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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 1er juillet 2008

2ème séance
Séance de 21 heures 30
2ème séance de la session
Présidence de M. Marc Le Fur, Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

DÉMOCRATIE SOCIALE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Mme Martine Billard – La question de la représentativité syndicale est débattue depuis plusieurs années, et a fait l’objet, en 2006, du rapport Hadas-Lebel. La majorité des syndicats se sont déclarés en faveur d’une représentativité fondée sur l’audience électorale ; la position commune du 9 avril 2008, adoptée par quatre organisations syndicales des salariés et du patronat, reprend ce principe. De ce point de vue, votre projet représente donc une avancée, d’autant que les deux organisations de salariés signataires font partie des cinq confédérations qui bénéficient de la représentativité irréfragable, et qu’elles représentent ensemble 42 % des salariés lors des élections professionnelles, et 57 % aux élections prud’homales – il est donc difficile de soutenir que cette position commune n’est soutenue que par une minorité de syndicats.

Deux types d’élections permettent de mesurer la représentativité : les élections prud’homales, qui concernent tous les salariés quelle que soit la taille de l’entreprise, et les élections professionnelles, pour les seules entreprises de plus de dix salariés. Elles présentent toutes deux des limites : les premières mesurent uniquement l’audience nationale, et ne disent rien de l’audience dans chaque branche ni dans chaque entreprise ; les secondes ne concernent pas tous les salariés. La position commune opte pour ces dernières, proposant en outre une solution au problème des entreprises de moins de dix salariés : à défaut d’élections générales le même jour dans toutes les entreprises, avec décompte et mesure de l’audience par branche mais aussi au niveau national, ce choix apparaît aux députés verts comme le moins mauvais possible. Les critères de représentativité sont ainsi actualisés : dorénavant, les délégués syndicaux auront la légitimité des élections, ce qui renforcera leur pouvoir de négociation.

Quelques ambiguïtés demeurent sur la présence des syndicats au niveau de l’entreprise : cette réforme ne doit pas rendre leur présence plus difficile en diminuant les protections accordées aux syndicalistes, en particulier lors de la création d’une section syndicale.

Le rapport Hadas-Lebel préconisait la fixation d’un seuil de 5 % des suffrages pour qu’un syndicat puisse participer aux instances de représentation, et le passage au système de majorité pour qu’un accord soit validé ; la position commune a relevé ce seuil à 10 %, et votre texte ne reprend pas la volonté, pourtant exprimée par les partenaires sociaux, d’aller vers des accords majoritaires. Vous restreignez le droit d’opposition, en limitant aux seules organisations représentatives le pouvoir d’en user, contrairement à la lettre de la position commune : c’est regrettable. Ainsi, une organisation qui ferait tout juste plus de 30 % des voix pourrait entériner seule un accord si celui-ci ne rencontre pas l’opposition de syndicats représentatifs, ayant obtenu au moins la moitié des voix – or, nous savons que, dans les petites entreprises, beaucoup de listes sont des listes de second tour.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires culturelles – C’est la position commune !

Mme Martine Billard – II faudra instaurer de véritables accords majoritaires, fondés non sur le système du droit d’opposition, mais sur une majorité d’engagement représentée par les organisations syndicales signataires. C’est une condition de la démocratie sociale. Cette première partie de la loi marque donc quelques avancées ; les députés verts ne s’y opposeront donc pas, mais ils défendront plusieurs amendements de clarification. Ainsi, la mesure de l’audience syndicale dans les entreprises sur quatre ans fait problème dans le cas des petites entreprises, où la rotation des effectifs est élevée. Par ailleurs, la référence aux valeurs républicaines, qui remplace l’actuel principe d’« attitude patriotique pendant l’Occupation », mérite d’être précisée.

Malheureusement, vous n’en restez pas là ; la seconde partie de la loi est, elle, proprement scandaleuse. Vous profitez de la position commune pour imposer une casse sans précédent des lois et accords conventionnels sur le temps de travail. Une fois de plus, vos mauvais coups se font l’été ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Après vos déboires relatifs au CPE, votre majorité s’était pourtant engagée à favoriser les négociations entre partenaires sociaux ; la loi de modernisation du dialogue social avait prévu de laisser à ceux-ci le temps de discuter pour trouver un accord avant toute modification du droit du travail. Combien de fois, depuis, n’avez-vous pas utilisé cet argument pour repousser nos amendements ! Mais ce procédé ne vaut pour vous que dans un seul sens : celui qui s’oppose aux avancées sociales. Pendant ce temps, les négociations sur la pénibilité n’ont pas abouti, alors même qu’elles étaient la contrepartie qu’avaient demandé certains syndicats pour signer, en 2003, l’accord sur les retraites.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – C’est vrai !

Mme Martine Billard – Malgré cela, vous avez porté le temps de cotisation à 41 annuités pour obtenir une pension à taux plein !

À six reprises depuis 2002, vous avez remis en cause les 35 heures – et nous assistons aujourd’hui à l’estocade finale. Emporté par votre élan, vous abandonnez aussi les 39 heures, les 40 heures, et toute réduction du temps de travail !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité – Vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites !

Mme Martine Billard – Je le pense, Monsieur le Ministre : pour avoir commencé ma carrière professionnelle avec un temps de travail de 43 heures, j’avoue préférer, comme tout salarié, les 35 heures.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Qui n’est certes pas votre temps de travail aujourd’hui !

Mme Martine Billard – Voilà qui est clair ! (Sourires.)

Selon le président de la commission, les accords de branche seraient gênants car certains syndicats se révèleraient moins souples à ce niveau ; votre projet de loi accorde donc la priorité aux accords d’entreprise. Ce sont pourtant bien les accords de branche qui ont permis d’améliorer la protection des salariés travaillant dans de petites entreprises. Vous allez plus loin dans cette inversion des normes : au détour de la modification de l’article L. 3121-11, vous supprimez le niveau d’accord de branche étendu ; il suffira dorénavant à une entreprise de ne pas adhérer à un syndicat professionnel pour ne plus être obligée d’appliquer les accords de branche. Vous encouragez ainsi la casse de tous les accords collectifs, au profit de l’arbitraire de l’employeur – à peine déguisé sous une égalité fictive qui fait fi du lien de subordination qui lie le premier au second.

Comment un salarié pourra-t-il refuser une exigence de son employeur ? Chez Goodyear, les salariés ont pu choisir – entre les 4x8 et les licenciements ! Votre politique, c’est le dumping social à tous les niveaux. La fixation de la durée légale hebdomadaire de travail est le fruit de luttes sociales passées, parfois douloureuses ; or, l’article 16 du projet de loi prévoit la détermination du contingent annuel d’heures supplémentaires par un accord d’entreprise, avec pour seuls garde-fous le plafond fixé par la législation européenne à 48 heures hebdomadaires, ainsi que celui fixé par le droit français, de 44 heures hebdomadaires en moyenne sur 12 semaines. Cette démarche fait voler en éclats nombre de conquêtes sociales acquises depuis l’accord international sur la semaine de 48 heures, signé en 1919, et l’introduction, par le Front populaire, de la semaine de 40 heures. Cela rend fictive la notion de durée légale de 35 heures inscrite dans le Code du travail : l’employeur pourra imposer directement un contingent annuel de plus de 400 heures ; c’est une retour de 90 ans en arrière.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – C’est faux !

Mme Martine Billard – Quant au repos compensateur obligatoire, rebaptisé contrepartie obligatoire en repos, vous oubliez qu’il s’agit d’une mesure d’ordre public social : l’alinéa 3 de l’article 20 du projet fait disparaître les repos compensateurs pour les heures accomplies dans le contingent annuel. Vous avez beau essayer de cacher la réalité – le contingent déterminé par accord d’entreprise pouvant être établi à la limite hebdomadaire maximale – ce texte peut faire disparaître, ni plus ni moins, toute obligation de repos compensateur une fois passée la période transitoire.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Non !

Mme Martine Billard – Pourtant, selon une étude menée dans huit pays européens, 74 % des salariés français qui effectuent des heures supplémentaires déclarent ne toucher aucune contrepartie. Ce n’est certainement pas en supprimant l’information de l’inspecteur du travail, comme le prévoit ce projet de loi, que l’on améliorera le paiement de ces heures ou que l’on fera respecter le repos compensateur. Si vous souhaitez augmenter le pouvoir d’achat de nos concitoyens, commencez donc par imposer aux employeurs le paiement des heures supplémentaires réellement effectuées, avant d’en ajouter de nouvelles, qui risquent de ne pas être payées non plus !

Vous étendez ensuite aux non-cadres les conventions de forfait en heures ; vous faites disparaître la limite de 218 jours travaillés pour les forfaits en jours ; vous généralisez le « gré à gré » pour renoncer au repos.

Les forfaits en heures, sur la semaine ou sur le mois, étaient jusqu’ici réservés aux salariés possédant explicitement le statut de cadre ; malheureusement, un accord collectif obligatoire préalable n’est pas aujourd’hui nécessaire. Mais l’alinéa 6 de l’article 17 de votre projet étend ce type de forfait à tout salarié ! Vous généralisez ainsi à tout salarié des relations de travail fondées sur le « gré à gré », pour imposer des semaines au forfait en heures ; les salariés pourront donc moins bien prévoir leur emploi du temps, sans pouvoir refuser d’effectuer des heures supplémentaires, et ce même si l’employeur les prévient dans un délai extrêmement court. Vous aggravez donc la situation, par l’extension du nombre de salariés concernés. Vous institutionnalisez encore davantage les heures supplémentaires, qui perdent leur caractère exceptionnel et deviennent le lot commun d’un nombre croissant de salariés. Elles sont censées être déjà intégrées dans le calcul des forfaits, mais les salariés auront les plus grandes difficultés à les faire valoir, puisque le texte ne reprend pas l’obligation de décompte des heures effectuées prévue à l’heure actuelle par le code du travail, et que l’amendement que j’avais déposé à ce sujet a été repoussé en commission.

Les forfaits en heures sur l’année sont aussi étendus aux non-cadres. Ils peuvent conduire à des situations de flexibilité très forte. Jusqu’à maintenant, ces conventions de forfait étaient réservées soit aux cadres, soit aux salariés non-cadres dits « itinérants », quand ceux-ci disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps, ou si la durée de leur temps de travail ne peut être déterminée à l’avance. La nouvelle rédaction du projet de loi, si l’on y inclut l’amendement du rapporteur, supprime le caractère itinérant pour les non-cadres, augmentant ainsi considérablement le nombre de travailleurs auxquels de tels contrats pourront être imposés.

Mais ce sont les forfaits en jours sur l’année qui font l’objet des dispositions les plus scandaleuses. Vous faites sauter le plafond des 218 jours, déjà peu enviable ; rappelons qu’au cours de ces dernières années, ce dispositif de forfait annuel a déjà été élargi à des salariés non-cadres, et qu’il concerne aujourd’hui plus d’un million de salariés. La notion d’autonomie dans le travail, censée libérer le salarié de son rapport de soumission à l’employeur, devient à l’inverse un système d’exploitation aggravée où le travailleur, dans une relation de gré à gré avec son employeur, devient son propre exploiteur (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Soyons sérieux !

Mme Martine Billard – Cependant, vous avez du mal à fixer les limites de votre dernière expérimentation sociale. Le projet du Gouvernement permet à l’employeur de fixer arbitrairement un nombre maximal de jours travaillés supérieur aux 218 jours, sans même passer par un accord collectif. L’amendement du rapporteur n’est guère plus protecteur : à défaut d’accord collectif, il propose seulement de permettre des forfaits en jours de 235 jours – ce qui revient à supprimer tous les jours fériés sauf le 1er mai ! La commission des affaires économiques propose, elle, de fixer par défaut le forfait à 250 jours, ce qui revient à ajouter à tout cela un samedi travaillé sur trois. Quant au Président de notre Assemblée, il s’est exprimé dans la presse pour s’opposer à toute limitation, quelle qu’elle soit. Nous entendrons donc avec curiosité la position du Gouvernement, puisque l’UMP est visiblement divisée ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Quoi qu’il en soit, cela signifie la casse des accords collectifs et une pression mise sur les salariés concernés, qui négocieront en position très défavorable. Pour ces derniers, les plafonds ne seront plus les maxima européens des 10 heures journalières et 48 heures hebdomadaires, mais seulement les 11 heures quotidiennes, le repos minimum d’un jour hebdomadaire et les quatre semaines annuelles de congés payés. De plus, il sera possible de renoncer aux repos, par négociation de gré à gré entre le salarié et l'employeur. Et la loi ne prévoit que 10 % de majoration minimum, contre 25 %, voire 50 %, dans le régime normal des heures supplémentaires. Il convient de mettre fin à ce système d'opting out à la française, contraire à la législation européenne.

Enfin, vous supprimez les accords collectifs de modulation en vigueur et permettez, dans certains cas, à l'employeur de fixer arbitrairement les répartitions horaires, y compris sur l'ensemble de l'année.

Votre idéologie est destructrice… (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Il n’y a là aucune idéologie.

Mme Martine Billard – …Elle est destructrice pour la santé et la sécurité des travailleurs et risque d'accroître le nombre d’accidents du travail et les maladies professionnelles, alors que déjà le nombre de suicides à cause du stress au travail augmente (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Votre idéologie fragilise des secteurs économiques liés aux loisirs et vous détruisez le temps consacré aux solidarités familiales (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Vous détruisez en même temps les solidarités sociales associatives qui reposent sur l'engagement bénévole.

La santé des entreprises ne peut prospérer au détriment de la santé de leurs travailleurs. Si certaines branches offraient des salaires décents, elles n'auraient aucun mal à attirer des travailleurs. Ce n'est pas en maintenant des salaires au SMIC et en augmentant les horaires de travail qu'elles vont mieux recruter.

En juillet dernier, avec la loi TEPA et le « paquet fiscal », vous avez choyé les plus riches (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Aux rentiers, vous dites : « consommez plus et travaillez moins ! », aux salariés : « si votre salaire ne suffit pas pour vivre, travaillez jusqu’à vous ruiner la santé ! » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Monsieur le ministre, vous allez rester dans l'histoire non comme l'auteur d’une révolution, mais de la contre-révolution, comme « l'homme des 48 heures ». Il va de soi que le groupe GDR ne votera pas ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Francis Vercamer – Ce texte ne manque pas d’ambition, puisqu’il s’agit d’une part de rénover la démocratie sociale, d’autre part de réformer le temps de travail.

Malheureusement, vous en traitez de façon bien inégale. Si la première partie du texte trace les axes d’une profonde rénovation de la démocratie sociale, celle sur le temps de travail suscite la polémique, alors même que l’intérêt des entreprises exige le consensus. Nous avons ici un désaccord sur la méthode, qui influe sur l’avis que le Nouveau centre porte sur l’ensemble du texte.

