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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 3 juillet 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
6ème séance de la session
Présidence de M. Jean-Marie Le Guen, Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

DÉMOCRATIE SOCIALE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

ART. 16 (suite)

Mme Martine Billard – L’alinéa 4 de cet article prévoit qu’à défaut d’accord collectif, un décret détermine le contingent annuel ainsi que les modalités de la contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel. Nous vous avons déjà demandé, Monsieur le ministre, les détails de ce décret. Pourriez-vous nous les communiquer ?

Par l’amendement 174, je propose de préciser que l’accord de branche est prioritaire sur l’accord d’entreprise, de façon à rétablir la hiérarchie des normes que vous voulez inverser. Au cours de la manœuvre, vous allez faire disparaître l’accord de branche étendu. Une entreprise qui ne serait pas affiliée à une fédération professionnelle patronale ne serait donc plus tenue par l’accord de branche si elle ne le signait pas. Cela veut-il dire que les entreprises étrangères qui agissent en France, n’étant pas signataires des accords de branche, ne seraient plus tenues que par le code du travail ? Dans le cas d’une intervention de six semaines, ne seraient-elles tenues que par la règle des 48 heures ?

M. Christophe Sirugue – Les amendements identiques 336 à 350 du groupe socialiste ont le même objet. Les accords de branche sont pour nous essentiels et la mention dans cet article de l’accord de branche étendu permettrait de donner plus de sécurité aux salariés. Cet article va en effet créer une situation de concurrence dangereuse entre les entreprises. Il y a fort à parier que lorsqu’elles rencontreront des difficultés, la durée horaire du travail constituera un élément d’ajustement, ce qui rejaillira sur toutes les entreprises de la même branche. Ces amendements ont pour objet d’éviter cette situation préjudiciable à l’ensemble des salariés.

M. Jean Mallot – Ce sont effectivement des amendements majeurs. J’aimerais une nouvelle fois convaincre M. Vercamer de la cohérence de notre démarche sur l’article 16. Nous avons d’abord proposé un amendement de suppression, qu’il a rejeté en se ralliant à sa famille de droite. Puis nous avons souhaité inscrire dans cet article le contenu de la position commune signée par les partenaires sociaux, ou au moins compléter les dispositions du code actuel, et maintenant nous essayons de rétablir la hiérarchie des normes. Il faut en effet une norme au-dessus des accords d’entreprise, pour contrecarrer le dumping social qui broie les salariés en les mettant en concurrence entre eux. Cela permettra de préciser leurs conditions de travail, leur santé et leur sécurité. Notre rapporteur devrait y être sensible, lui qui a commis le rapport « Prévenir et compenser » sur la pénibilité au travail – où il apparaît néanmoins plus soucieux de prévenir que de compenser.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – Ce n’est pas vrai !

M. Jean Mallot – Je sais qu’il est pourtant sujet à la tentation de faire porter aux salariés la responsabilité de la pénibilité. Son rapport affirme en effet, notamment, qu’aucun programme de santé ne parviendra à éliminer complètement la pénibilité au travail et qu’il arrive encore souvent que les travailleurs en soient eux-mêmes la cause, en ne respectant pas les consignes ou la réglementation, en gérant leur travail de manière à maximiser leur temps libre sans veiller à préserver les rythmes biologiques naturels, ou en ne mettant pas à profit leurs congés pour se reposer. C’est bien ce qu’il écrit dans ce rapport ! Devant la démarche qui se dessine, il est donc primordial d’adopter, entre autres, ces amendements.

M. Alain Vidalies – Ces amendements visent en effet à affirmer la priorité de l’accord de branche et à faire en sorte que le contingent annuel d’heures supplémentaires ne devienne pas un élément de concurrence entre les entreprises. Le point de divergence entre nous est de savoir si ce contingent – ainsi que le repos compensateur – est ou non une règle générale pour la protection des travailleurs, s’appliquant de la même manière dans toutes les entreprises, pour la même activité. Nous pensons que si la règle sociale est élaborée au seul niveau de l’entreprise, elle deviendra un élément de concurrence entre les entreprises.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité – Mais qui a dit cela ?

M. Alain Vidalies – Si un accord est consenti dans une entreprise, sous la pression de difficultés économiques, les entreprises de la même branche auront sans doute à demander à leurs salariés de s’adapter ! Dans un tel système, l’alignement se fait donc forcément par le bas. C’est ce qu’affirment les petites entreprises et j’espère que vous ne traverserez pas tout le débat en vous contentant de répondre qu’elles ont tort. C’est vous qui affirmez être leur représentant, mais c’est nous qui recevons leurs mails, et ceux des artisans ou des professions libérales, qui nous demandent de mettre un frein à cette déréglementation. C’est donc un vrai débat, à propos duquel vous ne répondez rien, sinon que vous êtes les seuls à avoir raison parce que vous seriez les seuls à connaître la réalité des entreprises.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Je veux bien voir les mails, Monsieur Vidalies !

