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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du lundi 23 juillet 2007

1ère séance
Séance de 15 heures
19ème séance de la session
Présidence de Mme Catherine Génisson

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La séance est ouverte à quinze heures.

HOMMAGE AUX VICTIMES DE L’ACCIDENT DE VIZILLE

Mme la Présidente – Dimanche, vingt-six pèlerins polonais ont péri dans un accident dramatique, sur une route de l’Isère. La représentation nationale adresse aux familles des victimes et au peuple de Pologne le témoignage de sa profonde sympathie (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence).

CESSATION DU MANDAT ET REMPLACEMENT DES DÉPUTÉS
MEMBRES DU GOUVERNEMENT

Mme la Présidente – M. le Président a pris acte de la cessation, le 19 juillet à minuit, du mandat des dix-sept membres du Gouvernement élus députés le 20 juin. Il a reçu, en application des articles L.O. 176–1 et L.O. 179 du code électoral, une communication de Mme la ministre de l’intérieur l’informant de leur remplacement.

MODIFICATION DE L’ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

Mme la Présidente – M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement m’a fait connaître que l’ordre du jour prioritaire était ainsi modifié : l’examen du texte de la CMP sur le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive aura lieu le 26 juillet à 15 heures ; la séance du mardi 31 juillet au matin est supprimée.

LIBERTÉS ET RESPONSABILITÉS DES UNIVERSITÉS

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, après déclaration d’urgence, relatif aux libertés et responsabilités des universités.

Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche – Je veux rendre hommage aux travaux de votre Assemblée qui ont inspiré le projet de loi : le rapport de la mission d’information de la commission des affaires culturelles sur la recherche publique et privée face au défi international, présidée par Jean-Pierre Door et composée notamment de MM. Lasbordes, Cohen, Lachaud, Le Déaut, Gorce, Domergue, ici présents ; le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la commission des finances sur la gouvernance des universités, signé de MM. Michel Bouvard et Alain Claeys, et dont les préconisations trouvent une concrétisation directe dans ce texte. Je remercie le président de la commission, le rapporteur ainsi que l'ensemble des membres de la commission qui ont accepté de travailler dans des délais courts, imposés par l'urgence même de cette réforme. Les discussions que nous avons eues permettront sans aucun doute d'enrichir ce projet de loi.

Nicolas Sarkozy écrivait dans son livre Témoignages : « Nous devons favoriser l'avènement d'universités puissantes et autonomes, appelées à jouer un rôle central dans la formation des élites et dans l'effort de recherche. L'autonomie des universités est la clef de voûte de la réforme de notre système d'enseignement supérieur. » Ce projet de loi, fruit d'une volonté et d’une réflexion politique longuement mûrie, figure ainsi à la première page de l'agenda du gouvernement.

L’Université est liée à la nation depuis plus de huit siècles : L'Église la créa, les rois la confortèrent, la Révolution lui adjoignit les grandes écoles, l'Empire la refonda, la IIIe République fit d'elle ce qu'elle demeure toujours, un temple républicain du savoir, où chacun peut devenir un homme libre, un esprit éclairé. Je pense particulièrement à l’un de vos prédécesseurs, Madame la présidente : Édouard Herriot, qui, de boursier de la République, devint normalien, agrégé, docteur, puis maire de Lyon, Président du Conseil, président de l'Assemblée nationale, et fut élu à l’Académie française peu après son retour de déportation. C'est à cette histoire que nous devons aujourd'hui être fidèles en osant refonder l'université française.

Cette université nouvelle doit disposer de toutes les armes pour affronter la compétition mondiale de l'intelligence, s’ancrer fermement dans son territoire tout en s’ouvrant au monde, mobiliser chaque membre de la communauté universitaire autour d'un projet d'établissement, offrir à chaque étudiant une formation de qualité et des perspectives professionnelles. Ainsi, elle nous permettra de relever les deux défis auquel notre nation doit faire face : l’élévation du niveau de qualification et la mise en place de réseaux de recherche de niveau international.

La bataille pour conserver nos emplois, nos centres de décision et nos structures de recherche est d'ores et déjà lancée, et comme l’a dit Edgar Morin, elle « se joue sur le terrain de l'esprit ». C’est donc dans nos universités que nous la gagnerons mais que nous la perdrons aussi, si nous n'agissons pas au plus vite. L’urgence appelle l'audace : nul ne nous reprochera d’avoir mené cette réforme tambour battant et d’y avoir jeté toutes nos forces.

La réforme de l'université est difficile et périlleuse : depuis vingt ans, mes prédécesseurs, de droite comme de gauche, convaincus de sa nécessité, l'ont voulue ou l'ont tentée. Mais, je le dis avec une certaine gravité, nous n'avons plus le droit d'échouer aujourd’hui.

Se contenter du statu quo ou céder au renoncement serait irresponsable et coupable, d’abord envers nos étudiants. Sur le million et demi d’étudiants que compte l’université, un tiers seulement a choisi son orientation. Les autres s’y retrouvent, faute d’avoir été admis en BTS, en IUT ou en classe préparatoire, et 90 000 d’entre eux la quittent chaque année sans diplôme.

Ne rien faire serait insulter l'avenir, celui de notre jeunesse qui, l’année dernière, a clairement exprimé son besoin de respect, de justice et de sens, celui de notre pays, déclassé dans la bataille mondiale de l'intelligence. La première université française, l'université Pierre et Marie Curie, occupe seulement la 45e place dans le classement de Shanghai. Certes, ces classements sont sujets à caution, mais que les Européens se donnent les moyens d'en élaborer d'autres, et pourquoi pas sous la présidence française de l'Union européenne, en 2008 ?

Le général de Gaulle aimait à dire qu'« il n'y a de réussite qu'à partir de la vérité ». La vérité, c'est que la France attire encore trop peu d'étudiants venus des pays qui seront au cœur de la croissance mondiale et que nos jeunes chercheurs partent à l'étranger. Les universités françaises voient se dégrader leur attractivité internationale et les travaux de recherche manquent de visibilité.

Dans ce contexte alarmant, le Pacte pour la recherche adopté l'an dernier par le Parlement sous l’impulsion de François Goulard – que je salue – a posé les premières fondations du redressement scientifique de notre pays : les pôles de recherche et d'enseignement supérieur permettent désormais la mise en commun de nos forces scientifiques ; une agence de l'évaluation de la recherche de niveau international est née ; l'Agence nationale pour la recherche a été confortée, et des réseaux thématiques de recherche avancée voient le jour.

Mais il nous faut aller encore plus loin et lever les derniers obstacles sur lesquels vient buter toute une tradition d'excellence scientifique, qui vit 47 Français recevoir le prix Nobel, 9 recevoir la médaille Fields. Nous devons d’abord rompre avec la complaisance, en cessant de faire croire aux étudiants que l'égalité des chances, c'est le droit de tout faire, aussi longtemps que possible. Ensuite, nous devons rompre avec l'indifférence : cessons de fermer les yeux sur une situation que chacun sait explosive.

La France dépense 7 000 euros par an pour un étudiant et 10 000 euros par an pour un lycéen : elle est le seul pays de l'OCDE à présenter un tel déséquilibre. Nous avons laissé l'université devenir le parent pauvre de notre enseignement supérieur, parce que nous la jugions irréformable.

La réforme que nous proposons fait le pari de la liberté et la responsabilité, valeurs cardinales de l’université et principes fondateurs de notre projet politique. Rendre leur liberté aux universités, c'est leur confier des responsabilités qu'elles ne pouvaient assumer, faute de structures capables de les exercer, c'est lever des pesanteurs devenues insupportables dans un monde où la réactivité est indispensable. En effet, élire le président d'une université suppose de réunir 140 personnes et de recourir parfois à 23 tours de scrutin, recruter un professeur peut prendre jusqu'à 18 mois ! Quant aux conseils d'administration, ils décident de tout, jusqu’à l'installation des parcmètres aux abords de l'université.

Conjuguer liberté et responsabilité au cœur d’une gouvernance rénovée, c’est la première condition du redressement de nos universités. Leur fonctionnement deviendra plus rationnel, plus fluide, plus transparent et, partant, plus efficace.

La définition de la politique scientifique et de formation sera dévolue à un conseil d’administration resserré et plus largement ouvert sur le monde socio-économique et les collectivités locales. Les pouvoirs de proposition du conseil scientifique et du conseil de la vie scientifique, sources d'incessantes navettes et de tractations, seront en revanche supprimés afin que ces instances se consacrent pleinement à leur mission de soutien et d'éclairage de la politique d'établissement. Enfin, dans chaque université, un comité technique paritaire deviendra le lieu privilégié du dialogue social, ce qui permettra de désencombrer l’ordre du jour du conseil d'administration.

Cette clarification des rôles des différents conseils s'accompagne du renforcement de l'autorité et des compétences du président de l'université. Légitimement élu et issu du monde universitaire ou de la recherche, il incarnera un projet et animera une équipe de direction cohérente, sous le contrôle du conseil d'administration ; il sera jugé sur ses résultats dans le cadre d'un mandat de quatre ans, renouvelable une fois ; il disposera enfin du pouvoir, déjà octroyé aux directeurs d'IUT, de refuser par un avis défavorable motivé l’affectation d’un membre du personnel qui ne correspondrait pas au profil du poste.

Grâce à cette rénovation profonde de leur gouvernance, nos universités pourront enfin assumer des compétences nouvelles. Conjuguer liberté et responsabilité au cœur d'une autonomie réelle, voilà la deuxième condition du redressement de nos universités.

Des universités autonomes, ce sont d'abord des universités qui maîtrisent leur recrutement, lequel doit être rapide et adapté. Dès son entrée en vigueur, la loi permettra aux établissements de raccourcir les délais de recrutement de leurs enseignants-chercheurs. Elles pourront de la sorte garder, attirer et retenir les meilleurs d’entre eux.

Dans le respect du statut de la fonction publique et du principe constitutionnel de l'indépendance des professeurs, des comités de sélection ad hoc seront instaurés, sous le contrôle du conseil scientifique de l'établissement. Afin de résister à la tentation du « localisme », ces conseils comprendront nécessairement une moitié de membres extérieurs.

Dans un délai de cinq ans, toutes les universités devront accéder à l’autonomie pleine et entière, en prenant intégralement la maîtrise de leur budget et de leurs ressources humaines. Elles pourront notamment recruter des contractuels, français ou étrangers, afin d'occuper des fonctions d'enseignants-chercheurs ou des emplois de catégorie A non pourvus.

Selon des règles générales fixées par le conseil d'administration, le président mènera une véritable politique de primes et d'intéressement, et il pourra moduler les obligations de service des enseignants-chercheurs en fonction de leurs parcours professionnels et des besoins de l'université. Faut-il qu’ils consacrent plus de temps à la recherche, à l’enseignement, aux tâches administratives, ou bien au suivi pédagogique des étudiants ? Faute d'autonomie, il était impossible de poser ce type de questions !

Or, une plus grande souplesse dans l’organisation du travail est inséparable d'une véritable stratégie d'établissement ; mais cela exige bien sûr une évaluation rigoureuse.

Aux universités qui le souhaitent et à elles seules, l'État transférera également la pleine propriété de leurs biens immobiliers, dont elles pourront faire le meilleur usage. Vous le voyez, le Gouvernement veut des universités ouvertes et dynamiques !

Cette ouverture se mesurant également par la richesse des relations entretenues avec les partenaires publics et privés, nous avions proposé d’autoriser la création de fondations universitaires, reconnues d'utilité publique, mais sans personnalité morale ; le Sénat est allé plus loin, en permettant aux universités de créer également des fondations partenariales.

Tous les fonds disponibles, qu'ils proviennent d'anciens élèves, de généreux donateurs, de collectivités publiques ou d'entreprises privées, doivent désormais être employés pour élever le niveau de connaissances de nos enfants. C’est notre nouvel horizon !

Si le Gouvernement a d'abord souhaité donner cette nouvelle autonomie à nos universités, qui en ont un besoin vital, il est parfaitement légitime que d'autres établissements d'enseignement supérieur puissent en bénéficier, notamment les écoles normales supérieures ou le Collège de France. Je me félicite que ces fleurons du paysage scientifique mondial se soient déjà déclarés candidats à l'autonomie, car cela démontre que le nouveau statut est le plus adapté aux défis qui nous attendent.

Je mesure la portée de ce texte, véritable révolution culturelle pour nos universités. Soyez sûrs qu’elles auront à leurs côtés un État plus déterminé que jamais, qui garantira l'égalité entre les étudiants, les territoires et les établissements. Qu’il s’agisse du caractère national des diplômes, de la fixation du montant annuel des droits d'inscription ou du contrôle de légalité exercé par le recteur, l'armature de notre enseignement supérieur reste fidèle à ses valeurs originelles.

L’État continuera à jouer son rôle d’État garant, mais aussi celui de partenaire. Les universités bénéficieront d'audits d'organisation tandis que des formations seront offertes à leur personnel. À cela s’ajoute la réalisation d’états du patrimoine immobilier. Chaque année, un comité de suivi évaluera l’application de la réforme et accompagnera les universités dans chacune des étapes de l'autonomie. Toutes les universités devront en effet atteindre dans un délai de cinq ans l'ensemble des objectifs fixés par la loi.

Exigence et principe structurant de la réforme, l'évaluation sera bien sûr renforcée dans le cadre du contrat quadriennal d'objectifs et de moyens scellé entre l'État et chaque université.

Ce projet de loi arme nos universités pour la bataille mondiale du savoir. L'État doit maintenant renforcer le nerf de cette guerre pacifique mais acharnée. Telle est précisément la volonté du Premier ministre, qui a annoncé dans son discours de politique générale un effort sans précédent en faveur des universités : en cinq ans, cinq milliards d'euros supplémentaires leur seront en effet consacrés.

Cette promesse est à la hauteur des choix stratégiques d'une nation qui veut s'investir pleinement dans l'économie de la connaissance. Avec l'autonomie des universités, nous bâtissons le socle sur lequel s'appuiera la nouvelle université. C’est sur cette nouvelle assise que nous allons refonder notre service public d'enseignement supérieur et de recherche, en ouvrant cinq chantiers : conduire une véritable stratégie pluriannuelle d'amélioration des conditions de vie étudiante ; rénover les carrières des personnels ; offrir à la communauté universitaire des campus dignes d'un grand pays développé ; soutenir nos jeunes chercheurs, qui sont la force vive de la science française ; faire réussir nos étudiants en licence.

Plusieurs députés SRC – C’est un tout petit socle !

Mme la Ministre – La réussite de nos étudiants doit être notre première obligation, et la lutte contre l'échec, notre unique motivation. Réussir ses études, s'épanouir à l'université, c'est faire avancer l'université tout entière, c'est lui rendre sa fierté et redonner sens à ses missions.

En cinquante ans, nos élèves ont beaucoup changé. Les universités doivent donc s'adapter à des publics plus hétérogènes, scolairement moins solides et moins autonomes. Soyons francs : le libre accès à l'université n'est qu'une égalité de façade pour un certain nombre de jeunes, durement sélectionnés par l'échec au bout de quelques mois seulement ! Face à tous ces rêves brisés, dont l’accumulation mine le moral de la communauté universitaire, on pourrait envisager une solution très simple : écarter les bacheliers les plus fragiles, c’est-à-dire sélectionner.

Ce mot magique pour certains, tabou pour d'autres, n'a pourtant pas sa place à l’Université. Le Gouvernement n'a pas fait le choix de la sélection, car ce serait contraire à nos valeurs ! Renoncer à la diversité des étudiants, ce serait en effet renoncer à une partie de notre ambition républicaine. L'université est aujourd'hui le principal ascenseur social de ce pays et je n'ai pas l'intention d'en faire descendre les plus fragiles, auxquels on n’aura donné ni le temps ni les moyens de réussir.

La France a besoin d'une élite qui lui ressemble. Qui, mieux que l'université, peut aujourd'hui répondre à cette exigence ? Si ce n’est pas elle, qui le fera ? La France de la diversité, Mesdames et Messieurs les députés, c'est la France de l'université. Soyons en fiers et sachons préserver cette richesse.

Si nous n'avons pas fait le choix de la sélection, c'est aussi par réalisme, car sélectionner à l'entrée de l'université, cela reviendrait à aggraver notre retard sur l’objectif de Lisbonne – 50 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur d'ici à 2010. Nous en sommes bien loin ! C'est pourtant une nécessité économique et sociale pour tous les pays développés. Loin d’avoir trop d'étudiants, nous n'en avons pas assez. Nous avons besoin d'étudiants plus nombreux et mieux formés aux métiers de l'avenir.

J'ai tout à fait conscience que le parcours scolaire de certains bacheliers ne les prépare pas immédiatement à une formation académique de haut niveau. Ce sont les étudiants issus des filières professionnelles et technologiques qui connaissent les plus graves difficultés, mais notre pays a besoin de leur qualification, et ces jeunes ont besoin de parcours diplômants pour construire leur vie.

Pour que l’université rime enfin avec succès, le gouvernement s'engage d'abord à accompagner les étudiants les moins bien préparés. Les bacheliers professionnels et technologiques ne trouvant pas aujourd'hui les places qui doivent naturellement leur reviennent dans les instituts universitaires technologiques et dans les sections de techniciens supérieurs, nous développerons l'offre de formation en STS et en IUT tout en la repensant pour la rendre plus attractive et mieux adaptée aux nouvelles perspectives de l'emploi.

Le Gouvernement s'engage ensuite à mener une politique d'aide sociale aux étudiants plus ambitieuse et plus équitable, qu’il s’agisse des bourses ou du logement. Sans progrès en la matière, toutes les innovations pédagogiques resteront en effet lettre morte.

Les universités pourront en outre tirer parti des responsabilités et des libertés nouvelles que nous allons leur confier pour mieux accueillir, mieux former et mieux insérer leurs étudiants. Le projet de loi instaure l'orientation et l'insertion professionnelle comme troisième mission de l'université. C'était indispensable ! Pour qu'un parcours universitaire ait un sens, aux yeux mêmes des étudiants, des enseignants, et bien sûr aux yeux des employeurs, il doit y avoir un point de départ cohérent et un point d'arrivée prometteur. Pour les étudiants cela signifie une orientation pertinente et une insertion préparée.

Les sénateurs du groupe socialiste ont eux aussi souhaité la préparation de l’insertion, puisqu’ils ont demandé que la loi prévoie un bureau de l'insertion professionnelle dans chaque université. Mais quelles seront les chances d'insertion pour tous ceux qui se trompent de route, trébuchent, se heurtent à des obstacles infranchissables ? Il est plus que temps que les universités assument pleinement l'orientation de leurs étudiants, en soutenant les plus fragiles mais aussi en confortant les meilleurs dans leurs choix, et en stimulant l'ambition de tous.

Une orientation pertinente, c'est d'abord une orientation active. Dès la classe de seconde, les lycéens doivent donc être mieux informés et mieux accompagnés dans leurs parcours et dans leurs choix. C'est une évidence. Qui mieux que les membres de la communauté universitaires pourront présenter à ces élèves l'ensemble des formations et les guider dans le maquis des filières ? Qui mieux que des étudiants expérimentés pourront accompagner les premiers pas de leurs cadets ? Qui mieux que les universités elles-mêmes pourront se saisir de leur liberté, dans le cadre de leur politique d'établissement, pour bâtir un projet qualifiant dans chaque domaine de formation ?

Nous concentrer nos efforts sur la licence universitaire en renforçant les cours de méthodes et ceux de langues étrangères, mais aussi en ouvrant des passerelles en vue de réorientations futures, en rapprochant les formations du monde de l’emploi.

C'est en rendant la licence digne de son nom que nous pourrons faire du mastère et du doctorat les formations d'excellence réservées aux meilleurs et aux plus motivés des étudiants français et étrangers. Car l'université doit être le lieu du mérite et des talents, le lieu de toutes les excellences, celle des cadres dont la nation a besoin, et celle des chercheurs de demain, qui seront attendus sur les campus du monde entier mais qui auront envie de revenir en France, à l'université, pour y enseigner à leur tour.

M. Pierre Cohen - Il faudrait commencer par créer des postes !

Mme la Ministre – Renversons la célèbre phrase de Max Weber : « La politique n'a pas sa place dans une université ! » en donnant maintenant toute sa place à l'université dans le débat républicain !

Je vous soumets aujourd'hui le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités des universités avec la fierté de porter devant vous l'ambition d'un peuple tout entier, qui fait le pari de la connaissance et fait confiance à ses élus pour faire de ses rêves la réalité de demain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

M. Benoist Apparu, rapporteur de la commission des affaires culturelles La fin des années 1980 et le début des années 1990 ont vu notre enseignement supérieur traversé par deux révolutions majeures : la massification et la mondialisation. Depuis lors, nous avons, les uns et les autres, multiplié les rapports, colloques et autres livres blancs : tous ont fini dans des placards, dont les clés ont sans doute été perdues... Il n’aura manqué, en définitive, que le courage d'agir. Ce courage, le Président de la République l’incarne aujourd'hui.

