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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 3 juillet 2008

1ère séance
Séance de 9 heures 30
5ème séance de la session
Présidence de M. Marc Laffineur, Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

DÉMOCRATIE SOCIALE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

AVANT L’ART. 16 (suite)

M. le Président – Je suis saisi d’une demande de scrutin public sur les amendements 171 et 276 à 290, qui n’ont pu être mis aux voix hier soir, faute de quorum.

À la majorité de 82 voix contre 15 sur 97 votants et 97 suffrages exprimés, les amendements ne sont pas adoptés.

ART. 16

M. Alain Vidalies – Il serait utile que le Gouvernement et la majorité nous disent ce qu’ils attendent de ce projet de loi. Sauf erreur de ma part, aucune étude d’impact n’a été faite. En attendez-vous des créations d’emplois, l’amélioration de la compétitivité, une redistribution de richesses ? Vous êtes bien silencieux sur ce point.

Vous ne pouvez apporter des modifications d’une telle ampleur au code du travail sans dire ce que vous recherchez. L’explication que vous donnez, c’est le besoin de flexibilité qu’éprouveraient les entreprises. Vous ne recueillez pourtant aucun soutien des très petites entreprises : l’UPA, la CAPEM ou encore l’Union des professionnels libéraux considèrent que des négociations au niveau de l’entreprise n’ont aucun intérêt pour eux, et préfèrent, comme nous, les accords de branche. Quant aux grandes entreprises, elles auraient préféré le respect de ce que a été signé : vous avez d’ailleurs réussi à unir contre vous toutes les organisations, syndicales et patronales, signataires de l’accord !

Pourquoi donc ce projet, et pourquoi maintenant ? Il y a, bien sûr, une motivation idéologique : s’il est d’un grand intérêt pour l’UMP, il est de peu d’intérêt pour la France. Quand vous débattez de la situation de la France, vous vous arc-boutez sur des statistiques mal lues – je renvoie ici à l’échange qui a eu lieu, mardi soir, entre le ministre et Pierre-Alain Muet. Au lieu d’affronter une réalité qui vous gêne, vous ressassez des idées reçues, que vous avez parfois réussi à faire accepter par l’opinion publique, mais qui n’en sont pas moins fausses. Celle qui revient le plus souvent, c’est que la mauvaise situation de l’emploi en France est due aux rigidités de la société : c’est pourtant inexact. Pierre-Alain Muet a montré – à l’aide des chiffres d’Eurostat, qui ne vous font certes pas plaisir – qu’il n’est pas vrai que la situation de la durée de travail en France soit désastreuse par rapport à celle de nos partenaires ; si on rapporte le nombre d’heures travaillées au nombre de personnes qui travaillent à temps complet, ces chiffres – que chacun peut consulter – montrent au contraire que la France se situe légèrement au-dessus de ses partenaires.

Le vrai débat, est celui sur notre contrat social, par notre choix de société. Concentrer tout l’effort sur ceux qui travaillent à temps plein – c’est le modèle social de certains pays, ce qui explique la contradiction des statistiques – ou refuser de laisser qui que ce soit sur le bord de la route, ce n’est pas la même chose. Alors que nous observons une hausse du nombre de maladies professionnelles, alors que le stress au travail touche de plus en plus de salariés, on ne peut pas continuer à organiser une société toujours plus précarisée, toujours plus flexible. Beaucoup de salariés, cadres ou non cadres, sont harassés, et vous venez ici nous proposer plus de précarité et plus d’insécurité : au-delà de vos discours sur la valeur travail, telle est bien la réalité, une réalité bien difficile à vivre pour beaucoup !

M. Christophe Sirugue – Quelle est la logique de l’augmentation du nombre d’heures supplémentaires que vous proposez ? C’est une logique économique, selon laquelle les rapports au sein d’une entreprise doivent être marqués d’une souplesse – d’une flexibilité, dit-on maintenant – de plus en plus grande. Or, depuis 2002, différents gouvernements ont fait le choix de d’augmenter le nombre d’heures supplémentaires, mais le résultat n’est pas à la hauteur des espérances : les heures supplémentaires ne concernent qu’un tiers des salariés qui travaillent à temps complet, et n’atteignent que 55 heures par an en moyenne, bien loin des 220 heures désormais autorisées.

Pourquoi, alors, vouloir à ce point élever le plafond des heures autorisées, si celles qui sont disponibles ne sont pas utilisées ? S’agit-il de donner un gage à celles et ceux qui, dans vos rangs, considèrent que les salariés doivent être la variable d’ajustement qui permettra d’accroître encore les profits ? Assouplir, pourquoi pas ? Mais chacun doit y trouver son compte. La dérégulation que vous nous proposez offrira, certes, plus de souplesse aux entrepreneurs, mais elle obligera les salariés à s’adapter systématiquement aux contraintes imposées par leur employeur.

Les accords d’entreprise se concluront de gré à gré – au plus près des relations sociales, dites-vous. Mais quelles peuvent être ces relations au sein d’une très petite entreprise, où le salarié est en situation de grande vulnérabilité ?

Cet article funeste et inacceptable fait tomber les sécurités collectives acquises depuis de nombreuses années. On ne voit pas ce qu’il apporte en plus, mais on voit très bien ce qu’il apporte en moins : le repos compensateur devient une simple « contrepartie obligatoire en repos ». Les mots ont du sens : ce que vous proposez, c’est bel et bien la flexibilité à outrance.

M. Régis Juanico – Nous quittons les rives tranquilles de l’examen du titre I pour entrer dans des zones de turbulences… pour ne pas dire de non-droit. Je ne parle pas des employeurs, qui bénéficient d’une grande mansuétude de la part du Gouvernement – c’était d’ailleurs déjà le cas au titre I, qui dispense leurs représentants de prouver leur représentativité – je parle des millions de salariés qui auront à subir dans leur vie quotidienne les conséquences de votre texte.

Vous avez répété qu’il fallait sortir du « carcan » des 35 heures, imposées, dites-vous, de manière uniforme. Mais ce que vous appelez des « rigidités » sont pour nous des protections collectives élémentaires. Nous avons entendu les noms de Jaurès et de Blum pendant la campagne présidentielle, c’est maintenant au tour de Jean Auroux d’être invoqué par le rapporteur. Il se trouve que je connais bien cet homme politique ligérien, qui fut un grand ministre du travail, auteur de lois de progrès, porteuses de droits nouveaux pour les travailleurs. Je pense que, s’il était encore parlementaire, il se dresserait contre la disparition de ces garanties fondamentales.

Car votre texte vise rien moins qu’à démanteler les règles qui encadrent le temps de travail. Il s’agira de déterminer, au niveau de l’entreprise, des dispositions aujourd’hui encadrées par la loi, précisément parce que le législateur pense qu’elles sont déterminantes pour la santé et la sécurité des salariés. Fin du repos compensateur, banalisation et déréglementation des conventions de forfait, unification par le bas des accords de modulation : c’est la fin des garde-fous.

Vous vous livrez à une sorte d’acharnement thérapeutique…

M. Jean Leonetti – Et vous, à une obstination déraisonnable !

M. Régis Juanico – …car c’est le sixième texte que vous proposez sur la question du temps de travail en l’espace de sept ans. La loi du 27 janvier 2003 a porté le contingent d’heures supplémentaires de 130 heures à 180 heures. Le décret du 21 décembre 2004 l’a fait passer à 220 heures. La loi du 31 mars 2005 a permis aux entreprises d’aller au-delà, en accord avec le salarié. La loi du 21 août 2007 vise à exonérer d’impôts et de cotisations sociales les heures supplémentaires. Enfin, la loi du 8 février 2008 permet aux salariés de racheter des jours de RTT.

Le présent texte ne comporte aucune étude d’impact. Or quels ont été les résultats des modifications précédentes ? Le déplafonnement des heures supplémentaires est un échec : très peu d’accords ont été signés et, selon une étude publiée par la DARES en 2006, 25 % des salariés seulement sont concernés, pour une moyenne annuelle de 55 heures. Comme l’a dit Didier Migaud, la disposition de la loi TEPA sur les heures supplémentaires est coûteuse et inefficace, puisqu’elle ne bénéficie qu’à 20 % des salariés. Enfin, une étude de l’URSSAF montre que pour l’instant, seuls 20 % des salariés rachètent leurs jours RTT. Vos dispositifs concernent un cinquième des salariés ; nous, nous pensons à l’ensemble des salariés qui seront touchés.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Monsieur le ministre, nous avons été plusieurs à vous interpeller sur l’inversion de la hiérarchie des normes. Vous parlez d’une proximité de terrain bénéfique, mais qu’en sera-t-il des 4 millions de salariés qui travaillent dans de très petites entreprises ?

Je ne sais pas si nos collègues de la majorité savent ce que c’est de négocier avec un employeur lorsque l’on n’est que trois ou quatre salariés. Il est évident que, dans ces entreprises où le syndicalisme est absent, l’accord de branche peut les aider, car il constitue un cadre. Demain, sur quoi pourra s’appuyer une mère de famille ou un salarié habitant loin de son lieu de travail pour refuser d’effectuer le soir même des heures supplémentaires qui n’étaient pas prévues ?

Nous vous interpellons depuis 48 heures maintenant sur ce sujet qui nous paraît très grave pour les salariés des TPE, qui souffriront de cette forme de dumping social (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Jean Mallot – Grâce au président Ayrault, nous avons pu bénéficier cette nuit d’un repos compensateur bien mérité… (Sourires)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité – Mais non négocié ! (Même mouvement)

M. Jean Mallot – Avec l’article 16, la mécanique est en place : il n’y aura plus de limites à la hausse en termes d’heures supplémentaires, et plus de limites à la baisse en termes de rémunération.

Dans ma défense d’un amendement de suppression de ce titre II scélérat (Protestations sur les bancs du groupe UMP), j’ai tenté hier de mettre en lumière le lien qui existe entre ce texte et le projet de loi de modernisation de l’économie.

Dans une entreprise, un salarié pourra effectuer un nombre d’heures supplémentaires illimité ou non, au bon vouloir du patron, et dans le même temps devenir « auto-entrepreneur ».

M. Novelli nous a distribué le kit de l’auto-entrepreneur. Je ne sais pas si certains députés UMP comptent bénéficier de ce nouveau statut…

M. Christian Eckert – M. Copé, peut-être ? (Rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean Mallot – …afin de compléter, grâce à un petit boulot entre deux séances de nuit, leurs émoluments. M. Novelli, connu pour être un idéologue,…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales Un auto-idéologue ! (Sourires)

M. Jean Mallot – …nous glisse ainsi quelques conseils : « Vous avez peut-être perçu dans votre travail une amélioration possible des produits fabriqués par votre entreprise, de ses méthodes de production ou de commercialisation. »

En fin de compte, l’articulation de ces deux lois aboutit à mettre les personnes en concurrence avec elles-mêmes. Il vous faudra, Monsieur le ministre, expliquer cela à vos bons amis de l’UPA, qui viennent de voter une motion de rejet du statut d’auto-entrepreneur, lequel impose selon eux une concurrence déloyale et menace le tissu économique. Plus généralement, il serait souhaitable que vous nous expliquiez quelle est la logique de ces dispositions et quel nouveau type de société il nous propose.