M. Régis Juanico – Oh, nous en avons beaucoup !

M. Alain Vidalies – Au-delà des mails récents, vous ne pouvez pas ignorer quelle a été la position officielle de l’UPA…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – L’UPA n’est pas signataire de la position commune.

M. Alain Vidalies – Sans rien ignorer de l’économie de marché, le choix que vous proposez aujourd’hui n’a rien d’évident. Nombre de nos partenaires européens continuent de faire référence à l’accord de branche sans que cela gêne le moins du monde leur économie. Et il y a même des pays où il n’y a pas de loi, et où seul l’accord de branche élabore la norme juridique. Vous faites comme si nous devions nous mettre à niveau par rapport à une règle générale mais c’est totalement faux ! Dans plusieurs pays du nord de l’Europe, c’est l’accord de branche qui constitue la règle générale. En Allemagne, l’accord de branche joue un rôle essentiel.

Hors vos a priori idéologiques, vous n’avez aucune raison objective de démonter notre système de relations sociales au profit d’une jungle à peine organisée. Vous faites une erreur qui sera lourde de conséquences, tant pour le contrat social français que pour les conditions de travail et le climat dans les entreprises. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Monsieur le ministre, ce matin, je vous ai fortement interpellé sur la situation des quatre millions de salariés des TPE…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – On en a parlé en détail mardi !

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Pour avoir lu et relu le compte rendu, je n’en suis vraiment pas sûre ! Quoi qu’il en soit, je reste très inquiète car il est clair que dans les TPE comme dans les entreprises de moins de 50 salariés, l’accord d’entreprise sera toujours plus défavorable aux salariés qu’un accord de branche. Je suis du reste très surprise que nos collègues de la majorité ne soient pas aussi alarmés que nous ! Une dépêche de l’AFP datée d’aujourd’hui indique qu’une centaine de sections de la CFDT, syndicat qui négocie avec vous depuis longtemps, ont écrit à leurs députés pour dénoncer les conséquences désastreuses qu’aurait l’application de la présente réforme des 35 heures. Ces courriers émanent d’entreprises telles qu’Eurocopter, Securitas, Adecco-Manpower, Groupama… Ils nous demandent d’amender le deuxième volet du présent texte, lequel offre la possibilité de renégocier largement en entreprise les modalités de dépassement des 35 heures. Leurs signataires insistent sur l’importance de la branche en tant que régulateur pour les salariés des PME et dénoncent le risque de voir se développer le gré à gré dans la relation entre l’employeur et le salarié.

Quel sera demain l’intérêt pour l’employeur de négocier sur l’aménagement du temps de travail, alors qu’il peut décider seul ou défaire par un accord avec chaque salarié ce qu’un accord collectif avait prévu ?

M. Christian Eckert – Je souscris entièrement à cette démonstration.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission a repoussé l’amendement 174 de Mme Billard, ainsi que la série d’amendements du groupe socialiste.

Tout à l’heure, avec la souplesse du chat, M. Mallot m’a tendu un hameçon mais, tout Poisson que je sois, je n’y mordrai pas ! (Sourires) Je comprends parfaitement que nous ne soyons pas sur la même ligne, mais je ne peux pas laisser dire que le rapport que j’ai signé rend les salariés responsables de la pénibilité qu’ils subissent ! Tous ceux qui, comme moi, ont travaillé dans l’industrie regrettent la circonstance dans laquelle les salariés sont conduits à privilégier leur revenu en travaillant au-delà de ce que la préservation de leur santé devrait leur commander de faire.

M. Régis Juanico – Si cela reste un choix, c’est différent.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Sans doute. Mais il faut être, Monsieur Mallot, dans vos analyses, un peu plus fidèle à l’esprit du rapport et cela vous sera d’autant plus facile que vous avez assisté à de nombreuses auditions.

S’agissant du dumping social – et nous avons à ce sujet un fort désaccord –, nul ne niera que la concurrence puisse faire des ravages au plan social…

M. Jean Mallot – Très bien ! C’est à noter au compte rendu !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – C’est un constat. Mais je me tourne vers ceux de nos collègues qui ont assisté aux auditions sur la pénibilité. Les entrepreneurs du BTP ont fait part de leurs difficultés à recruter, le secteur présentant actuellement un faible pouvoir d’attraction…

Mme Martine Billard – A cause de la faiblesse des salaires !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Pas seulement : reportez-vous aux comptes rendus des auditions.

Mais la concurrence peut aussi avoir des effets bénéfiques…

M. Jean-Paul Charié – Merci de le reconnaître en ma présence ! (Sourires)

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Par conséquent, ne cédons pas à la caricature car la réalité est forcément plus nuancée.

Monsieur Vidalies, je recevrai moi aussi avec plaisir les messages que vous avez évoqués car, en ce moment, ma boîte aux lettres est vide.

Enfin, s’agissant des TPE, Madame Hoffman-Rispal, j’ai demandé tout à l’heure à votre collègue Juanico pourquoi vous n’aviez pas voté hier soir l’amendement sur l’organisation du dialogue social dans les entreprises de moins de 11 salariés.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – C’est trop tard !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Vous plaisantez ! Une année, c’était raisonnable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même analyse que le rapporteur. Madame Billard, le projet de décret sur lequel nous travaillons et qui sera présenté à la commission nationale de la négociation collective en septembre prévoit, à défaut, 220 heures.