M. Régis Juanico – Mais il votera pour…

M. Francis Vercamer – La partie consacrée à la démocratie sociale est une avancée, sous réserve de quelques améliorations. Pour notre groupe, elle concourt au pluralisme syndical et contribue à la rénovation de l’engagement syndical.

Depuis plusieurs années, beaucoup partagent ce constat : il faut revoir les critères de représentativité des organisations syndicales. Le Gouvernement a eu le courage d’ouvrir ce chantier, et il faut saluer son courage. Ce travail a abouti à une position commune, signée par deux organisations patronales et deux organisations de salariés seulement. Le projet de loi, qui transcrit la position commune, en est affaibli. Il faut en tenir compte.

Le projet a le mérite de mettre fin à la présomption irréfragable de représentativité, pour s’appuyer sur des critères renouvelés – respect des valeurs républicaines, influence, ancienneté, effectifs, cotisations, transparence financière et indépendance. Il s’y ajoute le critère de l’audience, déjà utilisé par la jurisprudence. La mesurer tous les quatre ans est une bonne chose, mais elle ne saurait pas devenir le critère unique. D’abord, les élections professionnelles, retenues pour mesurer cette audience dans la position commune, n’en sont pas forcément le meilleur critère.

M. Alain Vidalies – C’est vrai.

M. Francis Vercamer – En effet, elles excluent les salariés des très petites entreprises et les demandeurs d’emploi. Or les organisations qui vont signer les accords collectifs doivent avoir les bases les plus larges possible. On a évoqué d’autres possibilités comme de tenir compte des élections prud’homales, des élections à la sécurité sociale, ou encore d’organiser une élection spécifique.

Toutes ces solutions ont leurs inconvénients. S’agissant des élections professionnelles, les seuils de 10 % dans l’entreprise et de 8 % au niveau des branches et au niveau national font craindre à certaines organisations de perdre leur représentativité. Pour mémoire dans son avis de décembre 2006, le Conseil économique et social évoquait un seuil de 5 %. Or, si l’émiettement syndical est une faiblesse, le pluralisme est un atout. Pour le Nouveau centre, cet héritage de notre histoire syndicale est aussi une condition de la vitalité de la démocratie sociale. Cela n’exclut pas une lisibilité plus grande des valeurs des organisations et des fondements des accords collectifs.

Le Nouveau centre proposera donc deux amendements pour conforter le pluralisme syndical. Pour éviter de faire de l’audience le critère unique, nous souhaitons que d’autres critères soient pris en compte, en particulier le nombre d’adhérents. La force d’un syndicat ne vient pas seulement d’une mesure régulière de l’opinion, mais aussi de sa capacité à convaincre les salariés de s’engager. Or le projet ne propose rien pour remédier à la faiblesse du taux de syndicalisation – 8 % des salariés et 5 % dans le privé. Certains de nos amendements visent donc à encourager l’adhésion syndicale.

D’autre part, pour donner toute légitimité aux accords, il faut que la représentativité de leurs signataires soit établie sur des critères actualisés, qu’il s’agisse des salariés ou des employeurs. Au niveau national, comme au niveau des branches, une clarification du champ couvert par les organisations patronales serait la bienvenue. Nous formulerons des propositions en ce sens.

Sur le financement du dialogue social, le dispositif de contribution assise sur les salaires, prévu à l’article 8, est particulièrement innovant. L’amendement adopté en commission et qui en repousse la date d’application au 30 juin 2009 ne nous paraît pas opportun.

M. Alain Vidalies – Très bien !

M. Francis Vercamer – Nous souhaitons donc améliorer la réforme de la démocratie sociale que vous proposez pour que le dialogue social retrouve toute sa vitalité.

Mais pour cela, il faut aussi qu’il soit respecté, et c’est toute la difficulté de la deuxième partie du texte.

Plusieurs députés du groupe SRC – Quand même !

M. Francis Vercamer – Elle souffre d’un vice de forme, en ce qu’elle se substitue aux propositions des partenaires sociaux à l’article 17 de la position commune.

M. Benoist Apparu – Absolument pas !

M. Francis Vercamer – Celui-ci prévoit la possibilité de dépasser par accord d’entreprise majoritaire le contingent annuel d’heures supplémentaires fixé par accord de branche. Vous y substituez un dispositif plus global permettant de définir le contingent annuel et les modalités de son dépassement par accord d’entreprise.

Cet épisode n’a pas manqué de susciter l’inquiétude de tous ceux qui, comme le Nouveau centre, se félicitent des avancées déjà obtenues en matière de modernisation du marché du travail, y compris sur des sujets sensibles, grâce à la coopération des partenaires sociaux, du Parlement et du Gouvernement. Cette méthode de coproduction, inespérée dans un pays où le conflit social a longtemps prévalu, doit perdurer. Il faut préserver la relation de confiance, fragile mais essentielle, entre partenaires sociaux et pouvoirs publics. C’est ensemble que nous devrons franchir les caps qui se dressent devant nous, qu’il s’agisse de moderniser notre législation, de protéger les salariés ou d’assouplir les règles de sorte que nos entreprises soient plus réactives.

Ce même épisode révèle un écueil de la loi de modernisation du dialogue social qui, si elle impose la concertation avant toute modification de la législation du travail, ne précise pas comment résoudre d’éventuels désaccords entre partenaires sociaux et Gouvernement. Nous proposerons une mesure renforçant la capacité d’initiative de la démocratie sociale, tout en laissant le dernier mot à la démocratie politique.

Ensuite, le groupe Nouveau centre est favorable à un assouplissement de la gestion du temps de travail, qui doit s’adapter au mieux aux besoins des entreprises selon leur activité ou leur taille. Pour autant, il faut maintenir des garde-fous afin de protéger les salariés, y compris leurs conditions de travail et la conciliation de leurs vies familiales et professionnelles…

M. Michel Issindou – C’est mal parti !

M. Francis Vercamer – …mais aussi les entreprises. Un cadre commun doit donc s’appliquer pour éviter toute distorsion de concurrence flagrante.

Or, la prévalence accordée à l’accord d’entreprise est risquée. Nous pensons au contraire que l’accord de branche peut créer un cadre équitable et loyal tout en créant des espaces de liberté.

M. Christian Eckert – Un peu de courage ! Votez donc contre le texte !

M. Francis Vercamer – Enfin, il faut que l’augmentation du contingent d’heures supplémentaires entraîne à coup sûr une hausse des revenus des salariés, de sorte qu’ils puissent gagner plus après avoir travaillé plus. Ainsi, l’engagement professionnel au sein des entreprises permette une amélioration significative de la rémunération des employés.

M. Alain Vidalies – Quel réquisitoire !

M. Francis Vercamer – Quiconque est attaché à l’attractivité de notre pays et de son modèle social souhaite trouver l’équilibre entre l’efficacité de la démocratie sociale et la souplesse des règles relatives au temps de travail. Le Gouvernement nous soumet d’intéressantes propositions, et le groupe Nouveau centre lui propose ses propres pistes. C’est en fonction de l’accueil qui leur sera fait et de l’engagement à préserver l’équilibre entre flexibilité et sécurité que nous nous prononcerons sur l’ensemble du projet ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Plusieurs députés du groupe SRC – Quel suspense !

M. Benoist Apparu – Lors de la campagne présidentielle, les principaux candidats ont tous souligné la nécessité de rénover le dialogue social. Une fois élu, le Président de la République a précisé les règles de ce renouveau : il appartient au pouvoir politique de fixer les objectifs de la négociation et aux partenaires sociaux de négocier leur application pratique. Lorsque ceux-ci ne souhaitent pas négocier, le pouvoir politique reprend la main. Dans le cas contraire, il élabore une loi qui reprend les termes de l’accord auquel la négociation a abouti, pour autant que celui-ci soit conforme aux objectifs fixés en premier lieu (Interruptions sur les bancs du groupe SRC).

Cette méthode a été présentée aux partenaires sociaux, et personne n’a été pris en traître (« Vraiment ? » sur les bancs du groupe SRC).

Le Président de la République rappelait en septembre dernier que la loi consacrerait tout accord, et que l’État prendrait ses responsabilités en cas d’absence d’accord ou si l’accord est mauvais (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

Plusieurs députés du groupe SRC – Aujourd’hui, il y a un accord !

M. Benoist Apparu – Vous pouvez réprouver cette méthode, mais elle a été annoncée en toute transparence.

M. Alain Vidalies – À quoi bon demander aux partenaires sociaux de négocier si le Gouvernement n’en fait de toute façon qu’à sa tête ?

M. Benoist Apparu – Ainsi, à l’issue de la négociation, les partenaires sociaux ont abouti à l’accord national interprofessionnel conforme aux objectifs fixés par le Gouvernement, qui en a fidèlement repris les termes dans la loi de modernisation du marché du travail.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Exactement !

M. Benoist Apparu – Qu’en est-il du présent projet ? Dès le 18 juin 2007, le Gouvernement a transmis un document d’orientation invitant les partenaires sociaux à ouvrir une négociation sur les critères de représentativité, les règles de validité des accords et la négociation collective. Le 26 décembre dernier, il leur a demandé d’élargir le champ de la négociation au financement des syndicats et au temps de travail. En somme, il leur a fixé deux objectifs : l’amélioration des règles de représentativité et l’assouplissement des 35 heures.

Les partenaires sociaux s’en sont emparés pour aboutir, le 10 avril dernier, à une position commune. Ils se sont entendus sur le volet relatif à la représentativité, et le Gouvernement a présenté un projet fidèle à leur accord en la matière. Il va de soi que le groupe UMP respectera cet équilibre. En revanche, s’agissant du second volet relatif à la durée du travail, traité à l’article 17 de la position commune, les objectifs du Gouvernement n’ont pas été respectés.

Plusieurs députés du groupe SRC – Pourquoi en ce cas, leur avoir demandé leur accord ?

M. François Calvet – Nous ne leur demandons pas leur accord, mais leur avis !

M. Benoist Apparu – En effet, les signataires de la position commune proposent une mesure expérimentale qui doit être approuvée par un accord d’entreprise à hauteur de 50 %, contre 30 % pour les autres dispositions. En outre, il aurait fallu se soumettre aux contingents conventionnels d’heures supplémentaires fixés par les accords de branche signés avant la loi de mai 2004. Bref, cette position n’avait pour seul but que de bloquer l’évolution du temps de travail (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Roland Muzeau – C’est faux !

M. Benoist Apparu – Je comprends que les partenaires sociaux réprouvent l’assouplissement des 35 heures : c’est leur droit. C’est le nôtre de ne pas être d’accord avec eux, sans pour autant remettre en cause le dialogue social.

M. Alain Vidalies – Vous ramez !

M. Benoist Apparu – Ainsi, fidèle à la méthode annoncée, le Gouvernement reprend la main en nous présentant un texte différent de celui auquel ont abouti les partenaires sociaux. Ceux-ci n’ont en rien été trahis, puisque tous connaissaient la méthode et les objectifs.

M. Alain Vidalies – Autant dire que le projet de loi est mauvais !

M. Benoist Apparu – Ces objectifs n’ont jamais changé : réforme de la représentativité des syndicats et assouplissement des 35 heures afin de ne pas pénaliser entreprises et salariés en leur imposant des contingents d’heures supplémentaires inadaptés.

Loin de tout dogmatisme (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR), nous proposons seulement d’offrir la possibilité à celles des entreprises qui veulent augmenter leur contingent de le faire, sans l’imposer à toutes, de sorte que les décisions se claquent au mieux sur la réalité sociale.

Permettez-moi de tordre le cou à quelques idées reçues. D’aucuns prétendent que ce texte mettrait en péril la santé des travailleurs : c’est faux ! (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Au contraire : toutes les barrières légales sont maintenues, qu’il s’agisse du repos hebdomadaire ou quotidien, ou encore du maximum horaire par semaine. J’ajoute que le contingent de 220 heures supplémentaires annuelles ne produit qu’une moyenne hebdomadaire de quatre heures, soit 39 heures de travail par semaine. La gauche, pendant toutes ses années de pouvoir, aurait-elle donc à ce point maltraité la santé des travailleurs ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Mme Martine Billard – Le contingent n’était pas à 220 heures !

M. Alain Vidalies – Il était à 130 heures : c’est M. Fillon qui l’a relevé !

M. Benoist Apparu – D’autres prétendent que ce texte entraînerait un dumping social entre entreprises d’une même branche au motif que l’accord d’entreprise est privilégié. Je précise que ce sont les partenaires sociaux eux-mêmes qui ont fait de l’accord d’entreprise le lieu par excellence de la négociation. Manquez-vous donc tant de confiance en eux ?

J’en viens au fameux accord dit UPA. Les partenaires sociaux n’ont pas repris la proposition de taux à 0,15 % dans la position commune.

M. Alain Vidalies – Ils l’avaient déjà signée !

M. Benoist Apparu – Le groupe UMP, refusant de créer une nouvelle taxe, se ralliera à la position des rapporteurs en la matière.

M. Alain Vidalies – C’est une honte !

M. Benoist Apparu – Le groupe UMP approuve l’équilibre trouvé au sujet des forfaits jours. L’opposition le répète en s’égosillant : le texte permettra que les cadres travaillent 282 jours par an. Mais la loi Aubry le leur interdit-elle ?

M. Alain Vidalies et plusieurs députés du groupe SRC – Oui !

M. Benoist Apparu – Nullement, puisqu’ils peuvent repousser les récupérations d’année en année ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Alain Vidalies – Ce n’est pas dans le code du travail !

M. Benoist Apparu – Le groupe UMP assume pleinement ce texte, attendu depuis très longtemps, et se félicite que le Gouvernement, et singulièrement le ministre du travail, ait eu le courage de le présenter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Vidalies – On vous a connu plus inspiré ! Faute de véritable conviction, peut-être ?

M. Gaëtan Gorce – Au temps où, selon la belle formule de Pierre Mendès France, gouverner, c’était choisir, les gouvernements saisissaient le Parlement des grandes questions concernant l'avenir du pays. Aujourd'hui, les médias s'interrogent sur les humeurs du Président de la République (Protestations sur les bancs du groupe UMP) et le Gouvernement nous saisit, en urgence, dans une session extraordinaire, de textes qui se limitent à défaire ce qui a déjà été défait.

M. Pierre Lellouche – Ce qui avait été mal fait !

M. Gaëtan Gorce – Pourtant, les défis à relever ne manque pas...

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Relever le parti socialiste, par exemple ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Gaëtan Gorce – Cherchez plutôt à relever le pays, Monsieur le ministre, que le parti socialiste, où certains ne manquent pas d’idées pour cela... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Je vois que la majorité, qui se plaît à détricoter le code du travail, le fait en s’amusant. Je ne doute pas que les salariés lui en sauront gré. Nous ne sommes pas d’accord avec ce que vous faites, et nous avons encore le droit de le dire. Mais le fait que vous m’interrompiez n’est pas surprenant, puisque j’allais vous parler du déficit de nos comptes sociaux, qui ne cesse de se creuser dans l'indifférence générale, du trouble qui s'est installé en Europe et du désarroi que l’on sent monter dans l'opinion publique, prémisses d'une nouvelle crise civique.

