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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 1er juillet 2008

1ère séance
Séance de 15 heures 30
1ère séance de la session
Présidence de M. Rudy Salles, Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures trente.

OUVERTURE DE LA SESSION EXTRAORDINAIRE

M. le Président – Je rappelle qu’au cours de la deuxième séance du mardi 24 juin, il a été donné connaissance à l’Assemblée du décret de M. le Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire. Ce décret a été publié au Journal officiel du 25 juin 2008.

En application de l’article 29 de la Constitution, je déclare ouverte la session extraordinaire.

ARCHIVES – ARCHIVES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
(deuxième lecture)

L’ordre du jour appelle la discussion, du projet de loi, adopté avec modifications par le Sénat, en deuxième lecture, relatif aux archives et du projet de loi organique, adopté avec modifications par le Sénat, en deuxième lecture, relatif aux archives du Conseil constitutionnel.

M. le Président – La Conférence des Présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants – Les deux textes que j'ai l'honneur de vous présenter au nom du Gouvernement, en particulier de Mme la ministre de la culture, visent à adapter la conservation et la communication de la mémoire de la nation aux exigences de notre temps. Les délais actuels de communicabilité des archives ont été fixés il y a près de trente ans par la loi du 3 janvier 1979, qui constituait alors une avancée notable, mais dont plusieurs dispositions paraissent aujourd'hui inadaptées aux besoins des archivistes, des chercheurs, des généalogistes et du grand public.

Les deux projets de loi qui vous sont soumis en deuxième lecture visent donc, d’une part, à faciliter et à accélérer l'accès de tous aux archives publiques ; d’autre part, à protéger les intérêts légitimes des citoyens, s’agissant notamment de leur vie privée. En outre, ils renforcent les sanctions qui punissent les atteintes aux archives et à tous les biens culturels.

Afin d’étendre, en toute transparence, l’ouverture des archives, le projet de loi « ordinaire » – dont le projet de loi organique transpose les principes aux archives du Conseil constitutionnel – établit le principe de la libre communicabilité des archives publiques, supprimant ainsi le délai minimal de communication, que la loi de 1979 avait fixé à trente ans. En d’autres termes, chaque Français pourra consulter librement et immédiatement les archives publiques. Cette inversion qui fait de la communication immédiate le principe, et de la communication différée l’exception, constitue un progrès considérable et – j’ose le dire – historique.

D’autre part, le projet réduit sensiblement les délais de communication des documents relatifs aux secrets protégés par la loi. Tel est l’objet de l’article 11, adopté conforme par le Sénat en deuxième lecture au terme d’échanges particulièrement constructifs, voire exemplaires, entre le Gouvernement et les deux chambres. En voici les quatre principales dispositions.

Tout d’abord, le délai applicable aux archives dont la communication est susceptible de porter atteinte à la vie privée de nos concitoyens est ramené de soixante à cinquante ans.

Ensuite, le Gouvernement avait envisagé de rendre perpétuellement incommunicables les archives dont la communication est susceptible de mettre en cause la sécurité des personnes, afin de protéger la sécurité physique des agents des services spéciaux et de leurs descendants. Mais la notion de « sécurité des personnes » étant susceptible d’une interprétation trop large et l’incommunicabilité de certaines archives, parfois absolument nécessaire, devant néanmoins être restreinte autant que possible, le Gouvernement, puis le Sénat, se sont ralliés au compromis équilibré que vous aviez suggéré en première lecture : fixer le délai de communication à cent ans et définir les archives concernées de manière plus explicite. Seront désormais incommunicables les seules archives dont la divulgation pourrait permettre de concevoir, de fabriquer, d'utiliser ou de localiser des armes de destruction massive – nucléaires, biologiques, chimiques ou bactériologiques.

De même, le délai de communication de toutes les statistiques relatives aux comportements privés – que le Gouvernement envisageait de ramener de cent à cinquante ans et que le Sénat avait fixé, en première lecture, à soixante-quinze ans pour les enquêtes statistiques portant sur les faits et comportements d'ordre privé, et à cent ans pour les recensements de la population – sera, comme vous l’aviez proposé, de soixante-quinze ans. Quant aux autres statistiques, c’est le délai le plus court prévu par le texte – vingt-cinq ans – qui a été retenu.

Enfin, en ce qui concerne les registres d'état civil, le Gouvernement proposait de substituer au délai unique de cent ans des délais distincts selon la menace à laquelle la divulgation de chaque acte expose la vie privée – cent ans pour les actes de naissance, cinquante pour les mariages, aucun délai pour les décès. Au nom de la simplification du droit, le Sénat avait proposé en première lecture un délai unique de soixante-quinze ans, dont vous ne vous étiez écartés qu’à propos des actes de décès, pour en proposer la communicabilité immédiate. C’est encore une fois cette approche équilibrée qui a prévalu.

Je tiens toutefois à préciser que l’institution du délai de soixante-quinze ans n'entraîne aucune conséquence sur le versement des registres aux services d'archives, en sorte que la réduction des délais de communication ne complique pas leur consultation par les citoyens.

S’agissant de la protection des archives, le texte comprend essentiellement, vous le savez, deux séries de dispositions. La première concerne les archives des hommes politiques, dont le caractère public est réaffirmé ; la seconde, l'externalisation des archives courantes et intermédiaires. Je ne détaille pas ces mesures, que vous avez adoptées conformes en première lecture, non plus que le renforcement des sanctions pénales, sur lesquelles vous avez suivi, comme le Sénat, le texte gouvernemental, qui permet de réprimer plus sévèrement le vol, le trafic, la destruction et la dégradation des archives et des biens culturels.

Je me félicite enfin que le Parlement ait pris l’initiative de définir, pour la première fois, des règles destinées à assurer la bonne conservation des archives des groupements de collectivités territoriales, notamment des établissements publics de coopération intercommunale.

En somme, Mesdames et messieurs les députés, ces deux projets de loi constituent un réel progrès en matière de transparence et de libertés publiques : équilibrés, ils modernisent profondément la gestion et la communication de notre mémoire nationale, tout en protégeant la vie privée des personnes et la sûreté de l'Etat. Il était temps d'offrir aux historiens, aux chercheurs, mais aussi à tous nos concitoyens, notamment aux millions de Français qui se passionnent pour la généalogie, un dispositif digne d'un grand État, aussi soucieux de préserver la transparence et le dynamisme de la recherche historique que de protéger la vie privée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Calvet, rapporteur de la commission des lois – L’examen en deuxième lecture de ces deux projets par le Sénat, qui les a adoptés le 15 mai dernier, a révélé de nombreux points de convergence entre les deux assemblées : ne restent en discussion que deux des trente-sept articles du projet de loi et un seul article du projet de loi organique.

Ainsi, après avoir souhaité, en première lecture, soumettre à un délai de communication de soixante-quinze ans, particulièrement protecteur, tous les documents relatifs à la vie privée des personnes – au lieu de cent ans pour les registres d'état civil, les documents juridictionnels ou les actes des notaires, mais soixante ans pour d’autres –, le Sénat s’est rallié à notre Assemblée, qui l’a ramené à cinquante ans afin de ne pas le prolonger s’agissant de ces derniers documents.

En outre, le délai de communication des documents relatifs aux recensements de la population, que le Sénat avait souhaité maintenir à cent ans, a été aligné par notre Assemblée sur le délai de soixante-quinze ans applicable aux autres documents comprenant des données relatives à la vie privée des personnes.

Enfin, l'Assemblée est revenue sur le principe d'incommunicabilité des documents de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes – c'est-à-dire ceux qui concernent les agents des services spéciaux de l'État –, fixant à cent ans leur délai de consultation et les définissant de manière plus stricte, en précisant qu’ils devaient avoir été couverts par le secret de la défense nationale.

En deuxième lecture, le Sénat a adopté conformes les articles relatifs aux délais de consultation. Il nous a également suivis sur la possibilité pour les communes et les EPCI de mutualiser leurs services d’archives en en confiant la gestion soit à l'EPCI, soit à l'une des communes membres.

Quant aux deux articles restant en discussion, ils avaient été insérés par l'Assemblée nationale. Le premier résulte d'un amendement du Gouvernement, qui permet de modifier par voie d'ordonnance les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 en matière de communication de documents administratifs, afin d’harmoniser le régime des documents administratifs et des archives publiques. Le Sénat y a apporté des modifications formelles. Il a notamment défini les délais de publication de l'ordonnance et de dépôt du projet de loi de ratification.

Le second, inséré par un amendement de notre collègue Marietta Karamanli, prévoit que le Gouvernement remettra un rapport au Parlement sur les mesures destinées à assurer la pérennité des archives numériques. Le Sénat a étendu son champ à la collecte, au classement, à la conservation et à la communication de toutes les archives, y compris sous format papier. Il a en outre précisé qu’il devrait être remis tous les trois ans.

Quant au projet de loi organique, les sénateurs ont seulement changé sa date d'entrée en vigueur, préférant retenir une date fixe – le 1er janvier 2009 – plutôt qu’un délai de cinq mois à compter de la publication.

Les modifications apportées par le Sénat ne remettent donc pas en cause les orientations de l'Assemblée nationale. Le projet de loi sur les archives étant très attendu par les usagers, la commission n'a adopté aucun amendement et vous propose d'adopter les deux textes sans modification (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une exception d’irrecevabilité contre le projet de loi ordinaire déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement (« Dilatoire ! » sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marietta Karamanli – Le projet de loi relatif aux archives a beau avoir été amélioré par l'Assemblée nationale en première lecture, le groupe SRC s’y oppose. Loin de marquer un progrès historique, il comporte en effet plusieurs dispositions dangereuses pour l'accès aux archives, la libre recherche, la juste connaissance des faits et événements du passé – et donc la liberté d'informer et les libertés publiques en général.

L'article 11, modifié par l'Assemblée nationale et objet des principales critiques de notre groupe en première lecture, a été adopté conforme par le Sénat en deuxième lecture. Il fixe à cinquante ans le délai de communicabilité des documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l'État, à la sécurité publique ou à la protection de la vie privée. Le même délai s'applique aux documents « qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable », ou qui font apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice.

Cette rédaction vague et imprécise risque de faire entrer dans la catégorie des archives communicables au bout de cinquante ans des archives qui devraient l’être sans délai. Il aurait mieux valu revenir à une définition plus classique – et plus large – de la vie privée, entendue comme « la vie personnelle et familiale, et d'une manière générale, les faits et comportements d'ordre privé ».

L’article 11 modifie également le régime des dérogations. Il dispose ainsi que « l'autorisation de consultation de documents d'archives publiques avant l'expiration des délais fixés au l de l'article L. 213-2 peut être accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ». Pour éviter toute interprétation restrictive, nous avions demandé que soient substitués aux termes « peut être accordée » les mots : « est accordée ». La notion de vie privée risque en effet d'être interprétée de façon discrétionnaire, et les dérogations d'être accordées de façon arbitraire.

L'imprécision des règles applicables et leur renvoi à l'autorité administrative nous paraissent de nature à remettre en cause une liberté publique. La définition précise des exceptions au principe de liberté devrait figurer dans la loi elle-même, puisque l’article 34 de la Constitution dispose que c’est la loi qui fixe les règles dans le domaine des libertés publiques. Nous estimons donc que notre Assemblée n'exerce pas complètement les compétences qui lui sont reconnues. Dans le premier cas, celui de la définition de la vie privée, elle ne fixe pas les garanties qu'il incombe au législateur d'apporter. Dans le second, celui des dérogations, elle renvoie de façon trop large à des mesures administratives d'exécution.

La liberté d'informer est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés. La loi ne peut donc en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif. En refusant de donner des précisions suffisantes, le dispositif porte donc atteinte à un droit mieux reconnu auparavant – un comble pour un texte dont l'objet était d’abord de réduire les délais d'accès aux documents !

L’article 11 fixe à vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé le délai de communication des documents dont la communication porte atteinte au secret médical. Si la date du décès n'est pas connue, ce délai sera de cent vingt ans à compter de la date de naissance de la personne en cause. Ces délais sont supérieurs à ceux en vigueur dans la plupart des autres pays européens – dix ans à compter du décès ou 90 ans après la naissance en Allemagne, 75 ans maximum aux Pays Bas…

Le II de l’article dispose en outre que « ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d'un niveau analogue ». Si les motifs de la protection sont justifiés, notre groupe est opposé au principe d'une interdiction complète – il est cependant favorable à un délai de cent ans révisable pour les documents relatifs à la sécurité collective. Cette disposition est d’ailleurs en contradiction totale avec la volonté d'ouvrir les archives comme avec les recommandations du Conseil de l'Europe. Notre pays, qui devrait être une référence pour les libertés publiques et la transparence, reste en retrait.

Enfin, l'article 29 nouveau autorise le Gouvernement à modifier et à compléter par ordonnance les dispositions du titre Ier du livre II du code du patrimoine, celles de la loi du 17 juillet 1978 et les autres dispositions législatives portant sur l'accès à des documents administratifs ou à des données publiques, afin d'harmoniser les règles applicables aux documents et aux demandeurs entre les différents régimes d'accès.

Notre groupe avait dénoncé en première lecture cette habilitation furtive et mal préparée. Le Sénat a adopté un amendement tendant à améliorer la rédaction de l'habilitation et à réparer une double omission. En dépit des exigences de l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement n’avait précisé en effet ni le délai d’habilitation, ni celui du dépôt du projet de loi de ratification. L’ordonnance devra donc être prise au plus tard le dernier jour du neuvième mois suivant la promulgation de la loi, et le projet de loi de ratification déposé dans les trois mois suivant la publication de l'ordonnance. Il n'en reste pas moins que c'est là un bien mauvais exemple, dont la représentation nationale est la victime consentante.

L'ensemble de ces raisons nous amène à ne pas voter ce qui aurait dû être un texte de progrès, mais qui trahit la difficulté de la majorité à défendre de façon cohérente la liberté d'accès aux archives publiques et donc à l'information (Murmures sur les bancs de la commission).

M. Bernard Roman – Elle a raison !

Mme Marietta Karamanli – En refusant de mieux garantir la liberté d’accès aux archives, on s'éloigne des promesses du Président de la République, à savoir un État plus transparent et plus accessible aux citoyens. Le résultat n'y est pas.

Entre la première et la deuxième lecture par notre Assemblée, la presse française et européenne s'est fait l'écho de deux manifestations de la vérité que permettait un accès élargi à certains documents relatifs à la guerre civile en Espagne, et aux pièces de l'affaire Moro en Italie. Alors même que de nombreux pays libéralisent l’accès aux archives – je pense notamment aux États-Unis, à la Grande Bretagne ou à la Suède –, la France, au motif de mieux protéger la vie privée malgré l’existence d’un dispositif légal efficace, en vient à limiter une autre liberté tout aussi fondamentale.

Pour que le secret ne pèse pas sur l’histoire, nous vous invitons donc à voter cette motion d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. le Président – Nous en arrivons aux explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité.

M. Philippe Gosselin – Je m’étonne d’entendre notre collègue du groupe SRC invoquer les grands ancêtres ou je ne sais quelle atteinte aux principes républicains car le texte soumis à notre examen est parfaitement équilibré. Sans doute faut-il voir dans cette posture une marque d’embarras,…

M. Jean-Marc Roubaud – Comme d’habitude !

M. Philippe Gosselin – …ainsi qu’une certaine incapacité à présenter des arguments de fond (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Bernard Roman –Allons donc ! Seul le lobby des notaires est content et nous ne sommes pas, nous, les porte-parole des notaires !

M. Philippe Gosselin –Attendu depuis bientôt trente ans, ce texte va dans le sens de la transparence et de l’ouverture et nous n’avons que faire de vos procès d’intention et de vos postures politiciennes ! (Mêmes mouvements)

Le groupe UMP votera contre l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Bloche – Il est dommage que l’orateur de l’UMP ne réponde à aucun des arguments de Mme Karamanli. Sans doute n’a-t-il pas été assez attentif ! Et je note qu’il a oublié l’esprit constructif dans lequel nous avions abordé ce texte en première lecture, alors qu’il nous arrivait du Sénat sous une forme éminemment contestable. Si nous nous sommes attachés à l’améliorer, c’est parce qu’on ne légifère pas sur l’accès aux archives tous les quatre matins. La précédente loi aurait eu trente ans l’année prochaine et le rapport Braibant dort depuis seize ans, ce qui fait de la France la risée de l’Europe pour le retard accumulé. Nous attendions mieux, mais vous êtes restés au milieu du gué et cela nous laisse le goût amer d’une occasion ratée. Au vrai, vous avez accumulé les prétextes pour ne pas aller au bout de la démarche, faire obstacle à l’exigence de transparence…

M. Philippe Gosselin – C’est vous qui prenez des prétextes pour ne pas soutenir le texte !

M. Patrick Bloche – …poser des délais excessifs et maintenir un principe d’incommunicabilité définitive de certaines archives.

M. Philippe Gosselin – Cela ne concerne qu’une seule catégorie !

M. Patrick Bloche – Restent incommunicables à tout jamais celles qui intéressent la sécurité nationale ou la menace terroriste. Plus contestable encore est le prétexte de la protection de la vie privée, tant la notion est floue et imprécise. À l’évidence, cela va susciter un contentieux abondant, et, plus fondamentalement, permettre à l’administration, sous le contrôle de l’autorité politique, de garder un pouvoir discrétionnaire dans la délivrance des dérogations. Nous aurions préféré que les recommandations du Conseil de l’Europe soient mieux prises en compte et que, pour tous les sujets susceptibles de faire consensus, soient retenus des délais de communication plus courts.