Mme Martine Billard – Sans repos compensateur !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – J’y viens. En outre, quand vous dites qu’une entreprise n’adhérant pas à un syndicat patronal signataire ne serait pas tenue d’appliquer un accord, vous ne faites rien d’autre que rappeler le droit commun en vigueur ! (Mme Billard proteste) Laissez-moi aller au bout de mon raisonnement. Si vous ne voulez même pas que j’essaie de vous convaincre, je peux me rasseoir ! (Interruptions sur divers bancs) Laissez-moi tenter ma chance avec vous, Madame Billard ! (Rires)

Rien ne nous empêche par conséquent d’étendre un accord pour prévenir toute situation de vide juridique.

Nous sommes en train de travailler sur le repos compensateur et nos propositions seront également transmises à la CNNC. Pour le décret, notre base de travail, ce sont les articles 3121-26 et suivants du code du travail. Vous voyez donc que nous ne faisons pas n’importe quoi n’importe comment.

M. le Président – Sur le vote des amendements 336 et suivants, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

M. Francis Vercamer – Je suis surpris que le groupe socialiste s’oppose avec autant de constance à ce que les entreprises puissent se développer en répondant aux commandes. À la différence du Gouvernement et de l’UMP, le groupe NC propose que l’on puisse libérer les heures supplémentaires, en prévoyant des modalités de compensation équitables.

M. Roland Muzeau – Ce ne sera pas le cas !

M. Francis Vercamer – Mais pourquoi empêcher les entreprises de recourir aux heures supplémentaires ? Je ne comprends pas ce dogmatisme. Le groupe NC ne votera pas ces amendements (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Par contre, il présentera des amendements visant à assurer l’égalité de traitement de tous les salariés effectuant des heures supplémentaires.

Mme Martine Billard – Monsieur le ministre, je prends acte des 220 heures. S’agissant des repos compensateur, je prends également acte que la réponse est déjà nettement moins précise. Quant aux accords de branche étendus, ce que je conteste c’est que dans l’article 16, deuxième alinéa, article 3121-11, il soit prévu que « des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche » : on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit fait référence aux accords de branches « étendus ». Dans la mesure où tel n’est pas le cas, nous sommes bien en retrait pas rapport au droit actuel. S’il ne s’agit que d’un simple oubli, il suffit que le Gouvernement redépose des amendements pour que, dans les articles 16 à 18, à chaque fois qu’il est question d’accord de branche, soient aussi mentionnés les accords de branche étendus. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, je pourrai vous croire lorsque vous dites que nous sommes à droit constant.

L'amendement 174, mis aux voix, n'est pas adopté.

À la majorité de 46 voix contre 28 sur 74 votants et 74 suffrages exprimés, les amendements 336 et suivants ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Monsieur le ministre, vous venez de vous expliquer que s’agissant du repos compensateur, vous prendriez un décret s’inspirant des articles 3121-6 et 3121-7 du code du travail. Ces dispositions relèveront donc désormais du domaine réglementaire. Où est la cohérence de la recodification entamée du code du travail ? Il y a à peine trois mois, vous avez sorti de la partie législative de ce code quelques centaines d’articles que vous jugiez d’ordre réglementaire. Nous avions combattu, en vain, cette initiative. Mais vous aviez du moins conservé ces deux articles dans la partie législative. En trois mois, vous avez donc changé d’analyse juridique ! Il est certes beaucoup plus facile de modifier une situation par décret – maintenant ou plus tard –, que de respecter la loi ou de présenter un nouveau projet de loi.

Qu’en trois mois vous ayez ainsi changé d’avis quant à la nature législative ou réglementaire des dispositions ayant trait à la santé des salariés, ce revirement d’analyse juridique, certes présenté avec autant de conviction que l’option précédente, ne manquera pas d’intéresser le Conseil constitutionnel. Les articles concernant la protection de la santé des travailleurs, qui entrent dans le champ de l’article 34 de la Constitution – car il s’agit bien d’une compétence propre du législateur dès lors qu’est visé le onzième alinéa du préambule de la Constitution –, peuvent-ils du jour au lendemain basculer dans le domaine réglementaire et être laissés à la négociation des partenaires sociaux ? Nous aimerions vous entendre sur ce point.

J’ai défendu ainsi l’amendement 351.

M. Christophe Sirugue – L’amendement 352, identique, tend à consacrer le principe de l’accord majoritaire, ce qui serait d’autant plus nécessaire que la première partie de ce projet de loi traite de la représentativité syndicale. Or, l’article 16 conduirait à ce que des accords minoritaires puissent remettre en cause des dispositions mises en œuvre par des accords d’entreprise majoritaires. Cela n’est ni conforme à l’esprit de la négociation entre les partenaires sociaux ni acceptable : le contingent annuel d’heures supplémentaires ne peut être défini au niveau d’une entreprise ou d’un établissement que dans le cadre d’un accord majoritaire, comme cela était prévu dans les lois Aubry. Aussi proposons-nous de préciser que l’accord en question doit avoir été « signé par les organisations de salariés représentatives ayant recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des représentants du personnel ».