M. Jean-Patrick Gille – Nous arrivons au cœur du piège auquel ont été prises les organisations syndicales (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Dans un codicille, l’article 17 de la position commune, ils ont accepté, du bout du stylo, que l’on puisse dépasser, à titre expérimental et par un accord majoritaire, les contingents d’heures supplémentaires. Et vous en faites la règle générale ! On passe de l’expérimentation à la règle générale, et d’un accord majoritaire à un accord minoritaire – 30 %. Surtout, vous systématisez ce qui avait été rendu possible par la loi Fillon de 2004, à savoir les accords d’entreprise dérogeant aux accords de branche : la dérogation devient la règle, et l’inversion de la hiérarchie des normes sociales est consacrée. On pourra ainsi – ce sont les organisations syndicales qui le disent – détricoter l’ensemble des accords sur le temps de travail qui ont été négociés à la majorité. Disparaît en outre toute référence à l’information – ou à l’autorisation pour le dépassement des contingents – de l’inspecteur du travail. Il n’y a même pas d’information des branches ni d’évaluation paritaire ! On passe donc de la négociation collective à un dialogue social flou qui tend vers l’individualisation des rapports sociaux.

Nous sommes favorables au dialogue social, mais nous pensons qu’il exige des règles. Or vous voulez les déconstruire. Il existe un droit à la négociation collective, qui est garanti par le Préambule de la Constitution, mais aussi un droit de la négociation collective, qui s’appuie sur une hiérarchie des normes protectrice des salariés. Celle-ci est nécessaire, car le rapport entre salarié et employeur est par nature inégal. Quelles que puissent être les qualités humaines du chef d’entreprise, le contrat de travail reste un lien de subordination. Pour être équilibré, le dialogue social doit donc être médiatisé par des organisations syndicales. Dans le face-à-face individuel avec l’employeur, le salarié est par nature en position de faiblesse.

En substituant l’accord d’entreprise à l’accord de branche, vous déconstruisez donc le droit de la négociation collective. Mais vous allez encore plus loin en prévoyant qu’à défaut d’accord collectif, l’employeur, à condition que le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, s’ils existent, ne s’y opposent pas, décidera. Nous arrivons là à l’individualisation totale des relations du travail.

Vous vous interrogiez en commission, Monsieur le rapporteur, sur la distinction que je fais entre dialogue social et négociation collective : vous avez la réponse ! Voilà pourquoi nous ne pouvons accepter cet article (Applaudissement sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Christian Eckert – Votre Gouvernement et votre majorité sont composés d’artistes. On a parlé de la plume de M. Poisson (Sourires) ; vous, Monsieur le ministre, vous nous peignez touche après touche le tableau de la société que vous voulez construire. Loi après loi, vous détruisez tout ce que les travailleurs ont acquis sous prétexte de modernisation : on croit revivre les périodes les plus noires de nos relations sociales. La négociation devient la variable d’ajustement qui permettra aux entreprises de mettre en danger, peu à peu, la santé des travailleurs.

Je voudrais insister sur le rôle de l’inspection du travail. Jusque-là, un certain nombre d’évolutions dans l’entreprise étaient soumises à son information ou à son autorisation. Tout est rayé d’un trait de plume – sans doute celle de M. Poisson (Sourires) : ces articles disparaissent. Je me demande à quoi vous allez occuper les inspecteurs du travail !

Disparaît également la notion de repos compensateur : vous évoquez la possibilité de contreparties obligatoires en repos, sans cadre ni seuil minimum. Cerise sur le gâteau, l’employeur pourra le fixer de façon unilatérale en l’absence d’accord. Voilà votre conception des relations sociales dans l’entreprise !

Si encore vous aviez pu nous prouver qu’on travaille moins qu’ailleurs en France… Mais ce n’est pas le cas : on y travaille autant, sinon plus, qu’ailleurs, et en tout cas plus qu’aux États-Unis. Les chiffres d’Eurostat sont formels et, contrairement à ce que j’ai entendu sur vos bancs, ce calcul n’intègre pas les chômeurs !

Nous nous battrons donc pied à pied contre cet article 16 : nous ne pouvons laisser passer ces dispositions scélérates qui constituent une régression sans précédent (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Marc Dolez – Scélérat, c’est bien le mot qui convient pour qualifier cet article. La deuxième partie du texte constitue un recul considérable. C’est la remise en cause des piliers de notre droit du travail, avec l’aggravation de l’inversion de la hiérarchie des normes et la réduction du rôle de la branche, pourtant essentiel pour les très petites entreprises.

Je suis frappé de voir que le Gouvernement et la majorité assument pleinement ces dispositions qui marquent un recul de plusieurs décennies sur le plan social.

S’il était besoin d’expliquer quelle est la différence entre la droite et la gauche…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Le courage !

M. Marc Dolez – …nous aurions là un exemple significatif. Ce texte renvoie en effet à la négociation d’entreprise le soin de fixer la limite du contingent annuel d’heures supplémentaires, la majoration des heures supplémentaires, la contrepartie en repos… C’est la porte ouverte au dumping social. Le rôle du droit du travail est de protéger les salariés dans leur relation avec l’employeur, qui est par nature inégalitaire puisqu’il y a entre eux un lien de subordination juridique. Cet article porte un coup à ce qui a été acquis par les luttes des salariés et des organisations syndicales.

Ce débat est donc affligeant. Le Gouvernement et la majorité ne pensent pas à protéger les salariés, mais à satisfaire les revendications du patronat et du MEDEF (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Roland Muzeau – Nous entamons avec cet article l'examen de la seconde partie du texte, qui non seulement ne transpose pas la position commune, mais va sciemment à l’encontre du compromis négocié à son article 17. Ce dernier prévoyait en effet que « des accords d'entreprise conclus avec des organisations syndicales représentatives et ayant recueilli la majorité des voix aux élections des représentants du personnel pouvaient dès à présent, à titre expérimental, préciser l'ensemble des conditions qui seront mises en oeuvre pour dépasser le contingent conventionnel d'heures supplémentaires prévu par un accord de branche antérieur à la loi du 4 mai 2004, en fonction des conditions économiques dans l'entreprise et dans le respect des dispositions légales et des conditions de travail et de vie qui en découlent ».

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Cela vous convenait-il ?

M. Roland Muzeau – En tant que syndicaliste, je ne l’aurais jamais signé ; mais cela l’a été ! Est-ce que je vous demande si vous êtes d’accord avec tout ce que vous signez ? (Rires)

Cet article 17 de la position commune représentait de la part des syndicats de salariés signataires une concession de taille. Vous avez néanmoins décidé de passer par-dessus les partenaires sociaux, ce qui a provoqué l’ire de la CFDT et de la CGT, et même celle de la présidente du MEDEF.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Vous citez le MEDEF ! Tout arrive…

M. Roland Muzeau – Il m’arrive de citer vos amis… La présidente du MEDEF a vertement critiqué le Gouvernement, pour ne pas respecter le principe de concertation préalable énoncé dans la loi de janvier 2007 ; cela ne l’empêche pas, naturellement, d'approuver l’amendement de la majorité fixant à 235 le nombre maximum de jours de travail par an pour les salariés au forfait.

Plus grave encore, votre projet inverse la hiérarchie des normes dans le droit du travail français : l'accord de branche devient subsidiaire par rapport à l'accord d'entreprise. Ce « sale boulot », il est vrai, avait été commencé par M. Fillon en 2004.

En outre, il dénonce tous les accords précédents sur la durée du travail – plus de 40 000 – qui obéissaient la plupart du temps à la règle majoritaire. Les allégements de cotisations patronales sont maintenus, mais les salariés sont sommés de renoncer aux contreparties qu'ils avaient obtenues en termes de temps de travail : c'est un véritable marché de dupes !

Enfin, vous donnez aux employeurs la possibilité de se passer d'accords avec les syndicats et de déréglementer le temps de travail soit par décision unilatérale, soit par convention de gré à gré – alors que son lien de subordination met évidemment le salarié dans une situation d’infériorité.

Ce projet n'a qu'un seul mérite : la cohérence avec le revirement opéré par ce gouvernement sur la directive européenne relative au temps de travail. Pour le reste, il constitue une offensive sans précédent contre notre droit du travail. Vous voulez nous faire croire à l'égalité des parties au contrat de travail : autrement dit, vous niez la légitimité même d'un droit du travail, vous ne reconnaissez pas l'existence de droits fondamentaux que l'Etat a vocation à garantir, en particulier le droit à une vie familiale normale et le droit à la santé.

Ce texte augmente le temps de travail et accroît la flexibilité. Les forfaits en jours des cadres et des salariés itinérants ne seront plus soumis au maximum de 218 jours par an ; en l'absence d'accord d'entreprise ou de branche, ils pourront être imposés par convention individuelle modifiant le contrat de travail. « 78 heures hebdomadaires pour les cadres, maintenant, c’est possible ! », annonce le président de la CFE-CGC… La France a pourtant déjà été condamnée pour violation de la Charte sociale européenne. L’obstination et la morgue de ce gouvernement sont presque incroyables… Toutes les dispositions protectrices concernant le temps de travail annualisé sont supprimées. Si l'employeur est toujours contraint de respecter un délai de prévenance – déterminé par simple négociation d'entreprise – pour changer les horaires des salariés, les contreparties disparaissent ; les repos compensateurs pour les heures supplémentaires effectuées dans le cadre du contingent conventionnel sont supprimés.

Vous persistez dans une impasse économique : sans doute les intérêts que vous servez vous font-ils perdre tout sens du bien commun. Ce dont nos concitoyens ont besoin, c'est de croissance, de pouvoir d'achat et d'emploi. L'urgence est à de nouvelles ambitions en matière d'investissement, de politique industrielle, de développement des services publics, certainement pas de dérégulation économique et sociale. Nous demandons donc le retrait de cette partie du projet. Il est certes facile pour vous d'obtenir l'accord d'une majorité aux ordres, mais autre chose sera d'imposer votre réforme à nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

M. Francis Vercamer – Revenons à l’essentiel : quel est l’objectif des dispositions proposées ? Avant tout, d’assouplir un peu le système pour permettre aux entreprises de s’adapter à l’environnement international. L’autre solution, c’était d’exporter Martine Aubry dans les pays émergents pour y imposer les 35 heures ! Elle aurait en outre facilité le prochain congrès socialiste… (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail On aimerait entendre M. Dolez sur ce sujet !