Vous reprenez d’une main ce que vous donnez de l’autre et vous soumettez le Parlement, sans qu’aucun motif sérieux ne le justifie et en session extraordinaire, à la procédure archaïque de l’habilitation. Bien entendu, nous voterons l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Maxime Gremetz – Cela fait des années qu’une ouverture plus facile des archives est attendue de tous, et j’observe que l’orateur de l’UMP contrevient à la volonté du président de notre Assemblée, lequel a fort opportunément constitué une mission d’information sur les questions mémorielles à laquelle j’ai l’honneur de participer. Que nous disent les historiens de tous bords que nous auditionnons dans ce cadre depuis plusieurs semaines ? Que la difficulté d’accéder aux archives gêne leur travail et risque de laisser dans l’ombre des pans entiers de notre histoire, au détriment de l’avancée des connaissances et de l’enseignement aux jeunes générations. Ces enjeux ne sont pas politiciens…

M. Philippe Gosselin – C’est vous qui politisez le débat !

M. Maxime Gremetz – Et les législateurs que nous sommes n’ont pas vocation à devenir les lobbyistes de quiconque ! La transparence, la connaissance et l’histoire méritent que les archives soient étudiées pour ce qu’elles sont…

M. Philippe Gosselin – C’est tout l’objet de ces deux textes.

M. Maxime Gremetz – Le groupe GDR votera donc l’exception d’irrecevabilité.

M. André Chassaigne – Très bien !

M. Philippe Folliot – Le groupe NC n’a pas été convaincu par les arguments développés par notre collègue socialiste. Témoignant d’une réelle volonté d’équilibre, ce projet répond à la nécessité d’améliorer la situation existante en prenant en compte des exigences parfois contradictoires. Il tient compte de l’aspiration légitime des historiens et autres professionnels à travailler plus aisément, tout en s’attachant au nécessaire respect de la vie privée. Au final, il permet de réaliser des avancées significatives, grâce, notamment, au travail remarquable de notre rapporteur…

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois – Très bien !

M. Philippe Folliot – Parce qu’il souhaite passer rapidement à la discussion des articles, notre groupe votera contre l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe NC du groupe UMP).

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État – Je remercie votre Assemblée de ne pas avoir adopté cette motion car le texte qui vous est soumis concilie exigence de transparence et protection de la vie privée. Ce dernier principe est du reste bien encadré par la jurisprudence. Quant aux dérogations, elles seront octroyées sous le contrôle du juge ; en cas de refus, le requérant pourra saisir la CADA ou le juge administratif. En moyenne, 98 % des dérogations sollicitées par les chercheurs leur sont accordées. L’échelle des délais prévus se situe dans la moyenne européenne. Quant à l’interdiction de communiquer les archives relatives aux armes de destruction massive, elle se comprend aisément, la recette d’une arme chimique ou bactériologique ne se périmant pas.

L’habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance se justifie par le caractère technique des dispositions en question et le Parlement exercera pleinement son contrôle lors de l’examen du projet de loi de ratification.

La réduction du délai de soixante à cinquante ans pour la communication de certaines archives pourrait permettre l’ouverture sans délai d’archives relatives notamment à la guerre d’Algérie.

Non, Monsieur Bloche, le Gouvernement n’est pas resté au milieu du gué et les délais de précaution prévus pour protéger certains secrets ne sont pas des simulacres. C’est une garantie pour les libertés fondamentales.

DISCUSSION GÉNÉRALE COMMUNE

M. Patrick Bloche – Le texte qui revient aujourd'hui devant nous est sans doute un moindre mal si on se remémore le texte qui nous avait été initialement transmis par le Sénat. Nos travaux n’auront donc pas été vains, même si le texte adopté par l’Assemblée en première lecture n'était pas, pour nous, satisfaisant, au regard de l'attente qu'il a suscitée et à laquelle on n’a toujours pas répondu.

Depuis le rapport Braibant, qui avait permis un large consensus autour des propositions de 1992, rien n’avait été fait. La France était toujours la lanterne rouge de l'Union européenne en matière d’archives. Dès lors, l'annonce d'un projet de loi visant à assouplir l'accès aux documents, notamment en substituant au délai de trente ans un principe de libre communicabilité des archives et en raccourcissant les délais pour nombre de catégories d'archives, avait suscité un réel engouement. Le présent projet pose bien un principe de libre communicabilité qui autorisera les administrations qui le souhaitent à mettre à disposition du public, notamment par Internet, le patrimoine public que peuvent constituer les archives.

M. Philippe Gosselin – C’est une avancée considérable.

M. Patrick Bloche – D’autres dispositions nous inquiètent en revanche. Ainsi de la création, dès la version initiale du texte, d'une catégorie d'archives non communicables, en contradiction avec les recommandations du Conseil de l'Europe sur l'accès aux documents publics. L'extension de cette catégorie aux archives publiques dont la communication est de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, nous avait fortement mobilisés en première lecture.

Certes, le texte présenté aujourd'hui a fait sortir de la catégorie des archives incommunicables celles concernant les agents secrets et les indicateurs de la police pour les soumettre à un délai de cent ans. Nous en prenons acte mais ce délai nous paraît encore long. Le champ de cette catégorie se trouve désormais restreint aux armes de destruction massive. Il reste que la notion même d’archive incommunicable pose toujours question. En effet, sous le prétexte de la menace terroriste, le droit inaliénable d'accès des citoyens aux archives demeure écarté. Il aurait été envisageable de protéger cette catégorie d'archives par des délais de consultation très longs, révisables en fonction des documents. Tel n’a pas été votre choix. Cette nouvelle catégorie d'archives, fermées pour l'éternité, nous gêne du fait de sa seule existence.

Parallèlement, les documents « dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée » ou ceux qui « portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable » ne seront plus communicables avant cinquante ans. Avec des critères toujours aussi vagues et imprécis, un nombre indéterminé de documents risque de demeurer inaccessible durant un demi-siècle. Les chercheurs et historiens s'inquiètent aujourd'hui, non sans raison, de l'interprétation de la loi que pourront faire les autorités versantes. En effet, cette définition extensive de la vie privée laisse craindre une restriction des autorisations de dérogation sur le fondement de critères encore très flous. Comment écarter tous les documents faisant mention d'un jugement de valeur ? Ne fixant aucun cadre précis, ce texte renforce le pouvoir discrétionnaire concernant les dérogations. Alors que les mémoires des acteurs politiques fourmillent d'appréciations sur leurs contemporains, celles-ci pourront-elles être considérées à l'avenir comme ne respectant pas l'honorabilité des personnes ?

Nous craignons que les recours en contestation des refus de dérogation fondés sur la notion extensive de vie privée n’augmentent de manière substantielle et que l’on renvoie à la jurisprudence le soin d'éclairer nos concitoyens sur un texte mal rédigé.

M. le Président – Veuillez conclure, je vous prie.

M. Patrick Bloche – Je ne reviens pas sur l’article 29, dont j’ai traité dans mon explication de vote tout à l’heure.

En conclusion, nous regrettons aujourd'hui que l’on soit bien loin du projet de loi annoncé comme un texte d'ouverture et visant à libéraliser la loi de 1979. On demeure fort en deçà des espérances, des chercheurs, des universitaires et des usagers des archives. Bref, ce texte est une occasion manquée (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. André Chassaigne – Mon collègue Pierre Gosnat, empêché, m’a prié de vous faire part de l’intervention qu’il avait préparée. Elle traite pour l'essentiel du projet de loi concernant les archives, celui relatif aux archives du Conseil constitutionnel faisant l’objet d'un large consensus et ayant d’ailleurs été adopté à l'unanimité au Sénat. Il convient cependant de relayer l’observation formulée par Robert Badinter, qui avait regretté la faiblesse de la recherche historique sur le Conseil constitutionnel, soulignant que la recherche historique française connaissait des difficultés considérables, liées pour l'essentiel à un manque de moyens.

Le projet de loi relatif aux archives est beaucoup moins consensuel. La modification par le Sénat du projet de loi initial avait suscité une levée de boucliers, à l’image de la tribune publiée dans Le Monde par Vincent Duclert, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales, qui faisait part des vives inquiétudes de la communauté scientifique et dénonçait « la nuit des archives ». Les usagers s'étaient eux aussi mobilisés contre la déconstruction opérée par le Sénat d'un projet présenté à l'origine comme un texte d'ouverture et de modernisation.

Hélas, à de rares nuances près, l'Assemblée nationale et le Sénat ont fait fi des revendications des scientifiques et des usagers. Les amendements de l'opposition ont été balayés, et les modifications proposées adoptées à l’Assemblée manquent d’ambition. Voici donc un texte hybride contenant d'indéniables avancées, comme le principe de communicabilité immédiate, mais soulevant également de nombreux problèmes. L'incommunicabilité de certaines archives, les régimes d'exception, la balkanisation et la privatisation des Archives nationales, autant de points que les députés communistes avaient dénoncés en première lecture. Un quatrième doit y être ajouté, avec l'adoption à la dernière minute d'un amendement donnant la possibilité au Gouvernement de légiférer par ordonnance.

L'incommunicabilité des archives publiques dont la « communication serait susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques » est en contradiction avec les recommandations du Conseil de l'Europe, pour lequel « toute restriction doit être limitée dans le temps ». Pour seule réponse à l'amendement de suppression défendu par notre collègue en première lecture, le rapporteur avait observé « qu’une arme nucléaire sera tout aussi dangereuse demain qu'aujourd'hui ». Réponse un peu courte, car l'article 11 ne concerne pas seulement l’arme nucléaire mais aussi les armes chimiques et biologiques, comme le gaz moutarde utilisé durant la Grande guerre ou l'agent orange fabriqué par qui l’on sait. La recherche historique permet parfois de placer les États face à leur passé, notamment face aux pages douloureuses de leur histoire. Qu'en sera-t-il si nous freinons par la loi cette possibilité ? De plus, l'amalgame entre historiens et poseurs de bombes est malvenu, déterminé par la conjoncture actuelle, dominée par la peur du terrorisme.

Pour ce qui est des régimes d'exception, les amendements du rapporteur ont permis à l’Assemblée de revenir sur quelques-unes des dispositions introduites par le Sénat. Mais le lobbying des notaires a bien fonctionné et le délai de soixante-quinze ans pour la communication des minutes notariales a été maintenu, tout comme celui de cent ans pour les documents pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes. C’est un recul par rapport aux intentions affichées du Gouvernement. Alors qu’il faudrait encourager une recherche historique ambitieuse, vous entravez le travail des historiens par une loi en deçà de leurs revendications.

Ce texte consacre aussi le recours à des entreprises privées pour la gestion des archives courantes. On nous a dit qu'il s'agissait seulement de reconnaître dans la loi une pratique de plus en plus répandue. Le pré-archivage assuré par les Archives de France sera délégué à chaque administration et à chaque collectivité locale, lesquelles pourront avoir recours à des entreprises privées. S’ensuivra une multiplication des lieux d'archivage. Cette « balkanisation des archives », redoutée par Guy Braibant, compliquera la tâche des chercheurs. Des entreprises privées pourront en effet gérer et stocker des archives courantes et intermédiaires, vouées pour certaines à devenir des archives définitives. Les prémices de la privatisation des Archives de France : voilà ce que vous nous proposez.

La menace est telle que certains appellent à « sauver les archives » : l’intégration de la direction des Archives de France au sein de la direction générale des patrimoines de France, regroupant en outre l’architecture, les musées et le patrimoine monumental, suscite en effet l’inquiétude de nombreux salariés qui craignent une réduction drastique des moyens consacrés aux Archives. Hélas, la remise en cause de la création de soixante postes à Pierrefitte semble leur donner raison. L’édifice des archives tout entier est menacé, au moment même où nous légiférons !

M. Philippe Gosselin – Vous oubliez les nombreux postes créés par les conseils généraux dans les archives départementales !

M. André Chassaigne – Enfin, l’adoption in extremis d’un amendement conférant au Gouvernement la possibilité d’agir par ordonnance est inacceptable.

M. Maxime Gremetz – Et révélateur des intentions du Gouvernement !

M. André Chassaigne – Les députés communistes et républicains sont, par principe, opposés à la pratique de l’ordonnance qui dessaisit le Parlement de son pouvoir. Pourquoi, dans ce cas comme dans d’autres, donner tant de liberté au Gouvernement alors que celui-ci entend revaloriser le rôle du Parlement ?

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre ce projet de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Philippe Gosselin – Je me félicite que le Sénat ait adopté en termes presque conformes ces deux projets relatifs aux archives. D’autres textes nous donnent davantage de souci… S’agissant de la loi organique, le Sénat propose que son entrée en vigueur soit fixée au 1er janvier 2009 – et c’est judicieux. Quant au projet de loi ordinaire, deux questions restent en discussion. D’une part, un amendement du Gouvernement tend à lui permettre d’harmoniser par voie d’ordonnance des dispositions relatives à la communication des documents administratifs et des archives publiques. Je sais que certains de nos collègues réprouvent la pratique de l’ordonnance mais, en l’espèce, cette proposition n’est en aucun cas liberticide.

Ensuite, l’extension, grâce à l’excellent amendement de Mme Karamanli, du champ du rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement concernant les mesures destinées à garantir la pérennité des archives numériques.

Le Sénat n’a pas remis en cause les mesures votées par l’Assemblée en première lecture, et c’est heureux, particulièrement en ce qui concerne les délais. La bonne collaboration entre le Gouvernement et le Parlement a permis d’aboutir a des textes équilibrés qui satisfont les attentes des chercheurs comme du grand public – je pense aux généalogistes du dimanche, aux historiens locaux qui valorisent notre patrimoine commun – tout en garantissant la protection de la vie privée des personnes et la sûreté de l’État.

Reste une exception – la seule – à la communicabilité, dont le principe est affirmé pour la première fois dans la loi. Les recensements de l’INSEE, certains dossiers judiciaires, les certificats de mariage pour l’état civil, jusqu’ici communicables au bout de cent ans seulement, le seront désormais après soixante-quinze ans. D’autres documents, tels que ceux que couvre le secret défense par exemple, seront disponibles après cinquante ans, et non plus soixante. De même, le volet relatif aux biens culturels constitue une véritable avancée.

Nous allons donc procéder à une utile libéralisation de la loi de 1979, bientôt trentenaire. C’est un pas d’autant plus important que les archives sont la mémoire d’un peuple et d’un territoire. Cessons les procès d’intention ! Depuis la première loi sur les archives, votée sous la Révolution, et même depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, les Français manifestent leur attachement viscéral à ce bien commun qu’illustrent une nouvelle fois les deux textes qui nous sont soumis.

Au fil de ses quarante propositions, M. Braibant a tenté d’articuler au mieux les dispositions relatives aux archives. Avec un retard imputable aux gouvernements de tous bords, l’adoption de ces deux textes rendra nos archives plus riches, plus ouvertes et mieux gérées, selon le souhait de M. Braibant lui-même. Dès lors, il va de soi que le groupe UMP les votera ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Aurélie Filippetti – Comme l’a souligné Mme Karamanli, ce projet de loi aggrave l’accès aux archives, porte atteinte aux droits des citoyens et grève les moyens consacrés à la politique publique menée en la matière.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission – Tant de mensonges en si peu de mots !

Mme Aurélie Filippetti – La mobilisation des historiens, relayée par le comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire, a installé le débat dans l’espace public.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission – La commission n’avait pas attendu pour adopter des amendements !

Mme Aurélie Filippetti – Les spécialistes, comme les usagers, sont mobilisés contre un texte qui renoue avec le culte du secret en s’abritant derrière la notion dévoyée de « protection de la vie privée ». Contraire à la pratique en vigueur dans d’autres pays européens, le projet introduit des restrictions à la communicabilité, illustrant la défiance du Gouvernement à l’égard des chercheurs et des historiens, la même que celle qu’il manifeste face aux journalistes des chaînes publiques.

M. Philippe Gosselin – Amalgame !

M. Christian Eckert – Bien au contraire, elle a parfaitement raison.

Mme Aurélie Filippetti – D’un côté, il exhorte au devoir de mémoire, et de l’autre, il restreint considérablement l’accès aux archives récentes. Le Président de la République souhaite, semble-t-il, que les chaînes du service public fassent la part belle à l’histoire. Faudra-t-il donc se contenter des Rois maudits ? N’aura-t-on plus le droit d’aborder la guerre d’Algérie, le régime de Vichy, dont une partie des sources deviendront inaccessibles, compte tenu de l’extension des délais ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Gosselin – Au contraire, nous allons précisément ouvrir l’accès à ces archives !

Mme Aurélie Filippetti – Réjouissons-nous que le Sénat n’ait pas cherché à réintroduire en deuxième lecture les dispositions inacceptables qu’il avait adoptées en première lecture. Pour autant, le texte demeure très en deçà des espérances du public et des universitaires, français comme étrangers. Quel décalage avec la vision ouverte qui prévaut aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Scandinavie ! Et combien cela étonne de votre part, Monsieur le ministre, vous qui êtes libéral dans l’âme ! (Sourires.)

M. Régis Juanico – Face à la gauche moderne, la droite archaïque !

Mme Aurélie Filippetti – Voilà un texte de défiance et de fermeture.

S’agissant du projet de loi organique, le Sénat s’en est tenu à des modifications d’ordre rédactionnel. Sur le projet ordinaire, il a adopté quinze des dix-sept articles modifiés par l’Assemblée, nous privant ainsi de l’occasion de revenir sur les points les plus contestables du texte…

M. Philippe Gosselin – Mais pas du plaisir de vous écouter !

Mme Aurélie Filippetti – …tels que l’incommunicabilité absolue de certaines archives ou la notion extensive de vie privée. Le Sénat n’a modifié que l’article 29, qui habilite le Gouvernement à harmoniser par ordonnance les règles relatives à la communication des documents administratifs et des archives publiques – dont l’Assemblée devrait pourtant pouvoir débattre – et l’article 30, qui prévoit la remise d’un rapport relatif aux conditions de conservation des archives numériques sur des supports pérennes, suite à l’adoption par l’Assemblée unanime de l’un de nos amendements.

M. Philippe Gosselin – En effet : le consensus est souhaitable sur toute proposition judicieuse !

Mme Aurélie Filippetti – Les sénateurs ont souhaité que ce rapport soit remis tous les trois ans, et qu’il concerne également les archives en format papier. Notre amendement prévoyait cependant que le rapport indiquerait le coût de gestion induit par les mesures de conservation, pour l’État comme pour les collectivités territoriales.

