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La séance est ouverte à quinze heures.
M. Jacques Myard – Rappel au Règlement sur le fondement de l’article 58–1. Nous allons discuter cet après-midi du protocole de Londres, à propos d’un projet de loi que le Gouvernement a déposé le 24 août, ne nous laissant matériellement que quelques jours pour déposer des motions, comme j’aurais aimé le faire afin que l’Assemblée ait davantage de temps pour discuter de ce texte. Car il n’est nullement anodin, en raison de son importance pour nos entreprises et pour la langue française. Je trouve la manière de procéder du Gouvernement en la circonstance particulièrement inélégante.
L'ordre du jour appelle la discussion selon la procédure d’examen simplifiée de six projets de loi autorisant l’approbation d’accords internationaux.
M. le Président – Conformément à l’article 107 du Règlement, je vais mettre aux voix l’article unique de chacun de ces six textes.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif aux transports routiers internationaux et au transit des voyageurs et des marchandises, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l’acte constitutif de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique sur la coopération sanitaire transfrontalière, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du septième protocole additionnel à la Constitution de l’Union postale universelle, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif aux implantations communes de missions diplomatiques et de postes consulaires, mis aux voix, est adopté.
M. Jacques Myard – Contre !
Le projet de loi autorisant la ratification de l’acte portant révision de la convention sur la délivrance de brevets européens, mis aux voix, est adopté.
M. Jean-Paul Lecoq – Abstention.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l’accord sur l’application de l’article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens, fait à Londres le 17 octobre 2000.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes – Le Gouvernement soumet à votre approbation le projet de loi autorisant la ratification d’un accord qui suscite depuis de longues années des débats passionnés. Le Gouvernement, après avoir écouté les arguments des uns et des autres, en a conclu que le protocole recevait un accueil largement favorable, et qu’il était temps d’examiner la question ensemble, sans a priori, ni naïveté.
Je rends hommage au remarquable travail préparatoire de la délégation pour l'Union européenne, et en particulier à M. Garrigues et au président Lequiller, ainsi qu’à celui de votre rapporteur, M. Plagnol.
L'accord de Londres, qui porte mal son nom puisqu'il a été négocié à Paris en 1999, a été défendu par des gouvernements de droite comme de gauche, ce qui n’a rien de surprenant puisqu'il conforte le statut des trois langues officielles de l'Office européen des brevets, en permettant aux entreprises de déposer leurs brevets en français, en allemand ou en anglais, et en maintenant l'obligation de rédiger les revendications, c'est-à-dire la partie du brevet qui a force juridique, dans ces trois langues. II allège en outre les obligations de traduction, en dispensant les déposants de traduire la partie technique du brevet, dénommée description, dans les 22 langues des États parties à la convention européenne sur les brevets.
Les revendications seront ainsi toujours disponibles en français. Il est vrai que seules 7 à 10 % des descriptions, qui ne sont utiles qu'en cas de litige ou pour l'exploitation d'une licence, le seront : mais je constate que 1,7 % seulement des descriptions disponibles dans notre langue sont consultées, et qu'il ne se produit en France qu'un litige pour 2 000 brevets opposables en France. Le fait que toutes les descriptions ne soient pas disponibles en français…
M. Jacques Myard – …est inadmissible !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – …n'est donc pas un handicap car, les revendications faisant apparaître les nouveaux termes scientifiques, juridiques ou technologiques, le français sera présent dans toutes les banques de données recensant de nouvelles découvertes. Le Conseil Constitutionnel a ainsi conclu, en septembre 2006, à la compatibilité de l'accord de Londres avec l'article 2 de la Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français.
J’observe que 90 % des entreprises françaises déposent actuellement des brevets en français auprès de l'Institut national de la propriété industrielle, et que 50 % d'entre elles demandent une protection européenne. Avec l'accord de Londres, elles pourront continuer à déposer en français auprès de l'INPI, et bénéficier de coûts réduits pour déposer leurs brevets et les faire valoir dans les autres États européens. II n'y a aucune raison pour qu'elles modifient leurs pratiques, car l'avantage qu'elles retireraient d’un dépôt de brevet en anglais serait extrêmement mince au regard des économies offertes par l'accord de Londres.
Les entreprises américaines ou asiatiques, qui peuvent déjà déposer en anglais sur le territoire européen, …
M. Jacques Myard – Il n’y a pas de territoire européen, mais des États européens !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – …ne retireront aucun avantage nouveau du protocole, si ce n'est, en vertu du principe de non-discrimination, les économies de traduction dont bénéficieront également les entreprises européennes.
Cette situation n'est en aucun cas défavorable aux petites et moyennes entreprises.
M. Jacques Myard – C’est faux !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – La Confédération générale des petites et moyennes entreprises demande d'ailleurs depuis sept ans la ratification de l'accord.
Quant aux grandes entreprises et grands instituts de recherche français, ils n'ont pas attendu le protocole de Londres pour déposer des brevets en anglais auprès de l'Office européen, lorsqu’ils estiment que cela leur permet de protéger leurs inventions aux États-Unis ou au Japon.
M. Jacques Myard – Le ministre s’en félicite !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Je ne m’en félicite pas, mais que l'on ratifie ou non ce protocole, elles continueront à le faire ! Autant permettre à toutes les entreprises de déposer en anglais ou en français, et d'alléger leurs coûts.
En ratifiant ce protocole, nous utilisons l’Europe pour mieux nous adapter à la mondialisation, ainsi que le préconise le rapport de M. Védrine. M. Plagnol, quant à lui, rappelle dans son rapport…
M. Jacques Myard – Un mauvais rapport !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – …que le dépôt d’un brevet permet à une PME de doubler ses emplois en cinq ans.
Enfin, refuser cette ratification ne servirait pas notre langue. Au contraire, nous maintiendrions un verrou illusoire, puisque les descriptions en français ne sont que très peu consultées.
M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est faux !
M. Jacques Myard – Il faut les mettre en ligne. L’INPI est archaïque !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – La contrefaçon, fondée sur les revendications – dont la version en français est maintenue – n’est pas plus à craindre.
En outre, le statu quo aurait un coût politique très élevé puisqu’il bloquerait l’entrée en vigueur d’un accord que nous avons négocié à notre avantage afin d’éviter le « tout anglais » que préconisaient certains pays, y compris francophones et proches.
M. Jacques Myard – C’est le flamand que l’on parle en Belgique…
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Notre refus conduirait les treize autres États parties à négocier entre eux un régime qui privilégierait l’anglais. L’attitude de repli n’est donc pas souhaitable.
M. Jacques Myard – Vous parlez de repli alors que vous êtes en pleine débandade !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Au contraire, nous avons là un puissant levier pour l’innovation. Certes, l’accord n’est pas encore ratifié par tous…
M. Jacques Myard – Et pour cause !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – …mais ayons confiance en nous et en notre capacité de persuasion !
M. Loïc Bouvard – Très bien !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – L’amélioration des systèmes européens de brevets n’est pas une quête nouvelle, et la recherche d’une politique coordonnée entre États membres se poursuit depuis 2000. Les discussions, gelées depuis 2004, reprennent au moment même où la France s’apprête à ratifier l’accord de Londres. Elles aboutiront bientôt à une juridiction communautaire efficace et harmonisée.
M. François Goulard – Il a raison !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Nous aurons alors besoin d’un véritable brevet communautaire dont les effets seront identiques dans l’ensemble des États membres. Aujourd’hui, en effet, un brevet peut être maintenu en vigueur dans un pays, mais invalidé dans un autre.
M. Jacques Myard – Et c’est très bien ainsi !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Le régime communautaire mettra fin à cette insécurité juridique. Projetons-nous donc dans l’avenir.
M. Jacques Myard – Faisons un nouveau pas en direction du gouffre !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Un nouveau traité devrait être bientôt signé. Quand le brevet communautaire sera mis en œuvre, on peut espérer que le passage à la majorité qualifiée, prévu par ce traité, incitera chacun à « communautariser » l’accord de Londres et à l’intégrer dans le brevet communautaire. Préférons une politique offensive en faveur de nos PME aux faux-semblants actuels ! Faciliter le dépôt des brevets : tel est notre objectif. Les innovations de nos entreprises doivent se faire connaître à l’étranger.
M. Jacques Myard – Il ne s’agit pas de cela !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Pour que la France devienne une terre de brevets, il faut en réduire le coût et ratifier l’accord de Londres – à quoi doivent s’ajouter les judicieuses mesures d’accompagnement préconisées par M. Plagnol. L’adoption de ce projet de loi servira notre influence économique, mais aussi notre rayonnement scientifique et culturel ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur – Je tiens avant tout à remercier MM. Poniatowski et Plagnol, lequel a procédé à une quinzaine d’auditions, pour l’exhaustivité de leur travail. Outre les arguments évoqués par M. Jouyet, la ratification de l’accord de Londres s’impose aussi pour des raisons économiques. À l’âge de la mondialisation, l’innovation est au cœur de la croissance économique.
M. André Wojciechowski – Bravo !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Un récent rapport de l’OCDE nous indique que la Chine est au cinquième rang mondial en matière d’investissements dans la recherche et le développement.
M. Jacques Myard – Oui, mais elle le fait en chinois !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Pour autant, elle ne développe pas l’innovation.
M. André Wojciechowski – Et pour cause : elle rachète nos entreprises !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – C’est plutôt parce que les droits de propriété intellectuelle n’y sont pas toujours respectés. Dès lors, les chercheurs chinois préfèrent aller chercher ailleurs, ou ne pas chercher du tout. La propriété intellectuelle et, partant, le brevet, sont en effet la clef de voûte de l’innovation. Or, le protocole de Londres favorise l’effort d’innovation et la compétitivité de nos entreprises. Avec le brevet européen, notre chaîne de l’innovation sera renforcée. Le coût actuel du brevet européen constitue en effet un handicap de poids pour les entreprises, l’innovation et l’emploi. L’accord de Londres permettra de diminuer les coûts et profitera notamment aux PME, qui sont les premières à pâtir du système de traduction intégrale. Ce n’est pas un hasard si la CGPME…
M. Jacques Myard – Instrumentalisée par le Medef !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – …le réclame depuis des années ! Avec la baisse du coût du brevet, les entreprises accroîtront leur marge de manœuvre en matière d’innovation et choisiront plus aisément une stratégie offensive de commercialisation à l’étranger.
J’ajoute que les traductions des brevets ne sont disponibles qu’après cinq à sept années : c’est un délai trop long pour permettre aux entreprises d’exercer une activité de veille efficace. Avec l’accord de Londres, elles auront accès au résumé du texte intégral du brevet au plus tard deux ans après son dépôt.
M. Jacques Myard – Croyez-vous que c’est avec cela qu’elles comprendront jusqu’à deux cents pages de description ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Elles prendront ainsi connaissance des caractéristiques principales de l’invention. Nul désavantage compétitif n’est à craindre.
M. Jacques Myard – Vous devriez avoir honte de ces contrevérités !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Comment pouvez-vous imaginer qu’un secrétaire d’état aux entreprises demande la ratification d’un accord qui leur nuit (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP) ?
M. Jacques Myard – Justement !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Ne doutez pas, Monsieur Myard, de la force de mes convictions : cela fait des années que je défends nos entreprises, dans cet hémicycle et ailleurs !
Cette ratification n’est qu’un élément de la politique globale que nous devons mener en matière d'innovation. Le projet de loi de finances proposera ainsi une réforme ambitieuse du crédit d'impôt recherche, ainsi qu'un allégement de la fiscalité sur les revenus tirés des cessions de brevets, qui permettra de supprimer l'écart entre les coûts de l'octroi de licence et de la cession de brevet. Nous assouplirons également le régime fiscal des apports de brevet à des sociétés par des inventeurs. La réduction accordée aux PME sur les principales redevances de dépôt de brevets sera également doublée dès cette année, et ouverte aux entreprises de moins de 1 000 salariés, contre 250 actuellement.
M. Jacques Myard – Ça, c’est bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Pour mieux sensibiliser les entreprises aux enjeux de la propriété industrielle, du dépôt de brevet et de la valorisation des inventions, les actions de terrain de l'INPI, d’OSEO et des pôles de compétitivité seront amplifiées. Nous allons ainsi généraliser, pour les entreprises moyennes, la technique des pré-diagnostics. C’est aussi cela, la défense de la propriété intellectuelle !
Le Gouvernement souhaite donc mettre en place un ensemble très complet de mesures, en concentrant ses efforts sur les entreprises petites et moyennes. Il serait vraiment incohérent de vouloir alléger les redevances sur le dépôt de brevet, soit le dispositif d'entrée, tout en maintenant des charges dissuasives pour les entreprises lors de l'obtention et de la délivrance des brevets ! En réduisant les coûts de traduction, l'accord de Londres s'inscrit dans la chaîne vitale de l’innovation. C’est donc avec la plus profonde conviction que je vous engage à en autoriser la ratification, dans l'intérêt de nos entreprises et de nos emplois…
M. Jacques Myard – Cocu, et content !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – …pour rendre le système européen de brevets plus compétitif, pour favoriser la recherche et l'innovation et pour donner à notre pays le point de croissance qui lui manque pour résoudre l’essentiel de ses problèmes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche – Pour parler avec une grande franchise, c'est une chance qui nous est offerte aujourd'hui : celle de consacrer la langue française comme l'une des trois langues du progrès technologique et de l'innovation en Europe.
M. Jacques Myard – C’est déjà fait !
Mme la Ministre - Nous ne pouvons pas la laisser passer, car cette chance est sans doute la dernière : des voix s’élèvent déjà pour demander le passage au « tout-anglais ». Si la France se refusait à ratifier ce texte, qui ne peut entrer en vigueur sans elle, nul doute qu’elle serait en position de faiblesse dans les prochaines négociations sur la diversité des langues et qu’elle ne pourrait plus échapper, à court ou moyen terme, à des concessions douloureuses.
Cet accord est aussi une occasion unique de renforcer la recherche française et de franchir un nouveau pas dans la société de la connaissance : c’est une conviction que le Gouvernement partage avec le président de votre commission des affaires étrangères et avec votre rapporteur, dont je voudrais saluer ici le travail remarquable, mais aussi avec tous ceux qui se sont penchés sur le protocole. Il y a plus d'un an en effet, lorsque votre commission des finances avait adopté un amendement de M. Fourgous tendant à autoriser la ratification du protocole, le Gouvernement avait voulu offrir à tous le temps de la réflexion : l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, les commissions des affaires étrangères et des affaires sociales de l’Assemblée et les délégations pour l'Union européenne de chacune des deux chambres…
M. Jacques Myard – Chef d’œuvre de manipulation !
Mme la Ministre - …ont pu ainsi en peser toutes les conséquences, avant de se prononcer pour la ratification.
M. Jacques Myard – En service commandé !
Mme la Ministre – Cet accord est en effet bénéfique à la fois pour la langue française, pour la recherche et l'innovation en France et au-delà, pour le rayonnement de notre pays. En ce qui concerne notre langue, je voudrais apaiser toutes les craintes qui, c’est légitime, se font jour à chaque fois qu’elle est en cause. Le protocole de Londres simplifie le régime linguistique des dépôts de brevets en Europe. Il bénéficie à trois langues : l'allemand, l'anglais et le français.
M. Jacques Myard – C’est déjà le cas !
Mme la Ministre – Les revendications des brevets devront donc être traduites dans chacune de ces trois langues. C'est là une garantie essentielle pour les déposants francophones, car les revendications sont le cœur du brevet.
M. Jacques Myard – C’est faux !
Mme la Ministre - Ce sont elles qui définissent la portée de la protection juridique qu'il confère. Des revendications mal rédigées, ce sont des inventions mal protégées et donc des brevets inutiles.
Le protocole de Londres garantit donc que la partie fondamentale de chaque brevet sera nécessairement disponible en français. Qu’il n’y ait pas de malentendu : le protocole n'autorise en rien les déposants à choisir parmi ces trois langues pour les revendications (Applaudissements sur les bancs du groupe UMPet quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Il n'y a donc aucun risque que les brevets européens ne soient plus libellés qu'en anglais. L'accord ne sert pas à dresser un paravent pudique devant le monopole de l'anglais, mais oblige à utiliser les deux autres langues. Ce n’est que pour les parties techniques du brevet, c'est-à-dire pour l'essentiel des schémas et des légendes, que le choix entre les trois langues sera possible. Cela n'emporte aucune conséquence pour l'avenir de la langue française, puisque ces parties techniques sont peu rédigées et n'ont pas de réelle portée juridique.
M. Jacques Myard – Oh !
Mme la Ministre - Il était donc légitime, dans un souci de simplification, d'autoriser leur rédaction dans une seule des trois langues officielles (Murmures sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).
Si le protocole de Londres fait du français l'une des langues officielles de l'innovation en Europe – le Conseil constitutionnel l'a au demeurant déclaré conforme à notre Constitution, qui consacre le français comme langue de la République – il emportera aussi d’autres bénéfices pour la France, pour notre recherche et pour chacune de nos entreprises innovantes.
M. Jacques Myard – Il n’y a aucun lien ! C’est une affirmation gratuite !
Mme la Ministre - Si l’Europe s’est engagée dans une simplification du régime des brevets, c'est avant tout pour stimuler l'innovation. Chacun sait que c’est de l'innovation que dépend la croissance future de nos pays. Le temps où il suffisait de suivre, à notre rythme, les pays innovants pour développer notre économie est révolu. Ni la France ni l'Europe ne peuvent plus se permettre d'être en pointe dans certains domaines et de laisser les autres aux États-Unis ou au Japon. Car ce n'est plus seulement avec eux que nous rivalisons, mais aussi avec la Chine, ou l'Inde – avec l'ensemble des pays émergents qui ont compris que l'intelligence était la plus grande des richesses, la source unique dont sortent la paix, la prospérité et le progrès pour tous.
La France qui a été de toutes les révolutions et de toutes les audaces, la France dont sont sorties les Lumières qui ont éclairé l'Europe entière, n'a rien à craindre de la compétition mondiale des intelligences. Pour peu qu'elle s'y engage pleinement, elle y tiendra son rang. J’en appelle donc aujourd’hui à l'esprit des Lumières (Rires sur quelques bancs du groupe UMP et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). L’intelligence était reine dans notre pays : partout, on découvrait, on inventait, on innovait. C'est cet esprit, qui nous a placés au tout premier rang des nations européennes, qu'il faut rallumer. Nous devons donner à nos chercheurs et à nos inventeurs les moyens de lutter à armes égales avec ceux des autres nations. Le peuvent-ils, quand le dépôt d'un brevet est deux à trois fois plus coûteux en Europe qu'au Japon ou aux États-Unis ? Quand il faut traduire intégralement un brevet dans vingt-trois langues ?
M. Jacques Myard – C’est faux !
M. le Président – Monsieur Myard, économisez votre voix pour le moment où vous aurez la parole…
Mme la Ministre – Certains trouveront déplacé de parler d'argent à propos de science, de savoir et de découverte, mais les plus grands esprits doivent bien vivre. Encore faut-il qu’ils puissent vivre des fruits de leur intelligence. Dans ses premières années, une PME innovante n'a qu'une seule richesse : le brevet qu'elle a déposé, sans lequel elle ne pourra se développer, lever des fonds, emprunter auprès des banques. Les États-Unis l’ont bien compris, qui sont en train de modifier leur système de brevets afin de le rendre plus efficace et moins coûteux pour les entreprises.
C’est pourquoi il nous faut réagir, en ratifiant le protocole de Londres certes, mais aussi en formant nos jeunes ingénieurs et nos jeunes doctorants au dépôt de brevet. Certains établissements le font déjà. Demain, chaque école doctorale, chaque école d'ingénieurs doit offrir cette formation. Je veux également développer les masters en droit de la propriété intellectuelle, car nous ne pouvons laisser les cabinets américains et allemands prendre toujours plus d'avance dans un domaine aussi stratégique.
Il est essentiel que tous nos découvreurs puissent protéger leurs inventions à moindre coût, car 26 000 euros ne sont rien pour une entreprise de taille mondiale, mais représentent une somme énorme pour une jeune entreprise. Il n’y a aucun risque que les entreprises mondiales inondent l'Europe de brevets : si elles avaient voulu – et pu – le faire, elles l'auraient déjà fait, car les coûts et les complexités juridiques n'ont jamais été un obstacle pour elles.
Le seul risque lié au protocole de Londres serait celui qu’une absence de ratification ferait courir aux laboratoires de recherche et aux entreprises innovantes de notre pays. Grâce à ce protocole, nous allons aider nos inventeurs à faire valoir le fruit de leur intelligence. Aujourd'hui, une seule PME européenne sur quatre dépose un brevet au cours de sa vie, contre une PME américaine sur deux. Voilà le secret de la croissance, du rayonnement technologique des États-Unis. Il n'a rien d'obscur, il n'est pas hors de notre portée. Il nous suffit de le vouloir. C'est l'objet même de la stratégie de Lisbonne, au cœur de laquelle prennent place les discussions sur le brevet communautaire. Nous devons être pleinement conscients que ces discussions ne progresseront pas si la France ne ratifie pas le protocole de Londres.
En effet, le brevet communautaire, qui sera délivré par l'Office européen des brevets, ne sera pas autre chose qu'un brevet européen concernant l'ensemble du territoire de l'Union et non plus tel ou tel État membre.
M. Jacques Myard – Quelle démission !
Mme la Ministre - Il garantira une protection uniforme des fruits de la recherche et de l'innovation dans l'ensemble des pays de l'Union, sans se substituer au brevet européen, les deux dispositifs étant en réalité enchâssés l'un dans l'autre.
Pour avancer sur le brevet communautaire, nous devons donc améliorer le brevet européen, notamment le rendre plus accessible. C'est l'objet même du protocole de Londres, que je vous demande aujourd’hui d'autoriser le Gouvernement à ratifier. Les Français ne comprendraient pas que la représentation nationale hésite un instant à faire ce pas essentiel vers la société de la connaissance et de l'innovation, les grands organismes de recherche de notre pays, comme le CNRS, l'INSERM, le CEA, l'IFP non plus.
Ce pas décisif ne sera pas le seul. En effet, le Gouvernement s'est engagé, avec l’aide et le soutien du Parlement, dans la construction d’une nouvelle société du savoir et de l'intelligence. Ainsi a-t-il réformé le crédit d’impôt recherche, qui permettra de soutenir l'effort de recherche des entreprises innovantes, et engagé une réforme des universités autour des valeurs cardinales de liberté et de responsabilité, afin de donner à notre enseignement supérieur les moyens du rayonnement qui doit être le sien. C’est ainsi que pourront se développer demain les jeunes entreprises universitaires qui recevront le même soutien des pouvoirs publics que celui apporté aux jeunes entreprises innovantes. C’est à ces nouvelles entreprises qui feront la croissance future de notre économie, que s'adresse le protocole de Londres, ainsi qu’à toutes les sociétés innovantes qui feront le choix demain de s'installer en France où elles trouveront des universités fortes, une recherche dynamique, des talents prêts à les rejoindre et des pouvoirs publics mobilisés pour les aider à se développer.
L’enjeu aujourd'hui est de renforcer l'attraction qu'exerce l'Europe sur les inventeurs de demain. Ratifier le protocole de Londres, c'est se donner toutes les chances de les voir s'établir en France, où ils bénéficieront d'un environnement intellectuel et scientifique exceptionnel ainsi que de toute l'aide dont ils ont besoin. La France a aujourd'hui tous les atouts pour s'imposer dans la compétition mondiale de l'intelligence. Ne refusons pas de livrer cette bataille. Ne choisissons pas de tout perdre alors que nous pourrions tout gagner !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Vous ne livrez pas bataille. Vous vous couchez.
Mme la Ministre - En nous retirant sans livrer bataille, nous sacrifierions ce que nous avons de plus précieux, notre langue (M. Myard s’exclame). C'est en effet le rayonnement d'une culture qui assure le rayonnement d’une langue, et non l'inverse.
Il ne suffit pas d'aimer et de défendre le français pour le faire vivre, il faut aussi l’illustrer. C’est le prestige international de la recherche française qui attirera demain dans notre pays de jeunes scientifiques étrangers qui y apprendront tout naturellement le français. La culture française rayonnera ainsi à travers le talent de ces étrangers, qui la choisiront comme l'ont choisie hier une jeune Polonaise nommée Marie Curie ou un jeune Irlandais nommé Samuel Beckett (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP), et comme la choisissent aujourd'hui des écrivains tels que Jonathan Littell ou Nancy Huston.
Voilà pourquoi nous avons le devoir de donner à l'intelligence française les moyens de s'illustrer encore. Voilà pourquoi nous devons ratifier le protocole de Londres : pour ne pas laisser s'éteindre la voix de la France, tout simplement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP ; protestations sur quelques-uns d’entre eux)
M. Henri Plagnol, rapporteur de la commission des affaires étrangères – Nous sommes appelés à nous prononcer aujourd’hui sur la ratification du protocole de Londres, attendue depuis sept ans que notre pays l’a signé.
De moins d’une dizaine à sa création, l’Organisation européenne des brevets compte aujourd’hui trente-deux États membres et en comptera bientôt plus de quarante. L’augmentation du nombre d’États parties s’est accompagnée d’une inflation linguistique, le brevet européen valant pour une aire géographique où sont pratiquées vingt-trois langues différentes. Parmi elles, trois seulement, l’allemand, l’anglais et le français disposent d’un statut privilégié de langue officielle de l’Office européen des brevets.
Le constat est unanime : il faut renforcer l’attractivité du brevet européen, le simplifier et en réduire le coût, de façon que notre continent demeure à la pointe du progrès et de la connaissance et soit compétitif par rapport aux États-Unis, au Japon et aux autres puissances émergentes dans le domaine scientifique. C’est pourquoi, afin d’éviter que l’augmentation du nombre d’États membres de l’Organisation européenne des brevets n’entraîne une inflation des coûts, le protocole de Londres – c’est son seul objet – a instauré un régime linguistique limitant les exigences de traduction.
La présence de trois ministres cet après-midi illustre l’importance qu’attache le Gouvernement à l’enjeu.