M. Jean Mallot – L’amendement 354, identique, vise à ce que des accords minoritaires ne puissent pas remettre en cause des dispositions mises en œuvre dans le cadre d’accords d’entreprise majoritaires.

Puisque nous traitons des heures supplémentaires et donc des conditions de travail, je souhaiterais revenir un instant sur l’échange que nous avons eu tout à l’heure avec le rapporteur sur le thème de la pénibilité au travail. J’ai alors cité des extraits du rapport qu’il a consacré au sujet. Monsieur le ministre, comme ce sujet vous intéresse beaucoup, vous l’avez vous-même reconnu, j’apprécierais que vous usiez de votre temps de parole – illimité, contrairement au nôtre – pour nous donner votre sentiment sur les conclusions du rapport de M Poisson, s’agissant notamment de la prévention. M. Poisson propose par exemple de doubler le budget annuel du réseau de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et, après avoir souligné le nombre insuffisant de médecins au travail, de replacer la santé au travail au cœur des préoccupations de l’État en matière de santé publique.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – L’amendement 355 vise ainsi à réaffirmer la primauté des accords majoritaires pour la détermination du contingent annuel d’heures supplémentaires au niveau de l’entreprise. Les dispositions que vous préconisez aboutiraient à ce que des accords minoritaires puissent remettre en cause des accords d’entreprise majoritaires négociés en application de la loi Aubry du 19 janvier 2000.

Vous ne cessez de légiférer sur le temps de travail – comme sur le reste d’ailleurs, puisque nous avons examiné 97 textes depuis le début de la législature. Bref, il y a eu six lois en sept ans pour détricoter les 35 heures ! Ne pourriez-vous pas faire une pause et travailler posément avec les partenaires sociaux, au lieu d’être obsédés par le démantèlement des 35 heures ? À suivre cette pente, je me demande si nous ne nous retrouverons pas en juillet prochain, voire avant, à discuter de dispositions allant plus loin encore.

M. Benoist Apparu – Excellente idée !

M. Christian Eckert – Mon amendement est identique. Vous avez décidément une curieuse conception de la démocratie, comme l’a d’ailleurs montré la manière dont vous vous êtes assis sur le vote des Français pour la ratification du traité de Lisbonne. Le Président de la République et le Gouvernement considèrent de même que l’Irlande a aujourd’hui besoin de temps pour réfléchir et contourner le vote de ses concitoyens. Vous donnez dans le domaine du droit du travail une autre illustration de cette conception à géométrie variable de la démocratie, en admettant que des accords majoritaires puissent être défaits par des accords minoritaires. Un accord ayant recueilli l’adhésion de 30 % des suffrages exprimés – soit 24 % en réalité si un cinquième des voix se sont égarées – pourrait ainsi remettre en cause un accord ayant recueilli l’aval de 50 % des salariés. Ubuesque !

J’aimerais, Monsieur le ministre, que vous répondiez à la question que vous a posée tout à l’heure M. Vidalies sur le coût, désormais inférieur, des heures supplémentaires par rapport aux heures normales, du fait des exonérations de charges. Éclairez la représentation nationale sur cette aberration. Nous comprendrions alors mieux pourquoi vous prônez le développement des heures supplémentaires au détriment des embauches. C’est tout simplement que cela coûtera moins cher à l’employeur tout en lui offrant plus de souplesse –encore que vous ayez beaucoup assoupli les conditions de rupture du contrat de travail, ce qui ôte toute valeur à votre argument de la rigidité.

M. Régis Juanico – Je défends l’amendement 357. Nous sommes très attachés au principe de l’accord majoritaire car le contingent annuel d’heures supplémentaires, tout comme les règles du repos compensateur et comme les garanties associées aux différentes formules d’aménagement du temps de travail, contribue à la protection des salariés.

Mais vous n’avez toujours pas répondu, Monsieur le ministre : oui ou non, les entreprises réclament-elles davantage d’heures supplémentaires ?

M. Benoist Apparu – Certaines, oui.

M. Régis Juanico – Le travail fait par Didier Migaud, président de la commission des finances, sur l’application de la loi TEPA, montre au contraire que le volume d’heures supplémentaires a diminué ; les différentes modifications apportées depuis six ans à la loi sur les heures supplémentaires, notamment par l’augmentation du contingent, ne produisent pas de résultats. En revanche, la souplesse existe déjà en termes d’horaires ou de travail de nuit ; nous voulons donc maintenir le verrou des accords majoritaires en matière d’heures supplémentaires.