La modification de l’article 29 n’est pas seulement de nature technique : il s’agit là d’un point essentiel pour les usagers. Certes, une meilleure articulation entre les lois de 1978 et de 1979 est nécessaire, mais le texte que vous nous soumettez est loin d’être abouti. Songez qu’il a été déposé sur le bureau du Sénat en août 2006, voici bientôt deux ans !

Dans sa rédaction actuelle, le texte continuera d’entraver l'écriture de l'histoire contemporaine. Si le champ des archives incommunicables se trouve réduit aux armes de destruction massives, le principe demeure inacceptable. Mieux aurait valu, comme le proposaient les juristes du ministère de la défense, décider de longs délais de communicabilité révisables mais la majorité a ignoré cette solution. L’Association des usagers des archives nationales s’inquiètent : interdira-t-on l'accès aux documents relatifs aux essais nucléaire conduits au Sahara au cours des années 1960, et passera-t-on ainsi sous silence les maladies dont souffrent certains civils et militaires ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Bloche – Excellente illustration !

Mme Aurélie Filippetti – Les historiens et les épidémiologistes se verront-ils fermer ce sujet de recherche « pour l'éternité » comme l'a dit Mme Albanel au Sénat le 15 mai ?

En portant à cent ans le délai d’incommunicabilité des archives dont le contenu est susceptible de porter atteinte à la sécurité des personnes, c'est-à-dire des archives concernant les agents des services spéciaux de l'État, la majorité a certes infléchi le texte initial du Gouvernement, mais cette durée demeure excessive. Les dispositions concernant les documents relatifs à la vie privée des personnes seront finalement accessibles après cinquante ans et non soixante-quinze ans comme le voulaient les sénateurs, mais une définition extensive de la notion de « vie privée » risque de rendre plus difficile l'obtention de dérogations. Je déplore d’ailleurs la réintroduction de la référence à l’atteinte à l'honneur des personnes, qui relève du code pénal.

L'accès aux archives notariales, aux documents statistiques officiels, aux enquêtes de police judiciaires et aux dossiers personnels des fonctionnaires, seront finalement communicables après un délai moyen de soixante-quinze ans, alors que le projet initial prévoyait cinquante ans. Cet allongement très dommageable pour la recherche a pour conséquence de reporter d'une génération la libre consultation de ces archives. Cédant à la pression du lobby des notaires, la France se dote donc sur ce point d'une des législations les plus restrictives d'Europe, ce qui est inacceptable. Est-il admissible de ne pouvoir consulter librement les dossiers de justice concernant l'association d'extrême droite La Cagoule, au temps du Front populaire ? Est-il admissible de ne pas voir accès aux minutes notariales concernant la spoliation des juifs et l'aryanisation des biens sous le régime de Vichy ? Est-il admissible de refuser l’accès aux enquêtes concernant le 8 mai 1945 en Algérie ? Si le délai initial avait été maintenu, ces documents auraient pu être consultés immédiatement après la promulgation de la loi ; ils ne pourront désormais être consultés qu’à partir de 2019.

Ce texte n’assure pas un juste équilibre entre les exigences de la recherche contemporaine, la nécessité d’ouvrir les archives à la collectivité et l'impératif de protection des données individuelles et personnelles. Il entrave le travail des chercheurs, mais il porte aussi atteinte aux droits des citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission – Tout ce qui est excessif…

La discussion générale est close.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État Je remercie M. Gosselin de son intervention pertinente.

À vous, Monsieur Bloche, je le redis : ce que vous qualifiez de « prétextes », ce ne sont rien moins que des libertés fondamentales. De plus, rien ne fonde vos craintes d’un refus systématique de communication aux chercheurs des documents demandés aux administrations – tant s’en faut, comme le montrent trente années de jurisprudence du Conseil d’Etat et de la CADA. Pourquoi les dérogations jusqu’à présent accordées à 98 % seraient-elles soudainement refusées ? C’est une vue de l’esprit.

Vous vous êtes élevé, Monsieur Chassaigne, contre le recours à des prestataires privés. C’est pourtant nécessaire, puisque l’administration ne dispose pas d’une surface de stockage des archives suffisante. Il faut donc encadrer ces pratiques pour les placer sous les contrôles des Archives de France. La crainte que vous exprimez me paraît, elle aussi, injustifiée.

Le texte est en effet libéral, Madame Filippetti, au meilleur sens de ce terme. Il n’aggrave en rien les conditions d’accès aux archives. On aurait certes pu aller plus loin, mais l’esprit de responsabilité devait aussi prévaloir. Du reste, les exemples que vous avez donnés ne me paraissent pas les plus pertinents : la loi permet l’accès aux documents concernant le régime de Vichy, et rendra possible progressivement, à dater de cette année, l’accès à ceux qui sont relatifs à la guerre d’Algérie.

En réalité, nul ne peut nier que ce texte constitue un progrès, le meilleur auquel nous pouvions parvenir dans un esprit de responsabilité.

ARCHIVES

M. le Président – J’appelle en premier lieu, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi relatif aux archives sur lesquels les deux Assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

ART. 29

Mme Aurélie Filippetti – Nous déplorons que, par cet article, le Parlement se dessaisisse de ses prérogatives en habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance.

L'article 29, mis aux voix, est adopté.

ART. 30

Mme Aurélie Filippetti – Par l’amendement 1, identique à celui que notre Assemblée avait adopté en première lecture, nous spécifions que le rapport présenté au Parlement indique le coût de gestion, pour l'État et les collectivités territoriales, des mesures prises pour assurer la conservation des archives publiques, notamment celles qui sont stockées sur des supports exclusivement numériques. Ces supports doivent en effet être régulièrement mis à jour pour éviter la perte de cette mémoire, et il convient d'étudier la charge matérielle que cela constitue.

M. François Calvet, rapporteur – Le Sénat a prévu que le Gouvernement présente au Parlement, tous les trois ans, un rapport portant sur les conditions de collecte, classement, conservation et communication des archives en France et sur les mesures destinées à assurer la pérennité des archives numériques. La commission juge l’amendement satisfait par cette rédaction. Avis défavorable.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État Le rapport comprendra évidemment une section consacré aux coûts de l’archivage – sur papier et numérique. Point n’est donc besoin de modifier le texte. Avis défavorable.

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 30, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

Mme Marietta Karamanli – Le seul élément positif de ce texte est qu’il ramène à cinquante ans le délai de communicabilité de certains documents. C’est un moindre mal, mais nous restons sur notre faim car une occasion historique d’améliorer la loi de 1979, qui devait effectivement être révisée, a été perdue. Le projet ne répond pas aux attentes des citoyens qui souhaitent pouvoir accéder à des documents historiques et qui ne le pourront pas. Il est dommage que les conclusions de l’excellent rapport Braibant n’aient pas été mieux suivies. Alors que la France devrait être une référence en matière de libertés publiques, la défiance l’emporte. C’est pourquoi nous voterons contre ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ; M. Gremetz signale qu’il souhaite prendre la parole).

M. le Président – Je vous rappelle, Monsieur Gremetz, que toute demande de parole pour une explication de vote suppose une demande écrite.

M. Maxime Gremetz – C’est donc que la règle a changé, car il a longtemps suffi de lever le bras…

Même si cette loi rend désormais communicables certains éléments, la nécessité de demander des dérogations ou l’existence de régimes d’exception laissent craindre le pire. Surtout, Monsieur le ministre, vous avez dit qu’il faudrait passer par des entreprises privées pour le stockage des archives. Les caisses sont-elles à ce point vides – comme dirait le Premier ministre – au moment même où l’État vend son patrimoine immobilier ? Où allons-nous si la nation n’est plus capable d’assurer elle-même la gestion de ses archives ?

Les historiens, les chercheurs, demandaient l’ouverture des archives, posant ainsi la question de la connaissance et de la transmission du passé. Le Gouvernement avait réaffirmé sa volonté de libéraliser l’accès aux archives et de réduire les délais, mais elle n’a pas été respectée, loin s’en faut. Le groupe GDR votera donc contre ces projets.

M. Philippe Gosselin – Je comprends l’embarras de l’opposition, qui doit trouver des raisons de voter contre ce texte équilibré, qui améliore la communicabilité – au point d’en faire un principe – et réduit de plusieurs dizaines d’années les délais d’accès aux documents.

Certes, ce texte n’est pas parfait. Vous avez évoqué la mission d’information sur les questions mémorielles ; ne tirons pas de conclusions avant qu’elle soit arrivée à son terme. Nous aurons tout le loisir de revenir ultérieurement sur certaines dispositions.

M. Maxime Gremetz – Ah !

M. Philippe Gosselin – L’opposition nous ressert toujours le même couplet : atteintes aux libertés publiques, à la tradition républicaine (Approbation sur les bancs du groupe UMP). Ce ne sont là que procès d’intention : presque trente ans après la loi de 1979, ce texte traduit le souci de conservation et de communicabilité des archives, tant à l’égard des chercheurs que du grand public. Le groupe UMP votera les deux textes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État – Rendons hommage à ce grand juriste qu’était Guy Braibant – l’inspirateur de ce texte – décédé il y a quelques semaines.

ARCHIVES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le Président – J’appelle dans le texte du Sénat l’article du projet de loi organique sur lequel les deux assemblées n’ont pu parvenir à un texte identique.

L'article 2, mis aux voix, est adopté.

L'ensemble du projet de loi organique, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 17 heures 10 est reprise à 17 heures 15, sous la présidence de M. Bernard Accoyer.

PRÉSIDENCE de M. Bernard ACCOYER

DÉMOCRATIE SOCIALE

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité – Aujourd'hui, un délégué syndical qui ne s'est jamais présenté aux élections et qui appartient à un syndicat dont les effectifs sont très faibles peut signer un accord qui engage la totalité des salariés.

Une entreprise de papeterie sans délégué syndical n'a aucun moyen de négocier un accord collectif avec ses salariés.

Le salarié d'une chocolaterie qui souhaiterait faire des heures supplémentaires au-delà de 130 heures ne le peut pas, si son entreprise n'a pas demandé d'autorisation administrative.

Un cadre au forfait jours qui voudrait racheter des jours de repos ne peut le faire au-delà de 2009.

Ce projet de loi apportera une réponse concrète à toutes ces situations. Il marque une étape sans précédent dans l’histoire des relations collectives de travail. Les acteurs du dialogue social verront leur légitimité renforcée et la négociation collective disposera de plus d'espace pour s'exprimer, notamment dans l'entreprise, où les attentes d'une régulation négociée des rapports sociaux sont les plus fortes.

Depuis la dernière guerre, la France vit une situation paradoxale : alors que la quasi-totalité des salariés du secteur privé sont couverts par les conventions collectives – ce qui nous place en tête des pays européens –, seuls 5 % des salariés du privé sont syndiqués, soit le taux le plus bas d’Europe. Il faut changer cela.

Comme la loi portant modernisation du marché du travail, le présent projet de loi s’inscrit dans le cadre de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007. Dès le 18 juin 2007, le Gouvernement a transmis aux partenaires sociaux un document d’orientation les invitant à entamer les négociations sur la démocratie sociale. Lors de la conférence sociale du 19 décembre suivant, le Président de la République a réaffirmé son souhait de voir ces négociations aboutir et a renouvelé l’engagement, pris au cours de la campagne présidentielle, de rompre avec une organisation du travail trop rigide, fruit des 35 heures imposées.

Or, afin de nous affranchir de ce carcan, il n’est pas de meilleure solution que de permettre aux salariés et aux entreprises, à l’instar de grandes démocraties européennes, de déterminer ensemble, par la négociation collective, l’organisation du travail la mieux adaptée au développement des secondes et aux attentes des premiers.

Voilà pourquoi, dès le 26 décembre 2007, le Premier ministre a envoyé aux partenaires sociaux un document d’orientation additionnel leur demandant d’étendre leurs négociations à la question du temps de travail. Quel domaine réserver impérativement à la loi, quel champ ouvrir aux accords collectifs ? La première a-t-elle vocation à fixer des règles en matière de contingent et de repos compensateur ? S’agissant des seconds, comment articuler accords de branche et accords d’entreprise ? Telles étaient les questions précises que soulevait clairement ce texte.

Le 10 avril, les partenaires sociaux ont abouti à une position commune, signée par le Medef, la CGPME, la CGT et la CFDT – l'UPA, la CFTC, la CGC et FO ayant refusé de faire de même. Le présent projet de loi vise à donner à cette position commune force obligatoire en matière de représentativité des syndicats et de financement des organisations de salariés et d'employeurs. Mais il va plus loin que son article 17 sur la question du temps de travail.

M. Régis Juanico – Hélas !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Sur ce sujet, nous assumons les divergences qui nous séparent de certains signataires de la position commune, car nous ne saurions tarder davantage à résoudre le problème des rigidités résultant des 35 heures (Approbation sur plusieurs bancs du groupe UMP).

MM. Bernard Perrut et Jean-Charles Taugourdeau – Absolument !

M. Frédéric Lefebvre – Nous devons tenir nos engagements !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Je l’ai dit, notre position était claire d’emblée ; ni les salariés ni les entreprises ne peuvent attendre davantage : c’est aujourd’hui qu’ils ont besoin d’effectuer des heures supplémentaires sans se heurter à des obstacles !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires culturelles – Exactement !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Dans le cadre de la loi du 31 janvier 2007, qui a instauré de nouvelles relations entre pouvoirs publics et partenaires sociaux, nous devons réaffirmer la légitimité et l'autonomie de chacun de ces acteurs dans l’élaboration de la norme. À cet égard, l'application des critères de représentativité favorisera une nouvelle donne, en accroissant la légitimité des partenaires sociaux. Mais, parce que la démocratie politique n’est pas moins légitime en matière sociale qu’ailleurs, nous devrons parvenir à articuler le plus efficacement possible leur intervention avec celle des pouvoirs publics.

Je tiens à saluer le remarquable travail d’amélioration du texte effectué par les rapporteurs, MM. Poisson et Anciaux,…

MM. Benoist Apparu, Bernard Perrut et Jean-Charles Taugourdeau – Bravo !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – …et l'initiative du groupe UMP, qui a tenu à recevoir les signataires de la position commune.

Le projet comporte deux parties : la première est consacrée à la rénovation des règles de la démocratie sociale ; la seconde, à une réforme qui simplifie les règles et développe le rôle de la négociation d'entreprise dans l'organisation du temps de travail.

Il s’agit tout d’abord de refondre les règles de représentativité des syndicats, restées inchangées depuis la dernière guerre. En démocratie, la légitimité s'acquiert par le vote ; c’est ce principe fondamental que nous appliquerons, comme l’ont souhaité les signataires de la position commune. Ainsi, il appartiendra aux salariés de choisir ceux qui négocieront en leur nom, à tous les niveaux, et de décider si un accord collectif peut s'appliquer ou non dans leur entreprise. Par cette réforme historique, la France, comme l'Espagne, fondera la représentativité des syndicats sur l'élection.

En d’autres termes, loin d’être définie d’en haut pour être imposée ensuite sur le terrain, la représentativité, conformément à la position commune, sera acquise par les organisations syndicales dans l'entreprise, où s'expriment directement les relations sociales, pour remonter ensuite au niveau national. Pour être représentatives, les organisations syndicales devront désormais respecter les principes républicains ; avoir une ancienneté supérieure à deux ans ; être indépendantes, rassembler des adhérents et recevoir des cotisations ; faire la preuve de leur transparence financière ; exercer une influence ; enfin, bénéficier d'une audience électorale appréciée, selon des seuils, en fonction des résultats obtenus aux élections professionnelles – 10 % des suffrages aux élections professionnelles dans l'entreprise et 8 % au niveau des branches et au niveau interprofessionnel.

Les syndicats représentatifs pourront être catégoriels s'ils sont affiliés à une confédération syndicale nationale catégorielle interprofessionnelle et si un ou plusieurs collèges électoraux ont confirmé leur représentativité. Seuls les syndicats représentatifs pourront désigner un délégué syndical, lequel devra obtenir personnellement 10 % des suffrages exprimés. En d’autres termes, désormais, le délégué tirera sa légitimité non de sa seule appartenance à un syndicat représentatif, mais également de son résultat personnel aux élections professionnelles ; il s’agit là d’un point essentiel de la réforme.

Le premier tour des élections dans l'entreprise sera ouvert à tous les syndicats légalement constitués depuis au moins deux ans, indépendants et républicains ; dans ce cas également, c’est en vertu de la règle démocratique que tous pourront briguer les suffrages des salariés. En outre, avant de devenir représentatif, et si les salariés le souhaitent, chaque syndicat existant depuis au moins deux ans pourra nommer un représentant syndical dans l'établissement, qui disposera des mêmes attributions que le délégué syndical – à l’exception, naturellement, du pouvoir de signer des accords collectifs, qui ne sera acquis qu'avec la représentativité.

Cette réforme entrera en vigueur dans les entreprises dès les premières élections professionnelles – c'est-à-dire, le cas échéant, dès 2008 –, et dans cinq ans au plus au niveau des branches et au niveau interprofessionnel.

Enfin, afin d’établir les résultats électoraux au niveau national, nous devrons créer sans tarder et en toute transparence un moyen de collecte incontestable et exhaustif.

M. Régis Juanico – Une usine à gaz !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Mais réformer la démocratie sociale suppose également de rendre les accords plus légitimes et plus accessibles. Désormais, tous devront recueillir l'adhésion de syndicats représentatifs ayant obtenu au moins 30 % des suffrages, sans opposition de la part de syndicats représentatifs ayant obtenu au moins 50 % des voix.