M. Jacques Myard – Ils sont venus défendre un mauvais texte.
M. le Rapporteur – J’ai, pour ma part, tenu à auditionner toutes les associations, organisations, syndicats et personnalités qui souhaitaient exposer leur point de vue. J’ai écouté avec une attention particulière et dans un esprit d’ouverture ceux qui, légitimement, pouvaient exprimer des inquiétudes.
M. Jacques Myard – Mais vous ne les avez pas entendus.
M. le Rapporteur – Je me suis posé quatre questions simples. Le protocole de Londres est-il conforme à notre droit et à notre tradition juridique ?
M. Jacques Myard – Non !
M. le Rapporteur – Va-t-il dans l’intérêt de nos entreprises et de nos chercheurs ?
M. Jacques Myard – Non !
M. François Goulard – Oui !
M. le Rapporteur – Préserve-t-il la position de la langue française – à laquelle tous les parlementaires sont attachés – comme langue scientifique et technologique ? (« Non ! » sur quelques bancs UMP ; « Oui » sur d’autres) Est-il de nature à conforter le poids de la France dans l’Union européenne ? (Mêmes mouvements)
S’agissant de la conformité du protocole à notre droit, la question a été tranchée. L’argument des opposants à la ratification selon lequel il serait contraire à l’article 2 de notre Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français, a été rejeté par le Conseil d’État dans un avis du 24 septembre 2000 puis par le Conseil constitutionnel dans une décision du 28 septembre 2006. Au-delà de la constitutionnalité du protocole, certains s’inquiètent de l’avenir de la grande tradition juridique française. N’oublions jamais que c’est la France des Lumières qui a jeté les fondements de la théorie de la propriété intellectuelle – c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le français a été, dès l’origine, l’une des langues officielles de l’Organisation européenne des brevets. Et il le demeurera, ce qui signifie que les brevets pourront être déposés en français. …
M. Jacques Myard – Mais c’est déjà le cas !
M. le Rapporteur – Au-delà, nous aurons la garantie que la revendication, qui est le cœur du brevet, la seule partie prescriptrice de droits et bénéficiant de l’exclusivité durant vingt ans, sera obligatoirement traduite dans les trois langues officielles.
M. Jacques Myard – Vous ne savez pas ce qu’est un brevet !
M. le Rapporteur – En cas de contentieux, une traduction est obligatoirement prévue dans la langue du justiciable, mise à la charge du déposant. Nos chercheurs et nos entreprises ont donc l’assurance que leurs litiges seront arbitrés en français.
Le protocole de Londres sert-il l’intérêt de nos entreprises et de nos chercheurs ? Sur ce point, Hervé Novelli et Valérie Pecresse ont tout dit. La quasi-totalité du monde scientifique et économique attend la ratification de ce protocole. Nous avons auditionné très longuement la CGPME, qui nous a indiqué que plus de 90 % des PME – dont il est faux de prétendre qu’elles n’ont pas été consultées – considèrent le protocole de Londres comme l’un des éléments de nature à stimuler le dépôt de brevets, dont le coût est aujourd’hui dissuasif pour elles. L’économie à en attendre varie de 15 % à 40 %, ce qui n’est pas négligeable pour une PME ou un chercheur dont l’investissement est toujours incertain, tous les brevets n’étant pas exploités.
Faut-il craindre que la simplification et l’abaissement du coût du brevet européen conduise à une invasion de brevets américains et japonais ? Le monde économique est unanime : ce serait une grave erreur que de vouloir fermer notre continent au dépôt de brevets d’entreprises étrangères. Il est essentiel en effet que nos entreprises et nos chercheurs soient informés en temps réel des dernières innovations scientifiques, industrielles et technologiques. Les brevets déposés sur le sol européen, même par des entreprises étrangères, sont source d’emploi, d’innovation et de croissance. Il ne faut surtout pas, parce qu’on craindrait un effet d’aubaine théorique, vraisemblablement marginal, au profit de multinationales pour lesquelles le dépôt d’un brevet ne pèse guère dans leur conquête du marché mondial, rejeter un accord favorable d’abord à nos entreprises et à nos chercheurs.
S’agissant de la veille scientifique et technologique, Hervé Novelli, et je l’en remercie, a tenu le plus grand compte des suggestions de votre rapporteur pour que nos PME mesurent mieux les enjeux de la propriété intellectuelle et de l’intelligence économique. Il faut pour cela les aider à s’informer du dépôt des brevets de leurs concurrents dès le stade de la publication, soit dix-huit mois après le dépôt et bien avant la traduction intégrale éventuelle. Le fait que le cœur des brevets sera traduit facilitera aussi cette veille.
Quant à la préservation de la position de la langue française – à propos de laquelle je me suis longuement interrogé -, dès lors que le français reste langue officielle – privilège ô combien convoité, voire contesté, par nos partenaires européens ! –, il ne pourra qu’être enrichi par le vocabulaire technique et scientifique alimenté quotidiennement par l’Office européen des brevets et déjà riche de 150 000 mots.
M. Nicolas Dupont-Aignan – Mais si les textes ne sont pas traduits?
M. le Rapporteur – Ainsi assurerons-nous tous nos amis francophones du fait que la langue française est une langue vivante, actualisée en temps réel à mesure que l’innovation se développe. C’est la pérennisation de ce statut exceptionnel qui est en jeu : à cet égard, comme l’ont rappelé MM. les secrétaires d’État et Mme la ministre, ne pas ratifier le protocole de Londres, ce serait se tirer une balle dans le pied, en aidant tous ceux qui, en Europe, plaident déjà pour le tout-anglais ! Car cette ratification constituera au contraire, comme l’a souligné M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, la première bataille d’une lutte difficile pour la mise en place du brevet communautaire trilingue que nous appelons de nos vœux.
Enfin, cette ratification confortera la voix de la France en Europe…
M. Nicolas Dupont-Aignan – Sa démission !
M. le Rapporteur – Car comment nos partenaires pourraient-ils comprendre que la France bloque un accord qu’elle a initié et négocié, qui pérennise le rayonnement de notre langue et aidera, j’en suis convaincu, entreprises et chercheurs à progresser sur le marché mondial des brevets ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères – Voilà plus de sept ans – M. le rapporteur l’a rappelé dans un discours à la fois brillant et convaincant – que nous débattons de la ratification du protocole de Londres. Chacun a fait valoir ses arguments au cours de ce débat qui honore notre démocratie. Après de nombreux reports de l’examen du texte par l'Assemblée nationale, la volonté du Président de la République de l’inscrire à l’ordre du jour de cette session extraordinaire adresse un signal fort à nos partenaires européens, qui attendaient un geste de la France permettant de faire enfin entrer en vigueur un protocole dont elle a eu l’initiative et qu’elle s’est employée à promouvoir. En juin dernier, notre pays est revenu sur la scène européenne en rendant possible, grâce au soutien décisif de la présidence allemande, un accord sur le traité réformateur qui rendra l’Union plus efficace et plus démocratique ; aujourd’hui, une nouvelle occasion se présente à nous d’adresser un message encourageant à nos partenaires en cessant de bloquer par notre veto l’entrée en vigueur du protocole. Il y va de l’intérêt de l’Europe, donc de la France.
Ce protocole est indissociable de la stratégie de Lisbonne, décidée en 2000, et qui vise à faire de l’Europe l’entité la plus compétitive au monde, fondée sur l’économie de la connaissance et de l’innovation. Il ne s’agit de rien de moins que de faire face aux enjeux de la mondialisation. Car l’Europe souffre d’un grave retard sur ses concurrents américains et japonais : nous sommes loin de consacrer 3 % de notre PIB à la recherche et à l’innovation. Si nos objectifs sont ambitieux, ils pourront néanmoins être atteints à force de détermination et de volonté politique. La ratification du protocole y contribuera, en encourageant les entreprises à déposer davantage de brevets et en élargissant la diffusion du brevet européen. Ainsi passerons-nous du discours aux actes. En outre, je suis prêt à parier que cette ratification aura un effet d’entraînement sur les pays non encore signataires du protocole ; je songe notamment à l’Autriche, à la Belgique, à l’Irlande ou à la Finlande. De plus, la ratification du protocole par la France confortera le statut du français, langue officielle dans le système européen des brevets, et permettra de prendre date dans le cadre des négociations actuelles sur le brevet communautaire.
J’entends souvent dire que ce protocole ne doit pas être si convaincant que cela puisque bien des pays ne l’ont pas encore ratifié.
M. Jacques Myard – Eh oui !
M. le président de la commission des affaires étrangères – C’est que nombre d’entre eux - notamment l’Italie et l’Espagne - envient le statut privilégié de notre langue (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
M. Jacques Myard – Mais ils l’enviaient déjà !
M. le président de la commission des affaires étrangères – S’ils ne l’ont pas signé…
M. Jacques Myard – Ils ne le signeront pas !
M. le président de la commission des affaires étrangères – …c’est justement parce que l’italien et l’espagnol ne bénéficient pas des avantages accordés aux trois langues officielles de l’Office européen des brevets ! (« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
Non content de maintenir le statut privilégié de notre langue, le protocole le renforce…
M. Jacques Myard – Mais non !
M. le président de la commission des affaires étrangères – …puisque tout brevet européen délivré en français sera validé dans les grands pays européens, notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni, sans obligation de traduction intégrale, ce qui signifie que le texte français d’un brevet européen aura force de loi dans ces pays ; c’est là une remarquable nouveauté.
Mais, si la France refusait de ratifier le texte, il y a fort à parier que la tentation serait grande, pour les pays qui l’ont déjà ratifié, de s’accorder entre eux sur un régime plus favorable à l’anglais.
M. Jacques Myard – Ils ne le peuvent pas ! Relisez les traités !
M. le président de la commission des affaires étrangères – Vous avez beau parler comme si le statut du français était gravé dans le marbre, s’il est en effet juridiquement impossible de le remettre en cause, comment, d’un point de vue politique, peut-on croire qu’en refusant un accord dont elle a l’initiative, la France empêchera les autres pays d’aller de l’avant, fût-ce en anglais ? C’est pourquoi le protocole est bien le meilleur rempart contre le tout-anglais !
C’est aussi notre crédibilité sur la scène européenne qui est en jeu, car c’est la France qui a convoqué la Conférence intergouvernementale qui a abouti à la conclusion de cet accord signé en juin 2001. Pouvons-nous ainsi revenir sur la parole donnée ?
Enfin, le texte a pour enjeu fondamental le rôle de l’innovation en matière de croissance économique, de progrès social et d’emploi. Après les États-Unis il y a une quinzaine d’années, l’Europe est désormais entrée dans l’ère de la troisième révolution industrielle, celle d’internet et des biotechnologies – secteurs industriels dont le potentiel en matière de brevets est très puissant. C’est un euphémisme que de dire que le progrès technologique est devenu le moteur de la croissance, des gains de productivité et de l’élévation du niveau de vie à long terme. Or tout procède de la croissance : sans elle, notre accompagnement social est fragilisé et le déficit entre dans une spirale difficile à contrôler (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ainsi, jamais le dépôt de brevets n’a joué un rôle aussi stratégique dans la compétition économique internationale. En la matière, nous sommes en retard sur les États-Unis, qui considèrent moins les brevets comme des outils de recherche que comme des actifs d’entreprise. Un effort doit être consenti en Europe et surtout en France, où le droit de la propriété industrielle doit être mieux enseigné.
M. le Rapporteur – Très bien !
M. le président de la commission des affaires étrangères – Notre pays est en déclin dans le paysage européen des brevets. Selon l’INPI, en 2006, la France représentait 18,2 % des dépenses de recherche et développement en Europe, mais 15,3 % seulement des dépôts de brevets, contre 42,5 % - trois fois plus – pour l’Allemagne ! Rien ne justifie ce retard. Allons chercher la croissance là où nous pouvons la trouver, dans les secteurs innovants à forte valeur ajoutée !
Ainsi, la ratification lèvera l’un des obstacles à la croissance, en particulier pour les PME, qui souffrent aujourd’hui d’une forme d’impôt sur l’innovation, comme l’ont montré différents rapports, dont celui du Conseil d’analyse économique, et celui que M. Jouyet a co-signé avec M. Maurice Lévy, sur l’économie de l’immatériel.
Je m’engage par ailleurs à veiller à un suivi régulier de la mise en œuvre du texte…
M. Jacques Myard – Parce que vous avez des doutes !
M. le président de la commission des affaires étrangères – Non, parce que je suis sûr de moi et que le Parlement a pour rôle de veiller aux conséquences de la mise en œuvre des textes qu’il adopte !
M. Jacques Myard – On va s’amuser !
M. le président de la commission des affaires étrangères – J’espère vous avoir convaincus (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) qu’en ratifiant ce texte, nous agissons résolument dans l’intérêt de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.
M. Jean-Paul Lecoq – Un vaste programme de domination revêt aujourd'hui le masque de la mondialisation, comme l'admettent crûment certains industriels outre-Atlantique et certains dirigeants politiques.
Dans le projet qui nous a été remis, l'exposé des motifs se limite à constater que le statut du français est renforcé, mais le fait que notre langue reste l'une des trois langues officielles de l'Office européen des brevets, au même titre que l'anglais, n'est pas l'élément essentiel : si, juridiquement le protocole ne modifie pas le statut du français, il le condamne sur le plan économique, puisqu'il sera moins rentable de rédiger son brevet en français qu'en anglais, y compris pour le déposant français.
Second constat : le nouveau système de dépôt d'un brevet réduira les coûts de traduction. Mais bien d’autres aspects sont passés sous silence, non seulement à propos de la langue française et des effets du texte sur notre droit interne, mais aussi, sur le plan européen, en matière de pluralisme et de diversité culturelle, menacés par cette lourde tendance à l'uniformisation.
Car l’enjeu n’est pas uniquement linguistique : c’est bien de l'hégémonie, voire de la domination américaine sur le plan international qu’il est question, y compris dans l'organisation de la société internationale, dont l'Europe fait partie. C’est ce qui explique les avis négatifs émis par la compagnie nationale des conseils supérieurs de la propriété industrielle comme par l'Académie des sciences morales et politiques et l'association des conseils en propriété industrielle. Bien que Catherine Tasca ait affirmé dans plusieurs articles que la ratification du protocole de Londres n'apportera à la France comme aux autres pays que des bénéfices, ces déclarations, qui ne reposent que sur des calculs financiers, obéissent à une logique purement économique, oubliant d'analyser l’ensemble des conséquences politiques et culturelles de ce texte, non seulement pour la France, mais aussi pour les autres peuples européens.
Alors qu’aucun Gouvernement ne l’avait jamais demandé, la commission des finances a spontanément adopté, le 1er février dernier, un amendement au projet de loi de programme pour la recherche, qui prévoit la ratification par la France du protocole de Londres. Une telle initiative est calamiteuse pour le dépôt de brevets dans notre pays, pour l’innovation, mais aussi pour la francophonie.
Le protocole de Londres, adopté en octobre 2000, a en effet pour objet de modifier la convention de Munich, qui a institué en 1973 le brevet européen : les brevets déposés en langue anglaise seraient désormais directement opposables aux tiers sans traduction préalable en langue française. Le Gouvernement français n’avait pas signé ce texte, se réservant la possibilité de se concerter avec toutes les parties intéressées avant une date initialement fixée à 2001, mais plusieurs multinationales françaises, appuyées par le Medef, ont fait pression sur les gouvernements successifs, relayant les exigences de l’office nord-américain des brevets, qui avait déclaré voilà une dizaine d’années que l’anglais était désormais la langue de la propriété industrielle.
Présentées comme ses bénéficiaires, les PME seront en réalité les premières victimes de cet accord, fer de lance d’un modèle culturel et social unique. Pour mieux se protéger, elles devront en effet déposer leurs brevets en anglais, et recruter des ingénieurs anglo-saxons, au risque de violer le principe d’égalité entre les demandeurs d’emploi, puisque les immigrants anglo-saxons seraient ipso facto dispensés d’apprendre notre langue. Il faudra par ailleurs qu’elles traduisent leurs brevets dans les langues des dix-sept pays européens qui ont refusé, à l’instar de l’Espagne, de signer le protocole de Londres.
Sous le prétexte fallacieux de réduire le coût des brevets, et ainsi d’augmenter le nombre des dépôts dans notre pays, l’objet de ce texte est de permettre aux firmes multinationales de réaliser de notables économies, nonobstant les difficultés de fond posées par la suppression de l’obligation de traduire le brevet dans la langue du pays dans lequel il est déposé. En aucun cas, la réduction des coûts de traduction ne permet de justifier cette mesure. En évitant de traduire ses brevets dans sept langues, le Royaume-Uni devrait par exemple réaliser une économie de 33 millions d’euros.
Plusieurs députés UMP – Et alors ?
M. Jean-Paul Lecoq – Je rappelle que la moitié des brevets européens sont déposés par de grandes entreprises américaines ou nippones, qui recourent toutes à l’anglais et non à notre langue. Les plus puissantes firmes étrangères pourront désormais imposer à leurs concurrentes françaises une description de leurs brevets, mais aussi les revendications dont ils sont assortis, revendications qui demeurent modifiables à tout moment aux termes de la convention révisée en 2000. En cas de litige devant nos tribunaux, il faudra certes traduire le brevet en français, mais c’est la langue de dépôt qui aura force légale. Or, nul n’ignore les différences de fond et de forme qui séparent les systèmes juridiques anglo-saxon et français. Le juge risque donc de bâtir son raisonnement juridique en suivant la structure du droit anglo-saxon.
À cela s’ajoutent les menaces pesant sur le pluralisme, la diversité culturelle et la diversité des langues et des traditions des peuples européens. La mondialisation pousse en effet à l’uniformisation des modes de vie, des opinions et des points de vue, du fait de la soumission des peuples aux lois du marché, souvent présentées comme la seule référence envisageable. Nous devons nous battre pour préserver la diversité culturelle, qui est de nature linguistique, historique et juridique, toutes dimensions essentielles au pluralisme des idées.
Or, la révision de la convention européenne sur la délivrance de brevets européens s'aligne sur l’approche des droits de propriété intellectuelle qui prévaut dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, dont le but est de tout transformer en marchandise grâce à une harmonisation des différents droits nationaux et régionaux en la matière. Facteur de standardisation, cette mondialisation libérale menace les identités culturelles. Sans nier l’existence de valeurs communes à l’ensemble de l’humanité, il ne faut pas effacer les spécificités léguées par le temps. Ne banalisons pas le sort réservé à la culture !
En effet, notre langue n’est pas seulement un moyen de communication ; elle est le vecteur de nos valeurs de solidarité, d’accueil, de respect des droits humains et du droit international. Et c’est par notre langue que nous maintenons intacte notre tradition révolutionnaire, porteuse de tant d’espoirs dans le monde entier (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP).
Mais la langue peut être aussi un instrument au service de la domination, notamment celle du système juridique anglo-saxon.
Un député UMP – Et les Chinois ?
M. Jean-Paul Lecoq – N’oublions pas que le pluralisme linguistique, historique et culturel de l’Europe a toujours été une source d’enrichissement réciproque.
Or, ce projet de loi menace l’égalité des Européens devant la langue. Face au risque de la disparition du pluralisme et de la diversité culturelle, nous devons défendre notre langue en luttant contre la colonisation linguistique. En adoptant ce texte, l’Europe confirme sa déroute, puisqu’elle devient l’un des piliers de la mondialisation libérale, hostile au pluralisme. Nous devons au contraire préserver notre droit de nous exprimer dans notre langue, notamment devant les tribunaux. La culture ne peut être abandonnée aux seules lois du marché et régie par des techniciens et des financiers : la défense du pluralisme des cultures impose l’intervention régulatrice des États, y compris au niveau européen. Il est de notre responsabilité de prévenir l’avènement d’un monopole linguistique et juridique sur les brevets.
Pour toutes ces raisons, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne peut accepter les dispositions de ce projet de loi, qui ferait de l’Europe un agent de l’acculturation. Aucun argument de nature économique ou financière ne peut justifier de telles menaces sur les langues européennes. Voilà pourquoi nous proposons cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).
L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.
M. le Président – J’ai reçu de M. Nicolas Dupont-Aignan une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement (M. Philippe Folliot applaudit).
M. Nicolas Dupont-Aignan – Il est des moments dans l'histoire de notre hémicycle, où des personnalités et des élus d'horizons très différents se mobilisent pour défendre une cause qui les dépasse. C’est souvent le signe que l'intérêt supérieur du pays est en jeu. L'appel lancé contre la ratification du protocole de Londres appartient à cette catégorie.
Vous faisiez appel à l’intelligence et à l’esprit des Lumières, Madame la ministre ; jugez-en plutôt : de Jacques Attali à Alain Decaux, en passant par Claude Hagège, Max Gallo, Michel Déon, Laurent Lafforgue, Erik Orsenna, Robert Pitte, président de l'université Paris-Sorbonne, Albert Marouani, président de l'université Nice-Sophia-Antipolis, Alain Cotta, professeur à Paris-Dauphine, ou encore Walter Kramer, professeur à l'université de Dortmund et président de l'association de défense de la langue allemande, on ne compte plus les écrivains, les académiciens et les universitaires qui s’opposent à ce texte avec la dernière énergie…
N’oublions pas non plus les acteurs du monde de l'entreprise et de la propriété intellectuelle - patrons de PME innovantes, syndicalistes, de la CGT à la CFTC, avocats d'affaires, ingénieurs, professionnels des brevets : tous mesurent les effets néfastes de ce protocole. Dans cet hémicycle, mais aussi au Sénat, notamment en la personne du président Christian Poncelet, des voix s'élèvent également de tous les groupes, de la majorité comme de l'opposition, pour réclamer le rejet de ce mauvais traité.
M. Benoist Apparu – C’est la voix du conservatisme !
M. Jean-Pierre Dupont – Autre signe révélateur : ce n’est pas un hasard si ce texte est sur la sellette depuis 2001, aucune majorité n’osant le ratifier. Ce n'est pas non plus une coïncidence si le président Jacques Chirac, ardent défenseur de la francophonie, et ses premiers ministres Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin n'ont pas cédé face aux pressions de certains intérêts. Ce n'est pas un hasard si, depuis 2001, toutes les institutions qui représentent le français, la francophonie et la diversité culturelle ont condamné à l'unisson ce funeste protocole. L'année dernière encore, l'Assemblée parlementaire de la Francophonie dénonçait le « grave danger » qu’il représente.
Face à cela, comment se fait-il qu'un tel accord nous soit aujourd’hui soumis ? C'est que depuis des années ses partisans se livrent à un intense travail de persuasion, en utilisant des arguments mirobolants qui relèvent de la désinformation. Je répondrai point par point aux arguments fallacieux de certaines multinationales, du Medef et aujourd’hui, hélas, du Gouvernement.
On vous dit que le coût des brevets va miraculeusement baisser de 40 %. C’est faux ! Cette réforme ne réduira que marginalement la part correspondant aux frais de traduction – soit 10 % à 15 % du coût total des brevets. Elle ne touchera nullement aux 85 % à 90 % restants, à savoir les taxes et frais de représentation prohibitifs pratiqués par l’Office européen des brevets, qui sont en soi un scandale et sur lesquels la réforme aurait dû porter en priorité.
Mais la désinformation ne s’arrête pas là. Nos entreprises déposant leurs brevets en français devront continuer à assurer une traduction en anglais et en allemand non seulement dans les vingt-deux pays européens qui n’ont pas signé le protocole de Londres ou ont refusé de le ratifier, mais aussi aux États-Unis. L’économie réalisée sera donc bien moindre qu’on ne vous le dit.
M. Philippe Folliot – C’est vrai !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Il est profondément malhonnête de faire croire que cette réforme permettra d’augmenter la quantité totale de brevets déposés par nos entreprises. En effet, c’est surtout la méfiance culturelle de nos entrepreneurs vis-à-vis de la protection qu’apporte le brevetage qui explique la faiblesse du nombre de brevets déposés en France. En n’obligeant plus à traduire en français la description des inventions, le protocole de Londres va considérablement renforcer cette défiance. Autant l’augmentation du crédit impôt recherche constitue un coup de pouce bienvenu à l’innovation, autant la réforme du brevet européen n’aura aucune incidence positive.
On vous dit que la traduction des revendications sera maintenue et que cela permettra à nos PME innovantes d’assurer une veille technologique satisfaisante. Je récuse cet argument des plus étranges. Tout d’abord, il entre en contradiction avec l’idée que l’économie réalisée grâce au protocole de Londres serait substantielle. Si économie substantielle il y a, la traduction n’est que minimale ; mais si la traduction demeure importante, l’économie est limitée. Vous ne pouvez pas jouer sur les deux arguments ! On me répondra que ce qui ne sera plus traduit est la somme des descriptions superflues. Nous abordons là le point essentiel : la description est un élément bien plus important que ne le font croire certains dans la constitution d’un brevet.
M. Jacques Myard – Bien sûr !
M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est même un élément dont le défaut peut conduire à la nullité juridique d’un brevet. Selon un document de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, « les revendications définissent l’objet de la protection demandée. Quant à la description, elle doit être suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter, et si tel n’est pas le cas, le brevet peut être déclaré nul – article 138 CBE. De plus, la description et les dessins servent à interpréter les revendications – article 69 CBE. Il existe d'autres causes de nullité du brevet liées à la description. La description constitue donc un élément tout aussi essentiel du brevet que les revendications. C’est par la description que l'inventeur divulgue pleinement son invention technique en échange du droit exclusif qui lui est accordé. » C’est cette description qui ne sera plus traduite, et c’est pourquoi certaines grandes entreprises attachent un si grand intérêt au protocole de Londres ! Vous n’endormirez pas la représentation nationale avec des arguments aussi contradictoires !
Le rôle même de cette description va d’ailleurs être accru : selon la loi « CBE 2000 » qui entrera en application le 13 décembre prochain, le breveté pourra en effet modifier les revendications pendant toute la durée de vie du brevet en y incluant n'importe quelle caractéristique de la description.
Insuffisante en tant que telle, la traduction des seules revendications risque de ne pas être à la hauteur si, comme il semblerait, elle est confiée à l'OEB, qui utilise des logiciels de traduction automatique dont les performances sont proches de zéro. Je pourrais vous citer des centaines d’exemples ! Or, c'est ce charabia qui sera le seul disponible dans le système du brevet européen réformé par le protocole de Londres !