Dans ce contexte, le Gouvernement ne trouve rien de plus urgent que de nous présenter un texte qui, si l’on s'en tenait à sa première partie, relative à la démocratie sociale, pourrait être acceptable (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), mais qu'il a jugé utile de doubler d'une clause léonine, en se fixant une nouvelle fois pour cible les 35 heures, devenues, grâce à vous, une affaire à rebondissements. Et pour cause : il suffit que le Gouvernement éprouve quelque difficulté dans l'opinion ou qu’il doive ressouder sa majorité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) pour que surgisse dans l'actualité le projet ferme, guerrier, martial, de mettre un terme aux 35 heures. Vous aurez ainsi réussi à les tuer plusieurs fois – à chaque fois que cela pouvait servir vos desseins politiques ! Comment expliqueriez-vous vos difficultés si vous n’aviez pas en stock ces explications commodes et ces polémiques toujours prêtes ? À cette tradition, vous sacrifiez à votre tour. Avant vous, M. Fillon, qui en avait fait sa spécialité, nous avait convoqués trois fois sous la précédente législature…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Nous le ferons en une fois !

M. Gaëtan Gorce – Nous avons ainsi dû traiter de l’augmentation des contingents d’heures supplémentaires, de la modulation des majorations, de la monétarisation des repos compensateurs, des comptes épargne temps, de l’élargissement du recours au forfait… La panoplie n'a cessé de s'enrichir, au point d'exiger de vous des trésors d'imagination pour entretenir la flamme. Nous sommes confrontés à un cas extrême de délire obsessionnel… (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Lellouche – Qui délire, ici ?

M. Gaëtan Gorce – …aux curieuses conséquences. Ainsi êtes-vous allés jusqu'à faire voter il y a quelques semaines une loi sur les heures supplémentaires pour contourner les 35 heures, texte qui vous interdit de facto de les supprimer, sans quoi le socle de votre dispositif s'effondrerait. Politique de Gribouille s’il en est (Protestations sur les bancs du groupe UMP) que de pérenniser les 35 heures pour mieux les contester ! Or, les enjeux sont ailleurs, et le plus grave reproche que l'on peut vous faire est de faire perdre du temps à la France sous prétexte d'allonger celui des salariés !

On lit que votre texte « thatcheriserait » la société française. Point n’est même besoin de telles comparaisons pour démontrer que votre texte est dangereux en raison de sa double contradiction, qui met en jeu des questions essentielles : celle de la croissance et celle de la démocratie sociale.

Ainsi, vous affichez la volonté de soutenir la croissance, mais la manière dont vous essayez d'y parvenir – en manipulant la durée du travail – ne peut être efficace. Depuis des années, vous expliquez que la durée du travail, insuffisante, entraverait le développement du pays. Or la France souffre moins d'une durée individuelle du travail insuffisante que d'une durée collective de travail trop faible. Son premier handicap tient en effet à la faiblesse du taux d'emploi des seniors et des jeunes, fléau auquel vous ne vous attaquez pas avec l’énergie…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Bien sûr que si !

M. Gaëtan Gorce – …que vous employez à démantibuler la durée légale du travail. Dans un récent rapport, le Conseil d’analyse économique rappelle que le décalage observé entre la France et les pays scandinaves tient pour l'essentiel au sous-emploi. Plus globalement, notre pays souffre d'une trop faible mobilisation de la population active et de l'insuffisance des créations d'emplois qualifiés. Cela signifie que l’effort doit se porter en priorité non pas sur la variation de la durée du travail, mais sur la formation et l'innovation. C’est notre productivité globale qui est en péril et seule sa progression dégagera des marges. Là est la mère de toutes les batailles ! Pourtant, vous avez choisi d'engloutir des milliards en menant des combats d'arrière-garde comme les majorations d'heures supplémentaires, dont l'impact sur la croissance est nul…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail C’est faux.

M. Gaëtan Gorce – …et sur le pouvoir d'achat, infinitésimal (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas ajuster la durée du travail aux besoins de la croissance, mais que cette question n'est pas centrale. La sagesse voudrait donc que vous cessiez de faire de la durée légale à 35 heures un bouc émissaire ; mais ce n'est pas la voie que vous avez choisie.

Voilà qui me conduit à traiter de votre seconde contradiction. Vous prétendez encourager la démocratie sociale, ce dont il faudrait vous féliciter, tout en refusant les conclusions auxquelles elle est parvenue, ce qui est inacceptable. On ne peut jouer sur les deux registres en même temps ! Les objectifs ont été fixés, et les partenaires sociaux ont décidé que le dépassement du temps de travail au-delà de 39 heures serait possible. Vous devriez donc être satisfaits. Seulement, ils ont posé une condition : que cela ne puisse se faire par un accord minoritaire…

M. Benoist Apparu – Pourquoi accepter le principe de l’accord minoritaire pour tout le reste mais pas dans ce cas ?

M. Gaëtan Gorce – Ou vous faites fond sur la négociation et ses résultats doivent primer, ou vous choisissez d'agir de manière unilatérale, mais vous ne pouvez à la fois vous prévaloir du succès d'une négociation interprofessionnelle pour agir ensuite, par la loi, à votre guise. Vous le pouvez d’autant moins qu'en vous affranchissant de l’accord interprofessionnel, vous brisez l’édifice que vous avez dit vouloir construire, vous tirant en quelque sorte une balle dans le pied.

Rousseau disait qu'il valait mieux être « homme à paradoxes qu'à préjugés. » Pour ce qui vous concerne, les deux valent : et le préjugé contre les 35 heures, et le paradoxe consistant à vous appuyer sur un accord interprofessionnel pour le dévoyer. Soit vous confiez la réduction du temps de travail à la négociation – mais dans ce cas vous devez le faire aux conditions fixées par les négociateurs eux-mêmes –, soit vous ne le souhaitez pas, mais vous devez alors renoncer à vous prévaloir d'un accord que vous dénaturez.

Votre choix n'est, bien entendu, pas innocent. Pour contenter le Président de la République ou une frange de votre majorité, vous avez pris le risque de tuer dans l'œuf une démarche prometteuse. Les deux plus grandes organisations syndicales de ce pays étaient tombées d'accord avec le patronat sur une des questions les plus difficiles qui pouvait leur être posée, la représentativité. Au lieu de saluer ce premier pas, vous placez ces deux organisations dans la situation impossible de se voir contournées, instrumentalisées et humiliées. Vous sacrifiez les progrès possibles de la démocratie sociale que la première partie de ce texte peut favoriser, sur l'autel d'une petite opération politique, médiatique ou idéologique.

Vous comprendrez que nous ne puissions nous rendre complice de ce forfait, de ce déni de la démocratie sociale. Comment ne pas opposer le courage et le sens de la responsabilité dont ont fait preuve la CGT et la CFDT à la légèreté des motivations du Gouvernement, qui invente une grande loi en quelques heures de débat au sein du groupe UMP ?

Je ne suis pas sûr que l'urgence que vous avez proclamée sur ce texte ait fait progresser la démocratie parlementaire, non plus que l’attention à éclipse que vous portez aux propos de l’opposition, Monsieur le ministre. Faut-il y voir une ombre d’arrogance ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) En revanche, je suis certain que la manière dont vous traitez l'accord des partenaires sociaux ne pourra que faire régresser la démocratie sociale. Une occasion a été manquée. À ce prix, en aurez-vous d'autres ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. le Président – À l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, la colonnade de l’Assemblée nationale sera illuminée pendant tout le second semestre de 2008. Pour vous permettre à tous d’assister au lancement de cette illumination par le président de notre Assemblée, je vais suspendre la séance.

La séance, suspendue à 22 heures 30, est reprise à 22 heures 55.

M. Bernard Perrut – Ce texte est l’application de la loi de modernisation du dialogue social de 2007, que nous devons – rappelons-le à M. Gorce – à notre majorité. Pour en avoir été le rapporteur, je sais que cette loi constituait une avancée, permettant de sortir de la logique de conflit et de fonder une culture de la négociation, du compromis et de la responsabilité.

Ce pari est réussi. La norme sociale, néanmoins, ne peut être établie que par le législateur, qui donne force obligatoire à ces accords et prend ses responsabilités. C’est ce que nous faisons aujourd’hui à propos du temps de travail, la procédure ayant été respectée puisque le Premier ministre a envoyé aux partenaires sociaux les documents d’orientation.

Le Président de la République s’était engagé à réformer la représentativité des organisations syndicales. Notre rapporteur a évoqué les trois principes qui guident ce projet de loi : rénovation, légitimation et simplification. Il a eu raison !

M. Régis Juanico – Fayot ! (Sourires.)

M. Bernard Perrut – Il était indispensable d’établir de nouveaux critères de représentativité, de poser la question du financement et de modifier les règles qui remontent à 1966.

La modernisation de notre pays n’est pas dissociable de la modernisation de notre démocratie sociale. Tout comme le politique a besoin de s’adapter aux changements de la société, la démocratie sociale doit évoluer. Nous ne pouvons transformer la France sans y associer les Français.

Il n’est pas excessif de dire que rarement gouvernement est allé aussi loin dans le dialogue social et que rarement autant de textes ont été placés entre les mains des partenaires sociaux avant d’être examinés par les parlementaires.

Cette réforme historique fait de la France le seul pays européen avec l’Espagne à lier la représentativité aux élections, fondement de toute légitimité.

L’article 17 de la position commune n’apporte pas la souplesse et la simplification que nous attendions. Or il faut arrêter cette « machine à compliquer », rompre le carcan des 35 heures, débroussailler ce maquis législatif d’une complexité considérable. La loi n’a pas à tout prévoir ; lorsqu’elle est trop complexe, plus personne n’en respecte les principes et elle perd sa fonction protectrice.

Toutefois, les principes que doit fixer la loi sont ceux qui garantissent la santé et la sécurité des travailleurs. Que l’opposition ne s’inquiète pas : les dispositions intangibles du code du travail – durée maximale hebdomadaire, durée maximale quotidienne par exemple – ne seront évidemment pas modifiées.

D’autre part, il faut conforter le pouvoir d’achat des salariés en garantissant que le travail paye. C’est pourquoi il est nécessaire de conserver une durée de référence de 35 heures comme seuil de déclenchement des heures supplémentaires afin que, en travaillant plus, on gagne plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Ménard  – À 8,63 euros de l’heure !

M. Bernard Perrut – Pour le reste, ce sont les partenaires sociaux qui sont les mieux placés pour définir, par la négociation, le cadre le plus adapté aux besoins des entreprises et aux attentes des salariés. Aujourd’hui, on le sait bien, une entreprise qui souhaite aménager son temps de travail doit chercher à grand-peine dans le code du travail les dispositions qui le permettent… (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Exactement !

M. Bernard Perrut – Voilà pourquoi il est essentiel de ramener de 73 à 34 le nombre d’articles du code qui concernent ce sujet.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Très bien !

M. Bernard Perrut – Ce projet rénovera les règles de notre démocratie sociale en ouvrant la question essentielle de l’aménagement du temps de travail à la négociation, ce qui permettra de faire à cette dernière une plus grande place et d’en légitimer les acteurs ; les deux sujets étaient donc liés d’emblée. Telle est la logique à laquelle vous vous êtes conformé à juste titre, Monsieur le ministre. Voilà pourquoi le groupe UMP vous suivra sur ce texte, qui renforcera le dialogue social au plus près du terrain, dans l’intérêt de celles et ceux qui participent à la vie active des entreprises, petites ou grandes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Patrick Gille – Je me concentrerai sur les problèmes méthodologiques, qui n’en sont pas moins essentiellement politiques : vous avez choisi de trahir les partenaires sociaux pour imposer brutalement votre conception des rapports sociaux ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Et c’est un expert qui parle !

M. Jean-Patrick Gille – Ainsi, en plein mois de juillet, vous proposez de réorganiser la démocratie sociale et de déréglementer l'organisation du temps de travail dans les entreprises, moyennant un changement de méthode. En effet, vous vous servez de la procédure d'urgence – devenue, il est vrai, la règle – et mettez à profit une session extraordinaire pour entreprendre d’inverser définitivement, en quelques heures, la hiérarchie des normes sociales. À cette fin, vous faites mine de vous appuyer sur une négociation des partenaires sociaux relative à la démocratie sociale, pour mieux en dévoyer et la forme et le fond – alors même que rien ne vous empêchait de la respecter en distinguant les deux sujets.

La transcription de l'accord national interprofessionnel qui nous a été soumise il y a peu s'appuyait sur un accord majoritaire, presque unanime – seule la CGT ne l’avait pas signé –, pour fixer des normes interprofessionnelles, et demeurait fidèle au texte de l'accord. Si le groupe socialiste s'est abstenu de la voter, c'est parce qu’elle demeurait partielle et que votre fidélité à la méthode adoptée n’était pas assurée. Désormais, nous savons à quoi nous en tenir ! En effet, ce projet, à la différence du précédent, vise, à partir d'une « position commune » signée par deux des huit organisations syndicales seulement – fussent-elles, en un sens, majoritaires –, non à construire des normes interprofessionnelles, mais bien à déconstruire les garanties collectives, en trahissant l’accord faute d’en transcrire fidèlement l’article 17. Les signataires eux-mêmes – représentants des salariés et des employeurs confondus – ont déclaré que vous les aviez « piégés », « trahis », que vous leur aviez « menti ».

En effet, alors que l'article 17 permettait d’expérimenter des dérogations au moyen d’accords d'entreprises majoritaires, les articles 16 et suivants du projet généralisent d'emblée la procédure, renversant de facto la hiérarchie des normes ! Comme le dit le rapporteur avec une indéniable franchise, l’article 16 « donne la priorité à l'accord d'entreprise ou d'établissement, l'accord de branche n'intervenant qu'à défaut »…

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques – C’est le texte !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Et c’est la position commune, mon cher collègue !

M. Jean-Patrick Gille – « En d’autres termes », poursuit le rapport, « l'accord de branche est supplétif et n'a vocation à intervenir qu'en l'absence de disposition fixée par un accord d'entreprise » ; en outre, « la référence à l'information de l'inspecteur du travail, qui prévaut dans le droit existant, disparaît ».

Tel est bien l'objectif politique de ce projet : faire des accords d'entreprises, voire du gré à gré et de la négociation individuelle, la norme du dialogue social. En la matière, Monsieur le ministre, force est de reconnaître votre habileté et votre duplicité (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Roland Muzeau – Absolument !

M. Jean-Patrick Gille – Vous vous êtes montré habile à diviser les organisations syndicales ; en outre, vous avez mêlé deux sujets que rien n’obligeait à associer, prenant prétexte de la relégitimisation des organisations syndicales par le vote des salariés au niveau de l'entreprise, sur lequel vous fondez la représentativité, pour imposer le principe du primat des accords d'entreprise sur les accords de branche – auxquels on ne pouvait déroger, jusqu’à une date récente, qu’au profit d’un accord plus favorable.

