sur la récidive pour moderniser notre droit, ainsi que le travail effectué par mon prédécesseur Pascal Clément sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive.

Cette préoccupation continue à se manifester. Nous avons eu ensemble un vrai débat républicain, visant à répondre à une des grandes préoccupations des Français : que la sécurité de chacun soit garantie sans pour autant que nos principes soient malmenés. Je sais que cette préoccupation est partagée sur tous bancs, et c’est pourquoi j'ai accepté l'amendement de M. Blisko sur l’évaluation de la loi.

Notre philosophie pénale est claire : plus d’amnisties, qui affaiblissent la loi, plus de grâces collectives qui amoindrissent le travail des juges, mais faire en sorte que chacun sache que des peines adaptées et dissuasives seront prononcées contre tous les délinquants, et exécutées. C'est dans cet esprit que la commission des lois a travaillé. Je l’en remercie, et je tiens à dire à son président M. Warsmann et à son rapporteur M. Geoffroy combien j'ai apprécié leurs propos toujours pertinents. Le travail de la commission a permis d'enrichir le texte du Gouvernement, qui a donné un avis favorable aux seize amendements qu’elle a présentés. L'équilibre auquel je tenais a été préservé, mais ces amendements ont grandement précisé et complété le texte issu des travaux du Sénat – je pense notamment à l'amendement transférant dans l'ordonnance de 1945 la précision souhaitée par le Sénat – à l'initiative du groupe socialiste –, selon laquelle les mesures et sanctions éducatives ne sont pas prises en compte pour la récidive, ou à l'amendement rendant facultative l'information des condamnés sur les conséquences d'une éventuelle récidive.

Je suis très heureuse de constater qu'il n'y a eu aucune divergence de fond, sur les dispositions principales du projet, entre l'Assemblée et le Sénat. Je suis donc persuadée que la commission mixte paritaire parviendra sans difficulté à un texte commun.

Le texte que vous venez d’adopter est équilibré. Il concilie la nécessaire fermeté face aux récidivistes, y compris les mineurs, et le respect des principes constitutionnels d’individualisation des peines et d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs. Il respecte ainsi l’engagement pris par le Président de la République de renforcer la sécurité et permettra, je n’en doute pas, de rétablir la confiance des Français dans leur justice (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

MISSION TEMPORAIRE D’UN DÉPUTÉ

M. le Président – M. le Premier ministre m’informe qu’il a chargé M. Dominique Perben, député du Rhône, d’une mission temporaire auprès de M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables.

Prochaine séance : lundi 23 juillet à 15 heures.

La séance est levée à19 heures.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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ERRATA

• Dans le compte rendu de la première séance du mardi 17 juillet :

– page 27, lire : « sorties sèches » au lieu de « sanctions sèches » ;

– page 40, les propos qui suivent l’interruption de M. Manuel Valls sont de nouveau ceux de Mme Marie-Louise Fort.

• Dans le compte rendu de la deuxième séance du mardi 17 juillet :

– page 22, l’avis du rapporteur et du Gouvernement sur l’amendement 18 est « défavorable » et non pas « favorable » ;

– page 27, dans la dernière phrase de l’intervention de M. Michel Hunault, supprimer le mot « supplémentaires ».

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