M. Francis Vercamer – Force est de reconnaître avec la gauche la tendance lourde à la diminution du temps de travail légal ; c’est bien pourquoi le Gouvernement ne touche pas à la règle légale des 35 heures. Mais il veut permettre de dépasser ce seuil, en usant de pragmatisme, alors que la gauche s’arc-boute sur ses positions, en dépit des délocalisations qui mettent des salariés à la rue : c’est toute la différence entre la droite et la gauche.

Plusieurs députés du groupe SRC – Donc, vous êtes à droite !

M. Francis Vercamer – Je suis au centre ! (Rires sur les bancs du groupe SRC) défendra un certain nombre d’amendements, notamment sur l’encadrement des heures supplémentaires, sur les compensations accordées aux salariés et pour s’assurer, au-dessus d’un certain seuil, que le salarié est volontaire pour faire des heures supplémentaires.

M. Roland Muzeau – Le salarié ne peut jamais refuser !

M. Francis Vercamer – Étant partisans du dialogue social, nous aurions préféré que les partenaires sociaux continuent à négocier ; mais le Gouvernement, au moins, n’a pas fait comme Mme Aubry, qui avait imposé sa loi sans consulter les partenaires sociaux : lui les a sollicités, même s’il n’a pas retenu leurs propositions.

Voilà encore une différence entre la droite et la gauche : nous, nous faisons confiance aux partenaires sociaux pour réguler les choses dans l’entreprise ; vous, vous êtes partisans du tout-État.

M. Marc Dolez – Nous voulons protéger les salariés !

M. Francis Vercamer – Le Nouveau centre prône un système équilibré : la loi ne doit pas tout figer, certains problèmes doivent être réglés au niveau de l’entreprise.

Mme Catherine Lemorton – Je remercie M. Vercamer d’avoir démontré qu’il était bien à droite…

Je voudrais évoquer les 4 millions de salariés qui travaillent dans les très petites entreprises, sans comité d’entreprise ni délégués du personnel. Il eût été judicieux d’aller voir si le code du travail y est respecté et d’augmenter le nombre d’inspecteurs du travail. Il est quelque peu ubuesque que ce titre II soit défendu par un rapporteur qui, il y a quelque temps, a établi un rapport sur la pénibilité du travail et par un ministre qui a été ministre de la santé –même si l’on ne peut pas dire que le bilan ait été satisfaisant quant aux comptes de l’assurance maladie.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Nous avons divisé le déficit par trois !

Mme Catherine Lemorton – Cet article 16 est scélérat. Nous pensions que vos attaques s’arrêteraient à mai 68, mais nous constatons que vous voulez nous faire régresser jusqu’au début du XXe siècle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Certains de nos collègues confondent le titre II et l’article 16.

À M. Juanico, je voudrais rappeler que les lois Auroux de 1982 ont remplacé l’autorisation systématique de recourir aux heures supplémentaires par la définition d’un contingent, ont remplacé l’horaire collectif impératif par un horaire collectif de référence, et enfin ont installé les normes légales comme supplétives des conventions. Elles ont donc participé au mouvement d’équilibrage entre le contrat et la loi dans le code du travail.

Je remercie Mme Lemorton d’avoir mentionné mon rapport sur la pénibilité au travail et non de la pénibilité du travail : la nuance est de taille. À ce propos, je rappelle que ce Gouvernement et le précédent ont créé 700 postes d’inspecteur du travail en trois ans…

Mme Catherine Lemorton – Ce n’est pas assez !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – …faisant ainsi la preuve de l’intérêt qu’ils portent à ces questions.

D’autre part, je ne peux vous laisser dire que l’article 16 ouvre la voie au gré à gré sur la question du contingent, puisqu’il fait dépendre les règles en la matière d’une négociation collective ou, à défaut, d’un décret. Ceux d’entre vous qui ont affirmé le contraire se sont trompés d’article ou de texte.

En outre, le III de l’article, relatif au repos compensateur de remplacement, n’a rien à voir avec le contingent ni avec le déclenchement du repos compensateur obligatoire… 

M. Christophe Sirugue – C’est un tout !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Cette partie de l’article – dont je vous rappelle, Monsieur Eckert, que la commission l’a supprimée – porte sur le mode de majoration des heures supplémentaires.

L’un d’entre vous invoquait hier un nouveau monde, une zone de non-droit…

M. Christian Eckert – C’était M. Vidalies !

M. Régis Juanico – Et moi ce matin même !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Pourquoi pas le monde de Goldorak ou de Capitaine Flamme ? (Rires) Trève d’exagération !

Enfin, il est inopportun d’évoquer, à propos de l’article 16, le dépassement du contingent dans le cadre du forfait jours prévu à l’article 17. Le bon déroulement de nos débats exige de faire preuve de clarté ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Martine Billard – L’amendement 113 tend à supprimer cet article. On comprend mieux aujourd’hui pourquoi le projet de loi de recodification du code du travail a transféré la question de la durée du travail de la partie intitulée « Conditions de travail » à la partie « Salaires, intéressement, participation et épargne salariale ». Pour vous, la durée du travail n’a rien à voir avec la santé : elle n’est qu’une variable d’ajustement de la rémunération. En d’autres termes, vous dites aux salariés que si leur salaire ne leur suffit pas pour vivre, ils n’ont qu’à travailler davantage !

Ce faisant, vous vous attachez non à la valeur travail, mais bien à la valeur marchande des salariés. Se ruiner la santé ou se serrer la ceinture : voilà le choix que vous leur offrez ! Car, sans vouloir faire du Zola, s’ils se sont battus un siècle durant pour la réduction du temps de travail, c’est bien pour protéger leur santé, et pour avoir davantage de temps à consacrer à leur famille et à d’autres activités.

Dès lors, vous faites preuve de cohérence en supprimant le repos compensateur obligatoire – puisque l’obligation ne s’appliquera que si, aux termes de l’accord collectif, le contingent n’atteint pas le plafond, c’est-à-dire si le contingent légal est maintenu –, instauré par la loi Stoléru de 1977 et doté d’une valeur constitutionnelle par une décision du Conseil constitutionnel de 2004.

En outre, la loi de 2004 sur le dialogue social a inversé la hiérarchie des normes. J’avais dénoncé à l’époque les conséquences dont ce choix idéologique était porteur, et que l’on voit à l’œuvre aujourd’hui. Désormais, les accords d’entreprise primeront sur les accords de branche. Vous avez même supprimé - même si cette suppression n’est jamais mentionnée, fût-ce dans le rapport – l’obligation de conclure des accords de branche étendus, affranchissant ainsi les entreprises de l’obligation de respecter les accords de branche.

Comme l’a rappelé tout à l’heure Mme Hoffman-Rispal, face à un chef d’entreprise qui tentait d’enfreindre le droit – notamment dans les petites entreprises –, on pouvait jusqu’à présent invoquer le code du travail et faire appel à un inspecteur du travail afin d’empêcher le dépassement du contingent légal d’heures supplémentaires – si un accord de branche ne l’autorisait pas – et d’imposer l’application des dispositions relatives au repos et à la rémunération. En supprimant l’accord de l’inspection du travail et le contingent légal, vous privez de protection les salariés des entreprises dépourvues d’implantation syndicale et de celles où le rapport de force leur est défavorable du fait de la pugnacité des dirigeants ou d’une concurrence internationale intense. Il ne s’agit pas de faire preuve de souplesse ou de faire face à un coup de feu, mais bien de permettre au chef d’entreprise de faire ce qu’il veut en privant les salariés de la possibilité de faire valoir leur droit au repos et à la santé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur les bancs du groupe SRC)

Mme Jacqueline Fraysse – L’amendement 256 est identique. Cet article modifie le contingent annuel d’heures supplémentaires et supprime le repos compensateur, ouvrant ainsi la voie à un recours massif aux heures supplémentaires sans hausse des salaires. À l’heure actuelle, le contingent est fixé par la loi et librement arrêté dans le cadre d’un accord de branche ou d’entreprise ; l’autorisation de l’inspecteur du travail est requise pour tout dépassement. En outre, le repos compensateur est obligatoire au-delà d’un certain seuil – généralement égal au contingent annuel – et fixé à 50 % dans les entreprises de moins de 20 salariés et à 100 % dans les autres.

En fixant les conditions auxquelles le contingent d’heures supplémentaires peut être dépassé, le projet va bien au-delà de l’article 17 de la position commune, vidant de son sens la notion même de contingent : « une convention ou un accord fixe les conditions d’accomplissement d’heures supplémentaires au-delà du contingent annuel », ainsi qu’une « contrepartie obligatoire » lorsque celui-ci est dépassé. Le texte supprime l’autorisation de l’inspecteur du travail, qui pouvait interdire le recours aux heures supplémentaires pour favoriser la création d’emplois, et le repos compensateur obligatoire, puisqu’il ne définit aucune durée minimale pour la contrepartie évoquée. Voilà pourquoi nous demandons la suppression de l’article.

M. Roland Muzeau – Très bien !

M. Christophe Sirugue – L’amendement 291 tend également à supprimer l’article, qui est en contradiction totale avec la position commune. Tantôt vous la respectez à la lettre, tantôt vous l’ignorez, voire la bafouez, selon ce qui vous arrange ! Vous avez beau jeu de prôner la démocratie sociale !

Cet article menace le droit du travail et, en dérégulant le recours aux heures supplémentaires, supprime la hiérarchie des normes et donne la primauté aux accords d’entreprise. Plusieurs orateurs ont évoqué hier, à juste titre, le dumping social et la concurrence à outrance que ces dispositions entraîneront entre entreprises appartenant à la même branche. Au lieu d’être encouragés, les efforts d’innovation ou de formation des entreprises en seront anéantis, au détriment des salariés et du tissu économique et industriel de notre pays.

Quant à la disparition du rôle de l’inspecteur du travail, qu’en est-il, Monsieur le ministre, de la sécurité que vous évoquiez en invoquant, à propos d’une loi récente, la flexicurité ?

M. Roland Muzeau – Au placard !

M. Christophe Sirugue – La flexibilité à outrance ne laisse aucune place à la sécurité que les salariés sont en droit d’attendre ! Pire, vous remettez en cause le repos compensateur, dont je rappelle qu’il a été instauré en 1977 par un gouvernement de droite et progressivement renforcé chaque fois que la flexibilité s’est accrue. Il y va de la santé au travail !

M. Jean Mallot – Bien sûr !

M. Christophe Sirugue – Les organisations syndicales et patronales discutent actuellement du problème du stress.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Les partenaires sociaux ont signé hier soir !