Mme Catherine Lemorton – Je défends l’amendement 358. M. Vercamer a parlé de créations d’emplois, mais ce texte n’en produira pas : nous parlons d’heures supplémentaires…

Je partage avec mes collègues de l’opposition l’idée qu’il ne faut pas s’asseoir sur les accords majoritaires venus d’une minorité, sauf à prendre le risque que se recréent des « syndicats maison », lesquels nous renvoient au début du XXe siècle. Malheureusement, on va dans le sens de cette régression…

M. Pierre-Alain Muet – Je profite de la défense de l’amendement 362 pour répondre à M. Poisson sur la concurrence.

La première forme de concurrence s’opère par le bas, par le dumping social : le démantèlement du droit social ou le versement de salaires très bas permet à une entreprise d’améliorer sa compétitivité ; néanmoins, prises globalement, les entreprises ont intérêt à ce que les salaires et le droit social s’améliorent car cela soutient la croissance. L’autre forme de concurrence, qui est la bonne, s’opère par l’innovation, la recherche-développement. Ce que vous faites nous ramène en arrière non seulement dans le domaine social, mais aussi dans le domaine économique. Non seulement, donc, vous affaiblissez le droit social, mais vous allez à l’encontre de l’efficacité économique.

M. Marc Dolez – Inlassablement, nous répéterons notre opposition au dispositif proposé, en demandant qu’on laisse aux accords de branche leur rôle de régularisation et de protection.

Depuis le début de la discussion, le rapporteur et le ministre nous expliquent qu’il est très important d’organiser la négociation collective au niveau de l’entreprise. Mais pourquoi n’acceptent-ils pas de retenir, à ce niveau, la notion d’accord majoritaire ? Ce n’est pas très cohérent, et l’on peut craindre quelques arrière-pensées, en particulier la volonté de favoriser la conclusion d’accords avec des syndicats « maison » – ce qui favorisera la déréglementation. S’il y a bien un point sur lequel vous devriez nous écouter, c’est sur le verrou de l’accord majoritaire.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission a repoussé ces amendements.

Monsieur Eckert, comme je l’ai déjà dit à la tribune, on ne peut pas appliquer au monde socio-économique les règles de la démocratie politique.

Vos craintes relatives au dumping se justifient sur le plan macro-économique : globalement, les entreprises ont intérêt, pour abaisser leurs prix de revient et être compétitives, à maintenir les salaires au niveau le plus bas possible ; mais sur le plan micro-économique, ce n’est pas vrai – et le bon niveau de réflexion, c’est l’entreprise.

Nous souhaitons appliquer au temps de travail les règles de validation des accords que nous avons adoptées hier au titre I.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Avis défavorable également.

Sur les heures supplémentaires, Mme Lagarde a rendu publics tout à l’heure les chiffres tirés d’une étude de la DARES : le nombre moyen d’heures supplémentaires effectuées par salarié dans les entreprises de plus de 10 salariés a augmenté de 40 % en un an, puisqu’il est passé de 6,3 heures à 8,7 heures dans le trimestre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Monsieur Vidalies, la loi renvoie à l’accord, moyennant d’une part un encadrement, d’autre part l’indication d’une règle supplétive – le décret. C’est l’application d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il n’y a pas de déclassement au profit du décret. D’ailleurs, le contingent est aujourd’hui fixé par le décret.

Vous m’aviez dit à plusieurs reprises, avec beaucoup d’assurance, que le texte de recodification du code du travail serait forcément rejeté par le Conseil constitutionnel…

M. Roland Muzeau – Il n’a pas été saisi !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – On sait que M. Bertrand, lui, ne pèche jamais par excès d’assurance…

Bas les masques ! Depuis plusieurs années, vous avez entrepris de déshabiller le code du travail – avec une certaine finesse, mais cela ne suffit pas à tromper les Français. Je siégeais ce matin dans une commission d’endettement qui examinait le cas de cinq locataires ; je les ai interrogés sur la manière dont les dispositions sur les heures supplémentaires s’étaient traduites pour eux depuis le début de l’année. La prochaine fois, vous pourrez m’accompagner, Monsieur le ministre !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Venez donc dans ma circonscription !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Vous tenez donc une permanence, comme député, dans votre circonscription ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Je tiens une permanence tous les samedis !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Voilà qui me rassure… Pourquoi vous fâchez-vous chaque fois que nous évoquons le sort des Français ? Nous faisons simplement état de la situation de nos territoires !

Sur ces cinq personnes, aucune n’a effectué la moindre heure supplémentaire

M. Benoist Apparu – Bel échantillon statistique !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Si leur salaire a changé, c’est du seul fait de la réduction fiscale dont bénéficient les heures requalifiées. J’ai du reste suggéré à trois d’entre elles de saisir le conseil de prud’hommes.

D’autre part, je conteste vos chiffres (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Ils émanent de la DARES !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Vous ne cessez de manipuler les chiffres, les dissimulant en cas de baisse, vous félicitant à la moindre hausse ; mais nous verrons ce qu’il en sera dans un an, lorsque votre majorité devra rendre des comptes aux Français !