Je tiens à rassurer M. Méhaignerie : personne ici ne veut diaboliser l’entreprise ou ses dirigeants (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ; nous souhaitons tous y voir se développer un dialogue social riche, gage d’efficacité économique. Du reste, les renégociations y sont déjà possibles. Mais ce dialogue ne sera équilibré qu’à condition d’être encadré, le rapport entre salarié et employeur étant par nature déséquilibré, puisque régi par un contrat de subordination. Faut-il rappeler que le recours aux heures supplémentaires constitue une liberté de l'employeur avant d’être décidé par le salarié, et que certains des accords d'entreprise dérogatoires négociés dans le cadre de la loi Fillon l'ont été sous la menace de plans sociaux ? En outre, ce projet instaurera une forme de dumping social en introduisant des distorsions de concurrence entre les entreprises.

Précisons qu’aux termes de l'article 6, il suffira, pour qu’un accord soit valable, que les organisations signataires représentent 30 % des salariés et qu’aux termes de l’article 16, d’ici à la fin 2009, tous les accords majoritaires sur le temps de travail pourront être revus au moyen d’accords minoritaires – à 30 % –, sans obligation d'informer l'inspection du travail.

À cela s’ajoute la remise en cause du repos compensateur et des modalités de modulation du temps de travail, et l'approbation de la directive européenne sur le temps de travail, qui autorise des « dérogations personnelles » allant jusqu'à 60, voire 65 heures hebdomadaires. En somme, Monsieur le ministre, sous couvert de relégitimer les organisations syndicales, vous les avez enfermées dans un piège afin de déconstruire peu à peu toutes les garanties collectives, à commencer par la réglementation du temps de travail.

Monsieur le rapporteur, vous qui êtes si attaché au sens des mots, si ce texte est révolutionnaire, c'est au sens – littéral – où il renverse les normes sociales ; mais, parce qu'il constitue une régression vers l'individualisation des relations de travail et des rapports sociaux, il est socialement et politiquement réactionnaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Tian – Ce texte était très attendu…

Plusieurs députés du groupe SRC – Par qui ?

M. Marc Dolez – Par le patronat !

M. Dominique Tian – Par nous – entre autres ! Cela vaut des dispositions relatives à la représentativité des syndicats et à la transparence de leur fonctionnement et de leur financement, comme de la seconde partie, qui accorde enfin la liberté de négocier, dans l'entreprise, le contingent des heures supplémentaires. Le bon sens et la liberté sont de retour ! (Exclamations sur divers bancs)

Ce texte est excellent, notamment en ce qui concerne la réforme du temps de travail. J'ai toutefois déposé un amendement à l'article 17, tendant à en supprimer l'alinéa 22, dont la rédaction actuelle pourrait laisser penser qu’il appartient au juge judiciaire de fixer le salaire dans le cadre d'une convention de forfait jours, alors qu'il s'agit là, à l'évidence, d'un élément essentiel du contrat de travail.

S’agissant de la première partie, un amendement de la commission à l'article 3 tend à clarifier et à simplifier les règles de double décompte des effectifs, issues de la jurisprudence de la Cour de cassation. Permettez-moi d’émettre quelques doutes sur son efficacité. Selon la Cour de cassation, les salariés d'entreprises sous-traitantes ou prestataires de services travaillant dans les locaux d'une entreprise d’accueil doivent être comptabilisés dans les effectifs de cette dernière. En d’autres termes, les effectifs de la société d’accueil incluent notamment les salariés des entreprises de nettoyage, ceux qui sont chargés de l’entretien industriel des machines, de la restauration ou du gardiennage. Ainsi, un salarié mis à disposition est comptabilisé à deux reprises : dans les effectifs de l'entreprise sous-traitante ou prestataire de services, puis dans ceux de l'entreprise d'accueil.

Cette situation est fort dommageable aux entreprises qui mettent à disposition leurs salariés comme aux entreprises utilisatrices. Tout d’abord, elle revient à augmenter artificiellement les effectifs. Pire : selon l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 28 février 2007, le personnel des entreprises sous-traitantes ou prestataires est électeur et éligible aux élections professionnelles de l'entreprise utilisatrice. Les premières peuvent donc voir leurs salariés élus chez leurs clients. D’où des problèmes pratiques non négligeables : comment traiter les heures de délégation ? La perte du marché par l'entreprise sous-traitante rend-elle caduque l'élection de son salarié au sein des institutions représentatives du personnel de l'entreprise d'accueil ? L'entreprise qui emploie le salarié mis à disposition doit-elle verser une participation au budget des œuvres sociales de l'entreprise utilisatrice si ce salarié y est élu ? Les salariés mis à disposition ont-ils le droit de bénéficier des activités sociales de l'entreprise d'accueil ? Comment remédier aux divergences de conventions collectives des salariés participant à la même institution représentative ?

Aux termes de l'amendement de la commission, les salariés de l'entreprise sous-traitante seraient comptés, au bout d’un an dans l'entreprise utilisatrice, dans les effectifs de l'entreprise utilisatrice, où ils bénéficieraient du droit de vote puis, au bout de deux ans, du droit d'éligibilité aux élections professionnelles. Si cet amendement relève d'une bonne intention, sa rédaction incertaine pourrait laisser subsister des situations de double décompte et de double vote. J’ai donc proposé de le sous-amender afin d’écarter définitivement ces risques, dans le respect des critères définis par le Conseil constitutionnel.

D’autre part, la section 3 de l'article 8 permet l’instauration d'une nouvelle cotisation sociale acquittée par toutes les entreprises pour financer le dialogue social. Cette disposition s'inspire directement d'un accord conclu le 12 décembre 2001 entre l'UPA et les syndicats représentatifs de l'artisanat.

M. Roland Muzeau – Accord unanime !

M. Dominique Tian – Très contestable, cette disposition imposerait à 400 000 TPE et PME un nouveau prélèvement…

M. Roland Muzeau – Et les prélèvements au profit du MEDEF et de l’UIMM ?

M. Dominique Tian – …, qui leur coûterait 700 millions d'euros.

Le principe de ce prélèvement obligatoire ne figure pas dans la position commune.

M. Alain Vidalies – Il a été signé il y a sept ans !

Mme Martine Billard – Et le patronat l’a signé !

M. Dominique Tian – Il est même contraire à l'esprit du projet de loi. Dans le contexte économique actuel, évitons de créer une nouvelle taxe pour financer le patronat et les syndicats et d’assujettir ainsi de nombreuses entreprises à plusieurs cotisations, qui se superposeraient en fonction des niveaux de cotisation.

Enfin, aux termes de l’article 9, alinéa 2, les critères actuels de représentativité seraient maintenus au cours d’une période transitoire de 5 ans. Mais la rédaction actuelle permet de reconnaître à tout moment la représentativité d'une nouvelle organisation syndicale en fonction des anciens critères, dont les partenaires sociaux eux-mêmes ne veulent plus. Voilà qui est surprenant, voire incompréhensible.

Monsieur le ministre, à ces quelques réserves près – qui, s’agissant de l’impôt de 0,15 % sur la masse salariale des petites entreprises, ne sont toutefois pas négligeables –, je voterai avec enthousiasme cet excellent texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Le texte qui nous est soumis traite de deux problèmes bien différents, comme l’ont souligné à maintes reprises les partenaires sociaux. Votre jusqu'au-boutisme n'ayant d'égale que votre volonté d’émietter le droit du travail, nous nous penchons sur deux sujets qui auraient mérité de faire l'objet de deux projets de loi distincts.

Je m’attarderai pour ma part sur la deuxième partie du texte. Ce qui se décide ici est grave : il s'agit de remettre en cause un principe fondateur de notre droit du travail, la hiérarchie des normes. Peut-être n’est-elle vue par la majorité que comme un principe entravant la liberté de travailler, mais vous me permettrez de la définir comme un pilier fondamental de la protection des salariés, une des dernières résistances au nivellement par le bas des conditions de travail et un élément d'unification des conditions sociales de ce pays.

La négociation du contingent d'heures supplémentaires et du taux de majoration au niveau de l'entreprise reviendra à laisser les salariés face à face avec leur employeur. Il suffit d'un peu de bon sens pour comprendre que les négociations s'avéreront risquées pour les salariés des petites et moyennes entreprises. Il serait du reste naïf d'imaginer que les dirigeants des entreprises feront preuve d'une bonté incommensurable lors de ces négociations. Aux chantages à la délocalisation – admettez qu’ils existent – s’ajoutera la pression du porte-monnaie. Le Gouvernement s’est montré incapable de régler la question du pouvoir d'achat. On voit donc mal les salariés refuser d'effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent alors que l'inflation est estimée à 3,2 % pour 2008, que le prix de l'essence ne cesse d'augmenter et que votre seule réponse a été une campagne de publicité ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

La remise en cause des accords de branche mènera droit à un détricotage du droit du travail, qui sera appliqué différemment selon les entreprises. Elles seront tentées d'appliquer ce texte pour maintenir, voire réduire le prix de production, aucune protection de branche ne venant les contrer. Le dumping social venait de l'extérieur, vous l'érigez en principe national. Nous comprenons mieux pourquoi la question sociale n'a pas été retenue dans vos quatre priorités pour la présidence française de l'Union européenne. C’est aussi pour cela que nous voterons contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Marc Dolez – Ce texte est sans doute l’un des plus importants de la législature, compte tenu des conséquences qu’il risque d’avoir sur le paysage syndical et sur la hiérarchie des normes – laquelle est un fondement de notre droit du travail.

La deuxième partie déréglemente notre droit social. Elle est donc inacceptable. Mais la première recèle aussi bien des dispositions dangereuses. Nul ne conteste la nécessité de faire évoluer les critères de la représentativité syndicale, qui restent définis par un décret de 1950 et un arrêté de 1966 : le paysage a évolué et des de nouvelles organisations syndicales sont apparues. Mais fallait-il demander aux partenaires sociaux de négocier sur leur propre représentativité ? Il est tout de même surprenant de charger le patronat de définir les modalités de désignation de ses interlocuteurs. J’ajoute que le texte ne dit rien de la représentation patronale ! Je suis de ceux qui pensent qu’il revient au Parlement de définir de la représentativité syndicale, et que la loi de janvier 2007 ne doit pas conduire le Parlement à se dessaisir de ses prérogatives.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Nous sommes bien d’accord.

M. Marc Dolez – Si l’on veut que la représentativité concerne tous les salariés, des grandes comme des petites entreprises, il faut prendre comme référence les élections prud’homales.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Ce n’est pas respecter la position commune !

M. Marc Dolez – Vous n’avez pas écouté ce que je viens de dire, sinon vous apprécieriez la cohérence de mon raisonnement… (Protestations sur les bancs du groupe UMP) En effet, 40 % des salariés ne participent pas aux élections professionnelles.

Le seuil de 10 % au niveau de l’entreprise risque par ailleurs d’entraver l’action syndicale en décourageant toute nouvelle implantation. On aboutira cependant à un bouleversement du paysage syndical.

Il y a un lien entre la mesure de la représentativité au niveau de l’entreprise et la volonté de privilégier les accords d’entreprise. Cette évolution est dangereuse et remet en cause les fondements mêmes de notre droit du travail – hiérarchie des normes et principe de faveur.

Nos rapporteurs ont été très clairs. Le rapport de M. Anciaux nous dit ainsi que « grâce à ce projet de loi, notre modèle social va enfin évoluer »…

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – C’est vrai.

M. Marc Dolez – …et que l’on va « passer à une culture de la négociation et du donnant-donnant ».

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – C’est vrai.

M. Marc Dolez – On sait ce que cela veut dire : ce sont les salariés qui doivent donner et encore donner, sans compensation à la clé ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous écrivez enfin que le contrat primera sur la loi… Pour toutes ces raisons, je ne peux que m’opposer à ce texte de régression sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Pierre-Alain Muet – Vous aviez l’opportunité d’avoir le soutien d’une grande majorité de cette Assemblée sur ce texte, Monsieur le ministre (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Nous sommes en effet nombreux à penser qu’il faut donner plus de place à la négociation sociale. Mais vous avez contourné un accord signé par deux grands syndicats de travailleurs et par le Medef, avec une seule volonté : démanteler les 35 heures, qui sont le bouc émissaire de tous vos échecs économiques. Ce faisant, vous commettez une triple erreur. D’abord une erreur de diagnostic : le problème de notre pays n’est pas celui de la durée hebdomadaire du travail. Regardez donc les données d’Eurostat : la durée hebdomadaire du travail en France – 36,5 heures – correspond à la moyenne européenne. Elle est supérieure de deux heures à la durée hebdomadaire du travail en Allemagne.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail (brandissant un document) – C’est faux !

M. Pierre-Alain Muet – Je vous invite à consulter ces données sur Internet ! (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP) En Europe du Nord, on est entre 33 et 35 heures, et aux Pays-Bas, à 29,5 heures ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Vous pouvez toujours hurler, vous ne changerez pas les statistiques ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Vous faites aussi une erreur économique. En privilégiant l’augmentation de la durée du travail des salariés à temps plein, vous oubliez ceux qui ont besoin de travailler plus pour gagner plus (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Meunier – Malthusien !

M. Christian Jacob – Démagogue !

M. Pierre-Alain Muet – Vous tournez le dos aux chômeurs ; vous oubliez les 1,2 million de salariés qui sont à temps partiel et ceux qui sont mis en pré-retraite à 55 ans. Le vrai problème de notre pays, c’est qu’on y travaille beaucoup entre 25 et 55 ans, et pas du tout après.

M. Bernard Deflesselles – C’est un scoop ! Êtes-vous né d’hier ?

M. Pierre-Alain Muet – Vous faites enfin une erreur historique (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Toute l’histoire du développement économique, c’est une réduction continue du temps de travail, qui va de pair avec une augmentation continue de la productivité du travail et des salaires. Les pays d’Europe du Nord, qui ont les plus faibles durées hebdomadaires de travail, sont aussi ceux qui ont les plus hauts niveaux de développement économique.

Pour trouver une semaine de 40 heures, c’est vers l’Est qu’il faut se tourner, vers des pays dont le PIB par tête est bien inférieur au nôtre ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP).

Vous faites encore erreur en prétendant que vous améliorez la compétitivité de notre pays. Votre discours est contraire aux faits ! (Mêmes mouvements.) Quand la croissance de la France a-t-elle été supérieure d’un demi-point à la moyenne de la croissance européenne ? C’est bien de 1997 à 2002 ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.) Quand la France a-t-elle créé plus de 400 000 emplois par an – deux millions en 5 ans ? C’est encore de 1992 à 2002 ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP ; vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Quand le commerce extérieur a-t-il connu chaque année des excédents de 15 à 20 milliards d’euros ? C’est encore de 1997 à 2002 ! (Mêmes mouvements) Monsieur Méhaignerie, regardez donc les chiffres : nous avons d’excellents instituts statistiques (vives protestations sur les bancs du groupe UMP). Cette année, le commerce extérieur est en déficit de 34 milliards ! Vous ne pouvez pas changer les données statistiques.