En outre, les possibilités de négocier seront élargies, y compris pour les 10 millions de salariés travaillant dans des entreprises dépourvues de délégués syndicaux. Mais, en attendant, le projet de loi permet, pendant un an, d’ajouter de nouveaux accords de branche aux seize existants, afin d’encadrer la négociation avec des élus du personnel ou avec des salariés mandatés par un syndicat. Cette importante avancée permettra aux entreprises dépourvues de délégués syndicaux d’accéder à la négociation collective. Nous devons également penser aux quatre millions de personnes travaillant dans des entreprises de moins de 11 salariés. Aux termes de la position commune, ces questions doivent être soumises à un groupe de travail, que les signataires souhaitent voir réuni sans tarder.

De fait, il est indispensable que, comme le prévoit le projet de loi, une négociation nationale interprofessionnelle règle rapidement les problèmes liés au développement du dialogue social dans les TPE. Comment mesurer l'audience dans les branches où les salariés travaillent en majorité dans de très petites entreprises qui n’organisent pas d'élections ? Comment assurer la représentation de ces salariés ? Telles sont les questions auxquelles nous devons répondre afin que la réforme porte ses fruits partout et pour tous. Je sais que ce sujet vous préoccupe également, notamment votre rapporteur ; soyez assurés que le Gouvernement sera attentif à vos propositions sur ce sujet.

D’autre part, le projet vise à accroître la transparence et la sécurité juridique en matière de financement des organisations syndicales et professionnelles. Voilà pourquoi la transparence financière fera désormais partie des critères de représentativité. Les ressources et les dépenses des organisations syndicales et professionnelles devront avoir un rapport avec l’objet de celles-ci et être retracées dans des comptes annuels.

M. Régis Juanico – Et les obligations patronales ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Ces comptes devront être certifiés dès lors que les ressources dépasseront 153 000 euros par an.

En outre, le texte sécurise la situation des salariés syndiqués mis à disposition, en vertu d’un accord collectif d'entreprise, d’organisations syndicales de salariés ou d'employeurs.

Enfin, il comporte une disposition encadrant les accords qui prévoient un financement du dialogue social à travers une contribution des entreprises. Il ne s'agit pas là d’une nouvelle taxe ou d’une nouvelle obligation : trente branches, incluant plus de deux millions de salariés, ont déjà signé des accords en ce sens au cours des années 1990 et 2000.

Les accords déclinant l'accord de décembre 2001 sur le financement du dialogue social dans l'artisanat, signé par l'UPA et l'ensemble des organisations syndicales, ont déjà été étendus et appliqués, à l'exception de deux d'entre eux – dont l’un dans le bâtiment ; néanmoins, étant donné les critiques dont ils ont fait l’objet, j'ai souhaité attendre l’aboutissement du contentieux judiciaire au terme duquel la Cour de cassation en a déclaré la légalité, en octobre 2007.

Voilà pourquoi le projet de loi pose certaines limites, afin de garantir que le seul dialogue social soit financé et que l’on ne paye pas deux fois lorsqu'on dispose déjà de représentants du personnel. Ces accords ont vocation à être étendus, moyennant ces nouvelles limites légales, au cours de 2009. Vos deux commissions ont formulé des propositions intéressantes en ce sens, que nous aurons l'occasion d'examiner.

La deuxième partie du projet concerne le temps de travail (Murmures sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Elle tend à donner davantage de place à la négociation d'entreprise ou de branche lorsqu’il s’agit de définir le temps de travail dans les entreprises.

M. Loïc Bouvard – Très bien !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail En effet, pour rendre notre démocratie sociale plus efficace, nous devons modifier l’articulation de la loi et de l’accord collectif au profit de ce dernier. Car c’est aux accords d'entreprise de déterminer, au plus près du niveau d’application des décisions, l'organisation du travail la plus adaptée au développement de l'entreprise comme aux attentes des salariés en matière de pouvoir d'achat et de gestion du temps de travail.

Ainsi, la loi a vocation à définir les règles nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des salariés ; quant à la négociation collective, elle verra ses prérogatives s’étendre, notamment en matière de contingent et de repos compensateur.

Aux termes de l'article 17 de la position commune, des accords d'entreprise recueillant l'adhésion de syndicats représentant 50 % au moins des salariés pouvaient déroger, de manière expérimentale, aux contingents conventionnels d'heures supplémentaires fixés par des accords de branche signés avant la loi du 4 mai 2004. Ce seuil de 50 % faisait exception aux 30 % définis dans le reste de la position commune…

M. Benoist Apparu – Surprenant ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – …et revenait à garantir le statu quo.

Sans reprendre cette réponse spécifique et expérimentale, nous en conservons la logique : donner plus de place à la négociation d'entreprise, s’agissant du contingent et, de manière générale, de l'aménagement du temps de travail, tout en maintenant dans la loi les principes fondamentaux du droit de la durée du travail (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Rien ne change en matière de repos et de durée maximale du travail… (Même mouvement)

Mme Martine Billard – C’est faux !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – La durée maximale hebdomadaire de travail restera inchangée, comme la durée maximale hebdomadaire moyenne de travail sur 12 semaines, comme la durée maximale quotidienne de travail et les durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire. Ces normes seront même renforcées grâce au recentrage de la loi sur les dispositions fondamentales.

Rien ne change non plus s’agissant de la durée légale du travail, qui demeure fixée à 35 heures et constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et de leur taux de majoration, garantissant ainsi le pouvoir d'achat des salariés.

Avec ce projet de loi, nous arrêtons enfin la « machine à compliquer » qui fonctionne depuis plus de vingt ans dans notre pays, cet ensemble juridique d’une complexité sans nom, impossible à connaître et à maîtriser pour la plupart des entreprises, que nous avions créé en prenant l'habitude de répondre à chaque situation particulière par une nouvelle règle légale. Pour une fois, un projet de loi simplifie et clarifie véritablement. Et en allégeant les règles, il les rend plus efficaces, donnant davantage de marge de manœuvre aux négociateurs. Le nombre d’articles du code du travail consacrés au temps de travail passe de 73 à 34 : voilà qui est clair et concret (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Le projet énonce ainsi des règles simples : il sera possible, par accord d'entreprise, de fixer toutes les règles en matière de contingent et de repos compensateur et de dépasser le contingent en consultant les institutions représentatives du personnel ; il sera également plus facile de faire faire des heures supplémentaires.

M. Frédéric Lefebvre – Enfin, la liberté !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Par exemple, une entreprise de huit salariés qui a du mal à recruter et a besoin de main-d'œuvre à des périodes précises doit aujourd’hui effectuer un véritable parcours du combattant pour demander l’autorisation administrative de dépasser son contingent, fixé par l'accord de branche du secteur à 130 heures. Ceux qui connaissent l’entreprise savent que c’est là la réalité ! (Approbation sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Nous voulons mettre un terme à ce parcours du combattant : dès l'entrée en vigueur du texte, l’entreprise pourra dépasser le contingent sans demander d'autorisation administrative. C'est pratique, simple et efficace – et c’est ce qui nous est demandé dans les entreprises !

S’agissant des forfaits annuels, le projet de loi pose des balises : ils devront être institués par accords collectifs et leur utilisation sera réservée à certains types de salariés cadres et autonomes dans la gestion de leur emploi du temps, aussi bien pour les forfaits annuels en jours que pour ceux en heures.

Les salariés en forfait jours pourront faire des jours supplémentaires majorés d'au moins 10 %, et augmenteront donc leur pouvoir d'achat.

Mme Martine Billard – Quel cadeau !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Le débat permettra d'apporter les garanties nécessaires pour que ces modes d'aménagement du temps de travail répondent aux besoins de chacun.

Enfin et surtout, le projet simplifie en créant un nouveau mode unique d'aménagement négocié du temps de travail qui se substitue aux quatre modes précédents, et offre des règles beaucoup plus souples.

M. Régis Juanico – Et moins de garanties !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – On n’aura ainsi plus besoin de programmer pour l'ensemble des entreprises d'une branche les durées des semaines de travail pour toute l'année à venir. Aujourd'hui, un salarié à temps partiel n'a pas accès aux JRTT et peut encore moins les racheter. Avec ce texte, ce sera possible.

L'accord devra également fixer un délai de prévenance en cas de changement de durée ou d'horaires de travail, délai qui, sauf stipulation contraire, sera d'au moins sept jours.

Longtemps, la loi a imposé d’en haut.

Mme Martine Billard – A protégé !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Nous avons fait le choix d’une loi qui apporte des garanties tout en donnant des libertés sur le terrain. Voilà donc la philosophie de ce projet. Il s’agit de permettre aux entreprises et aux salariés de trouver ensemble, par le dialogue, les solutions les plus adaptées.

C'est bien parce que les représentants des salariés auront une légitimité renforcée dans les entreprises qu'ils pourront occuper les nouveaux espaces que nous ouvrons à la négociation collective – je dis bien collective, car il ne s'agit pas de renvoyer les salariés à un face-à-face avec leur employeur. Notre choix est celui de la négociation collective, de la participation de chacun à la détermination des règles qui le concernent. Ce n'est ni la même règle pour tous, ni l'individualisation sans règles.

Cette réforme est ambitieuse. Elle ne manque donc pas de susciter des remarques et des commentaires.

M. Roland Muzeau – Des hostilités !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Mais l’été dernier, au moment de la loi sur le service minimum, comme au mois de novembre, lors de la réforme des régimes spéciaux, on entendait déjà que c’en était fini du dialogue social. Un mois et demi après, un accord historique sur le contrat de travail était signé par l’ensemble des partenaires sociaux ! Le dialogue social n’est pas là pour faire plaisir au Gouvernement ou aux partenaires sociaux, mais pour nous permettre d’avancer sur la représentativité, la formation professionnelle ou, demain, la pénibilité (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

Ce texte réforme en profondeur les règles de la démocratie sociale et offre de nouveaux espaces à la négociation d'entreprise en matière de temps de travail. La place et la légitimité de la négociation collective s’en trouvent confortées. Il a vocation à produire des effets dès l'automne. Et cette réforme historique, ce sont les acteurs de l'entreprise qui lui donneront toute sa portée. Il vous appartient quant à vous de lui donner force obligatoire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Vous venez de retracer l'histoire de ce projet de loi, Monsieur le ministre. Je n'y reviendrai donc pas. La posture qu'a adoptée le Gouvernement est légitime : l'urgence qui s’attache à la réforme de la représentation syndicale et le besoin de souplesse des entreprises justifient que les deux titres du projet de loi – représentativité syndicale et temps de travail – soient présentés dans un seul et même texte

De fait, la commission des affaires sociales l’a adopté, avec des amendements sur lesquels le débat nous permettra de revenir. Qu’il me soit toutefois permis de remercier Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, pour le travail conjoint que nous avons réalisé. Je salue également, Monsieur le ministre, la disponibilité et l’écoute de vos services, qui ont permis de répondre au souhait du groupe UMP de mettre en œuvre une dynamique de coproduction législative.

Ce texte constitue une véritable révolution.

Mme Martine Billard – Une contre-révolution !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – En faisant en sorte que la représentativité syndicale soit déterminée par une mesure ascendante de l'audience, il rompt avec la logique descendante qui a prévalu jusqu'ici. En modifiant les critères de la représentativité, et en y ajoutant celui de l'audience, il place les organisations syndicales devant le défi de leur propre impact démocratique.

Les salariés – et eux seuls – désigneront leurs représentants, à savoir ceux d'entre eux qui seront appelés à négocier et à signer les accords portant sur leurs conditions de travail. Cette révolution exige de profonds réaménagements du code du travail : modification des critères de représentativité ; renversement de l'architecture actuelle des normes par la priorité donnée à l'entreprise ; définition de seuils de représentativité par les résultats des élections dans les entreprises – 10 % –, dans les branches professionnelles et sur le plan national et interprofessionnel – 8 % –, avec ses conséquences sur la refonte du paysage syndical ; double cliquet des 30 % d'approbations et des moins de 50 % de refus pour la validation des accords.

Ces quatre éléments sont les piliers du titre I, dont les autres dispositions sont des aménagements ou des conséquences. La commission a respectueusement tenu compte de la position commune adoptée par les trois signataires, et s'est attachée à préciser le texte, ou à l'équilibrer à chaque fois qu'elle a considéré devoir le faire. Ses amendements n'ont d'autres fins que celles voulues par les partenaires sociaux : faciliter la signature des accords par les partenaires sociaux qui auront acquis la représentativité nécessaire.

Restent deux questions difficiles : l'organisation du dialogue social dans les petites entreprises et le financement du dialogue social. Elles ont fait l'objet de discussions lors des négociations entre les partenaires sociaux. Sans toutefois conclure, les signataires de la position commune ont manifesté une réelle volonté de se remettre au travail pour fixer rapidement des règles dans ces domaines. La commission a donc adopté deux types d'amendements.

Sur le premier point, elle vous proposera de fixer au 30 juin 2009 la date à laquelle les partenaires sociaux devront avoir défini les règles du dialogue social dans les entreprises de moins de 11 salariés.

Sur le second point, elle a ajouté deux dispositions au texte : à l'article 8, la date d'effet de l'article concernant le financement du dialogue social par les entreprises a été fixée également au 30 juin 2009, les partenaires sociaux pouvant déterminer dans l’intervalle ses modalités de mise en œuvre ; à l'article 14, obligation est faite de se conformer aux exigences de la certification comptable dans deux ans pour les organisations syndicales nationales et confédérales, dans trois pour les organisations régionales et départementales, et dans quatre pour les organisations locales.

Tout en maintenant les fondements du texte, la commission lui a donc apporté améliorations et précisions dans le respect de la position commune.

Elle a adopté la même attitude sur le titre II, portant réforme du temps de travail et qui vise principalement à permettre une négociation des contingents d'heures supplémentaires au niveau de l'entreprise, et non plus de la branche. Ce titre est donc l'application directe du titre I à la réforme du temps de travail. Certains considèrent que cela ne justifie pas le rattachement des deux parties du texte – nous l’entendrons sans doute dans le cours du débat. À défaut de trouver dans cette application la justification d'une décision politique – et assumée par le Gouvernement et par la majorité –, on peut au moins souligner un effort de cohérence !

Soucieuse de préserver un juste équilibre entre ces nouvelles possibilités et le maintien des droits des salariés, la commission a cependant adopté une série d'amendements visant à donner à ces derniers les assurances nécessaires : le plafonnement du nombre de jours travaillés dans l'année dans le cadre d'un forfait jours, également souhaité par la commission des affaires économiques mais en d’autres termes, ce qui donnera lieu à débat ; la nécessité d'un accord préalable du salarié, et la consignation dans un accord écrit de son régime d'heures supplémentaires ; la précision de la notion de « salarié autonome », acquise dans le projet concernant les forfaits en jours, mais non pour ce qui est des forfaits en heures.

Les garanties offertes, à titre supplétif, par les accords de branche ou le décret en cas de besoin, maintiennent ces dispositifs dans des limites acceptables.

Contrairement à une idée répandue, ce texte ne modifie pas la durée légale du travail.

Mme Martine Billard – Elle ne sert plus à rien !

M. Maxime Gremetz – Vous la rendez inopérante !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur  Le seuil de 35 heures demeure la limite à partir de laquelle s'opère le déclenchement des heures supplémentaires. Le régime des entreprises dans lesquelles les salariés sont encore à 39 heures n'est pas modifié.

Contrairement à une autre idée reçue, le repos compensateur n'est ni supprimé, ni modifié dans son principe. Il demeure obligatoire, même si son aménagement est désormais l'objet d'une négociation.

Permettez-moi à présent quelques considérations sur la démocratie sociale. Pour la deuxième fois en quelques mois, le Parlement est appelé à légiférer sur un texte d’origine syndicale. La dernière fois, c’est un accord national interprofessionnel portant sur la modernisation du marché du travail qui lui avait été soumis. La discussion générale du projet de loi avait donné lieu à de nombreuses réflexions sur une question centrale : quel peut être le rôle du législateur en matière sociale, dès lors que s'applique la loi de janvier 2007 votée à l'initiative de Gérard Larcher, que je salue ? Cette loi dispose qu'aucun sujet dont les partenaires sociaux doivent être saisis ne peut être traité dans cette enceinte sans qu'ils aient été sollicités pour donner leur avis, voire trouver une position partagée.

La même question se pose aujourd’hui – un peu à ma surprise. En effet, personne n'a sérieusement demandé au législateur de légiférer en amputant sa liberté dès lors que les partenaires sociaux auraient manifesté une volonté partagée. On ne peut sérieusement lui demander de se brider, à moins de revoir la législation sur le mandat impératif. Le principe même de notre travail est de transformer en toute liberté les textes qui nous sont proposés.

Avec ce texte entre dans notre droit la notion de démocratie sociale. C’est en effet le titre de ce projet de loi. Cette entrée « en fanfare » dans la loi doit nous faire réfléchir, d’autant que les prochains textes – sur la formation professionnelle, la pénibilité au travail, l'emploi des seniors, la médecine du travail, en plus des dispositions que ce texte renvoie à la négociation entre partenaires sociaux – nous placeront dans une situation comparable. Sauf exception, ces discussions se tiendront avec les syndicats actuellement représentatifs. Aussi serons-nous confrontés au même mode de procéder qu’aujourd'hui. La question est donc posée à nouveau : jusqu'à quel point le Parlement est-il tenu par les accords entre partenaires sociaux ?

Premièrement, tous ces débats s’inscrivent dans un mouvement lent et continu de rééquilibrage, au sein du code du travail, entre la part législative et la part contractuelle, dont les lois Auroux de 1982 ont été un élément important. Les positions communes et les accords nationaux interprofessionnels doivent être reconnus pour ce qu'ils sont : des déclarations d'intention fermes pour les premières, de véritables textes d'application immédiate pour les seconds et parfois, selon l’analyse de certains experts, de quasi-règlements.

Deuxièmement, le rapprochement entre la démocratie politique et la démocratie sociale a été maintes fois signalé, la plupart du temps pour en préciser les limites. Je pense aux analyses de l’Institut supérieur du travail et à la note récente du Centre d'analyse stratégique. Ce rapprochement est perceptible, dans ce texte, en deux points : la logique électorale est reconnue comme fondement irremplaçable de la représentativité, l'exigence de transparence financière sera bientôt applicable aux organisations syndicales comme elle l'est aux partis politiques.