Sur l’ensemble des bancs de cette assemblée, nous pouvons dresser un constat partagé sur la situation de l'enseignement supérieur français. Il suffit de relire l'excellent rapport – adopté à l’unanimité – de nos collègues Bouvard et Claeys. Le pari que nous faisons ensemble, c’est que notre pays, s’il veut rester compétitif au plan mondial, doit élever progressivement son niveau de compétence et de qualification, en investissant sur la progression du nombre de diplômés et l'augmentation de ses capacités de recherche. Tel a été l'engagement du candidat Nicolas Sarkozy : ce texte en représente une première concrétisation.

Aucun autre n'est aussi étroitement lié à la double ambition que porte le Président de la République : faire de l'égalité des chances, dont l'école et l'université sont les vecteurs naturels, un levier de réussite, afin que notre jeunesse ne doute plus d'elle-même, et donner à la France les moyens de maîtriser la mondialisation, en faisant de ses universités des centres d'excellence où l'on crée, diffuse et valorise la connaissance.

Rebâtir l'université française, c'est se donner des armes pour dissiper le spectre du chômage et peser dans la hiérarchie économique du monde. La France ne pourra retrouver sa place qu'en offrant une formation et un emploi adaptés à tous ses jeunes et en fondant sa croissance sur l’innovation. C'est pourquoi la réforme de l'université française est une question de survie, à traiter de façon stratégique. La tâche est d'autant plus urgente que le monde va vite, alors que nos universités sont les plus mal préparées pour affronter les règles de la nouvelle économie mondiale.

Le constat sur la crise des moyens de l'université est connu. Nous avons choisi de dépenser beaucoup au profit de l’enseignement secondaire, au risque de délaisser nos universités. En moyenne, la France consacre ainsi 6 700 euros de financement public par étudiant pour 10 700 euros par lycéen. Bien sûr, tel ou tel ne manquera pas de dire qu'il eût fallu un collectif budgétaire…

M. Pierre Cohen – Eh oui !

M. Patrick Braouezec – Cela n’aurait pas été inutile.

M. le Rapporteur – …pour donner immédiatement à l'université les moyens de se réformer. Certains diront même qu'ils auraient voté le texte s'il avait été assorti des moyens budgétaires nécessaires à sa mise en œuvre.

M. Yves Durand – Avouez que cela aurait aidé !

M. le Rapporteur – C'est oublier l'annonce faite par le Premier ministre qu'un milliard d'euros supplémentaires sera consacré chaque année, d'ici 2012, à l'enseignement supérieur (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Soit autant de moyens nouveaux qui arriveront dans les universités au moment même où le présent texte trouvera à s’appliquer. Cet effort budgétaire historique, qui permet d'augmenter le budget de 50 %...

Plusieurs députés SRC – Mais non !

M. le Rapporteur – …prouve que l'université est bien une priorité du Président de la République et de son Gouvernement. Bien entendu, nous resterons vigilants pour que cet engagement soit tenu. Mais il ne suffira pas pour remettre l'université française sur les rails de l'excellence. Profonde, la crise ne doit pas être perçue sous le seul angle des moyens financiers. II faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'injecter de l'argent public dans un système qui ne marche pas est contre-productif (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Claude Goasguen – Très bien !

M. Pierre Cohen – C’est désobligeant pour les universitaires !

M. le Rapporteur – Notre système est émietté, divisé entre trois types d'enseignement supérieur ; nos élites sont formées à bac plus cinq, quand les élites mondiales le sont à bac plus huit ; nos universités sont trop petites et morcelées, nos grandes écoles isolées et incapables de participer à la compétition mondiale.

M. Régis Juanico – Quel tableau !

M. le Rapporteur – La sélection, dont personne ne veut débattre, est omniprésente. L’absence d'orientation conduit des milliers de jeunes à se fourvoyer dans des études pour lesquels ils ne sont pas préparés, ou qui n'offrent pas de débouchés professionnels suffisants. Les élites se reproduisent, et l'égalité des chances n'est plus qu'un slogan pour se donner bonne conscience (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Pierre Cohen – Ce slogan, c’est vous qui l’avez utilisé !

M. le Rapporteur – On dira que le présent texte ne traite pas de toutes ces questions. Peut-être, mais c'est oublier tous les chantiers que vient de lancer la ministre de l'enseignement supérieur. Le rêve du grand soir universitaire est un leurre des conservateurs. La réforme globale est, chacun le sait, le meilleur moyen de cristalliser toutes les oppositions pour, finalement, ne rien faire (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Loin de représenter le point d'aboutissement de la mise à niveau de nos universités, le renforcement de leur autonomie en constitue le point de départ. Aussi faut-il se féliciter que le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités des universités soit inscrit à l'ordre du jour de cette session extraordinaire : avant de donner des moyens à nos universités, transformons-les en universités de plein exercice.

L'une des principales causes de la crise des universités françaises tient au fait qu’elles n'existent pas, au sens où il existe des universités allemandes ou américaines. Chez nous, l’université apparaît trop souvent comme un point de rencontre entre la tutelle tatillonne de l'État et des composantes puissantes et autonomes, plutôt qu’une autorité détentrice d’une identité forte, à même de se gouverner et de mener à bien une politique bien définie.

Associée à la réforme de 1984, l’autonomie – introduite en 1968 – a affaibli les établissements pour plusieurs raisons. Leurs conseils d'administration ne peuvent délibérer pour décider, car leurs effectifs pléthoriques les transforment en chambres de débats – et à cela s'ajoutent les effets pervers du panachage des listes, qui favorise les affrontements de personnes au détriment des logiques de projet. Leurs présidents, élus par une assemblée réunissant les trois conseils des universités, sont choisis, non sur un projet, mais sur un compromis fondé sur le plus petit dénominateur commun. Les universités ne peuvent faire de leur budget un instrument d'appui à leur projet de formation ou à leur projet scientifique, puisqu'il ne représente qu'une part limitée de l'ensemble des moyens mis en œuvre. Enfin, la politique de recrutement des enseignants-chercheurs est alourdie par la procédure faisant intervenir des commissions de spécialistes, lesquelles peuvent favoriser les recrutements locaux au détriment de la circulation des cerveaux.

Ce tableau n'est guère brillant. C'est pourquoi il faut permettre aux universités de maîtriser leur destin, en leur faisant confiance pour placer l'excellence française au cœur de l'Europe. La réforme des universités démarre avec l'autonomie de la gouvernance. À ce titre, le texte tend à faire de nos universités des acteurs adultes, c’est-à-dire vraiment autonomes. Il vise à faire d’elles un centre de décision et un centre d'impulsion.

Le centre de décision, c’est le conseil d'administration : grâce aux dispositions qui vous sont soumises, le conseil pourra enfin délibérer, car il sera resserré dans sa composition et saisi des sujets vraiment stratégiques pour le développement de l'établissement. Le centre d'impulsion, c’est le président de l'université. Élu à la majorité absolue des membres du conseil d'administration pour un mandat de quatre ans, il pourra se représenter une fois pour garantir la continuité du projet d'établissement. Grâce à une disposition adoptée par le Sénat, il préparera le contrat d'établissement quadriennal. Enfin, le président devra présenter un rapport d'activité annuel au conseil d'administration.

Mieux gouvernée, l'université sera à même d'exercer de nouvelles compétences. De ce point de vue, le fait que, dans la phase de concertation, les universités aient demandé au Gouvernement de renoncer à une « autonomie à la carte » constitue la meilleure preuve que nos établissements ne se résignent pas au déclin, mais demandent au contraire des outils pour se redresser, se développer et devenir, soit des centres d'excellence, soit des universités de proximité qui accomplissent pleinement leur mission d'insertion professionnelle.

Dans cette perspective, les universités acquerront une réelle autonomie de gestion de leurs moyens, qu'ils soient humains ou financiers. Au plan financier, elles disposeront d'un budget global, intégrant les moyens affectés par l'État et couvrant tous les crédits d'investissement et de fonctionnement. Elles pourront également créer des fondations, en vue de récolter des fonds privés ou de bénéficier de dons déductibles des impôts, sans demander l'agrément du ministre des finances. Enfin, elles pourront demander à l'État de leur transférer des biens immobiliers.

Grâce aux dispositions de ce texte, nos universités pourront désormais mener une politique active de gestion des ressources humaines. Le président pourra recruter des contractuels…

M. Régis Juanico – Avec quels moyens ?

M. le Rapporteur – …composer son équipe de direction et recruter des enseignants étrangers de haut niveau. En outre, le gouvernement de l'université se verra doté de moyens d’incitation renforcés pour motiver les personnels. Le président sera ainsi responsable de la gestion des primes, ce qui lui permettra de mieux récompenser les mérites individuels.

Les obligations de service des enseignants-chercheurs seront modulées par le conseil d'administration, pour s'assurer que ces personnels se consacrent à la recherche ou à l'enseignement de la façon qui prend le mieux en compte leurs envies, leurs priorités, et, bien entendu, l'intérêt général.

Cette liberté accrue s'accompagnera de la création, dans chaque établissement, d'un comité technique paritaire, destiné à devenir le lieu du dialogue social.

À partir de ce socle de gouvernance et de compétences nouvelles, votre commission a adopté plusieurs modifications au texte voté par le Sénat.

En particulier, elle a adopté un amendement rétablissant l'élection du président de l'université par les seuls membres élus du conseil d'administration.

M. Jean-Pierre Soisson – Très bien !

M. le Rapporteur – La désignation des personnalités extérieures procédera d’un choix stratégique fort. Ainsi, le président et son conseil d'administration choisiront probablement des scientifiques de renoms si leur projet universitaire donne la priorité à l'excellence scientifique. À l'inverse, l’établissement qui se fixe pour première mission d'insérer les étudiants dans la vie active favorisera plutôt les nominations de chefs d'entreprise.

Afin de faciliter l'émergence de projets universitaires, la commission a adopté un amendement pour limiter la prime majoritaire à la seule liste des professeurs. Notre commission a adopté plusieurs autres amendements, que je défendrai au cours de la discussion des articles et dont je ne vais donc pas dresser la liste maintenant. Nous nous sommes attaché à améliorer le texte sans en modifier l'architecture, car celle-ci nous paraît juste et équilibrée.

Qu’il me soit permis, pour conclure, de remercier le président Méhaignerie pour la confiance qu’il a accordée au jeune parlementaire que je suis, tous les commissaires pour leur engagement, et Mme la ministre pour sa disponibilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles  Un homme d’État, Henry Kissinger, disait que l’homme d’État est celui qui est capable de conduire un pays de l’état A où il se trouve à un état B où il n’a jamais été. Vous avez la responsabilité d’une lourde réforme, Madame la ministre, mais nous essayerons avec vous de conduire l’université à l’état B où nous aimerions qu’elle parvienne.

L’état A, le rapporteur et vous-même l’avez décrit. Nous souffrons tous de voir autant de jeunes abandonner leurs études après une ou deux années de DEUG, d’autant qu’ils ont souvent de grandes difficultés à trouver un travail. Il y a un an, M. Patrick Hetzel avait déclaré devant la commission des affaires sociales qu’un coup de poing était nécessaire pour pouvoir donner à ces jeunes une nouvelle formation. Je ne sais s’il a été donné, mais nous sommes nombreux à le réclamer.

Nous savons aussi que la situation des universités est prise en compte dans différents classements mondiaux.

Venons-en à l’état B que nous voudrions atteindre dans cinq ans. Vous avez posé une première pierre, et la commission vous a donné, à sa quasi–unanimité, un acquit définitif. Vous reprenez pour l’essentiel les travaux de la MEC, dont le rapport et les préconisations avaient été adoptés à l’unanimité. L’université sera désormais gouvernée par un président et un conseil d’administration puissants, et moins par l’État. Elle aura à sa disposition un budget englobant tous les moyens financiers qui lui sont affectés.

Je me souviens de la déception de François Fillon, lorsqu’il était ministre des universités, devant la décision du Conseil constitutionnel. J’ai moi-même longtemps défendu le principe de l’expérimentation, persuadé que ce serait pour l’université le meilleur moyen de surmonter ses difficultés et ses peurs. Il semble donc que « tout puisse devenir possible » avec ce texte. Mais soyons lucides : il faudra beaucoup de vertu aux présidents d’université pour échapper aux excès du localisme, du syndicalisme ou du corporatisme. C’est pourquoi l’évaluation et ses conséquences financières conditionneront largement la réussite de la réforme.

La commission s’est fixé quelques horizons à cinq ans : une plus grande ouverture des universités au monde extérieur, que facilitera l’assouplissement des conditions de recrutement d’agents contractuels ; la mobilité géographique et professionnelle, que nous aimerions voir se développer ; la recherche de partenariats renforcés avec les entreprises et les collectivités locales, notamment par le développement des stages – dans beaucoup de pays, les universités forment les cadres des entreprises. Or comme président d’une communauté d’agglomération, je suis surpris que les universités ne prennent pas davantage contact avec moi. L’horizon à cinq ans, c’est aussi une insertion professionnelle facilitée, qui réduirait le sentiment de déclassement qui conduit encore trop d’étudiants à embrasser des idéologies dépassées. Il faut reconnaître que la plupart des centres d’information et d’orientation, faute de formation des personnels, sont incapables d’orienter réellement les étudiants (Marques d’approbation sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Nous souhaitons aussi que soit mis en place un observatoire des parcours étudiants. Quelques universités ont déjà fait des progrès en ce sens, mais il faudrait que la CNIL nous aide davantage.

Réfléchissons enfin à l’utilisation des 23 milliards d’euros de la formation professionnelle. On peut comprendre que les étudiants prolongent au maximum leurs études : la formation permanente n’offre pas véritablement de deuxième chance. Toutes les universités américaines sont ouvertes le soir et le samedi, permettant à l’ouvrier de devenir technicien, et le technicien ingénieur. Mais sur les parkings des universités françaises, vous ne trouverez guère de voitures le samedi matin ou le soir après 21 heures !

M. Régis Juanico – Et des vélos ? (Sourires)

M. le Président de la commission – Si seulement !

L’université est un enjeu essentiel pour la compétitivité de notre pays, mais aussi pour les progrès de l’autonomie de la personne et de l’égalité des chances. C’est une œuvre de longue haleine. Nous serons à vos côtés pour poursuivre l’effort budgétaire de la nation, mais nous attendons en échange un retour de la communauté universitaire. Un bon citoyen doit préférer les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent, disait Démosthène. Préférez, Madame la ministre, les paroles qui sauvent l’université à celles qui plaisent aux démagogues ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente – J’ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Alain Claeys – Oui, ce débat est important pour notre Assemblée et pour la législature qui s’ouvre. Je voudrais d’abord rendre hommage à la communauté universitaire – professeurs, enseignants-chercheurs, chercheurs, personnels administratifs et techniques – qui a dû faire face à une massification de l’enseignement supérieur avec des moyens financiers relativement limités. Le rapporteur rappelait tout à l’heure que la France se situe en dessous de la moyenne de l’OCDE pour les crédits consacrés à l’université et aux étudiants de premier cycle. Je rends également hommage aux collectivités locales : sans les contrats de plan de ces dernières années, l’état de notre patrimoine universitaire et de notre recherche ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Il reste beaucoup à faire, mais cela ressort de la compétence de l’État, à qui les collectivités locales – en particulier les régions – ont apporté une aide non négligeable.

Évacuons ensuite les faux débats. Il n’y a pas de débat sur le mot autonomie – il ne figure pas dans votre texte, mais il s’impose à nous tous depuis la loi Savary. Vous avez préféré parler de libertés et responsabilités, nous garderons pour notre part le terme de gouvernance.

Oui, il faut une profonde réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais qui doit mener cette réforme ? Il ne peut s’agir à mon sens – je l’avais déjà dit au moment de la discussion de la loi sur la recherche – que de l’État. Or c’est le grand absent de ce texte. La Constitution elle-même lui confie pourtant cette mission. Les difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans l’accomplissement de cette mission devaient être traitées dans ce projet, d’autant qu’il existe un consensus sur la réforme dans la communauté universitaire et scientifique. Vous avez choisi une autre voie, Madame la ministre. Je crains qu’il n’y ait là une formidable occasion manquée, et qu’on ne puisse plus revenir sur ce sujet d’ici la fin de la législature.

M. Patrick Braouezec – Très bien !

M. Alain Claeys – Nous adopterons dans cette discussion une attitude constructive.

La réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche passe d’abord pour nous par la lutte contre la précarité. Le constat est connu : il y a moins d’un an, un député de l’UMP, aujourd’hui porte-parole du Gouvernement, a rédigé un rapport sur la précarité de la condition étudiante. C’est à cette précarité qu’il fallait d’abord s’attaquer, sans attendre d’ouvrir un hypothétique débat futur. S’attaquer dès maintenant à ce fléau supposait de revoir entièrement la structure des bourses, dont on sait qu’il ne suffit pas de les augmenter. Il faut s’interroger sur l’instauration d’un « revenu étudiant », sur l’insuffisance du logement estudiantin dans certaines villes et sur la nécessité, les concernant, d’un mécanisme général de cautionnement. Autant de sujets de réflexion prioritaires dont on ne trouve pas trace dans votre projet. Rappelez-vous, pourtant, tout ce qui a été dit au moment de la crise du CPE, partout en France, par les étudiants et leurs familles, sur la précarité et les emplois partiels ! On ne peut pas ne pas en tenir compte !

Le projet pèche aussi en ce qu’il n’améliore en rien la lisibilité, sur la scène internationale, de notre système d’enseignement supérieur et de recherche. Nul, ici, n’ignore les spécificités françaises que sont la coexistence d’organismes de recherche, d’universités et de grandes écoles, ni l’enchevêtrement de pouvoirs qui en découle. Comme si les choses n’étaient pas assez complexes, l’Agence nationale de la recherche, l’Agence française de l’innovation et d’autres agences encore sont venues récemment se greffer à ce dispositif. Avant de renforcer les pouvoirs des présidents et des conseils d’administration des universités, encore faudrait-il leur dire précisément quelles sont leurs responsabilités propres et celles des UFR et des laboratoires ! Il aurait fallu, aussi, expliquer quelle place sera donnée, à terme, aux classes préparatoires, si elles finiront par être rattachées à l’université et, si c’est le cas, à quel niveau, ou si elles demeureront ce qu’elles sont.

Nous aurions aussi voulu que soit abordé dans votre projet le sort des doctorants et des post-doctorants – une autre priorité. On en revient, à ce sujet, au débat relatif à la loi sur la recherche, et je ne peux que répéter ce que nous avions dit alors : il faut aider les doctorants, et aussi s’attacher à renforcer le nombre de doctorants à l’œuvre dans l’économie française, à ce jour notoirement insuffisant par rapport à ce qu’il est en Allemagne par exemple. Mon collègue Pierre Cohen et moi-même avions déposé une proposition de loi à ce sujet, d’une importance extrême car le nombre de doctorants conditionne la qualité et le niveau de la recherche en France. Et pour que notre pays profite des connaissances acquises ailleurs, nous devons réussir à faire revenir en France les post-doctorants partis quelques années à l’étranger. Des mesures doivent être définies à cette fin, et elles auraient dû être jugées prioritaires.

Comme vous, Madame la ministre, le rapporteur puis le président de la commission ont longuement traité de l’échec au cours du premier cycle d’études supérieures. De fait, comment parler de réformer l’Université sans prendre les mesures propres à en finir avec la sélection par l’échec, méthode connue mais tue, dont il résulte d’innombrables drames personnels et un coût considérable pour la collectivité ? Or votre projet ne contient aucune mesure susceptible de le permettre, ce que je regrette profondément. Il aurait fallu traiter du taux d’encadrement, des difficultés d’orientation et, une fois encore, de la précarité, qui contribue à ces taux d’échec pharamineux. Que l’on compare le taux d’encadrement en classe préparatoire et en première année d’Université et tout, ou presque, est dit.

Voilà les difficultés dont la résolution aurait dû, Madame la ministre, constituer l’ossature de ce projet, et vous le savez si bien que vous en avez abondamment traité dans votre propos liminaire.