Vous commettez une erreur majeure en démantelant le droit du travail. En autorisant le contournement des accords collectifs par des accords d’entreprise, c’est une véritable régression sociale que vous engagez. En 2004 déjà, c’était ce qui s’était passé avec les accords Bosch à Vénissieux ; c’était alors non pas travailler plus pour gagner plus, mais travailler plus pour gagner moins ! Vous entraînez la France dans une spirale descendante (huées sur les bancs du groupe UMP). Alors que toute l’analyse économique montre que l’amélioration de la compétitivité passe par l’investissement dans les qualifications et l’innovation, vous faites exactement le contraire !

Un député du groupe UMP – Pour avoir de l’argent, il faut travailler !

M. Pierre-Alain Muet – Vous faites entrer notre pays dans l’avenir à reculons ! (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Mme Catherine Coutelle – La commission des affaires économiques a été saisie pour avis sur ce texte, sans doute parce qu’il modifie substantiellement le code du travail, l’organisation des entreprises, la compétitivité économique et la vie des salariés. Vous tentez encore une fois de faire croire qu’assouplissement, dérégulation et concurrence sont les solutions pour améliorer la vie quotidienne, pour relancer le pouvoir d’achat, la productivité des entreprises et l’économie – mais rien n’y fait. Le moral des Français n’a pas été aussi bas depuis 1987 : 80 % d’entre eux disent ne pas croire à votre politique économique, si peu efficace d’ailleurs qu’il vous faut dépenser quatre millions d’euros pour en faire la publicité.

Malgré votre acharnement législatif, tous les chiffres vous donnent tort : l’inflation repart, la croissance est en berne, la dette augmente, le déficit extérieur se creuse ; certes, le chômage baisse, mais c’est sous l’effet de changements démographiques et, surtout, de la précarisation du travail : 2,2 millions de salariés ne décident pas de leur temps de travail, ne bénéficient pas d’heures supplémentaires ; ils attendent un travail à temps plein – au moins 35 heures –, et ils voudraient un CDI pour gagner régulièrement leur vie et faire des projets d’avenir.

Je ne reviendrai pas ici sur la première partie du texte, qui reprend la position commune – espérons qu’elle ne sera pas dénaturée par des amendements. Mais la seconde partie trahit la première ; je remarque d’ailleurs que nous, socialistes, sommes deux fois plus nombreux à intervenir sur ce texte que les députés UMP, manifestement peu inspirés (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

C’est un coup porté à la démocratie sociale, dit la CFDT.

Un député du groupe SRC – Très bien !

Mme Catherine Coutelle – La CGT ajoute qu’il s’agit d’un véritable dynamitage de toute législation sur le temps de travail.

Un député du groupe UMP – Parole d’évangile !

Mme Catherine Coutelle – Mme Parisot parle de victoire à la Pyrrhus (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Cette trahison aura des conséquences dramatiques sur la confiance que vous accordent les Français !

Vous vous fondez sur un raisonnement faux : depuis l’ère industrielle, la diminution du temps de travail est étroitement liée aux gains de productivité. C’est dans les pays les plus développés que la durée du travail est la plus faible, dans les moins développés qu’elle est la plus longue : elle est de 50 heures par semaine en Turquie (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Avec les heures supplémentaires, une durée hebdomadaire du travail de 48 heures sera possible ; l’extension à tous des forfaits en jours, par des conventions de gré à gré, signe la fin de toute durée collective du travail. En offrant tant de souplesse aux employeurs, sans l’encadrer, vous privez les salariés de toute possibilité de prévoir leur activité.

Il faut oublier cette idée ridicule d’un allongement nécessaire du temps de travail. Le problème des Français n’est pas tant dans la durée du travail de ceux qui occupent un emploi à temps plein, que dans l’exclusion des jeunes et des seniors. Il faut aussi investir dans la qualification des salariés. Les textes du Gouvernement suivent tous une logique identique, sans grande réussite au demeurant : celle de la dérégulation et de la concurrence. Par la loi sur la modernisation de l’économie, vous avez dérégulé le commerce, avec le hard discount, vous avez précarisé le travail, notamment féminin et vous avez déstabilisé l’artisanat. Par celle-ci, vous favorisez le dumping social.

Mais je voudrais appeler l’attention de l’Assemblée sur des conséquences moins visibles de cette avalanche législative : votre démarche brouillonne modifie substantiellement la vie des Français. Les salariés travailleront jusqu’à 40 heures par semaine, 250 jours par an ; quel temps personnel leur restera-t-il ? Mme Lagarde voudrait que les Français passent plus de temps à faire leurs courses, afin de relancer l’économie par la consommation, y compris le dimanche – j’ai lu, Monsieur le Ministre, que vous y étiez très favorable. Mme Morano parle de concilier la vie familiale et la vie professionnelle. Ce ne sont que des discours. Les enquêtes montrent que les Français sont, parmi les Européens, ceux qui souhaitent consacrer le plus de temps à leur famille – ce à quoi les 35 heures ont aidé. Mais en septembre, lorsque la modification du temps scolaire brutalement décidée par M. Darcos sera introduite, les écoliers français auront l’année la plus courte d’Europe – 140 jours de classe. Doivent-ils travailler moins pour apprendre plus ? Que feront leurs parents pendant ces nouveaux jours de congé ? Ils jongleront, improviseront, « stresseront », voire s’absenteront – à moins que vous ne souhaitiez que les femmes optent pour des emplois à temps très partiel, quitte à voir ensuite leur retraite amputée.

La vie de nos concitoyens ne se découpe pas en tranches : ils sont tour à tour salariés, patrons, consommateurs, parents ou grands-parents. Leur vie sera difficile à organiser, et cela alimentera le malaise social. Des programmes d’égalité des chances financés par l’Europe ont aidé les villes volontaires à inventer des politiques de conciliation des temps de vie ; ces politiques, négociées avec les entreprises et les salariés, font trois gagnants : l’entreprise offre des services et gagne en productivité ; le salarié gagne en qualité de vie ; les territoires gagnent en attractivité. Votre politique, c’est au contraire le « tous perdants » ! Vous commettez une erreur : la fin de la solidarité nationale ne nous permettra pas de renouer avec la croissance (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Régis Juanico – Marché de dupe, tromperie, rupture de la confiance, mensonges, décision autoritaire, passage en force, victoire à la Pyrrhus…

M. Bernard Deflesselles – C’est le congrès du parti socialiste à Reims que vous décrivez !

M. Frédéric Lefebvre – Vous parlez de François Hollande !

M. Régis Juanico – …ce sont quelques-uns des mots doux qui vous ont été adressés par les responsables des organisations patronales et syndicales à la suite de votre décision de dénaturer, dans le projet que nous examinons, la position commune, en y ajoutant contre leur avis unanime des dispositions sur le temps de travail.

Après cet épisode regrettable, tous les partenaires sociaux que nous avons reçus nous l’ont dit : vous êtes, Monsieur le ministre, le roi du double jeu et du triple langage. Ce texte s’inscrit dans un contexte de régression pour les droits des salariés : il y a quelques mois, lors de l’examen du texte sur la modernisation du marché du travail, vous vous prononciez pour une application rapide de la flexibilité, en renvoyant à plus tard – dans quelques semaines ou quelques mois – le volet sur la sécurité. Eh bien, nous l’attendons toujours ! Notre vigilance était donc pleinement justifiée.

Au niveau européen, vous avez capitulé sur la durée maximale du travail, qui pourra être portée à 60, voire 65 heures. Alain Vidalies a très bien noté les conséquences, que nous n’avons pas fini de mesurer, de la prééminence donnée aux accords d’entreprise sur les accords de branche, notamment au regard des récents arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, qui mettent en avant la liberté d’établissement des travailleurs.

Au niveau national, votre majorité est en état de récidive : c’est la septième loi en six ans qui vise à assouplir les 35 heures. Or la souplesse existe déjà ; votre volonté d’aller plus loin est purement idéologique : vous donnez des gages, non seulement à votre majorité, mais aussi aux éléments les plus conservateurs de votre électorat. Le carcan, c’est votre entêtement dogmatique. D’ailleurs, cette discussion débute à peine que vous évoquez déjà, dans un article du Figaro, une nouvelle étape dans le démantèlement du droit du travail, puisque vous vous dites favorable au travail du dimanche, et que vous annoncez qu’une proposition de loi de M. Richard Mallié pourrait être discutée rapidement pour introduire plus de souplesse.

Mais votre politique est un échec. Une récente étude de l’URSSAF le montre : 20 % à peine des salariés sont aujourd’hui concernés par le rachat des jours de RTT.

Avec ce texte, vous atomisez les droits des salariés, privilégiant le niveau de l’entreprise où le rapport de forces leur est défavorable. D’ailleurs, selon la CAPEB, négocier le temps de travail à ce niveau risque de créer la panique dans les petites entreprises. La panique, je ne sais pas, mais la loi de la jungle à coup sûr !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – N’exagérez pas.

M. Régis Juanico – Ce texte est donc une étape supplémentaire dans votre entreprise de démolition méthodique du pacte social républicain. Après vous en être pris au système des retraites par répartition, à la solidarité dans la santé, aux services publics et après avoir affaibli les moyens d’action de l’État, vous vous attaquez à ce qui reste de garanties fondamentales dans le code du travail, avant de vous en prendre probablement au salaire minimum. Nous n’aurons de cesse de dénoncer les dangers de cette politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Michel Liebgott – Faut-il travailler plus pour gagner plus ? Telle est la question que les Français sont amenés à se poser après tant d’années de gouvernement de droite. S’il s’agissait d’un feuilleton télévisé, il pourrait s’intituler « Plus beau le travail, plus faible le pouvoir d’achat ». Car l’essentiel est bien que le pouvoir d’achat diminue. On ne travaille pas moins en France qu’en Allemagne, mais on y vit moins bien ! Depuis une dizaine d’années, les salaires bruts ont augmenté de 48 %, les loyers de 66 %... et les dividendes de 143 %. Ne vous étonnez donc pas si les Français, qui ont tant de mal à se loger et à mener une vie professionnelle décente, ne vous croient plus. Plus vous vous enfoncerez dans ce délire du « travailler plus », plus ils s’éloigneront de vous.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Les Français qui s’éloignent, vous en avez l’expérience.

M. Michel Liebgott – Pendant la campagne électorale, vous avez martelé que mai 68 avait conduit au laxisme. L’opinion voit les choses d’un autre œil. Vous reprenez donc une autre de vos obsessions, les 35 heures. Vous avez voté ces dernières années la possibilité de faire 220 heures supplémentaires par an – l’équivalent d’un mois de travail. Mais 80 % des salariés n’en ont d’ailleurs pas vu la couleur. Alors, à grand renfort de spots publicitaires, vous leur expliquez que la baisse du pouvoir d’achat, le recul de la compétitivité, ce sont les 35 heures. Ils savent bien que ce n’est pas le cas et voient comment vous supprimez les emplois aidés et envoyez les gens vers le RMI.

S’ils ont cru à vos promesses le temps d’une campagne électorale, aujourd’hui ils n’y croient plus. Depuis six ans, ils n’ont plus vu de politique socialiste mise en œuvre et ils en rêvent (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe SRC) Le Président de la République est tombé à 34 % dans les sondages. Si demain il y avait des élections, vous ne seriez que 34 % de cette assemblée ! Nombre d’entre vous se retrouveraient alors dans les entreprises qu’ils dirigent ou aux côtés de leurs amis patrons qu’ils servent si bien (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Ils y seraient confrontés aux salariés, auxquels, je n’en doute pas, ils proposeraient des heures supplémentaires ! Pour l’heure, ils se livrent à un combat purement idéologique car ils n’ont, tout simplement, plus rien à proposer (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Michel Ménard – Ce projet est un texte de rupture du dialogue social, de rupture de la confiance avec les organisations syndicales, de rupture avec des dispositions qui protégent les salariés.

En allant au-delà d'une position commune qui, déjà, ne rassemblait qu'une partie des organisations syndicales de salariés, le Gouvernement impose une politique de régression sociale qui remet en cause la hiérarchie de normes.

M. Marc Dolez – Très bien.

M. Michel Ménard – Sous prétexte de mesurer la représentativité syndicale au sein des entreprises – en excluant de ce processus des millions de salariés –, ce texte fait de l'entreprise le niveau privilégié de négociation, ou plutôt de déréglementation. Pour ma part, je préférerais mesurer la représentativité dans les élections prud’homales.

Le droit actuel donne aux salariés des garanties pour leur santé et leur sécurité. Il encadre la durée du travail, le contingent d'heures supplémentaires, leur majoration.

En ramenant au niveau de l'entreprise les négociations sur ces sujets, le Gouvernement sacrifie les conditions de travail des salariés. Il crée les conditions d’un dumping social, d’un nivellement par le bas.

Qui peut croire en effet, hormis la présidente du Medef, que l'employeur et l'employé sont égaux dans la négociation, notamment dans les petites entreprises ? Les négociations d'entreprise se concluront dans l'immense majorité des cas par un recul des droits des salariés.

Ce projet est une première étape qui ne traite que du temps de travail. Il ne remet certes pas en cause la durée légale, mais tout devient possible (« Comme vous le dites ! » sur les bancs du groupe UMP).

Ainsi, des accords d'entreprise permettront à chaque salarié de travailler à partir d'une convention individuelle de forfait en heures. La limite est fixée à 48 heures par semaine, avec intégration des éventuelles heures supplémentaires qui ne seront de fait plus majorées, de même que pourra ne plus être accordée de repos compensateur. Les cadres et les salariés disposant d'une réelle autonomie pourront même travailler jusqu'à 280 jours par an, contre 218 jours aujourd'hui, travailler six jours sur sept, et jusqu'à 13 heures par jour et 65 heures par semaine pour peu que la nouvelle directive européenne soit adoptée.

Ces salariés seront contraints d'accepter de travailler plus, au détriment de leur santé. Gagneront-ils plus pour autant ? II est permis d'en douter, puisque c'est l'accord d'entreprise qui fixera la majoration des heures supplémentaires.

C’est le modèle social français qui est mis à mal.

Aujourd'hui, il s'agit du temps de travail. Mais demain ? Dans la presse, M. Bertrand se dit favorable au travail dominical. Pensez-vous vraiment qu’un salarié pourra le refuser sans risque ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Lisez la proposition Mallié.

M. Michel Ménard – Votre projet va à l’encontre des aspirations d’une majorité de nos concitoyens. Il n’apporte aucune réponse aux jeunes chômeurs ou aux plus de 50 ans. En revanche, on exigera des salariés de 30 à 50 ans d'être toujours plus disponibles pour l'entreprise, au détriment de leur équilibre professionnel et de leur famille.