Argument suprême, on vous dit que le protocole de Londres serait une grande victoire pour le français, qui verrait sa place de langue de référence confortée au sein du système de brevet européen. Dans la pratique, c’est tout aussi faux ! Nous venons de voir à quelle qualité de français risque d'aboutir le système de traduction de l'OEB. Mais l'argument selon lequel le français aurait obtenu une reconnaissance internationale à même d'assurer son rayonnement est tout aussi douteux. Certes, le français serait reconnu formellement à égalité avec l'anglais et l'allemand.
M. Jacques Myard – C’est déjà le cas !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Tout brevet déposé en français n'aurait donc besoin que d'une traduction minimale dans les autres pays signataires. Mais ce n'est qu'une coquille vide : faute de favoriser le développement des brevets en français, ce nouveau système permettra surtout aux entreprises françaises grosses productrices de brevets - celles-là même qui sont derrière cette réforme - de déposer directement en anglais, faisant peu à peu tomber en désuétude le français technique et industriel. Tous les arguments en faveur de ce protocole sont donc des faux-semblants : son seul effet sera d'instaurer l'anglais comme unique langue de la propriété intellectuelle dans notre pays.
M. Philippe Folliot – C’est vrai !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Ne faites pas croire le contraire à la représentation nationale ! Bien sûr, ces quelques entreprises feront des économies - entre 5 et 60 millions d’euros - mais le coût collatéral sera très élevé pour nos petites et moyennes entreprises, qui seront obligées de payer des traducteurs ou de passer au « tout-anglais ». Ce n’est évidemment pas le problème de celles qui ne rendent de comptes qu'à leurs actionnaires !
Ce n'est pas leur problème, mais c'est à l'évidence le nôtre. Car nous ne sommes pas ici le bras armé de tel ou tel groupe de pression. Nous sommes en charge de l'intérêt supérieur du pays, du dynamisme et de la compétitivité de nos entreprises, de l'emploi, des innovations de demain et, de la vitalité de notre langue, l'un des biens les plus précieux. Il n’est pas de développement économique qui ne s’appuie sur la langue du peuple français ! Cet intérêt supérieur n'est pas la somme d'intérêts catégoriels. Si la France est la France, c'est parce que tout au long de son histoire, des hommes et des femmes de bonne volonté se sont refusés à le sacrifier.
Si le protocole de Londres est ratifié par notre Parlement, et que de ce seul fait il entre finalement en vigueur, les conséquences ne se feront pas attendre. Et celles-là, on vous les cache ! Les 100 000 brevets de langue anglaise ou allemande déposés chaque année dans notre pays ne seront plus intégralement disponibles en français. L’application du protocole de Londres ouvrira ensuite toutes grandes les vannes aux dizaines de milliers de brevets anglophones non traduits aujourd’hui, qui grâce à la barrière de la langue, ne s'appliquent pas en France et dans les autres pays signataires du protocole. Comble de tout, il n'y aura aucune réciprocité ! La culture anglo-saxonne de la propriété intellectuelle n'a en effet rien à voir avec la nôtre : s'il existe une masse de brevets anglophones, c'est que les entreprises américaines, japonaises ou chinoises noient le marché pour étouffer toute concurrence. Cette conception judiciarisée et offensive - pour ne pas dire hégémonique - de la propriété industrielle est l'inverse de la nôtre, qui demeure essentiellement défensive. Les entreprises françaises se heurteront donc à un déferlement de brevets qui paralysera leur potentiel d'innovation. Car la réforme du régime linguistique du brevet européen poursuit un seul objectif : favoriser les entreprises qui déposent déjà beaucoup de brevets, c'est-à-dire les mastodontes, sans se soucier de celles qui n'en déposent pas assez, les PME, et qui en déposeront moins encore dans ce système !
Pour connaître l'état des inventions et développer leurs propres innovations, il reviendra désormais à nos PME de traduire à leurs propres frais des brevets anglophones ayant force de loi dans notre pays - charge qu'assumaient jusqu'à présent les entreprises étrangères qui déposaient en France. Ce serait un véritable scandale ! Comme l’écrit notre collègue Pascal Clément, ancien garde des Sceaux, dans Le Monde, « l'accord de Londres, en supprimant pour le breveté l'obligation de traduire la partie du brevet appelée description et en ne maintenant que celle des revendications, ne fait en réalité que transférer cette traduction de la description, qui est indispensable, à la charge du tiers. Cela revient à faire payer au condamné français la balle (étrangère) qui va le tuer! » (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP)
M. Jean-Yves Le Déaut – Où est-il, M. Clément ?
M. Nicolas Dupont-Aignan – On exonérera ainsi les grandes entreprises déposant des brevets d'une charge de traduction qui sera transférée sur les autres : le coût net pour l'économie française sera mécaniquement très négatif, puisqu'il y a toujours plus d'entreprises qui consultent les brevets pour assurer une veille technologique que d'entreprises qui en déposent. Les petites économies réalisées par quelques grandes firmes ne pèseront pas lourd face aux dépenses colossales que devront engager les PME innovantes. Soit elles dépenseront des fortunes en traductions, soit elles passeront au « tout–anglais » et creuseront le fossé entre leurs salariés qui maîtrisent cette langue et les autres. N'oublions pas celles qui seront dissuadées d’innover faute de pouvoir assurer ces traductions. Et quitte à devoir penser et innover en anglais, nombre d'entre elles embaucheront bientôt directement des ingénieurs et des juristes anglophones, laissant sur le carreau nos ingénieurs et nos avocats. Un comble !
L'émergence de ce monolinguisme étranger dans la vie des affaires de notre pays serait un handicap supplémentaire pour notre économie. Le « tout–anglais » n'est pas seulement une cause de désorganisation dans les entreprises et un danger - comme on l’a vu lors de l'irradiation de centaines de patients à Épinal faute de traduction de la notice d'utilisation des équipements de radiothérapie (« Cela n’a rien à voir ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). C'est aussi un handicap dans la vie des affaires elle-même : c'est une étude anglaise qui le souligne et plaide pour la diversité linguistique !
Les entreprises qui feront traduire les descriptions s'exposeront d’ailleurs à des conflits d'interprétation juridiques, ne serait-ce qu'à cause des distorsions de sens entre le texte d'origine et sa traduction française, cette dernière n'ayant aucune valeur juridique face à la première ! Quant à l'octroi d'une traduction intégrale par la puissance publique en cas de litige, c'est un leurre : ce qui importe pour nos entreprises, c'est une connaissance a priori et non a posteriori de l'état des inventions. Une fois qu'il existe un litige, cela veut dire que les investissements de recherche-développement et de production ont déjà été faits. Il est donc trop tard.
L’économie française n’a rien de bon à attendre du protocole de Londres ; la langue française non plus, dont l’usage technique et industriel déclinerait irrémédiablement, comme l’affirme Jean Foyer, ancien garde des Sceaux du général de Gaulle : « Je considère le mécanisme de l’accord de Londres comme l’amorce en France d’une euthanasie de la langue française. C'est la fin de la langue française comme langue technologique. Quand toute la technologie sera passée en anglais, tout le reste y passera…
M. Jacques Myard – Le peuple se révoltera !
M. Nicolas Dupont-Aignan – …, car quand on parlera anglais à l'atelier, à l'usine, à l'université, dans les laboratoires, on cessera aussi de parler français à la maison et à l'école. »
Accepterons-nous que la France défende moins sa langue que l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Autriche, la Turquie ne défendent la leur ? Bafouerons-nous l'esprit de nos lois qui protègent le français, comme la loi Toubon ? Certains ministres semblent avoir déjà fait une croix sur notre langue, à l’instar de Bernard Kouchner, dans un livre paru il y a un an : « La langue française n'est pas indispensable : le monde a bien vécu avant elle. Si elle devait céder la place, ce serait à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaisseraient. » Cette ligne est-elle désormais celle du Gouvernement ? Allons-nous donc accepter d'être regardés avec dédain parmi la communauté francophone ? Serons-nous sourds aux mises en garde inquiètes de nos amis québécois, qui nous exhortent à rejeter le protocole de Londres ?
Comme l’a si bien dit Christian Poncelet, Président du Sénat : « À quoi bon se battre pour la culture, prétendre avoir une autre vision de sa place dans la société, défendre une certaine idée de la France, si au jour le jour, nous sommes prêts à ces lâchetés quotidiennes au nom de la soi-disant efficacité et en général de la simple vanité. Vanité d'être publié, de paraître international, d'autant plus parfois qu'on est médiocre. Le protocole de Londres sur les brevets, hélas signé, mérite, puisqu'il n'est pas encore ratifié, un réexamen attentif, car nous ne pouvons accepter ses dispositions conduisant au tout–anglais dans ce domaine stratégique. »
Allons-nous accepter que des textes en langue étrangère aient force de droit dans nos tribunaux, en violation d'un usage bien établi depuis François 1er, et au risque d'introduire une inégalité entre Français selon le niveau d'anglais ? De nombreux juristes ont déploré la décision du Conseil constitutionnel jugeant le protocole compatible avec notre Constitution, car la traduction des revendications ne suffit nullement pour comprendre un brevet ; tous les spécialistes affirment qu’elles doivent être explicitées par une description, faute de quoi le brevet peut être invalidé.
Le Président de la République prétend dynamiser nos entreprises et favoriser leur compétitivité. Hélas, le protocole de Londres va dans le sens contraire, tout en menaçant notre identité linguistique et nationale !
Le débat ne concerne pas seulement l'avenir de notre pays ; il traduit aussi notre vision de l'Europe et du monde. L'Académie française a résumé la problématique : « Le français étant la langue de la République, la France ne peut accepter que les textes en langues étrangères aient force de droit sur son territoire. En fait, par le biais des brevets, se trouve une nouvelle fois posée la question que nul n’ose aborder de front : quelle langue, quelles langues doit parler l’Europe ? Économiser sur les traductions, c'est non seulement mettre en péril les langues nationales, mais aussi amputer la plus irremplaçable richesse de notre continent : sa diversité. Pour ces raisons, l'Académie française demande solennellement aux pouvoirs publics de ne pas ratifier le protocole de Londres. »
Comment est-il possible que les Italiens, les Espagnols, les Autrichiens, en refusant de signer ce protocole, se montrent capables de mener le combat de la diversité linguistique et culturelle, alors que les élites françaises, Gouvernement en tête, démissionnent avant même d'avoir combattu ?
Le peuple français aspire à vivre dans sa langue et est attaché à cette diversité qui, loin d'être un handicap, constitue au contraire un extraordinaire atout pour l'Europe. En votant cette ratification, vous engageriez la France dans une construction de l'Europe qui n'est pas la bonne, qui a déjà été rejetée, et qui heurte nos compatriotes, les éloignant de la belle idée européenne.
Au moment où naît un monde multipolaire, la France renoncerait à sa langue…
M. Nicolas Dhuicq – La France ne renonce jamais !
M. Nicolas Dupont-Aignan – …, décevrait la communauté francophone, s'alignerait sur l'uniformité anglo-saxonne. Quel contresens historique ! C'est maintenant que nous avons le devoir d'affirmer notre langue, notre identité, notre culture, de défendre partout et toujours la langue française, de multiplier les partenariats avec les pays francophones, et encore, comme le suggère Jacques Attali, de bâtir, avant qu'il ne soit trop tard, une bibliothèque numérique universelle francophone. Ce serait le principe même de la diversité culturelle que notre pays ferait vivre ! Voilà, Madame la ministre, qui serait conforme à l’esprit des Lumières !
Le refus de ce protocole, loin d'être un geste défensif, est une ardente nécessité pour mener une grande politique de la francophonie, qui n'entrave en rien les liens d'amitié avec nos voisins européens ou nos cousins américains, ni ne nous empêchera de nous attaquer au scandale de la gestion de l'Office européen, afin de permettre à davantage de nos PME de déposer des brevets.
Mais est-il encore permis de souhaiter que la France vive ? C'est tout le débat d'aujourd'hui, et c’est l’objet de ma question préalable (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
M. Philippe Folliot – Très bien !
M. le Rapporteur – L’objet d’une motion est d’expliquer qu’il n’y a pas lieu de délibérer. Or, Monsieur Dupont-Aignan, puisque vous avez appelé notre attention sur les conséquences extrêmement graves qu’aurait, selon vous, la ratification du protocole de Londres, vous devriez être le premier à demander qu’il en soit délibéré !
Si vous êtes un passionné de la défense de la langue française, nous le sommes tous ici !
M. Philippe Folliot – Plus ou moins !
M. le Rapporteur – Ce qui nous sépare, c’est que vous entretenez une vision empreinte de nostalgie pour l’époque où le français dominait le monde (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP). Nous prônons, quant à nous, une francophonie à la fois réaliste et conquérante. Nos entreprises, nos chercheurs vivent déjà dans un monde polyglotte. Et c’est en acceptant un système des brevets trilingue que vous défendrez véritablement la francophonie.
J’ai reçu de très nombreux témoignages de nos amis francophones, notamment de la part de l’Organisation de la propriété industrielle des États francophones, qui nous demandent de vite ratifier le protocole…
M. Jacques Myard – Ce n’est pas vrai !
M. le Rapporteur - …, car l’intérêt vital d’un État ou d’une entreprise francophone, comme des chercheurs de langue française, c’est de pouvoir continuer à déposer des brevets en français, lequel reste une des trois langues officielles de l’Office européen ! Je pense même qu’après la ratification, davantage de brevets seront déposés en français (Applaudissements sur la plupart des bancs de l’UMP).
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Le coût moyen d’un dépôt de brevet est actuellement de 30 000 euros, dont 20 000 pour la traduction. Grâce à l’accord de Londres, le coût de traduction est divisé par deux, et le coût total ainsi réduit d’un tiers.
La ratification de cet accord permettra en outre à la France d’être en bien meilleure position dans les négociations au sujet de la nécessaire réforme de l’Office des brevets européens.
De même, il est essentiel que nous bénéficiions d’un système de brevets compétitif par rapport aux modèles japonais et américain. C’est pourquoi nous devons aller vers un système de brevet européen, ce dont la ratification représente une étape nécessaire, qui maintient l’originalité du modèle européen ainsi que la diversité qui caractérise celui-ci.
Les petites et moyennes entreprises pourront mener des stratégies de dépôt de brevets à l’étranger. Les descriptions devront être traduites en cas de litige, mais ce coût sera à la charge des titulaires, des multinationales, et non des PME. Enfin, une description ne conférant jamais un droit étendu au titulaire du brevet, il s’agit là encore d’un élément de protection pour les PME, à qui nous voulons permettre d’être plus offensifs sur les marchés étrangers (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. François Goulard – Le romantisme sympathique de M. Dupont-Aignan est très éloigné de la réalité. Toute théorie du complot, que ce soit contre la France ou contre ses petites entreprises, est ici hors de propos. Ce texte fera progresser notre langue et nos entreprises. Il simplifiera les procédures à l’échelle européenne.
M. Jacques Myard – Couchons-nous !
M. François Goulard – La ratification de la France est indispensable à l’entrée en vigueur de l’accord de Londres. Sans elle, nos partenaires s’accorderont sur un système qui fera la part belle à l’anglais : c’est le contraire même de ce que vous souhaitez ! (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe UMP)
La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
M. le Président – Nous en venons à la discussion générale.
M. Jean-Michel Fourgous – Mme Pecresse rappelait à raison que le réveil salutaire auquel nous assistons aujourd’hui est d’origine parlementaire, et je l’en remercie. L’innovation et la recherche sont les clefs de notre compétitivité : tout le monde s’accorde sur ces principes. Encore faudrait-il qu’ils soient suivis d’effets ! Puisque l’on aime ici à invoquer certains mots comme « croissance » ou « Lisbonne », permettez-moi de vous rappeler que la croissance est composée de trois ingrédients : la sueur, l’argent et l’intelligence. Or, le brevet matérialise cette intelligence : il la transforme en or. Toute entreprise connaît une hausse importante de ses effectifs et de son chiffre d’affaires dans les cinq années qui suivent le dépôt d’un brevet. Il n’y a donc pas de complot des gros contre les petits.
Ancien ingénieur, j’ai moi-même jadis déposé un brevet qui a permis la création d’une entreprise. J’ai fait l’expérience du système actuel : il est long et coûteux. Alors que les grandes entreprises en ont les moyens, les PME sont rarement en mesure de se protéger dans l’ensemble des pays européens. Il y avait urgence à répondre à leur demande unanime – c’était d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi que j’ai déposée l’année dernière. Quelques exemples : le coût des traductions chez Renault grève le budget consacré à la protection des innovations, en Europe centrale notamment. De même, au CNRS, l’argent consacré aux traductions ne peut l’être au dépôt de nouveaux brevets.
Si l’on exhume aujourd’hui ce vieux débat, c’est parce qu’une véritable rupture culturelle s’est produite à la tête de notre pays. Rendons hommage à celui qui donne enfin du contenu aux discours politiques : M. Sarkozy avait inscrit la ratification du protocole de Londres dans son programme de campagne, auquel j’ai contribué. Une longue série de propositions de loi, de rapports, de concertations et autres amendements repoussés malgré leur adoption en commission trouvent enfin une issue.
La France est de retour en Europe. Nos partenaires s’agaçaient de notre attentisme, comme ils se sont étonnés de notre rejet de la Constitution européenne, dont nous étions pourtant à l’origine. La ratification française du protocole de Londres sera imitée ailleurs en Europe. Elle évitera une solution trop favorable à l’anglais, envisagée par certains.
Si elle a tant tardé, c’est aussi parce que la défense du français a été savamment instrumentalisée. Lors du dépôt d’un recours devant le Conseil constitutionnel à l’initiative de M. Myard notamment, certains collègues se sont interrogés sur les intentions réelles du projet : voulait-on vraiment obliger les Français à déposer des brevets en anglais ? Pure contrevérité, cela va de soi. Cette manipulation n’a d’ailleurs pas échappé au Conseil constitutionnel, qui a rejeté ledit recours. De même, M. Alain Pompidou, fils du président Georges Pompidou, rappelle que le protocole de Londres permet de maintenir le français au sein des instances de l’OEB qu’il présidait autrefois. L’organisation africaine de la propriété intellectuelle nous presse également de ratifier, car ses membres francophones pourraient plus facilement déposer des brevets en Europe.
Invoquer la défense du français ne sert donc qu’à effrayer – n’est-ce pas d’ailleurs une habitude française d’instrumentaliser des principes moraux sans rapport avec les faits ? Hélas, les PME subissent le même sort. Pourquoi ne pas simplement les écouter, elles qui demandent toutes la ratification ? C’est parce que nous avons depuis six ans ignoré leur avis, comme celui des chercheurs, que nombre d’emplois ont été perdus, que nombre d’entreprises n’ont jamais été créées.
Au fond, le véritable clivage dans ce débat n’oppose pas les défenseurs du français à ses agresseurs, mais l’obscurantisme à l’expérience économique ! Au nom des petites entreprises et des chercheurs, au nom de notre compétitivité et de notre compétence économique, je vous demande donc de voter ce texte ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)
M. Pierre Moscovici – Le sujet est complexe et impose de mener une réflexion approfondie avant de pouvoir se déterminer, en fonction notamment de trois questions. La première a trait à notre ordre juridique : quelles sont les conséquences, en droit français, de la ratification du protocole de Londres, et sont-elles acceptables ? Avec ce protocole, la France renonce à l'exigence d’une traduction intégrale des brevets rédigés en anglais ou en allemand comme condition de leur opposabilité aux tiers. Cette disposition accroît le risque d'incertitude juridique, puisqu’un document rédigé en langue étrangère sera opposable à un justiciable français et pourra servir de fondement à des condamnations civiles ou pénales. Elle a donc une portée considérable, mais il faut aussi considérer qu’à l’inverse, les brevets déposés en français sans traduction sur les territoires allemand et britannique auront aussi force juridique. Le groupe SRC est donc prêt à accepter cette disposition conséquente puisqu’elle est accompagnée de contreparties significatives.
La seconde question est d'ordre économique : qui bénéficie, en la matière, du protocole de Londres ? Ses partisans affirment qu'il permettra de réduire le coût de dépôt des brevets. C'est exact, car une entreprise qui veut aujourd'hui protéger son brevet dans tous les États membres doit financer vingt deux traductions. En revanche, il faut aussi noter que les économies seront limitées, car les coûts de validation, notamment pour les PME, sont peu élevés et la validation dans les principaux pays suffit à obtenir de fait un monopole sur l'ensemble de l’Union européenne. La question porte davantage, à mon sens, sur le transfert de la charge financière de l'information. Alors que cette charge incombe actuellement au détenteur du brevet, avec le protocole, ce sont les concurrents qui devront payer pour obtenir une traduction exacte du brevet.
Dès lors, on ne peut démontrer ni que le protocole de Londres permet de faire des économies, ni qu’il fait perdre de l'argent. Il fait les deux simultanément, et le tout est de savoir pour qui. S’agissant des économies, il aurait fallu, pour trancher, procéder à des investigations plus poussées, comme l'avait demandé mon groupe. Quant à la charge financière nouvelle, il est clair que le protocole avantage en premier lieu les grandes entreprises, le bénéfice pour les PME étant moins assuré. II est néanmoins possible de faire le pari, d’une part, que l'abaissement des coûts de dépôt encouragera les PME françaises à innover davantage, permettant de nous rapprocher du niveau américain, et d’autre part que cela aura un effet global d'entraînement sur l'économie française.
La troisième question est d'ordre symbolique et culturel : la ratification du protocole de Londres permettra-t-elle de conforter la francophonie ? Les États signataires dont la langue n’est pas parmi les trois définies pourront certes déposer leurs brevets européens en français, mais je ne suis pas persuadé qu’ils se servent beaucoup de cette possibilité. D’un autre côté, le texte ne conduira pas non plus les entreprises françaises à abandonner le français comme langue de premier dépôt. Je note aussi que les revendications devront être traduites dans les trois langues officielles. Je suis sensible, enfin, à l'argument du pire : si nous ne ratifions pas, les autres États pourront toujours se mettre d'accord pour imposer un système fondé sur l'anglais. Sans s'accrocher à un monolinguisme de repli, on peut être attaché à la francophonie et considérer que le texte présente des garanties suffisantes dans ce domaine.
Pour finir, j'aimerais évoquer d'autres pistes, qui restent à approfondir. Il conviendrait ainsi de baisser les annuités, et de s’attaquer aux causes du déficit de dépôt de brevet par la France telles que l’insuffisance de l’investissement en recherche et développement ou l’absence de « culture brevet ». Il faut aussi élaborer des garde-fous, et surtout réinvestir la sphère communautaire : les carences du brevet européen peuvent être mises sur le compte d'une absence de choix clair, de la part des gouvernements, entre échelon national et communautaire. Le compromis obtenu est boiteux, et les discussions qui sont en cours n’ont pour l’instant pas abouti. Le brevet communautaire sera pourtant un outil de politique industrielle et d'encouragement à l'innovation indispensable si nous voulons rattraper notre retard sur les États-Unis. Donnons-nous les moyens d'avancer sur cette question !
Ce texte présente donc des zones d'incertitude qu'il aurait certainement fallu éclaircir au lieu d'avancer au pas de course, et qui ont donné lieu à des discussions difficiles. Mon groupe considère que ce texte n'aurait pas du être examiné en session extraordinaire. Il a néanmoins conscience de ses responsabilités et votera en faveur du protocole de Londres, sans enthousiasme mais sans intention non plus d’obstruction (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe UMP).
M. Yves Cochet – Cet accord conclu à Londres en 2000 laisse croire, sur le papier, à un manifeste pro-francophonie, en faisant du français une des alternatives obligées dans le dépôt des brevets. Mais il contient aussi des vices cachés.
Aujourd’hui, moins de 6 % des brevets européens sont déposés en français, et environ 25 % en allemand et 70 % en anglais. L’INSERM, par exemple, dépose déjà 85 % de ses brevets directement en anglais ! Mais les difficultés économiques de la France sont-elles réellement dues au petit nombre de brevets déposés en langue française ? On ne peut de bonne foi lier les deux, sachant que le taux de consultation des brevets n'est que de 2 % – le caractère vieillot de l'OEB, qui ne numérise pas les textes, n’arrangeant pas les choses. En revanche, dans la logique actuelle de marchandisation de la propriété intellectuelle, l'adoption de ce protocole encouragerait la disparition du français comme langue d'expertise technique. Faute de réciprocité, il incite en effet les entreprises et les centres de recherche français à déposer directement leurs dossiers en anglais.
Avec le régime de traduction actuel, absolument tous les brevets sont disponibles en français. Ce ne serait bientôt plus le cas que de 6,5 % d’entre eux. En effet, les pays dont la langue officielle est une des trois de l'OEB, c’est-à-dire l'anglais, le français ou l'allemand, n'exigeraient plus de traduction dans leur langue nationale : la France ne serait plus à même de réclamer une traduction. Parallèlement, d'autres pays importants, comme l’Italie, l’Autriche ou l’Espagne, pourraient bénéficier d'une traduction dans leur langue nationale même pour les brevets d'origine française. Ces mêmes pays dont la langue officielle ne fait pas partie des trois langues de l'OEB devraient en choisir une comme « langue prescrite ». Qui ose prétendre que le français serait communément choisi, devant l’anglais – ou plutôt le sous-anglais utilisé dans les documents techniques ? En réalité, les véritables bénéficiaires de ce protocole seraient les entreprises américaines ou asiatiques, que les coûts d'accès allégés du marché européen encourageraient à déposer des brevets en Europe pour faire entrave à leurs concurrents.
Pour ce qui est des économies liées à la réduction des frais de traduction, une enquête réalisée pour le compte de l'OEB évalue le coût total d'obtention d'un brevet standard à 26 630 euros, dont moins de 15 % pour les coûts de traduction : on est très loin des 40 % annoncés par le Medef ! Le coût des brevets est donc une fausse excuse. À l’inverse, le protocole de Londres pourrait engendrer des frais nouveaux de veille technologique : sa ratification affaiblirait la filière française de la propriété industrielle et affecterait l’attractivité du droit français et de la place de la France, qui conditionnent son attractivité économique.