Je ne puis non plus passer sous silence le volet financier, et je me dois de vous dire que nous sortirons de cette session extraordinaire avec un sentiment de grand malaise. Votre majorité a voté l’attribution de 6 milliards d’avantages fiscaux à une minorité (Protestations sur les bancs du groupe UMP). C’est un choix politique, mais il s’accomplit alors que le déficit de l’Etat s’élève à 40 milliards et celui de l’assurance maladie de 13 milliards. Alors que le Président de la République avait désigné, pendant la campagne électorale, l’enseignement supérieur et la recherche comme étant une priorité absolue, c’est un bien mauvais signe adressé aux universitaires, aux enseignants et aux étudiants de ne pas prévoir de collectif et, donc, de ne pas allouer un euro supplémentaire à l’enseignement et à la recherche (Marques d’approbation sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Le Gouvernement aurait dû inscrire dans un collectif la somme nécessaire à l’application de la réforme que vous annoncez. C’était indispensable, car l’efficacité économique des mesures qu’il a décidées laissent tout à fait dubitatif. Si l’espérance de croissance sur laquelle est construit votre budget ne se vérifie pas, si l’Europe nous rappelle à nos devoirs, comment le Président de la République tiendra-t-il ses promesses relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche ?

J’en viens à la gouvernance des établissements, sujet qui me passionne. J’ai en effet travaillé à un rapport à ce sujet avec M. Michel Bouvard, en parfaite harmonie, et je remercie l’ancien président de la commission des finances de nous avoir laissé toute liberté. Il ne s’agissait pas de rédiger un texte de loi : nous agissions, dans le cadre de la LOLF, après avoir pris connaissance d’un rapport de la Cour des comptes, et nous avons abordé la question de la manière la plus objective possible. Nous aurions donc aimé que certaines mesures techniques, que la Cour estime nécessaires, soient reprises dans votre projet. Il aurait été bon, en particulier, que figurent les dispositions aux dotations des universités et à la lutte contre la précarité sur lesquelles nous avons insisté.

Pourquoi renforcer les pouvoirs des présidents et des conseils d’administration des universités si le texte est adopté en l’état, si des moyens financiers supplémentaires ne sont pas prévus, si la précarité des étudiants est aussi répandue et le taux d’échec en premier cycle inchangé ? L’État est absent de cette réforme, ce qui posera un problème constitutionnel ; n’est-il pas le garant de l’égalité des chances ? Au-delà, que faut-il en déduire ? Qu’il s’agit d’un texte uniquement technique, et insuffisant, ou cette absence cache-t-elle autre chose ? Pour notre part, nous jugeons impératif que le renforcement des pouvoirs alloués aux présidents et aux conseils d’administration des universités s’assortisse de plus de démocratie au sein des conseils d’administration, et d’une clarification des relations entre les universités et l’État. Or, la direction de l’enseignement supérieur n’est pas en mesure d’évaluer plus de dix-neuf contrats de plan chaque année, si bien que certains de ces contrats sont signés deux ans après avoir été mis en œuvre…

J’en viens aux articles proprement dits. S’agissant de l’article 11 du projet, je rappelle que la création d’un IUFR est de la responsabilité de l’État et non du conseil d’administration d’un établissement. Quoi de plus normal ? L’État doit avoir une vision d’ensemble de la carte universitaire nationale.

Un autre problème se pose aux articles 15 et 16, qui traitent de l’emploi statutaire et de l’emploi contractuel. En ce qui concerne les emplois administratifs, la règle doit être simple : l’université ne doit avoir recours aux emplois contractuels que pour les métiers qui n’existent pas dans la fonction publique. Quant aux emplois d’enseignant-chercheur, l’amendement déposé par le rapporteur en commission renforce notre inquiétude. En l’état actuel, l’article 15, dans sa rédaction actuelle – modifiée au Sénat par un amendement dont les bancs socialistes ont peut-être été tentés, au premier abord, de se satisfaire, mais auquel nous sommes fermement opposés – et l’article 16 font tous les deux courir le risque que les emplois contractuels, surtout si les budgets de l’État ne sont pas suffisants, se substituent progressivement au statut public. En aucun cas, nous ne pourrons l’accepter. C’est un problème de responsabilité vis-à-vis de la communauté universitaire. On ne peut laisser planer un tel doute, surtout depuis que le rapporteur a proposé que le pourcentage de masse salariale ne prenne pas en compte les rémunérations provenant des fondations.

À la demande des présidents d’université, vous avez abandonné l’expérimentation, sauf pour les biens immobiliers. À ce propos, il est important de préciser qu’aucune convention de transfert n’est envisageable s’il n’y a pas eu d’évaluation précise des biens concernés : en disant cela, je défends surtout les collectivités locales, car ce serait vers elles que les universités se tourneraient si le transfert avait lieu dans ces conditions. Pour le reste, si vous voulez tenir cet engagement de non expérimentation, il faut remettre à plat la dotation globale de fonctionnement et la fonder sur des critères objectifs, tenant compte notamment de la structure sociale de l’université, du nombre de diplômés ou du nombre d’étudiants en première année.

Voilà exposé ce qui manque à votre projet de loi, et ce qui devrait être modifié sous peine de poser de graves problèmes, y compris constitutionnels – je pense aux articles 11 et 15, mais aussi 5 et 6. On attendait beaucoup de ce projet. La réforme n’est malheureusement pas au rendez-vous, parce que vous avez considéré que la gouvernance était un préalable. Mais tant que la question des ambiguïtés du système, celle de la précarité et celle de l’échec n’auront pas été traitées, vous aurez beau donner autant de pouvoirs que vous voulez aux présidents et aux conseils d’administration, le malaise des universités demeurera. Durant le débat, nous essayerons d’être le plus constructifs possible, mais nous souhaitons que cette exception d’irrecevabilité soit votée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Mme la Ministre – Vous auriez souhaité une loi « cathédrale », qui traite de tous les problèmes des universités – et je comprends qu’on puisse ressentir un sentiment d’inachèvement face à ce texte. Un début de réponse est qu’une bonne partie de ces questions non abordées n’ont pas besoin d’une intervention législative pour être réglés : ce qu’il faut, c’est de la volonté, des moyens et un accompagnement de l’État, sous forme de partenariat. Ce n’est pas par des lois qu’on luttera contre l’échec universitaire. Je préfère être la ministre du changement concret que des grands textes, sachant que la présente réforme est attendue depuis vingt ans !

Aujourd’hui, nous avons un début de consensus sur la notion même d’autonomie. Cela m’a frappée au Sénat : même sur les bancs communistes ou socialistes, le mot ne fait plus peur, l’idée d’une responsabilité des universités dans la compétition mondiale se répand. Il y a donc une conjonction qui permet à la réforme d’avoir lieu.

Or, cette réforme de la gouvernance et de l’autonomie est absolument indispensable – et c’est ici que se trouve la grande divergence entre nous : comme le rapporteur, je crois que mettre davantage de moyens dans une structure qui ne fonctionne pas risque d’aboutir à un gaspillage d’argent public, sans aucun résultat concret, et qu’il faut d’abord faire les réformes de structure. Vous parliez du manque de lisibilité et de la taille critique de nos universités : le pacte de la recherche nous donnera le moyen de mettre en place des pôles de recherche visibles au plan international, une agence de l’évaluation, des structures autonomes dans les universités, lesquelles pourront prendre des décisions rapides et recruter les meilleurs enseignants. Ces éléments structurants qui nous permettront d’aller dans le bon sens.

Peu à peu, nous avançons. J’ai déjà obtenu du Premier ministre une hausse de 2,5 % des bourses étudiantes à la rentrée – ce n’est pas assez, mais cela représente 54 millions d’euros et, surtout, une augmentation de moitié supérieure à l’inflation ! Les bourses doctorales en entreprises seront aussi augmentées de 16 %. J’essayerai de faire progresser les chantiers que nous avons fait nôtres : la condition de vie étudiante, la carrière de l’ensemble du personnel des universités, le statut des jeunes chercheurs – avec une augmentation importante de leur allocation à l’automne – et l’échec universitaire. À ce propos, je ne peux vous laisser dire qu’il n’y a rien dans le texte sur ce dernier sujet : il contient notamment trois séries de dispositions, concernant l’orientation active, l’insertion professionnelle et l’accompagnement et le tutorat.

Enfin, si l’État, est à la fois le pilote, le garant et le partenaire de cette réforme, la loi n’est pas le seul instrument de pilotage dont il dispose. La contractualisation, le partenariat, les conventions peuvent être des outils très utiles. Il est vrai que les contrats étaient souvent signés avec 18 mois de retard et que ni l’État, ni les universités ne tenaient leurs engagements. Mais nous entrons dans une ère nouvelle : j’ai déjà signé 49 contrats pluriannuels, tous à la date prévue et qui comportent des objectifs de résultat que l’agence d’évaluation qui vient d’être mise en place aura à examiner.

En ce qui concerne l’emploi contractuel, je souhaite apaiser les craintes qui se sont exprimées : il ne s’agit que d’une souplesse donnée à l’université, qui pourra ainsi recruter des enseignants étrangers, ou encore des professionnels aux compétences spécifiques, tels que des chefs de chantier ou des architectes si l’université a choisi d’assurer la compétence immobilière. Les contrats pluriannuels comporteront le montant maximum de la masse salariale qui pourra être affecté à ces emplois, dans le cadre de chaque projet d’établissement. Quant à l’expérimentation, il n’y en a pas dans ce texte, pour la simple et bonne raison qu’elle suppose une réversibilité. Même à l’origine d’ailleurs, il n’y en avait pas : le texte prévoyait simplement de donner le choix aux universités de se lancer dans la réforme ou non. Désormais, ce libre choix n’existe plus que pour l’immobilier. C’est préférable pour certaines universités, notamment celles qui occupent des monuments historiques.

Vous pouvez être assurés, Mesdames et Messieurs les députés, de voir dès l’automne la suite de la réforme de l’enseignement supérieur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

M. Jean-Pierre Soisson – Oui, mille fois oui à la réforme ! Nous ne pouvons la différer une fois encore. Selon M. Claeys, l’autonomie apparaît pour la première fois dans la loi Savary de janvier 1984 ; en fait, elle a été posée comme principe fondamental par la loi Edgar Faure de novembre 1968, avec la participation de la pluridisciplinarité.

M. Régis Juanico – Vive mai 68 !

M. Jean-Pierre Soisson – Lorsque j’ai été nommé secrétaire d’État aux universités, en juin 1974, par le président Giscard d’Estaing, je me suis fixé comme objectif d’améliorer l’autonomie des universités.

M. Patrick Braouezec – C’est réussi !

M. Jean-Pierre Soisson – Ce projet que je n’ai pu porter, vous allez le mener à bien, Madame la ministre, avec le soutien de toute votre majorité. Avant de traiter tous les importants problèmes que M. Claeys a détaillés, il faut en effet poser le socle de la réforme, celui qui permettra aux universités de tenir debout. Après trente ans de tâtonnements, il faut mettre en place une gouvernance moderne, adaptée aux besoins de notre époque, et qui permette aux universités françaises de s’ouvrir sur le monde économique et sur l’extérieur.

Et ce socle, le projet l’établit avant d’accroître les moyens financiers – ces cinq milliards que le Président de la République a promis pendant la campagne électorale, il faut en effet avoir l’assurance qu’ils seront bien dépensés et agir comme vous le faites, c’est agir dans le bon ordre.

Sur la gouvernance, nous sommes tous d’accord. Il faut accroître les pouvoirs du président de l’université. Nous acceptons, comme le propose le rapporteur, de revenir sur la disposition introduite par le Sénat et de faire élire ce président uniquement par les membres élus du conseil d’administration. Il dirigera en s’appuyant sur un conseil réduit. Le Sénat a demandé qu’il prépare un contrat pluriannuel d’établissement. Je voudrais que nous allions plus loin et que nous le chargions également de le mettre en œuvre.

Nous réécrivons enfin l’article L. 712–1 à 712–9 du code de l’éducation. C’est le préalable à toute réforme. Celleci ne peut être différée. Tous l’attendent, y compris M. Claeys lui-même, puisqu’il entrait déjà dans le débat en nous détaillant les articles 11, 13 et 15. Alors débattons, avec la volonté d’aboutir. Le groupe UMP votera contre cette motion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

M. Patrick Braouezec – Malgré vos propos rassurants sur ce qui se passera en septembre, je suis sceptique, Madame la ministre, sur la volonté d’aller loin dans cette réforme universitaire que tous attendent. Ce n’est d’ailleurs pas une réforme que vous proposez aujourd’hui, en vous bornant à offrir aux universités la liberté de gouvernance et l’autonomie – deux points sur lesquels nous avons d’ailleurs des réserves, s’agissant en particulier des pouvoirs accordés aux présidents d’université.

Une vraie réforme, celle qu’attendent les étudiants et les universitaires, nécessiterait un travail approfondi avec l’ensemble des partenaires, syndicats d’enseignants et d’étudiants comme présidents d’universités. Nous sommes assez d’accord sur le constat, mais nos divergences portent sur les mesures à prendre pour relever le défi de l’excellence.

Il faudrait d’abord reconnaître le délabrement, l’indigence parfois des bâtiments universitaires et la nécessité d’y consacrer les moyens adéquats, comme aussi d’adopter un plan pluriannuel de création d’emplois statutaires. Contrairement à ce que dit Jean-Pierre Soisson, consentir ces financements, ce n’est pas mettre la charrue avant les bœufs, c’est assurer les conditions d’une bonne rentrée. Il y a urgence à recruter des enseignants-chercheurs, des bibliothécaires, du personnel administratif et ouvrier.

En raison de l’échec dans le premier cycle que vous avez rappelé, il faudrait organiser rapidement un dispositif d’orientation permettant à chaque jeune de définir un projet personnel et professionnel dès le secondaire. Il faudrait en outre intégrer l’aide sociale dans un plan élaboré en concertation avec l’ensemble des partenaires et, en premier lieu, des syndicats d’étudiants.

Enfin, nous regrettons qu’à travers ce projet, l’État se désengage. Nous voterons donc l’exception d’irrecevabilité.

M. Pierre Cohen – M. Claeys a bien dit en quoi consiste, à nos yeux, ce socle qu’a évoqué M. Soisson. À l’évidence, nous n’en avons pas la même conception. Ce sur quoi nous nous accordons en revanche, c’est sur la nécessité d’une réforme, que l’ensemble de la communauté universitaire attend. Pour réaliser cette réforme, l’État devait s’engager. Or, à travers votre projet, il se désengage.

M. Jean-Pierre Soisson – On ne peut pas dire cela !

M. Pierre Cohen – En dehors de la nouvelle gouvernance, il y avait bien des questions à traiter ! Vous les avez d’ailleurs évoquées. Mais ceux qui ne connaissent pas précisément le texte n’ont pas pu comprendre ce que vous souhaitez y mettre vraiment.

Un de ces problèmes, c’est l’échec inacceptable dans le premier cycle. Vous aurez des propositions à ce sujet dans quelques mois. Pourquoi alors avoir procédé à la va-vite, dans des conditions de dialogue contestées par tous les partenaires ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

Un autre problème, c’est celui des moyens. Vous savez exactement ce qu’il faut pour réformer l’université.

M. le Rapporteur – Un milliard.

M. Pierre Cohen – Admettons. Vous auriez dû l’inscrire dans un collectif, notamment pour renforcer l’encadrement dans les filières longues, et le porter au même niveau que dans les filières courtes.

Enfin, il fallait rendre plus lisible le lien entre recherche et université. Vous avez laissé entendre que l’ensemble des emplois de chercheurs et d’enseignants iraient à l’université.

Mme la Ministre – Non.

M. Pierre Cohen – Vous avez démenti, mais le bruit court toujours. Ce projet vous donnait l’occasion de faire la clarté !

Enfin, les conditions de vie des étudiants sont catastrophiques. Vous évoquez des réformes, mais sans accorder les moyens nécessaires pour que les étudiants puissent mener correctement leurs études.

Vous ne proposez donc qu’une réforme très partielle. L’égalité des chances ne sera pas assurée si, d’ici la fin de l’année, vous ne déposez pas un projet qui couvre toutes ces demandes. Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche votera l’exception d’irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Olivier Jardé – L’Université a besoin de réforme, nous en sommes tous d’accord. Depuis vingt ans, le monde a changé, et tous, les présidents d’université mais aussi les enseignants-chercheurs et les étudiants, veulent la modernisation. Ce texte nous en offre l’occasion. Il permettra de clarifier les compétences et de rendre la gouvernance plus efficace. J’ai quelques réticences sur les articles 5 et 12, mais je suis convaincu que l’Assemblée, dans sa sagesse, trouvera une solution pour les emplois hospitalo-universitaires. En tout état de cause, il faut avancer. Le Nouveau centre ne votera pas l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre).

L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente – J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Noël Mamère – Une réforme ambitieuse de l’enseignement supérieur s’impose. Notre pays a en effet pris du retard. Il ne lui consacre que 1,1 % de son PIB, contre 1,7 % en moyenne dans l’OCDE et 2,7 % aux États-Unis. Pis encore, nous ne consacrons à la recherche que 2,1 % du PIB, bien loin des 3 % qui seraient nécessaires pour éviter d’être distancés par les autres grands pays développés. Le manque d'attractivité des carrières scientifiques, faute de moyens et de perspectives, décourage des milliers de chercheurs et les difficultés matérielles et financières des organismes de recherche fragilisent la recherche fondamentale.

Quant au taux d'échec dans le premier cycle universitaire, parfois de 50 %, il peut certes provenir d’une mauvaise orientation, d’un encadrement défaillant ou d’un manque de cohérence entre le secondaire et le supérieur, mais il s’explique aussi par la reproduction sociale, impitoyable. Car l'enseignement supérieur est profondément inégalitaire : la situation dans les grandes écoles n'a rien à voir avec la situation dans l’université mais, au sein de celle-ci, que de contrastes aussi, d’une filière à l’autre, d’un établissement public à l’autre. Notre pays ne peut se satisfaire de diplômer seulement 30 % d'une classe d'âge !

En outre, l'État néglige son patrimoine : les locaux sont mal entretenus, vétustes et exigus, et contiennent parfois de l’amiante. Cette gestion de la pénurie tue l'Université et lui interdit d’assumer ses missions. En ce sens, ne pas avoir fait examiner de collectif budgétaire, comme le demandaient la plupart des organisations syndicales, est une faute. Vous accordez plusieurs millions de cadeaux fiscaux, mais vous ne préparez pas la rentrée ! Le pays n'est pas dupe : vos priorités sont manifestes, elles se confondent avec vos clientèles (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

L'urgence, c'est de tirer l'enseignement supérieur de l'indigence, et c’est de s’attaquer à la misère étudiante, faite de petits boulots, de galère pour le logement et de problèmes de santé.

Certes, on nous a dit que, durant les cinq prochaines années, le budget des universités augmenterait d’un milliard par an, ce qui serait une rupture avec la politique de la majorité. Mais quid de la répartition de cette somme ? D’autre part, le retard est tel que l'effort annoncé ne suffira pas et le jour où la dépense par étudiant sera portée à 10 500 euros par an, en 2012, semble encore bien loin. Pourquoi l’université devrait-elle attendre plus longtemps que les contribuables assujettis à l'ISF ? Affaire de choix politique et de priorité : à l'évidence nous n'avons pas les mêmes, Madame la ministre.

Personne ne peut croire que les urgences dans l'enseignement supérieur, que les évolutions nécessaires se résument à une réduction de l’effectif des conseils d'administration ! Une réforme de l'enseignement supérieur est un chantier bien plus vaste ! Je demande donc à notre assemblée de ne pas poursuivre l'examen de ce texte.

C’est un paradoxe : ce projet de loi, qui ne tient pas compte des urgences, est discuté à la va-vite, tambour battant, au milieu de l'été, quand les universités sont vides et que la communauté universitaire a peu de chances de se mobiliser. Mais des voix commencent à se faire entendre, celles des syndicats et de nombreux conseils d'administration, qui ont adopté des motions rejetant la méthode, le calendrier et le contenu du texte.

Annoncé comme la réforme la plus importante de la législature, ce texte n'a pas fait l'objet d'une discussion. Vous n'avez jamais tenu compte – mais le pouviez-vous, Madame la ministre ? – de l'opposition du monde universitaire au calendrier précipité que le Président de la République et le Premier ministre vous ont imposé.

Les consultations débutent le 31 mai : l’ensemble des syndicats et de la communauté universitaire déplorent cette hâte, en même temps que le manque de transparence. L'essentiel de la réforme est déjà bouclé quand les groupes de travail s’installent : aucun document de travail validé ne leur parviendra. Le 15 juin, une intersyndicale regroupant seize organisations – dont « Sauvons la recherche », l'Unef et le Snessup –appelle à ne pas soumettre le projet de loi au Parlement en juillet. Le 19 juin, le texte de réforme, qui n’a fait l’objet que d’une consultation de façade, est divulgué : c'est un tollé syndical. Les partenaires sociaux se voient remettre un document de travail auquel ils doivent réagir dans les trois jours. Le CNESER, qui doit émettre un avis consultatif, est convoqué le 22 juin : après huit heures de discussions, le texte est rejeté par 19 voix contre 12 et 3 abstentions. Le Président de la République reprend alors le dossier en main : il reçoit le 26 juin onze organisations syndicales et annonce qu’il prendra en compte quelques observations, et que le texte sera examiné en conseil des ministres, non plus le 27 juin mais le 4 juillet. Vous recevez alors les organisations représentatives de la communauté universitaire pour une concertation – pour le moins rapide – sur un texte remanié et selon un nouveau calendrier.