En outre, vous semblez vouloir rompre avec le rôle protecteur que jouent, dans un État de droit, la hiérarchie des normes et les règles sociales – rôle qui devrait pourtant être réaffirmé chaque fois que l’on adapte ces dernières à une évolution économique. Ce n’est pas mettre en cause le salarié ou l’employeur que d’affirmer que le déséquilibre inhérent à leur relation n’est pas compensé de la même manière au niveau de l’entreprise et au niveau de la branche, puis au niveau de la loi – nationale, voire internationale. Nous, législateurs, sommes les régulateurs suprêmes du rapport social, et la régulation des rapports sociaux par des normes de rang hiérarchique différent garantit la cohésion sociale ! En d’autres termes, en abaissant le niveau de fixation de la norme, vous faites peser des contraintes supplémentaires sur les salariés. Cela est grave, et nos compatriotes s’en apercevront au fil des mois, car nul ne peut accepter de vivre dans une société qui légitime l’injustice des rapports sociaux.

Mon expérience des conseils de prud’hommes le confirme : quels que soient les intérêts défendus par les parties en présence, le rapport contractuel est par nature inégalitaire. Ayant été moi-même employeur et salarié, je n’en tiens rigueur ni aux uns ni aux autres. Mais au lieu d’élaborer des instruments qui finiront par porter préjudice à la partie la plus faible, nous devons garantir la bonne régulation des rapports sociaux, y compris par leur contractualisation au niveau de l’entreprise. Tel est le sens de la durée légale du travail, que vous êtes trop habile pour réformer frontalement, mais que vous vous apprêtez à rendre incompréhensible – notamment pour les employeurs, qui s’en inquiètent (Approbation sur les bancs du groupe SRC) –, afin de mieux préparer la suppression de tout instrument de régulation. Les décrets que vous invoquez n’y changeront rien !

M. Jean Mallot – Nous sommes au cœur du débat. Le ministre s’est empressé de dissimuler les données statistiques dont il vient de faire état, de peur que nous ne lui demandions d’en dire plus. De fait, plusieurs éléments montrent au contraire que le Gouvernement a élaboré l’été dernier une belle usine à gaz !

Ainsi, selon le bilan publié il y a une semaine par l’ACOSS – que l’on ne peut soupçonner d’être moins bien informée que Mme Lagarde –, le système s’essouffle. Après avoir augmenté au cours du dernier trimestre de l’année 2007, le recours aux heures supplémentaires a diminué en janvier et février 2008 ; dans les entreprises de plus de dix salariés, il n’a augmenté que de 2 % de mars à avril. Enfin, rapportées aux effectifs des entreprises qui ont recours au dispositif, les 44 millions d’heures supplémentaires effectuées en avril ne représentent que cinq heures par salarié et par mois, soit 53 euros mensuels pour un salarié payé au SMIC – sauf pour ceux, majoritaires, qui effectuaient déjà des heures supplémentaires avant l’entrée en vigueur de la loi, et dont le gain est limité à la différence entre le brut et le net, c’est-à-dire, en l’espèce, à un peu plus de 10 euros par mois !

Quant à la défiscalisation, on l’attend encore ; à cet égard, je rappelle qu’un Français sur deux ne paye pas l’impôt sur le revenu. En outre, l’intégration des heures supplémentaires au revenu fiscal de référence aura des conséquences sur les abattements liés aux impôts locaux et pénalisera certains bénéficiaires d’allocations ou de la PPE, auxquels on retirera donc d’une main ce qu’on leur donnera de l’autre !

Les amendements 351 et suivants, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Cette nouvelle série d’amendements, 366 et suivants, concerne également la hiérarchie des normes. Monsieur le ministre, s’agissant de la recodification du code du travail, vos explications ne m’ont guère convaincu. Pourquoi ce qui relevait hier du domaine législatif appartiendrait-il aujourd’hui au domaine réglementaire ? Le législateur, disiez-vous alors, pourra s’en remettre au décret sans risquer la sanction du Conseil constitutionnel. Mais ici, il ne s’agit plus d’un renvoi, c’est un véritable abandon au profit du pouvoir réglementaire et – nous y reviendrons – de la négociation collective.

En outre, s’agissant de la recodification du code du travail, si le Conseil constitutionnel vous a finalement donné raison – sous réserve d’une interprétation analogue à la nôtre –, c’est après que l’opposition vous a amené à réintégrer 150 articles à votre projet !

Quant au débat sur les 35 heures, vous faites mine d’avoir toujours combattu la réduction du temps de travail, contre laquelle vous n’auriez cessé de mettre l’opinion publique en garde. Mais que proposiez-vous en 1997, au moment des élections législatives, pour lutter contre le chômage de masse ? Est-ce nous qui avons adopté la loi de Robien, dont le coût par emploi créé était cinq fois supérieur à celui des lois Aubry ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Yves Fromion – Il n’y avait pas d’obligation !