M. Christophe Sirugue – Inutile de les initier si vous n’en tirez aucune conclusion ! De même, vous faites fi d’une position commune que vous avez invité les organisations syndicales et patronales à élaborer ! Nous attendons donc les résultats de cette discussion. Nous voulons des actes, non des incantations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean-Patrick Gille – N’allez-vous pas, Monsieur le ministre, vous prendre vous-même au piège que vous avez tendu aux organisations syndicales ? Depuis plusieurs mois, vous vous êtes posé en champion de la négociation sociale, bâtisseur d’une flexicurité à la française exemplaire en Europe. Nous ne sommes pas dupes : vous avez toujours préféré la flexibilité à la sécurité, au point de nous proposer aujourd’hui un texte de flexibilité pure, sans aucune contrepartie pour les salariés ! En quelques heures seulement, vous avez brisé votre image de négociateur et anéanti l’essor de la démocratie sociale. Avez-vous vraiment souhaité cette extension de la dérogation à la loi Fillon, ou bien avez-vous subi l’arbitrage du Premier ministre ?

M. Roland Muzeau – Il l’a souhaitée !

M. Jean-Patrick Gille – Il semble en effet que la conception des rapports sociaux de M. Fillon s’impose.

Une telle rupture de confiance suscite le doute. Qui êtes-vous donc, Monsieur Bertrand : Dr. Xavier, sauveur de la démocratie sociale, ou Mr. Bertrand, apôtre de la dérégulation forcenée ? (Sourires) La flexicurité n’est-elle pas qu’un paravent derrière lequel vous dissimulez vos coupables forfaits ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Parlons plutôt du forfait jours !

Mme Martine Billard – N’ayez crainte : nous y viendrons !

M. Jean-Patrick Gille – L’ensemble des partenaires sociaux, MEDEF en tête, se sentent trahis par cet article qui remet en cause la hiérarchie des normes et le repos compensateur. Plus grave encore : il entraînera la renégociation à la baisse de l’ensemble des accords sur le temps de travail et, ce faisant, nourrira le dumping social. Je crains que ce texte, débattu en catimini estival, ne révèle votre nature profonde !

Pour toutes ces raisons, je propose, par l’amendement 293, la suppression de cet article.

M. Jean Mallot – Le présent article ne reprend aucune des dispositions négociées par les partenaires sociaux telles qu’elles figurent à l’article 17 de la position commune.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – C’est faux !

M. Jean Mallot – Il n’est que le premier pas sur la voie d’un dumping social qui mettra les salariés en concurrence entre eux.

Non content de privilégier les accords d’entreprise, vous prévoyez qu’à défaut d’accord collectif, le contingent annuel et la contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà de ce contingent seront fixés par décret. L’opacité totale qui en entoure la confection n’est qu’un motif supplémentaire de suppression de l’article.

Enfin, vous prétendez que les salariés souhaitant travailler plus pour gagner plus en auront le libre choix. C’est faux, bien entendu : chacun sait que la décision reviendra au patron, qui imposera ou non à ses salariés d’effectuer des heures supplémentaires. En outre, le salarié, s’il renonce de lui-même à son repos compensateur, ne pourra effectuer les heures supplémentaires correspondantes qu’avec l’accord de son employeur : double verrou !

Comment, avec de tels mécanismes, tiendrez-vous les engagements de campagne du Président de la République ? Toutes ces raisons justifient la suppression de cet article scélérat, comme vous y invite mon amendement 294.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – La durée du travail en France, serait, nous dites-vous, d’une indécente faiblesse au regard de celle qui prévaut ailleurs en Europe. Je regrette d’avoir à vous démentir : elle est de 36,5 heures, c’est-à-dire conforme à la moyenne européenne, supérieure de deux heures à la moyenne allemande, et même supérieure à la moyenne américaine ! Je tiens à votre disposition les statistiques d’Eurostat qui démontrent que la productivité française, bien supérieure à la moyenne européenne, a beaucoup profité de la loi sur les trente-cinq heures.

Pour ma part, j’assume idéologiquement la réduction du temps de travail (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). Vous attaquez les lois Aubry du matin au soir…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Et personne ne les défend !

Mme Danièle Hoffman-Rispal – …mais vous oubliez la loi Robien ! La loi sur les trente-cinq heures a profité à l’économie française, c’est un fait. Au-delà des seuls facteurs économiques, n’oublions pas le surcroît de bien-être qu’elle a produit. Que gagneront-nous à la suppression du repos compensateur, sinon davantage de stress et d’accidents au travail ? La réduction du temps de travail est un phénomène constant dans nos sociétés depuis le début du siècle dernier. Elle ne s’est jamais expliquée par une quelconque fainéantise ou négligence de la « valeur travail » – terme auquel je préfère d’ailleurs celui de « valorisation du travail ».

D’autres orateurs ont rappelé les cas de suicides chez Renault. La concertation sur le stress au travail s’est achevée hier. N’aurait-il pas mieux valu attendre la fin de cette négociation pour remettre en cause la législation relative au temps de travail ? C’est ce qui justifie mon amendement 295 de suppression de l’article.

M. Régis Juanico – L’article 16 et les suivants sont contraires à la position commune signée par l’ensemble des partenaires sociaux. Le Gouvernement ne tiendrait pas sa parole en les faisant adopter. Qu’est-ce que l’ajout, en sus de l’accord, d’un article de loi qui modifie profondément une soixantaine d’article du code du travail, sinon un acte malhonnête ?

M. Benoist Apparu – La méthode a été annoncée d’emblée !

M. Régis Juanico – La vérité est que, sachant les partenaires sociaux loin d’être unanimes sur les questions de représentativité syndicale, vous avez voulu les diviser davantage pour mieux régner.

M. Bernard Debré – Elles sont toujours moins divisées que le parti socialiste !

M. Régis Juanico – Ce faisant, vous avez roulé les syndicats dans la farine. Ce mauvais coup aura de graves conséquences sur la qualité du dialogue social.

Vous ressassez sans cesse la même antienne selon laquelle les entreprises se heurtent à un parcours du combattant en matière d’heures supplémentaires. C’est inexact : les lois Aubry contenaient déjà un dispositif souple – certains leur ont même reproché leur excessive flexibilité (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Enfin, les six lois relatives aux heures supplémentaires que l’Assemblée a votées ces six dernières années n’ont produit aucun résultat tangible. Est-ce pour cette raison que vous êtes moins prolixe sur ce sujet que sur d’autres ? En tout état de cause, ces raisons justifient la suppression de l’article.

Mme Catherine Lemorton – Avec cet article, vous inscrivez dans le marbre les théories néo-libérales de Hayek et Friedman. Les salaires deviennent une variable d’ajustement au bénéfice du profit. Vous institutionnalisez la précarité et la peur du lendemain, comme moyen de chantage sur les salariés. À quand le retour des journaliers ? Alors que l’État possédait un moyen d’intervention, il lui est retiré, puisque vous supprimez l’autorisation de l’inspecteur du travail pour les heures supplémentaires hors contingent. Il s’agit de toujours travailler plus, au détriment de sa santé. Votre slogan « Travailler plus pour gagner plus » recouvre en vérité votre volonté de retirer toute valeur au travail des salariés. C’est pourquoi je demande, par l’amendement 298, la suppression de l’article 16.

M. Marc Dolez – Comme je l’ai dit, l’article 16 est un article scélérat, qui doit être supprimé – et c’est l’objet de mon amendement 305. Il y a plusieurs raisons à cela, dont chacune se suffirait à elle-même. Tout d’abord, le renvoi à la négociation au niveau de l’entreprise – inversion de la hiérarchie des normes – conduira les salariés à accepter la remise en cause de leurs droits en matière de temps de travail, de rémunération, de repos nécessaire, pour faire face à la baisse de leur pouvoir d’achat, sous la menace permanente d’une perte d’emploi. Ensuite, cet article supprime tout contrôle par l’inspection du travail, notamment en cas de dépassement du contingent d’heures supplémentaires. En outre, l’accord d’entreprise fixera désormais la contrepartie obligatoire de repos pour les heures supplémentaires travaillées au-delà du contingent annuel, et la notion de repos compensateur disparaît même du code du travail. Enfin, les accords de branche ou d’entreprise relatifs aux heures supplémentaires deviendront caducs au-delà du 31 décembre 2009 et devront être renégociés. Cette renégociation interviendra dans un cadre beaucoup moins favorable aux salariés. L’article consacre ainsi la suppression du régime de faveur introduit par la loi Fillon de 2004.

M. Roland Muzeau – Très bien !

M. le Président – Sur le vote des amendements de suppression, je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles – Je suis à la fois surpris, inquiet et attristé suite à certains propos. Il y a au moins une statistique que personne ne peut contester, c’est que la France est l’avant-dernier pays de l’OCDE pour le nombre d’heures travaillées dans une vie.

M. Roland Muzeau – Et la productivité ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Or, il n’y a pas un économiste qui ne dise que, pour accroître notre potentiel de croissance, il faut élever ce nombre. Quand j’entends certains propos, je me dis que nous sommes loin de l’exigence de vérité qu’appellent de leurs vœux nos collègues de l’opposition (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR), qui disent se croire encore au XIXe siècle, parlent de concurrence à outrance… Ne savez-vous pas, chers collègues, que les heures supplémentaires coûtent plus cher ? L’entreprise payera-t-elle pour le plaisir 400 heures supplémentaires qui coûtent 25 ou 50 % de plus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

J’ai le sentiment, à vous entendre, que vous considérez les entreprises comme des administrations douées d’immortalité. Pour bien montrer l’étendue du problème, je citerai le rapport sur l’enseignement de l’économie à l’école, qui vient d’être publié par l’un de nos meilleurs économistes…

M. Régis Juanico – Vous mélangez tout !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – « Les programmes mettent davantage l’accent sur les problèmes de société que sur les réussites. On trouve de longs développements sur le chômage, sur la précarité, mais jamais sur l’élévation du niveau de vie dans notre pays ou sur notre régime de protection sociale qui est le meilleur. » (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP) Arrêtez la caricature…

M. Marc Dolez – C’est vous, qui caricaturez !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Nous sommes vice-champions de la dépense publique, de l’impôt sur le capital, de l’impôt sur le travail.

M. Roland Muzeau – Mais non !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Ayez une réflexion sur vous-mêmes et votre passé. Que disent vos partenaires sociaux-démocrates depuis vingt-cinq ans ? La France a-t-elle progressé avec les nationalisations, les 35 heures, l’explosion des dépenses publiques ? (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Vous n’aurez pas une France plus juste sans une France plus dynamique, et vous n’aurez pas une France plus dynamique si vous pensez que l’économie c’est toujours plus de rigidité et de lenteur, alors que le monde d’aujourd’hui exige souplesse et rapidité (Mêmes mouvements).