Dans cette course contre la montre, la méthode a été chaotique et désastreuse. Trois versions du texte ont été présentées la même semaine…

Mme la Ministre – Vous ne les avez pas lues !

M. Noël Mamère – …l’intitulé « portant organisation de la nouvelle université », devenant « relatif à la gouvernance et aux nouvelles compétences des universités », pour se transformer – finalement ? – en « relatif aux libertés des universités », médiatiquement plus vendeur.

L'absence de concertation s'explique sans doute par la faible marge de négociation dont vous semblez disposer, Madame la ministre, dans la conduite de ce dossier. Mais le vote du CNESER, bien que consultatif, est sans appel. Votre texte n'a pas l'approbation de la communauté universitaire et son inscription en urgence bafoue les droits du Parlement. C'est un projet à forte connotation idéologique, sans la légitimité démocratique que confère une concertation réussie.

M. Claude Goasguen – Qu’a-t-il d’idéologique ?

M. Noël Mamère – Vous voulez aller vite pour éviter qu'un débat s'instaure ; mais il serait temps que la droite noue avec le monde universitaire des relations fondées sur le respect, l'écoute et la concertation (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Avec vous, le passage en force est la règle.

M. Claude Goasguen – Et qu’a donc fait la gauche ?

M. Noël Mamère – Je ne peux que manifester ma solidarité avec le monde universitaire qui dénonce la méthode et le calendrier. En effet, Madame la ministre, la précipitation n'est pas bonne conseillère : comment peut-on proposer une nouvelle organisation de l'Université sans débattre de ses finalités, sans garantir des moyens, sans s'attaquer à l'échec étudiant en premier cycle, sans aménager des liens solides avec la recherche ?

Une réforme de l'enseignement supérieur ne peut non plus faire l'économie d'un débat sur l'école : comment peut-on prétendre assurer à tous une formation de qualité, et se taire sur la suppression de 17 000 postes d'enseignants ? Nous attendons de l'enseignement supérieur qu'il produise et transmette les savoirs, garantissant à chacun le choix de sa propre voie.

Au XXIe siècle, la formation universitaire doit être un droit. Après la massification observée ces trente dernières années, c’est la démocratisation qui doit être notre objectif. Nous devons répondre aux attentes de la nation, nous préoccuper des missions et de l'organisation de l'ensemble de notre système universitaire, redéfinir la place respective des formations technologiques, des classes préparatoires, des grandes écoles, des instituts, des universités. Nous devons poser la question des relations avec la recherche, aborder les questions pédagogiques, traiter des contenus, des rythmes et des diplômes. C’est ainsi que nous parviendrons à une civilisation de la connaissance partagée. Mais tout cela est absent du texte.

Personne ne défend le statu quo. Mais en quoi ce texte marquerait-il un progrès ? La présentation qui en est faite est un attrape-nigaud : ce projet, nous dit-on, est essentiel, car il vise à « offrir aux universités une autonomie réelle, la capacité de mieux remplir les missions que la Nation leur confie. » La loi Savary de 1984 avait déjà renforcé l'autonomie – les universités devenant des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel – précédée en cela par la loi Edgar Faure du 12 novembre 1968 qui avait supprimé les facultés et créé des universités constituées d'unités d'enseignement et de recherche.

Ce projet de loi tend en réalité à institutionnaliser la concurrence entre les universités, votre autonomie représentant un recul de la démocratie universitaire – elle revient en effet à renforcer le pouvoir du président sans lui opposer de contre-pouvoir. Le président a ainsi un droit de veto et la main sur l'attribution des primes et sur le recrutement de contractuels, CDI compris. Mais il s’agit d’un pouvoir sans grande légitimité, puisque le texte propose que seul le conseil d'administration participe à son élection.

M. Claude Goasguen – Comme dans tout établissement public !

M. Noël Mamère – Vous vous trompez de cible, Madame la ministre. Il fallait vous attaquer aux dysfonctionnements, pas à la démocratie. Réformer sans concertation est une erreur, exclure une grande partie de la communauté universitaire du processus de décision trahit une méconnaissance du monde universitaire et constitue une faute politique.

C'est au président élu et au rapport de confiance qu'il saura établir que l'on devra l'efficacité et la sérénité des conseils. Affaiblir la représentation des étudiants et des personnels au sein du conseil d'administration ne réduira pas les divergences sur la manière de gouverner un établissement. Cette loi est celle de la concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul individu.

Au lieu de supprimer l’association du conseil scientifique et du conseil des études et de la vie universitaire à la définition des choix pédagogiques et scientifiques, vous auriez mieux fait d’autoriser le conseil d'administration à déléguer aux autres conseils de l'université son pouvoir de décision dans les limites de leur champ d'action propre.

Je regrette également que vous ayez amoindri la représentation des personnels et des étudiants, principaux acteurs de la vie universitaire

M. Claude Goasguen – Leur représentation n’est pas amoindrie !

M. Noël Mamère – Pourquoi négliger leur compétence et leur expertise ? Vous ne souhaitez que l’avènement de présidents omnipotents, décidant seuls au détriment de la collégialité, pourtant nécessaire à la mobilisation de toutes les forces du monde universitaire.

Je m'étonne d’ailleurs que la « gouvernance des universités », du moins ce que vous baptisez pompeusement de ce nom, n'ait pas fait l'objet de discussions au sein des groupes de travail que vous avez formés. Vous présentez ce sujet comme crucial, mais vous ne l’avez pas inscrit à l’ordre du jour de votre concertation factice… L’absence de réflexion sur les finalités et les missions de l’université est pourtant le principal motif d’opposition à votre texte !

La France a besoin d'un enseignement étroitement associé à tous les lieux d'élaboration des savoirs, en relation avec les établissements assurant les mêmes missions en Europe et dans le monde, mais aussi en résonance avec les interrogations portées par le monde culturel, social, économique, par les citoyens. Ces missions de service public doivent être nécessairement régulées et financées par l'État, garant d'une vision prospective stratégique à long terme, et à ce titre sous le contrôle du Parlement. C'est pourquoi nous dénonçons les dispositions relatives aux nouvelles sources de financement, notamment l'article 23 qui tend à favoriser le mécénat. Ce sont en effet les prémices d’un désengagement progressif de l'État dans le financement de l'enseignement supérieur…

M. Claude Goasguen – Mais non !

M. Noël Mamère – …alors que les inégalités entre établissements sont déjà croissantes. Tout cela ressemble furieusement à la décentralisation : transférer des compétences pour réaliser des économies ! En confiant aux universités la propriété et la gestion de leur patrimoine, en leur ouvrant localement le droit de créer des formations nouvelles, dont elles fixeraient le contenu, vous préparez le désengagement de l’État.

Il ne faudra pas s'étonner que la recherche de fonds devienne une priorité pour les universités ; que certaines formations soient l’otage des exigences à court terme de partenaires économiques ; que des formations sans application immédiate et rentable disparaissent ; et que les orientations de la recherche cessent d’obéir aux choix scientifiques. Tous ces sujets méritent un véritable débat contradictoire, mené avec l'ensemble de nos concitoyens.

En effet, il ne faudrait pas que le financement de l'enseignement supérieur relève du bon vouloir des entreprises. Vous annoncez un milliard de plus par an, mais vous demandez d'attendre septembre 2008… Quel mauvais départ ! Votre seule volonté est de régler vos comptes avec l’université, qu’il s’agisse de son ouverture au plus grand nombre, du fonctionnement démocratique des établissements ou des statuts et des franchises universitaires, toutes avancées issues de mai 68 et des conquêtes sociales ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Avec le Président de la République, vous souhaitez détruire cet héritage ! (Même mouvement)

M. Claude Goasguen – Vous êtes un nostalgique de mai 68 !

M. Noël Mamère – Inspiré du mode de mode de fonctionnement de l’entreprise, votre projet de loi tourne le dos à la tradition universitaire, fondée sur la collégialité démocratique et le débat. Vous allez transformer les présidents d’université en PDG, chargés de maximiser la rentabilité en gérant de façon optimale leurs ressources, qu’elles soient budgétaires ou humaines.

Les dispositifs relatifs au recrutement des enseignants-chercheurs vont accorder un droit de veto exorbitant à un président qui peut être totalement étranger au monde de la recherche et de l’enseignement, mais elles vont également avoir pour effet de minorer la place des spécialisations et des compétences scientifiques validées par la communauté scientifique. Ces personnels exerçant des missions de long terme, il est indispensable que leur statut continue à relever de la fonction publique d'État !

La France ne souffre pas d’un excès d'emploi dans ses universités, bien au contraire : la massification des trente dernières années s'est effectuée à un rythme comparable à celle de nos voisins, mais avec moins de recrutements et moins de moyens.

La méthode et le calendrier retenus pour l’élaboration de ce texte sont à nos yeux inacceptables. Mais le contenu l’est plus encore : vos priorités sont en effet bien loin de celles du monde universitaire. Le lancement des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, le 2 juillet dernier, l’a malheureusement démontré. Comment pourrait-on accepter que les urgences du monde universitaire soient négligées par pure idéologie ?

Pour ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, d'adopter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Mme la Ministre – Votre argumentation se réduit à peu près à ceci : puisque nous avons déjà attendu cette réforme pendant vingt ans, pourquoi ne pas attendre encore un peu ? Le commissaire européen rappelait, il y a quelques semaines encore, que nous serions bientôt dépassés par les universités indiennes et chinoises si nous n’engagions pas rapidement un grand processus de réforme. Il ne s’agit plus seulement de faire face à la concurrence au sein de l’OCDE ! Dans les cinq années à venir, la Chine disposera de plus d’un million de chercheurs !

On vote en ce moment une loi sur l’autonomie des universités à Lisbonne, mais aussi à Hambourg : partout, l’objectif est de donner à l’enseignement supérieur les capacités juridiques et financières de se développer dans un monde qui change. Nous pourrions nous appliquer des œillères, Monsieur Mamère, mais tout le monde bouge en Europe ! Cette réforme ne pouvait pas attendre.

S’agissant de la concertation, nous avons débattu de cette réforme pendant soixante heures au ministère, et huit heures au CNESER, où douze voix en faveur de ce texte représentent déjà beaucoup.

M. Pierre Cohen – Mais vous avez reculé…

Mme la Ministre – Pas du tout ! La concertation nous a permis d’améliorer le projet de loi sur trois points. Tout d’abord, nous avons porté à trente l’effectif maximal du conseil d’administration, au lieu de vingt initialement. Certaines universités nous ont en effet demandé de permettre la représentation des différentes disciplines afin qu’elles puissent peser sur la politique de formation et de recherche. Les trois universités d’Aix et Marseille nous ont également indiqué leur souhait de profiter de leur autonomie pour fusionner.

M. Pierre Cohen – Dans un PRES !

Mme la Ministre – Pas seulement ! Elles souhaitent devenir la plus grande université de la Méditerranée, qui sera 20e au classement de Shanghai. Laissons-leur cette liberté ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) Les universités de Strasbourg ont par ailleurs décidé de créer le premier pôle de recherche transfrontalier en Europe avant de fusionner en 2009. Elles souhaitaient également une marge de manœuvre supplémentaire.

Deuxième modification issue de la concertation, l’autonomie accordée aux universités ne serait plus une simple option. Toutes les universités en veulent. Donnons-la à tous ! Voilà le résultat des soixante heures de débat au ministère.

M. Noël Mamère – Soixante heures, c’est bien peu !

Mme la Ministre – La troisième avancée concerne l’entrée en master. Je le répète : cette loi touche au fonctionnement des universités et non aux conditions de la scolarité. Nous devons d’abord mener à bien le chantier de la licence !

Vous parlez de concertation, Monsieur Mamère, mais cela fait vingt ans que cette loi est sur le métier. Chacun se souvient en particulier de la loi Ferry, qui a été retirée. Sur tous ces sujets, nous débattons depuis longtemps, et les positions étaient déjà arrêtées sur la question de l’autonomie.

Cela vous dérange enfin, Monsieur Mamère, que le Président de la République s’engage sur le contenu des réformes. Ce qui vous gêne, c’est qu’il ait une vraie vision de l’avenir et qu’il lance des réformes en panne depuis vingt ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Pour ma part, je m’en réjouis, car c’est une chance pour notre université, qui va enfin bouger ! (Même mouvement)

M. Claude Goasguen – Nous faisons nôtres les questions de M. Mamère : qui ne s’interroge pas sur le financement et l’avenir de nos universités ? Il faudrait être inconscient pour croire que tout va bien aujourd’hui !

Le problème était de savoir comment entamer cette réforme nécessaire de nos universités, objectif partagé par tous. Dois-je rappeler que les propositions de la candidate socialiste à la présidence de la République n’étaient guère éloignées des nôtres ?

Mme Sandrine Mazetier – Oh que si !

M. Claude Goasguen – Certains membres du parti socialiste allaient même plus loin que nous dans la voie de l’autonomie universitaire. Je pense notamment à Dominique Strauss-Kahn, qui avait rédigé un projet extrêmement libéral sur le sujet.

M. Régis Juanico – Cela n’avait rien à voir !

M. Claude Goasguen – Nous avons choisi de commencer par le commencement, à savoir la gouvernance. Et voilà que vous nous accusez d’ignorer la question des moyens ! Mais si nous avions commencé par là, vous nous auriez reproché la question de la gouvernance ! C’est d’ailleurs ce qui a provoqué l’échec de tous les projets étudiés depuis vingt-cinq ans. Qu’il s’agisse de la réforme Devaquet ou des propositions de M. Ferry, le serpent s’est mordu la queue, ou, tel l’âne de Buridan, est mort de n’avoir pas su choisir s’il devait d’abord boire ou manger ! (Sourires) Aujourd’hui, nos universités ont faim et soif, et votre réforme, Madame la ministre, va les apaiser.

Les propos de M. Mamère m’ont semblé injustes pour ce qui concerne le « tollé » que le projet aurait suscité, ainsi que sur la prétendue absence de concertation. Vous avez, Monsieur Mamère, l’oreille trop fine pour ne pas distinguer un vrai tollé de simples pépiements. Certains responsables syndicaux et quelques universitaires ont bien émis des réserves ; mais de tollé, point, et il faut voir plutôt dans ces manifestations l’inclination habituelle du monde universitaire à commencer par dire non avant, finalement, de s’adapter ! Quant à l’absence de concertation préalable, c’est un faux débat et un mauvais procès : les enjeux sont sur la table depuis vingt ans, toutes les majorités ont tourné autour et les dernières campagnes électorales ont permis de fourbir tous les arguments.

Ce texte apporte de réelles avancées en matière de gouvernance et traduit un engagement financier sans précédent. Bien entendu, le groupe UMP ne votera pas la question préalable, que M. Mamère a surtout défendue pour donner des gages à ses électeurs en montrant qu’il ne pouvait rien sortir de bon de ce Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Le Déaut – Contrairement à ce qu’a laissé entendre Mme la ministre, loin d’être opposés à toute évolution, nous demandons plus d’autonomie et de responsabilités pour les universités. Mais la vraie question n’est sans doute pas là, et la première brique de la « loi cathédrale » qui nous avait été annoncée ne semble pas très solide ! Où trouver des signes que la volonté politique est au rendez-vous et que les moyens nécessaires seront mobilisés ? Certainement pas dans le sort réservé aux doctorants, indigne de notre pays et même de tout pays développé ! Il y a seize mois, François Goulard s’en souvient sans doute, alors que nous débattions du pacte pour la recherche, il nous avait été annoncé qu’un arbitrage favorable du Premier ministre interviendrait sans délai pour que leur rémunération soit immédiatement portée à 1 500 euros : on nous a « baladés »…

M. Pierre Cohen – Eh oui !

M. Jean-Yves Le Déaut – Et cet arbitrage, Madame la ministre, nous l’attendons toujours ! Alors, oui, M. Goasguen et d’autres peuvent prétendre que les candidats à la présidentielle convergeaient sur le constat, mais, s’agissant des moyens à dégager pour relancer le système, nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d’ondes !

La semaine dernière, des arbitrages très coûteux pour la nation ont été rendus en faveur d’une minorité de privilégiés, avec, notamment, le bouclier fiscal et toutes les autres mesures du même ordre. Nous attendons aujourd’hui des engagements aussi clairs en faveur de nos étudiants et du monde universitaire. Ce que nous redoutons, c’est que la réforme de structure que vous présentez serve de paravent à un certain immobilisme pour ce qui a trait aux enjeux essentiels que sont l’amélioration de la vie étudiante, la revalorisation du statut des doctorants ou la clarification de celui des enseignants-chercheurs. C’est cela qu’il faut régler pour que l’université française retrouve sa place dans le monde !

Bien entendu, le groupe SRC votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Jean-Paul Lecoq – Votre projet de loi, Madame la ministre, confère un pouvoir exorbitant aux présidents d’université et organise une autonomie en trompe-l’œil. L’université méritait mieux, et son sort dans les années à venir justifiait l’organisation d’un vrai débat public (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Comme l’a justement relevé M. Mamère, la concertation démocratique qu’exigeait un tel projet n’a pas eu lieu dans des conditions satisfaisantes : que pèsent 60 heures de discussions face à de tels enjeux ?

Au final, le texte qui nous revient du Sénat va creuser les inégalités entre universités, marquer une nouvelle étape dans la fragilisation des personnels précaires, et adosser – via le mécénat – notre système de formation supérieure aux attentes du patronat (« Nous y voilà ! » sur les bancs du groupe UMP), ce qui revient à organiser les formations selon le bon vouloir des entreprises (Même mouvement).

Alors que le Gouvernement a prouvé qu’il savait trouver les moyens de faire 13 milliards de cadeaux à 1 % – au plus ! – de la population, il gâche l’occasion qui lui était donnée de proposer la vraie réforme dont nos étudiants ont besoin. D’autres avant moi ont, en effet, rappelé la fragilité de leur situation, qu’un rapport récent a mis en lumière. Alors que nombre de présidents d’université se tournent vers les collectivités locales pour tenter de compenser le désengagement de l’État, le texte qui nous est soumis reste très insuffisant.

C’est pourquoi le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera sans hésitation la question préalable.

M. Olivier Jardé – La finalité première de l’université, c’est de transmettre le savoir, tout en assurant aux jeunes les conditions d’une bonne insertion sociale et professionnelle. Au regard de cette ambition, notre système ne peut rester en l’état, avec le constat accablant de 50 % d’échecs en premier cycle et 90 000 étudiants lâchés dans la vie active sans aucun diplôme !

M. Patrick Braouezec – Nous sommes tous d’accord là-dessus !

M. Olivier Jardé – Dès lors, le groupe du Nouveau centre se refuse d’en rester là. La réforme est nécessaire et nous devons en débattre sans plus attendre. Nous ne voterons pas la question préalable ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Mme la Présidente – J’ouvre la discussion générale.

M. Olivier Jardé – La réforme que vous nous proposez, Madame la ministre, est très attendue. L’environnement, national et mondial, a changé, et vous avez bien compris que nos universités sont demandeuses d’un mode de gouvernement plus efficace, d’une responsabilité budgétaire étendue et d’une gestion des personnels renouvelée.

La première question qui se pose est de savoir quel est le but de l’université : il s’agit, bien sûr, de transmettre le savoir, mais il est essentiel de le faire sans se couper de l’environnement social et professionnel, de manière à garantir aux étudiants les conditions de la meilleure insertion possible. Or, comme je l’ai dit tout à l’heure, la situation actuelle est préoccupante : la moitié des étudiants de premier cycle échouent et 90 000 jeunes quittent le système sans aucun diplôme. Ces jeunes, ce sont nos enfants, et il est donc urgent d’intervenir !

En outre, 53 % des jeunes diplômés à bac plus quatre rencontrent des difficultés pour accéder à un emploi stable. À lui seul, un chiffre aussi inacceptable justifie que tout soit fait pour rationaliser le système.

Chacun connaît – pour ne prendre qu’un seul exemple – le manque de débouchés de la filière des sciences et techniques des activités physiques et sportives, les fameuses STAPS. Dans un souci de pragmatisme, il est envisagé de leur donner par équivalence une qualification de kinésithérapeute. Soit, mais ne serait-il pas plus rationnel de valoriser les filières de formation à la kinésithérapie, si cela correspond aux besoins du pays ?