M. Alain Vidalies – Ne réécrivez pas l’histoire ! Je vais vous rafraîchir la mémoire par quelques citations. Voici tout d’abord une belle formule de Philippe Séguin, qui écrivait en 1994 dans Ce que j’ai dit : « L’idée de partage du travail est à la hauteur de ce beau mot de partage » (Rires sur divers bancs). Ne vous incite-t-elle pas à revoir votre conception du partage du travail ? Ne soyez pas mesquins !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Votre montre s’est arrêtée il y a quinze ans, Monsieur Vidalies ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Alain Vidalies – Je ne fais que citer vos amis ! En 1995, Alain Juppé déclarait ici même que « réduire et mieux organiser le temps de travail, c’est donner un souffle nouveau et durable à la consommation » ! Souvenez-vous en et rejoignez-nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Au forum de Davos en 1998, M. Strauss-Kahn déclarait quant à lui que le patronat, les économistes, les syndicats et le Gouvernement s’accordaient au moins sur un point : la loi sur les trente-cinq heures ne créerait des emplois qu’à la condition que la compétitivité des entreprises n’en soit pas affectée.

M. Jean Mallot – Elle a créé 450 000 emplois !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail En échange de quatre heures de temps libre supplémentaire, poursuivait-il, les salariés devraient accepter soit un quasi-gel de leur salaire pendant plusieurs années, soit davantage de flexibilité du travail dans l’entreprise.

M. Roland Muzeau – Ils ont eu les deux !

M. Alain Vidalies – Je cite un chef d’entreprise interrogé par Le Monde de l’économie le 13 avril 1999 : « L’accord de branche prévoit 130 heures supplémentaires par salarié, et cela peut être majoré de 45 heures dans le cadre d’un accord d’entreprise. Je vais donc proposer à mes salariés 35 heures payées 35, auxquelles se rajouteront trois heures supplémentaires. J’arriverai donc à 38 heures de travail dont le coût, compte tenu des majorations applicables aux heures supplémentaires, reviendra à 38,75 heures. Je paierai donc 38 heures au prix de 39, et je récupèrerai cette heure perdue grâce aux gains de productivité dus à une meilleure utilisation des équipements, notamment le samedi ». C’était signé : Guillaume Sarkozy.

M. Pierre Méhaignerie – Voilà pourquoi le pouvoir d’achat des salariés n’a pas progressé.

M. Pierre-Alain Muet – Il a considérablement augmenté entre 1997 et 2002. M. Strauss-Kahn avait raison : la négociation a imposé des contreparties aux entreprises concernées, qui durent s’engager à créer 7% d’emplois pour une réduction du temps de travail de l’ordre de 10%, et modérer l’augmentation salariale pour ne pas compromettre leur compétitivité. Or, celle-ci s’est améliorée au cours de ces cinq années ! De ce fait, la France a connu une inflation moindre que ses partenaires et un excédent commercial de l’ordre de 20 milliards – qui a malheureusement disparu en 2003 pour se transformer en déficit record l’an dernier. La modération salariale consécutive aux lois Aubry n’a pas privé les ménages d’une hausse de leur pouvoir d’achat, au contraire : celui-ci a augmenté de 3% par an entre 1997 et 2002, pour l’essentiel grâce aux créations d’emploi. Jamais vous n’avez atteint un tel résultat ; aujourd’hui, il baisse.

En favorisant le recours aux heures supplémentaires, vous espérez que les entreprises augmenteront la durée du travail, plutôt que d’embaucher. Vous vous trompez, comme le prouve votre récente révision à la baisse des estimations que vous aviez produites lors de l’entrée en vigueur de la loi TEPA – de 900 à 750 millions d’heures travaillées. L’augmentation du volume horaire, même si elle avait lieu, nuirait à l’emploi. Le nombre total d’heures travaillées en France a toujours diminué, sauf entre 1997 et 2002, car la création d’emplois a largement compensé alors la réduction du volume horaire hebdomadaire.

Hélas, aujourd’hui, les résultats obtenus grâce aux heures supplémentaires seront perdus pour l’emploi. L’examen des statistiques relatives au nombre total d’heures travaillées démontre que le slogan « travailler plus pour gagner plus » est voué à l’échec.

M. Roland Muzeau – Très bien.

M. Christophe Sirugue – Il va de soi que les mesures de réduction du temps de travail ne suffisent pas à elles seules à relancer la dynamique économique. D’autres éléments sont à prendre en compte, tels que le temps de loisirs ou la vitalité du dialogue social. C’est parce que les lois Aubry l’ont fait qu’elles ont entraîné la création de 300 à 400 000 emplois, ne vous en déplaise. Entre 1997 et 2002, l’augmentation du taux de création d’emplois, bien plus élevée que chez nos voisins, atteignait 2 % par an, contre 0,7 % avant et 0,5 % depuis. Dès lors, comment pouvez-vous prétendre que la réduction du temps de travail freine la croissance économique ? C’est entre 1998 et 2002 que la croissance a été la plus rapide, supérieure de plus d’un point au taux actuel !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Vous doit-on la croissance mondiale de l’époque ?

M. Christophe Sirugue – Débarrassez-vous enfin de votre réflexe pavlovien d’allergie aux trente-cinq heures. Les faits montrent que l’on peut développer la productivité et l’attractivité de nos entreprises tout en adoptant un projet de société qui respecte les droits des salariés !