La semaine dernière, dans un centre d’information jeunesse, j’ai lu l’annonce d’une entreprise de restauration qui proposait 40 emplois à 20 heures par semaine, au SMIC. Croyez-vous qu’avec un temps partiel subi un jeune puisse vivre correctement ? Pour ma part, je ne le pense pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Catherine Lemorton – Ce projet de loi suscite un déferlement de contrevérités en provenance de la majorité. Tâchons donc de redonner sens à notre débat (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). C’est pour adapter la société aux évolutions historiques que la gauche a entrepris de moderniser notre rapport au travail, comme elle l’avait fait jadis en instaurant la semaine de quarante heures. En effet, il appartient aux responsables politiques de faire profiter les travailleurs de l’augmentation de la productivité mécanique – et l’expérience montre que la gauche s’en charge bien plus souvent que la droite.

Plusieurs députés du groupe UMP – C’est faux !

Mme Catherine Lemorton – De même, notre philosophie politique nous incite à renforcer le partage de la valeur travail en garantissant un emploi stable à davantage de Français. Les statistiques de l’emploi entre 1997 et 2002 nous ont donné raison.

Un député du groupe UMP – Rappelez-nous les résultats de l’élection présidentielle de 2002 !

Mme Catherine Lemorton – Enfin, nous prônons l’équilibre entre le travail et l’épanouissement personnel. Le travail est un bien commun, une valeur fondamentale dont la gauche est le meilleur défenseur, et qui ne prend tout son relief que dans un équilibre entre les bénéfices que les salariés tirent des progrès techniques et ceux dont profitent les entreprises pour améliorer leur compétitivité, mais aussi dans un équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, et entre une idéologie de gauche, enfin, que nous assumons pleinement, et le pragmatisme incontestable de notre action.

Notre vision du rapport au travail a renforcé la démocratie sociale. Ainsi, l’annualisation du temps de travail a permis aux entreprises de bénéficier de davantage de souplesse et d’augmenter leur productivité, au point que la France est l’un des pays les plus compétitifs du monde !

M. Dominique Tian – Tout à fait !

Mme Catherine Lemorton – Si les socialistes assument leur philosophie politique, la majorité, quant à elle, sur le point de porter un mauvais coup estival dont elle a le secret, adopte sa stratégie favorite dans ces circonstances : elle se cache ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR ; protestations sur les bancs du groupe UMP) Elle caricature notre héritage pour mieux tromper nos concitoyens et les inciter à accepter la précarisation massive de l’emploi, la pénalisation des salariés, la limitation de l’individu à sa seule valeur productive.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles – Quelle caricature !

Mme Catherine Lemorton – Telle est la volonté des néolibéraux que vous êtes, inspirés par les thèses de Hayek et Friedman. Et pourtant, au lieu d’assumer vos orientations, vous préférez louvoyer en affichant un pragmatisme de façade qui, aux yeux des Français, brouille les cartes entre la vision émancipatrice de la gauche et celle, régressive, de la droite.

La majorité assumera-t-elle enfin sans complexe sa conception du rapport au travail, qui néglige la pénibilité du travail, ainsi que la santé et l’épanouissement des travailleurs ? Assumera-t-elle les mesures qu’elle décide, et adaptera-t-elle sa réforme du temps de travail au slogan « travailler plus pour gagner plus » ? Elle prouverait ainsi que ses engagements ne sont pas de vains mots, qu’elle est déterminée à œuvrer en faveur de la cohésion sociale.

Hélas, voici une notion que vous avez délaissée depuis bien longtemps. Comme de coutume, vous profiterez donc de l’été pour faire régresser notre droit social dans le dos des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Christian Eckert – Je n’évoquerai que cinq bonnes raisons de ne pas adopter ce texte que vous jugez historique. Songez pourtant que l’Histoire retient plus souvent le nom de ceux qui résistent que le nom de ceux qui cèdent aux sirènes d’une prétendue modernité…

Tout d’abord, l’été est une nouvelle fois le moment choisi par le Gouvernement pour infliger dans l’urgence ses mauvais coups aux salariés. Plusieurs textes nous sont ainsi soumis à toute vitesse, sous couvert de réforme. Au moins les Français comprennent-ils de mieux en mieux le sens que vous donnez à ce terme !

Ensuite, le présent projet de loi est dangereux, comme l’a reconnu M. Vercamer lui-même. Vous privilégiez les accords d’entreprise, niez le rôle de l’Inspection du travail, bradez le repos compensateur et, cerise sur le gâteau, confiez à l’employeur le droit, à défaut d’accord, de déterminer unilatéralement le nombre de jours de travail. Belle illustration de la confiance que vous portez aux partenaires sociaux !

Troisièmement, vous prétextez la modernisation du dialogue social pour casser le droit du travail. Non contents de contester la relation de subordination qui unit le salarié à l’employeur, vous détruisez le seul garde-fou limitant cette inégalité en ravalant le dialogue social au plus bas niveau, en préférant l’entreprise à la branche et, ce faisant, en laissant le salarié seul face à son employeur. Que signifie le volontariat dès lors qu’un salarié réfractaire peut être mis au placard, muté, ou poussé au départ ?

Venons-en au pouvoir d’achat. Votre seule réponse à cette préoccupation majeure des Français est de leur demander de travailler davantage ! Pourquoi ne pas plutôt mettre en cause la répartition des richesses ? Le souci de l’équilibre entre capital, investissement et travail est bel et bien oublié. Peu vous importe la juste rémunération du travail, obnubilés que vous êtes par la libération de la croissance, tantôt avec les dents, tantôt avec l’aide de M. Attali – dont on ne parle cependant plus guère, ces temps-ci… Et avec quels résultats : les exonérations des droits de succession ou le bouclier fiscal n’ont eu aucun impact sur le taux de croissance. Dans le même temps, vous refusez tout coup de pouce au SMIC ou aux retraites. Dès lors, les Français vont devoir travailler plus pour gagner autant. Tel est votre modèle : assumez-le, mais sans nous !

Enfin, votre texte bâtit une société qui va à l’encontre de l’histoire sociale. Les gains de productivité ne profitent plus aux salariés, mais aux fonds de pension. Vous accusez à tort les Français de travailler moins que les autres, ignorez le stress au travail, aggravez la pression que subissent les salariés, envisagez de généraliser le travail du dimanche… À quand le travail de nuit, ou celui des enfants ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) En réduisant les droits sociaux au rôle de simple variable d’ajustement des marges de profit des entreprises, vous ouvrez la porte à une concurrence sociale par le bas. Direz-vous enfin aux familles monoparentales, aux femmes, aux travailleurs pauvres que leur épanouissement personnel, leur vie personnelle et sociale ne sont plus protégées par le droit ? Vous bâtirez une telle société sans nous. Vous qui n’avez que la valeur travail à la bouche, Monsieur le ministre, commencez par la reconnaître en travaillant à sa juste rémunération ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

La discussion générale est close.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Je tiens d’emblée à saluer la qualité du travail de la commission et de son rapporteur, M. Poisson. Il a raison : ce texte représente une révolution. Dans un pays marqué par un centralisme hiérarchique, nous avons décidé de partir de la base – c’est-à-dire de l’entreprise – pour élaborer la loi, inspirés par les propositions des partenaires sociaux. Ainsi, ce sont les salariés eux-mêmes qui choisiront, par leur vote, les syndicats qu’ils habiliteront à les représenter. C’est au plus près du terrain que les négociateurs détermineront ensemble les modalités de gestion du temps de travail. Entre démocratie sociale et démocratie politique, chacun devra prendre ses responsabilités.

M. le rapporteur pour avis a souligné à juste titre que l’adoption de ce texte développerait le droit à la négociation collective dans les entreprises, auquel il est attaché depuis longtemps. En vertu de ce droit déjà consacré dans la loi de 1971, les acteurs de terrain sont les mieux placés pour trouver entre eux les solutions les plus pragmatiques. Au sein de cette négociation, le temps de travail est un sujet essentiel qui touche à tous les domaines de la vie de l’entreprise et de ses salariés.

M. Méhaignerie a cité la Suède : dans ce pays, les textes légaux relatifs au temps de travail ne pèsent pas davantage que quelques pages, et la négociation collective prime toujours. Pourtant, les salariés suédois ne sont pas moins bien protégés que les Français.

Mme Billard a prétendu que ce projet de loi autoriserait la semaine de quarante heures par accord d’entreprise. Je la mets au défi de trouver l’alinéa du code du travail qui l’interdit aujourd’hui.

Mme Martine Billard – Aucun problème !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Pourrez-vous démontrer toutes vos déclarations sur la durée maximale de travail ? Non seulement nous n’avons pas modifié ces dispositions d’une virgule, mais nous les renforçons en interdisant qu’il y soit dérogé par voie conventionnelle, comme c’est le cas pour les forfaits annuels en heures.

M. Vercamer a salué la réforme de la représentativité. Non seulement la liste des critères a été modifiée, mais la réforme permettra que les salariés et eux seuls déterminent le poids, le nombre et la place des organisations syndicales. Que vaudrait un pluralisme ainsi fait que les parties n’engageraient qu’elles-mêmes ? C’est pourtant de la sorte que les choses sont allées pendant de nombreuses années, et c’est pourquoi nous avons souhaité l’équilibre qui vous est proposé entre pluralisme et légitimité électorale.

M. Apparu a tenu à rappeler la méthode que nous avons choisie, et je l’en remercie. Les choses avaient été dites clairement par le Président de la République pendant la campagne électorale et encore en septembre 2007, et par le Premier ministre en décembre. Pourquoi avons-nous dû aller plus loin, sinon parce que l’article 17, si souvent évoqué, maintenait le statu quo ?

M. Roland Muzeau – Non !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Pourquoi faudrait-il 30 % d’avis favorables partout ailleurs, et 50 % à l’article 17 ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Roland Muzeau – Forcément !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Bel aveu ! Pour notre part, nous ne voulons pas du statu quo, car nous voulons assouplir, enfin, les 35 heures, pour répondre aux besoins des entreprises.

M. Gorce a cru bon de parler de « délire obsessionnel ». S’il existe, qui en est victime, sinon le parti socialiste, par son attachement passéiste à cette vieille lune ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Ou serait-ce que M. Gorce, contraint, à l’époque, de rapporter le projet de loi sur les 35 heures, souffre du syndrome de Stockholm ? (Vives exclamations sur les mêmes bancs) Et dites-nous, au fait, Mesdames et Messieurs les membres du groupe socialiste, si vous êtes ou non favorables à la généralisation des 35 heures ? Mme Royal, en tout cas, était contre ! (Mêmes mouvements) Il est faux, par ailleurs, d’affirmer comme vous l’avez fait que le nombre d’heures travaillées ne serait pas inférieur en France à ce qu’il est ailleurs en Europe (Vive agitation sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Au demeurant, j’aimerais que l’on m’explique comment la durée collective du travail pourrait ne pas augmenter en France si la durée individuelle augmente.

M. Perrut a insisté à juste titre sur la nécessité de moderniser les institutions, l’économie et la démocratie sociale, vastes chantiers auxquels nous nous sommes attelés.

M. Gille a évoqué la possibilité de dérogations conduisant à des semaines de 60 à 65 heures ? Mais je l’ai dit au Conseil européen, il n’est pas question que la France utilise la clause qui rend la chose possible, et je le redis devant vous.

M. Alain Vidalies – On verra à l’usage…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail D’ailleurs, à quel article du texte lisez-vous que ce serait possible ? Où, dans le projet, figurent ces chiffres ?

M. Tian a abordé la question des sous-traitants. Sur ce point, nous devons avancer, et nous avons bien l’intention de le faire mais, après avoir connu deux déconvenues constitutionnelles, il nous faut procéder avec prudence. Nous allons nous y employer, avec vos rapporteurs.

Mme Hoffman-Rispal, M. Dolez et M. Juanico ont traité de la négociation d’entreprise, que nous replaçons effectivement au cœur du processus de négociation, au plus près des salariés, mais encadrée par des dispositions d’ordre public. Cela étant, je préfère un accord collectif à un accord individuel.

M. Muet m’a paru s’exprimer en économiste davantage qu’en parlementaire (Protestations sur les bancs du groupe SRC) et les propos qu’il a tenus permettent de comprendre les contresens du parti socialiste en matière économique (Violentes exclamations sur les bancs du groupe SRC) puisque nous avons entendu l’un des derniers défenseurs du partage du travail (Mêmes mouvements). Comment créer des richesses sinon en créant du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) L’idée des 35 heures n’est pas vraiment de celles que nous avons le plus exportées, et sa persistance montre que le parti socialiste n’a toujours rien compris à la valeur travail (Interruptions sur les mêmes bancs), ce qui ne lui a porté chance ni en 2002, ni en 2007 ! Vous pouvez, certes, continuer de professer avec assurance des chimères rétrogrades ; pendant ce temps, nous agissons (Exclamations renouvelées sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Alain Vidalies – Lisez donc les statistiques d’Eurostat !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Parlons-en, je les ai sous les yeux ! Contrairement à ce que M. Muet a affirmé, le pays qui vient en dernier est les Pays-Bas, puis vient la France… (Les interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR couvrent la voix du ministre)… ce qui démontre le besoin impératif d’heures supplémentaires dans notre pays, quels que soient les effets de manche. (Exclamations continues sur les mêmes bancs) Qui, sinon notre majorité, a renforcé les effectifs de l’inspection du travail ? Qui, sinon nous, a posé la question de la répartition entre les mesures d’ordre public social et la négociation ? Une nouvelle fois, vous illustrez le fossé entre mythe et réalité, entre le discours et les faits (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Une différence de fond nous oppose, que les Français ont fort bien perçue, en 2002 comme en 2007 (Exclamations croissantes sur les mêmes bancs) et pour vous avoir entendu dire, Monsieur Liebgott, qu’ils rêvent d’une politique socialiste, je vous invite à concourir, l’an prochain, au prix de l’humour politique, qui a malheureusement déjà été décerné cette année (Tollé sur les bancs du groupe SRC ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Vidalies – Dans le même temps, vous pourrez concourir pour le premier prix de suffisance !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Mme Lemorton gagnerait, comme ses collègues du groupe socialiste, à en finir avec les chiffres et les discours et à se concentrer sur les réformes possibles (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Mais vous manquez tous de courage politique (Interruptions sur les mêmes bancs), le pire étant que l’occasion vous est donnée de changer mais que vous la refusez (Mêmes mouvements). Seriez-vous paralysés par les effets de courants ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC) On a eu le sentiment, vous voyant défiler à la tribune, d’une répétition de votre congrès de novembre (Huées sur les mêmes bancs). Les partenaires sociaux apprécieront sans aucun doute vos commentaires sur la prétendue casse du droit du travail ! Croire dans le dialogue social, ce n’est pas se cantonner aux incantations, c’est lui donner l’occasion de s’exprimer quand le besoin s’en fait sentir. En cette matière, qui agit ? Qui a décidé de s’attaquer au stress au travail ? Qui a redonné son lustre à la valeur travail (Violentes exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) en en faisant le fil conducteur du quinquennat ? Retrouvez vos esprits, Mesdames et Messieurs les socialistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; vives protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Pierre-Alain Muet – Rappel au Règlement. Monsieur le ministre, notre Assemblée a créé une mission d’information commune sur la mesure des grandes données économiques et sociales et j’ai eu l’honneur d’en être nommé président. Quand on débat sur des chiffres, il faut être précis. J’ai fait référence aux statistiques d’Eurostat sur la durée hebdomadaire moyenne du travail pour l’ensemble des salariés, qu’ils soient employés à temps plein ou à temps partiel, et les chiffres sont ceux que j’ai donnés – 29 h et demie aux Pays-Bas, 36 h et demie en France… Vos collaborateurs peuvent se les procurer aussi facilement que moi et, si vous le souhaitez, je vous fais volontiers cadeau de la copie en ma possession.