M. Patrick Braouezec – Ou de recruter enfin des professeurs d’EPS en nombre suffisant dans nos collèges ?

M. Olivier Jardé – Je souhaite aussi aborder la spécificité des UFR de santé, où exercent les praticiens hospitaliers. Avant les ordonnances de 1958, facultés et hôpitaux vivaient de manière séparée. Puis, avec les CHU, l’intégration de la médecine dans les universités s’est soldée par une remarquable réussite en matière de santé publique, dont attestent plusieurs classements internationaux. En rien menaçante pour l’ensemble du système, la spécificité des UFR de santé doit être prise en compte. Or l’article 12 du présent texte leur retire la possibilité d’affectation directe des personnels, laquelle constituait une dérogation au régime de droit commun.

En outre, l’article 5 dispose que cette affectation ne peut être prononcée si le président de l’université émet un avis défavorable motivé. Vous avez réintroduit au Sénat, par voie d’amendement, la nécessité d’un dialogue entre le ministre de la santé et celui des universités. Mais vous savez bien que les nominations sont prononcées à l’issue de trois étapes : révision des effectifs, discussion entre les deux ministres, Conseil national des universités. Cette révision préalable est indispensable. Comment voulez-vous sans cela qu’un directeur général de CHU aille discuter un demi-poste complémentaire avec l’ARH si le poste n’est pas inscrit ?

D’autre part, les facultés de médecine ont une logique interrégionale.

Mme la Ministre – Vous vous faites peur, Monsieur le professeur ! (Sourires)

M. Olivier Jardé – À Amiens, par exemple, nous sommes dans le G4 : les postes universitaires sont discutés entre Lille, Rouen, Caen et Amiens. Certes, si l’on a un président d’université ouvert, une ministre comme vous, un Conseil national des universités responsable, tout ira bien ! Mais nous faisons la loi pour trente ans : j’ai donc quelques inquiétudes. En 1984, on avait bien dû ajouter l’article 32 à la loi Savary. Je voterai donc l’amendement du rapporteur sur les affectations directes au niveau des UFR de santé.

Pour le reste, je regarde ce texte d’un œil très favorable (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

Mme Françoise Guégot – C'est pour moi un honneur d’intervenir à cette tribune, au nom de l’UMP, sur ce projet de loi relatif aux libertés et responsabilités des universités. Je tiens, Madame la ministre, à vous remercier pour cette grande réforme qui redonnera une place de premier ordre à nos universités. Il s'agit d'une première étape qui sera suivie de beaucoup d’autres.

Longtemps annoncée, toujours repoussée, la réforme des universités répond à une véritable urgence. Comment accepter que 90 000 jeunes quittent chaque année l’université sans aucun diplôme, et que la moitié de ceux qui obtiennent une qualification après quatre ans de formation n'aient toujours pas d'emploi un an après ? Comment accepter que deux jeunes sur trois accueillis à l’université atterrissent là par défaut, et que notre taux d’encadrement des étudiants nous place au 18e rang parmi les 23 pays de l’OCDE ?

Nos étudiants sont mal orientés, mal encadrés et trop nombreux à échouer et nos diplômés insuffisamment adaptés à la vie professionnelle. Nos universités ont pourtant des enseignants-chercheurs de grande qualité, des laboratoires de renom international et des étudiants qui ne demandent qu'à réussir.

Si notre système fonctionne mal, c’est parce que ses règles n’ont pas évolué depuis vingt ans, tandis que se créaient des écoles et des formations qualifiantes disposant de bien meilleurs moyens, mais aussi de la liberté de s'organiser, de recruter, de s'adapter.

Voilà ce dont notre université a besoin ! Cette réforme permettra de rénover la gouvernance, de libérer les énergies et d'affecter les moyens là où ils sont indispensables. Elle s'accompagne d'un effort considérable – plus de 5 milliards d'euros supplémentaires d'ici à 2012, soit un accroissement de 50 % du budget global.

Mais cette réforme assigne surtout à l’université une mission essentielle, l'insertion professionnelle, qui implique trois exigences.

Premièrement, l'université doit aider les jeunes à choisir leur formation en fonction de leurs attentes, de leurs qualités personnelles et de leurs capacités. C'est une grande mission que celle de l'orientation ! On doit être capable de dire à un jeune : « Cette formation, tu peux la suivre mais tu auras peu de chances de réussir, parce qu'elle ouvre sur très peu de débouchés – ou alors il faudra que tu sois le meilleur ! » ou : « Si tu entreprends cette formation avec le bac que tu as eu, tu as une chance sur 200 d'arriver en troisième année. »

Deuxièmement, l'université doit dispenser un enseignement de qualité, qui s'adapte au public, au temps et aux besoins. Si les écoles, les STS ou les IUT fonctionnent mieux, c’est parce que le nombre d'heures enseignées est beaucoup plus important, avec des enseignements renforcés en langues, technologies de l'information ou rédaction. Comment accepter que dans certaines filières, les étudiants aient une heure d'anglais par semaine, soit moins de 40 heures dans l’année ? La qualité de la formation doit être la même pour tous. Il faut donc qu'elle puisse bénéficier de différents profils d'enseignants – les enseignants-chercheurs et des professionnels qui viennent apporter une expérience de terrain. C'est de cette souplesse de recrutement que l’université a besoin. C'est ce que propose ce texte.

Troisièmement, l'université doit être ouverte mais exigeante. Elle doit s'ouvrir sur les entreprises, pouvoir créer facilement des filières adaptées aux besoins de son bassin d'emploi et valoriser sa recherche. Plus de la moitié de la recherche française se fait à l'université. Il faut la stimuler, l’accompagner et l’évaluer. Elle doit être un moteur pour le rapprochement de nos laboratoires avec l'entreprise. Grâce à la possibilité de créer des fondations, l’université aura les moyens de relever ce défi.

Oui, cette réforme est une chance, d’abord pour les jeunes, puisqu’elle fera de notre université celle que l'on choisit, où l'on est heureux d'apprendre, celle qui rétablit l'égalité des chances. Ce soir, je pense surtout à eux. C’est pour moi une grande fierté de défendre un texte dont l'enjeu majeur est d’abord l’avenir de nos enfants.

Pendant plus de 15 ans, j'ai exercé ce merveilleux métier d'enseignant-chercheur. Je sais combien il est important d'offrir la réussite. Quel gâchis quand un de vos étudiants quitte une filière au bout de deux, trois, voire quatre ans sans aucune perspective ! Quel bonheur, à l'inverse, d’apprendre que tel ou tel que vous avez accompagné a réussi !

Nous savons d’ailleurs tous combien la route à tracer pour nos propres enfants est difficile. Leur offrir les moyens de réussir est pourtant ce qu’il y a de plus important.

Ce texte s'intitule « Libertés et responsabilités des universités ». Oui, la liberté s'accompagne de responsabilité. Cette liberté nous oblige à être les garants d'un système de formation qui placera l’université française en bonne position pour participer à la bataille mondiale de l'intelligence.

L'université doit gagner le pari d'être à la fois le cœur de la formation et de l'insertion professionnelle et l'acteur majeur de notre recherche. Mais surtout, elle doit replacer l'étudiant au centre de son projet.

Je rappelle pour conclure que cette réforme s'inscrit dans la volonté du Président de la République de tenir ses engagements. Nous sommes au cœur du chantier de l'égalité des chances. Le Premier ministre s’est pour sa part engagé à « rebâtir l'université française en conduisant un jeune sur deux vers un diplôme de l'enseignement supérieur » et à « faire de nos universités des pôles d'excellence ». Madame la ministre, nous serons à vos côtés pour réussir cette grande réforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Le Déaut – La réforme des universités ne doit pas attendre. Nous sommes donc partisans d’en faire plus – et non moins ! En effet, les lois Faure de 1968 et Savary de 1984 ne sont pas allées jusqu'au bout de la logique que le mot autonomie sous-tendait. Les universités sont toujours financées en fonction de critères fixés par les normes SanRemo, qui viennent compléter des négociations quadriennales ; le patrimoine immobilier appartient toujours à l'État ; les procédures de recrutement sont longues et peu efficaces ; les carrières des enseignants et des enseignants-chercheurs dépendent uniquement de l'État et de critères qui n'ont rien à voir avec la qualité de l'enseignement ; enfin, les bourses sont octroyées par l'État.

Notre système universitaire est peu efficace, inégalitaire et inadapté. Il est en compétition avec un système sélectif – les préparations aux grandes écoles – dont le coût par an et par étudiant est deux fois plus élevé qu’en premier cycle universitaire.

Il est de plus injuste, car le taux d'échec en premier cycle est plus important. Si nous sommes favorables au maintien de diplômes nationaux, nous reconnaissons que les chances de réussite ne sont pas les mêmes dans toutes les universités, ni selon que l’on est dans une « prépa », un institut universitaire de technologie ou un premier cycle universitaire. En un mot, l'étudiant n'est pas au centre de notre système universitaire. Les députés ont eu beau dénoncer les conditions de vie, la mauvaise insertion des étudiants – 90 000 étudiants quittent l'université sans diplôme chaque année –, s'indigner des faibles moyens humains et financiers, rien n'y a fait. On ne peut se satisfaire de cette situation inégalitaire.

La campagne présidentielle était plutôt rassurante pour l'université et la recherche, car les principaux candidats avaient donné priorité à la recherche et à l'enseignement supérieur. Nous nous sommes même réjouis de voir réunis sous votre autorité, Madame, l'enseignement supérieur et la recherche. Depuis que le candidat, aujourd'hui Président, avait promis la priorité absolue pour l'enseignement supérieur et déclaré que l'argent ne devrait « jamais être un obstacle à la poursuite des études », nous attendions avec impatience qu'une loi s'attaque réellement aux racines du mal.

Malheureusement, nous restons sur notre faim. Le texte n'aborde que des problèmes de gouvernance et se limite à l'autonomie qui ne soignera en rien les maux dont souffre l'université. Ce n'est ni en définissant les compétences du président ni en fixant le nombre des membres du conseil d'administration d’une université que nous améliorerons le taux d'échec en premier cycle, la situation déplorable des doctorants, l'insertion des diplômés dans le monde du travail ou l’articulation avec la recherche.

C’est la première pierre d’une construction d’ensemble, paraît-il. Mais peut-on se féliciter de la pose d’une première pierre si l’on ne connaît pas l’architecture projetée et que l’on n’a aucune certitude sur les moyens mis à disposition pour bâtir ? (« Exactement ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ; protestations sur les bancs du groupe UMP) Comment peut-on croire que la promesse faite par le Président de dégager 5 milliards en cinq ans sera tenue quand, dès la première année, aucun collectif n’est proposé en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Je me félicite certes d’apprendre que le salaire minimum des doctorants bénéficiaires de conventions CIFRE va être revalorisé, mais j’observe que la part de l’État dans ce financement va régresser, les entreprises en prenant à leur charge une plus grande proportion. Dans le même temps, le Gouvernement ne prend aucun engagement financier jusqu’en 2008…

M. le Rapporteur – Mais c’est demain !

M. Jean-Yves Le Déaut – Doit-on vous croire sur parole quand dans ce premier texte, vous ne donnez aucun gage sonnant et trébuchant ? Quel sera le plan de recrutement pluriannuel à l’université ? Les 17 000 postes que M. Darcos se propose de supprimer dans l'enseignement scolaire seront-ils transférés à l’université ? Est-on certain, par ailleurs, qu'en soutenant moins bien les élèves à l’école on les met en situation de réussir à l'université ?

Je rappelle qu'il y a quelque dix-huit mois, nous interpellions M. Goulard, alors ministre et ici présent…

M. François Goulard – Il y a prescription ! (Sourires)

M. Jean-Yves Le Déaut – Certainement pas ! Que faites-vous de la continuité de l’action ministérielle ? Nous vous interrogions sur la situation des doctorants et vous aviez promis qu'une allocation de recherche de 1 500 euros leur serait versée. Ce n’est toujours pas fait ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. François Goulard – Il a toujours été dit que la mesure prendrait effet à la rentrée.

M. Jean-Yves Le Déaut – Les décrets n'ont pas été publiés et aucun arbitrage budgétaire n'a été rendu. Avec le respect que nous avons pour vous, Madame la ministre, nous ne pouvons cautionner par notre vote un texte sur les universités si les promesses du précédent gouvernement, auquel participait l’actuel Président de la République, ne sont pas tenues.

Au-delà des critiques en tous genres émises par le CNESER, par les syndicats étudiants et enseignants et par la Conférence des présidents d'universités (Protestations sur les bancs du groupe UMP), nous voulons réaffirmer notre position. Si nous souhaitons des évolutions sur les dotations des universités, sur l'amélioration des conditions de recrutement, sur une meilleure répartition des tâches d'enseignement d’une part, de recherche, de gestion, de coopération internationale, de valorisation et de diffusion de la culture scientifique et technique d’autre part, nous sommes attachés à la notion de service public de l'enseignement supérieur et de la recherche et à la reconnaissance nationale des diplômes. L'État doit jouer son rôle de régulateur et tirer notre système d'enseignement supérieur et de recherche vers le haut. Voilà pourquoi nous avons refusé les expérimentations qui auraient conduit à favoriser une dizaine de grandes universités, laissant les autres patauger dans la misère budgétaire.

Si nous sommes favorables à plus de souplesse pour permettre de recruter plus facilement des jeunes post-doctorants qui se sont exilés faute d’emploi, nous regrettons qu'on leur impose, pour revenir, un véritable parcours du combattant. De même, nous voulons effectivement donner des compétences de gestion aux équipes de direction mais nous refusons l'éclatement des statuts de la fonction publique. Ce n'est pas, Madame la ministre, université par université que doit être fixé le nombre de contractuels. Ces postes doivent être réservés à des cas clairement identifiés, et nous refusons la rédaction actuelle de l'article 15 qui, au détour d'un amendement sénatorial, permet le retour à l'expérimentation. Si le texte reste en l'état, les universités favorisées pourront recruter des contractuels – des professeurs étrangers mieux payés –, et les petites universités seront les seules à devoir respecter strictement les règles de la fonction publique, la politique universitaire devenant une politique à géométrie variable. Évoquer ces risques, ce n’est ni sombrer dans la paranoïa ni faire preuve d'opposition systématique, mais dire que votre crédibilité dépendra de l'arbitrage que vous obtiendrez du Président de la République, arbitrage associant, dans un plan pluriannuel, des moyens financiers et la programmation d'emplois nouveaux. Nous vous ferons confiance si vous nous dites comment vous financerez le logement étudiant, comment vous améliorerez le taux d'encadrement dans le premier cycle universitaire pour le rapprocher de celui des classes prépa ou des sections d'IUT.

Enfin, les universités comptent, aux côtés des enseignants et des étudiants, des personnels techniques et administratifs qui font tourner la machine et qui ont été laissés à l'abandon par le précédent gouvernement. Ils doivent se voir offrir la possibilité d'une progression dans leur carrière et une vice-présidence du conseil d'administration.

Nos questions seront précisées dans nos amendements et vos réponses détermineront notre position finale (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) car, si réforme il y a, elle doit se traduire par un engagement financier pluriannuel. Si vous voulez être crédible, vous devez dire aujourd'hui comment vous traiterez de la précarité des étudiants, de l'échec en premier cycle, de l'orientation, du statut des enseignants-chercheurs et de la rémunération des doctorants. Vous devez aussi nous indiquer comment vous envisagez l'évolution de l'université et quels liens vous entendez instituer entre universités et organismes de recherche. Les mines du XXIe siècle seront des mines de matière grise. Chacun en est convaincu, mais il ne suffit pas de marteler le mot « priorité » pour avoir pris la mesure de l’enjeu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Alfred Marie-Jeanne – La dégradation du système universitaire est avérée : taux d'échec élevé, détérioration de la recherche, fuite continue des cerveaux, dégringolade dans les classements internationaux sont les traits qui caractérisent cet inquiétant constat, qui dit l'urgence d'une réforme réparatrice, s'attaquant aux multiples causes de cette situation. Le projet prétend y parvenir, mais cette réforme nécessaire ne serait pas suffisante si elle se limitait à un texte sur le management, faisant du président un homme tout-puissant, sans réelle instance faisant contrepoids. La gouvernance stricto sensu n'est pas l'unique élément à prendre en considération ; la solution doit être globale. Ne faut-il pas, aussi, s’attacher à traiter les causes des trop nombreux échecs ? La finalité de la réforme n'est-elle pas de redéployer et de renforcer la recherche pour l'aider à retrouver ses lettres de noblesse en partie perdues ? Gestion rigoureuse, réduction des échecs et consolidation de la recherche sont imbriquées et, en dernier ressort, la réussite de la réforme dépendra des moyens financiers et humains qui lui seront consacrés. Or, curieusement, le texte reste muet à ce sujet.

Le constat est plus préoccupant encore quant à l’avenir de l'université Antilles-Guyane, au point que le Sénat a proposé d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour y adapter la loi, après consultation des parties prenantes. De fait, répondre au mieux aux objectifs de bonne gouvernance, tenir compte des contraintes liées à l'éclatement géographique de l'université, exiger le maintien d'une recherche diversifiée et de qualité, exige naturellement une concertation approfondie.

Lors de l'examen du projet de loi de programme pour la recherche, en février 2006, j'avais déposé un amendement – adopté à l'unanimité – visant à la rédaction d'un rapport sur les conditions de développement de la recherche en Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion. J'avais en outre préconisé la création d'un pôle de compétitivité endogène adossé à l'université Antilles-Guyane. Le rapport, publié depuis lors sous l’égide de l'Inspection générale de l’administration et de l'Inspection générale de l'éducation nationale et de la recherche, recommande la création de plusieurs pôles d'excellence. Mais si le Gouvernement vient de retenir un pôle de compétitivité pour la Guyane et un autre pour la Guadeloupe, il en manque au moins un. Je veux croire que ce n'est pas un oubli volontaire.

L’occasion m’est donnée de poser quelques questions sur la redéfinition des missions de l’université Antilles-Guyane. Doit-elle seulement dispenser un enseignement du savoir ou de formation, ou contribuer à la recherche fondamentale et appliquée ? Doit-elle piloter la recherche sur place ou suivre les orientations préconisées ? Faut-il adapter l'enseignement supérieur pour l'exploration et l'exploitation des potentialités endogènes, ou travailler sur les mutations en cours ? Faut-il se cantonner aux stratégies de spécialisation territoriale ? Comment garantir, pour la Martinique, les retombées effectives des recherches, compte tenu des verrous inhérents à la protection de la propriété intellectuelle ? Quel sera le sort des trois IUFM existants ? Les ordonnances d'adaptation retiendront-elles les orientations définies dans les schémas régionaux de développement économique ? Enfin, l’université Antilles-Guyane pourra-t-elle élargir son champ d'action en passant des conventions de coopération avec les autres universités de la Caraïbe ?

Au moment où la partition de l’université Antilles-Guyane est évoquée, mieux qu'une réforme, c'est une refonte totale qu'il faut opérer chez nous, mais non une refonte préparée à huis clos ni une refonte conçue pour vivre en vase clos car « Gran Kouté piti, piti kouté gran » – autrement dit, si la recherche est importante pour les grands pays, elle l'est tout autant pour les petits pays (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Yvan Lachaud – Après que vingt années de massification et l’irruption de la mondialisation ont rendu inadapté le fonctionnement des facultés, la réforme des universités est enfin à l’ordre du jour. Nous vous félicitons, Madame, pour le courage que vous montrez, sous l'impulsion du Président de la République et du Premier ministre, en présentant ce texte.

Réformer nos universités est une nécessité – et urgente. Le nombre de jeunes qui accèdent à l'enseignement supérieur a considérablement augmenté, mais si le lycée s'est adapté à cette massification, notamment en ce qui concerne la pédagogie et l’offre de formations, les universités n'ont pas réalisé l'indispensable aggiornamento. La réforme LMD, qui réorganise les parcours universitaires, nous pousse également à la réforme. Les étudiants en BTS ou DUT attendent en particulier avec impatience de trouver leur place dans ce nouveau système.

Ne nous trompons pas de débat : il ne s'agit pas de choisir entre la sélection au mérite et la promotion sociale, car l'autonomie des universités ne doit pas se faire au prix du désengagement de l'État, mais au contraire s'accompagner de la création de postes. Dès lors, la querelle sur la nature de ces postes – de titulaires ou de contractuels – n'a pas de sens. Il est ridicule de s'inquiéter de la précarisation des emplois universitaires quand les jeunes chercheurs vivotent avec un demi-poste d'assistant, assuré pour un an, ou se lancent dans d’autres carrières en attendant un emploi définitif. Des postes de trois ou six ans assureraient bien mieux leur avenir que les contrats annuels d'aujourd'hui.