J'ai fait le choix de m'opposer à ce texte, comme le collectif présidé par le professeur Claude Hagège, le Conseil national des barreaux ou l'Académie française, car je refuse de ne considérer que l'efficacité économique.
M. Marc Dolez – Très bien !
M. Yves Cochet – Face à un projet qui entend rationaliser la gestion du business des brevets, nous devons nous efforcer de penser aux conséquences culturelles. Avec ce protocole, les mots nouveaux des brevets d'invention n'existeraient plus qu'en anglais. Sans compter, d’un point de vue éthique, qu’il est fondé sur la logique d’une langue plus importante et plus légitime que les autres. Ce système engendrerait une profonde inégalité entre les États, et serait en contradiction avec la politique linguistique européenne. Rappelons-nous la devise de l'Union : « Unis dans la diversité. » Plus encore qu'une menace pour la langue française, ce protocole est une menace pour le multilinguisme européen. Symboliquement comme en pratique, il appelle à une uniformisation de la communication, à un effacement du patrimoine linguistique. Nos voisins l'ont bien compris puisque sur trente et un pays, seulement treize ont accepté de le ratifier. Seuls la France et le Luxembourg l’ont signé. La ratification de la France étant indispensable à l’entrée en vigueur de ce texte, je vous appelle, mes chers collègues, à voter contre !
M. Jean-Pierre Brard et M. Marc Dolez – Très bien !
M. Christian Blanc – Je voudrais tout d’abord vous faire part de mon étonnement : pourquoi, comment cette ratification a-t-elle pu autant tarder ? C’est ma seule question.
M. Pascal Clément – C’est une vraie question !
M. Christian Blanc – La stratégie de Lisbonne – faire de l’Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique – restera en effet un vœu pieux si nous ne nous donnons pas les moyens d'y parvenir. La nécessité de créer un brevet permettant de protéger notre innovation et nos capacités de recherche-développement dans tout le marché intérieur de l'Union devient tout simplement impérieuse. Le brevet européen est en effet trop cher comparativement aux principaux partenaires commerciaux de l'Europe. Son coût est rédhibitoire pour de nombreux chercheurs, entreprises technologiques et PME, qui renoncent à protéger leurs inventions.
Les PME-PMI représentent moins du quart des dépôts de brevets effectués en France par des entreprises françaises. Le brevet coûte en effet quatre à cinq fois plus cher qu'un brevet américain et trois fois plus cher qu'un brevet japonais.
La principale raison en est qu’il faut fournir des traductions dans toutes les langues des pays où la protection est revendiquée. Selon l’Office européen des brevets, cette obligation représente environ 30 % du coût actuel du brevet européen. En limitant les exigences de traduction, le protocole de Londres permettra de réduire fortement les coûts de traduction/ validation et, partant, le coût d'accès au brevet européen.
La réduction du nombre des traductions soulève la question de l'avenir économique de la profession de traducteur. En France, les traducteurs spécialisés, au nombre de 200 à 300, et les conseils en propriété industrielle, au nombre de 500, tirent une grande partie de leurs revenus des traductions de brevets. Leurs craintes sont donc compréhensibles. Un excellent rapport de Georges Vianès en 2001 propose des mesures de sauvegarde permettant de limiter l’incidence de la ratification du protocole pour ces professions. Notre rapporteur a manifesté la volonté d’en reprendre certaines, et nous le suivrons sur ce point.
S’agissant de l’enjeu linguistique, il faut rappeler que le protocole de Londres place le français au rang de langue officielle au même titre que l'anglais et l'allemand. Avec cet accord, un brevet rédigé en français deviendra valable dans l'ensemble des pays ayant ratifié le protocole. Aussi prétendre, comme certains, que ce protocole consacre l'hégémonie linguistique anglo-saxonne est-il inexact. Cela permettra au contraire de l’éviter.
Si aujourd'hui, moins de 6 % des brevets européens sont déposés en français, la raison en est sans doute moins l'hégémonie de l’anglais que la difficulté de notre pays à construire une économie de recherche-développement moderne, répondant aux exigences actuelles de la mondialisation.
M. Michel Piron – Tout à fait !
M. Christian Blanc – Demain, un brevet déposé en français, qui contiendra nécessairement un vocabulaire technique innovant, pourra être déposé sans être accompagné d’une traduction en anglais. Le français deviendra alors une langue de l'innovation à part entière.
M. Jean-Pierre Brard – Vous y croyez vraiment ?
M. Christian Blanc – Mais bien sûr, je suis parfaitement sincère.
Aujourd'hui, la ratification et la mise en œuvre de l'accord du protocole de Londres est bloquée par un certain nombre de pays européens, membres de l'Organisation européenne des brevets, dont la France. Ce protocole relève pourtant d'une initiative française qui faisait l’objet d’un consensus politique. Comment dès lors justifier aujourd’hui l’opposition de notre pays à la ratification ?
La volonté du Président de la République de relancer la dynamique européenne avec la ratification d'un traité simplifié doit trouver des échos dans des domaines aussi importants que ceux de la stratégie de Lisbonne. La France, qui présidera l'Union européenne en juillet prochain, doit retrouver sa place de locomotive dans l’Union et envoyer par cette ratification, un message fort à ses partenaires européens.
L’enjeu est de taille pour nous, Français. En effet, si cet accord n'est pas ratifié, d’autres solutions seront envisagées, elles le sont d’ores et déjà, pour réduire les coûts de dépôt et de traduction. Notre renonciation aurait comme conséquence irrémédiable de favoriser l'anglais et de nous placer définitivement en retrait. Nous obtiendrions ainsi l'effet inverse de celui que nous recherchons tous.
Je voudrais conclure en rappelant qu'aujourd'hui, en Europe, seule une PME sur quatre dépose un brevet, contre une sur deux aux États-Unis. Or, il ne peut y avoir de croissance sans innovation. C'est pourquoi l'accord de Londres constitue un outil si précieux. Nous demeurons certes soucieux, au Nouveau centre, de la protection de notre diversité culturelle et linguistique. Mais puisque l'accord de Londres écarte l'utilisation exclusive de l'anglais et maintient le français comme langue officielle, nous estimons qu'il s’agit d’un accord protecteur.
Ce texte ne doit cependant pas éluder un débat plus large sur la nécessité de réformes structurelles permettant le déploiement d'une économie de la connaissance et de l'innovation qui, seule, servira la compétitivité économique et le rayonnement culturel de notre pays.
Le groupe Nouveau centre s'est prononcé à l’unanimité moins une voix en faveur de la ratification de l'accord de Londres (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. François Goulard – Je voudrais dire mon étonnement , quant à moi, devant le tour qu’a pris et continue de prendre dans notre pays le débat sur l’accord de Londres. Alors qu’il s’agit d’un sujet technique, dont la portée ne doit être exagérée ni en bien ni en mal, c’est comme si le sort de la nation était en jeu. Dans aucun autre pays européen, un tel débat n’aurait ou n’a eu lieu.
M. Marc Dolez – La France a été la seule à faire la Révolution !
M. François Goulard – Tous ceux qui ont à connaître des brevets sont favorables à la ratification de l’accord de Londres.
M. Jean-Pierre Brard – Le mimétisme n’est pas une bonne politique !
M. François Goulard – Parmi les opposants au protocole, on trouve bien sûr les traducteurs, professionnels qui subiraient directement une baisse de leur chiffre d’affaires. Leur réaction est légitime et des mesures d’accompagnement, dont certaines figurent dans le rapport, seront bienvenues. On trouve également quelques écrivains, quelques hommes ou femmes de science, mais tous spécialistes de discipline où l’on ne dépose pas de brevets. On ne trouve en revanche aucun représentant d’aucun milieu ayant la pratique des brevets.
M. Jacques Myard – J’ai ici toute une liste de PME qui y sont opposées !
M. François Goulard – La ratification de l’accord de Londres par notre pays revêt une importance particulière car c’est lui qui peut provoquer l’entrée en vigueur de l’accord. Or, si cet accord n’est pas ratifié, le risque est qu’un autre ne soit adopté, à notre détriment.
M. Jacques Myard – Il n’y a aucun risque !
M. François Goulard – Quoi qu’en pensent certains, cet accord est favorable au français. Il consolide en effet la place de notre langue comme l’une des trois langues officielles de la propriété intellectuelle en Europe. Mieux encore, il permet que, pour une partie des brevets, le français fasse foi dans certains pays européens où est aujourd’hui exigée une traduction intégrale. C’est pour notre langue une avancée - qui n’est certes pas considérable, mais incontestable. On comprend qu’un Espagnol, un Italien ou un Portugais soit opposé à cet accord qui reconnaît un statut privilégié à trois langues seulement – l’allemand, l’anglais et le français – , mais pas un Français.
La reconnaissance de notre langue comme langue officielle pour le dépôt de brevets européens a été rendue possible tout d’abord par le poids politique de notre pays en Europe, mais aussi parce que nous sommes, juste derrière l’Allemagne, premier pays européen pour la recherche et juste devant le Royaume-Uni, l’un des trois grands pays de science en Europe. L’accord de Londres a été remarquablement négocié par le gouvernement de Lionel Jospin qui a su préserver les intérêts de la France - il est assez rare que je rende hommage à l’œuvre de ce gouvernement pour que cela mérite d’être souligné (Sourires).
La tendance actuelle n’est pas favorable au français.
M. Jean-Pierre Brard – Parce que nous renonçons !
M. François Goulard – Pas un colloque scientifique de niveau international ne se tient en français et toutes les publications scientifiques de haut niveau sont en anglais.
M. Jacques Myard – Est-ce une raison pour nous coucher ?
M. François Goulard – Il est donc important que le français maintienne sa position en matière de brevets.
L’accord de Londres, en limitant le nombre de traductions exigées, réduira le coût du dépôt d’un brevet, j’en veux pour preuve la protestation des traducteurs et des cabinets de conseil en propriété intellectuelle. Il faudra certes aller plus loin encore pour abaisser le coût du brevet européen, aujourd’hui beaucoup plus cher qu’un brevet américain ou japonais, et s’engager résolument en faveur du brevet communautaire. Il n’empêche que l’accord de Londres représente un progrès particulièrement important pour nos entreprises, notamment nos PME, qui n’ont pas assez la culture du brevet et de la protection de la propriété intellectuelle. Il en va de même de nos organismes de recherche, même s’ils ont réalisé des progrès en la matière, et de nos universités.
Sur le plan juridique, la décision du Conseil constitutionnel ne peut que nous rassurer. Il a jugé le protocole conforme à notre Constitution parce que les revendications seront bien traduites en français et qu’en cas de contentieux la traduction sera obligatoire, aux frais du déposant.
Certains se sont inquiétés du recul de la veille technologique des PME. Mais pensent-ils vraiment qu’une entreprise préoccupée du problème attend la traduction en français d’un brevet déposé en anglais ? La veille technologique s’effectue désormais au jour le jour sur Internet, et ceux qui ne connaissent pas l’anglais sont bien en peine de l’assurer ! (Applaudissements sur la plupart bancs du groupe UMP)
J’interprète la réaction de certains comme de la frilosité et une peur de l’ouverture.
M. Jean-Pierre Brard – Vous, vous êtes prêts à vous prostituer ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)
M. François Goulard – Il serait illusoire de vouloir protéger notre langue comme on protège un monument historique. En effet, une langue est vivante, et c’est par le dynamisme du pays qui la pratique qu’elle est le mieux défendue. En ce domaine, obligations et interdictions sont vaines. Le combat est perdu d’avance (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe UMP). C’est en ayant des entreprises françaises fortes sur le plan international que l’on défendra le mieux le français. C’est parce que nous saurons attirer des étudiants et des chercheurs étrangers que nous assurerons le rayonnement de notre langue dans le monde car, s’ils ne le connaissent pas au départ, ils l’apprendront et seront devenus au bout de quelques années francophones et défenseurs de notre langue et de notre culture.
Je suis convaincu que le français, grande langue de culture, de littérature, mais aussi de science et d’économie, a encore un bel avenir. À nous de faire en sorte par notre dynamisme et les réussites de notre pays qu’il ait toute sa place aux côtés de l’anglais.
Si ce débat nous permet de sensibiliser nos compatriotes à la question de la protection de la propriété intellectuelle et industrielle, il n’aura pas été vain ; mais, de grâce, abandonnons le passé, auquel ne doit pas être condamnée la francophonie, et tournons-nous vers l’avenir, en vrais défenseurs de la langue française qui regardons la réalité en face ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. Christian Blanc – Très bien !
M. Didier Mathus – La complexité des sujets dont nous débattons a été plusieurs fois soulignée. Ainsi M. Moscovici a-t-il exprimé les interrogations et la diversité des positions du groupe socialiste, radical et citoyen, dont j’aimerais me faire à mon tour l’écho.
Je suis tout d’abord surpris d’assister, en cette session extraordinaire, à une véritable opération commando mobilisant trois représentants du Gouvernement, s’agissant d’un texte dont il est question depuis sept ans !
M. Jean-Pierre Brard – Pour les mauvaises causes, il faut des fantassins !
M. Didier Mathus – Je ne suis pas moins surpris, en particulier en écoutant M. Goulard, de constater que le seul horizon intellectuel que l’on offre au Parlement français se réduit à l’utilitarisme économique et au seul souci de la performance. Certes, que ne ferait-on pas pour aller chercher un point de croissance, comme vous n’avez cessé de le répéter ? Mais d’autres questions, non moins importantes sont en jeu.
En réalité, c’est le statut de langue scientifique et technique jusqu’alors dévolu au français qui est menacé, et avec lui la diversité linguistique. Toutes les explications que vous avez données, et qui nous ont fourni de beaux exemples de sabir techno-économique, n’ont pu masquer cette situation évidente. Elle résulte de la pression de grandes entreprises mondialisées, auxquelles profitent tous les efforts de remise en cause du français dans sa fonction de langue de description technique, et qui n’utilisent que le « globish » - global english -, à l’instar des deux entreprises françaises condamnées il y a deux semaines au titre de la loi Toubon – votée en 1994 par la majorité ! - parce qu’elles imposaient à leur direction l’usage quotidien de l’anglais. Ainsi M. Seillière affirmait-il il y a quelques années que la langue des affaires était l’anglais ; le Président de la République d’alors avait, me semble-t-il, protesté.
M. Jean-Pierre Brard – C’était un patriote, lui !
M. Didier Mathus – Si la justification économique du protocole n’est sans doute pas entièrement infondée – peut-être Air Liquide ou d’autres entreprises du CAC 40 ont-elles effectivement quelques dizaines de milliers d’euros à y gagner -, que représente-t-elle au regard des deux enjeux majeurs que constituent l’avenir de la propriété intellectuelle et la diversité linguistique ?
D’une part, l’avenir de la propriété et les échanges intellectuels fait déjà l’objet d’une bataille autour de la diffusion du savoir sur Internet ; la généralisation de l’anglais donne évidemment le dessus aux puissances anglo-saxonnes, armées du copyright, au point de menacer nos valeurs, qui ne sont pas uniquement mercantiles !
D’autre part, de même que la diversité du vivant, que nous nous sommes attachés il y a quelques années à protéger, nous devons désormais préserver la diversité linguistique, qui constitue elle aussi une richesse. Lui porter de mauvais coups, comme le fait le protocole de Londres en refusant d’y voir une priorité, c’est attaquer non seulement notre pays, mais le patrimoine de l’humanité dans son ensemble. Sans être un nostalgique du rayonnement de la langue française que Rivarol exaltait voici deux siècles dans son célèbre discours, et qui, à l’heure où c’est l’anglais qui s’est imposé, n’est plus qu’un souvenir, je n’accepte pas que les députés français aillent au-devant de cette évolution en s’abaissant à prêter main-forte à la destruction de la diversité linguistique (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).
M. Jean-Pierre Brard – M. Goulard a parlé d’un texte technique ; mais trois ministres pour faire de l’épicerie, voilà qui n’est guère crédible – à moins qu’il s’agisse d’épicerie de luxe ! (Sourires)
À vous en croire, la France aurait le beau rôle dans cette affaire, et sa responsabilité serait grande : qu’elle se prononce et l’entrée en vigueur du protocole est engagée. Pourtant, malgré la création d’un ministère de l’identité nationale, dont les débats sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration nous ont révélé la signification xénophobe, vous préférez l’anglais au français ! Lors de la campagne présidentielle, vous étiez entourés de brillants intellectuels – Johnny Hallyday, Doc Gynéco (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ; mais la France, c’est le général de Gaulle, c’est Romain Rolland, c’est Bossuet – auquel M. Copé, l’aiglon de Meaux, me fait presque songer (Sourires) -, que vous rognez et bradez au profit de l’anglais parce que votre cœur ne bat pas au rythme de l’héritage historique de la France !
Pire encore, vous encouragez notre Assemblée à violer une loi issue de votre majorité – vous avez beau jeu d’évoquer Lionel Jospin, oubliant les membres de l’UMP pour qui la France signifie encore quelque chose ! Je veux parler de la loi Toubon du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française et visant essentiellement à soutenir l’enrichissement de la langue et à confirmer l’obligation d’en faire usage. En outre, dans le sillage de la boulimie médiatique compulsive du Président de la République, vous vous apprêtez à violer également l’article 2 de la Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français (protestations sur les bancs du groupe UMP).
Ainsi, vous abdiquez, vous renoncez, vous capitulez, parce que vous tirez vos valeurs de la Bourse au lieu de les puiser à notre héritage historique et à notre capital intellectuel ! Vous vous agenouillez devant le veau d’or ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Je sais que M. Myard est d’accord avec moi (Sourires), ainsi que notre président, qui, malgré le silence auquel il est ici tenu, a signé les mêmes textes que moi !
En visant à réduire les coûts de dépôt d'un brevet européen afin d’augmenter le nombre de dépôts nationaux, ce protocole a pour but avoué de permettre aux multinationales de réaliser de substantielles économies – comme si elles étaient à quelques euros près !
Mme Françoise Hostalier – Ce sont les PME qui le demandent !
M. Jean-Pierre Brard – Madame Hostalier, vous étiez plus inspirée lors de nos débats de la semaine dernière ! (Sourires)
De très honorables institutions ont exprimé des avis défavorables et ont souligné les dangers de ce traité, mais peu vous chaut ! Ainsi l'Académie française déclarait-elle en 2001 : « Le français étant la langue de la République, la France ne peut accepter que les textes en langues étrangères aient force de droit sur son territoire. En fait, par le biais des brevets, se trouve une nouvelle fois posée la question que nul n'ose aborder de front : quelle langue, quelles langues doit parler l'Europe ? Économiser sur les traductions, c'est non seulement mettre en péril les langues nationales mais aussi amputer la plus irremplaçable richesse de notre continent : sa diversité. Pour ces raisons, l'Académie française demande solennellement aux pouvoirs publics de ne pas signer le protocole de Londres. »
« Pluralité », « pluralisme », voilà des mots qui vous donnent le grand frisson, parce que vous êtes enfermés dans la camisole anglo-saxonne et ne jurez plus que par elle ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP)
M. le Président – Il faut conclure.
M. Jean-Pierre Brard – On peut être antifrançais même avec un passeport français ; mais on trouve aussi des antifrançais à l’étranger – Berlusconi, Kaczyński, Thatcher, Aznar, Bush ! J’en terminerai (« ah » sur plusieurs bancs du groupe UMP) par une citation : « La langue française n'est pas indispensable ; le monde a bien vécu sans elle. Si elle devait céder la place, ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux la délaisseraient ». Ces lignes sont d’un homme dont il n’y a pas lieu d’être fier : M. Bernard Kouchner, dans un texte intitulé « L’anglais, avenir de la francophonie ».
M. François Loncle – C’est un turlupin !
M. François Goulard – C’est une déclaration de guerre à M. Kouchner !
M. Jean-Yves Le Déaut – Le brevet est d’abord un outil de protection et de valorisation de l’innovation. Il permet de rentabiliser les investissements considérables dans le domaine de la recherche et du développement. Rappelons qu’il comporte deux volets : la partie juridique, qui fixe le champ de la protection ; la description, qui sert à interpréter les revendications mais ne crée pas le droit.
Le brevet fait foi dans la langue dans laquelle il a été déposé. Or, tous les juristes reconnaissent que la sécurité juridique est plus grande en français que dans d’autres langues.
M. Jean-Pierre Brard – C’est évident !
M. Jean-Yves Le Déaut – Il existe un brevet national, enregistré auprès de l’INPI, mais il y a aussi un brevet européen depuis la signature de la convention de Munich, qui autorise depuis 1973 le recours à trois langues : l’anglais, l’allemand, mais aussi le français. Et c’est à l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin qu’une conférence intergouvernementale a débouché en 1999 sur l’accord de Londres, dont l’un des principaux objectifs était de réduire le coût des brevets.
En effet, il est vrai que si les organismes de recherche français déposent peu de brevets, c’est en raison de coûts trop importants (« Très bien » sur plusieurs bancs du groupe UMP).
M. Jean-Pierre Brard – Et parce qu’ils manquent de crédits !
M. Jean-Yves Le Déaut – Par ailleurs, un quart seulement des PME françaises déposent un brevet au cours de leur existence, contre la moitié aux États-Unis et 55 % au Japon. Enfin, la langue française perd du terrain : 75 % des brevets sont déposés en anglais, 18 % en allemand et seulement 7 % en français.
En ratifiant ce protocole, nous inscrirons dans le marbre la place juridiquement privilégiée accordée à notre langue (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP).
La première raison de voter ce projet de loi est de nature diplomatique : la diversité est une richesse, que personne n’entend brader.
M. Jean-Pierre Brard – Oh que si !
M. Jean-Yves Le Déaut – Or, il ne faut pas ignorer pas les risques d’affaiblissement de notre langue. Lors des discussions préalables à la conférence intergouvernementale, plusieurs pays, notamment la Suède et la Suisse, souhaitaient en effet que l’on se limite à l’anglais.
M. Michel Piron – Il est bon de le rappeler !
M. Jean-Yves Le Déaut – Par ailleurs, il est faux de penser que l’Italie et l’Espagne ne signeront pas l’accord, car elles ne souhaitent pas priver de rémunération leurs offices nationaux…
Un autre motif de voter ce texte est d’ordre linguistique. Contrairement à ce qui a été affirmé, ce protocole ne conduit pas au « tout-anglais » : les revendications, qui sont la partie la plus importante du brevet, seront en effet publiées en trois langues. Cela étant, nous insisterons pour que le Gouvernement conduise en matière de brevets une politique digne de ce nom, car la politique actuelle est très insuffisante.
J’ajoute que cet accord ouvre la voie au dépôt en français de brevets directement reconnus chez deux de nos principaux concurrents, l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui seront obligés de procéder à des traductions pour faire de la veille technologique. Il reste qu’il ne faut pas s’abriter derrière de faux arguments : 98 % des traductions techniques n’ont jamais été lues…
Le dernier argument est de nature technologique et industrielle : il est vrai qu’il existe un coût supplémentaire, qui dépend du nombre de traductions, mais il est faux de penser qu’il n’y aura plus de veille technologique. Elle aura lieu tout de suite, dès la demande de brevet, sans attendre que celui-ci soit délivré, en général au bout de cinq ans.
Ne nous égarons pas dans un faux débat, mes chers collègues : nous sommes tous en faveur de la langue française. C’est la qualité des traductions des revendications qui pose problème. Il faut donc revaloriser le salaire des traducteurs, diminuer les coûts et les délais d’obtention des brevets, soutenir les entreprises et les organismes de recherche qui déposent en français, mais aussi soutenir les efforts de traduction automatique – par exemple ceux qui sont déployés dans le centre de Nancy ! – et conforter l’enseignement du droit de la propriété intellectuelle à l’université.
Permettez-moi enfin d’exprimer un regret : l’Office européen des brevets a publié sur ce protocole un document en anglais, London Agreement to enter into force in first half of 2008, sans traduction dans les deux autres langues !
À la suite du CNRS, de l’Académie des sciences, de l’Académie des technologies et de l’INPI, le groupe socialiste vous appelle à voter ce texte ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe UMP)
M. Pascal Clément – Six ans après sa signature, le protocole de Londres n’a toujours pas été ratifié par la France. À écouter le Gouvernement, cet accord serait pourtant limpide. Sans être un maniaque de la francophilie, ni un empêcheur de ratifier en rond, je pense pour ma part qu’il y a matière à s’interroger sur ce texte.
Tout d’abord, est-ce une économie d’avoir trois langues officielles – l’anglais, l’allemand et le français ? Oui si l’on s’arrête au dépôt du brevet, mais sur la durée de quinze ans de la protection, le coût des taxes est bien supérieur au coût de traduction.
Est-ce utile pour la langue française ? Il faut arracher cette fausse barbe ! Seuls 7 % des brevets sont déposés en français et une entreprise réalisera des économies notables en déposant directement son brevet en anglais, langue préférée par les pays non signataires de l’accord. Plus de la moitié des brevets étant déjà déposés par les États-Unis et les Japonais, on peut parier que 99 % des brevets seront déposés en anglais dans cinq ans, à commencer par les multinationales françaises. L’ancien président du Medef ne reconnaissait-il pas d’ailleurs que l’anglais est la langue des entreprises ?
Le protocole de Londres est une fausse idée, car on croit à tort que le coût des brevets est ce qui arrête les PME. Or, outre la recherche et le développement, c’est la lutte contre la contrefaçon qui leur coûte le plus cher. Pour se protéger de la contrefaçon comme de procès en contrefaçon, les entreprises devront traduire la totalité des brevets. Votre erreur est de penser seulement au coût des brevets pour le déposant, coût qui est effectivement allégé, sans prendre en considération le coût pour les tiers, qui est en revanche alourdi.
Ce protocole renforce-t-il la sécurité juridique ? Le contentieux sera demain tributaire de la qualité de la description, sous la seule responsabilité du prétendant : la base juridique deviendra instable, seule l’interprétation du juge faisant foi. Les brevets sont certes moins coûteux aux États-Unis et au Japon, mais c’est le juge qui y assure la régulation.