M. le Président – Le rapport avec un rappel au Règlement est ténu, Monsieur Muet. Il vous faut finir.

M. Pierre-Alain Muet – Pas sans avoir dit que l’on peut être en désaccord sur l’interprétation des chiffres mais que, pour étayer son argumentation, on doit s’appuyer sur des statistiques fiables et reconnues comme telles.

M. Alain Vidalies – Rappel au Règlement. Ne peut-on, dans un débat de cette nature, être capable de s’en tenir aux faits ? Il existe deux modes de calcul, chacun le sait, selon que l’on inclut dans les statistiques l’ensemble des salariés ou seulement les salariés à temps plein. C’est toute la question de la généralisation du temps partiel qui est posée par ce biais. Le ministre a fait état, avec une arrogance sans pareille, de statistiques qu’il savait tronquées. Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue le mercredi 2 juillet à 0 heure 30, est reprise à 0 heure 40.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe GDR une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Roland Muzeau – La session extraordinaire verra se chevaucher la discussion de trois projets de loi majeurs – réforme des institutions, modernisation de l’économie, démocratie sociale et temps de travail – sans oublier la tenue du Congrès. Est-ce une méthode de travail digne du Parlement, dont le Gouvernement déclare vouloir renforcer les pouvoirs ?

Il serait judicieux de considérer que le temps du Parlement n’est pas celui des annonces du Président de la République. Dans sa volonté d’aller vite, le Gouvernement s’est fait oublieux de la concertation et de l’évaluation nécessaires à l’élaboration de la loi.

Cela est inacceptable et suffit à justifier le renvoi en commission. Lorsque l’on prétend réformer les institutions afin de les rendre plus démocratiques, on ne commence pas par ressortir les bonnes vieilles méthodes de la déclaration d’urgence ou de l’examen estival.

Toutefois, le Gouvernement affiche une belle confiance dans l’issue favorable de cette réforme. Il est vrai que les attaques en règle contre les 35 heures continuent de faire recette auprès de la majorité et d’un Medef revanchard, qui caresse l’espoir de mettre à mal toute idée de durée légale et de limitation du temps de travail.

Malgré la démarche autoritaire du Gouvernement, qui a imposé au forceps et au mépris du dialogue social un volet « réforme du temps de travail », la majorité est plutôt conciliante. Après l’oukase de M. Devedjian, la correction de M. Raffarin et la reprise en main de M. Bertrand, voici les déclarations de M. Copé : « L’UMP est solidaire à 100 % avec le Président et le Gouvernement », lequel aurait toute légitimité pour « remédier à cette catastrophe des 35 heures ».

L'engagement pris pendant la campagne présidentielle de revenir sur la réduction du temps de travail justifie donc de sacrifier la parole donnée aux partenaires sociaux et d'en revenir aux intrusions brutales de l'exécutif dans le domaine du droit social.

Oubliées les déclarations d'intention du chef de l'État, qui prétendait rompre avec « notre histoire sociale suffisamment jalonnée de projets menés à la hussarde, sans concertation, et qui se sont soldés par de retentissants échecs ».

Oubliés, Monsieur le Ministre, votre discours sur les vertus du dialogue social rénové, vos engagements et vos exhortations au respect des accords issus de négociations entre les partenaires sociaux.

Bien que les 35 heures ne concernent pas tous les salariés – 5,5 millions d’entre eux n'en bénéficiaient pas encore en 2007 –, elles sont rendues responsables de la perte de compétitivité de la France, de la chute du pouvoir d'achat ou encore de la paresse généralisée de nos concitoyens. Les exigences de concertation préalable posées par la loi de 2007 n'ont pas fait le poids.

Hier encore soufflait un vent nouveau : devant cette même assemblée, vous défendiez, Monsieur le ministre, la transposition à la virgule près de l'accord national interprofessionnel portant modernisation du marché du travail, dont le contenu, il est vrai, ouvrait la voie à plus de flexibilité. Aujourd'hui, les résultats de la négociation sur la représentativité et le financement du syndicalisme ne vous satisfont pas totalement. Un seul point de la position commune, sans lien avec l'objet central des discussions mais qui ne permettait pas de faire sauter tous les verrous à la déréglementation du temps de travail aura suffi pour que le Gouvernement change de méthode et renie ses engagements, au risque de se mettre à dos les centrales syndicales et de les fragiliser.

Des tensions existaient entre les organisations syndicales sur la façon de renforcer leur représentativité et le Medef exerçait des pressions pour promouvoir un droit plus contractuel, faisant du code du travail l'accessoire et de la négociation d'accords d'entreprise dérogatoires le principal.

C'est en connaissance des risques supplémentaires d'échec que vous faisiez courir à la négociation que vous avez ajouté le sujet très sensible du temps de travail. Vous saviez pourtant que beaucoup doutaient de la réussite de cette négociation : l'avis du CES plaidant en faveur d'une majorité d'engagement et de la refondation de la représentativité des syndicats sur une mesure de leur audience par l'élection avait été mal reçu.

Les organisations syndicales avaient-elles d'autre choix que de négocier âprement un compromis défensif, alors que le Gouvernement demandait de « faire de la durée du travail un champ d'action privilégié pour un dialogue social de qualité » ?

D'aucuns, comme la CFTC et FO, non signataires, considèrent que l’article 17 de la position commune représentait une concession de taille aux organisations patronales : celles-ci souhaitent depuis longtemps une durée légale négociable, la fixation par accord d’entreprise du contingent d'heures supplémentaires, des repos compensateurs, des seuils de déclenchement de ces heures supplémentaires et de leur taux de rémunération.

Votre piège va se refermer sur les signataires de l'accord. Le Medef a beau tenir des propos durs à votre endroit, Monsieur le ministre, il ne parvient pas à nous convaincre de sa volonté de s'en tenir à l’article 17 de la position commune.

Vous auriez voulu affaiblir les syndicats que vous ne vous y seriez pas pris autrement. En refusant d’entendre la demande solennelle de la CFDT et de la CGT de disjoindre le titre II de ce projet de loi, vous faites le jeu de ceux qui veulent que rien ne change, surtout en matière de règle de représentativité, de validation des accords et de droit de représentation de tous les salariés, y compris dans les petites entreprises.

Êtes-vous prêt à maintenir sous perfusion un syndicalisme minoritaire, bienveillant à l’égard des branches patronales et des chefs d’entreprise ? Doit-on penser – comme nous y invite le leader de la CFDT – que vous renvoyez avec dédain et légèreté les organisations syndicales à la seule posture possible, celle de la contestation ? Votre stratégie peut avoir à court terme des effets bénéfiques, puisqu’il s’agit de flatter, à grand renfort d’arguments populistes, un certain électorat et de faire oublier les échecs de votre politique économique. Reste qu’en braquant les projecteurs sur l’emblématique réforme du temps de travail et en la menant à la hussarde, vous laissez dans l’ombre les enjeux de celle qui touche à la représentativité des organisations syndicales et à la nécessaire refonte de notre démocratie sociale. Tel est le sens de notre motion de renvoi en commission : la sagesse aurait voulu que vous présentiez deux textes distincts, au lieu d’adjoindre à la première une seconde partie qui fait fi de toute exigence de concertation, mais aussi des règles élémentaires de prudence.

Nul ne conteste la nécessité de réformer profondément les règles de notre démocratie sociale. La présomption irréfragable de représentativité a vécu ; le faible taux de syndicalisation, l'émiettement syndical, les soupçons dont la transparence financière et l'indépendance des organisations syndicales font l’objet, la relance de la négociation, l'élaboration des droits syndicaux interprofessionnels hors du cadre de la relation classique de salariat – qui ne fait plus office de norme générale –, constituent autant de problèmes qu’il est urgent de résoudre. Mais la position commune le permet-elle ? En réalité, malgré ses indéniables avancées, le texte souffre aussi d'importantes lacunes.

S’agissant de l’article premier, qui revient sur les critères cumulatifs de la représentativité des organisations syndicales, pourquoi, Monsieur le ministre, intervertir l'ordre suivi dans la position commune, sinon pour inverser l'importance relative de chacun des critères, au détriment de l'audience et de l'influence ?

D’autre part, cet article met fin à la référence désuète à l'attitude patriotique adoptée pendant l’Occupation, et surtout au principe de présomption irréfragable de représentativité. Cette dernière évolution, attendue depuis au moins dix ans, avait été préfigurée, en 2006, par l'avis du Conseil économique et social sur la représentativité syndicale. Ainsi est abrogé l'arrêté de 1966 qui reconnaissait à cinq syndicats le monopole de la représentativité. Désormais, les organisations qui frappent à la porte depuis de nombreuses années pourront négocier des accords interprofessionnels nationaux, présenter des candidats dès le premier tour des élections professionnelles, voire siéger dans des instances paritaires telles que l'assurance-chômage ou l'assurance-maladie, à condition de faire la preuve de leur représentativité en se présentant devant les salariés, selon des critères dont la valeur déterminera la qualité du futur paysage syndical.

Le Medef s'opposait depuis longtemps à cette refonte de la représentativité, pour des motifs évidents : comme ses fédérations patronales, il a usé et abusé des accords minoritaires, qui ont pénalisé des millions de salariés, parce qu’il redoutait de voir émerger des interlocuteurs moins conciliants, car plus légitimes. De ce point de vue, le projet de loi, en reprenant les termes de la position commune, permettra aux organisations syndicales de mieux exercer leur rôle et de satisfaire les attentes des salariés.

La principale innovation consiste à asseoir la représentativité sur l'élection professionnelle dans les entreprises, et non plus sur les élections prud’homales, ce qui soulève plusieurs difficultés. Tout d’abord, les entreprises de moins de dix salariés, les entreprises sans représentation syndicale et les demandeurs d'emploi en sont exclus de fait. En outre, les nouveaux seuils imposés par la loi risquent d’entraîner une surreprésentation des syndicats des grandes entreprises dans certaines branches, et une dilution de la représentativité locale au niveau national, ou de certaines entreprises dans l'établissement ou dans le groupe. À cet égard, des aménagements seraient utiles. Mais l’apport principal du texte réside dans l’appréciation périodique de la représentativité – selon un délai toutefois excessif, que nous souhaitons ramener de quatre ans au plus à deux ans.

Nous sommes plus réservés quant aux nouvelles règles de validité des accords collectifs. Si l'exposé des motifs précise qu'il s'agit bien là de préparer la transition vers un mode de conclusion majoritaire des accords collectifs, il reste qu'aux termes de l'article 6, un accord collectif ne sera valide qu’à condition d’avoir été signé par des syndicats ayant recueilli au moins 30 % des suffrages, sans opposition de la part des syndicats en ayant obtenu 50 %. Il s’agit là d’un premier pas vers la reconnaissance du principe de l'accord majoritaire – mais pas davantage.

En outre, nous jugeons dangereuses les dispositions de l’article 7 permettant aux élus du personnel ou à un salarié mandaté de négocier dans toutes les entreprises de moins de 200 salariés dépourvues de délégué syndical. Il faut à tout le moins exclure du champ de ces négociations celle relative au temps de travail que prévoit la seconde partie – à laquelle je consacrerai la suite de mon propos, puisque c'est elle qui justifie le dépôt de cette motion.

Cette réforme est l’une des plus dangereuses que vous ayez inscrite à un ordre du jour pourtant prodigue en mauvais coups sociaux. Elle donne tort à la formule de Lacordaire selon laquelle « entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». En effet, elle organise un système de servitude dont le vernis volontariste ne suffit pas à masquer les graves conséquences sur les conditions de travail des salariés, leur santé et leur droit à une vie familiale normale.

Pourquoi un tel acharnement contre les 35 heures ? Pourquoi tant de propos populistes et mensongers sur les prétendus effets néfastes de la réduction du temps de travail ? Pour la septième fois en six ans, la droite légifère sur la durée du travail ; mais il s’agit moins pour votre majorité, comme pour les organisations patronales, de revenir au statu quo ante que de préparer une dérégulation totale du temps de travail.

Vous vous inspirez du modèle américain d'un marché totalement libre, oubliant qu'aux États-Unis, la durée moyenne de travail de l'ensemble de la population active, temps partiels compris, ne dépasse pas 33,7 heures, contre 36,2 en France ! En réalité, outre-Atlantique, d'innombrables « petits boulots » précaires se sont développés, d’où résulte une pression sur les salariés à temps plein, donc sur les conditions de travail et le niveau des salaires. Il s’agit donc moins à vos yeux d'augmenter le temps de travail que de vous servir de cette précarité pour infléchir au profit du patronat le rapport de force qui préside aux négociations salariales. Aux États-Unis, ce système a fait chuter la part du PIB destinée aux salaires au niveau de 1929 !

En somme, il s’agit moins de remettre en cause le principe des 35 heures que de savoir si la productivité doit profiter aux actionnaires, aux salariés ou aux deux ! Or vous avez tranché en faveur des premiers, laissant aux seconds les seules miettes qu'ils pourront grappiller en travaillant toujours plus ! « Donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure » : tel est, Monsieur le ministre, le véritable sens du « donnant-donnant » ! (Rires et applaudissements sur divers bancs)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – N’était-ce pas la devise socialiste ?

M. Roland Muzeau – N’oublions pas que les 35 heures ont donné lieu à plus de 40 000 accords majoritaires, qui, loin de profiter aux seuls salariés – comme vous cherchez à le faire accroire –, ont assuré d’importantes contreparties aux employeurs, ainsi autorisés à modérer ou à geler les salaires, ou encore à accroître la flexibilité. Si vous souhaitez supprimer les acquis des salariés…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Ce n’est pas notre intention !

M. Roland Muzeau – Si, et nous le montrerons ! Pour supprimer ces acquis, disais-je, il aurait fallu revenir symétriquement sur les acquis patronaux – qui ne sont pas négligeables, comme le rappelait Mme Bachelot.