Nous vivons dans deux mondes différents. Vous êtes toujours dans le monde de l’administration, pas dans celui de l’entreprise soumise à la compétition mondiale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Mallot – Or c’est un ancien fonctionnaire qui parle !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Quel dommage qu’il ne soit pas permis à un ministre d’applaudir !

Je souhaiterais revenir un instant sur la hiérarchie des normes. Il est exact que nous donnons une place centrale à la négociation d’entreprise. Ce n’est pas la première fois, puisque cela a déjà été le cas avec la loi sur le service garanti dans les transports terrestres. Cette solution permet de rapprocher le droit conventionnel du travail de la communauté des salariés. Qui peut soutenir que l’accord de branche est le mieux à même de définir l’organisation du temps de travail dans les entreprises ?

Cette solution trouve en outre une sécurité dans l’accord majoritaire : il ne faut pas plus de 50 % d’opposition ; il s’agit d’un vote de confiance pour le délégué. Elle est d’autre part encadrée par des dispositions d’ordre public : un accord ne peut déroger, par exemple, aux dispositions en matière de santé au travail.

Vis-à-vis du droit communautaire, le présent projet s’oppose à la logique de l’« opt out », qui n’appartient pas à notre tradition. Nous préférerons toujours l’accord collectif à la relation individuelle. Les récents arrêts de la Cour de justice relatifs aux règles applicables aux salariés détachés, ou au dumping social, nous préoccupent, et j’ai donc demandé au directeur général du travail de me représenter au symposium qui a eu lieu la semaine dernière à Berlin, car j’ai souhaité interroger les pays sur les conséquences de ces arrêts. Si la Cour de justice a dit le droit de cette façon, c’est aussi parce que les politiques n’ont pas assez élaboré le droit social ces dernières années. Le temps de travail reste, sur des points essentiels, du domaine de la loi, et dès lors, toutes les dispositions relatives à la durée légale sont applicables aux salariés sans incidence de la récente jurisprudence européenne.

Monsieur Vidalies, non seulement nous n’esquivons pas le débat de fond, mais nous le revendiquons : assumons nos divergences ! Une claire répartition entre les domaines de la loi et de l’accord collectif est indispensable, et la question du meilleur niveau d’accord se posera toujours. Nous avons fait un choix et nous l’assumons. Nous aimerions que les choses soient aussi claires de votre côté. J’aimerais ainsi pouvoir entendre votre position, mais il faut bien reconnaître que celle-ci n’est pas d’une grande clarté – si tant est qu’elle ne soit pas même l’incarnation de l’immobilisme, elle n’est pas d’une grande clarté. Votre problème, c’est que vous êtes isolés ; vous êtes quasiment les derniers de votre espèce (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Nous sommes dans un monde qui bouge : si vous ne bougez pas, vous comprendrez que nous ne serons pas les seuls à vous taxer d’archaïsme. Les choses sont ainsi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Soisson – J’ai été pendant trois ans ministre du travail, et j’ai travaillé avec certains de nos collègues socialistes ici présents. Je tiens comme eux au code du travail, mais ce code ne saurait être détaché des réalités économiques. Nous sommes obligés de tenir compte de la réalité des entreprises.

M. Jean Mallot – Justement !

M. Jean-Pierre Soisson – Toutes les majorités ont aménagé le code du travail pour mieux séparer le domaine de la loi et celui de la convention, et pour tenir compte de cette réalité : les conventions interprofessionnelles nationales ne peuvent tout simplement plus tout régir. Nous devons accepter cette évolution ; et nous l’encadrons.

J’en ai parlé devant la Confédération européenne des syndicats : la France ne peut pas s’isoler en Europe à force de préserver un droit de travail d’exception.

M. Roland Muzeau – Ce sont les autres droits nationaux qu’il faut améliorer !

M. Jean-Pierre Soisson – Il faut donc rapprocher le droit français du droit européen…

M. Roland Muzeau – C’est l’inverse qu’il faut faire !

M. Jean-Pierre Soisson – …et mieux distinguer le domaine de la loi et celui de la convention.

À la majorité de 56 voix contre 24 sur 80 votants et 80 suffrages exprimés, les amendements 113, 256 et 291 à 305, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – L’amendement 306 vise à reprendre les dispositions de l’article 17 de la position commune.

Monsieur le ministre, connaissez-vous, en dehors du nôtre, un seul pays qui ait imaginé un système où l’heure supplémentaire coûte moins cher que l’heure d’embauche ?

Un député du groupe SRC – La Chine !

M. Alain Vidalies – Voilà des années que vous nous faites le même compliment sur les 35 heures, mais on peut vous le retourner : la France est seule au monde à exonérer de cotisations sociales les heures supplémentaires !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission C’est faux !

M. Alain Vidalies – Vous ne pouvez pas citer un seul pays où ce dispositif aurait été un succès, puisqu’il n’existe qu’en France. Or cette singularité pèsera lourd sur l’emploi des seniors et des jeunes. Il y a là un carcan idéologique dont il faut se libérer !

Monsieur Méhaignerie, vous nous dites que les entreprises ont besoin de cette souplesse, mais telle n’est pas la réalité. Il n’y a pas dans cet hémicycle une armée de fonctionnaires obtus, qui n’auraient jamais vu une entreprise, face à des gens qui seraient de plain-pied avec la modernité économique ! Je suis moi-même travailleur indépendant ; j’ai créé des emplois, j’ai appris sur le terrain ; vous êtes fonctionnaire et vous avez dû apprendre tout cela dans des livres ! Je n’entends pas recevoir de vous des leçons sur ces questions. Vous feriez d’ailleurs mieux d’écouter les représentants des petites entreprises (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) : il faut en rester aux négociations par branche professionnelle, car là est le niveau pertinent.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – C’est le statu quo !

M. Alain Vidalies – La modernité, ce n’est pas la marche en arrière, et sur les accords d’entreprise, vous en revenez aux années 1930 ! Vous nous dites que c’est la réalité : mais nous entendons, nous, ce que dit l’UPA.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Alain Vidalies – Où donc avez-vous pêché cette idée folle que l’heure supplémentaire doit coûter à l’employeur moins cher que l’heure d’embauche ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Christophe Sirugue – L’amendement 307 revient, de la même façon, à la rédaction initiale de l’article 17 de la position commune. C’est le cœur de notre discussion : il est nécessaire de respecter les engagements pris par les partenaires sociaux et donc de reconnaître comme signataires légitimes des accords les organisations syndicales qui représentent plus de 50 % des salariés.

M. Benoist Apparu – Pourquoi 30 % partout ailleurs alors ?

M. Christophe Sirugue – Ce taux de 50 % est un acquis majeur, sur lequel vous souhaitez revenir pour des raisons douteuses. Vous vous présentez comme les tenants de la modernité, mais vous oubliez que celle-ci ne s’imposera dans l’économie que si elle est portée par tous. Vous voudriez faire le bien des gens sans qu’ils le sachent, sans qu’ils le veuillent. Comment avancer dans ces conditions ? Ce que nous vous demandons, c’est le respect de la position commune.

M. Roland Muzeau – Très bien !

M. Christian Eckert – Pourquoi les Français se méfient-ils autant de l’Europe ? Parce qu’ils ont peur de l’absence de réglementation sociale. Ils ont bien compris que les délocalisations sont la conséquence des différences de législation au sein de l’Union – sans revenir au plombier polonais, pensons au problème des transports. La concurrence en Europe n’est pas loyale, notamment entre les plus petites entreprises, car il n’y a pas d’harmonisation des lois de protection sociale.

Or ce que vous nous proposez, c’est de reprendre ce schéma –alors même que, dans notre pays, jusqu’à présent, la protection sociale, le droit du travail, les réglementations sur la santé au travail, étaient les mêmes pour toutes les entreprises. Vous organisez une concurrence dans ces domaines, de sorte que le niveau de protection sociale deviendra une variable d’ajustement, et nous serons tirés vers le bas.

Vous imposez donc en France ce que les Français redoutent le plus de l’Europe ; nous ne voulons pas de ces dérives ! Il serait donc bien plus prudent d’adopter la rédaction figurant à l’article 17 de la position commune.

M. Jean-Patrick Gille – L’amendement 308 vise aussi à s’en tenir aux conclusions des partenaires sociaux. L’honnêteté intellectuelle aurait d’ailleurs voulu que vous proposiez deux textes, l’un sur la démocratie sociale, l’autre sur le temps de travail.

Quelles sont les différences entre ce que nous proposons, c’est-à-dire le parfait respect de la position commune, et votre projet ? Pour nous – et pour les partenaires sociaux –, la possibilité de dépasser le plafond d’heures supplémentaires par accord d’entreprise doit être ouverte à titre expérimental ; vous en faites la règle, voire une obligation d’ici à la fin de l’année 2009. Nous proposons un accord majoritaire ; vous rusez en proposant des accords à 30 %. Nous souhaitons que ces accords soient soumis à l’évaluation préalable de la commission paritaire nationale de branche ; vous considérez que l’accord de branche doit désormais être supplétif. Nous voulons que l’autorité administrative soit informée ; vous tirez un trait sur cette information. Dans votre enthousiasme, vous remettez même en cause le repos compensateur ! Nous faisons donc confiance à la négociation entre les partenaires sociaux, alors que vous l’instrumentalisez.

Car nous ne rejetons pas les négociations d’entreprise : les 35 heures ne se sont-elles pas faites par ce moyen ? Pour autant, nous estimons que ces discussions doivent être encadrées.

Je préside plusieurs établissements à statut privé et lorsque nous nous sommes donné les moyens et le temps de mener les discussions sur les 35 heures, cela a été une réussite : au-delà du temps de travail, ce sont l’organisation de l’entreprise, le statut des personnels et les missions de chacun qui ont été revisités. Mais si l’on veut que l’entreprise soit le lieu des discussions collectives, si l’on veut faire avancer – pourquoi pas ? – la contractualisation, alors il faut que les accords soient adoptés à la majorité.

Or c’est là toute l’astuce de votre texte : en liant de manière abusive l’article 6 et l’article 16, vous faites en sorte que les accords sur le temps de travail soient négociés en fonction d’un seuil de 30 %, seuil qui fonde la représentativité syndicale. C’est de la malhonnêteté intellectuelle.

Le débat n’oppose pas ceux qui seraient favorables à la loi et ceux qui feraient la promotion de la contractualisation.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Si.

M. Jean-Patrick Gille – Non, vous simplifiez. Je suis pour ma part favorable à des formes de contractualisation. Mais fondées sur un accord majoritaire. Or ce n’est pas le cas ici.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – C’est pourtant ce qu’ont choisi les partenaires sociaux.