Je regrette enfin que personne n’ait évoqué le projet de système EPLA de règlement des litiges relatifs aux brevets, qui n’est pas dépourvu de lien avec ce protocole. La France risque d’abandonner entièrement sa souveraineté en la matière, au profit d’une structure qui ne sera même pas communautaire.
Le professeur Jean Foyer, notre ancien collègue, a écrit que la ratification de cet accord était singulièrement inopportune. Telle est également mon appréciation (Applaudissements sur divers bancs).
M. Michel Vauzelle – S’agit-il, avec cet accord, de défendre les PME, auxquelles nous sommes tous attachés ? Mais cette défense requiert surtout des mesures financières ! S’agit-il alors de favoriser la recherche et de l’innovation ? Mieux vaut encore augmenter le budget consacré à ces politiques…
Comment la représentation nationale, qui doit défendre tout ce qui est essentiel à la nation, notamment notre conception des droits de l’homme et du droit des peuples à disposer de leur culture, pourrait-elle accepter cet accord ? Ce serait porter atteinte à la liberté du peuple français de s’exprimer dans sa langue, mais aussi à la liberté de tant d’autres peuples francophones, auxquels nous ne devons pas adresser un message aussi négatif.
Il y a dans ce débat une véritable dimension éthique. Le Conseil constitutionnel jugera peut-être que la lettre de cet accord n’est pas contraire à l’article 2 de la Constitution – « Le français est la langue de la République » –, mais un vote positif de notre part violerait l’esprit de cet article, que j’ai eu l’occasion de défendre en qualité de garde des Sceaux lorsqu’il a été introduit dans notre loi fondamentale : nous ne pouvons pas accepter une vision de la mondialisation qui consisterait à faciliter l’usage de la langue anglaise et le règne de l’argent. Il faut au contraire défendre le droit de l’homme au respect de son identité, de sa culture et de sa langue.
Voilà ce qui est en jeu aujourd’hui. La mondialisation a des aspects positifs, mais elle a aussi celui du rouleau compresseur menaçant l’éthique qui est celle de la République : le droit de l’Homme à sa culture, à son identité et à sa langue (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).
MM. Jacques Myard et Nicolas Dupont-Aignan – Bravo !
M. Claude Birraux – Lors de la discussion de la loi sur la recherche, notre collègue Fourgous avait proposé de ratifier par voie d’amendement le protocole de Londres. Jugeant que c’était un cavalier, le Gouvernement s’y était opposé. Le ministre de la recherche avait alors suggéré que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques organise un débat sur ce protocole, ce qui fut fait sous la forme d’une audition publique le 11 mai 2006. M. Christian Pierret, négociateur de l’accord, avait alors avancé quatre raisons de ratifier cet accord, raisons que je fais miennes.
Tout d’abord, la recherche-développement et l’innovation sont les moteurs de la croissance. Il faut donc être offensif en défendant la propriété intellectuelle et industrielle. Nous devons vendre autre chose que le nouvel emballage d’un vieux produit. En France, une PME sur quatre dépose un brevet – contre une sur deux aux États-Unis et 55 % au Japon.
Deuxième raison de ratifier le protocole : la défense du français. Le français est langue officielle de l’OEB. Les publications des revendications se feront en français. La reconnaissance du français comme langue des sciences, de la technologie et de la bataille de l’économie est donc gravée dans le marbre. La situation actuelle le fragilise ; la ratification le renforce.
Troisième raison : la réduction des coûts. Selon l’INPI, 40 % de nos entreprises renoncent à déposer des brevets en raison de leur coût trop élevé. C’est surtout un problème pour les PME et les « start-up », c’est-à-dire là même où se gagne la bataille de l’innovation et du développement économique. On ne peut dire à la fois, cher intervenant de tout à l’heure, que l’on gagne à la marge sur le coût de dépôt du brevet et que le coût des traductions sera exorbitant pour les entreprises.
Quatrième raison de ratifier : l’intelligence économique est au cœur de la concurrence mondiale. L’accord de Londres permet d’améliorer les conditions de veille technologique. L’INPI publie un résumé en français des brevets lors de la publication et a prévu de rendre accessible en français la substance des brevets déposés à l’OEB.
Certes, il faut défendre le français. Mais nous le ferons mieux avec la télévision numérique, ou grâce aux lycées français à l’étranger, à l’Alliance Française et à l’accueil d’étudiants étrangers. En tant qu’ancien président du groupe d’amitié France-Pakistan, j’ai ainsi contribué à faciliter la venue dans notre pays de 140 étudiants pakistanais qui ont préparé des mastères dans nos universités.
Il s’agit de savoir si la France et l’Europe vont créer des conditions favorables à la recherche, à l’innovation et au développement des PME. Cela passe notamment par la création de parcs technologiques liés aux universités, dont nous avons discuté récemment ici : l’université Twente, fondée il y a vingt ans aux Pays-Bas sur les friches de l’industrie textile, a permis la création de 600 entreprises et de 6 000 emplois.
Nombreux sont ceux qui sont favorables à la ratification du protocole de Londres : la CGPME, le CNRS, le CEA, l’INSERM, l’Académie des technologies, le Conseil supérieur de la propriété industrielle… Le coût des traductions représente 3 millions d’euros par an pour le CNRS ; la ratification lui permettrait de le réduire de moitié.
Le vrai danger, Jean-Yves Le Déaut l’a rappelé, c’est la tentation du « tout-anglais ».
M. le Président – Il faut conclure.
M. Claude Birraux – Pour conforter le français et donner des vitamines aux PME et à l’innovation, je vous invite à voter en faveur de la ratification ! (Applaudissements sur divers bancs)
M. Alain Claeys – Je me félicite que l'Assemblée nationale puisse aujourd’hui débattre de la propriété intellectuelle, même si je regrette que ce soit dans le cadre d’une session extraordinaire. La propriété intellectuelle peut en effet être un outil de régulation de la mondialisation.
Il me semble que des confusions ont été faites cet après-midi. L’enjeu pour la France est d’éviter la marchandisation. Un brevet sert à constater une innovation technique précisément décrite. Le danger est qu’aujourd’hui, on tend à breveter de plus en plus – dans des domaines comme le logiciel – la connaissance plutôt que l’innovation. La France et l’Europe ont ici un combat à mener. Si cette dérive se confirmait, des rentes de situation se créeraient au détriment de nos laboratoires et de nos PMI.
La politique des brevets dépend aujourd’hui des trois offices américain, européen et japonais. Je regrette que la présence de la France à l’OEB ne soit que symbolique. Il est temps de le réinvestir, comme le souhaite d’ailleurs son président, Alain Pompidou. Le protocole de Londres nous le permettra. Si le français est encore langue officielle pour l’OEB, une bataille est engagée. Il s’agit de ne pas la perdre.
Il y a un combat à mener pour que l’Europe se dote d’une véritable politique de la propriété intellectuelle.
Je terminerai sur la francophonie, dont nous sommes tous des défenseurs. La notice d’un produit français doit être écrite en français. Nous parlions des étudiants. Il y a quelques années, j’avais constaté dans le cadre d’une étude que la France n’accueillait finalement que les étudiants étrangers parlant français. C’est une erreur. Au risque de provoquer, je pense qu’il faudrait dispenser des cours en anglais en première année d’université pour nous permettre d’accueillir des étudiants qui viendront apprendre le français (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). Cet accord est une étape sur le chemin qui nous mène à un brevet communautaire. Je me félicite donc que le groupe socialiste ait décidé de voter en faveur de sa ratification (Applaudissements sur divers bancs).
M. Lionel Tardy – Nous allons enfin clore le feuilleton de la ratification du protocole de Londres.
L'Union européenne a placé au coeur de sa stratégie économique la recherche et l'innovation, en cherchant à lever les obstacles qui pénalisent les entreprises. Le protocole de Londres vise ainsi à faciliter le dépôt des brevets, en limitant les coûts de traduction qui peuvent représenter jusqu’à 40 % du coût total d'un brevet. Un dépôt de brevet coûte autour de 27 000 euros, soit cinq fois plus que pour un brevet américain et trois fois plus que pour un brevet japonais. Ratifier cet accord est donc une nécessité pour nos PME, qui ne déposent que 12 % des brevets français. Réduire le nombre de langues dans lequel le brevet doit être traduit, c'est le rendre moins cher et permettre à nos PME de protéger leurs innovations à moindre coût. À l'heure où il ne peut plus y avoir de croissance sans innovation, c’est indispensable.
Ratifier cet accord, c'est aussi une question de crédibilité internationale pour la France. Depuis la signature de l’accord le 30 juin 2001, rien n’a été fait. Or, l'entrée en vigueur de cet accord est subordonnée à la ratification de la France. Nos tergiversations apparaissent au mieux ridicules, au pire arrogantes pour nos partenaires, qui peuvent avoir l'impression que la France se regarde une fois de plus le nombril et se moque du retard qu’elle leur fait subir.
Les opposants à la ratification agitent le drapeau de la francophonie, brandissent la menace d’un recul de la langue française et de l'influence de la France. Nous sommes dans l'irrationnel le plus complet ! Le Conseil constitutionnel ne s'y est d'ailleurs pas trompé, en déclarant le protocole conforme à notre Constitution.
La place du français est préservée, puisqu'il est l'une des trois langues officielles de l'Office européen, et qu'un brevet rédigé dans notre langue sera valable dans la plupart des pays membres de cette organisation, sans avoir à être traduit autrement qu'en anglais et en allemand, et seulement pour la partie des revendications, qui décrit le périmètre et la nature de l’invention et produit des effets de droit. Les revendications des brevets rédigés en anglais ou en allemand seront à l’inverse traduites en français.
Les descriptions sont beaucoup plus rarement consultées : sur 86 000 nouveaux brevets opposables en France chaque année, moins de 400 litiges se font jour, et c’est seulement dans 1,7 % des cas que les descriptions sont consultées. Elles seront traduites en français pour ces cas résiduels uniquement. Quelle économie pour nos PME !
La place de la langue française en Europe et dans le monde est le reflet de la position de notre pays, de sa puissance, de son image. Si l'usage du français recule, c'est parce que la France recule. Le meilleur moyen de s’y opposer est de rendre à la France son dynamisme. Parce que cet accord nous offre une chance unique de préserver le rayonnement de notre langue, je suis résolument pour sa ratification ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)
La discussion générale est close.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Certains se sont étonnés que trois ministres se trouvent présents au banc du Gouvernement.
M. Jacques Myard – Au banc des accusés !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – C’est une question de respect du Parlement, s’agissant d’un texte important pour nos PME, pour la science et la recherche.
Ce protocole marque une avancée dans la bataille mondiale pour la propriété intellectuelle et industrielle. Sa ratification est une première étape en vue de conforter notre modèle européen face aux États-Unis et au Japon. Cette étape devra être suivie par la création d’un véritable brevet communautaire ainsi que par l’ouverture de négociations pour faire de l’Office européen des brevets une institution plus politique et plus efficace. Et dans la mesure où nous souhaitons une juridiction communautaire, nous rejetons évidemment le système de l’EPLA.
Je regrette que M. Brard, qui a injustement attaqué M. Kouchner, ne soit plus parmi nous. M. Kouchner a écrit en 2006 un livre qui présente une évidence, à savoir que l’anglais est devenu la langue de la mondialisation, mais aussi dans lequel il préconise une démarche offensive de la francophonie, en proposant un trilinguisme qui puisse peser sur les évolutions internationales. C’est l’approche du protocole.
Ne caricaturons donc pas ses propos !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Je n’ai fait que le citer !
M. François Loncle – Ce ne serait pas la première fois que M. Kouchner dirait des bêtises !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Son parcours montre qu’il n’est pas un lâche, que c’est un homme d’honneur, qui s’est battu sur le terrain (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. François Loncle – Comme en Birmanie !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Je regrette que ceux qui se réclament de l’héritage de Guy Môquet se livrent à de telles outrances. Au-delà de nos divergences, il n’y a pas de bons et de mauvais Français ; le prétendre serait revenir aux périodes noires de notre histoire ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)
Mme la Ministre - Il est inexact de dire que tous les grands scientifiques de ce pays ont pris position contre la ratification du protocole de Londres : l’Académie des sciences, l’Académie des technologies, le CNRS, le CEA, l’INSERM se sont prononcés pour, ainsi, du reste, que la Confédération générale des petites et moyennes entreprises. N’en déplaise à certains, les PME savent ce qui est bon pour elles !
J’ai bien noté la demande d’une réflexion sur le fonctionnement de l’Office européen des brevets et sur l’amélioration de notre droit des brevets, et mon ministère veillera à ce qu’elle soit suivie d’effet.
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – M. Jouyet a eu raison de dire qu’il n’y avait pas de bons et de mauvais Français selon les positions des uns et des autres sur le protocole de Londres. Tous les arguments doivent être entendus.
Le coût des brevets influe inévitablement sur le nombre des dépôts. En France, la réduction de ce coût en 1996 a conduit à une augmentation du nombre des dépôts de 2,6 % par an. En septembre 2005, après la réduction par l’INPI de 25 % de ses principales redevances, au profit des PME et des centres de recherche, ce nombre a crû de 3,3 % par an. J’ai indiqué que cette politique serait poursuivie et étendue.
Prétendre que le protocole offrirait des avantages aux entreprises américaines n’est pas sérieux. Toute mesure renforçant le marché européen favorise d’abord les entreprises européennes, qui y ont l’essentiel de leurs débouchés.
Je tiens à rassurer M. Le Déaut, qui a brandi à la tribune un texte en anglais de l’OBE sur la ratification du protocole : ce texte a été traduit en français le jour même de sa publication. C’est quelque chose à quoi l’administration française veille de près.
M. Christian Blanc a soulevé la question des traducteurs. Il est indéniable que le nombre de traductions demandées va diminuer. Mon ministère est ouvert aux propositions avancées par la commission des affaires étrangères pour traiter ce problème, lequel ne saurait cependant nous empêcher de mener une politique volontariste en faveur de l’innovation et, donc, de ratifier le protocole de Londres (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. le Président - J’ai reçu de M. Jacques Myard une motion d’ajournement déposée en application de l’article 128, alinéa 2, du Règlement.
M. Jacques Myard – C’est l’honneur du député que de parler selon ses convictions, et je n’ai pas pour habitude de changer les miennes.
M. François Goulard – Hélas !
M. Jacques Myard – C’est son devoir de se lever pour dire : « Non ! », lorsqu’il estime que les intérêts de la nation sont en cause.
M. Bernard Deflesselles – Debout, Monsieur Myard ! (Rires)
M. Jacques Myard – Je suis debout, cher collègue, et si vous ne me voyez pas, vous m’entendrez !
Telle est l’attitude que j’ai toujours adoptée, et que je conserverai, même si je dois m’opposer à mes amis, avec qui je partage nombre de valeurs.
Il nous faudrait donc ratifier l’accord de Londres modifiant le régime linguistique de la convention sur le brevet européen. Pourtant, en juillet, Mme la ministre se félicitait des performances de la France, deuxième pays en Europe pour le dépôt des brevets. Et voici qu’aujourd’hui, soudain, rien ne va plus : les coûts des traductions seraient trop élevés. Attitude pour le moins incohérente…
Mme la Ministre - Non : nous ne voulons pas nous contenter de la deuxième place !
M. Jacques Myard – Nous devrions donc absolument ratifier ce protocole.
M. Bernard Deflesselles – C’est de bon sens.
M. Jacques Myard – Un bon sens à reculons… M. Novelli, dont d’autres propositions vont, elles, dans le bon sens, sait d’ailleurs très bien que ce protocole présenté comme un deux ex machina ne servira à rien. On nous dit que la baisse des coûts a permis au nombre de dépôts d’augmenter de 2 ou 3 %, mais c’est une quasi-stagnation ! Nouvel aveu d’inutilité…
À vrai dire, ce protocole présente au moins un avantage : nous n’aurons plus à exiger la traduction des descriptions de brevets allemands. Dont acte ! Pour le reste, on prétend que le coût du dépôt est un frein à l’innovation ; M. Jouyet s’indignait même ce matin qu’il y ait vingt-trois régimes linguistiques dans le système européen de brevets. Quelle manipulation ! Chacun sait que les brevets n’ont pas besoin d’être validés dans l’ensemble des États, mais dans les quatre ou cinq plus grands seulement, ouvrant ainsi l’accès à un vaste marché – et l’interdisant du même coup aux entreprises des petits pays. Voilà qui suffit à bloquer le système.
M. Nicolas Dupont-Aignan – Très bien !
M. Jacques Myard – Le brevet communautaire est inutile, puisque le système actuel fonctionne à peu de frais. En exigeant une validation dans tous les États membres, vous ne ferez qu’accroître les coûts, sauf à baisser les redevances.
On prétend que le coût des traductions, rédhibitoire, pourrait atteindre 40 % du coût du dépôt. Mais non ! La validation et la traduction n’ont lieu que trois ou quatre années après le dépôt à Munich, lorsque l’invention concernée est assurée d’emporter un marché de près de quatre cent millions d’habitants. Ce n’est que lorsque le brevet validé permet une exploitation en situation de monopole pour vingt ans que le coût de la traduction s’élève à 10 % du coût global.
J’ai ici la lettre d’un gérant de PME…
M. Jean-Michel Fourgous – Il y a deux millions et demi de PME en France !
M. Jacques Myard – …qui déplore le fait que la traduction, cheval de bataille du protocole de Londres, ne soit qu’une goutte d’eau dans l’océan des taxes imposées pour la protection des brevets. Et pour cause : 75 % du coût d’un brevet sont dus aux redevances à l’OEB, et non aux traductions, qui ne représentent dans les grands pays que 6 000 euros pour un coût total de 70 000.
M. Jean-Michel Fourgous – Le problème du coût se pose dès le dépôt, et non quelques années plus tard ! Avez-vous jamais déposé un seul brevet ?
M. Jacques Myard – Pas moins que vous ! La traduction n’est nécessaire qu’après validation par l’OEB.
M. Jean-Michel Fourgous – Elle est donc inutile, par-dessus le marché !
M. Jacques Myard – On prétend que la ratification française fera boule de neige ailleurs. C’est faux : vous ne convaincrez ni l’Espagne ni l’Italie, qui savent bien où est leur intérêt.
M. Jean-Michel Fourgous – N’essayez pas de faire croire qu’elles défendent votre position : elles préfèrent le tout-anglais !
M. Jacques Myard – Non : elles traduiront dans leurs langues. De surcroît, l’Autriche et l’Irlande ne participeront pas non plus à cet accord.
Mme la Ministre - L’Irlande l’a déjà signé.
M. Jacques Myard – J’en viens à l’asymétrie bien plus grave encore, entre le système mondial de l’OEB, et sur laquelle personne ne m’a répondu – M. le rapporteur a même prétendu qu’en l’espèce, les rapports avec les États-Unis ne nous concernaient pas. La belle affaire ! L’accord sur la coopération en matière de brevets de 1970 permet à un brevet européen de bénéficier d’une extension aux États-Unis – c’est d’ailleurs le cas de la plupart des brevets français déposés à Munich. La traduction anglaise est donc indispensable. Et la réciproque ? Nenni ! Avec l’accord de Londres, les brevets américains seront valides en France sans traduction (MM. Folliot et Dupont-Aignan applaudissent). Nous servons donc sur un plat d’argent un avantage immense aux Américains !
M. Jean-Michel Fourgous – Et voici le couplet antiaméricain !
M. Jacques Myard – Je ne suis pas antiaméricain, cher collègue ; je suis avant tout Français ! Les Américains ont parfaitement compris que le brevet n’était pas seulement un monopole d’exploitation, mais aussi une arme contre la concurrence – et c’est bien ce qu’il faudrait enseigner dans nos écoles de commerce ! La technique est simple : ils étendent à l’étranger un brevet valide entouré d’un chapelet de brevets sans valeur qu’il faut traduire pour vérifier. Nos entreprises sont ainsi confrontées à une forêt de brevets américains dont la plupart ne valent pas un clou. Combien de petits entrepreneurs français ont-ils ainsi été menacés de procès par des cabinets américains ? Mme la ministre a beau défendre les recherches d’antériorité qu’effectue l’OEB, celui-ci ne fait qu’appliquer une politique de boutiquier : plus nombreux sont les brevets acceptés, plus abondantes sont les redevances. La combinaison du protocole de Londres et de l’accord de 1970 instaurera donc une concurrence déloyale. Gribouille n’aurait pas fait mieux !
Ouvrons les yeux ! La France a déjà les brevets les moins chers d’Europe. Ce n’est pas en diminuant encore les coûts que vous en augmenterez le nombre.
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Ce n’est pas non plus en les augmentant… (Sourires)
M. Jacques Myard – Certes. Plus grave encore, Madame la ministre – je m’adresse à vous qui sortez d’une maison où quelques Hurons pensent encore le droit - : le problème soulevé par M. Vauzelle de l’accès au droit dans sa propre langue. Vous invoquez la traduction des revendications, fût-elle mauvaise voire incompréhensible. Sachez que 93 % des brevets traités à Munich sont libellés en anglais ou en allemand ; 27 % d’entre eux concernent la chimie lourde. Allez comprendre un brevet dans une telle discipline sans traduction : c’est coton ! Avez-vous déjà vu un brevet ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – On en a même déposé !
M. Jacques Myard – Alors vous avez un avantage sur moi.
M. Jean-Michel Fourgous – C’est à vous que cela ferait du bien !
M. Jacques Myard – J’ai travaillé sur la propriété intellectuelle avant vous.
D’après M. Jouyet, les revendications sont l’essentiel d’un brevet et les descriptions ne servent pas à grand-chose : cela lui sera reproché sa vie durant ! (Rires) J’ai ici un brevet dont je peux vous lire les revendications : elles sont rendues absolument incompréhensibles par des renvois incessants aux descriptions. Or, pour sept pages de revendications, il y en a cent soixante-dix-huit de descriptions ! Comment voulez-vous donc comprendre les unes sans les autres ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Mais vous aurez les descriptions !
M. Jacques Myard – Monsieur Jouyet, calmez-vous (Éclats de rire dans l’hémicycle).
M. le Président – Monsieur Myard, pas vous ! Pas ça !
M. Jean-Michel Fourgous – C’est vraiment Au théâtre ce soir.
M. Jacques Myard – Il n’est pas possible de comprendre la portée d’un brevet si vous ne disposez pas de la description dans votre langue.
M. Nicolas Dupont-Aignan – Très bien !
M. Jacques Myard – C’est une évidence ! Tous les conseils en brevets, tous les industriels le savent. Prétendre le contraire est une malhonnêteté intellectuelle. Il a fallu quatre ingénieurs musclés pour traduire le brevet japonais que j’ai ici ! C’est bien la preuve qu’une pauvre petite PME sera complètement perdue.
M. Jean-Michel Fourgous – Mais quel est le rapport ?
M. Jacques Myard – Si vous ne comprenez pas le rapport, c’est que vous n’avez pas compris ce qu’est un brevet.
Selon M. Goulard, l’important est la veille technologique. Dans ce domaine, les entreprises rencontrent de réels problèmes : les traductions ne sont faites en effet que si un brevet est validé, quatre ou cinq ans après son dépôt. On peut regretter que des traductions minimales, en dehors de la langue de travail, ne soient pas prévues dès l’origine. En vous focalisant sur les revendications, au détriment des descriptions, vous oubliez qu’un brevet vit vingt ans. Et les PME ont le plus grand mal à se retrouver dans cette masse – sachant qu’il y en a cent mille nouveaux par an. Au bout de cinq ans, elles n’auront rien vu de ce qui était en cours, incapables qu’elles sont d’avoir accès aux descriptions en langue anglaise – sans même parler de l’allemand. Se pose dès lors un problème constitutionnel grave : celui de l’accès au droit dans sa langue. Imaginons que je sois une PME française.
Plusieurs députés UMP - Une TPE ! (Rires)
M. Jacques Myard – Si vous voulez : small is beautiful !
Au bout de cinq ans, un Américain ou un Allemand me tombe sur le râble en m’accusant de contrefaçon – délit pénal ! Nous nous retrouvons au tribunal pour un procès. Mais je suis désolé, je n’ai pas su qu’il y avait contrefaçon parce que je n’ai rien compris au brevet ! On ne peut pas m’appliquer une loi pénale en se fondant sur une langue qui n’est pas la mienne ! C’est un problème grave, sur lequel le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé dans la fameuse décision que j’avais provoquée.
M. Jean-Michel Fourgous – Et qui a été rejetée.
M. Jacques Myard – Comme vous.
On va donc pouvoir condamner une entreprise française sur la base d’un texte étranger. Ne venez pas me dire qu’il sera traduit, parce que ce sera trop tard !
M. Jean-Michel Fourgous – Et cela arrivera dans combien de cas ?
M. Jacques Myard – La contrefaçon est un délit objectif et l’entreprise française sera définitivement coincée, sur la base d’un texte qu’elle n’a pas compris.
Nous avons tout à l’heure accepté la CBE 2000 – j’ai voté pour. Mais cette convention permet de modifier les revendications en fonction des descriptions, et de modifier la portée juridique du brevet en cours de vie, sans examen au fond par l’OEB. Cela veut dire, et c’est extrêmement important, que le brevet va évoluer en fonction des descriptions ! Il faut aller chercher dans les descriptions non traduites des éléments supplémentaires pour limiter la portée du brevet : c’est le sens de l’article 105 B. Cela crée une incertitude juridique majeure.
On entend dire que les descriptions sont très peu consultées : il y a tout de même 2 000 consultations par an.
M. Jean-Michel Fourgous – Nous n’avons pas les mêmes chiffres !
M. Jacques Myard – Je ne sais pas comment vous obtenez les vôtres. Cela signifie que 2 000 entreprises vont voir ce qu’il en est à l’INPI, ce qui est loin d’être négligeable – sans compter toutes celles qui sont découragées par la perspective d’avoir à fouiller dans le fatras de papiers de l’institut, à l’ère de Google. J’espère que l’INPI va recevoir des instructions très fermes pour la mise en ligne des brevets, traduits bien sûr.