Le projet de loi du Gouvernement va dans le bon sens. Les questions qui faisaient débat ont été résolues. Seule la mauvaise foi ou une vision bornée pourraient vouloir faire croire le contraire. Le dépôt de ce texte a été précédé d’une large concertation avec les syndicats étudiants et enseignants et les présidents d'université, et elle préserve la représentation des étudiants : il ne s'agit en aucune façon de faire des présidents les « nouveaux propriétaires de l'université ». Les députés du Nouveau centre entendent apporter leur pierre à cet édifice. D’abord, et comme nous sommes très attachés au modèle français, il est pour nous hors de question de toucher au statut national des diplômes. Ensuite, il nous paraît indispensable de revoir la gouvernance des universités, en démocratisant leur fonctionnement et en promouvant les fonctions d’encadrement. Il est aussi indispensable de s'attaquer au problème principal de l'université : l'échec en première année, qui touche environ 40 % des étudiants. Cela implique d'améliorer l'orientation avant l’entrée à l'université, et de mieux préparer les lycéens au travail universitaire. Si 70 % d’une classe d’âge obtient aujourd’hui le baccalauréat, l'université doit adapter ses méthodes pédagogiques et ses formes d'évaluation à des élèves habitués à un contrôle continu : le lycée n’est pas le seul à devoir s’adapter ! Il va de notre responsabilité de ne pas laisser tous ces jeunes sur le bord du chemin.

Il faudrait aussi réfléchir à un renforcement de la présence humaine dans les campus. L’université a besoin de tuteurs, d'interlocuteurs pour les nouveaux étudiants, de bibliothécaires – bref, de toute une gamme de moyens pour la rendre accueillante, sans compter des bourses convenables qui changeraient la vie de beaucoup d'étudiants. Elle doit par ailleurs donner une place à tous, notamment aux personnes handicapées. La loi du 11 février 2005 a fait de la scolarisation des enfants handicapés dans les établissements primaires et secondaires une réalité. Il faut continuer et améliorer leurs chances d’insertion professionnelle. Nous avons ainsi déposé un amendement précisant que le conseil des études et de la vie universitaire doit veiller à ce que l'université soit accessible aux étudiants handicapés et leur offre les aménagements nécessaires. Enfin, la question des moyens ne peut être éludée. Aujourd’hui, l'État dépense 10 000 euros pour un lycéen et seulement 7 000 pour un étudiant. Rétablir l’équilibre implique un investissement majeur de la nation : porter l'investissement par étudiant au niveau de la moyenne des pays les plus avancés de l'OCDE suppose un doublement des crédits en dix ans !

La bataille du XXIe siècle sera celle de l'intelligence. Nous sommes entrés dans une société de la connaissance où la puissance dépend de la maîtrise du savoir. Le simple fait qu’il y ait plus d’informaticiens à Bangalore que dans la Silicon Valley fait prendre conscience de l'enjeu pour les pays occidentaux : pour ne pas perdre la maîtrise de la conception comme nous avons perdu celle de la production, il nous faut miser sur l'enseignement supérieur et la recherche. Notre avenir en dépend. Pour toutes ces raisons, le groupe du Nouveau centre considère ce texte d’un œil très favorable (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. Michel Bouvard – Ce texte était attendu depuis de nombreuses années. La réflexion était lancée, notamment au sein de la commission des finances, où le travail entrepris autour de Pierre Méhaignerie et de Gilles Carrez, avec le concours de la Cour des comptes, a abouti à deux rapports – l’un que j’ai rédigé avec Alain Claeys sur la gouvernance des universités et l’autre sur la formation continue. Tous les observateurs ont fait le constat que, bien que l’université française ait réussi à relever le défi démographique auquel elle était confrontée, avec des moyens limités, elle était aujourd’hui malade. Tout d’abord, elle manque de moyens : 6 965 dollars par étudiant et par an, c’est très inférieur aux moyennes européenne et mondiale, même si le Premier ministre a d’ores et déjà relevé ces crédits de 5 milliards. Mais elle est aussi malade de sa gouvernance : l’État manque de vision stratégique et exerce une tutelle molle et tatillonne alors que les universités, dépourvues de projet stratégique commun et encore soumises à des empreintes de féodalité sont disséminées – et les créations d’antennes qui se sont multipliées au cours des dernières décennies ne leur ont pas rendu service.

L’université est aujourd’hui en passe d’acquérir une capacité de gouvernance nouvelle. Je voudrais remercier la ministre d’avoir repris un certain nombre des propositions formulées de façon consensuelle par la commission des finances, comme la possibilité de renouveler le mandat du président, le droit de veto qui lui est reconnu sur les affectations, la suppression de la possibilité de panachage des listes électorales, la globalisation des primes…. Des comités de sélection des enseignants-chercheurs émanant du conseil d’administration remplacent les commissions de spécialistes. Leur patrimoine pourra être dévolu aux universités volontaires, après mise en sécurité et expertise contradictoire. S’agissant de la répartition du travail des enseignants-chercheurs, sujet qui porte atteinte à la bonne lisibilité des affectations budgétaires depuis des années, vous proposez des solutions certes différentes des nôtres, mais utiles. Enfin, vous proposez de rendre public chaque année le rapport du recteur sur l’exercice du contrôle de légalité – jusqu’à présent, c’était à se demander s’il rencontrait parfois le chancelier des universités !

La plupart de nos propositions sont donc reprises. Certes, le projet de loi va plus loin et le débat entre majorité et opposition est légitime, mais tout le monde peut se retrouver sur le constat ainsi que sur les propositions de la commission des finances. Je voudrais toutefois en savoir plus, Madame la ministre, sur les aspects réglementaires. On sait que la gouvernance ne sera effective que s’il y a plus de moyens matériels, si l’on gère mieux les carrières, si l’on fait en sorte qu’un administrateur civil qui consacre quelques années à l’université ne se trouve pas freiné dans le déroulement de sa carrière, si les systèmes d’information sont performants, si les agents comptables reçoivent une formation adaptée. Nous aimerions, Madame la ministre, que vous puissiez nous rassurer quant à vos orientations sur ces points.

Un dernier mot sur la formation continue : les universités françaises gèrent aujourd’hui 4,5 % des personnes en formation continue – 7,5 % en temps. C’est dérisoire, que ce soit au regard de ce que font les universités étrangères ou au regard de leurs missions, des ressources qu’elles peuvent en tirer ou de leur place dans la formation tout au long de la vie. Pour le reste, je vous remercie, Madame la ministre, de défendre ce texte. On sait que le Premier ministre aurait espéré le voir présenter il y a déjà quelques années. C’est chose faite : ne boudons pas notre plaisir et permettons à l’université française de vaincre ses faiblesses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

Mme Sandrine Mazetier – Quelle déception, Madame la ministre ! Quelle occasion perdue que ce projet de loi, qui était annoncé comme une priorité absolue de votre gouvernement ! Jamais une telle unanimité ne se sera faite dans la communauté universitaire, et même dans la société toute entière, sur la nécessité de réformer en profondeur notre système d'enseignement supérieur, non seulement parce que chacun en connaît les faiblesses, les impasses, les misères, mais aussi parce que presque tous lui reconnaissent un rôle moteur dans le processus de croissance et dans la capacité de notre pays à s'inscrire dans l'ère de l'économie de la connaissance. Jamais un tel consensus n'a existé, non seulement sur les rattrapages à effectuer et les moyens permettant de rester à flot, mais surtout sur la nécessité de faire du système universitaire le navire amiral d'une flotte de l'intelligence, des savoirs et de l'innovation, capable d'affronter les grands vents de la compétition mondiale, d'ouvrir de nouveaux horizons à la société française, de découvrir et d'inventer un nouveau monde.

C’est une telle ambition que les Français pouvaient attendre de vous, après vous avoir donné, selon le Premier ministre « un mandat clair pour faire entrer notre pays dans le XXIe siècle ». Il est vrai que ce gouvernement n’a pas peur des superlatifs pour qualifier ses mesurettes, et présente volontiers ses sauts de puce comme des pas de géant. François Fillon convoque ainsi toute la cohorte de nos savants, et voit toute notre tradition spirituelle et scientifique, toute notre ambition républicaine converger vers la réforme des universités. Mais tout ce monde est convoqué pour quoi ? Refondre notre enseignement supérieur, produire de nouveaux savoirs, les transformer en innovation ? Pas du tout ! C’est pour simplifier l’élection des présidents d’Université et leur permettre de commander directement une photocopieuse. Ce projet ne porte en fait que sur la gouvernance des universités.

Et qu’en dites-vous, Madame la ministre ? Dans un style plus sobre, vous vous référez néanmoins au nouveau phare de la nation. « L’autonomie des universités est la clé de voûte de la réforme de notre système d’enseignement supérieur ». Ainsi s’exprime Nicolas Sarkozy dans son ouvrage Témoignage. Puisqu’il l’a dit, fermez le ban ! Cela vous exonère de toute justification de la méthode et du calendrier adoptés. Vous adorez les exonérations, mais quand même ! L’enthousiasme de M. Soisson nous met pourtant la puce à l’oreille. Il évoque 1974... Bon sang, mais c’est bien sûr : ce texte est l’aboutissement de la réforme d’Alice Saunier-Seïté ! Pour entrer dans le XXIe siècle, on pouvait espérer mieux.

Mais il faut bien commencer par quelque chose, nous rétorque le rapporteur. On théorise la politique des petits pas pressés, qui est celle de Lilliput. Mais les lilliputiens ne sont qu’anecdote, c’est Gulliver le héros. Vous-même, Madame la ministre, mettez d’abord en avant les 5 milliards qui seraient destinés à l’université, avant d’avouer que vous ne mettrez pas d’argent dans une structure qui ne fonctionne pas. Décidément, il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour.

Mais ce gouvernement et cette majorité n’aiment pas l’université, en tout cas pas d’un amour fou, ne parient pas sur ses capacités à remplir l’immense mission qui est la sienne et ne lui en donneront pas les moyens. Dans votre logique malthusienne, le président qui deviendra un manager n’aura à gérer que la pénurie. En réalité, nous manquons d’étudiants. Il y a 36 % de diplômés dans la population active au Japon, 37 % aux États-Unis et 23 % en Europe. Il faut donc amplifier encore la massification des effectifs. Mais vous indiquez au contraire qu’il faut « rompre avec la complaisance politique qui consiste à faire croire aux étudiants et à leurs familles que l’égalité des chances, c’est le droit pour tous de tout faire aussi longtemps que possible ». Qui demande cela ? Chacun ne demande qu’à étudier, dans une bonne université. Mais vous théorisez la stabilisation des effectifs. Vous parlez pudiquement de sélection par l’échec.

M. Michel Bouvard – On pourrait sélectionner à l’entrée en STAPS.

Mme Sandrine Mazetier – Mais on sait qui échoue. Le rapporteur a parlé de reproduction sociale des élites.

M. le Rapporteur – Pour la dénoncer.

Mme Sandrine Mazetier – C’est de sélection par l’argent qu’il faut parler.

M. Yves Bur – Et vous n’avez pas fait davantage.

Mme Sandrine Mazetier – Vous l’accentuez en incitant les étudiants à travailler pendant leurs études.

Vous en appelez à l’audace. Mais vous parlez toujours d’activité de recherche et de charge d’enseignement. Tant qu’on ne considérera pas l’enseignement comme une mission noble, on ne s’attaquera pas aux racines du mal. L’audace aurait été de faire des étudiants de vrais partenaires de la réforme, et, pourquoi pas, des membres des comités de sélection. L’audace aurait été non de créer un bureau de l’insertion professionnelle à l’université, mais de considérer que les débouchés professionnels sont avant tout une question de pédagogie. L’audace aurait été que le Président de la République permette plus à Valérie Pecresse. Vous dites être la ministre des étudiants. Vous n’êtes pas la ministre des étudiants qui travaillent – c’est Xavier Bertrand, ni la ministre des étudiants étrangers…

Mme la Ministre - Vous avez tort.

Mme Sandrine Mazetier – …pour lesquels c’est plutôt M. Hortefeux.

Madame la ministre, osez briser les tabous, osez la vraie réforme et nous vous suivrons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Patrick Braouezec – Nous abordons la réforme la plus importante de la législature, selon le Premier ministre. Une telle réforme est nécessaire. Mais celle que vous présentez ne correspond en rien aux attentes. Elle aborde les questions de gouvernance et d'organisation des universités, dans l’urgence, sans laisser le temps au débat sur les finalités de l'enseignement supérieur et de la recherche.

L'urgence serait d’abord d’accorder aux universités les moyens nécessaires simplement pour fonctionner, et cela dès la rentrée prochaine.

Surtout, ce serait d’engager un processus collectif de réflexion pour relever les défis qui se posent à l'enseignement supérieur français, dans leur diversité et leur complexité, en se penchant sur les missions indissociables de recherche et de formation.

C'est de ces deux points prioritaires que nous aurions voulu débattre, plutôt que de la gouvernance.

Ce texte, loin d'être purement technique, récuse les principes de service public pour s’inscrire dans une vision utilitariste et à court terme. C'est, en effet, la conception même de service public que remet en cause l'autonomie optionnelle et surtout concurrentielle.

Chaque établissement d'enseignement supérieur pourrait devenir une entreprise conquérante, chaque président un chef d'entreprise contrôlant « son personnel ». Il s'agit bien d'instaurer une autre université dont la déréglementation permettra toutes les modifications ultérieures, prélude à une privatisation partielle ou totale. En fait ce nouveau mode de gestion vise à faciliter l'appropriation des savoirs par les entreprises dominant le champ économique, par exemple, en mobilisant des chercheurs sur des thématiques étroitement marchandes.

Ce projet, peu soucieux de long terme, aura pour effet immédiat de créer de véritables concurrences entre les universités, entre les filières, entre les enseignants-chercheurs eux-mêmes avec les primes, les intéressements... En les opposant, vous isolerez les énergies créatives et le chacun pour soi dans la recherche aura des effets dévastateurs. L'interdisciplinarité et le lien permanent entre recherche et enseignement supérieur qu’il faut viser sont bafoués.

Ce projet dessine un système hiérarchisé dans lequel certaines universités pourront offrir une gamme complète de formations, d'autres, fragilisées, seulement des formations professionnelles, le plus souvent limitées au niveau de la licence.

L'autonomie, ce sera un président aux pouvoirs exorbitants et un conseil d'administration restreint où la présence des enseignants-chercheurs et des étudiants est mise à mal. Or comment engager une réforme sans prendre appui sur les premiers intéressés ?

Nous revendiquons au contraire une autonomie qui repose sur l'innovation pédagogique et scientifique, sur le respect des principes démocratiques et sur un engagement de l’État à la hauteur de ces ambitions.

Nous ne défendons pas le statu quo. Au contraire, nous sommes conscients de l'urgence d'une profonde réforme qui intègre l'ensemble du monde universitaire tout en respectant les principes fondateurs de l'université, qui procèdent de l'ordre du savoir, de la connaissance et de la science.

Aussi le groupe des démocrates et des républicains est-il extrêmement réservé sur ce projet.

M. François Bayrou – La « gouvernance » structure votre texte. Le mot a fait fortune et il est mis à toutes les sauces. Mais, sans m’y arrêter plus, j’insisterai sur la distinction, de très grande importance, entre gouvernance de l’université et gouvernance des universités. Depuis 150 ans, en France, nous avons choisi d’organiser l’enseignement supérieur et la recherche non en universités mais en une université. L’une des conséquences en est le statut national des diplômes, alors que, dans les pays qui ont accepté le pluralisme des universités, les diplômes sont en concurrence.

Sur ce point, Madame la ministre, vous me permettrez d’amender un de vos propos. Vous avez dit qu’un peu partout dans le monde on faisait des réformes du même type. Mais, en évoquant l’exemple de l’Allemagne, vous avez manqué de préciser que l’État, qui s’efforce à juste titre de faire évoluer le statut des universités – qui sont déjà autonomes – se heurte à l’immobilisme de chacune d’entre elles !

De fait, une réflexion sur la gouvernance des universités doit poser la question de la gouvernance de l’université et porter notamment sur les types de diplômes, sur l’adaptation des formations aux étudiants « non autonomes », sur la promotion de la recherche dans la sélection des élites.

Par ailleurs, même à s’en tenir au problème de la gouvernance, les choix sont-ils les meilleurs ? À la concentration extrême des pouvoirs entre les mains du président que vous proposez, le professeur Antoine Compagnon opposait dans Le Figaro la répartition des pouvoirs dans les universités américaines entre quatre personnes aux fonctions étanches : Président, Provost, Dean, et Chief financial officer. Est-il juste et adapté à notre temps de confondre ces fonctions ?

M. Patrick Braouezec – Non !

M. François Bayrou – Cette question mérite d’être posée. Vous avez évoqué le cas de ces trois universités marseillaises qui ont décidé de se regrouper pour former un ensemble de 75 000 étudiants : pensez-vous qu’il soit réaliste que le président d’un tel établissement cumule toutes ces fonctions, notamment celle de distribuer des primes ?

Cette concentration de tous les pouvoirs n’est pas souhaitable, à l’université comme ailleurs… (Sourires)

D’autant que le mode d’élection du président n’est pas forcément le meilleur ni le plus juste. Il conférera sans aucun doute un poids important aux syndicats. Comme ministre de l’enseignement supérieur, j’ai été le promoteur d’une bonne entente, voire d’une confiance réciproque avec les syndicats ; mais de là à donner la totalité des pouvoirs à un homme élu par une coalition syndicale, je m’interroge. M. Goasguen notait d’ailleurs, à ce sujet, la relative discrétion des oppositions dans les universités françaises...

La concentration des pouvoirs aura aussi des conséquences néfastes en matière de recrutement. Si les universités monodisciplinaires bénéficieront de cette réforme, ce texte grèvera les universités pluridisciplinaires. Ainsi ce texte pose à mes yeux bien des questions, et m’apparaît mal inspiré et mal orienté (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. Yves Jego – Les chiffres en témoignent : en une génération, notre pays a accumulé un retard préjudiciable. Ainsi, 40 % des étudiants n'atteignent jamais la troisième année de licence. Alors que la concurrence entre les nations est de plus en plus vive, il était urgent de donner à nos universités les moyens de se battre à armes égales.

Cette première étape de la réforme de notre enseignement supérieur, qui porte sur la gouvernance et l'autonomie de nos universités, était un engagement du Président de la République ; promesse tenue, comme l’ont été les autres mesures votées pendant cette session extraordinaire.

Par ce texte, Madame la ministre, vous ouvrez aux universités un nouveau chemin de liberté, puisqu’elles pourront s'administrer autour d'une équipe restreinte et responsable, recruter et rémunérer les meilleurs enseignants, nouer des partenariats sans tabous, en particulier avec les acteurs de l'économie, et gérer leur patrimoine si elles le souhaitent.

Certes, la liberté fait peur aux partisans des vieilles idéologies hyperétatisées, qui préfèrent se défausser sur la collectivité plutôt que d'assumer leurs propres insuffisances.

M. Pierre Cohen – Vous n’avez fait que cela pendant cinq ans !

M. Yves Jego – Elle effraie ceux qui en refusent les contreparties, à savoir la responsabilité et l'évaluation comparée. Et ceux qui dissimulent, sous la bannière de l'égalité des chances pour les étudiants, la défense de corporatismes d'une autre époque la redoutent (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Cette première étape, qui permettra de déverrouiller un système condamné par les assauts de la concurrence mondiale, en appelle d’autres : je salue votre volonté de ne pas vous enfermer dans une « loi cathédrale » et vous remercie pour l'attention que vous avez apportée aux amendements issus du groupe de travail que j'ai animé pour l'UMP.

Écoutons Thomas Jefferson qui nous mettait déjà en garde : « Si les enfants sont mal éduqués, leur ignorance nous coûtera bien davantage, par ses conséquences, que ne l'aurait fait leur correction par une bonne éducation. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Cohen – La société de la connaissance et du savoir a été l’un des thèmes majeurs des dernières campagnes et si la recherche et les universités sont apparues comme des priorités pour bon nombre de candidats, nous le devons à la communauté universitaire et aux chercheurs qui ont su rappeler aux politiques l'urgence et la nécessité de les replacer au cœur des projets politiques. Ils ont réussi là où, élus de tous bords, nous avions eu le plus grand mal à nous faire entendre.

Mais si ce sujet est une priorité pour tous, nous n'apportons pas les mêmes réponses. Les universités, Madame la ministre, méritent autre chose qu'un texte partiel, préparé à la va-vite, et mécontentant l’ensemble des partenaires. L’appel des Cordeliers, qui regroupe les principaux syndicats des personnels enseignants-chercheurs, chercheurs et ATOS, demande le retrait de ce texte.

Les socialistes ont, pour leur part, de l’ambition pour les universités : ils estiment qu’une réforme doit s’effectuer en concertation, avec des moyens appropriés et sur des questions précises. Nous aurons la volonté, pendant cet examen, de faire évoluer ce texte et de le rendre ambitieux, même si vos réponses, en commission, nous laissent peu optimistes.