M. Jean-Patrick Gille – Non, pas sur cette question-là.

M. Jean Mallot – L’amendement 309, identique, vise à concilier, Monsieur le ministre, les résultats de la négociation sociale et la loi. La position commune, d’ailleurs, offre un exemple a contrario puisque vous envisagez de la trahir en la transcrivant.

Avec cet amendement, nous proposons au contraire d’y revenir, comme nous l’avons fait lors de l’examen du projet de loi transcrivant l’ANI. D’ailleurs, si nous nous sommes abstenus lors du vote de ce texte, c’est que nous estimions cette transcription incomplète, les éléments de flexibilité l’emportant sur les éléments de sécurité.

Le premier alinéa de l’article 17 de la position commune dispose que ce sont les organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés qui peuvent conclure, « à titre expérimental, une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement qui précise l’ensemble des conditions d’accomplissement d’heures supplémentaires […], en fonction des conditions économiques dans l’entreprise et dans le respect des dispositions légales et des conditions de travail et de vie privée des salariés. »

Aux termes du second alinéa, ces accords sont soumis à l’évaluation préalable de la commission paritaire nationale de branche, avant leur dépôt auprès de l’autorité administrative compétente. Il est donc bien fait recours à l’autorité administrative, que vous avez réintroduite dans un certain nombre de dispositifs, tels que la rupture conventionnelle.

Pour conclure, je voudrais évoquer la joie qui se lisait sur le visage des députés de la majorité le jour où, prétendument par respect pour les partenaires sociaux, le groupe UMP auditionna des responsables de la CGT et de la CFDT. Ils avaient rencontré des syndicalistes et ils étaient tout ébaubis de leur propre audace ! (Sourires)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Vous, vous avez perdu leurs voix !

M. Jean Mallot – Ce qui est plus triste, c’est qu’ils prétendaient avoir entendu leurs interlocuteurs, alors que les responsables syndicaux avouaient se sentir trahis. Cela montre bien le peu de considération que vous avez pour ces organisations.

La séance, suspendue à 11 heures 35, est reprise à 11 heures 45.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Je voudrais rappeler à MM. Soisson et Méhaignerie que les députés de l’opposition, eux aussi, ont travaillé en entreprise. Il serait archaïque de penser que la droite a le monopole de la connaissance de l’entreprise.

Par l’amendement 310, identique aux précédents, nous vous proposons de revenir à la position commune s’agissant des modalités de fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires. En effet, la rédaction actuelle en est par trop éloignée, ce qui provoque la colère des syndicats.

Nous en sommes tous d’accord, l’entreprise a besoin d’évoluer pour s’adapter aux changements. Alain Vidalies a rappelé tout à l’heure que nous étions sans doute le seul pays à défiscaliser les heures supplémentaires. Mais les premières statistiques sur la loi TEPA montrent qu’on n’a pas recouru à cette disposition. Depuis 2001, six lois ont été votées pour augmenter le contingent des heures supplémentaires : elles ne sont pas utilisées ! Pourquoi donc continuer dans cette voie, si ce n’est par idéologie, d’autant que comme le montrent les études de la DARES ou de l’ACOSS, les résultats en termes d’emploi ou d’organisation du travail ne sont guère significatifs ?

Vous privilégiez donc les heures supplémentaires. Mais que proposez-vous pour les salariés à temps partiel qui aimeraient travailler à temps plein ? Pourquoi seulement 38 % des 55-65 ans travaillent-ils dans notre pays, contre 44 % en Europe ? Ces sujets mériteraient peut-être une négociation ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC)

M. Régis Juanico – Mon amendement 312 est identique aux précédents : il propose de rétablir la rédaction qui aurait dû être celle de cet article si l’on avait respecté la parole donnée aux partenaires sociaux.

Pierre Méhaignerie a parlé d’exigence de vérité, mais son propos a été très caricatural. Il y a en effet plusieurs façons d’appréhender le monde de l’entreprise. On peut en avoir une vision tronquée en épousant le point de vue de quelques employeurs – qui n’est pas le point de vue global de l’entreprise. Vous ne pouvez dès lors pas nous reprocher de prendre en compte celui des millions de salariés qui créent des richesses dans les entreprises et font toute leur richesse. Nous sommes les avant-derniers de l’OCDE pour le nombre d’heures travaillées tout au long de la vie, nous a dit Pierre Méhaignerie. Mais ce qu’il a oublié de dire, c’est que les salariés français sont parmi les plus productifs au monde en termes de productivité horaire ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC) Je tiens donc à leur rendre hommage : la souplesse et la réactivité existent déjà dans l’entreprise !

Autre caricature : les enseignants en sciences économiques et sociale n’aborderaient en cours que les questions de chômage et de précarité. Outre qu’ils sont parmi les meilleurs au monde, en quoi serait-ce un scandale de parler de la précarité ? C’est la réalité du marché du travail ! Les trois quarts des embauches se font aujourd’hui en CDD !

Quant à la réalité du monde de l’entreprise… Je vous renvoie au rapport de M. Poisson sur la pénibilité au travail. Il en ressort que le travail s’intensifie dans les entreprises, que l’écart d’espérance de vie entre les cadres et les ouvriers atteint six ou sept ans et que les statistiques des maladies professionnelles et des suicides sur le lieu de travail évoluent de façon inquiétante. Je rappelle enfin que 1,6 million de salariés travaillent de nuit, que 2 millions sont en travail posté et que 19 millions travaillent en horaires alternants. Et vous voulez ajouter encore de la flexibilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Mme Catherine Lemorton – Mon amendement 313 propose également de reprendre la position commune, au lieu de la vanter comme la vitrine d’une démocratie sociale dont vous faites en réalité fi. Au-delà de vos méthodes, qui sont indignes d’une démocratie, je me demande si vous ne cherchez pas à décrédibiliser les partenaires sociaux – je pense surtout aux syndicats de salariés – pour les affaiblir. Cet article 16 rédigé sans tenir compte de la position commune montre le mépris que vous leur portez, alors même qu’ils étaient prêts à avancer. Le problème est que vous, vous voulez régresser ! Vous évoquiez tout à l’heure les sociaux-démocrates européens : vérifiez donc la définition de ce terme ! Non seulement vous méprisez les syndicats, donc les salariés, mais quand ils ont un accident du travail, vous osez leur faire payer les franchises médicales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. François Rochebloine – C’est petit !

M. Pierre-Alain Muet – Mon amendement 317 est identique. Je souhaite pour ma part revenir sur quelques données. Je vous ai cité l’autre jour les chiffres d’Eurostat sur la durée hebdomadaire moyenne du travail, qui est de 36,5 heures en France – soit la moyenne européenne. Les Français travaillent deux heures de plus que les Allemands par semaine, trois à quatre heures de plus que dans les Européens du Nord.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même assénée sur un ton professoral, une contrevérité reste une contrevérité ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Pierre-Alain Muet – Je vous ai donné ces chiffres : vos collaborateurs sont à même de les vérifier ! Quand on débat de tels sujets, on doit donner des chiffres exacts !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Vous arrivez, et le ton change !

M. Pierre-Alain Muet – Vous citez toujours des chiffres tronqués, qui ne retiennent que les salariés à temps complet. Quand on parle de durée hebdomadaire du travail et d’efficacité économique, il faut prendre la durée hebdomadaire moyenne pour l’ensemble des salariés ! Aux Pays-Bas par exemple, elle est de 29,5 heures, car le travail à temps partiel – encadré par la négociation – y est très développé.

Je vous ferais volontiers cadeau d’un autre graphique que je vais donner à la presse, qui met en relation la durée hebdomadaire du travail et la productivité de l’économie. Vous constaterez que les pays qui ont la plus forte productivité par personne occupée – la Norvège, qui est en tête, mais aussi la plupart des autres pays d’Europe du Nord et la France – sont ceux où l’on travaille le moins. C’est un phénomène général, qui montre que la réduction du temps de travail est l’une des composantes du développement économique, et que les économies performantes et développées ont presque toujours une durée hebdomadaire de travail plus faible.

Vous faites donc fausse route, Monsieur le ministre. Vous allez autoriser la signature d’accords d’entreprise comme ceux que l’on a vus en 2004 chez Bosch à Vénissieux, ou plus récemment dans une filiale de Peugeot, qui conduisent à travailler plus sans gagner plus. Vous encouragez donc le dumping social : vous allez introduire une concurrence par le bas, celle-là même que les pays européens ont voulu empêcher après la Seconde guerre mondiale. La grande dépression des années 1930 est en effet née d’un acharnement des entreprises à réduire leurs coûts salariaux. C’est en réaction à cet épisode que la plupart des pays ont construit à la Libération des systèmes de protection sociale assortis d’une hiérarchie des normes. Vous ouvrez la porte à un dumping social qui ne correspond pas du tout aux exigences de la compétitivité dans nos économies développées. Les pays d’Europe du Nord, par exemple, se sont acquis cette compétitivité par la formation et la protection sociale en contrepartie de laquelle les salariés acceptent une certaine flexibilité. C’est dans cette direction que nous devons aller ! Mais au lieu de construire la compétitivité de la France, vous nous engagez sur la pente dangereuse du dumping social (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Marc Dolez – Mon amendement 320 est identique : il revient à la position commune et prévoit donc – ce qui est une garantie – que les accords d’entreprise sont soumis à l’évaluation préalable de la commission paritaire nationale de branche.

M. Soisson nous a donné il y a quelques minutes un éclairage inquiétant sur cet article et sur la deuxième partie du texte. Je ne sais s’il s’exprimait à titre personnel ou au nom de son groupe, mais quoi qu’il en soit, ni le Gouvernement ni le rapporteur n’ont réagi. Il nous a expliqué qu’il fallait savoir évoluer, et que l’objectif était d’aligner notre droit du travail sur ce qui se fait dans d’autres pays d’Europe. C’est un aveu : vous voulez remettre en cause notre modèle social, qui est au cœur de notre pacte républicain depuis plus de soixante ans. Ce que vous nous proposez, c’est une harmonisation par le bas ! Notre conception est tout autre : l’Europe sociale ne peut se construire qu’au prix d’une harmonisation par le haut.