Je vais maintenant soulever un point qui me reste en travers de la gorge : ce que vous oubliez soigneusement de dire, c’est que le chef de la mission française qui a signé le protocole en 2000 l’a fait en contradiction flagrante avec ses instructions ! Je connais ce milieu : j’ai trop souvent vu des hauts fonctionnaires français bafouer les intérêt nationaux. Je peux vous donner des noms ! Pourquoi le feraient-ils ? Parce qu’après avoir été directeur de l’INPI, on peut devenir directeur de l’OEB, et peut-être même plus encore, et que c’est plus facile en faisant risette aux Anglo-saxons ! Voilà ce qui s’est passé dans la signature du protocole de Londres : l’individu qui a lâché la langue française l’a fait en contrevenant aux instructions gouvernementales.
La langue française, c’est notre identité. Je voudrais vous mettre en garde : qu’on le veuille ou non, dans dix ans, la France aura une immense bibliothèque de brevets en anglais et un petit peu en allemand. Il n’y aura pas 10 % de publications françaises.
M. Jean-Michel Fourgous – C’est déjà le cas !
M. Jacques Myard – Pas du tout, ils sont tous traduits aujourd’hui ! Nous disposons aujourd’hui d’une phénoménale bibliothèque en langue française. Le protocole de Londres aboutira à ce que notre bibliothèque scientifique soit en langue anglaise et allemande. Voilà une avancée fantastique pour le français !
C’est très grave. Les hommes ne se battent pas pour le coût d’une traduction, mais ils peuvent se battre pour leur langue. La Belgique est en train d’imploser. La Yougoslavie a explosé à cause de querelles linguistiques. L’URSS pour partie aussi, et l’Autriche-Hongrie. Demain, je suis convaincu que les États-Unis auront un problème majeur avec la poussée des Hispanophones. Prenez garde. Une colère formidable est en train de monter dans les entreprises françaises, relayée par tous les syndicats, y compris de cadres, face à l’emploi de l’anglais. Cette ratification vient à un mauvais moment. Elle est perçue comme allant dans le sens du tout-anglais. Cette colère va se retourner contre vous – ça a déjà commencé !
Les bénéfices promis par le protocole de Londres sont donc parfaitement illusoires. Le faible nombre des dépôts en France est dû à l’absence d’enseignement – nous l’avons tellement clamé que vous commencez à l’entendre. Il est aussi dû, même si cela ne fait pas plaisir, au fait que les entreprises françaises n’ont pas confiance dans le système judiciaire français. Pourquoi déposer un brevet si on met dix ans à gagner un procès en contrefaçon ? C’est la raison pour laquelle les entreprises se concentrent sur leurs secrets de fabrication, qu’elles gardent jalousement.
On nous dit que si nous ne ratifions pas ce protocole, nous serons isolés. Et alors ?
M. François Goulard – Voilà ce que ça donne, d’être isolé !
M. Jacques Myard – Je suis très loin d’être isolé ! Vous avez juridiquement tort, et donc politiquement aussi. Aujourd’hui, le français est langue de l’OEB. Rien ne peut s’y opposer, même s’il y avait un accord germano-quelque-chose en ce sens. Relisez la convention de Vienne sur les traités : il n’y a aucun danger ! Alors, ça ne fait rien d’être isolé : quand on est seul, on tient bon, et on gagne ! (Applaudissements sur quelques bancs)
Mme la Ministre - M. Myard a évoqué mon appartenance à une belle maison qui défend le droit. À propos du principe du droit à plaider dans sa langue, je lui rappelle que le Conseil constitutionnel a considéré que le protocole de Londres ne portait pas atteinte à l’article de notre Constitution qui dispose que la langue de la République est le français.
M. Jacques Myard – Ce n’est pas de cela que je parlais !
Mme la Ministre - Si le Conseil constitutionnel avait estimé que le protocole de Londres portait atteinte au droit de plaider dans sa langue, il l’aurait jugé contraire à l’article 2 de notre Constitution. En cas de litige, la traduction du brevet sera obligatoire devant les juridictions françaises…
M. Jacques Myard – Ce sera trop tard !
Mme la Ministre - …et le coût de cette traduction sera à la charge du déposant.
Pour le reste, vous avez présenté les trois ministres présents au banc du Gouvernement comme vendus au tout-anglais.
M. Jacques Myard – Je n’ai pas dit cela.
Mme la Ministre - Vous avez en tout cas parlé de fonctionnaires se laissant acheter, ce qui est d’ailleurs injurieux à leur égard. Ce n’est pas le cas. Ce que nous voulons, c’est préserver la langue française dans le cadre du brevet européen.
Si en tant que ministre de l’enseignement supérieur, je souhaite développer le multilinguisme à l’université, c’est pour donner un avenir à nos jeunes, et non parce que je n’aime pas le français (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe UMP).
M. le Rapporteur – Monsieur Myard, vous avez reproché au protocole de Londres, à ses défenseurs, notamment à moi-même, d’être naïfs dans l’approche de la concurrence, et dit que ce texte désarmerait les entreprises françaises et européennes face à leurs concurrentes américaines et japonaises. C’est tout le contraire puisqu’il sera désormais possible, par le simple dépôt d’un brevet en français, de protéger son invention sur l’ensemble du marché européen. Or, pour nos entreprises, notamment les PME, l’essentiel est de se protéger sur leur marché. Ce n’est que dans un deuxième temps que se pose pour elles le problème de l’accès au marché américain, et ce n’est pas un scoop, Monsieur Myard, de dire que pour pénétrer ce marché, il leur faut traduire leurs brevets en anglais. Cela n’a rien à voir avec le protocole de Londres qui permettra au contraire à nos entreprises et à nos chercheurs de mieux défendre leur compétitivité.
Vous avez également prétendu que ce protocole portait atteinte à l’accès au droit dans la langue française. Je ne reviens pas sur la décision du Conseil constitutionnel qu’a excellemment rappelée la ministre, non plus que sur les garanties apportées en cas de litige. Que le français soit l’une des langues officielles de l’Office européen des brevets garantit à nos entreprises et nos chercheurs que le cœur du brevet, qui définit le champ de la propriété industrielle, sera systématiquement traduit en français. Pour que nos entreprises puissent assurer une veille technologique efficace, il faut que cette traduction en français ait lieu assez tôt, et tel sera bien le cas.
Vous vous êtes ensuite inquiété des conséquences de l’accord de Londres sur la place du français comme langue scientifique, prédisant l’apparition de bibliothèques avec des millions d’ouvrages scientifiques en anglais - mais elles existent déjà ! - et en allemand, sans d’ailleurs vous demander pourquoi l’Allemagne, qui a exactement le même problème linguistique que nous, a choisi de ratifier le protocole de Londres. Du seul fait qu’il demeure langue officielle de l’Office européen des brevets, privilège ô combien convoité et contesté par beaucoup de nos partenaires européens, le français verra son vocabulaire scientifique enrichi au fur et à mesure du dépôt des brevets. L’important pour nos amis francophones africains, québécois, belges ou suisses, est que le français demeure une langue scientifique et technologique.
« Qu’importe l’isolement ? », avez-vous dit enfin (M. Myard s’exclame). Il y a certes du panache dans votre attitude, celui de Don Quichotte défiant le monde entier. Mais il est du devoir de la représentation nationale de défendre avec lucidité les intérêts de la France en Europe. Notre isolement risquerait de favoriser l’évolution naturelle vers le tout-anglais. C’est pourquoi il est urgent de ratifier le protocole de Londres et donc de repousser cette motion d’ajournement. Les débats ont été riches et toutes les sensibilités ont pu s’exprimer depuis huit ans. Chacun a été suffisamment éclairé pour voter en son âme et conscience (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe UMP).
La motion d’ajournement, mise aux voix, n’est pas adoptée.
M. le Président – J’appelle maintenant, dans le texte du Gouvernement, l’article unique du projet de loi.
M. Jacques Myard – L’Assemblée va vraisemblablement ratifier ce protocole. Eh bien, je vous donne rendez-vous ici dans un ou deux ans pour un état des lieux objectif. Vous verrez alors que ce protocole n’aura servi à rien pour le dépôt des brevets. Je demanderai alors que notre pays dénonce ce qui est une ineptie.
M. Daniel Fasquelle – Si ce débat a suscité autant d’intérêt et même de passion, c’est qu’au-delà d’une question technique, il s’agit de la place de la France et du français en Europe, et de la capacité de nos entreprises à innover pour remporter demain la compétition économique, devenue européenne et mondiale.
Notre pays doit profiter du débat ouvert par la ratification de ce protocole pour prendre diverses initiatives à l’occasion de sa présidence de l’Union. Ainsi faudrait-il faire adopter sans retard le brevet communautaire et trouver un accord sur le dispositif judiciaire européen de lutte contre la contrefaçon, comme la Commission européenne en a d’ailleurs exprimé le souhait dans une communication d’avril 2007. C’est ainsi que nous pourrons faciliter la vie de nos entreprises et défendre au mieux nos intérêts, notamment linguistiques. Nous y sommes parvenus pour les marques, pour lesquelles il existe un règlement communautaire depuis décembre 1993. Il n’y a aucune raison que nous n’aboutissions pas en matière de brevets. Jean-Pierre Jouyet en est lui aussi convaincu. Je souhaite qu’il puisse faire régulièrement le point devant la délégation à l’Union européenne sur l’état d’avancement des discussions.
À l’échelon national, il faudra créer un environnement favorable à l’économie de la connaissance. Valérie Pecresse et Hervé Novelli s’y attachent. Outre l’importante loi sur les universités adoptée en juillet dernier, d’autres mesures d’accompagnement sont prévues, dont certaines ont été suggérées par notre rapporteur. Permettez-moi, en tant que juriste, d’en ajouter deux. Tout d’abord, il est indispensable d’améliorer le système judiciaire français de lutte contre la contrefaçon, notamment en créant une juridiction unique comme il en existe une pour les litiges relatifs au droit de la concurrence.
M. le Rapporteur – Tout à fait.
M. Daniel Fasquelle – La crainte d’années de procédure à l’issue incertaine décourage en effet au moins autant, sinon davantage, le dépôt de brevets que le coût de ceux-ci. Il faudrait en second lieu fusionner la profession de conseil en propriété industrielle avec celle d’avocat. Ce qui fait la force des Anglo-saxons, ce sont aussi leurs professionnels puissamment organisés.
M. le Rapporteur – Vous avez raison.
M. Daniel Fasquelle – Les nôtres sont aujourd’hui trop peu nombreux et trop isolés.
En conclusion, je voterai la ratification du protocole de Londres dans l’espoir qu’elle soit l’élément déclencheur nous permettant d’élaborer une législation nationale plus favorable à l’innovation et une législation communautaire encore davantage tournée vers l’économie de la connaissance et qui respecte la devise de l’Union européenne : « Unis dans la diversité » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Philippe Folliot – La présence de trois ministres au banc du Gouvernement atteste de l’importance du débat d’aujourd’hui, qui suscite des clivages au sein même des groupes.
Je me demande si on ne fait pas porter trop de responsabilités au protocole de Londres. Mettre en avant presque exclusivement la question de la traduction des brevets ne correspond pas à la réalité. L’un des principaux problèmes n’est-il pas que nos entreprises n’utilisent certes pas assez le dépôt de brevet pour se protéger contre la contrefaçon, mais aussi que le brevet est parfois utilisé de manière anti-concurrentielle ?
Les entreprises allemandes déposent trois fois plus de brevets que les nôtres, alors même que les règles actuellement en vigueur et les coûts de traduction qui en découlent sont les mêmes pour toutes. Ensuite, le coût de la traduction ne représente sur la durée que 10 % à 15 % du coût total du brevet : on ne peut donc tout lui imputer. Enfin, si nos PME veulent pouvoir assurer une veille technologique efficace, comme les brevets ne seront plus accessibles en français, elles devront soit embaucher des cadres anglophones ou germanophones, soit engager des dépenses de traduction. On a parlé des coûts de traduction pour les entreprises qui déposent des brevets, mais non pour celles qui les consultent.
Quant aux questions juridiques qui ont été abordées, s’agissant notamment de l’accès au droit, je ne suis guère convaincu par les arguments évoquant une traduction qui ne pourra venir que trop tard, une fois le contentieux engagé.
Nous devrions prêter davantage d’attention aux avis d’une institution – l’Académie française – dont on a coutume de dire qu’elle est composée de sages et qui est l’une des plus anciennes non de la République, mais de la nation ! Pourquoi ne pas nous inspirer de ceux qui préfèrent les lettres aux chiffres, l’esprit à l’argent, les principes durables aux gains immédiats ? S’agissant de deux villes – Munich et Londres – qui n’évoquent certes pas les mêmes souvenirs, ne renonçons pas à l’esprit de résistance !
Enfin, comme le disait Anatole France en 1921, « la langue française est une femme » (sourires), « et cette femme est si belle, si fière, si hardie, si touchante, si voluptueuse, si chaste, si noble, si familière, si folle, si sage, qu’on l’aime de toute son âme, et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle. » Ne donnons pas tort à Anatole France ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP)
M. Marc Dolez – Le vote auquel notre Assemblée s’apprête à procéder est sans doute le plus important de la législature, car il engage l’avenir de la langue française. Or le texte qui nous est soumis présente plusieurs dangers.
Tout d’abord, la réforme linguistique des régimes de brevet permettra de déposer en France des brevets rédigés dans l’une des trois langues de référence, sans obligation de traduction intégrale en français ; ainsi, la description pourra ne pas être traduite, alors qu’elle est aussi essentielle que les revendications puisqu’elle constitue la contrepartie de l’exclusivité d'exploitation conférée par le brevet, à tel point que de nombreuses causes de nullité ne sont liées qu’à elle seule. Refuser de le reconnaître, c’est méconnaître le droit !
Ensuite, le pourcentage de brevets s’appliquant en France et traduits en français passera de 100 % à 7 % seulement, puisque telle est la part des brevets actuellement déposés en français dans les pays signataires du protocole. Ainsi, aux frais liés au dépôt du brevet qui pèsent sur les PME innovantes s’ajouteront les frais de traduction qu’elles devront consentir pour se tenir informées du dépôt de brevets dans leur domaine.
Enfin, la terminologie technique et scientifique francophone subira des pertes inexorables, ce qui pénalisera le français sur la scène internationale. Loin d’alimenter une francophonie vivante, la ratification du protocole de Londres constitue ainsi une étape décisive vers l’abandon du français au profit du tout-anglais.
En somme, néfaste pour notre économie, néfaste pour nos entreprises, ce texte menace davantage encore le rayonnement de notre langue. Lorsque l’essentiel est en cause, chacun doit prendre ses responsabilités ; voilà pourquoi, au nom du respect de la diversité linguistique et de l’avenir de la francophonie, refusant de voir la France abdiquer sa souveraineté linguistique, je voterai résolument contre ce texte (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).
M. Nicolas Dupont-Aignan – Bravo !
M. Pierre Lequiller – Je suis étonné d’entendre des critiques aussi grandiloquentes et aussi paradoxales. M. Mathus prétendait tout à l’heure que l’examen du texte était mené au pas de course ; je rappelle – ce qui va dans le sens des propos de M. Birraux – que, dans un rapport publié dès mai 2006 dont j’avais eu, avec M. Daniel Garrigue, l’initiative, la délégation pour l’Union européenne s’est prononcée à l’unanimité moins une voix en faveur du protocole de Londres.
Il est également paradoxal d’accuser le protocole de brader la place de la langue française comme langue officielle de l’Office européen des brevets, alors qu’il la consacre. Le français est du reste la langue la plus parlée au sein de l’OEB, qui emploie 1 500 francophones sur 6 000 fonctionnaires.
Paradoxe encore que la référence à l’Italie et à l’Espagne, non signataires du texte, car c’est justement parce que ces deux pays, forts d’une langue prestigieuse et, dans le cas de l’Espagne, parlée dans de nombreux pays du monde, regrettent de ne pas la voir figurer au nombre des langues officielles de l’OEB qu’ils n’ont pas signé le protocole !
M. le Rapporteur – Il a raison !
M. Pierre Lequiller – Et nous nous tirerions une balle dans le pied en refusant de ratifier le protocole ? Nous devrions bien plutôt prendre exemple sur l’Allemagne, qui l’a ratifié parce qu’il consacre le statut de langue officielle de l’allemand.
Paradoxe enfin que les accusations adressées à un protocole qui, en abaissant le coût des brevets, favorisera en réalité aussi bien le dépôt de brevets par des PME que les travaux des chercheurs, de sorte qu’il a le soutien à la fois du CNRS, de l’Académie des sciences, de l’Académie des technologies et de la CGPME. Le français en sortira consolidé dans la perspective du futur budget communautaire – à cet égard, je souscris entièrement aux propos de M. Fasquelle.
N’oublions pas le contexte européen : ne décevons pas les attentes que nous suscitons, nous qui prétendons être au cœur de l’Europe ; ne donnons pas, contre nos intérêts, des signes de frilosité ! Au moment où nous cherchons à valoriser la recherche française et européenne grâce à la stratégie de Lisbonne, et à la veille de la présidence française de l’Union, la France doit au contraire être offensive et conquérante. Cela suppose que la place de la langue française dans les domaines de la recherche et de l’innovation dépende d’abord de l’importance et de la qualité de notre effort en matière de recherche - mise en place d’un réseau efficace d’accompagnement de nos PME, meilleure valorisation de la recherche publique. Efforçons-nous de renforcer la place de la recherche française en Europe et d’améliorer la recherche européenne afin de remédier à nos faiblesses en matière de dépôt de brevets, au lieu d’accuser les autres de problèmes qu’il ne tient qu’à nous de résoudre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
L’article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Agence spatiale européenne relatif à l’ensemble de lancement Soyouz au Centre spatial guyanais.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes – Les coopérations internationales de la France dans le domaine spatial permettent de développer des partenariats stratégiques privilégiés avec un grand nombre de nations : ainsi, de longue date, avec la Russie. L'une des perspectives majeures de cette coopération est le développement en commun d'une nouvelle génération de lanceurs, d’ici à 2020. L'implantation du lanceur Soyouz en Guyane, décidé lors du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne, le 27 mai 2003, à Paris, constitue aujourd'hui l'élément le plus visible de la volonté européenne et française de renforcer le partenariat avec la Russie. Ce projet permettra, dès 2008, d'accroître la flexibilité de l'offre de service de lancement européenne par l'association complémentaire d'Ariane 5 et de Soyouz.
À long terme, la coopération entre la France et la Russie s'articule autour d'un programme commun pluriannuel portant sur de futurs lanceurs, concrétisé en 2005 par la signature d'un accord qui prévoit l'étude et la réalisation de démonstrateurs technologiques. À plus court terme, cette coopération passe par l'installation du lanceur Soyouz en Guyane.
Le présent accord constitue le troisième volet juridique du projet d'implantation de la base de lancement dédiée aux lanceurs Soyouz au Centre spatial guyanais, après la signature, le 7 novembre 2003, d'un accord franco-russe relatif à la coopération à long terme dans le domaine du développement, de la réalisation et de l'utilisation des lanceurs et à l'implantation du lanceur Soyouz-ST au Centre spatial guyanais, et, le 19 janvier 2005, d'un accord sur le même sujet entre l'Agence spatiale européenne et l'Agence spatiale fédérale russe.
La signature de l'accord crée un certain nombre d'obligations pour la France en matière de sauvegarde des personnes et des biens, de renonciation mutuelle à recours et de régime de responsabilité. Ces engagements viennent compléter ceux que comportent les accords relatifs à l'exploitation du lanceur Ariane depuis le Centre spatial guyanais.
L'Agence spatiale européenne, dans le cadre des lancements Soyouz à Kourou, assume la responsabilité juridique de ses programmes et activités. Dans le cadre de l'exploitation commerciale de Soyouz, le Gouvernement français garantit l'Agence spatiale européenne - ESA - et ses États membres contre les réclamations de toute nature relatives à tout dommage causé à l'Agence ou à un de ses États membres, à un État tiers, à des ressortissants desdits États et à toute autre personne du fait de l'exécution au Centre spatial guyanais d'activités de lancement.
L'exploitation du lanceur Soyouz-ST est également un élément stratégique de la politique spatiale de la France et de l'Europe. Cet accord consolidera en effet l'autonomie européenne de l'accès à l'espace en complétant la gamme des lanceurs développés par l'ESA et en lançant une coopération stratégique de long terme avec la Russie dans le secteur des lanceurs.
S’agissant des bénéfices commerciaux, nous disposerons dès 2008 d'une gamme de lanceurs complémentaires : à côté du petit lanceur Vega et du lanceur lourd Ariane 5, nous pourrons en effet lancer, grâce à Soyouz, des satellites moyens, de deux à trois tonnes. De cette façon, nous répondrons mieux aux exigences actuelles du marché.
Pour ce qui est des questions de sécurité, je tiens à rappeler que la protection des personnes, des biens et de l'environnement est la priorité absolue de nos activités. Tout lanceur utilisé au Centre spatial guyanais respectera les exigences réglementaires françaises.
Nouveau jalon dans la réalisation du programme « Soyouz au Centre spatial guyanais », dans lequel la France joue un rôle prépondérant, cet accord contribuera à consolider notre coopération avec la Fédération de Russie dans ce domaine d'excellence française que sont les lanceurs. C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir autoriser l'approbation de cet accord (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Mme Génisson remplace M. Salles au fauteuil présidentiel.
Mme Christiane Taubira, rapporteure de la commission des affaires étrangères – Je remercie le président de la commission pour la disponibilité dont il a bien voulu faire preuve, ainsi que pour les initiatives heureuses qu’il a prises afin de faciliter l’examen de cet accord. Toute ma gratitude va également à François Loncle, responsable des commissaires SRC, dont l’appui constant a joué un rôle déterminant.
Vous me permettrez tout d’abord de corriger un abus de langage : le lanceur russe Soyouz ne décollera pas de Kourou, mais d’une commune limitrophe, Sinnamary. Cette précision est nécessaire, car un lieu est un lieu, surtout quand il a été aménagé par plusieurs générations et quand certaines communes ont déjà été rayées de la carte de Guyane dans des conditions sur lesquelles je ne reviendrai pas, mais qui restent dans la mémoire vive des Guyanais.
Loin d’être une bourgade perdue, Sinnamary est un territoire de 1 340 kilomètres carrés, soit plus que la Martinique tout entière. Alors qu’elle compte moins de 3 000 habitants, cette commune a d’ailleurs avancé deux millions d’euros au CNES en 2003 pour commencer les travaux préliminaires d’accès à la base de lancement en attendant l’arrivée des fonds en provenance de l’ESA. Un tel effort, réalisé grâce à une avance du fonds régional de développement économique, n’était pas une mince affaire, surtout quand on connaît l’état d’enclavement et les indicateurs économiques et sociaux de la Guyane. Il n’est donc pas indifférent de citer le nom de Sinnamary…
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères – La précision est effectivement utile !
Mme la Rapporteure – J’en viens à l’accord qui été signé le 21 mars 2005, à la suite de l’accord entre le gouvernement français et celui de la Fédération de Russie, en date du 7 novembre 2003. Passé entre notre Gouvernement et l’Agence spatiale européenne, l’ESA, cet accord vise les déclarations de 2001 et 2004, respectivement relatives à la production d’Ariane et celle de Soyouz, ainsi que quatre résolutions adoptées par l’ESA et quatre accords, dont celui du 19 janvier 2007, qui lie l’ESA et l’agence russe Roscosmos.
Parmi ses quinze articles, six méritent une attention particulière. Véritable explication de texte, le premier d’entre eux établit les appellations et le rôle des différentes personnalités morales en jeu – le CNES, le Centre spatial guyanais, le CSG et Arianespace, qui est l’exploitant commercial. Les opérateurs sont, pour l’Europe, l’ESA, composée de 17 pays membres, et pour la Russie, Roscosmos.
L’article 3 définit les responsabilités du Gouvernement français en matière de sauvegarde, de sûreté et de protection des personnes et des biens. Cette mission est déléguée au CNES par le Gouvernement, qui doit donner son accord au développement du programme Soyouz, étant l’autorité d’immatriculation.
L’article 4 précise que le CNES est chargé d’appliquer les mesures de sécurité et de défense définies par le Gouvernement, tandis que l’article 5 établit les conditions d’accès et d’utilisation à l’ensemble de lancement, et introduit l’opérateur commercial Arianespace.
L’article 11 concerne les conditions de renonciation mutuelle à recours en matière de responsabilité, tout en précisant les conditions d’exclusion, notamment pour ce qui est de la propriété intellectuelle, des lésions corporelles et des décès. Enfin, l’article 13 est relatif à la résolution des différends par un tribunal arbitral.
Comme l’a indiqué le secrétaire d’État, l’objet de cet accord est de régler la coopération entre l’Agence spatiale européenne et le Gouvernement français, s’agissant notamment de Soyouz ST, lanceur moyen d’une capacité de 2,7 à 3 tonnes, la fréquence des lancements devant être de deux à quatre par an. Rappelons qu’Ariane est en revanche un lanceur lourd, d’une capacité deux fois plus importante.
M. Lecoq s’étant inquiété en commission des conséquences qu’aurait le recours au lanceur Soyouz sur le programme Ariane 5, nous avons interrogé le CNES, qui a indiqué qu’Arianespace aura intérêt à optimiser l’utilisation des deux systèmes de lancement, étant l’opérateur des deux programmes : puisque le lancement des gros satellites est son cœur de cible, Arianespace ne pourra que favoriser leur lancement, tout en programmant dans les intervalles le lancement de petits satellites, ce qui permettra de fidéliser, voire de capter la clientèle.
À cela s’ajoute le programme Vega, lanceur léger qui peut emporter des satellites de 300 kilogrammes à 1,7 tonne, programme facultatif placé sous leadership italien, auquel ne participeront que les États volontaires. Soyouz étant également un programme facultatif : il revient à chaque État de définir sa participation, la France étant le leader puisqu’elle fournit 63 % du budget total de 344 millions d’euros ; 121 millions seront consacrés en Russie pour des missions de développement et le reste pour des travaux en Guyane. Je reviendrai tout à l’heure sur la question du « juste retour industriel ».