N’oublions pas non plus que c’est dans les pays où la durée effective du travail – temps partiels compris – est la moins élevée que le taux de chômage est le plus faible. Ainsi, elle ne dépasse pas 29,9 heures aux Pays-Bas, 32 en Angleterre et 36,2 en France. Il s’agit moins, une fois encore, de se prononcer pour ou contre la réduction du temps de travail que de choisir entre une organisation négociée et une mise en place sauvage, c'est-à-dire par la précarité –, certains salariés travaillant beaucoup tandis que les autres travaillent pour l’essentiel à temps partiel. Les emplois aujourd’hui créés dans notre pays n’occupant pas plus de 12 ou 15 heures par semaine, ne faudrait-il pas augmenter le temps de travail des salariés à temps partiel au lieu de faire effectuer des heures supplémentaires à ceux qui travaillent déjà à temps plein ?

En outre, les conséquences du texte sur les conditions de vie et de travail de nos concitoyens seront – je l’ai dit – désastreuses. En effet, vous commencez par modifier le contingent annuel des heures supplémentaires et par supprimer le repos compensateur, ouvrant ainsi la voie à une utilisation massive des premières par les employeurs, sans aucune garantie d'augmentation de salaire.

Le contingent d’heures supplémentaires est aujourd’hui fixé à 220 heures au plus par la loi et librement déterminé dans le cadre d'un accord de branche ou d'entreprise, tout dépassement devant être autorisé par l'inspecteur du travail. En outre, la loi prévoit un repos compensateur des heures effectuées au-delà d'un certain seuil, généralement équivalant au contingent annuel – 50 % dans les entreprises de moins de 20 salariés, 100 % dans les autres. Or, en déterminant les conditions auxquelles ce contingent peut être dépassé, le projet vide de son sens la notion même de contingent : l’autorisation de l’inspecteur du travail – qui pouvait interdire le recours aux heures supplémentaires afin de favoriser la création de nouveaux emplois – est supprimée, comme le repos compensateur obligatoire, le texte ne définissant aucune durée minimale pour la « contrepartie » désormais évoquée. Les salariés pourront monétiser ce repos…

M. Benoist Apparu – Est-il supprimé ou monétisé ? Il faudrait savoir !

M. Roland Muzeau – …contre les préventions de l'ordre public social, comme s’il s’agissait d’un luxe et non d’une exigence de santé publique !

Votre projet assouplit en outre les possibilités de recours au forfait jours, reprenant la définition très large des salariés concernés, qui n’a cessé de s’étendre depuis la loi Aubry de 2000, passant de certaines catégories de cadres à l'ensemble des cadres dits « autonomes » et aux salariés non-cadres dont la durée du travail ne peut être prédéterminée. De plus, alors que le forfait annuel en jours dépendait jusqu’à présent d'un accord collectif dans la limite de 218, l'employeur pourra désormais, à défaut d'accord, le définir lui-même après avoir simplement consulté le comité d’entreprise. La charge annuelle de travail ne sera plus abordée lors de la négociation du forfait annuel, mais fera l'objet, chaque année, d'un simple entretien individuel.

La France a pourtant été condamnée par le Comité européen des droits sociaux pour avoir instauré un régime dérogatoire du forfait annuel en jours, autorisant des durées de travail trop longues – les repos minimaux atteignant 11 heures par jour et 35 heures consécutives par semaine. Mais ce Gouvernement, comme le précédent, n’en a cure !

De même, vous vous apprêtez à aggraver encore les conditions de travail des salariés, déjà mises à mal, depuis 2002, par la loi Aubry II et par le système managérial qui domine aujourd'hui de nombreuses entreprises, développant, notamment chez les cadres, « une culture du surengagement qui résulte de la passion pour son métier, de l’ambition professionnelle et d'un système qui en profite pour fixer des objectifs de plus en plus ambitieux » – selon les termes de l'enquête du cabinet d'expertise, agréé par le ministère du travail et mandaté par le CHSCT, sur Renault Technocentre, qui a connu, en deux ans, de nombreux suicides. J'ai reçu aujourd'hui, comme d'autres collègues, une lettre du syndicat CGT de ce centre décrivant les conditions de travail des salariés, exemplaires de celles que votre projet tend à banaliser et à étendre.

Ainsi, 95 % des heures supplémentaires effectuées par la moitié des salariés – les techniciens – ne sont pas déclarées, en toute impunité. En la matière, la loi est inefficace faute d’une évaluation statistique indépendante de la durée du travail. Le travail effectué par l'autre moitié est décompté en jours, et aucun contrôle indépendant ne permet de s’assurer que la durée théorique maximale – 13 heures – est respectée. Tous les jours de congés sont capitalisés automatiquement à mesure qu’ils sont acquis, sans majoration, sans limite maximale, sans terme autre que le départ à la retraite.

Dès lors, que reste-t-il des 35 heures, même annualisées ? Que reste-t-il des 218 jours par an ? Mais cette situation est conforme à la loi actuelle ! Qu'adviendrait-il du nombre de morts sur les routes, demande la CGT-Renault, si l'on pouvait forfaitiser les excès de vitesse sur la journée, faire la moyenne entre périodes d’embouteillage et de circulation fluide, « capitaliser » jusqu'à la retraite sans autre limite que celle que les conducteurs se fixeraient à eux-mêmes, et s'il n'y avait ni radars, ni gendarmes ?

Monsieur le ministre, vous vous êtes rendu au Technocentre…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Avec vous !

M. Roland Muzeau – Non !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Mais si : vous étiez assis à ma droite, je m’en souviens ! (Rires)

M. Roland Muzeau – À votre gauche, plutôt ! Et les salariés vous donnaient tort… (Même mouvement)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Ne soyez donc pas gêné !

M. Roland Muzeau – Soyons sérieux : les propos que vous avez souhaité échanger directement avec les représentants de la direction et des salariés ne vous ont empêché ni de citer Renault en exemple, ni de nous soumettre le présent texte ! Vous ne semblez pas avoir entendu les alertes des organisations syndicales : les mesures proposées ne vont, hélas, pas dans le sens de la prévention des risques pour la santé.

Tout dépassement de la durée légale du travail – que ce soit sur la journée, la semaine ou l’année – devrait donner lieu à une pénalisation financière. Tout dépassement des durées qui met en danger la santé des salariés devrait être puni d'amendes dissuasives.

Rien de tel dans votre texte. Au contraire, il facilite l’annualisation et la modulation des horaires de travail sur une partie de l'année. On ne songe qu’aux aménagements permettant de faire coïncider les effectifs et le programme de production.

Ce projet allège ainsi considérablement le contenu obligatoire de l'accord collectif exigé pour instaurer le système de variation des horaires. Il supprime la négociation obligatoire du programme indicatif de la répartition du temps de travail sur l'année, ainsi que la négociation sur les modalités de recours aux intérimaires et les conditions de recours au chômage partiel pour les heures non prises en compte dans la modulation ; il n'oblige plus l'accord à préciser la justification économique et sociale. Cerise sur le gâteau : dans les entreprises qui fonctionnent en continu, l'employeur ne sera plus tenu de consulter le comité d’entreprise sur l'organisation du temps de travail sur plusieurs semaines.

Mesurons bien les conséquences sur la santé de ces « assouplissements ». Une loi de 2005 avait déjà exclu les déplacements du temps de travail. Un ingénieur pouvait travailler 13 heures en usine pour un démarrage de véhicule, rentrer à une heure du matin seul en voiture, et repartir à 5 heures pour une réunion chez un fournisseur à 8 heures. Ce sont ces horaires auxquels était fréquemment soumis un ingénieur de Renault technocentre aujourd'hui disparu. Vous proposez de généraliser cette dérive au mépris des engagements internationaux de la France.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Pas d’amalgame, Monsieur Muzeau !

M. Roland Muzeau – La CGC a d'ailleurs saisi la Cour européenne des droits de l'Homme. Votre texte porte atteinte à la Charte européenne et à notre Constitution, aux droits fondamentaux, au droit à la santé et à une vie familiale normale.

Nous ne pouvons que vous demander de renvoyer ce texte en commission pour dissocier ses deux parties et en mesurer l'impact social, aujourd’hui passé sous silence (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission  M. Muzeau, qui est très assidu en commission, sait que nous avons consacré l’une de nos réunions à l’audition de M. Bertrand et examiné 843 amendements sur les 1 684 qui ont été déposés. Nous en avons adopté 131, dont 15 à l’initiative de l’opposition. Le rapporteur a procédé à plus d’une vingtaine d’auditions de personnalités venant d’horizons très divers – partenaires sociaux, experts, professeurs d’université, avocats, directeurs de ressources humaines, magistrats – puis, ce qui n’est pas fréquent, à une deuxième vague d’auditions. La commission des affaires économiques y a participé, ce qui s’est révélé très profitable puisque nous avons retenu un nombre non négligeable de ses amendements. Nous avons donc pris tout le temps de préparer ce projet, et l’avant-projet est disponible depuis plus d’un mois. Il n’est donc pas opportun de renvoyer ce texte en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daniel Paul – Beaucoup l’ont dit : texte après texte, vous poursuivez le détricotage de ce que le monde du travail a arraché au patronat et parfois au Gouvernement. Car même si vous affectez de ne pas le reconnaître, c’est la lutte des salariés pour une meilleure répartition des fruits de leur labeur qui fait avancer les choses. Et la réalité, c’est aussi que jamais le patronat et la droite n’acceptent de considérer comme acquises ces avancées. Il en est ainsi du droit du travail, mais aussi de la protection sociale et de la durée du travail. C’est tout cela que vous avez décidé de remettre en cause, comme pour accorder une revanche au monde du capital sur celui du travail ! Vient le temps de la précarité, du « travailler plus pour gagner plus », de l’allongement de la durée du temps de travail et de la vie de travail, avec la sanction de la décote s’il manque un trimestre.

Vous ne reculez devant rien. Votre objectif, c’est la flexibilité totale, la complète disponibilité du salarié – on sait ce qu’il en sera bientôt du travail dominical. C’est aussi vrai pour les conditions de travail, avec la multiplication d’accidents du travail dont on fait tout pour qu’ils ne soient pas reconnus, avec l’aggravation du stress due aux exigences de performance et de rentabilité, avec aussi ce phénomène préoccupant des suicides liés au travail. C’est enfin le chantage sur l’emploi et les délocalisations, comme on vient de le voir en Picardie.

Votre projet est un texte de classe, un texte de revanche, un texte de régression sociale. Cela justifie pleinement le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Christian Eckert – Le groupe SRC votera cette motion de renvoi en commission. D’abord, il est curieux d’examiner aujourd’hui ce texte – un grand quotidien du soir y faisait d’ailleurs allusion – alors que la fin de la session ordinaire n’a pas été surchargée (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Ensuite, vous avez jumelé deux parties qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre : nous aurions pu trouver un consensus sur la première, alors que la seconde détricote le droit du travail.

M. Frédéric Lefebvre – Vous allez donc voter la première ?

M. Christian Eckert – Enfin, Monsieur le ministre, vous vous êtes montré ce soir discourtois, voire méprisant (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Nous pouvons avoir des désaccords, mais vous n’aviez pas le droit de conclure votre propos de tout à l’heure en invitant les socialistes au travail…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – À la valeur travail !

M. Christian Eckert – …comme s’ils n’avaient pas travaillé. Notre collègue Vidalies a défendu une exception d’irrecevabilité avec une grande précision. La suite de nos débats vous confirmera que notre groupe a bien travaillé !

De plus, les orateurs de la majorité, s’ils viennent voter, ne montent pas à la tribune. Je n’aurai pas la cruauté d’y voir l’effet d’un manque de travail. En revanche, peut-être cette absence traduit-elle un malaise (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Certains regrettent de ne pas voir durcir la première partie du texte, d’autres en ont assez de constater sur le terrain l’impopularité grandissante de vos méthodes et de vos décisions. Oui, nous aurions souhaité prendre le temps de confronter ce texte à la jurisprudence européenne et de le relier à la question de la pénibilité du travail. Nous ne sommes pas satisfaits du rapport publié sur ce sujet : on semble dire que si la mortalité est plus importante chez les ouvriers que dans d’autres professions, c’est parce qu’ils ont une mauvaise hygiène de vie.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Il faut lire le rapport avant de dire des choses pareilles !

M. Christian Eckert – Nous aurions enfin voulu tirer les leçons des expériences de Bosch ou de Continental, qui ont à l’évidence imposé le volontariat.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Les travailleurs ont choisi !

M. Christian Eckert – Je rappelle par ailleurs que les convocations que nous recevons de la commission sont sans arrêt rectifiées. Ce ne sont pas là des conditions de travail sérieuses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Francis Vercamer – Le Nouveau centre est d’accord avec vous, Monsieur Muzeau : la loi Aubry II a été catastrophique. C’est pour cela que le Gouvernement veut la réformer, et nous allons le soutenir. Les dispositions de ce texte permettront en effet aux entreprises de s’adapter à la concurrence. Elles simplifieront le code du travail, comme le Nouveau centre l’a toujours demandé – nous y avons encore insisté lors de la recodification récente du droit du travail.

Mais il est impossible de vous suivre quand, allant à l’encontre de la position commune, qui propose une limite de 30 % pour la validation des accords, vous proposez de passer directement à 50 %. Comment contester le Gouvernement parce qu’il ne respecte pas toujours cette position commune, et proposer, lorsque cela vous arrange, de la modifier ? L’article 17 de la position commune propose une modification de la loi sur les 35 heures. Le Gouvernement estime que cet article ne va pas assez loin : il a parfaitement le droit de proposer des améliorations ; c’est la démocratie politique.

Nos débats traceront des limites entre le contrat et la loi, entre dialogue social et décision politique ; et plutôt que de retourner en commission, ce qui reviendrait à reprendre des débats passés, c’est ici, dans l’hémicycle, où nous sommes nombreux, qu’il faut en discuter.

Enfin, je ne comprends pas votre approche du temps partiel. Vous nous reprochez en permanence de créer du temps partiel et de la précarité, mais apparemment ce n’est pas le cas par rapport aux pays nordiques ; les autres pays comptent, si l’on vous suit, beaucoup plus de contrats à temps partiel que nous. Vous comprenez donc que le groupe Nouveau centre ne votera pas la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Benoist Apparu – Le groupe UMP ne votera évidemment pas la motion de renvoi en commission. Pour justifier cette position, je me bornerai à relever deux aveux, assez drôles, que notre collègue Roland Muzeau vient de nous faire. Il nous a dit d’abord que l’article 17 de la position commune est « un compromis défensif » ; c’est exactement cela : la position commune propose un statu quo défensif, qui laisse intactes les 35 heures. Nous estimons au contraire qu’il faut changer cela !

Je trouve plus drôle encore que vous nous disiez que les 40 000 accords sur les 35 heures ont entraîné un gel des salaires ; c’est aussi ce que nous disons depuis longtemps ! Cela explique la faiblesse du pouvoir d’achat, et voilà pourquoi il faut assouplir les conditions de recours aux heures supplémentaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Roland Muzeau – La flexibilité !

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 2 juillet, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure 20.

Le Directeur du service
du compte rendu analytique,

Michel KERAUTRET

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