Que doit devenir notre système universitaire par rapport aux autres structures de l'enseignement supérieur et aux organismes de recherche ? D’où viennent les difficultés ? Des taux d'encadrement – catastrophiques dans un grand nombre de filières – de l’état déplorable des établissements – malgré les efforts des collectivités territoriales pour entretenir les bâtiments – de notre système de sélection par l’échec et en fonction des capacités financières de l'étudiant dans le premier cycle, d’un problème de gouvernance ? Le service public de l'enseignement supérieur apporte-t-il une réponse à tous les étudiants, quelle que soit leur origine sociale ?

Tous ces points auraient pu être soulevés avant la fin de l'année, en concertation avec les personnels concernés et avec les moyens nécessaires pour la réussite de la réforme. Ce n’aurait pas été une « loi cathédrale », mais une loi cohérente et juste.

Or, nous notons qu’il n’y a pas eu de collectif budgétaire, non plus que d'engagements autres que des promesses électorales. Cette réforme devrait s’inscrire dans une loi de programmation. Quelle crédibilité accorder à vos propositions, alors qu'elles sont toutes urgentes et demandent des moyens financiers ? Il conviendrait d’abord de régler les disparités des budgets des universités afin de financer tout ce qui est urgent, comme les services d'orientation, l’encadrement, la programmation des emplois scientifiques pour anticiper les départs à la retraite – contrairement à la lettre de mission du président de la République qui vous demande de vous inscrire dans l'obligation de ne remplacer qu'un départ à la retraite sur deux –, l’accompagnement financier des étudiants.

De qui relèvera cette charge ? Des collectivités territoriales, des fondations, des fonds propres des universités ? Cela passera-t-il par des augmentations des droits d'inscription des étudiants, par l'externalisation de certaines missions, par la prise en compte de services marchands au détriment des services publics ? Cette loi ouvre des portes, mais personne ne peut dire aujourd'hui où elle nous mène.

Le deuxième danger porte sur l'évolution des recrutements, notamment celui des contractuels. Les universités n’étant pas des modèles en la matière, pas plus que les collectivités locales et les hôpitaux, certains pensent que cette loi mettra enfin un terme à l’hypocrisie actuelle en officialisant les dérapages existants. J’aurais toutefois préféré un véritable plan de titularisation !

Une partie de l'emploi universitaire pourrait basculer sous la coupe du pouvoir exécutif, avec un risque de marginalisation des missions de service public. Nous ne pourrons remédier à l'inadaptation et au désintérêt de certains agents qu’au moyen d’une véritable politique de formation et de gestion des ressources humaines. Nous ne sommes opposés ni à l’embauche d’étrangers de haut niveau, ni à celui de personnes dont les cadres d'emploi n'existent pas dans la fonction publique. Mais nous refusons une remise en cause déguisée de la fonction publique !

Le troisième danger ne se trouve pas dans ce texte de loi, mais dans vos déclarations et dans les mesures adoptées à l’occasion du pacte fiscal. Ne bénéficiant pas d’un véritable statut, les étudiants doivent accepter des petits boulots – vous les y incitez d’ailleurs – ou bien emprunter, du moins s’ils se sont orientés dans des filières sans risques. Or, tout étudiant doit consacrer l’intégralité de ses capacités, intellectuelles ou physiques, à cette étape passionnante et déterminante de sa vie.

Puisque M. Goasguen prétendait que les solutions retenues par la majorité n’étaient guère éloignées des nôtres, pourquoi ne pas reprendre la proposition, formulée par Ségolène Royal, d’accorder une allocation d’autonomie à tous les étudiants qui en ont besoin ? (« Très bien » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) Tous les syndicats étudiants réclament une telle allocation. C’est sur ce socle que devrait reposer toute loi sur les universités.

J’ai apprécié les propos tenus par François Bayrou, car je regrette également votre approche lacunaire de la gouvernance. La présidentialisation des universités devrait améliorer le processus de décision, prétendez-vous, mais elle ne favorisera pas l’adhésion de la communauté scientifique. Pour éviter les blocages, mieux vaudrait renforcer la participation du conseil scientifique, du CEVU et des UFR dans l’élaboration du projet d’université. Pour mieux répartir les rôles, des délégations doivent être consenties.

D’aucuns s’interrogent également sur l’agence d’évaluation que vous avez mise en place, les décrets publiés ne respectant pas l’esprit du pacte pour la recherche. Au lieu de détruire ce qui marche, il faudrait instaurer une véritable évaluation ! Nous devons évaluer l’agence elle-même, et organiser un débat au sein du Parlement.

S’agissant de la fracture géographique, je regrette aussi que vous n’évoquiez pas les liens avec nos partenaires européens. Votre seule référence étant le classement de Shanghai, vous souhaitez faire émerger quelques universités de prestige… Mais que deviendront alors les universités de la Rochelle ou de Perpignan, mais aussi les grandes universités dont les thématiques, comme les sciences humaines ou le droit, sont considérées comme moins porteuses ?

Cette loi ignore en outre la recherche, alors que celle-ci participe fortement de l’image des universités. Où en sont notamment les PRES ? Leur ambition était de croiser la logique territoriale, celle des universités, et la logique verticale, celle des organismes. Si les PRES ont effectivement permis une mise en cohérence locale de la recherche autour de certaines universités, ce résultat demeure insuffisant. Il serait temps de dresser un état des lieux afin d’aller plus loin encore !

J’en viens aux doctorants, dont la place n’est toujours pas reconnue à leur juste valeur. Sans reprendre les propos de Jean-Yves Le Déaut, nous avons été très déçus par les mesures qui ont été décidées, notamment budgétaires. Puissiez-vous enfin tenir les engagements de vos collègues !

Nous devons aussi consacrer un effort particulier aux jeunes enseignants chercheurs, embauchés comme maîtres de conférences. Ils ont en effet le plus grand mal à essayer en même temps de valoriser leur recherche et de devenir les meilleurs enseignants possibles. Il faudrait réduire leur charge de cours de moitié.

Mme la Présidente – Il faudrait conclure !

M. Pierre Cohen – Votre lettre de cadrage, Madame la ministre, vous demande de faire des organismes de recherche, en particulier le CNRS, des agences de moyens.

Mme la Ministre – Non ! D’en faire « davantage » une agence de moyens, c’est tout !

M. Pierre Cohen – La loi sur la recherche était déjà ambiguë sur ce point, et vous ne levez pas le doute…

Avec cette loi, vous ne réglez pas les problèmes urgents des universités. Ne commettez pas en outre l’irréparable au niveau de la recherche ! Donnons-nous plutôt les moyens nécessaires pour faire de l’enseignement supérieur et de la recherche le socle d’une véritable société de la connaissance (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Mme Huguette Bello – Ce texte évoque la gouvernance, la stratégie, le pilotage, les chaînes de compétence, le suivi... Sans doute faut-il en passer par des considérations institutionnelles, mais je m’étonne que votre lexique ressemble si fort à celui des entreprises. L’université n’a rien de comparable. Au lieu de copier le langage des entreprises, elle doit inventer le sien, et le tirer de son propre fonds.

Tout utiles, voire inévitables qu'elles soient, de telles considérations relatives à l’organisation et au fonctionnement des universités ne sauraient être le socle d’une véritable réforme. Ce serait méconnaître les aspirations et le trouble de notre société, notamment ceux des jeunes. Quel horizon l'université ouvre-t-elle ? Comment, dans la multiplicité des disciplines qu'elle enseigne, dans la diversité féconde de ses enseignants, mais aussi dans la variété infinie de ses étudiants, peut-elle porter un message respectueux de chacun, et pourtant universel ? Les classements internationaux ne doivent pas nous détourner de ces questions. Ne créons pas la « meilleure » des universités au sens où Huxley parlait du « meilleur des mondes »…

Il a fallu attendre l'examen, au Sénat, de l’article 29 de ce texte, pour s’apercevoir que vos propositions de gouvernance sont inadaptées aux universités d'outre-mer, pour lesquelles un délai supplémentaire de six mois a été prévu. Il serait bon, Madame la ministre, que ce délai ne soit pas consacré à la seule adaptation de la gouvernance, mais permettre de poser d’autres questions.

Créée en 1984, l’université de la Réunion est en pleine croissance, ses effectifs devant doubler d’ici à 2020. Encore en phase de construction, cette institution est la seule université européenne de l'océan Indien, et même la seule université francophone de cette zone. Une telle situation lui donne vocation à participer à la construction de l'espace européen de l'enseignement supérieur, et à engager des actions de coopération avec les pays voisins.

Outre l'accueil des étudiants de la zone, cette université a pour mission de conduire des recherches sur maints sujets, que ce soient les plantes médicinales d'origine tropicale, le domaine maritime, avec les campagnes océanographiques du Marion-Dufresne, mais aussi l'atmosphère, ou les maladies infectieuses émergentes. Des accords de coopération ont déjà été signés avec les universités des grands pays voisins, comme l'Inde, mais toutes ces actions demandent à être encouragées et développées.

Dans ce contexte, il va de soi que le moindre désengagement de l'État serait très préjudiciable. Ni les collectivités locales, qui interviennent déjà au-delà de leurs compétences, ni le secteur privé, ne pourront se substituer à l'État sans aggraver les taux d'échec, et obliger les enseignants-chercheurs et l'ensemble des personnels à gérer la pénurie.

La question de la gouvernance n’est donc pas la priorité ! J’ajoute que les pistes proposées sont fort contestables : quel est l’intérêt de renforcer à ce point les pouvoirs des présidents d'université, sans le moindre contre-pouvoir ?

Sur le sujet du recrutement, j'attire votre attention sur les difficultés d'application, outre-mer, de l'article 21 qui institue des comités de sélection. Il est prévu que ces comités soient, pour moitié au moins, constitués d'enseignants-chercheurs extérieurs à l'université. Quand on connaît la difficulté de faire face aux frais de déplacement nécessaires à la constitution des jurys des thèses de doctorat soutenues outre-mer, on peut craindre que cette nouvelle disposition ne vienne alourdir un peu plus les budgets…

Notre université mériterait mieux qu'un texte minimaliste et, à bien des égards, inapplicable outre-mer. Permettez-moi de citer la magnifique devise qu'Aragon avait proposée à l'université de Strasbourg : « Enseigner, c'est dire espérance ; étudier, fidélité ». Quelle espérance propose votre université ? Quelle fidélité désire-t-elle inspirer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Claude Goasguen – Je suis de ceux qui pensent que l’université est un sujet sur lequel nous devrions pouvoir nous retrouver sur tous les bancs de cette assemblée.

Posée en principe en 1968 et complétée par la réforme Savary, l’autonomie existe-t-elle dans nos universités ? Je crois pouvoir répondre à cette question simple que si elle a été continûment proclamée, l’autonomie, dans la gestion et la gouvernance quotidiennes des établissements, a été progressivement grignotée par l’État et les administrations. Il arrive trop souvent, que le quotidien soit géré au ministère de l’éducation nationale ou de l’enseignement supérieur lorsque celui-ci existe formellement.

Pour que l’autonomie devienne réalité dans les faits, il faudrait qu’elle soit vécue différemment par les acteurs directement concernés. D’aucuns se déclarent favorables à une autonomie renforcée, mais hostiles à tout désengagement de l’État, les deux dynamiques étant forcément mises en balance. Pour ma part, je considère que l’État ne doit pas se désengager financièrement – et il ne donne du reste aucun signe en ce sens –, mais qu’il doit laisser vivre certaines initiatives de terrain. Je suis notamment convaincu de l’absolue nécessité de prévoir des modes de financement pluriels, tant publics que privés. L’autonomie n’existera jamais dans les faits sans sources de financement multiples.

Votre texte, Madame la ministre, est un bon texte. Première étape dans la refonte des modes de gouvernance des établissements, il s’appuie sur un engagement financier considérable du Président de la République et du Premier ministre : 9 milliards en cinq ans. Je le voterai donc sans aucune réserve et en disant à tous ceux qui prédisent un recul financier de l’État qu’ils sont dans l’erreur.

Qu’il me soit cependant permis de faire état de quelques difficultés. D’abord, il faut être conscient que les évolutions dans les modes de gouvernance que vous amorcez vont inciter certaines universités à se regrouper. Soyons attentifs, dans ce mouvement, à respecter la diversité des modes d’organisation et la spécificité de certains d’entre eux. Il ne s’agit pas de favoriser la constitution de tel ou tel nouveau corporatisme, mais d’éviter que certaines structures originales ne disparaissent au nom de la rationalisation globale du système. Il faut permettre à certaines écoles disciplinaires ou pluridisciplinaires de perdurer, et installer des soupapes de sécurité pour éviter que l’uniformisation ne tue certaines initiatives particulièrement précieuses.

Ensuite, je veux, à la suite de François Bayrou, qui l’a fait à sa façon, dénoncer les dérives qui s’attachent à une syndicalisation excessive. Je ne suis évidemment pas opposé à la présence de syndicats forts au sein de l’université. Mais j’ai toujours combattu – y compris dans le secondaire – la déviation du syndicalisme qui consiste à le transformer en défense exclusive des intérêts matériels et à présenter tous les débats en termes de données quantifiables, mesurables et vérifiables (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Par ailleurs, je suis favorable au renforcement des pouvoirs du président d’université, sous réserve qu’il soit épaulé par un véritable secrétaire général – comme cela est prévu – et par une administration de haut niveau, à l’instar de ce qui existe dans la plupart des autres établissements publics.

Enfin, nous sommes nombreux à connaître, ici, les conflits internes qui peuvent traverser les universités et je crois que nous devons être attentifs à ce que les élections universitaires n’exacerbent pas les tensions et ne se transforment pas en joutes syndicales où triompheraient les enjeux personnels. Pour être compétitive à l’échelle mondiale, l’université française doit se concentrer sur sa mission centrale qui est de délivrer à nos jeunes les diplômes les mieux adaptés. Il n’y a pas de place pour les antagonismes de clans para-syndicaux ou pour les affrontements de personnes. L’entrée en vigueur de la loi devra donc s’accompagner d’une explication de texte très forte, pour que les élections universitaires se déroulent conformément à l’intérêt général et, qu’ainsi, l’esprit de la réforme ne soit pas dévoyé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Hervé Gaymard – Il faut toujours se méfier de l'unanimité et des immenses ferveurs. Il n'est, en général, rien de plus menteur (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Et depuis qu’une certaine loi a été votée à l'unanimité, il y a bientôt quarante ans, on a le sentiment que, depuis plus d'une génération, le pays se ment à lui-même, ment à sa jeunesse et ment à son avenir. Et la jeune fille ou le jeune homme qui vient vous voir sans emploi, malgré plusieurs années, même réussies, dans l'enseignement supérieur, dans une filière hypothétique, non ancrée dans la vie économique, témoigne du même désarroi que celui qu’on éprouve en considérant le rang de classement international de nos universités – quoi que l’on pense, Mme la ministre l’a dit, du caractère contestable de certains critères.

II ne s'agit pas de vilipender l'université française dans son ensemble. Il serait malhonnête de ne pas reconnaître les formidables dévouements, les belles réussites, l'amour d'enseigner et la soif d'apprendre, sans quoi rien ne serait possible. Mais il faut bien reconnaître que la Nation n'est pas à la hauteur de ses ambitions. Notre excellent rapporteur, Benoist Apparu, en a fort bien témoigné, dans son rapport comme son intervention. Et c'est pourquoi il faut vous remercier, vous féliciter, et vous soutenir indéfectiblement, Madame la ministre, d'avoir eu le courage de prendre en main en tout début de législature ce dossier capital, comme il faut aussi remercier le Président de la République et le Premier ministre de s'y impliquer personnellement.

Je ne reviendrai pas sur les principales dispositions d’un texte qui me semble réaliser un bon équilibre. Non pas l'équilibre qui serait le paravent de l'immobilisme, mais celui qui est le gage d'une vision partagée des progrès que doit faire notre université. Renvoyons donc dos à dos les grincheux, ceux qui estiment toujours que ce n'est pas suffisant et que cela ne va pas assez vite, et les oiseaux de malheur, qui pensent que l'université française doit encore aller plus bas, en sacrifiant à des mythes idéologiques. Ceux que Péguy appelait les « professionnels de la jeunesse » la flattent depuis plus d'une génération, pour mieux la tromper. Toujours les mêmes slogans, toujours la même démagogie. Prouvons, comme vous le faites, Madame la ministre, que le mouvement est possible, dans la concertation, avec résolution.

Vous avez indiqué qu'au-delà de ce texte, vous ouvriez cinq grands chantiers.

M. Pierre Cohen – Mais parlez plutôt du texte !

M. Hervé Gaymard – Permettez moi de revenir sur ceux qui doivent faire l'objet d'une approche interministérielle.

Le premier est celui de l'orientation, en liaison avec votre collègue de l'éducation. On ne peut traiter de l'université sans traiter ensemble la question de l'orientation. Chacun sait qu'elle est déficiente. Collectivement, sur ce sujet, on ment à la jeunesse depuis des décennies. Chacun peut mesurer l'effroyable gâchis humain et financier qu'une mauvaise orientation produit. Chacun connaît les tabous qui existent dans la tête des parents, comme des enseignants et des responsables administratifs et syndicaux. Nous comptons sur vous, Madame la ministre, pour les lever.

Le second chantier concerne l'insertion internationale de l'université française. Il existe désormais un marché international de la formation, dans lequel la France n'est pas bien placée. Bien entendu, des progrès ont été accomplis depuis dix ans, en particulier au cours des dernières années, avec la création d’Édufrance, l’adoption du système LMD, les PRES ou l’assouplissement – depuis l’année dernière – des conditions d’accueil et de séjour des étudiants étrangers. Mais beaucoup reste à faire pour coordonner la promotion de l’enseignement français à l’étranger…

M. Yves Durand – Allons, cela n’a rien à voir avec le texte !

M. Hervé Gaymard – Qu’en pensez-vous, Madame la ministre ? Quelles initiatives conjointes avec le ministre des affaires étrangères allez-vous prendre ?

Évoqué par M. Jardé, le troisième chantier interministériel concerne le ministre de la santé puisqu’il a trait aux études médicales, lesquelles figurent à la rubrique des « problèmes toujours posés et jamais résolus », comme le disait le général de Gaulle. Alors que nombre de filières médicales accusent un déficit important, il est urgent que le législateur se saisisse du dossier et le fasse aboutir. Là encore, nous savons, Madame la ministre, que nous pouvons compter sur vous et permettez-moi de vous féliciter encore pour votre courage, votre allure et votre allant (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Christiane Taubira – Merci, Monsieur Karoutchi, d’être parmi nous, mais vous savez que Mme Pecresse sait batailler pour deux ! (Sourires)

Je me suis demandée pourquoi cette réforme qui avait été annoncée avec tant de fracas traitait des universités – au pluriel, et en minuscules – plutôt que l’université, au singulier et en majuscule ! Et la réponse, évidente, est à trouver dans le texte lui-même, puisqu’il est dépourvu de toute ambition. Il n’exprime en effet aucune exigence véritable d’égalité des chances et des choix. Et lorsqu’il est question de missions, elles ne sont exprimées qu’en termes très généraux.

L’université vient de loin. Sa première organisation globale remonte à 1806, soit cinq siècles après la création de la Sorbonne, collège fondé – il est opportun de le rappeler – pour faciliter l’accès au savoir d’étudiants pauvres. Il y a deux siècles, l’université était chargée de l’enseignement et de l’éducation publique dans tout l’Empire. Surtout, elle a reçu l’injonction de « diriger les opinions politiques et morales ». Quelques années plus tôt, Condorcet avait pourtant souhaité que l’instruction publique, identique pour les garçons et pour les filles, « formât des citoyens difficiles à gouverner ».

L’université dont nous débattons aujourd’hui semble tout aussi éloignée de ces préoccupations d’humanisme et d’universalisme au sens latin, qui postule littéralement de « mettre les communautés toutes ensemble », que des questionnements sur son idéal, sa vocation de lieu où règne l’effervescence d’un savoir qui se confronte, se partage et s’aguerrit à l’épreuve des défis qui lui sont posés. Gros mots, sans doute, puisqu’il semble qu’il n’y ait rien de plus glorieux que le souci prosaïque de la gestion et de la gouvernance. Il ne s’agit donc pas de refonder l’université : nous prenons acte de la modestie du projet.

Vous êtes partie à bride abattue sur l’autonomie. Le texte y renonce finalement, même si vous y êtes longuement revenue dans votre discours. C’est la loi du 25 juillet 1885 qui a posé pour la première fois le principe de l’autonomie, essentiellement financière puisqu’il s’agissait de pouvoir disposer des fonds des collectivités territoriales.