M. Roland Muzeau – UIMM !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Ce rapprochement est souhaitable pour renforcer la légitimité des organisations syndicales.

M. Maxime Gremetz – Vous n’y pensez que maintenant ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Mais il ne doit pas être poussé au point d’identifier démocratie politique et démocratie sociale, ni de substituer la seconde à la première, auquel cas la définition de la norme sociale passerait entièrement dans la sphère contractuelle, ce qui ne semble souhaitable à personne. La seule position admissible consisterait à ce que le Parlement soit tenu par l'esprit des accords et leurs intentions,…

Mme Martine Billard – Esprit es-tu là ? (Sourires)

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – …par leur contenu – autant qu'il respecte les exigences de la loi et de sa pratique –, mais certainement pas par leur forme !

Il est impératif que le Parlement conserve quoi qu'il arrive, le droit absolu d'amender, de rectifier, de compléter, de préciser,…

M. Maxime Gremetz – Arrêtez !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – …et ce contrat doit être clair avec les partenaires sociaux.

C'est en tout cas l'esprit dans lequel votre rapporteur a tenté de travailler sur ce texte, et je formule le souhait que nos prochaines échéances sociales obéissent au même esprit. Bien entendu, la commission des affaires sociales a adopté le projet de loi et, pour ma part, je le voterai d’enthousiasme ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe NC)

M. Salles remplace M. le Président au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES
vice-président

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques – « Nous avons besoin d'un système de négociation collective renforcé et efficace aux niveaux interprofessionnel, de branche et d'entreprise, permettant d'apporter des solutions négociées aux problèmes des salariés comme des entreprises. » Ce constat, sur lequel nous nous accordons tous, a été formulé le 19 décembre 2007 par le Président de la République.

En interpellant les partenaires sociaux et en arrêtant avec eux un agenda social ambitieux pour l’année 2008, le Président a fixé une feuille de route très claire pour atteindre les deux objectifs majeurs que le Gouvernement s'est fixés en matière sociale : améliorer l'emploi et le pouvoir d'achat, d'une part, rénover notre système de relations sociales, d'autre part. Ces deux sujets sont intimement liés. Nous avons tous entendu des objections et des protestations, émanant de tous bords, à l'occasion du dépôt du présent projet de loi, qui traite indistinctement de ces deux matières : on peut penser que ceux qui les ont exprimées étaient dans leur rôle, mais je n'éprouve aucune gêne à vous dire, mes chers collègues, que nous sommes bien, nous aussi, dans le nôtre, aujourd'hui.

Le fait que les partenaires sociaux se saisissent de tel ou tel sujet n'exclut pas que le Gouvernement propose au Parlement de légiférer sur ces mêmes thèmes. À cet égard, la position commune du 9 avril 2008 n'aborde pas – ou très peu – la question du temps de travail. Dont acte. Le Gouvernement reprend la main et le Parlement légifère. Je ne vois pas ce qu'il y aurait là d'anormal ou de désobligeant à l'égard de qui que ce soit.

M. Maxime Gremetz – Mais c’est une trahison ! Même Chérèque le dit !

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Nous légiférons sur un texte qui fera date dans l'histoire des relations sociales de notre pays. C'est en effet le premier à faire évoluer les règles de la représentativité syndicale, figées depuis 1950 et 1966. Son adoption permettra de développer la négociation collective dans les entreprises et d’approfondir la réforme du dialogue social, lancée depuis 2002, en redonnant une nouvelle légitimité aux acteurs sociaux, légitimité fondée démocratiquement car reposant sur l'expression des salariés.

C'est d'ailleurs du lieu même de l'expression des salariés, de leur entreprise, que procédera cette nouvelle légitimité. Elle aura vocation à s'appliquer dans ces entreprises, en poursuivant dans la voie tracée par la loi du 4 mai 2004 qui a permis aux accords d'entreprise de déroger aux accords de branche.

M. Maxime Gremetz – Quel aveu !

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Ce projet de loi bouleverse l'ordre établi depuis des décennies, en donnant directement aux salariés et aux employeurs les clés de la négociation. Il constitue également un progrès majeur pour la participation des salariés au devenir de leur entreprise, en les associant davantage à sa bonne marche, et finalement à son destin. En cela, il répond aux aspirations des Français qui réclament d'être plus et mieux impliqués dans les décisions qui les concernent.

Les Français ont compris que la situation de l'emploi et la compétitivité de notre pays étaient intimement liées à la bonne santé des entreprises et ils souhaitent vivement contribuer à leur réussite. Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, la valeur travail est loin d'avoir perdu son sens et le succès, désormais indéniable, du dispositif des heures supplémentaires mis en œuvre dans le cadre de la loi TEPA, prouve que les intérêts des salariés et des entreprises se rejoignent davantage qu'ils ne s'opposent (Interruptions sur les bancs du groupe SRC).

M. Maxime Gremetz – Vous oubliez qu’il ne faut jamais mentir !

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Il est logique que le Gouvernement ait souhaité aller au bout de sa démarche en ne se contentant pas des avancées proposées dans la position commune sur le temps de travail.

Rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail sont liées. Le Président de la République l'avait déjà affirmé avec force dans son discours du 19 décembre dernier : « Si on veut donner plus de place au dialogue social, il faut que chacun prenne ses responsabilités (...) Dans le domaine particulier du temps de travail, il faut le faire en confiance avec les salariés et les partenaires sociaux, pour qu'ils aient davantage de choix en la matière. » C'est exactement l'ambition que sert ce projet de loi : conférer aux acteurs du dialogue social une nouvelle légitimité et rendre à la négociation collective son rôle premier en matière de régulation sociale. Il faut donner aux entreprises les moyens de négocier, ensuite leur ouvrir des champs de négociation : telle est la méthode de ce projet de loi qui, logiquement, après avoir donné aux entreprises les moyens de développer le dialogue social en leur sein, leur offre un sujet majeur de négociation : l'organisation du temps de travail.

La seconde partie du projet de loi découle de la première, puisqu'elle constitue une déclinaison de cette nouvelle liberté donnée aux acteurs sociaux de négocier dans l'entreprise (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Le thème de négociation n'a pas été choisi au hasard : après l'expérience hasardeuse des 35 heures, il était temps de redonner du champ à la négociation collective dans le domaine du temps de travail. C'est aujourd'hui une nécessité économique : la mission d'information commune sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, présidée par Patrick Ollier et rapportée par Hervé Novelli, avait, dès 2004, dressé un constat très précis des conséquences négatives de la réduction du temps de travail.

Les travaux récents du Conseil d'analyse économique confirment l'urgence d'une simplification du droit en la matière, notamment pour ce qui est des durées maximales et des heures supplémentaires, droit qui est – je cite les auteurs – d'une « complexité inouïe » et « ne se justifiant ni par un objectif de protection de la santé des travailleurs, ni par le souci d'empêcher leur surexploitation ». Au reste, les Français sont lucides : s’ils plébiscitent les 35 heures en tant qu’avancée sociale, ils considèrent qu'elles ont représenté un frein à la compétitivité des entreprises et à la hausse des salaires.

Le projet de loi répond ainsi aux besoins des entreprises et des salariés, en permettant de travailler plus, afin, pour les unes d'accroître leur compétitivité, et, pour les autres, de gagner plus, et donc d'augmenter leur pouvoir d'achat (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Il vise à réformer et à simplifier drastiquement les dispositions du code du travail relatives aux heures supplémentaires, aux conventions de forfait et à l'aménagement du temps de travail. Je le rappelle très fort, il ne remet pas en cause la durée légale du travail effectif, laquelle est inchangée et demeure la référence pour le déclenchement des heures supplémentaires et des majorations applicables.

En revanche, il place l'entreprise au cœur des négociations sur le temps de travail et simplifie les dispositions légales pléthoriques qui constituaient bien souvent un carcan et un obstacle aux différentes formes de flexibilité introduites dans le droit de la durée du travail depuis les lois Aubry.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi, lors de sa réunion du 25 juin dernier, sous réserve de quelques amendements. Ainsi, à l'article premier, nous avons fixé un délai de trois ans pour la conclusion d'accords sur la représentativité des organisations d'employeurs ; à l'article 2, nous avons indiqué que la représentativité des syndicats au niveau du groupe s'appréciera par addition de l'ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés, et nous avons élargi la composition du Haut conseil du dialogue social à deux parlementaires, soit un par assemblée ; à l'article 3, nous avons intégré les salariés mis à disposition dans le décompte des effectifs de l'entreprise dans laquelle ils travaillent, sous condition d'une présence physique effective d'une durée minimale d'un an au moment du décompte pour être électeur et de vingt-quatre mois pour être éligible ; à l'article 8, nous avons réécrit les dispositions relatives au financement du dialogue social afin de laisser plus de place à la négociation pour définir la forme que doit prendre la contribution des entreprises, ainsi que de préciser les informations à apporter aux salariés en matière de mise à disposition ; à l'article 14, nous avons tenu à fixer des dates d'entrée en vigueur différenciées pour les dispositions relatives à la transparence financière des organisations syndicales ; après l'article 15, nous rendons le versement obligatoire au cours du mois de la rémunération due par l'employeur au titre du congé de formation syndicale ; à l'article 16, nous avons introduit des dispositions sur l'information et la consultation des institutions représentatives du personnel en matière d'heures supplémentaires, et à l'article 17 une précision sur la rémunération des salariés en forfait en heures sur la semaine ou sur le mois. Enfin, nous suggérons d’instaurer un plafond annuel, applicable à défaut d'accord, dans le cadre des forfaits en jours.

J’ai le sentiment que nous nous situons à un tournant historique des relations sociales dans notre pays (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Maxime Gremetz – Oui, mais on tourne à l’envers !

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Grâce à ce texte, les lignes vont bouger et notre modèle social va enfin évoluer, car la société évolue : les conditions de travail évoluent, les relations au sein de l'entreprise évoluent, le syndicalisme évolue,…

M. Dominique Tian – En est-on bien sûr ?

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – …pour passer d'une culture de conflit et d'avantages sociaux acquis par la lutte à une logique de négociation et de donnant-donnant. Nous ne pouvons que nous en réjouir et apporter notre soutien à ces évolutions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales  Le débat sera long et je serai donc bref ! Permettez-moi tout d’abord de remercier les deux rapporteurs pour la qualité de leurs travaux.

Il y a quelques mois, j’étais en Suède avec Gilles Carrez et d’autres collègues. Que nous ont dit les organisations syndicales suédoises ? « Ce que nous comprenons mal, c’est qu’en France, vous préfériez le débat d’idée à l’épreuve des faits. » Or force est d’admettre que depuis dix ans, les tensions sur le pouvoir d’achat – notamment pour les jeunes – ou la difficulté de recruter dans certains secteurs – comme l’hôtellerie-restauration – ont changé la donne, de sorte que le problème se pose en termes radicalement différents. C’est ce que j’appelle l’épreuve des faits.

Pour m’être rendu sur le terrain avant que nous n’entamions cette discussion, j’ai le sentiment que ce projet est aussi attendu par les salariés que par les entreprises. Essentiel pour les salariés, ce texte l’est aussi pour la représentativité des organisations syndicales, pour la compétitivité de notre économie et pour l’amélioration du pouvoir d’achat de ceux qui ont peu. Enfin, il permettra de corriger l’extravagante complexité de notre droit du travail, éminemment insécurisante pour toutes nos entreprises ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) C’est la raison pour laquelle je propose de l’aborder avec beaucoup de pragmatisme, dans l’idée de trouver pour chacun de nouvelles marges d’adaptation.

Les salariés sont demandeurs d’un vrai débat dans leur entreprise plutôt que dans la branche dont ils relèvent, car les situations sont aujourd’hui extrêmement diverses.

Il y a un an, lors de l’examen du projet de loi TEPA, j’avais moi-même déposé, avec Gilles Carrez, un amendement visant à donner de la souplesse à des entreprises dont le contingent d’heures supplémentaires était parfois réduit à quarante heures (Interruptions sur les bancs du groupe GDR). J’avais en effet constaté à l’époque que les négociations menées avec les organisations syndicales ne permettaient pas d’obtenir cette souplesse, tant les centrales syndicales sont attachées à conserver le pouvoir au niveau des branches et ne souhaitent surtout pas le voir descendre au niveau des entreprises – alors qu’aujourd’hui un aller-retour est indispensable entre branches et entreprises. Les salariés, croyez-moi, souhaitent débattre dans l’entreprise et choisir leurs délégués car, selon les entreprises, les besoins sont extrêmement différents.

J’ai entendu sur la santé des propos caricaturaux. Le nombre de verrous existant en France est beaucoup plus important que dans la quasi-totalité des pays européens. La règle des 30 %, comme celle des 50 %, et le mandatement syndical sont des barrières autrement plus difficiles à franchir que ce qui existe de comparable dans d’autres pays (Interruptions sur les bancs du groupe GDR). Monsieur Muzeau, j’ai écouté les salariés et je puis vous assurer qu’ils attendent beaucoup de ce texte, compte tenu des verrous existants.

Ce texte sert également la compétitivité des entreprises. Je connais une entreprise de machines agricoles qui, en pleine expansion en raison de l’évolution des prix alimentaires et agricoles, a pu répondre immédiatement à la demande, et ainsi augmenter ses marchés de 35 %, car elle disposait d’un contingent annuel d’heures supplémentaires de 220 heures. Mais je connais aussi une entreprise agro-alimentaire dont le contingent est limité à 70 heures et qui doit demander en juin à l’inspection du travail le droit de s’adapter aux besoins du marché, comme si ces derniers ne variaient pas en fonction du climat ! Dans quel autre pays d’Europe doit-on solliciter d’une administration l’autorisation de s’adapter aux évolutions du marché ? Ne soyez donc pas excessifs, d’autant que les verrous nécessaires existent.

Ce texte est essentiel aussi pour améliorer le pouvoir d’achat. Nous ne pouvons pas être vice-champion des pays de l’OCDE pour le plus faible nombre d’heures travaillées tout au long d’une vie et maintenir un haut niveau de protection sociale et de pouvoir d’achat. Il faut avoir la lucidité et l’honnêteté de le reconnaître (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C’est pourquoi j’estime en conscience que ce texte sera profitable aux salariés et à leur pouvoir d’achat, comme à la compétitivité de nos entreprises. Il permettra aussi de simplifier notre code du travail.

Ma conclusion sera la même que celle du ministre devant la commission il y a quelques jours. Ceux qui souhaiteront rester aux 35 heures le pourront. Ceux qui souhaiteront faire des heures supplémentaires pourront en négocier le droit dans l’entreprise. C’est là redonner à la démocratie sociale dans notre pays une formidable occasion de développement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical et citoyen une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Alain Vidalies – Alors que ce projet de loi sur la démocratie sociale aurait pu nous rassembler, il marquera comme une pierre noire l’histoire de notre droit social, avec une déréglementation sans précédent des conditions de travail, de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

Le Gouvernement avait invité les partenaires sociaux à négocier sur la représentativité des syndicats de salariés et sur le temps de travail. Dès le début, les organisations syndicales ont fortement souligné que les deux sujets n’avaient aucun lien. Elles ont néanmoins accepté d’inscrire à l’article 17 de la déclaration commune, à titre expérimental, la possibilité de déroger par accord d’entreprise majoritaire au contingent annuel d’heures supplémentaires. Les syndicats signataires et le Medef avaient ainsi déterminé leurs priorités en matière d’aménagement du temps de travail dans l’entreprise. Je veux bien, Monsieur le président de la commission, que vous puissiez défendre les intérêts des entreprises mieux qu’elles, mais les partenaires sociaux ont fait connaître leur position à l’article 17 de la position commune !

Nous étions favorables à la transcription de cet accord dans la loi. Hélas, le Président de la République, l’UMP et le Gouvernement ont profité de la situation pour proposer un texte radical, rompant brutalement avec tous les discours sur la place de la négociation sociale et la protection de notre contrat social. Ceux qui, pendant la campagne présidentielle, n’hésitaient pas à invoquer Blum ou Jaurès se présentent aujourd’hui en adeptes d’Adam Smith ! Alors que face aux dégâts occasionnés par la financiarisation de l’économie, une régulation s’impose plus que jamais, la droite française se complaît dans les vieilles lunes libérales de la déréglementation et de l’individualisation des relations sociales (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe SRC). Seule votre idéologie réactionnaire, voire ringarde, peut expliquer l’aventure que votre projet de loi propose à la France et dont les victimes désignées d’avance seront des millions de salariés.

Vous saviez pertinemment que les organisations syndicales étaient divisées sur les critères de la représentativité. Dès que cette division, attendue, s’est manifestée, vous vous êtes délibérément engouffrés dans la brèche en ajoutant au texte des dispositions relatives aux conditions de travail, dont vous saviez qu’elles seraient unanimement rejetées – et susceptibles en d’autres circonstances de provoquer un mouvement social de grande ampleur.

Je conçois que vous jubiliez de ce bon coup mais vous auriez tort de vous réjouir trop vite, car vous récolterez demain la sanction légitime d’une démarche dont la médiocrité sur la forme n’a d’égale que la dangerosité sur le fond (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

La première victime en sera évidemment la négociation sociale. Vous avez tiré toutes vos cartouches : on ne trahit en effet les partenaires sociaux qu’une fois. Comment, après que vous les avez trahis de la sorte, pourront-ils demain vous faire confiance ? Votre parole n’a désormais de valeur que dans le carcan des intérêts idéologiques de l’UMP. Vous expliquez le plus sérieusement du monde que vous avez été contraints de prendre cette initiative parce que le résultat de la négociation ne correspondait pas à votre attente. Mais alors à quoi sert-il de négocier si le résultat est décidé d’avance, si la seule issue possible est le bon vouloir du Gouvernement et de l’UMP ?