Les propos de M. Soisson éclairent parfaitement la philosophie qui sous-tend ce projet, mais aussi une conception de la construction européenne. Au moment où la France prend la présidence de l’Union, j’aimerais savoir s’ils résument bien la position de la majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. le Président – Sur le vote des amendements identiques, je suis saisi d’une demande de scrutin public.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission n’est pas plus favorable à la modification de la rédaction de l’article 16 qu’à sa suppression. Au demeurant, il me paraît difficile de lire dans la notion d’évaluation préalable une quelconque hiérarchie mécanique des normes entre le niveau de la branche et celui de l’entreprise : cette évaluation concerne les modalités selon lesquelles on peut poursuivre l’expérimentation engagée dans l’esprit de la position commune, mais elle ne fait en aucun cas dépendre l’accord d’entreprise d’une validation par la branche. Votre retour à la position commune n’est donc pas très cohérent avec votre position de principe sur ce point ; c’est une raison supplémentaire pour repousser vos amendements.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Même avis.

M. Francis Vercamer – Il n’y a pas vraiment de cohérence entre les interventions de nos différents collègues socialistes.

M. Alain Vidalies – Cela ne risque pas de se produire dans votre groupe : vous êtes seul ! (Sourires)

M. Francis Vercamer – Le comble, c’est d’avoir commencé par défendre un amendement de suppression de l’article, lequel, s’il avait été adopté, aurait fait tomber tous les autres et nous aurait encore plus éloignés de la position commune… à laquelle ils prétendent ici revenir !

L’objectif de ce projet, c’est de laisser aux entreprises, et aux partenaires sociaux à l’intérieur de l’entreprise, la possibilité de s’adapter, en fonction de leurs caractéristiques propres, à un environnement international de plus en plus dur. S’agissant du temps de travail moyen, le ministre a rappelé hier qu’il était inférieur en France à la moyenne internationale si l’on considère les salariés à temps plein ; vous nous dites que si l’on inclut les salariés à temps partiel, on travaille plus longtemps en France – ce qui signifie qu’ailleurs, il y a davantage de salariés à temps partiel : seriez-vous donc pour une société de précarité ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Pierre-Alain Muet – Ce n’est pas sérieux !

M. Francis Vercamer – Enfin, la non-utilisation des heures supplémentaires n’est pas un argument pour ne pas réformer la loi. Ce que nous voulons, c’est donner de la liberté aux entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

À la majorité de 46 voix contre 24 sur 70 votants et 70 suffrages exprimés, les amendements identiques 306 et suivants ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard – Notre président de commission, Pierre Méhaignerie, nous a expliqué que le monde exigeait souplesse et rapidité, mais avec le contingent légal actuel d’heures supplémentaires, qui est de 220 heures, soit cinq heures par semaine en moyenne – ce qui permet de faire les 40 heures au total –, et avec l’annualisation, les accords de modulation et les forfaits, on ne peut pas dire que les entreprises françaises n’aient pas les moyens de s’adapter…

Il nous a expliqué aussi qu’il fallait augmenter notre potentiel de croissance. Or, comme l’a très bien montré notre collègue Muet, plus le temps de travail croît, plus la productivité risque de stagner, voire de baisser, et plus le risque d’erreurs et d’accidents augmente.

Il faut anticiper les évolutions économiques, nous a encore dit M. Méhaignerie. Mais que n’avez-vous anticipé l’évolution du prix du pétrole ou le réchauffement climatique ? Les écologistes vous avaient pourtant alerté… Que n’avez-vous anticipé les évolutions économiques en sorte que nos entreprises françaises puissent prendre position sur les bons créneaux, et fabriquer des produits durables plutôt que des produits de mauvaise qualité contribuant à une économie de gaspillage ?

Nous ne sommes pas pour une augmentation sans limite des heures supplémentaires.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Nous non plus.

Mme Martine Billard – Je vous pose donc une question précise, Monsieur le ministre : quel sera le nombre d’heures supplémentaires fixé dans le décret applicable en l’absence d’accord ?

Le seul encadrement qui va subsister, Monsieur Soisson, c’est la limite de 48 heures fixée au niveau européen. S’y ajoute uniquement l’interdiction de faire plus de 44 heures en moyenne sur douze semaines. Vous allez donc être le ministre des 48 heures hebdomadaires, Monsieur le ministre !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Avez-vous proposé de modifier cette limite ?

Mme Martine Billard – S’il n’y avait pas cette limite des 48 heures dans le droit européen, qui sait si vous n’iriez pas encore plus loin ? Vous n’avez même pas besoin d’opt out, vous avez les forfaits jours…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Je sais gré à certains de leur souci des très petites entreprises, mais que n’ont-ils voté l’amendement que j’ai défendu hier sur le dialogue social dans les petites entreprises ?

Madame Billard, je ne vois pas en quoi la situation sera différente de celle d’aujourd’hui ; et votre amendement fait peu de cas de la négociation d’entreprise ou de branche. Quant à l’autorisation administrative, elle relève d’une logique à laquelle nous sommes hostiles. Avis défavorable donc.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

M. Jean-Pierre Soisson – J’ai respect et estime pour mes collègues socialistes, et je souhaiterais que les propos caricaturaux soient évités. Nul n’a le monopole des relations avec les organisations syndicales, et chacun s’efforce de trouver les moyens d’une croissance accrue – qui passe par un nombre d’heures travaillées plus important.

Monsieur Dolez, en 1989, j’ai présidé le conseil des ministres des affaires sociales qui a élaboré la Charte sociale européenne. C’est le Président Mitterrand qui l’a imposée lors du Conseil de Strasbourg, alors que la plupart des pays n’en voulaient pas – ni la Grande-Bretagne, ni les Pays-Bas, ni l’Irlande. S’agissant de l’Europe sociale, nous devons comprendre les réticences d’une majorité des vingt-six autres pays membres, qui n’abondent pas dans notre sens (Approbation sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC). Nos échanges approfondis avec plusieurs représentants européens du PPE, réunis par le groupe UMP à l’initiative de M. Copé, témoignent des difficultés auxquelles sera confrontée la présidence française, sur laquelle nous ne devons pas fonder des espoirs excessifs. Monsieur Dolez, ne rêvons pas l’Europe !

M. Roland Muzeau – C’est bien ce qu’ont dit les Irlandais : il ne faut pas rêver !

M. Jean-Pierre Soisson – Si nous nous arc-boutons sur notre propre projet, la construction européenne ne fera aucun progrès !

L'amendement 114, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – Je défends l’amendement 321. De manière récurrente, presque réflexe, M. le ministre conclut ses interventions, sous les clameurs de ses amis, en reprochant aux socialistes de n’avoir rien à proposer. Mais l’on ne peut à la fois constater nos divergences et nous faire ce reproche ! Nos propositions, les voici : nous sommes favorables aux accords de branche, alors que vous privilégiez les accords d’entreprise. Vous nous reprochez notre archaïsme ; pour notre part, comme le précisent les textes du Parti socialiste, nous sommes favorables à ce que les salariés siègent obligatoirement au conseil d’administration de l’entreprise, car pour créer de la richesse, le capital ne suffit pas ; il faut aussi du travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Voilà que vous reparlez du travail !

M. Alain Vidalies – Sur ce terrain, la droite, notamment celle que vous incarnez, fait depuis longtemps du surplace !

J’aimerais en outre que vous m’éclairiez sur un article paru hier dans Le Monde et selon lequel, suivant vos expressions favorites, vous reprochez au Parti socialiste sa « démagogie sur l’Europe sociale »…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Oui !

M. Alain Vidalies – …parce que nous avons regretté que Nicolas Sarkozy, au lieu de faire de l’Europe sociale une priorité, déclare, après avoir affirmé que notre système de protection sociale était le meilleur d’Europe : « Vous ne voulez tout de même pas que je le mette en discussion avec tous les autres ! » (Rires sur les bancs du groupe SRC)

Mon goût pour les archives – chacun ses passions (Sourires) – m’a poussé à exhumer les propos que vous avez tenus à l’issue de la conférence des ministres des relations sociales à Bruxelles… le 26 février dernier. « La France », disiez-vous alors, « veut ressusciter une dynamique sociale en Europe »…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Non seulement je l’ai dit en février, mais je l’ai répété en juin !

M. Alain Vidalies – « L’Europe sociale », ajoutiez-vous, « sera un enjeu majeur de la présidence française de l’Union. Un statu quo signifierait que l’Europe sociale est en panne ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Quelques mois plus tard, vous applaudissez le président de la République lorsqu’il déclare que nous ne devons pas parler de l’Europe sociale pour ne pas prendre de risques…

M. Jean-Paul Charié – Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Alain Vidalies – Dès lors, que faut-il croire ?

Mme Martine Billard – C’est cela, la souplesse ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Alain Vidalies – Sur cette question politique majeure, vos convictions sont à géométrie variable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Christophe Sirugue – L’amendement 322, identique, obéit à une logique que j’aimerais rappeler à M. Vercamer. Non seulement nous demandons la suppression de cette partie, qui aurait dû faire l’objet de discussions plus longues, plus approfondies et plus générales avec les partenaires sociaux, mais nous tenons à développer nos propres positions, contrairement à ce qu’ont affirmé le ministre et plusieurs autres orateurs.

Comme l’ont rappelé plusieurs de mes collègues, la fuite en avant qui consiste à favoriser de plus en plus le recours aux heures supplémentaires, sans parvenir à en développer l’utilisation, ne peut que fragiliser notre économie. Voilà pourquoi nous souhaitons le retour au mode de fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires en vigueur avant la loi Fillon.

En outre, à nos yeux, il appartient aux accords de branche, et non aux accords d’entreprise, d’établir ce contingent – non pour des raisons idéologiques, mais pour protéger les salariés. Loin de constituer une régression, ce dessein devrait vous animer comme nous !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – C’est le cas !

M. Christophe Sirugue – Non, à l’évidence ! En faisant de la branche le cadre des discussions, sans s’interdire de faire preuve de souplesse, on évite une compétition qui, loin de procurer un gain économique à tous – selon le cercle vertueux que j’évoquais en défendant la question préalable –, repose sur les efforts des seuls salariés, sommés de s’adapter systématiquement à une évolution économique dont mon collègue vient de rappeler les zones d’ombre. Nous proposons donc de réécrire les alinéas 2 à 4 de l’article (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Patrick Gille – Je défends l’amendement 323 identique. Pour des raisons politiques, vous vous êtes brutalement engouffrés dans la voie que les partenaires sociaux avaient accepté d’entrouvrir. Vous vous apprêtez désormais à déshabiller progressivement les accords d’entreprise relatifs à l’organisation du temps de travail ; puis viendra le tour des accords de branche. En outre, vous permettez aux employeurs de faire pression sur les salariés lors des négociations au niveau de l’entreprise, d’autant que celles-ci ne seront plus assorties d’accords de branche porteurs de garanties collectives. Ce n’est pas un problème moral, mais un problème social et économique !

M. Méhaignerie a cru nous décocher un argument sans réplique en faisant valoir que les employeurs ne recourraient pas à des heures supplémentaires qui leur coûtent plus cher. Mais, comme le lui a rétorqué aussitôt M. Vidalies, c’est en en diminuant le coût que vous espérez – en vain – préserver le pouvoir d’achat !