Chacun se souvient que le programme Ariane 4 était également un programme de lanceurs moyens, ce qui peut susciter des interrogations : de 1988 à 2003, ce programme a en effet réussi 113 lancements sur 116, remplissant le rôle aujourd’hui dévolu à Soyouz. Il reste que le coût complet de Soyouz est de seulement 40 millions d’euros, contre 80 pour Ariane 4. J’ajoute que le taux de fiabilité affichée de Soyouz est de 96 à 98 % depuis 1957 contre 97 % pour Ariane 4 et 90 % pour Ariane 5 – 28 succès sur 31 lancements.
Cet accord présente un intérêt stratégique incontestable du point de vue de l’accès à l’espace, en dépit du renoncement à Ariane 4. À cela s’ajoute un véritable intérêt économique – 250 emplois, dont nous ne connaissons pas encore la répartition exacte. N’oublions pas toutefois que le leadership industriel de la France est parfois remis en cause par nos partenaires, qui contestent le juste retour industriel. Quant aux Russes, 360 emplois devraient leur être réservés en Guyane.
D’un point de vue commercial, ce programme garantit nos positions sur l’ensemble de la gamme de lanceurs. Sur le plan scientifique, nous allons également poursuivre la coopération lancée dès 1966, sous le général de Gaulle, en matière d’utilisation pacifique de l’espace. En 1982, une première mission commune de vol habité a eu lieu, puis cinq spationautes français ont été intégrés aux missions russes, notamment pour rejoindre la station Saliout 7, la station MIR et la station internationale ISS. Il y a également des perspectives scientifiques avec le programme d’interopérabilité entre Galileo et Glonass, ainsi qu’avec le GMES, initiative européenne pour l’environnement et la sécurité. Une participation au programme ACTS - système avancé de transport d’équipage - pourrait être décidée l’année prochaine. Il y a enfin les lanceurs du futur à l’horizon 2020.
Mme la Présidente - Il faudrait vous acheminer vers votre conclusion.
Mme la Rapporteure - Cet accord est donc satisfaisant pour les parties. Mais notre responsabilité d’élus doit nous conduire à nous pencher aussi sur les enjeux de santé publique et d’environnement.
Le lanceur Soyouz utilise essentiellement de l’oxygène liquide et du kérosène. Mais pour l’étage supérieur Frégate, on a besoin d’ergols stockables qui, en l’état actuel des connaissances, seraient sans impact ; j’aimerais en être sûre. Il existe deux différences majeures entre les lancements européens et russes : les premiers se font en direction de la mer - qui demeure un milieu vivant – et seuls l’étage supérieur et les satellites utiliseront des ergols stockables dans le programme Soyouz. La puissance publique doit prendre ses responsabilités en matière de protection de la santé en mettant en place des dispositifs de prévention, notamment des registres des pathologies liées à ce type d’activité industrielle et des cancers. Une étude qui a fait l’objet d’un article dans la revue Nature du 13 janvier 2005 émet en effet l’hypothèse d’une prévalence de troubles endocriniens et sanguins chez des enfants de l’Altaï, région située sur la trajectoire des fusées décollant de Baïkonour. Il s’agit certes de fusées Proton, mais cette étude nous invite tout de même à la vigilance.
Le CNES est certifié ISO 14001 : il s’acquitte de ses obligations en matière d’information.
Sur l’environnement, je rappelle que les deux ensembles de lancement sont classés « Seveso II ». Comme le commissaire enquêteur, l’inspecteur des installations classées a rendu en juin 2007 un avis favorable. La DIREN et la DAF avaient cependant émis des avis défavorables. La DIREN a finalement donné un avis favorable, sous réserve de celui du Conseil national de la protection de la nature. La Direction du travail a émis un avis favorable avec sept réserves, dont une portant sur le contrôle de la teneur en produits hydrazinés. La mairie de Sinnamary a émis un avis favorable avec deux réserves portant sur la santé et sur l’environnement.
Mme la Présidente - Veuillez maintenant conclure.
Mme la Rapporteure - La directive Seveso II, la Charte de l’environnement et la directive européenne de juin 2001, qui a été transposée en droit interne, nous créent des obligations. Les exigences de santé publique et de protection de l’environnement sont aujourd’hui renforcées. Des instruments existent. Il nous reste à mettre en place des outils de suivi et d’observation. Sous ses réserves, qui sont sérieuses, je vous propose d’approuver cet accord (Applaudissements sur de très nombreux bancs).
M. Jean-Paul Lecoq – La brillante intervention de Mme la rapporteure me dispense de revenir sur toutes les réserves qui peuvent être émises à l’encontre de cet accord.
Je regrette que notre pays ait abandonné le programme Ariane 4. On nous avait dit à l’époque que le lanceur Ariane 4 permettrait de lancer de gros satellites ou bien plusieurs petits satellites, et on nous dit maintenant qu’il nous manque un lanceur intermédiaire et qu’il faut un accord avec Soyouz. Bref, nous avons fait un beau cadeau aux Russes en échangeant Ariane 4 contre une collaboration avec Soyouz.
Je ne suis pas convaincu de la réponse du CNES sur les bénéfices économiques que nous tirerions de l’accord. Selon les entreprises de ma région qui, tout au long de la Seine, produisent les pièces - notamment les moteurs - d’Ariane 5 et de la fusée Ariane, rien ne dit qu’il y aura plus de lanceurs Ariane 5 à l’avenir. Il semble même que l’on utilisera plutôt Soyouz. Les syndicats s’en sont d’ailleurs inquiétés dès la signature de l’accord.
J’en viens à la santé - sujet que je connais bien puisque je suis maire de Gonfreville l’Orcher, commune située à proximité de dix-sept zones Seveso. Je pense comme Mme la rapporteure qu’il faut mettre en place dès maintenant un observatoire santé-environnement et des registres des pathologies et des cancers. N’attendons pas qu’il soit trop tard !
Je partage donc les réserves de Mme Taubira, et pour ma part je ne voterai pas pour l’approbation de cet accord.
M. Philippe Vitel – Il est bien difficile de s’exprimer après la brillante prestation de Mme la rapporteure, qui témoigne de son vibrant amour pour le département qu’elle représente. Félicitations !
Dès 2008, le lanceur russe Soyouz décollera du port spatial européen de Kourou et Sinnamary. C’est un événement historique, puisque ce sera la première fois qu’il s’élèvera depuis une autre base que Baïkonour ou Plessetsk. L’accord qu’il s’agit d’approuver s'inscrit dans la lignée des partenariats stratégiques que la France a déjà noués avec les grandes nations spatiales. Nous entretenons une coopération de longue date avec la Russie - entraînement de nos astronautes à la Cité des étoiles, interopérabilité des systèmes de satellites, vols habités. L’implantation du lanceur Soyouz en Guyane, décidée lors du Conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne du 27 mai 2003, en est l'aboutissement. Grâce à la position géographique particulière de la Guyane, Soyouz - dans sa nouvelle version - pourra lancer des charges utiles plus grosses.
Soyouz, c'est cinquante ans d'histoire. Ces vaisseaux spatiaux russes, imaginés par Sergueï Korolev et utilisés depuis 1957 pour les vols habités, furent à l'origine conçus dans une forme plus lourde pour des vols lunaires habités. Ils furent ensuite utilisés pour emmener les cosmonautes dans les stations Saliout et Mir et dans la station spatiale internationale. Soyouz est l'héritière de la célèbre fusée Sémiorka, à l'origine de nombreux exploits. Cinquante ans après son vol inaugural, la fusée de Korolev continue sa carrière. Toutes versions confondues, elle totalise plus de 1 800 exemplaires produits et lancés !
Alliant le lanceur le plus fiable du monde et la base de lancement la plus performante, le programme Soyouz en Guyane se dote de toutes les chances de réussite au sein de la nouvelle famille européenne composée des lanceurs Ariane et Vega. Issu d'une collaboration internationale inédite entre la France et la Russie, ce programme permettra de disposer d'un lanceur de moyenne gamme particulièrement bien adapté aux besoins européens, notamment pour les satellites de moins de 3 tonnes en orbite géostationnaire et pour les satellites en basse ou moyenne orbite comme Galileo.
En renforçant la coopération stratégique avec la Russie, ce programme pourra également assurer des vols habités depuis la base de lancement européenne, grâce à un lanceur à la technologie éprouvée, qui cumule plus de 1 800 vols depuis cinquante ans.
La Russie et l’Agence spatiale européenne ont signé, le 21 mars 2005, un accord par lequel l’Agence autorise la Russie à utiliser les infrastructures de Kourou pour le lancement de fusées Soyouz, et qui prévoit en outre le développement d’installations pour le lanceur russe.
Le coût du programme est de 344 millions, dont 121 millions, gérés par Arianespace et financés par la Russie, consacrés à l’amélioration du lanceur Soyouz, et 223 millions, financés par l’Agence spatiale européenne, soit les sept États participants – la France, l’Italie, la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la Suisse et l’Autriche –, consacrés à la construction de l’ensemble de lancement. La part de la France s’élève à 63 % ; celle de l’Union européenne devrait atteindre 9 %. La France montre ainsi une nouvelle fois qu’elle est une force d’impulsion dans le domaine spatial en Europe.
Ce projet de loi répond à deux enjeux majeurs. Le premier est un enjeu commercial : avec Soyouz en Guyane, l’Agence spatiale européenne dispose désormais d’une gamme complète de lanceurs, et Arianespace pourra consolider sa position de leader dans le lancement de satellites. Le second enjeu concerne la création d’emplois pour le développement régional, estimée à 250.
Nous ne pouvons donc que nous féliciter de cet accord et lui apporter un soutien enthousiaste (Applaudissements sur divers bancs).
La discussion générale est close.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Je présente mes excuses à la rapporteure pour l’oubli de Sinnamary.
Le projet de loi devrait créer entre 250 et 350 emplois, sans compter les emplois induits dans l’hôtellerie ou la restauration.
En ce qui concerne le lanceur Ariane 4, le maintien d’installations parallèles à celles d’Ariane 5 générait des coûts importants. Nous avons donc choisi, plutôt que de développer un projet trop ambitieux qui n’aurait pas été viable au regard des attentes du marché, d’adapter la gamme, avec des lanceurs destinés à des satellites plus légers.
Le lanceur Soyouz utilise pour sa propulsion de l’oxygène liquide et du kérosène, non toxiques. Les ergols stockables ne sont utilisés que par les étages supérieurs, donc à partir d’une altitude qui rend les retombées nulles à la surface terrestre. La toxicité de ces ergols est prise en compte au niveau des règles de sauvegarde, dans toutes les situations. L’étude britannique citée concerne essentiellement, quant à elle, le lanceur russe Proton.
Nous sommes particulièrement vigilants concernant la protection de l’environnement et de la santé des habitants de Sinnamary et de Kourou. Des missions de sauvegarde ont été créées pour la maîtrise des risques techniques, ainsi que des missions de sûreté et de protection. Enfin, deux instances veillent à la prévention des incidents : un secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles, créé en 1996, et des comités locaux d’information et de concertation. Nous sommes prêts à renforcer le dispositif, en concertation avec les élus locaux.
M. François Loncle – Les très pertinentes réserves formulées par la rapporteure plaident pour des contrôles permanents. Ce n’est pas faire offense à nos partenaires russes que de dire qu’ils n’ont jamais été des champions de l’environnement ! L’accord signé par MM. Chirac et Poutine en juillet 2001, à Samara, a été un beau cadeau fait à nos amis russes.
Je vous confirme les inquiétudes des salariés depuis la fin d’Ariane 4, mais les espoirs restent très grands quant à la suite du programme spatial français. Notre groupe votera donc ce projet de loi, tout en vous demandant, Monsieur le ministre, de faire droit aux demandes de Mme Taubira.
L'article unique du projet de loi, mis aux voix dans le texte du Sénat, est adopté.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada sur l’exploration et l’exploitation des champs d’hydrocarbures transfrontaliers.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes – L’objectif de l'accord franco-canadien est de fixer les modalités de coopération entre les deux pays en cas de découverte d'un gisement d’hydrocarbures transfrontalier au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Terre-Neuve et du Labrador, et d’établir un cadre d'opérations précis pour l'exploration et l'exploitation.
Depuis 1992, la France dispose d'une zone économique exclusive autour de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui pourrait contenir des gisements de pétrole ou de gaz naturel, dont il est peu probable, compte tenu de la forme de cette zone économique, qu'ils ne soient pas transfrontaliers. D'où la nécessité de définir un modus operandi avec le Canada.
Cet accord-cadre pose en principe la nécessité d'établir un accord d'exploitation en cas de découverte de gisement transfrontalier, et définit les moyens d'y parvenir. Il pose également le principe d'une gestion durable de la ressource. Il prévoit en outre l’élaboration d'un plan de développement et de valorisation économique au bénéfice des collectivités territoriales. Ainsi, les navires de Saint-Pierre-et-Miquelon pourront désormais ravitailler les plateformes pétrolières situées dans les eaux canadiennes. Ce qui fut longtemps un point de discorde avec le Canada est donc résolu par le présent accord.
En ce qui concerne l'exploitation, si le principe de répartition équitable a été retenu, la possibilité d'adapter les quotas au cas où de nouvelles données modifieraient l'évaluation initiale a été réservée. Enfin, cet accord prévoit une enceinte de dialogue, par la constitution d'un groupe de travail technique franco-canadien à la demande de l'une des parties.
Cet accord contribue au rapprochement entre la France et la Canada et favorise ainsi l'intégration harmonieuse de l’archipel dans son environnement géographique et économique immédiat. Il amorce également une coopération économique nécessaire au développement de l’emploi dans l’archipel. L’exploitation des fonds marins au large des provinces atlantiques canadiennes est prometteuse : plus de 22 % du pétrole de ce pays en proviennent, sans parler des accumulations de gaz naturel. N’en attendons pas trop, néanmoins : l’utilité de l’accord est soumise à la découverte effective d’hydrocarbures dans la zone de Saint-Pierre-et-Miquelon, où l’exploration n’en est qu’à sa phase initiale. Dans un esprit de concertation avec nos partenaires canadiens, le projet de loi permettra que cet espoir devienne réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Gérard Voisin, rapporteur de la commission des affaires étrangères – Je tiens avant tout à remercier Mme Girardin, dont l’éclairage si pertinent a largement nourri mon intervention. Je félicite également Mme Taubira pour la remarquable leçon d’expertise et d’intelligence qu’elle vient de nous donner. Nous débattons de sujets scientifiques complexes, et elle n’en a que plus de mérite.
Le potentiel du sous-sol maritime atlantique au large du Canada et l’enclavement de la zone économique de Saint-Pierre-et-Miquelon justifient le présent texte, qui vise à encadrer les futurs accords d’exploitation dans cette zone transfrontalière. Une meilleure coopération entre l’archipel et son grand voisin ne peut qu’être mutuellement bénéfique. En effet, les différends ont émaillé les relations entre nos deux pays depuis l’instauration en 1977 de la zone économique exclusive autour de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont le tribunal arbitral de New York a finalement fixé en 1992 la superficie à 12 400 kilomètres carrés. Enclavée dans les eaux canadiennes, elle est reliée aux eaux internationales par un étroit couloir. Hélas, cette délimitation a été modifiée par la décision unilatérale du Canada d’étendre en 1996 sa zone économique exclusive vers le plateau continental. Aux termes de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, la France doit déposer avant mai 2009 un dossier présentant ses revendications sur ledit plateau. Le Canada pourrait se prévaloir de l’absence de contestation de la modification effectuée en 1996 pour en revendiquer l’exploitation exclusive. Pourtant, le recul de la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon impose d’en diversifier l’économie. Or, le bassin sédimentaire laurentien contient des gisements d’hydrocarbures liquides, mais il n’y a à ce jour qu’un seul titre d’exploration au large de l’archipel.
L’accord franco-canadien ouvre une nouvelle ère de coopération. Il prévoit la procédure qui établira le caractère transfrontalier d’un gisement, et pourra servir aux futurs accords propres à chaque champ puisqu’il détermine la marche à suivre, de la délimitation au règlement des différends. Tout d’abord, chaque partie doit informer l’autre de tout forage exploratoire effectué à moins de dix milles de la frontière maritime. Une fois l’existence d’un gisement transfrontalier entérinée de part et d’autre et confirmée par une expertise, les deux parties se devront des informations concernant la zone qui leur échoit. L’exploitation dépend de la signature d’accords entre les deux pays, ainsi qu’entre les détenteurs de titres miniers, ceux-ci devant notamment préciser leurs droits respectifs et le partage des coûts et bénéfices. Le début de la production est soumis à l’approbation par les parties de plans de développement et de valorisation économique garantissant notamment le bénéfice économique qu’en tireront les collectivités concernées. L’exploitant unitaire informe également les parties de l’estimation et de la répartition des ressources. En matière environnementale, les parties doivent minimiser tout impact sur le milieu marin et côtier ainsi que tout dommage aux infrastructures terrestres et maritimes, et adopter un plan d’urgence en cas de pollution.
Un groupe de travail sera chargé d’examiner les questions techniques que soulève l’accord. Les différends de nature géologique seront soumis à un avis d’expert, tandis que ceux qui concernent le développement économique feront l’objet d’un arbitrage.
Je précise que le Canada n’a pas encore ratifié l’accord. Sa signature serait un premier pas vers la revitalisation économique de Saint-Pierre-et-Miquelon. Parce qu’il peut devenir un modèle de coopération et inspirer de futurs accords, je vous demande d’adopter ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères – La commission des affaires étrangères propose en effet l’adoption de cet accord important, parce qu’il illustre l’apaisement des relations maritimes entre la France et le Canada, parce qu’il inaugure une nouvelle forme de coopération en matière d’hydrocarbures et parce qu’il représente pour Saint-Pierre-et-Miquelon un vaste potentiel de développement. L’économie de l’archipel a beaucoup souffert de la sentence rendue par le tribunal arbitral de New York lui attribuant une zone maritime bien inférieure à nos revendications et, de surcroît, à faible rendement halieutique. Le « grand métier » – la pêche – a été touché plein fouet et la diversification économique est devenue un impératif. Les hydrocarbures peuvent permettre le redressement de l’archipel.
L’accord dont nous débattons en précise les conditions d’exploitation, mais il ne sera effectif qu’une fois délimités notre plateau continental et la zone économique exclusive canadienne.
Je tiens à rappeler qu’au nom de la commission des affaires étrangères, j'ai appelé par lettre l’attention de M. Bernard Kouchner sur la nécessité pour la France de ne pas laisser sans réaction officielle la revendication unilatérale du Canada modifiant son point de référence pour calculer l'étendue de sa zone économique exclusive. Cette prétention, exprimée en 1996, a notamment pour conséquence d'enclaver Saint-Pierre-et-Miquelon dans la zone économique exclusive canadienne et, in fine, de remettre en cause l'exploitation conjointe de gisements d'hydrocarbures transfrontaliers. La commission vous demande solennellement, Monsieur le ministre, de tenir le Parlement informé des démarches que la France entend entreprendre pour déclarer d'une part qu'elle ne reconnaît pas au Canada la fixation unilatérale de sa zone économique exclusive à partir de Sable Island et, d'autre part, qu'elle maintient fermement sa demande d'extension de son plateau continental devant les Nations unies – une demande qui doit impérativement être faite avant mai 2009 : nous comptons sur la diligence du Gouvernement.
Au bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères invite l’Assemblée à adopter ce texte, qui constitue une avancée indéniable pour les intérêts de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Mme la Présidente - J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la gauche démocrate et républicaine une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.
M. Yves Cochet – Ce protocole à l’objet très précis entre le Canada et la France a trait à d’éventuels différends qui pourraient surgir d’éventuelles découvertes d’hydrocarbures dans des zones dont on ne sait qui a le droit de les exploiter. Je voudrais donc vous faire part, puisque chacun aujourd’hui s’attache à être « réaliste », de la façon dont je vois la « réalité » de l’énergie dans le monde.
Une civilisation ne saurait survivre longtemps si elle ignore ou ne se prépare pas à la déplétion de sa base énergétique – ce que semblent faire non seulement la France, mais une bonne partie des gouvernements du monde : il suffit de se référer au triomphalisme de la France, dans sa grandeur nucléaire, ou à la conviction d’autres pays que l’exploitation des combustibles fossiles, notamment les hydrocarbures, assurera leur croissance pour de nombreuses années. Il est vrai que dans l’ouvrage publié tous les ans vers le mois d’octobre par l’Agence internationale de l’énergie, référence en la matière, des centaines d’experts de toutes spécialités expliquent que toutes les énergies du monde vont croître. Quelle illusion ! On fait des plans sur la comète – et dans tous les secteurs : technologique, économique, social… bref, politique – en croyant que cette croissance, à laquelle nous sommes drogués depuis la seconde guerre mondiale, va continuer pour encore longtemps.
La répartition de la consommation globale de la planète montre que la grande énergie du monde est le pétrole, pour environ 40 %. Deux autres se montent à 20 ou 22 % chacune : le gaz et le charbon. Les seuls fossiles représentent donc 82 à 84 % de l’énergie du monde, le reste étant constitué pour 3 % de nucléaire, et de l’électricité et de la biomasse – c’est-à-dire le bois. Ce sont les fossiles qui font vivre notre planète, et notamment les pays de l’OCDE, de la manière qu’ils connaissent. Or, j’aimerais vous prouver que du point de vue de la pure logique matérielle, les choses vont considérablement évoluer, et dans un avenir suffisamment proche pour qu’on s’en occupe.
Aujourd’hui, notre président Sarkozy et hier, le président Bush ont évoqué, dans des termes certes différents, le « new deal écologique et économique », les changements climatiques et la conférence de Kyoto. Je me souviens qu’en 1974, année du premier choc pétrolier et des élections présidentielles en France – je soutenais René Dumont – nous parlions, nous écologistes, du changement climatique et des émissions de gaz à effet de serre. Autant vous dire que nous étions la risée absolue du monde médiatique et politique, en France et dans le monde ! Aujourd’hui, curieusement, les gens ne rigolent plus. Mais ce changement climatique, qui est un phénomène extrêmement sérieux qui va durer des siècles, n’est que la moitié du problème, la plus éloignée : il se mesure en décennies. Il ne concerne que l’aval de la filière. Étrangement, très peu de gens s’occupent de l’amont. Pourtant, l’échéance est beaucoup plus rapprochée. Pour mesurer les réserves d’énergie fossile, tout le monde se fonde sur le ratio des réserves divisées par la production – considérant celle-ci comme égale à la consommation : les stocks ne sont pas pris en compte. Il en ressort que nous en aurions encore pour 45 ans de pétrole, 75 ans de gaz et 250 ans de charbon. C’est un raisonnement totalement idiot. Et pourtant, c’est celui de l’AIE, cette agence publique, mondiale, qui fait autorité !
Ce qui compte en fait, c’est le moment où la courbe de production va commencer à décliner. Le pétrole n’est pas une énergie renouvelable. Or, la demande est en forte croissance, notamment du fait des pays émergents dont la croissance économique est essentiellement fondée sur ces énergies – des énergies qui ne coûtent rien : depuis un siècle et demi, l’énergie est quasiment gratuite. Un litre de pétrole vaut moins cher qu’un litre d’eau en bouteille ! Mais ça va changer, précisément parce que cette courbe de croissance de la production de pétrole va bientôt connaître son maximum et décliner. Quand ? Il y a des controverses : les savants y travaillent. Mais une chose est sûre, c’est que c’est pour demain matin – autrement dit, sans doute 2009 ou 2010 ! Croyez-moi ou pas, mais quels que soient les efforts technologiques – puits horizontaux, production assistée, injection de détergents… - la production va décroître. Et le monde va changer. Songez qu’en 2002, le baril coûtait moins de 20 dollars et qu’en 2009, on regrettera amèrement la fin 2007, où il n’était qu’à 80 dollars !
Le choc sera géologique, économique et géostratégique. Le choc géologique a été théorisé dès 1956 par un Américain, M. King Hubbert. À cette époque, les Américains étaient les rois du pétrole : plus grands producteurs et plus grands consommateurs. Pour ce qui est de la production, cela a bien changé ! King Hubbert a donc écrit qu’en 1970 – quatorze ans plus tard – la production américaine de pétrole décroîtrait. On l’a gentiment traité de Nostradamus, mais cela fait maintenant 37 ans – on peut dire que les chiffres sont avérés ! – que la production intérieure américaine décroît. Ce type de méthode géophysique a été appliqué à d’autres régions du monde. Ainsi, l’Europe est en décroissance depuis 1999. Parlez à nos amis anglais de la baisse de leurs royalties : à l’époque de gloire de la mer du Nord, dans les années 1970 ou 1980, ils s’en mettaient plein les poches. Aujourd’hui, ils importent du pétrole !
Le pic de la courbe de Hubbert, c’est-à-dire le maximum de la production de pétrole, a été atteint en 1999 en Europe et en 1986 en Russie. Les mêmes méthodes géophysiques, appliquées à l’ensemble des pays, ont montré que la déplétion se produirait à l’horizon 2010, alors même que la demande ne cessera de croître - du fait notamment de la Chine et de l’Inde, nous dit-on. Mais savez-vous que par tête, un Indien ne consomme pas plus d’un baril de pétrole par an, un Chinois deux contre douze pour un Européen moyen et vingt-cinq pour un Américain ? Les Chinois ont bien sûr envie de vivre comme vous. Ils ne veulent pas des Twingo comme les prolétaires de la porte de Vanves où j’habite, mais des Mercedes, des BMW, des 4x4… Alors qu’on compte en France 36 millions de véhicules pour 70 millions d’habitants, la Chine n’en compte encore que 30 millions pour 1,3 milliard d’habitants. Si elle voulait atteindre le même taux d’équipement que nous, il lui faudrait six cents millions de véhicules. Jamais elle ne pourra y arriver, pour des raisons matérielles. Il n’y aura jamais assez de pétrole, de gaz, d’acier, de platine, de molybdène, de galium… de par le monde, pour que les Chinois puissent vivre comme les Occidentaux. En effet, toutes ces ressources extraites du sous-sol vont être ou sont déjà en déplétion.
Un député UMP - Il faut donc stopper les forages ?