Votre conception du rôle des partenaires sociaux est pour le moins singulière. Au bout de trois mois de négociation sur le temps de travail, vous estimez que cela a assez duré. En revanche, l’enlisement de la négociation sur la pénibilité au travail depuis trois ans ne vous émeut guère (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

Les syndicats le sauront désormais : signer un accord sur un sujet soumis à la négociation par le Gouvernement, c’est signer un chèque en blanc, le Gouvernement et l’UMP décidant seuls ensuite du prix à payer !

Nous vous demandons de respecter la déclaration commune et de retirer de votre projet de loi les articles 16 à 19 qui dénaturent totalement l’objectif et le résultat de la négociation. Ce coup politique est d’autant plus intempestif que nous aurions pu débattre dans un certain consensus de la représentativité et de la valeur des accords collectifs.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Que n’avez-vous proposé une telle négociation lorsque vous étiez aux affaires !

M. Alain Vidalies – Depuis plusieurs années, le parti socialiste a rendu publiques ses propositions pour réformer en profondeur notre démocratie sociale. Il dénonce depuis longtemps l’archaïsme d’un système de représentativité déterminé par décret et l’existence d’accords minoritaires s’imposant à l’ensemble des salariés. À l’évidence, la représentativité syndicale ne peut résulter que du vote des salariés, de tous les salariés. C’est pourquoi, sans rien ignorer du débat légitime entre les organisations syndicales, nous avions songé à retenir le scrutin prud’homal qui présentait l’avantage de permettre à tous les salariés, y compris ceux des PME, d’exprimer leur choix, de surcroît le même jour. L’argument du vote et de la représentativité mesurée dans l’entreprise, au plus près de l’action syndicale, conserve néanmoins toute sa force : c’est le choix des signataires de la déclaration commune, et nous le respectons.

La liberté de candidature au premier tour des élections dans l’entreprise s’impose dès lors que celles-ci serviront de mesure pour la représentativité. Nous nous sommes clairement exprimés en faveur de l’accord majoritaire à tous les niveaux. Les signataires de la déclaration commune ont avancé dans cette voie en retenant le principe d’une validation des accords par des syndicats représentant au moins 30 % des salariés, en l’absence d’opposition majoritaire. Nous respectons cette position même si l’objectif de l’engagement majoritaire demeure en débat de même que la question de la représentation des salariés dans les petites entreprises.

Les partenaires sociaux ont choisi de poursuivre la négociation sur ce point. Nous espérons qu’elle aboutira et que le Gouvernement n’en profitera pas, une nouvelle fois, pour faire un mauvais coup. Il est urgent en effet de ne pas laisser dans notre pays quatre millions de salariés hors de toute représentation.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur Nous sommes d’accord.

M. Alain Vidalies – Le texte adopté en Conseil des ministres respectait le texte de la déclaration commune et nous n’avions pas d’observations particulières à y faire sur le fond. Mais le rapporteur et la majorité UMP de la commission en ont décidé autrement, ayant sans doute compris, après l’initiative du Gouvernement, que tous les coups étaient permis.

M. Benoist Apparu – Absolument pas.

M. Alain Vidalies – Le texte du Gouvernement était-il donc si mal rédigé que pas moins de 70 amendements aient dû être déposés sur la première partie ? Pourquoi réorganiser l’ordre des critères de la représentativité pour notamment rétrograder celui de l’influence, en contradiction avec le résultat même de la négociation ? Au mieux, cela ne sert à rien ; au pire, c’est violer l’accord. Est-il opportun dans un texte sur la démocratie sociale de restreindre par rapport au droit positif la prise en compte des salariés non permanents dans le calcul des effectifs pour la mise en place des institutions représentatives du personnel ? N’est-il pas incohérent de souhaiter une avancée sur la représentation des salariés dans les petites entreprises et de renvoyer insidieusement, par voie d’amendement, l’application de l’accord UPA à des horizons lointains ?

L’UMP, en ce domaine comme en d’autres, est fidèle à ses habitudes. En dépit de l’accord conclu entre syndicats et employeurs représentant 800 000 entreprises artisanales quant au financement du dialogue social, nous en sommes encore, sept ans plus tard, à nous interroger sur la date de son entrée en vigueur ! Voilà qui illustre votre conception à géométrie variable du respect de la démocratie sociale. J’ajoute que bien d’autres amendements du rapporteur ou de la commission nous laissent perplexes.

À l’issue du long débat qui s’annonce, et que rendent nécessaire les amendements de la majorité au texte du Gouvernement, nous entrerons dans le monde de la déréglementation des conditions de travail. Nous avons là un texte d’un autre temps…

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Dites plutôt d’un temps nouveau !

M. Alain Vidalies – …qui supprime le contrôle de l’Inspection du travail, privilégie l’accord d’entreprise aux dépens de l’accord de branche, encourage le développement des conventions de gré à gré entre salariés et employeurs…

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Nous faisons confiance aux salariés !

M. Alain Vidalies – …et abroge des normes en matière de protection de la santé des travailleurs.

Le repos compensateur, loin d’être un simple aménagement du temps de travail, est une mesure de protection de la santé des salariés. Et cette mesure n’est pas issue de la loi sur les 35 heures…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Personne n’a dit cela !

M. Alain Vidalies – …mais d’un texte remontant à la fin des années 1970 et, dès lors, s’imposerait dans les mêmes termes si nous débattions d’une nouvelle durée légale du travail, à 39 ou 40 heures par exemple (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Or, vous nous proposez la suppression pure et simple du repos compensateur au-delà de la 41e heure dans les entreprises de plus de vingt salariés. La contrepartie obligatoire en repos, qui le remplace, est renvoyée à la négociation par entreprise. Aucun minimum ne sera donc plus fixé dans la loi, et le dépassement du contingent d’heures supplémentaires annuelles ne sera plus soumis à l’accord de l’inspecteur du travail ou à la consultation préalable des représentants du personnel. Rien n’empêchera alors de fixer cette contrepartie obligatoire à quelques minutes, puisque vous supprimez tous les garde-fous ! Nous pénétrerons alors dans une jungle sociale.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Quelle vision du dialogue social !

M. Alain Vidalies – La seule protection qui subsiste est la limite de 44 heures par semaine sur douze semaines consécutives. Avec ce texte, un employeur pourra donc fixer à 417 le nombre maximum d’heures supplémentaires annuelles. Ce plafond est aujourd’hui de 220 heures, mais 38 % seulement des salariés effectuent des heures supplémentaires pour une moyenne qui ne dépasse pas 55 heures. Ne prétendez donc pas que le déplafonnement est une mesure essentielle !

C’est dire la nature idéologique de ce texte, loin de toute réalité économique et sociale. Sa mise en œuvre se fera à marche forcée, puisque l’ensemble des accords de branche et d’entreprise seront caducs au 1er janvier 2010 et que les partenaires sociaux – que vous respectez, osez-vous dire – devront procéder à une renégociation obligatoire du contingent d’heures supplémentaires dans le nouveau cadre législatif.

Hélas, vous ne vous arrêtez pas à la remise en cause du repos compensateur ou à la déréglementation des heures supplémentaires ; le champ des forfaits en heures et en jours est également modifié.

Ainsi, s’agissant du second, le projet de loi offre à l’employeur la possibilité de fixer unilatéralement le nombre maximal de jours travaillés, avec pour seule limite les 52 dimanches, les 30 jours ouvrables de congés payés et le 1er mai. Vous osez donc nous proposer un dispositif aux termes duquel un employeur pourra exiger de ses salariés soumis au forfait jours qu’ils travaillent 282 jours par an – contre 218 aujourd’hui – à raison de 80 heures par semaine ! Le Conseil de l’Europe a pourtant plusieurs fois jugé le forfait jours contraire à la Charte sociale européenne. Quelle étrange date vous choisissez pour mettre la France au ban de l’Europe en matière de conditions de travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Mme Laurence Dumont – La présidence française commence bien !

M. Alain Vidalies – D’autre part, plusieurs millions de salariés seront soumis à la déréglementation du forfait heures, puisqu’elle sera désormais applicable à tous ceux qui disposent d’une réelle autonomie dans leur emploi du temps – une définition assez vague pour ouvrir la porte à une utilisation massive. La notion de contingent d’heures supplémentaires n’étant pas applicable au forfait annuel en heures, les salariés pourront, en pratique, effectuer 417 heures supplémentaires sans repos compensateur.

Ensuite, vous souhaitez remplacer les quatre modèles actuels de modulation du temps de travail par un système unique qui, au motif de la simplification, contribue au démantèlement des droits des salariés. Dans les entreprises qui travaillent en continu, par exemple, le nouvel article L. 3122-3 confierait à l’employeur le pouvoir unilatéral d’organiser le temps de travail sur plusieurs semaines. Or, s’il décide de fixer la limite haute à 48 heures, le salarié ne pourra plus effectuer d’heures supplémentaires.

La priorité accordée à l’accord d’entreprise est l’autre fil rouge de votre réforme. Le principe de faveur qui permettait aux salariés de bénéficier des dispositions plus favorables d'un accord de branche cèdera la place à l'application obligatoire de l'accord d'entreprise, même s’il est défavorable en matière d'heures supplémentaires, de repos compensateur ou de modalités d'organisation du temps de travail. L'accord de branche ne pourra plus prévoir l'application obligatoire au niveau inférieur, puisqu’il ne sera qu’un supplétif à ne prendre en compte que faute d'accord d'entreprise. Ainsi, ce projet de loi inverse la hiérarchie des normes : pour la première fois, la supériorité de l'accord d'entreprise est affirmée.

Vous savez bien que ce bouleversement entraînera l'atomisation des règles d'organisation du temps de travail, qui deviendront objet de concurrence entre les entreprises d'une même branche. Que pourront les salariés d'une entreprise soumis au chantage d'un alignement par le bas sur un accord consenti dans une entreprise voisine ? Il n'y aura plus guère de négociation possible, puisque leur emploi sera en cause. Dès lors, le dumping social prospérera et la négociation d'entreprise s'effectuera toujours sous la contrainte des accords socialement les plus défavorables, surtout dans certaines PME. Au contraire, nous pensons que l'accord de branche doit retrouver sa supériorité sur l'accord d'entreprise dans le respect du principe de faveur.

En outre, la préférence que vous accordez à l'accord d'entreprise est nuisible au regard de la jurisprudence récente de la Cour de justice européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Celle-ci a donné raison à des entreprises qui protestaient contre un mouvement de grève des travailleurs finlandais et suédois, opposés au non-respect de leurs conventions d'entreprises par des entreprises d'origine estonienne et lettonne, et a sanctionné ces mouvements sociaux au nom de la libre prestation de service. De même, l’entreprise de construction allemande Ruffert a sous-traité, sur le sol allemand, une partie de son activité à une société polonaise, laquelle payait ses salariés moins de la moitié du salaire prévu la convention collective. Or, la Cour de justice a légalisé cette pratique en vertu de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs. Par cet arrêt, elle a écarté la convention collective allemande au seul motif qu'elle n'était pas d'application générale. En d'autres termes, si des minima salariaux avaient été prévus par une loi ou par une convention collective d'application générale, le prestataire de services polonais aurait été contraint d'appliquer ces minima à ses salariés.

Les salariés français, quant à eux, sont protégés par les conventions collectives d'application générale. Hélas, en affirmant la prééminence de l'accord d'entreprise, vous leur ôterez cette protection contre le dumping sur les conditions de travail éventuellement pratiqué par des entreprises étrangères.

Peu vous chaut, semble-t-il, puisque vous avez accepté la directive européenne sur le temps de travail qui, entre autres mesures, légalise l'opt-out en vertu duquel les salariés peuvent, dans certains pays, travailler jusqu'à 60 heures par semaine. Quelle volte-face ! Avez-vous donc oublié le temps où votre prédécesseur, M. Larcher, nous assurait que la France refuserait une telle dérive, car la crédibilité du modèle social européen et de la protection de la santé des travailleurs était en jeu ? En appliquant la déréglementation européenne à la France, vous parachevez votre œuvre et, ce faisant, préparez aux salariés français un avenir sous la contrainte de la concurrence et de l'alignement par le bas de nos règles sociales.

Par ailleurs, votre projet porte atteinte à la Constitution dès lors que vous abandonnez à la négociation d'entreprise la définition du repos compensateur, qui n'est pas une modalité d'aménagement du temps de travail mais une protection de la santé des travailleurs. Dans la décision qu’il a rendue le 29 avril 2004 sur la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, le Conseil constitutionnel a notamment apporté les précisions suivantes : « Considérant qu'aux termes du onzième alinéa du préambule de la Constitution, la nation garantit à tous la protection de la santé, (…) il est loisible au législateur statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution d'adopter des modalités nouvelles dont il lui appartenait d'apprécier l'opportunité (… )Cependant l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.» Dans sa réponse, le Gouvernement observait à l'époque que « la loi déférée n'a nullement pour objet de permettre aux accords collectifs de déroger aux dispositions impératives résultant de la loi ou du règlement notamment en matière de santé et de sécurité au travail. »

Or, aujourd'hui, vous faites disparaître le repos compensateur du code du travail, pour confier sans prescription particulière aux accords d'entreprise le soin d'édicter des règles qui relèvent par nature de la responsabilité du législateur au sens de l'article 34 de la Constitution.

Il s'agit donc d'un cas manifeste d'incompétence négative, qui viole délibérément les dispositions du onzième alinéa du préambule de la Constitution.

Le Gouvernement et l'UMP affirment vouloir, par ce texte, « sortir du carcan des 35 heures ». Je sais bien qu’il s’agit d’une ritournelle obligée pour vous assurer la claque à la fin des banquets de l'UMP (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) mais vous ne nous empêcherez pas de rappeler quelques faits. Que cela vous plaise ou non, les statistiques d'Eurostat révèlent que la période 1998-2002 est celle où l'emploi salarié a le plus progressé en France, et que 350 000 emplois ont été créés entre 1999 et 2001. Vous rendez ordinairement les 35 heures responsables d’un taux de chômage supérieur, en France, à ce qu’il est chez certains de nos voisins européens. La réalité est bien différente : c'est surtout le recours au travail à temps partiel qui explique ces statistiques flatteuses.

Évidemment, si vous portez à 23 %, comme en Grande-Bretagne, la proportion de salariés à temps partiel, vous aurez mécaniquement 700 000 chômeurs en moins, mais vous aurez aussi 700 000 travailleurs pauvres supplémentaires (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). C'est bien l'un des mérites de la loi sur les 35 heures que d'avoir freiné cette dérive, nous préservant de la précarisation que constitue le développement massif du temps partiel subi. Cette analyse apparaît d’ailleurs dans une note du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre datée d’octobre 2007.

En fait de « sortir du carcan des 35 heures », vous remettez en cause l'organisation même des conditions de travail, avec toutes les conséquence prévisibles que cela aura pour des millions de salariés en termes de santé, de conditions de vie, de vie de famille. De la flexicurité vous ne retenez que la flexibilité à outrance et vous privilégiez le moins-disant social. Ce n'est pas du « carcan des 35 heures » que vous proposez de sortir mais du « carcan » de pans entiers du code du travail, du « carcan » du contrat social qui faisait encore la spécificité de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Face à cette agression sans précédent, le groupe SRC vous demande de voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Bernard Perrut – M. Vidalies a parlé de ce projet comme devant marquer d’une pierre noire l’histoire de notre droit social. Quel excès, alors qu’il s’agit d’une étape majeure de la refondation de notre démocratie sociale ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Quel excès, aussi, de qualifier notre vision de « réactionnaire », au regard des besoins des entreprises et des attentes des salariés qui veulent améliorer leur pouvoir d’achat en travaillant plus pour gagner plus ! (Mêmes mouvements) Vous êtes allé jusqu’à prétendre que, par ce projet, nous violerions la Charte sociale européenne (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) …en omettant de rappeler qu’elle promeut la négociation collective, la conciliation et l’arbitrage volontaire, ainsi que le droit de gagner sa vie par un travail librement entrepris. En quoi le texte viole-t-il ces principes, et en quoi viole-t-il notre Constitution ?

M. Bernard Roman – Que faites-vous du droit au repos compensateur ? Savez-vous seulement ce que c’est ?

M. Bernard Perrut – Rapporteur du projet de loi de modernisation du dialogue social, je constate que le Gouvernement a respecté les principes énoncés dans ce texte et fait s’engager le dialogue entre les partenaires sociaux. Rénovation, légitimation, simplification, tels sont les objectifs que nous visons. Il fallait revoir les règles de la représentativité et du financement des organisations qui participent de la démocratie sociale ; cela a été fait. Il fallait aussi que s’ouvrent des négociations sur le temps de travail et, dans ce domaine, nous prenons nos responsabilités, en recentrant sur l’entreprise de nombreux éléments de l’organisation du travail. Il fallait en finir avec le carcan des 35 heures (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) et l’effrayante complexité à laquelle il soumet les entreprises. Pour ce faire, les partenaires sociaux ne sont-ils pas les mieux placés ?

Le groupe UMP votera contre l’exception d’irrecevabilité à la fois parce qu’elle est sans fondement et parce qu’elle vise un texte bon pour le droit du travail, bon pour notre économie et bon pour la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Roland Muzeau – En constatant que le premier nouveau texte inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire portait sur la position commune signée par la CGT, la CFDT et le patronat, nous avons pensé qu’un débat intéressant allait s’ouvrir.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Vous étiez contre !

M. Roland Muzeau – Je vous dirai pourquoi, soyez-en sûr. Nous considérions toutefois que, s’agissant du dialogue social, des progrès avaient eu lieu et que l’on pouvait donc engager un débat constructif. Mais s’est alors déclenchée, au sein de l’UMP, une bataille intestine (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Mais quoi, Messieurs, ne suivez-vous pas l’actualité de votre parti ? N’avez-vous pas entendu M. Devedjian exiger l’abolition des 35 heures avant d’être contredit par un M. Raffarin au propos plus modéré, M. Bertrand étant alors chargé de faire la synthèse pour satisfaire, quoiqu’il en dise, les appétits du patronat ? Vous ne l’ignorez pas, l’essentiel de nos débats portera sur les articles 16 à 19. Vous ne l’ignorez pas davantage, nous y sommes radicalement opposés, comme le sont la CGT et la CFDT, syndicats signataires de la position commune, et les autres organisations représentants les salariés, toutes vent debout contre les dispositions inacceptables que vous proposez. Ne vous apprêtez-vous pas à inverser la hiérarchie des normes, l’accord de branche devant subsidiaire aux accords d’entreprise ? À bafouer la règle majoritaire ? À rendre possible la déréglementation du temps de travail par une décision unilatérale ou par une convention de gré à gré ? À faire sauter le forfait des 218 jours annuels travaillés ? À torpiller les accords internationaux ?