Le texte s’intitule finalement « libertés des universités » – un pluriel dont on se réjouirait s’il révélait une véritable prise en considération de la diversité des besoins et des territoires, et nécessairement un engagement en faveur d’une péréquation. Mais de tout cela, vous ne dites mot ! Le Gouvernement paraît bien plus pressé de se débarrasser des enseignants qui approchent de l’âge de la retraite, du budget, de l’immobilier, de la pédagogie, de l’opinion des universitaires, des étudiants remuants ou étrangers – quitte à compromettre l’influence de la France dans le monde.

Ce texte fourmille de mesures et de procédures – jusqu’à plus soif. Mais il y manque la garantie que la puissance publique assurera sur l’ensemble du territoire un égal accès à l’enseignement supérieur, quels que puissent être les conditions sociales, les recettes fiscales locales, l’éloignement des mégapoles et l’intégrale attractivité des territoires.

Vous avez avoué au Sénat découvrir à quel point la situation des outremers était spécifique. Je ne m’en vexerai pas – il y a longtemps que nous avons cessé d’être susceptibles – mais permettez-moi de vous dire que si les gouvernements savaient s’adosser à la présence française aux Amériques, dans la Caraïbe, dans l’Océan indien et dans le Pacifique, ils sauraient mieux saisir les thématiques du déplacement des centres d’échanges et de circulation des informations, des connaissances, des technologies et des hommes. Ils y trouveraient la veine et les élans permettant d’apporter les meilleures réponses aux nécessités de modernisation, de repenser les relations entre le savoir et le pouvoir, la liberté du corps professoral et les problématiques pédagogiques… Ils pourraient aussi aider le pays à prospérer dans l’espace européen, l’arrimer aux nouveaux essors géopolitiques et l’entraîner dans des audaces fécondes. Au lieu de cela, vous cédez à la tyrannie de l’arithmétique ! Et lorsqu’on vous parle d’une université en Guyane, qui pourrait rayonner sur le bassin amazonien, vous répondez qu’il y a 1 500 étudiants – 2 000 en réalité, si l’on inclut ceux qui sont en formation continue comme le prévoit l’article premier de votre texte. Mais lorsque Philippe Auguste a accordé la Charte de l’université en 1200, il y avait 10 000 étudiants pour 200 000 habitants. Nous sommes 200 000 en Guyane : qu’est-ce qui empêche 10 000 jeunes d’avoir envie d’étudier ? C’est l’enseignement secondaire qui éjecte prématurément ces adolescents vers la vie active, de toutes les activités – spatiales, minières, forestières, pétrolières, écologiques – qui leur sont interdites.

Permettez-moi aussi de vous rappeler que l’université du Pacifique a été créée en 1987 avec deux pôles éclatés, la Nouvelle Calédonie et la Polynésie. En 1989, elle a été dissoute pour en créer deux : il arrive que la géographie finisse par avoir raison de la bureaucratie, qui ignorait superbement les six heures de vol qui séparent ces deux territoires, sans parler de leurs trajectoires culturelles et historiques…

La démocratie périt de ces proclamations bavardes suivies d’actes modestes, qui laissent fleurir les injustices. Elle périt de ces rodomontades dans les annonces et d’un effacement dans les décisions, de cette vanité dans les intentions et d’un défaut d’orgueil dans l’action. Albert Camus faisait dire à Caligula « à quoi sert le pouvoir, si ce n’est donner ses chances à l’impossible ? » Pour ma part, j’en ai assez de ces gouvernements modestes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Jean-Pierre Giran – Au moment où vous présentez ce texte relatif aux libertés des universités, vous comprendrez, Madame la ministre, que je m’exprime en toute liberté. Si le député se prive parfois de ce privilège, l’universitaire perdrait son identité s’il décidait d’y renoncer.

La conception de l’université qui éclairera mon propos est celle d’un enseignant-chercheur qui a occupé tous les postes et les fonctions que l’université peut proposer. Si je salue votre courage, je reste donc fidèle à quelques idées maîtresses. L’université n’est pas et ne doit pas être une entreprise : le savoir n’est pas un produit marchand ; les professeurs et les chercheurs ne sont pas des employés comme les autres. Je partage avec vous un douloureux constat : nos universités ont souvent quitté les élites mondiales ; leurs débouchés se font rares ; la recherche est hésitante ; le taux d’échec traduit une orientation insuffisante. Il fallait donc réagir, et c’est votre mérite de l’avoir fait.

Permettez-moi cependant de revenir sur ce qui me tient à cœur. L’un des grands problèmes de notre université me paraît être la chute de l’attractivité du métier d’universitaire. Les meilleurs de nos étudiants le choisiront bientôt par défaut. On ne peut continuer à accepter la dégradation de ses conditions d’exercice, de son statut social et de sa rémunération.

Parmi les disciplines où la préparation des étudiants au marché de l’emploi est naturelle et où la qualité de la recherche et de l’enseignement est reconnue figurent le droit et la médecine. Peut-être les autres disciplines pourraient-elles adapter leurs habitudes de recrutement ?

Enfin, si la sélection reste un gros mot, la sélection par l’argent dont bénéficient ceux qui peuvent faire durer dix ans des études laborieuses restera toujours pire que la sélection par le mérite, qui fournit des garanties aux plus déterminés (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Je vous remercie donc pour cette « orientation active », qui manifeste une véritable volonté.

Je dis oui à l’autonomie des universités, gage d’efficacité, d’adaptabilité et de rapidité. Cela ne peut cependant se faire sans respecter l’indépendance des universitaires et affirmer que la recherche ne se fait pas sur commande et que les universités ne doivent jamais être les exécutantes obéissantes d’ordres extérieurs.

M. Alain Claeys – Très bien !

M. Jean-Pierre Giran – Or, la nouvelle gouvernance et le rôle parfois hégémonique dévolu aux présidents d’université accroissent les risques de politisation, de marchandisation ou de localisme. Comment accepter qu’un président non universitaire ou non spécialiste de la discipline dispose, en matière de recrutement, d’un droit de veto à l’endroit des spécialistes ? Comment ne pas exiger qu’une majorité de spécialistes de la discipline figure dans la commission de recrutement ? Cette présidentialisation de l’université devrait être contrebalancée par l’existence d’un vote de censure ou de défiance. Comment ne pas mieux assurer l’existence et le rayonnement des facultés au cœur des grandes universités, comme celle, demain, d’Aix-Marseille ? L’autonomie des universités n’interdit pas celle des facultés !

Nos amendements nous paraissent donc décisifs. Il ne s’agit pas de défendre un ordre ancien dont j’ai souvent été un critique virulent, mais d’indiquer que je refuse de voir altérer ce qui participe de l’honneur du métier d’universitaire : son indépendance et son jugement par ses pairs. Je vous fais confiance pour concilier l’efficacité et le respect de ces traditions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Claude Birraux – Je me réjouis que nous discutions de l’université dès le début de cette nouvelle législature. Cette réforme était attendue. Nous avons réformé la recherche l’an dernier, et l’université joue un rôle central dans cette réforme – en particulier dans la constitution des PRES. Il fallait donc qu’elle s’accompagne d’une réforme de l’université.

Vous avez repris des arguments qui ont fait consensus. Mais à entendre certains orateurs, j’en viens à me demander s’il ne faut pas sacrer l’inefficacité, les majorités impossibles et les consensus introuvables comme avenir de l’université ! Je ne le pense pas, et c’est pourquoi vous avez eu raison de commencer par la gouvernance !

La réforme est d’une importance considérable, car l’avenir des pays industrialisés se jouera dans la bataille de la matière grise. Les pays émergents le savent bien, telle l’Inde qui a désormais plus de chercheurs que le Japon. Comme le soulignait très justement le représentant de la Confédération helvétique lors de la création de la Fondation franco-suisse pour la recherche et la technologie, trois attitudes sont possibles face à la mondialisation : le protectionnisme, la fuite en avant par la délocalisation dans des pays à bas coût de main d’œuvre ou l’investissement dans la matière grise. Nous avons choisi la troisième solution, et nous avons raison, mais lorsque les classements internationaux sont publiés, l’effroi gagne, et le réalisme doit nous faire admettre que nos universités, que nous avons tendance à juger « excellentes » sont plutôt « de qualité »… S’agissant de la taille supposée idéale des universités, il y a beaucoup à dire si l’on s’en tient au classement de Shanghai. Le MIT n’est-il pas classé au premier rang des établissements à vocation technologique alors qu’il n’a que 6 000 étudiants ? De même, les cinq ou six universités suisses qui figurent parmi les cent premières n’ont pas plus de 10 000 étudiants.

J’ai quelque faiblesse pour l’université de Genève, qui m’a formé, et j’ai pu constater que le collège des professeurs y était majoritairement composé de professeurs étrangers. Voilà qui m’amène à la question du statut…

M. Yves Bur – Ce carcan !

M. Claude Birraux – En faut-il vraiment un ? Pourquoi les cinq Prix Nobel qui travaillent à Stanford ne le peuvent-ils pas en France ? Pourquoi priver notre pays de collaborations qui pourraient améliorer très sensiblement la qualité de nos universités ?

M. Yves Bur – Très bien !

M. Claude Birraux – Au Royaume-Uni, Gordon Brown a mis la recherche et l’université au premier rang de ses priorités et, aux États-Unis, un texte bi-partisan est en discussion qui tend à renforcer la compétitivité américaine par l’innovation. Vous l’aurez compris, j’approuve sans réserve tant le fond que la méthode choisie pour réformer une université qui flotte. Or, disait Sénèque « il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ».

Il est vrai que, comme vous nous l’avez indiqué, Madame la ministre, ce n’est qu’une première étape et il en faudra d’autres. La question principale est celle de la valorisation de la recherche, que réussissent certaines universités étrangères, celle de Louvain-la-neuve par exemple, ou celle de Leuven, aux Pays-Bas, créée il y a vingt ans sur les ruines de l’industrie textile et qui a induit la création de 600 start up et de 6 000 emplois. Il faut s’interroger : apprend-on pour le plaisir d’apprendre, ou y a-t-il un objectif à cet apprentissage, qui est l’insertion dans la vie économique et sociale ? Il faudra, par ailleurs, revaloriser les carrières, redonner confiance aux enseignants et aux étudiants pour parvenir à ce que l’université retrouve sa juste place dans l’opinion publique et soit, à nouveau, le terreau de l’épanouissement personnel et social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daniel Goldberg – Beaucoup a déjà été dit sur le fait que les objectifs annoncés dans ce texte sont bien éloignés de ce chacun attendait. Ne devait-il pas s’agir d’améliorer la situation de l'enseignement supérieur dans son ensemble, de lutter contre l'échec, en particulier dans le premier cycle, de mobiliser des moyens publics et de définir une loi de programmation budgétaire ?

Vous avez donc choisi de commencer par la gouvernance, «première pierre», paraît-il, d’un édifice grandiose. Mais alors, pourquoi ne pas avoir appelé ce texte par son nom, « projet de loi relatif à la gouvernance des universités », puisque son contenu est celui-là et celui-là seulement, comme vous l'avez reconnu en commission, Madame la ministre ? Cela aurait incité à moins d'interprétations sur les motivations de l’évolution du libellé au fil du temps. J’ajoute que toutes les supputations sont permises puisque, si première pierre il y a, rien ne permet de se faire une idée de ce que sera l’édifice. Comment, dans ces conditions, faire confiance à une architecte qui confie ses chantiers futurs à différents corps de métiers, avec ce que cela suppose d’ajustements ultérieurs ?

Qui nous dit que, par la suite, le Gouvernement et la majorité seront toujours attachés à un service public de l'enseignement supérieur, certes à réformer ? On attend de la puissance publique un mécanisme de régulation ; or, votre texte n’en dit mot. En réalité, le seul élément à peu près acquis, c’est que vous serez amenée, Madame la ministre, à respecter, vous aussi l'engagement de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Nous sommes conscients des difficultés que connaît l’université et de ses lacunes et nous soutenons le principe de l’autonomie pour les établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Mais votre texte, qui met en place une hyper-présidentialisation, sinon une « omni-présidentialisation » de la gestion des universités, nous laisse sceptique. Tout d'abord, tout régime présidentiel suppose des contre-pouvoirs – mais il est vrai que votre Gouvernement aurait sans doute des difficultés à concevoir une certaine collégialité dans le fonctionnement des universités tant il est lui-même effacé devant les choix du seul Président de la République, qui a d'ailleurs tenu à piloter lui-même les concertations qui ont eu lieu ces dernières semaines.

En quoi les pouvoirs donnés au président de l'université éviteront-ils les effets néfastes du localisme ? Rien n'empêche les comités de sélection tels que vous les avez conçus de renforcer ce travers. Vous vantez d'ailleurs les systèmes universitaires des autres pays développés, mais l’organisation des pouvoirs à l'université que vous proposez, et qui mêle responsabilités de gestion et responsabilités scientifiques, ne se compare à nulle autre. En matière de recrutement – question essentielle, nous l'avons dit, à l’appréciation que nous porterons sur ce texte –, aucune université étrangère ne confie aux responsables de la gestion de l'établissement le soin de composer les instances chargées du recrutement des enseignants chercheurs, un comité de sélection pouvant, qui plus est, compter des spécialistes d'autres disciplines ! Ce ne sont pas les gestionnaires qui ont la responsabilité ultime du recrutement avec un droit de veto, celle des salaires par un système de primes et d'intéressement ni celle du choix des statuts des enseignants, avec la possibilité de recruter hors statut. Le conseil d'administration tel que vous l'avez conçu porte mal son nom, car son rôle de conseil est faible une fois le président élu, et l'administration est essentiellement entre les mains de ce dernier. Notre conception de la production et de la transmission des savoirs est à l’opposé de celle qui prévaut pour des produits marchands, et leur organisation ne peut être calquée sur celle d'une entreprise.

Vous nous proposez un président autonome par rapport aux corps intermédiaires de son établissement, un président qui a très peu de comptes à rendre une fois élu, un président qui peut être amené à renforcer les forts au détriment des faibles dans son établissement, soit par choix soit pour attirer des crédits privés supplémentaires. Vous nous proposez une organisation qui peut provoquer la disparition des universités les moins prestigieuses parce qu'elles auront toujours moins de moyens, ces universités qui contribuent pourtant aujourd'hui aux réussites de notre enseignement supérieur – car des réussites, il y en a eu au cours des dernières vingt années et il continuer d’y en avoir, en dépit de ce que l’on dit ces derniers temps.

Si les échecs sont trop nombreux à l'université, dans le premier cycle en particulier, on ne peut nier les adaptations auxquelles les universités et leurs personnels ont procédé en quelques années caractérisées par la massification de l'enseignement supérieur, avec l'arrivée de classes sociales qui n'y avaient pas accès précédemment et par la transformation importante qu’a été la mise en place du LMD. On cite souvent les critères de Shanghai, très contestables, pour prouver les difficultés de nos universités. Que l’on cite donc aussi des études faites à Paris, et notamment l'enquête « emploi » de l'INSEE. Qu’y lit-on ? Que 60 % des diplômés de nos anciennes maîtrises, licences et DEUG, toutes filières confondues, n'ont pas connu le chômage à leur entrée dans la vie active et que seuls 11 % des nouveaux diplômés – ce qui est trop – ont connu plus d'une année de chômage. Pour autant, l’échec à l'université est une réalité qui impose donc des réformes. Nous avons proposé des améliorations que votre majorité, au pouvoir depuis plus de cinq ans, n’a pas voulu prendre en considération.

J’observe que le taux d'échec est très différent selon le type de baccalauréat. On évoque pourtant l'échec global de notre système, alors qu'une très grande majorité des bacheliers généraux, pour lesquels les filières universitaires généralistes ont été conçues, obtiennent un diplôme qualifiant.

Mme la Présidente – Veuillez conclure.

M. Daniel Goldberg – Une réforme réelle aurait dû spécifier comment améliorer l'accès et le taux de réussite des bacheliers techniques et professionnels dans le supérieur, et se préoccuper de l'inadéquation des filières courtes à ces publics. Là aurait été la vraie gouvernance politique de l'enseignement supérieur. Or, rien dans votre projet ne le permet, ni ne l'évoque. Rien n'est dit non plus de la spécificité du système français, avec ses universités sans moyens concurrencées par les grandes écoles qui attirent les meilleurs bacheliers, et le dispositif que vous avez choisi laissera libre cours à une concurrence généralisée. Il se peut donc que ce texte ne se traduise pas seulement, pour des milliers de jeunes, par « Étudiez moins pour travailler plus », mais aussi par « Travaillez plus jeunes en étant moins bien payés » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Jean-Pierre Door – Vous avez, Madame la ministre, conduit de main de maître ce projet si longtemps attendu et l’écoute que vous avez manifestée au long de son élaboration a contribué à sa grande clarté. Je remercie notre excellent rapporteur, et je tiens à dire ma satisfaction de la célérité et du courage avec lesquels notre majorité aura su, en deux ans, mener à bien la réforme de la recherche et celle de l’université. Elles sont, il est vrai, indissociables, et leur clivage actuel est pour beaucoup dans l’effritement de notre position internationale.

Le classement international qui vient d’être publié tombe à pic pour confirmer le constat alarmant que dressait déjà il y a un an un de nos rapports sur la recherche : la France est loin de briller sur la scène internationale. Or, le contexte est à une concurrence intellectuelle et scientifique de plus en plus intense. Étant d'une génération qui avait connu d'excellents résultats dans les domaines de la médecine et des sciences de la vie, je suis blessé de voir que la France ne figure même plus parmi les cent premiers pour la médecine et qu’en matière de sciences de la vie, l’université Paris VI Pierre et Marie Curie n’est que 77! Certes, la légitimité de ce classement est contestée, mais au moins, à défaut d'offrir une photographie exacte de la réalité, agit-il comme un révélateur. Nous devons nous accorder sur le fait que notre avance a fondu comme neige au soleil et qu'il faut donc engager une réforme – une réforme qui n’est ni de droite, ni de gauche, mais en faveur d’une nouvelle réussite.

Ainsi que l’a rappelé le professeur Étienne-Émile Beaulieu, le Collège de France a été créé sous François 1er pour éviter un affrontement avec la Sorbonne, tout comme la IIIe République, craignant de se heurter à la résistance des professeurs, avait créé le CNRS, le CEA, l’INRA ou l’INSERM, tous organismes qui sont devenus le fer de lance du renouveau de la science française. Le pari a donc été réussi, mais l'influence et le poids relatif de ces organismes par rapport à l'université reste une grande singularité de notre pays. Les dispositifs anglo-saxons reposent, eux, sur une architecture totalement différente, qu'il ne serait pas inutile d'observer.

S'il y a quelque enseignement à tirer de notre faiblesse, c’est sans doute que nos universités n’ont pas la taille suffisante pour s'affirmer sur la scène internationale : on en compte 85 dans la seule métropole, ce qui est beaucoup, sinon trop. Mais c’est surtout l’organisation du dispositif qui pénalise notre enseignement supérieur. Nos universités sont particulièrement peu connues de l’étranger et manquent totalement d’attractivité. Le professeur Beaulieu rappelle cruellement que les étudiants étrangers préfèrent tous Oxford, Cambridge, Heidelberg et autres universités américaines ! Nos structures ne sont pas adaptées. Il est vrai qu’elles se doivent d'accueillir tous les bacheliers qui le souhaitent avec des crédits plus faibles que ceux consacrés aux collégiens ou aux lycéens…Diverses auditions ont aussi confirmé que l'université est victime de sclérose administrative.

Vous êtes un bon médecin. Les symptômes sont définis : absence de budget global, structures de direction peu favorables à une réelle politique d’établissement, système d’évaluation perfectible, statuts trop rigides, règles de gestion tatillonnes et rendant toute réactivité impossible… Tout cela prive l’université d’une réelle autonomie de gestion et empêche son développement. Si certaines structures plus ou moins liées à l’université, comme le Collège de France ou l’Institut universitaire français, constituent des trouées dans un ciel maussade et permettent à l'université d'offrir de meilleures conditions de travail aux plus méritants, elles sont réservés à une élite. Mais au moins ont-elles le mérite d'indiquer la marche à suivre, celle qui est engagée avec ce projet de loi.

Madame la ministre, vous avez fait le choix de corriger ces défauts. Votre texte est une boîte à outils qui permettra de rénover les universités françaises. Son adoption ne marquera pas la fin, mais le début d’un processus de modernisation, comme le disaient il y a peu de temps des universitaires de la Sorbonne. Vous voulez mener une réforme que d’autres n'ont pas pu ou pas voulu faire. Vous répondez ainsi à l’engagement fort du Président de la République. Nous soutiendrons donc votre texte avec enthousiasme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 45.

La séance est levée à 19 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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