En outre, vos dispositions entraîneront une distorsion de concurrence qui s’apparente à un dumping social entre les entreprises, mais aussi entre les salariés : d’un côté, ceux qui forment le noyau de l’entreprise et multiplient les heures supplémentaires ; de l’autre, ceux qui travaillent à temps partiel ! Ainsi accentuez-vous une tendance inhérente à notre marché du travail.

Tout cela résulte de votre opposition aveugle et idéologique au « carcan » des 35 heures, qui, selon vous, paralyse notre économie et nous coûterait 15 milliards par an. Vous oubliez que le financement de la détaxation des heures supplémentaires en a, à elle seule, coûté 5 à l’État ! Voilà pourquoi nous proposons de revenir aux dispositions du droit du travail auparavant en vigueur.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Je défends l’amendement 325 identique. Il s’agit non seulement de revenir au mode de fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires et aux conditions de son dépassement en vigueur avant les lois Fillon du 17 janvier 2003 et du 4 mai 2004, mais également d’informer l’inspecteur du travail de tout recours aux heures supplémentaires.

Vous ne voyez dans ce dernier point qu’une formalité administrative, un archaïsme et une perte de temps ; les inspecteurs du travail, auxquels Mme Lemorton a rendu un hommage mérité, apprécieront ! Mais cette obligation symbolise le caractère exceptionnel que doit conserver le recours aux heures supplémentaires.

La tendance actuelle à revenir au travail à la tâche - quel que soit le nom qu’on lui donne – et le caractère de plus en plus contraignant des échéances fait imploser la notion même de temps de travail. Dois-je vous rappeler que la 81e convention internationale sur la réduction du temps de travail dans l’industrie et le commerce – l’un de ces textes que vous jugez sans doute archaïques – précise que l’Inspection du travail doit vérifier l’application des dispositions relatives au temps de travail, au salaire et à la protection des employés ?

Le contingent annuel d’heures supplémentaires ne doit pas être fixé uniquement en fonction de critères économiques, mais aussi de ce qu’exigent la santé et la sécurité des salariés – c’est l’objet de l’amendement 325.

J’ajoute, à l’attention de M. Vercamer, que nos propos ne sont pas contradictoires : ce sont les partenaires sociaux qui nous demandent d’amender fortement ce texte.

M. Jean Mallot – En effet, notre action est cohérente : la suppression de l’article ayant été refusée, de même que son remplacement par un texte reprenant la position commune, nous proposons désormais à l’Assemblée de rétablir les garanties relatives à l’information de l’inspection du travail, garanties que le Gouvernement entend supprimer. Tel est le sens de l’amendement 324

M. Benoist Apparu – N’ayez crainte : nous ferons preuve d’autant de cohérence dans notre refus !

M. Jean Mallot – En outre, nous proposons qu’un accord de branche étendu ou une convention collective puissent modifier le volume du contingent annuel d’heures supplémentaires.

Quant aux propos de MM. Méhaignerie et Vercamer, ils démontrent à quel point ces chrétiens sociaux sont écartelés entre leur philosophie traditionnelle et la loi de la jungle que le Gouvernement souhaite édicter. À court d’arguments, vous vous contentez d’asséner des affirmations à l’emporte-pièce. Au contraire, nous tenons des propos argumentés et cohérents.

Que nos amendements n’empêchent pas le ministre de répondre à la question qu’il a jusqu’ici laissée sans réponse : quel sera le contenu du décret que vous prévoyez en cas de défaut d’accord ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Il n’y aura pas de changement.

M. Régis Juanico – Si nous souhaitons rétablir le système de fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires tel qu’il existait avant les lois Fillon de 2003 et 2004, c’est parce que notre vision du monde de l’entreprise n’est ni dogmatique ni partielle.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail En avez-vous seulement une ?

M. Régis Juanico – Les entreprises sont composées d’employeurs, dont la diversité est incontestable, mais aussi de vingt-deux millions de salariés, non moins divers.

La DARES a montré que les entreprises n’avaient pas besoin d’utiliser davantage d’heures supplémentaires. M. Migaud a même indiqué que, si le nombre d’entreprises y recourant augmentait, leur volume global, lui, diminuait.

Le ministre devrait plutôt justifier des résultats de la politique que la majorité a menée depuis six ans : le déplafonnement du contingent d’heures supplémentaires a-t-il vraiment porté ses fruits ?

M. Benoist Apparu – Cela dépend des entreprises !

M. Régis Juanico – Enfin, privilégier l’accord d’entreprise aux dépens de l’accord de branche et des garanties collectives est une véritable régression, car l’atomisation de la négociation produira un système non pas à deux vitesses, mais à deux millions de vitesses : à chaque entreprise son propre mécanisme ! Les conséquences sur la santé et la sécurité des salariés seront innombrables. D’où l’amendement 327.

M. Christian Eckert – L’économie est une science mystérieuse qui laisse parfois perplexe le mathématicien que je suis. M. Stieglitz serait sans doute surpris d’entendre le ministre faire du PIB par habitant la référence principale de son action. Ce n’est pourtant pas le seul indicateur du bonheur des peuples !

Mme Martine Billard – Il est même mauvais !

M. Christian Eckert – Pourquoi ne pas tenir compte d’autres indices tels que le PIB par actif, l’indice de développement humain, l’espérance de vie ou le taux d’alphabétisation ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Et pourquoi pas le nombre de contributions ?

M. Christian Eckert – L’éthique qui doit guider toute politique sociale dépasse largement le seul souci de se classer en bonne place au palmarès mondial du PIB. En multipliant le nombre d’heures supplémentaires, vous progresserez peut-être de quelques places mais quid du bonheur de nos concitoyens ? Le bonheur se mesure à de nouveaux critères – écologiques, par exemple.

Dès lors, nous proposons en toute cohérence un amendement de repli aux précédents, hélas rejetés. Il faut desserrer le carcan, dites-vous : il n’est pourtant pas si étroit ! Songez que les entreprises n’utilisent en moyenne que 55 des 220 heures prévues dans le forfait !

M. Benoist Apparu – Une moyenne n’est guère significative en la matière !

M. Christian Eckert – D’autres dispositifs souples sont déjà en vigueur. Dans ces conditions, j’invite l’Assemblée à voter nos amendements !

Mme Catherine Lemorton – L’article 16 ne rassurera pas tous ceux qui, en France, s’interrogent sur la direction qu’emprunte la construction européenne – si nombreux que le Gouvernement n’a pas osé organiser un référendum en février dernier. En privilégiant l’accord de branche, vous créez un système défavorable au salarié, qui pourra être contraint de travailler jusqu’à 48 heures par semaine sur de longues périodes, soit le maximum autorisé par la directive travail.

L’information de l’inspecteur du travail doit être obligatoire pour clarifier les rapports entre salariés et employeurs dans les TPE et examiner les modalités de l’accord de gré à gré. L’inspection du travail est un outil de contrôle essentiel, non seulement sur le contingent d’heures supplémentaires, mais aussi sur la sécurité au travail (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC). D’où l’amendement 328.

M. Pierre-Alain Muet – Réintroduire une hiérarchie des normes, c’est créer de la sécurité et de la cohérence, avec un effet certain en termes d’efficacité économique, car il existe un facteur essentiel dans l’économie, qui est la confiance. En permettant aux entreprises, avec l’article 16, de prendre des décisions sans cohérence au niveau de la branche, vous créez au contraire de l’incertitude dans les échanges et la concurrence, compromettant ainsi l’efficacité économique.

À rebours de cette logique, il faut s’assurer que les normes essentielles sont définies par la loi ou le décret, puis déclinées au niveau des branches et ensuite au niveau des entreprises, sans que les normes de niveau inférieur puissent déroger dans un sens moins favorable à celles de niveau supérieur. Faute de quoi, nous entrerons dans la concurrence sociale, et donc dans l’inefficacité, car les entreprises passeront leur temps à s’enquérir des pratiques sociales de leurs concurrentes, et l’alignement généralisé vers le bas déclenchera une spirale dépressive.

En outre, il ne paraît guère pertinent de s’interroger sur le contingent d’heures supplémentaires dans la situation actuelle, avec une croissance à peu près nulle ce trimestre et une confiance des ménages au plus bas depuis que l’indice de l’INSEE chargé de la mesurer a été créé. Les entreprises n’ont pas un problème d’heures supplémentaires aujourd’hui. Avec ce texte, celles qui auraient pu embaucher se reporteront sur les heures supplémentaires et ne créeront pas d’emplois. L’effet sur notre économie ne peut qu’être désastreux (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Marc Dolez – Les amendements de suppression de l’article n’ayant pas été adoptés, non plus que ceux visant à revenir à la position commune, nous souhaitons rendre à la branche le rôle de régulateur qui doit être le sien, au profit des salariés, en contrant le développement du gré à gré entre salariés et employeurs. Nous souhaitons ainsi revenir au dispositif en vigueur avant 2003-2004. Tel est le sens de l’amendement 335, identique aux précédents.

Depuis 2002, la majorité a remis en cause la durée légale du travail, sans aucun résultat en termes d’emploi ou de pouvoir d’achat. Alors que le contingent annuel d’heures supplémentaires a été augmenté, l’étude déjà citée de la DARES montre que la proportion de salariés effectuant des heures supplémentaires est restée d’un tiers et que le nombre d’heures supplémentaires s’est maintenu au niveau de 55 par an et par salarié. Ni l’augmentation du contingent, ni la défiscalisation n’ont conduit à une augmentation des heures supplémentaires travaillées. L’échec est donc patent et votre démarche aujourd’hui ne répond qu’à des motifs idéologiques. Les salariés apprécieront !

Les amendements identiques 321 et suivants, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Roland Muzeau – Avec l’alinéa 2 de l’article 16, l’accord de branche devient subsidiaire à l’accord d’entreprise, au mépris de la hiérarchie des normes. En outre, les entreprises sont invitées, si ce n’est incitées, à dépasser le contingent d’heures supplémentaires. Enfin, l’alinéa supprime l’autorisation de dépassement de l’inspection du travail et la consultation préalable du comité d’entreprise ou du délégué du personnel pour le dépassement du contingent. Il supprime le repos compensateur au profit d’une contrepartie en repos qui doit être négociée par accord d’entreprise : remise en cause radicale des mesures d’ordre public social sur le repos compensateur ! Il sera désormais possible de prévoir des repos inférieurs aux 50 et 100 % obligatoires actuellement. Pour toutes ces raisons, l’amendement 257 tend à supprimer cet alinéa.

L'amendement 257, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 55.

Le Directeur du service
du compte rendu analytique,

Michel KERAUTRET

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