Vous ne cessez d’affirmer que votre politique est celle de la parole donnée, et que les accords conclus entre les partenaires sociaux doivent être transcrits intégralement, sans modification aucune. Ainsi devait-il en être, paraît-il, de la position commune signée par des syndicats représentants la majorité des salariés, et que le Parlement devait se garder de retoucher. Mais le dogmatisme prévaut, et nous le combattrons.

Autant dire que nous partageons le point de vue de M. Vidalies, et que nous voterons l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC).

M. le Président – Sur l’exception d’irrecevabilité, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

M. Francis Vercamer – J’ai écouté avec intérêt l’exposé brillant de M. Vidalies, réputé pour sa connaissance du code du travail. Sur la forme, il n’y a rien à dire.

M. Jean Glavany – Alors, votez la motion !

M. Francis Vercamer – Mais nous divergeons sur le fond : pour vous, l’État doit tout régir, alors que nous, nous privilégions le dialogue social. Certes, la position commune ne prévoyait pas, dans son article 17, ce qui est inscrit dans la loi. Mais je vous rappelle qu’elle a été signée par deux syndicats sur sept seulement, alors que la loi de 2004 prévoit trois signataires.

M. Roland Muzeau – Mais ils sont majoritaires.

M. Francis Vercamer – Vous vous érigez en donneurs de leçons, alors que votre vision est à géométrie variable : les lois Aubry n’ont-elles pas été votées sans que les partenaires sociaux aient été consultés ?

Toutefois, je partage votre approche sur un certain nombre de points et je présenterai des amendements, notamment sur les seuils et sur le rôle des branches.

Ce texte met en œuvre la flexicurité (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), nécessaire pour que les entreprises puissent se battre contre les conséquences de la mondialisation et leurs concurrents, qui pratiquent le dumping social.

Enfin, vous regrettez que le Gouvernement ne tienne pas compte de l’accord sur la pénibilité. Pensez-vous qu’il faille ajouter un troisième texte sur le droit du travail à l’ordre du jour, bien chargé, de cette session extraordinaire ?

Le groupe NC rejettera cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Régis Juanico – Je ne reviendrai pas sur la défense brillante de cette exception d’irrecevabilité, mais je souhaite insister sur deux points.

Monsieur le ministre, vous avez bafoué le dialogue social et si cette expression n’avait été galvaudée il y a quelques années, je dirais que les partenaires sociaux ont été bernés. Lorsque les accords vous agréent, vous les transposez – ce fut le cas du volet flexibilité de l’accord sur la modernisation du marché du travail. Mais vous vous montrez moins empressé sur l’accord UPA, les mécanismes de compensation de la pénibilité ou encore les positions concernant les parachutes dorés, et très critique lorsque les conclusions des partenaires sociaux ne correspondent pas à vos idées.

Ce texte va entraîner un renversement de la hiérarchie des normes sociales. Dynamitant le code du travail, il marque un recul sans précédent des droits des salariés dans notre pays. Le repos compensateur et toutes les autres protections élémentaires – que vous qualifiez de « rigidités » – sont appelés à disparaître corps et biens.

Monsieur le ministre, les salariés n’ont pas à faire les frais – au prix de leur santé – de vos prises de position tactiques vis-à-vis de M. Copé ou de M. Devedjian.

Ce texte est un aveu d’échec et une fuite en avant. Votre politique qui consiste à modifier la législation sur la durée du travail – sept fois en l’espace de six ans – ne fonctionne pas : 20 % de salariés seulement utilisent le contingent d’heures supplémentaires mis en place en 2004, les heures supplémentaires prévues par la loi TEPA sont un échec, tout comme le rachat des RTT (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

Une loi historique ? En effet, elle marque une formidable régression du droit du travail. Le groupe SRC votera l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

À la majorité de 197 voix contre 145 sur 342 votants et 342 suffrages exprimés, l’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président – J’ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe SRC une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Christophe Sirugue – L'examen de ce projet de loi ne sera pas aisé et sa complexité technique n'est pas seule en cause. Ce qu'il induit comme modèle de société mérite que les Français en soient largement informés.

Devant la commission des affaires sociales de notre assemblée, vous avez qualifié votre projet de loi d’historique, Monsieur le ministre. Je partage ce sentiment. Il restera dans les mémoires comme l'exemple de ce que l'on pourrait appeler un vrai faux effort pour la démocratie sociale.

Depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République et votre nomination comme ministre du travail, les déclarations n'ont pas manqué pour expliquer qu'une nouvelle ère des relations sociales s'ouvrait, la concertation devenant un élément incontournable de la gouvernance.

En 2007, vous êtes allé jusqu’à faire voter un texte imposant de soumettre systématiquement à la concertation des partenaires sociaux toute réforme touchant au code du travail. Fin 2007, vous avez proposé aux partenaires sociaux de négocier sur les règles de la démocratie sociale, ce qui a abouti à la signature de la position commune entre la CGT, la CFDT d'un côté et le Medef et la CGPME de l'autre. Le Président de la République s'était engagé à la respecter et à l’inscrire dans la loi.

Mais vous avez joué de ruse. Dès le début, les partenaires sociaux ont déclaré qu'ils souhaitaient travailler à la redéfinition de la représentativité mais qu'ils ne voulaient pas engager le débat sur la durée du temps de travail, Medef en tête. Devant vos menaces de légiférer, ils se sont finalement entendus sur les termes d’une expérimentation : incluse dans l'article 17 de la position commune, celle-ci ouvrait la porte à des conditions d'accomplissement des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel, pouvant être négociées directement dans les entreprises à condition de relever d'un accord signé par des organisations syndicales représentant au moins 50 % des salariés de l'entreprise.

La dimension expérimentale et l’adhésion majoritaire étaient deux garde-fous indispensables ; vous n’avez pas voulu de ces avancées, leur préférant une transcription – à la carte – de l'accord conclu le 9 avril 2008, et ce, au mépris des partenaires sociaux et du dialogue social.

Pourtant, la modernisation de la démocratie sociale exige un climat de confiance entre les organisations syndicales, patronales et le Gouvernement afin que la transcription dans la loi des accords sociaux soit autant que possible la règle. Mais vous avez choisi de transgresser ce principe, privant de sens la parole de l’État.

Cela n’était pas opportun, alors que nous traversons une période d’incertitude économique forte, que traduisent les chiffres de la croissance.

D’aucuns déclarent que ce texte signe la fin des 35 heures, contredisant ainsi vos propos, Monsieur le ministre. Il va falloir vous mettre d’accord.

M. Alain Vidalies – Tout à fait !

M. Christophe Sirugue – Mais quand bien même nous serions restés à 39 heures, ce texte ne serait pas différent car ce qu’il propose, c’est tout bonnement une déréglementation de la durée du temps de travail. Cela, nous le contestons, sur la forme comme sur le fond.

La réduction du temps de travail est une orientation de société que nous revendiquons. Loin des positions caricaturales, personne ne peut nier que les négociations autour des 35 heures ont été un formidable révélateur : elles nous ont d'abord appris que nous pouvions changer. La société française, que l’on disait incapable d'évoluer, sclérosée ou enfermée dans ses privilèges, a changé. En l'espace de quelques mois, les entreprises ont modifié leurs règles de fonctionnement sur un point clef, les horaires, et ont obtenu de leurs salariés qu'ils changent leurs habitudes. Ce n'était pas gagné d'avance !

Ces négociations nous ont également révélé beaucoup de choses sur les pratiques des entreprises, parfois éloignées du droit du travail. Souvent, le plus difficile n’a pas été de négocier la réduction du temps de travail, mais d'organiser le retour au respect du droit du travail.

Nombreux sont ceux qui ont entrepris de dresser le bilan des 35 heures – parfois au point d’en faire la cause de tous nos maux ! Mais si tel était le cas, que ne les avez-vous supprimées plus tôt, vous qui êtes au pouvoir depuis 2002 ? À force de prêter attention aux seuls faits qui vous sont favorables, vous en oubliez ce qui fait aujourd’hui l’objet d’un consensus.

Ainsi, la réduction du temps de travail a permis à bien des entreprises de recruter du personnel – 300 à 400 000 personnes selon les sources. En outre, selon Eurostat, le taux de création d’emplois en France de 1999 à 2001 était supérieur de moitié à ceux des autres pays d’Europe. Enfin, c’est entre 1998 et 2002 que l’emploi salarié a le plus augmenté dans notre pays.

Second enseignement des 35 heures : loin de brider la croissance, elles l’ont favorisée. Ainsi, c’est entre 1998 et 2002 que notre taux de croissance a été le plus élevé, atteignant 2,7 % en moyenne annuelle – bien loin des 1,6 % que prévoit l’INSEE pour 2008… Les 35 heures n’ont porté atteinte ni à la productivité, ni à l’attractivité de notre territoire : la productivité horaire française est supérieure de 5 % à celle des États-Unis, qui ont pourtant réalisé d’importants gains de productivité. Cela résulte de l’intensification du travail, mais également de l’investissement en capital et des efforts d’organisation : pour relever le défi consistant à produire autant avec une main-d’œuvre réduite, les entreprises ont investi afin de construire des matériels nouveaux et s’organiser de manière plus rationnelle – ce qui a probablement contribué à faire reculer le chômage : au cours de cette période, l'économie française a créé deux millions d'emplois.

Mais, si le présent texte est historique, c’est surtout en ce qu’il menace comme jamais les droits des salariés. En effet, vous y associez une première partie, consacrée à la transcription de l'accord passé entre les partenaires sociaux – même si les amendements déposés par le rapporteur en commission jettent le doute sur vos intentions réelles –, et une seconde issue de vos seules réflexions, qui développe une position purement idéologique.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Vous avez bien compris !

M. Christophe Sirugue – Cet amalgame a du reste fait l’objet de questions en commission, les intervenants étant amenés à distinguer soigneusement ce qui relève de la représentativité de ce qui concerne le temps de travail.

À nos yeux, la première partie est conforme à ce qui a été négocié par les partenaires sociaux…

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Il faut donc voter la moitié du texte !

M. Christophe Sirugue – …et la prise en considération du vote des salariés est une condition essentielle pour définir la représentativité – même si, selon le Parti socialiste, celle-ci serait mieux appréciée au niveau des élections prud’homales, qui concernent un nombre d’électeurs plus élevé. En outre, le texte concerne la seule représentativité des organisations syndicales de salariés, passant sous silence les critères permettant d’apprécier celle des organisations patronales.

De plus, Messieurs les rapporteurs, Monsieur le président de la commission, Monsieur le ministre, nous devons vous interroger sur le décalage entre le texte du Gouvernement et les amendements du rapporteur : les quelque 70 amendements déposés sur la seule première partie méritent explication, surtout ceux d’entre eux qui se prétendent rédactionnels !

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – C’est cela, la coproduction parlementaire !

M. Christophe Sirugue – Ainsi, à l'article 1, il est proposé de bouleverser l’ordre des critères de définition de la représentativité des organisations syndicales, en faisant passer de la première à la dernière place le nombre d’adhérents et les cotisations. Qui croira que c’est « rédactionnel » ? De même, à l'article 2, le rapporteur ne propose rien de moins que de remettre en cause la priorité du critère du résultat au niveau de l'entreprise, au profit de la notion d'influence, bien plus floue.

M. Alain Vidalies – Très bien !

M. Christophe Sirugue – Enfin, le calcul des effectifs serait modifié, le rapporteur proposant notamment de ne comptabiliser les mises à disposition qu'à partir d'un an de présence, ce qui modifierait sensiblement la définition des institutions représentatives.

Ces amendements – sur lesquels nous reviendrons – révèlent, dès la première partie, la méthode que vous appliquez également dans la seconde : alors que les partenaires sociaux travaillent, puis proposent, vous élaborez votre projet dans leur dos, sans le moindre scrupule (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC).

De fait, la seconde partie, loin de décliner l'article 17 de la position commune actée par la CGT, la CFDT, le Medef et la CGPME, constitue une remise en cause sans précédent – historique, diriez-vous – de plusieurs piliers du droit du travail. Ainsi, la primauté de l'accord d'entreprise sur un accord de branche existant et plus avantageux sape les principes de la hiérarchie des normes et de l’application de la norme la plus favorable. De même, le fait que la loi n’impose aucun plancher aux accords collectifs porte atteinte au fondement même de la loi républicaine en matière de droit social – assurer à l'ensemble des salariés des garanties minimales qui ne peuvent être qu'améliorées.

Le texte pose ainsi le problème des difficultés et des limites de la négociation d'entreprise, en particulier dans les PME. En effet, les accords de branche étendus sont essentiels aux PME et, surtout, aux TPE, auxquels ils évitent des formes de concurrence qui développent la flexibilité à l’excès et dégradent les conditions de travail. Loin d’être propice au cercle vertueux de la concurrence, qui entraîne des gains de productivité et des efforts de formation et d'innovation, votre choix favorisera le cercle vicieux du dumping social entre des entreprises appartenant à la même branche professionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Non !

M. Christophe Sirugue – En outre, le projet permet de dépasser largement le contingent d'heures supplémentaires, jusqu'alors fixé à 220 heures au plus : il gomme toute référence légale à un repos compensateur obligatoire en cas de dépassement et entraîne, au-delà de la quarante-et-unième heure, une baisse immédiate du coût de ces heures supplémentaires pour les employeurs, en privant le salarié de toute contrepartie. Ce dispositif est grave parce qu’au-delà du travail, il engage également la santé au travail. Monsieur le président de la commission, ce problème essentiel mérite d’être posé !

M. Alain Vidalies – Très bien !

M. Christophe Sirugue – Comment débattre de l'organisation du monde du travail en invoquant la seule valeur travail, au détriment de la valeur humaine – sauf à régresser de plusieurs décennies pour revenir à l’époque où des femmes et des hommes devaient leur existence à leur seule force de travail, qu'ils vendaient parfois jusqu'à épuisement ? Est-ce en cela que votre projet est historique ?

En outre, la seconde partie généralise et déréglemente les conventions de forfait heures et jours, étendant ainsi à tous les salariés des mesures que les lois Aubry réservaient aux cadres et à quelques professions soumises à des horaires particuliers. Vous développez ainsi le gré à gré et l'individualisation des durées du travail, donnant les coudées franches à l'employeur tout en empêchant les salariés de prévoir l'organisation de leur activité. Ainsi, vous fragilisez encore davantage ces derniers, qui servent déjà de variables d'ajustement à un système économique qui broie les plus faibles.

Mme Marylise Lebranchu – Très bien !

M. Christophe Sirugue – Enfin, et surtout, vous faites fi de toute cohérence, vous qui prétendiez devant cette assemblée, il y a quelques semaines, à propos du projet de modernisation du marché du travail, accroître la sécurité grâce à la flexicurité ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC)

Ce texte n'est donc ni justifié par le contexte économique, ni fondé. S’il faut assurément améliorer le pouvoir d’achat, pourquoi ne pas augmenter les salaires ? Et pourquoi inscrire ce projet à notre ordre du jour en urgence, à la faveur d’une période estivale, propice – comme chacun sait – à tous les mauvais coups, sinon aux fins purement idéologiques de ressouder une majorité qui ne dissimule pas, depuis plusieurs mois, son sentiment d’être malmenée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Non ! Et nous ne sommes pas en vacances !

M. Christophe Sirugue – Espérant panser vos plaies intérieures, vous organisez une prétendue revanche dans la bataille sur la réduction du temps de travail, qui demeure un critère de distinction entre gauche et droite dont nous sommes fiers (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Selon vous, il s’agit d’un frein à la croissance et à la dynamique de l'entreprise ; à nos yeux, c’est une chance et un progrès pour les salariés comme pour les employeurs (Approbation sur les bancs du groupe SRC).

M. Alain Vidalies – Très bien !

M. Christophe Sirugue – Quelles sont d’ailleurs les mesures alternatives au profit desquelles vous avez choisi de remettre en cause ces acquis ? Celles que vous avez instaurées depuis le début de cette législature ? Parlons-en ! Toutes celles que vous avez proposées ont connu un échec cuisant. Ainsi, les dispositions de la loi TEPA, notamment la défiscalisation des heures supplémentaires et le rachat des jours de RTT, n'ont pas produit les effets annoncés. Pire : les allégements de cotisations sociales sur les heures supplémentaires risquent d’aggraver le déséquilibre des comptes de la protection sociale, dont le déficit devrait atteindre 9 milliards d'euros en 2008. Le coût global des exonérations d'impôt sur le revenu et des cotisations sociales est estimé à 5 ou 6 milliards d'euros, ce qui creusera d’autant le déficit public.

Alors que la loi était censée relancer le pouvoir d'achat, selon la DARES, les heures supplémentaires ne concernent qu'un tiers des salariés à temps complet.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – C’est bien ! Et cela va augmenter !

M. Christophe Sirugue – Les gains de revenu permis par ces exonérations demeurent donc limités – d'autant, Monsieur le rapporteur pour avis, que les heures supplémentaires effectuées par ces salariés ne dépassent pas, en moyenne, 55 heures supplémentaires par an, bien loin des 220 autorisées ; dès lors, pourquoi les démultiplier ?

Quant au rachat des jours de RTT – second grand volet du texte –, seules 7 % des entreprises l’ont proposé à leurs salariés en 2007 et moins d'une sur cinq se déclare prête à le faire en 2008 (« Et voilà ! » sur les bancs du groupe SRC).