M. Yves Cochet – D’après les chiffres mêmes de l’IEA, département américain de l’énergie, la production mondiale de pétrole conventionnel diminue dans le monde depuis mai 2005, de même que celle de l’ensemble des liquides hydrocarbonés depuis juillet 2006. Sur une telle pente, le monde va beaucoup changer et il nous faudra sous peu « penser l’impensable ».
À ce choc géologique, va s’ajouter un choc économique. Quel est le plus grand marché mondial, à la fois en valeur et en volume ? Celui du pétrole, ressource aujourd’hui la plus précieuse au monde. Mais les réserves ne se situant pas dans les pays qui sont les plus gros consommateurs, il faut transporter cette matière première. Alors que depuis un siècle et demi, nous utilisions un pétrole quasiment gratuit - le prix médian du baril sur la période s’établit à 18 dollars de 2007, autant dire rien - , les prix sont en train de s’envoler. La courbe de l’offre va nécessairement croiser celle de la demande, et celle-ci va devenir structurellement supérieure à celle-là. En effet, les énergivores ne sont plus seulement les pays occidentaux, mais aussi certains pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Dès lors qu’il n’y aura plus de pétrole pour tous, se produira ce que les Américains appellent en économie « la destruction de la demande ». Les récentes manifestations en Birmanie ont débuté notamment du fait du prix très élevé des carburants. Dans de nombreux pays, le pétrole est indispensable pour simplement survivre. Au Burkina Faso, au Zimbabwe et dans bien d’autres pays, le seul moyen d’avoir de l’électricité, c’est-à-dire d’alimenter l’école et le dispensaire, et de regarder la télévision, est de faire fonctionner un générateur diesel. Si d’un coup, vous ne pouvez plus acheter de diesel, vous mourez !
À ce double choc, géologique et économique, s’en ajoute un troisième, géopolitique.
Un député UMP - Lisez Le camp des saints de Jean Raspail.
M. Yves Cochet – Nous le savons tous depuis 2003, et même depuis 1991 et la guerre du Golfe. On nous a expliqué en 2003 qu’il fallait faire la guerre en Irak pour chasser du pouvoir le dictateur Saddam Hussein - mais combien de pays membres des Nations unies sont des dictatures, sans que l’on ait cherché à y intervenir ? On a aussi avancé comme argument que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Mais rien de cela ne tient. D’ailleurs, Alan Greenspan a lui-même déclaré la semaine dernière que les États-Unis avaient envahi l’Irak parce que ce pays possède d’énormes gisements de pétrole à bas coût d’extraction. Les trois quarts des réserves mondiales de pétrole facilement extractible se trouvent autour du Golfe persique et de la Caspienne. Les Américains le reconnaissent ouvertement maintenant, ce n’est pas le sort des Irakiens qui leur importait - il y a eu plus d’un million de morts dans ce pays depuis 1991, qui ne comptent pour rien. Ce qui les intéressait, c’était le pétrole. D’ailleurs, le président George Bush et le vice-président Dick Cheney, magnats du pétrole, ne s’y sont pas trompés : ils connaissent parfaitement l’odeur du pétrole et de l’argent…
Sur un plan géostratégique, là où il y a du pétrole, il y a la guerre (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), comme on le voit en Asie mineure. Prudente, la Chine, elle, ne s’approvisionne pas sur les marchés spot, préférant les contrats directs à long terme par exemple avec le Venezuela, le Qatar ou l’Iran. En réalité, elle anticipe les évolutions futures car elle sait qu’elle ne pourra pas compter sur ses réserves de charbon pour les liquéfier, comme certains l’avaient pensé, le coal oil liquid coûtant extrêmement cher et rejetant énormément de gaz carbonique. Or, ce qui compte, c’est d’avoir de l’énergie sous forme liquide. Et ce ne sont pas les agro-carburants qui constitueront une solution, surtout si on s’oriente, comme dans notre pays, vers la fabrication d’éthanol et non d’huiles, alors que l’on a pas trop d’essence et pas assez de diesel en Europe. Mais les amis de l’UMP que sont les producteurs de céréales et de betteraves ont su être des lobbies efficaces en faveur de l’éthanol…
Dans ce contexte mondial, il faut protéger notre pays et l’Europe. Et la meilleure protection ne réside pas dans le développement des énergies renouvelables - je sais être critique vis-à-vis d’une partie de mon camp, qui prône cette solution. Il ne serait pas raisonnable de penser que ces énergies, qui représentent aujourd’hui moins de 0,5 % de l’énergie mondiale, pourront remplacer le pétrole. C’est il y a trente ans qu’il aurait fallu développer l’éolien, le solaire, le photovoltaïque,… Maintenant, le compte à rebours est engagé.
M. Michel Piron – Il faut donc développer le nucléaire.
M. Jean Proriol – Et l’hydraulique.
M. Yves Cochet – Je sais bien que M. Sarkozy est prêt à vendre du nucléaire civil à tous les pays du monde.
M. Jacques Myard – Il a raison.
M. Yves Cochet – Mais d’une part, les réserves d’uranium elles-mêmes ne sont pas inépuisables ; d’autre part, qui maîtrise le nucléaire civil maîtrise le nucléaire militaire.
M. Jacques Myard – Ce n’est pas vrai.
M. Yves Cochet – Dans ces conditions, que faire, comme disait Lénine ? (Sourires sur les bancs du groupe UMP) Quelle est la meilleure politique énergétique pour notre pays afin d’anticiper les évolutions prévisibles à l’horizon 2010-2020 ? Ce serait mentir que de laisser croire que des énergies alternatives abondantes et bon marché pourront se substituer aux énergies fossiles dont la production décline. La seule politique raisonnable, de nature à garantir notamment la paix, consiste dans la sobriété. Cette politique a même été, curieusement, décrite par l’Agence Internationale de l’Énergie, notamment dans un ouvrage intitulé Saving oil in a hurry.
Voici quelques-unes des mesures que propose cet ouvrage. Tout d’abord, abaisser le niveau des vitesses maximales autorisées sur les routes, les autoroutes et en ville et non pas de 10 kilomètres-heure, comme le suggèrent certaines organisations non gouvernementales associées au Grenelle de l’environnement : c’est à 100 kilomètres-heure que la limite devrait être fixée sur autoroute, ce qui permettrait d’économiser du jour au lendemain, grâce à un simple décret du Premier ministre, près de 8 % de la consommation annuelle de pétrole, soit 8 ou 9 millions de tonnes, sur les 96 millions que consomme notre pays chaque année ! Ce ne serait pas sans effet sur notre lourde dépendance énergétique : à nos importations de pétrole et de gaz, qui représentent chaque année 50 milliards d’euros, s’ajoute, contrairement à ce que l’on prétend, une dépendance également totale en matière de nucléaire, la France ne possédant plus depuis longtemps de mines d’uranium.
Deuxième mesure : interdire aux particuliers de rouler le dimanche. Certains protestent à ce propos contre une restriction des libertés publiques, oubliant que l’Europe dut envisager ce type de mesures en 1974, à l’époque du choc pétrolier, et croyant encore habiter un monde cornucopien ! Mais il suffit, au lieu de rêver, d’étudier les chiffres que fournissent l’Agence internationale de l’énergie ou l’Organisation mondiale de la santé pour comprendre l’efficacité d’une telle disposition.
Enfin, l’ouvrage propose un rationnement des ressources – le mot est lâché ! En réalité, ce rationnement est déjà entrepris grâce au Plan national d’affectation des quotas – PNAQ –, qui ne concerne malheureusement que les installations fixes des seuls industriels ; ainsi est apparu un marché d’échange européen des émissions de gaz à effet de serre.
Mme la Présidente - Il faut conclure.
M. Yves Cochet – J’ajoute que le gouvernement anglais envisage la mise en place d’une carbon card permettant de faire le plein jusqu’à ce qu’un certain quota soit atteint, un peu selon le même principe qu’une carte téléphonique. En plaçant chacun face à ses responsabilités, ce rationnement serait socialement beaucoup plus juste que celui que subissent aujourd’hui implicitement les seuls pauvres - les riches échappant quant à eux à toute restriction.
Je ne suis pas véritablement convaincu par les arguments que compte développer Mme Girardin. J’y insiste : en matière d’hydrocarbures, l’élément le plus précieux est le temps. Ne croyez pas que la composition énergétique mondiale que je viens d’esquisser pourra être modifiée en cinq ans : vingt à quarante ans seront nécessaires pour se passer d’hydrocarbures ! La sobriété énergétique, notamment fossile, est une urgence, sans quoi – disons-le - ce sera la guerre, et avec elle un rationnement autrement plus pénible que celui que j’ai évoqué ! Songez au courage - peut-être tardif – des États-Unis, dont la production de voitures, qui s’élevait à un million de véhicules en 1941, a été totalement arrêtée en 1942, le grand homme qu’était Roosevelt ayant mis en place une économie de guerre après Pearl Harbor. Si nous ne voulons pas que notre pays soit sensible au pic pétrolier, il faut renoncer au niveau actuel de dépenses ; telle n’est hélas pas l’orientation du Gouvernement.
M. le Secrétaire d’État – Sans être ni mathématicien ni géologue, j’ai écouté M. Cochet avec un grand plaisir, et j’aimerais l’entendre plus longuement dans le cadre du Grenelle de l’environnement, qui montrera que nous ne manquons pas d’ambition en la matière. Nous accordons en effet une grande importance à la nouvelle orientation écologique qu’il a évoquée. Mais, face au pic pétrolier, annoncé depuis longtemps, il nous faut étudier les nouvelles découvertes et les nouvelles technologies disponibles. C’est à juste titre que M. Cochet a souligné l’importance de la diminution de la consommation d’énergie - en effet essentielle, au niveau européen, dans les secteurs des transports et de l’habitat - et insisté sur la gestion des quotas. L’énergie fait partie des priorités de la présidence française de l’Union et nous aurons l’occasion d’en débattre à nouveau, notamment à propos du nucléaire civil.
La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
M. Claude Birraux – Je ne détaillerai pas les dispositions de l’accord qui nous est soumis et que M. le rapporteur a très bien exposé. Permettez-moi simplement d’insister sur deux aspects : d’une part, le texte offre des perspectives de développement économique particulièrement intéressantes à l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon ; d’autre part, il pose la question de la délimitation du domaine maritime français.
Je tiens à saluer l'action constante de M. Gérard Grignon, qui, au cours des précédentes législatures, a défendu à de nombreuses reprises dans cet hémicycle, avec cœur et détermination, la préservation des intérêts de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui sont aussi ceux de la France. Dans le contexte énergétique mondial, cet accord revêt une importance économique capitale pour l’archipel comme pour l’ensemble de notre pays. La zone économique exclusive française est en effet située au cœur de réserves importantes d'hydrocarbures offshore, principalement de gaz. Les provinces atlantiques – Terre-Neuve, Nouvelle-Écosse - qui, tout comme l'archipel, ont souffert de la crise de la pêche sont aujourd'hui en pleine croissance économique – il y a deux ans, leur taux de croissance était de 6 % -, grâce aux retombées financières de l'exploitation des champs d'hydrocarbures : la transformation de l'aéroport d'Halifax ou le développement des ports de Terre-Neuve pour l’avitaillement des plates-formes en témoignent. Il est tout à fait normal que Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficie d'une partie de ces ressources transfrontalières. C'est là un enjeu vital pour 7 000 compatriotes ; l'avenir économique de Saint-Pierre-et-Miquelon en dépend.
Vous le savez, Monsieur le ministre : l'activité économique de l'archipel, uniquement orientée vers la pêche et la transformation de la morue, décline en raison de la délimitation de la zone économique exclusive - secteur où les ressources halieutiques sont faibles - et des quotas de pêche très bas fixés par les autorités du Canada. N’oublions pas que notre ancien collègue fut l’hôte des geôles canadiennes. L'exploitation des hydrocarbures permettrait de diversifier cette activité ; encore faudrait-il s’assurer que la loi canadienne sur le cabotage - Atlantic Act - ne s'applique pas dans les zones transfrontalières d'hydrocarbures, élément important pour le développement de l'activité portuaire de l'archipel en matière d’avitaillement des plates-formes.
En outre, l’accord pose le problème du plateau continental - sujet de droit maritime international complexe et, en ce qui concerne nos relations avec nos voisins canadiens, diplomatiquement sensible. Or, l'accord peut avoir de graves conséquences sur nos droits en la matière. Alors que la convention des Nations Unies sur le droit de la mer permet à la France de revendiquer l'extension de sa juridiction, au-delà des 200 milles marins, jusqu'à la limite du plateau continental, la détermination du champ spatial de l'accord pose problème, notamment au sud du « couloir » défini par la décision du tribunal de New York du 10 juin 1992, qui reconnaissait à la France le droit de disposer d'une zone économique exclusive. L’accord demeurant imprécis et ambigu, l'État français doit faire preuve de vigilance et consacrer à cette partie de l'accord une déclaration interprétative. En tout état de cause, la ratification de l'accord du 17 mai 2005 ne saurait constituer une renonciation de la France à ses droits à l'extension du plateau continental ; nous souhaitons que le Gouvernement nous en assure.
En outre, la demande d'extension du plateau continental au large des côtes de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, au-delà des 200 milles marins, doit être déposée avant mai 2009 auprès de la commission des limites du plateau continental, la CLPC. Or l’établissement de cette demande requiert de la France des recherches scientifiques marines. Des relevés scientifiques, programmés dans le cadre des campagnes Extraplac, doivent être effectués dans les eaux sous juridiction canadienne, ce qui implique une concertation entre la France et le Canada. La France a-t-elle bien l'intention de déposer ce dossier, bien que le Canada refuse de reconnaître les droits de Saint-Pierre-et-Miquelon à un plateau continental prolongé et menace l'avenir de la négociation des accords de coopération régionaux ? Le Gouvernement, sous la précédente législature, s'y était engagé. Pourriez-vous nous éclairer sur l'avancement du dossier et des discussions avec le Canada, afin que l'Ifremer puisse entreprendre ses relevés dans les meilleurs délais ? Car, si la France ne dépose pas cette demande, la zone économique française sera enclavée dans l'espace canadien, ce qui, à terme, risque de compromettre la présence française dans cette partie du monde (applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).
Mme Annick Girardin – Ce projet de loi nous propose d’approuver un accord essentiel pour les intérêts français, dont la portée ne se limite pas à des considérations économiques : il y va en effet de la souveraineté territoriale de la France. Outre les impératifs écologiques, qui ont été présentés par Yves Cochet et qui devront être respectés par tout accord ultérieur, il ne faut pas oublier la question, encore sans réponse, de la délimitation des zones maritimes au large de nos îles.
Cet accord présente un intérêt économique indéniable pour la population de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a placé de grands espoirs dans le développement des activités liées à la recherche et à l'exploitation des ressources en hydrocarbures. L’archipel traverse en effet – faut-il le rappeler ? – une crise sans égale depuis l'arrêt brutal des activités de pêche, voilà quinze ans : nous pâtissons toujours de l'échec français face au Canada devant le tribunal arbitral international de New York. Depuis 1992, l’archipel vit dans un climat paralysant de morosité.
En chute libre dans tous les secteurs, l’économie de Saint-Pierre-et-Miquelon souffre d’une inflation de 5,7 %, d’une voirie délabrée, d’équipements publics dégradés, notamment en matière d'hygiène et de sécurité, et enfin d’une insuffisante prise en considération des particularités de l’archipel dans les dispositifs adoptés en faveur de l’outre-mer, les politiques de péréquation et de continuité territoriale reposant notamment sur des critères insensibles à la situation et aux contraintes propres à notre collectivité. À cela s’ajoutent des dotations manifestement insuffisantes compte tenu des coûts structurels incompressibles et du faible nombre de foyers fiscaux. Il en résulte des déficits chroniques et une dette accablante, qui limitent les marges de manœuvre disponibles pour les efforts de relance économique.
Les activités d'exploitation des hydrocarbures étant l'unique espoir de sortir du marasme, l’accord qui nous est présenté est une avancée fondamentale pour notre économie. Sans préjudice de la défense de nos intérêts économiques, ce projet de loi contribuera également au maintien des excellentes relations actuelles avec le Canada, ce qui favorisera également l'intégration de Saint-Pierre-et-Miquelon dans son environnement régional.
Il n’en reste pas moins que cet accord pose des questions territoriales qui devront impérativement être traitées. Grâce aux travaux menés en commission, nous avons d’ailleurs reconnu pour la première fois le caractère abusif de la modification apportée par le Canada, en 1996, à ses frontières maritimes.
Alors que la sentence arbitrale du 10 juin 1992 laissait ouverte la possibilité de constituer un plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est une décision unilatérale canadienne, prise sur le fondement de la loi sur les océans de 1996, qui a enclavé la zone française dans la zone économique exclusive canadienne, définie par référence à un nouveau point de repère, l'île de Sable, haut fond émergé à 100 milles nautiques des côtes canadiennes les plus proches.
Un tel enclavement étant le meilleur argument canadien contre l’extension de notre plateau continental, le Canada a continuellement refusé d'évoquer l’île de Sable devant le tribunal arbitral, afin d’éviter qu’il se prononce sur cette question. Les Canadiens sont même allés jusqu’à déclarer que l’île de Sable ne faisait pas partie des côtes pertinentes, que ce soit comme point de base ou à tout un autre titre. Il y a donc dans les positions successives du Canada une contradiction, voire une forme de duplicité.
Cette modification unilatérale n’ayant jamais été officiellement contestée, alors qu’elle lèse directement nos intérêts économiques et territoriaux, le présent accord risque de constituer une reconnaissance par défaut de la situation actuelle, en dépit des garanties apportées par l’article 19. En reconnaissant les lois, règlements et autres mesures de gestion adoptées afin de conserver les ressources naturelles des zones maritimes, le préambule reconnaît implicitement la loi sur les océans de 1996 et, par conséquent, la référence à l'île de Sable.
Je rappelle que la modification unilatérale canadienne est éminemment contestable en droit, l’île en question étant non seulement inhabitée, mais également caractérisée par des contours instables et située à 100 milles nautiques de la côte canadienne la plus proche. Elle ne satisfait donc pas aux conditions établies par la jurisprudence de la Cour internationale de justice dans l’affaire « Qatar contre Bahreïn » du 16 mars 2001.
Refuser d’agir reviendrait à priver les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon de tout avenir, alors que le maintien des conditions économiques de survie a toujours été la logique fondamentale des rapports territoriaux dans la région. C'est ainsi que la France a pendant longtemps revendiqué des droits de pêche sur le French shore de Terre-Neuve indépendamment de toute possession territoriale. C'est ce principe essentiel de survie économique que la France n'a pas su défendre lors du jugement arbitral de 1992. Du fait du développement prévisible de l'exploitation des hydrocarbures dans la zone en question, il serait incompréhensible que la France n'agisse pas dès maintenant pour préserver ses droits.
Si cet accord était adopté sans contestation des modifications unilatérales apportées par le Canada, il ne nous resterait plus que deux possibilités : soit abandonner toute prétention à faire valoir nos droits souverains sur le plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, ce qui hypothèquerait la survie à long terme de l’archipel ; soit nous engager dans une lourde procédure contentieuse, qui porterait préjudice aux bonnes relations entre la France et le Canada, et qui serait en outre fragilisée par l’enclavement non contesté de notre zone économique exclusive dans celle du Canada.
Refusant ces deux hypothèses, nous soutiendrons cet accord favorable au développement et à l’intégration régionale de Saint-Pierre-et-Miquelon, mais à la condition que le Gouvernement adopte par ailleurs la seule position de nature à concilier deux impératifs : la défense des droits de la France et le respect de nos partenaires canadiens. À cette fin, la France doit clairement contester la modification unilatérale de 1996. C'est en effet une nécessité pour la survie économique de l'archipel, et c’est aussi une condition nécessaire pour que prospère la demande d'extension de la souveraineté française sur le plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, demande que le Gouvernement s'est engagé à soutenir avant la date limite de mai 2009.
Suivant la position adoptée par la commission, je vous exhorte, Monsieur le ministre, au nom des intérêts français et de la défense de Saint-Pierre-et-Miquelon, à procéder sans délai à cette contestation, sans laquelle mon groupe sera dans l’impossibilité de voter ce projet, tout satisfaisant qu’il soit par ailleurs (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et du groupe UMP).
La discussion générale est close.
M. le Secrétaire d'État – Je vois bien ce que vous souhaiteriez, Madame Girardin, dans ce dossier d’une grande complexité juridique… La déclaration que vous suggérez resterait toutefois sans effet au regard du but recherché.
Comme l’ont rappelé le président de la commission et le rapporteur, cet accord ne comporte pas de disposition relative au champ d’application territorial. Dans l’état actuel du droit, on ne peut modifier la Z.E.E française, dont la définition n’a pas changé: la délimitation de la zone de pêche canadienne prenait déjà l’île de Sable comme ligne de base, donnée que le mandat du tribunal arbitral n’avait pas pour objet de remettre en cause. Sans accord avec les Canadiens, nous ne pourrons avancer sur ce dossier, et c’est d’ailleurs la raison d’être de cet accord portant sur les hydrocarbures : en développant ce type d’accords, nous essayons de dégager une solution concernant la Z.E.E.
Avons-nous l’intention, m’a demandé le président Poniatowski, de déposer un dossier pour l’extension du plateau continent de Saint-Pierre-et-Miquelon ? C’est effectivement notre intention : l’archipel figure dans la liste de campagnes de l’Ifremer, qui doit procéder au relevé des données nécessaires à la constitution du dossier. J’ajoute que des réunions interministérielles auront lieu sur ce sujet avant la date butoir de mai 2009. Mais pourquoi un si long délai ? C’est que le dossier que nous devons déposer doit comprendre des relevés incontestables du rebord extrême du plateau continental. Nous devons apporter des preuves scientifiques difficiles à réunir, à l’appui des revendications que vous portez légitimement, Madame Girardin, de même que le président de la commission, qui a écrit à ce sujet au ministre des affaires étrangères.
C’est pourquoi nous nous engageons dans deux voies : il faudra tout d’abord, pour faire droit à ces revendications, recueillir le plus de données possibles grâce aux travaux menés par l’Ifremer ; il faudra d’autre part mettre à profit nos bonnes relations avec les autorités canadiennes pour rechercher une solution coopérative. Mais nous aurons toujours l’axe du dossier que nous devons constituer d’ici mai 2009 pour étendre cette zone et le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Mme Annick Girardin – J’entends bien vos arguments, Monsieur le ministre ; ils ne sont pas nouveaux. Mais ma question portait sur la décision unilatérale prise par le Canada en 1996. Vous savez très bien que nous allons offrir un argument de poids aux Canadiens : l’extension du plateau continental risque de nous être refusée, puisque depuis 1996, nous n’avons jamais contesté cette décision qui n’est pas conforme à l’arbitrage de New York de 1992. Nous aurons donc une bataille juridique à livrer, alors que nous pourrions tout simplement dire que la France ne reconnaît pas cette décision de 1996. Je réserve donc mon vote. À ce stade, je pense m’abstenir.
M. le Secrétaire d'État – En l’état actuel de notre interprétation juridique, la zone économique exclusive définie en 1976 n’a pas été modifiée à la suite de cette déclaration unilatérale. Ce que je vous propose, Madame Girardin, ainsi qu’à la commission des affaires étrangères, c’est que nos experts approfondissent avec vous l’analyse juridique de ce dossier. Je suis prêt à en prendre l’engagement devant vous.
M. François Loncle – Je vous remercie de ces précisions et m’associe au nom de mon groupe au souhait de Mme Girardin. Je remercie aussi le président Poniatowski d’avoir pris l’initiative d’écrire cette lettre au pouvoir exécutif. J’ai longtemps présidé, avant de céder la place à Marc Laffineur, l’Association interparlementaire France-Canada. Nous avons avec le Canada une tradition d’alliance privilégiée. Depuis l’abandon du contentieux sur le « Québec libre », nos relations avec ce pays sont excellentes. Le seul dossier litigieux qui subsiste est ce dossier de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la pêche, sur lequel les gouvernements canadiens ne témoignent pas de leur état d’esprit habituel. L’engagement que vous prenez, Monsieur le ministre, et la démarche du président de la commission peuvent aboutir à un progrès. Ce serait une bonne chose, car la nouvelle élue de Saint-Pierre-et-Miquelon nous a convaincus avec talent.
La tradition veut que les Premiers ministres français réservent l’une de leurs premières visites au Canada. Voilà un dossier à ne pas oublier de transmettre à M. Fillon lorsqu’il s’y rendra. Ce contentieux n’a que trop duré. Son dénouement conditionne aujourd’hui la survie de Saint-Pierre-et-Miquelon (Signes d’approbation sur de nombreux bancs).
L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.
M. le Président de la commission – Nous avons bien noté le point de droit qui a été soulevé par Mme Girardin, et nous connaissons l’attachement de M. Loncle pour le Canada. La proposition du ministre me semble donc sage. Ce point de droit mérite une étude juridique approfondie. Quelle est la position du Canada ? Est-elle légitime ou contestable ? Il faut que nous le sachions (Applaudissements sur divers bancs).
M. le Secrétaire d'État – Je vous confirme que vous serez associés à cette étude. Compte tenu de la lettre que M. Poniatowski a adressée à l’exécutif et des observations de Mme Girardin et de M. Loncle, M. Kouchner et moi-même nous attacherons à résoudre avec vous ce problème délicat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Mme la Présidente - J’ai reçu de M. le Secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement une lettre m’informant que la déclaration du Gouvernement et le débat sur les régimes spéciaux de retraites, initialement prévus le mardi 9 octobre après-midi, sont avancés au mercredi 3 octobre, le matin.
Mme la Présidente - L’Assemblée a achevé l’examen des textes qui étaient inscrits à son ordre du jour.
J’ai reçu de M. le Premier Ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 26 septembre 2007 portant clôture de la session extraordinaire. En conséquence, il est pris acte de la clôture de la session extraordinaire.
Prochaine séance mardi 2 octobre à 9 heures 30.
La séance est levée à 21 heures 55.
La Directrice du service
du compte rendu analytique,
Marie-Christine CHESNAIS
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