Surtout, contrairement à vos engagements lors de la campagne présidentielle, vos choix nuisent à l'emploi, puisqu’en facilitant le recours aux heures supplémentaires, vous incitez les entreprises à substituer des heures de travail à des embauches. On pourra toujours travailler plus, mais – j’en suis convaincu – sans gagner plus ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC)

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Si, comme toujours !

M. Christophe Sirugue – Quelle est donc votre motivation, sinon une idéologie dont plusieurs pays voisins portent encore les stigmates ? Il faut reconnaître une cohérence au projet de société que vous bâtissez peu à peu : il s’agit d’abord, comme le montre la loi TEPA, de redistribuer en priorité les richesses aux catégories sociales les plus privilégiées. Faut-il rappeler les 15 milliards de cadeaux fiscaux par lesquels vous avez immédiatement semblé vouloir remercier les vôtres – et eux seuls – de leur soutien ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC) Il s’agit en outre, grâce à la loi sur le développement de la concurrence, puis à la loi dite de modernisation de l'économie, d’encourager les groupes financiers de la grande distribution au détriment des commerçants et artisans, à qui le Président de la République avait tant promis au cours de la campagne électorale.

Enfin, avec ce projet de loi, vous érigez le dumping social en modèle des relations au sein des entreprises.

Mme Marylise Lebranchu – Très juste !

M. Christophe Sirugue – Vous prétendez défendre la modernité et la liberté ; mais ce qui nous oppose profondément, c’est qu’à nos yeux, cette liberté mérite d'être organisée.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Nous sommes d’accord !

M. Christophe Sirugue – « Entre le fort et le faible, disait Lacordaire, originaire comme moi de Bourgogne, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). C’est au nom de cette vision de la société que le groupe SRC vous demande d’adopter cette question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission  Je suis confiant dans la qualité de ce débat. Supposons que l’entreprise soit l’empire du mal, ce qui n’est pas ma conviction (Interruptions sur les bancs du groupe SRC)

M. Christophe Sirugue et M. Alain Vidalies – Nous n’avons rien dit de tel !

M. le Président – Vous vous êtes exprimés dans le calme : écoutez le président de la commission !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission Même dans ce cas, parler de dumping social, ce serait faire peu de cas de l’intelligence des salariés : il y a tout de même plusieurs verrous, que ce soit la nécessité d’une adhésion de 30 % des représentants des syndicats – ou de 50 % pour ceux qui s’opposent à un accord. À supposer que la CFDT et la CGT représentent 70 % des salariés, je ne vois pas pourquoi nous ne ferions pas confiance aux salariés pour parer aux risques de dumping social !

M. Marc Dolez – À cause du chantage à l’emploi !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission  Flexibilité à outrance, dites-vous – j’ai entendu parler de centaines d’heures supplémentaires. C’est faire peu de cas de l’intelligence de l’entreprise : rappelons que le coût salarial peut être majoré de 25 %, voire de 50 %, par le recours aux heures supplémentaires (Brouhaha sur les bancs du groupe SRC). À long terme, l’intérêt de l’entreprise n’est donc pas de les multiplier.

Dans les années où le taux de chômage était de 11 % ou 12 %, Monsieur Vidalies, le partage du travail pouvait faire figure de réponse – partielle – au problème. Mais aujourd’hui, le nombre d’entreprises qui cherchent sans succès des salariés n’est pas mince.

M. Alain Vidalies – Il faudra le dire quand on parlera de l’offre valable d’emploi !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission  Hélas, 350 000 offres d’emploi ne permettent pas nécessairement d’offrir du travail à 350 000 demandeurs d’emploi (Brouhaha sur les bancs du groupe SRC).

Vous parlez des attentes des salariés sur les salaires, Monsieur Sirugue. Mais dans une Europe à quinze, nous sommes en troisième position pour le coût horaire du travail, et en dixième seulement pour le salaire net ! Cela ne peut manquer d’avoir des conséquences sur le pouvoir d’achat.

Venons-en aux 35 heures. L’idéologie n’est pas de notre côté (Rires sur les bancs du groupe SRC) : elle était plutôt de celui des 35 heures (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe UMP). J’ai entendu dire à l’époque que beaucoup de nos voisins européens nous suivraient. Nous sommes restés bien seuls… (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) Acceptez la diversité des situations ! Si vous aviez accepté l’amendement à la loi TEPA qui permettait aux entreprises d’aller jusqu’à 220 heures, nous aurions peut-être gagné du temps (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Bruno Le Maire – Nous avons tous compris ce que demandait le groupe socialiste : rester immobile dans un monde qui change. Pourtant, la France ne peut plus reculer devant la nécessaire rénovation de son modèle social. Tout ce que nous ne faisons pas maintenant, nous devrons le faire avec plus de difficulté encore demain.

Certes, le changement doit se faire dans le dialogue et la concertation. C'est tout le sens de la loi de janvier 2007 sur le dialogue social – votée par notre majorité – qui impose une négociation préalable entre les partenaires sociaux avant tout examen d'un texte portant sur les domaines de leurs compétences.

Cette loi, nous en avons fait bon usage. Elle nous a permis de mettre en place, avec les partenaires sociaux, un nouveau contrat de travail fondé sur le principe de la rupture négociée. Le sens des responsabilités dont ils ont fait preuve à cette occasion a donné à nos salariés et à nos entreprises un nouvel atout pour réussir dans la mondialisation.

Elle va aujourd’hui nous permettre de modifier les règles de représentativité, qui sont les mêmes depuis 60 ans et affaiblissent les syndicats en les privant de la légitimité nécessaire. Elles ne sont pas au service des salariés, mais d'une conception dépassée des rapports sociaux.

Reste la question du temps de travail, sur laquelle il faut éviter aussi bien l'angélisme que les procès d'intention. Car ce qui est en jeu, ce sont les conditions de travail de tous les salariés et notre capacité à offrir davantage d'activité et de croissance à notre pays.

Sur la forme, je rappelle que les partenaires sociaux avaient été saisis par le Premier ministre et par Xavier Bertrand de la nécessité d'ouvrir des négociations sur le sujet. Elles n'ont pas abouti, ou plutôt elles ont abouti a minima : les critères de négociation définis au sein de l’entreprise s'écartaient des critères de représentativité plus généraux fixés à 50 et 30 %. Pourquoi les règles de négociation devraient-elles être plus rigoureuses sur le temps de travail que sur les autres sujets ? Pourquoi rendre plus difficile la négociation de ce qui est le plus important pour le pouvoir d'achat des salariés comme pour la vie des entreprises ?

Sur le fond, chacun sait que les entreprises, notamment les PME et les TPE, ont besoin de davantage de souplesse et de simplicité dans la gestion de leurs horaires. Chacun sait aussi que le niveau de protection sociale que nous pourrons accorder dans les années à venir dépendra de notre nombre global d’heures travaillées, qui est l’un des plus faibles de l’OCDE.

M. Alain Vidalies – Ce n’est pas vrai.

M. Bruno Le Maire – Non, Monsieur Sirugue, la réduction du temps de travail n’est pas le seul progrès possible pour notre pays : c’est l’augmentation de l’offre de travail et un travail pour tous !

Beaucoup de salariés aspirent d’ailleurs à des modifications de leur temps de travail, soit pour gagner davantage, soit pour avoir accès aux RTT. Le texte nous permettra de leur donner satisfaction.

Alors fallait-il attendre ? Fallait-il dissocier les deux parties du texte et renvoyer à la négociation la partie concernant le temps de travail ?

Mme Marylise Lebranchu – Oui.

M. Bruno Le Maire – Non : nous ne pouvons pas attendre pour libérer la croissance, le travail et l'emploi.

M. Régis Juanico – Cela fait six ans que ça dure !

M. Bruno Le Maire – Sommes-nous d’ailleurs sûrs que les partenaires sociaux dans leur ensemble souhaitaient négocier sur cette question ? Vous me direz qu'il existe des branches pour négocier : mais quelles sont celles qui négocient réellement ? Où en sont ces négociations ? Au point mort. Il est donc plus sage de mettre cette question derrière nous pour avancer sur d'autres sujets comme la pénibilité au travail, la formation professionnelle ou l’emploi des seniors. Les Français attendent de nous des discussions, mais aussi des résultats ! Ils veulent un débat, mais aussi de l'action !

Les parlementaires de la majorité mesurent l'importance du dialogue avec les partenaires sociaux, qu'ils ont déjà rencontrés et qu'ils sont prêts à rencontrer à nouveau dans les semaines à venir. Mais ils mesurent aussi l'impatience des Français et leurs responsabilités face aux défis économiques du jour. Nous avons été élus sur des engagements clairs. Nous tiendrons ces engagements, et dans les délais voulus. C'est pourquoi le groupe UMP rejettera cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Francis Vercamer – J’attends avec impatience le débat sur les articles de ce texte important. Quelle place à la loi et quelle place à la convention collective dans le dialogue social ? Quelle place à la négociation dans l’entreprise ? Toutes ces questions méritent d’être abordées par la représentation nationale.

Sommes-nous par ailleurs favorables à une simplification de la loi ? N’est-ce pas une bonne chose que de faire passer la loi sur les 35 heures de 75 à 35 articles pour la rendre plus compréhensible et donner plus de place à la négociation collective ? Le dialogue social, c’est l’affaire des partenaires sociaux !

Faisons-nous confiance aux partenaires sociaux pour négocier dans l’entreprise ? Vous avez raison, Monsieur le président de la commission : la CGT et la CFDT n’ont aucune raison de faire du dumping social ! Le danger vient plutôt des entreprises étrangères… Fixons un cadre général, avec des seuils, mais laissons de la souplesse aux entreprises !

Le Nouveau centre ne votera donc pas cette question préalable. N’est-ce pas plutôt le parti socialiste, qui a utilisé les 35 heures comme argument de campagne en 1997, qui en fait une question de principe ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

Mme Martine Billard – Faut-il légiférer sur la représentativité syndicale ? Assurément oui, puisque tout le monde en est d’accord ! Au reste, s’il n’y avait eu que cette partie, nous aurions peut-être pu voter ce texte à l’unanimité (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Las, vous n’avez pas pu vous empêcher de rajouter autre chose ! Vous dites qu’il fallait légiférer parce qu’au bout de trois mois de négociations, les partenaires sociaux n’ont abouti à rien ; ce que vous ne dites pas, c’est qu’après cinq ans de négociations sur la pénibilité, il n’y a toujours pas d’accord non plus, au seul motif que le Medef n’en veut pas ! Pour vous, cinq ans sur la pénibilité, c’est supportable, pas trois mois sur le temps de travail ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Pourquoi n’est-il pas selon nous besoin de légiférer sur le temps de travail ? Mais parce qu’il y a déjà tout ce qu’il faut dans la loi ! Aujourd’hui, Monsieur le président Méhaignerie, rien n’empêche les branches de renégocier les contingents d’heures supplémentaires. Dans l’exemple que vous donnez toujours, vous « oubliez » de préciser que l’on se situe dans une branche qui avait opté pour les accords de modulation ; dans ce cadre-là, lorsqu’il y a un accord de modulation du temps de travail sur l’année – ce qui signifie que certaines semaines peuvent aller jusqu’à 44 heures –, le contingent autorisé d’heures supplémentaires est naturellement inférieur. Mais cela ne vaut que dans ce cas de figure et il ne me semblait pas inutile de le rappeler (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC).

Rien ne fait donc obstacle à la renégociation des contingents conventionnels. Las, cela ne vous suffit pas. Ce que vous proposez, c’est tout simplement de supprimer le repos compensateur obligatoire lorsque le contingent est dépassé. Je rappelle aussi, puisque vous vous obstinez à le taire, que l’on ne peut pas refuser des heures supplémentaires puisque ce refus constitue toujours un motif de licenciement. Nous l’avons encore vu tout à l’heure en commission (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC).

Vous tapez comme des sourds sur les 35 heures depuis six ans. Mais pas pour proposer le retour aux 39 heures ou même aux 40 heures : ce que vous voulez, c’est supprimer toute limite en s’alignant sur les durées maximales de l’Union européenne, soit 48 heures ou 46 heures sur douze semaines d’affilée. Monsieur le ministre, grâce aux forfaits jours français, vous n’aurez même pas besoin de l’opt-out. C’est encore mieux ! Cela permet de travailler jusqu’à 78 heures dans une semaine, alors que l’opt-out fixe la limite à 65 heures. La France ne va évidemment pas proposer d’intégrer l’opt-out dans son droit du travail, puisqu’elle y perdrait. Méfiez-vous cependant, car de la même manière que vous avez perdu sur le CNE au regard de l’OIT, vous allez perdre sur les forfaits jours car ils sont contraires au droit social européen.

Oui, la loi est utile pour protéger les plus faibles, soit les salariés des petites entreprises, qui ne bénéficient pas de syndicats. Jusqu’à présent, lorsque des salariés des grands groupes obtenaient des avancées, celles-ci se répercutaient dans l’ensemble de la branche, jusqu’aux plus petites entreprises. Vous remettez en cause cette possibilité et même celle de conclure des accords de branche étendus. Cela signifie que les entreprises qui ne seront pas adhérentes d’un syndicat patronal ne seront plus dans l’obligation d’appliquer des accords de branche. C’est une grande première, que vous vous gardez bien de mettre en avant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

La voilà, la souplesse que vous proposez : votre souplesse, c’est le retour à 1919 ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Monsieur le ministre, vous resterez dans l’histoire de France comme l’artisan de la contre-révolution et du retour au début du XXe siècle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC) Vous n’aimez pas que l’on rappelle que votre politique met en danger la santé des travailleurs. C’est pourtant la réalité ! Pourquoi les salariés se sont-ils battus pendant un siècle pour la journée de 8 heures et la semaine de 40 ? Pour préserver leur santé, de manière à atteindre l’âge de la retraite pour en profiter un peu ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) C’est cela que vous remettez en cause.

M. le Président – Veuillez conclure.

Mme Martine Billard – La réduction continue de la durée du travail visait aussi à permettre aux gens de vivre en famille et de développer d’autres activités que le travail. C’est cela que vous mettez en question et c’est pourquoi le groupe GDR votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. le Président – Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

M. Michel Liebgott – Je ne sais si cette séance est historique mais ce que retiendra l’histoire, Monsieur le ministre, c’est que depuis six ans que la droite gouverne ce pays, jamais autant de lois n’auront été votées pour détricoter le code du travail (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). Jamais les salariés de ce pays n’auront vu leur pouvoir d’achat diminuer dans de telles proportions (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Jamais les situations de précarité ne se sont à ce point multipliées.

M. Henri Emmanuelli – Tout ça pour quel résultat ?

M. Michel Liebgott – Plus qu’« historiques », ces textes s’inscriront dans la mémoire collective comme de sinistres souvenirs. Déjà, l’année dernière, avec la loi TEPA, vous recomposiez le tissu social en donnant aux plus favorisés les 15 milliards qui nous manquent aujourd’hui…

Plusieurs députés du groupe UMP – C’est faux !

M. Michel Liebgott – Forcés d’admettre que les caisses sont vides, vous ne trouvez pas aujourd’hui d’autre solution que de supprimer les quelques protections qui subsistaient pour les salariés. Drôle d’époque que ce mois de juillet, où nous allons examiner en même temps que la modernisation des institutions un texte qui tend, dans le domaine essentiel de l’organisation du travail, à restreindre la portée de la loi au profit des entreprises ! L’autorité politique se trouve dessaisie au bénéfice du pouvoir économique.

Vous n’avez pas hésité à remettre en cause un accord conclu entre les partenaires sociaux. Autant dire que vous ne respectez plus rien ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) En commission, au-delà des multiples fautes d’écriture que nous avons eu le déplaisir de relever, nous avons constaté que vous aviez jugé bon d’aller très au-delà de l’accord passé entre les syndicats et le Medef sur la représentativité. Mais nous serons extrêmement vigilants ! S’agissant des règles de représentativité, vous avez perdu la confiance de tous, patronat compris. Quant aux syndicats de salariés, il est probable qu’ils ne voudront plus passer aucun accord avec votre Gouvernement, si tant est qu’ils n’aient pas déjà compris votre démarche.

Il y a quelques mois, vous avez imposé une recodification régressive du code du travail en étendant le champ du domaine réglementaire par rapport au législatif, de manière à pouvoir supprimer certaines dispositions favorables aux salariés d’un simple décret. C’est à se demander si nous servons encore à quelque chose ! Conserverons-nous, les uns et les autres, la confiance des salariés de ce pays en continuant de nous dessaisir de nos pouvoirs ?

Or, au-delà des luttes sociales, qui peut encore protéger les salariés sinon la représentation nationale ? C’est nous qui sommes en relation directe avec les salariés, et pas seulement, chers collègues de la majorité, avec des chefs d’entreprise !

Ce texte amorce la révolution définitive que vous appelez de vos vœux et qui consiste à supprimer purement et simplement le code du travail, par une révision drastique de la hiérarchie des normes.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Michel Liebgott – Désormais, c’est l’entreprise qui décidera librement du volume de travail que chaque salarié sera censé effectuer. Les mêmes que vous privez de pouvoir d’achat ne seront plus en position de négocier puisque les accords de branche passeront au second plan.

M. le Président – Votre temps de parole est écoulé.

M. Michel Liebgott – Plus défavorisées encore qu’aujourd’hui, ces personnes se retrouveront sans ressources du fait du texte à venir sur l’offre raisonnable d’emploi, puis érémistes à la charge des départements. Les Français travaillent plus que les Anglais et deux heures trente de plus que les Allemands.

Plusieurs députés du groupe UMP – C’est faux !

M. Michel Liebgott – Monsieur le président Méhaignerie, s’il y a un problème, c’est bien celui de la formation professionnelle et non de la durée du travail des salariés car jamais les salariés français n’auront travaillé autant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

À la majorité de 185 voix contre 124, sur 309 votants et 309 suffrages exprimés, la question préalable n’est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 45.

Le Directeur du service
du compte rendu analytique,

Michel KERAUTRET

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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