M. Jean Mallot – L’amendement 369, identique, vise à rétablir l’indispensable hiérarchie des normes qui nous évite de susciter le dumping social. À défaut, l’accord d’entreprise prendrait le pas sur l’accord de branche – dont M. le rapporteur a lui-même reconnu qu’il était le niveau auquel les négociations relatives au temps de travail doivent avoir lieu.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Pas du tout !

M. Jean Mallot – Comment défendra-t-il ses propositions en matière de pénibilité du travail, si la majorité – Nouveau centre compris – s’évertue à instaurer un tel système ? Croyez-vous vraiment que les entreprises aménageront les postes de travail pour réduire la pénibilité, comme vous le suggérez, dès lors qu’elles seront en concurrence constante les unes avec les autres ? Quant à la généralisation de la gestion prévisionnelle des carrières afin d’accompagner l’évolution des parcours professionnels, c’est une proposition de bon sens, Monsieur le rapporteur, mais les entreprises se heurteront aux coûts induits, a fortiori dans une situation de dumping social !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Pas forcément !

M. Jean Mallot – Au motif d’adapter l’économie française à la mondialisation, vous enclenchez un nivellement par le bas des normes sociales, au point qu’elles seront bientôt comparables à celles de certains pays en développement.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – À quoi servent les heures supplémentaires dès lors que la production et le pouvoir d’achat stagnent tous deux ? Reprenons les statistiques de la DARES que vous venez de citer, Monsieur le ministre.

La moyenne est de 2 heures 40 par trimestre, soit 10 heures 40 par an. D’un autre côté, le contingent est passé de 130 heures supplémentaires en 2003 à 220 heures aujourd’hui. Est-ce qu’avec 10 heures 40 travaillées par an, vous pensez vraiment avoir besoin d’un contingent de plus de 220 heures ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Voilà votre erreur : vous taillez le même uniforme à tout le monde !

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Vous souhaitez élargir le cadre, mais les limites de celui qui existe sont encore loin d’être atteintes. Vous dites aussi vouloir davantage d’heures supplémentaires pour générer de la croissance et du pouvoir d’achat, alors que c’est le manque de productivité qui fait que notre croissance est faible et que les entreprises ne recourent pas aux heures supplémentaires. Le recours aux heures supplémentaires dépend de l’activité et ne se décrète pas !

M. Benoist Apparu – Il n’y a alors aucun problème à ce qu’on augmente le contingent !

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Ayant travaillé en entreprise, je peux comprendre qu’il y ait des besoins en période de grosses commandes, mais le contingent actuel est suffisamment important,…

M. Benoist Apparu – Pas partout !

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Enfin, j’ai avec moi un communiqué de l’UPA, qui demande la mise en place rapide du dialogue social dédié aux petites entreprises dans le cadre de ce projet de loi.

M. Benoist Apparu – C’est ce que nous avons voté !

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Sur toutes les questions dont nous débattons, les TPE, qui sont les entreprises les plus créatrices d’emplois, sont effrayées de cette accumulation de textes qui se contredisent en partie les uns les autres.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Monsieur Muet, nous devons, les uns et les autres, faire preuve d’un peu d’humilité (Interruptions sur les bancs du groupe SRC). Entre 1997 et 2002, vous savez quel était le niveau du dollar et le prix du pétrole. Or, entre cette période et la période 2002-2007, la France est restée au neuvième rang des quinze pays européens pour le taux de croissance. Cela montre bien que, malgré nos atouts, il y a des faits incontournables.

À l’époque, j’étais dans l’opposition et Mme Aubry ne cessait de nous répéter : « Vous allez voir ce que vous allez voir ! » (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR), et que tous les pays européens finiraient par adopter les 35 heures. Et vous nous dites aujourd’hui que les emplois sont interchangeables ; pourtant, de nombreux emplois, dans l’industrie ou le bâtiment, ne sont pas pourvus. Enfin, je vous rappelle que les employés et les ouvriers ont été les grands perdants des deux septennats de M. Mitterrand ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe SRC).

M. Christian Eckert – Je voudrais revenir sur la subordination du salarié à l’employeur, sur ce droit de vie et de mort que possède l’employeur sur ses salariés (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), l’emploi étant un facteur essentiel de l’existence. Nous préconisons que les accords collectifs aient lieu au niveau des branches et non dans les entreprises, avec la loi qui, au sommet de la hiérarchie, doit protéger les salariés.

L’AFP – profitons de cette agence tant qu’elle existe, après que M. Lefebvre a annoncé un certain nombre de choses la concernant – a confirmé les chiffres que vous avanciez, Monsieur le ministre, à savoir 8,7 heures supplémentaires par trimestre, contre 6,4, c’est-à-dire 2,3 par trimestre, soit 48 minutes supplémentaires par mois. Si vous multipliez ce chiffre par le coût horaire et que vous y ajoutez encore la fabuleuse augmentation du SMIC que vous avez consentie, l’augmentation ne compense pas même l’inflation ! C’est pour cela que les travailleurs n’en peuvent plus. Ce n’est pas leur temps qu’ils comptent, mais leurs sous !

Pour conclure, je citerai, de nouveau, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, interrogé sur Radio-France le 28 janvier. Au journaliste Nicolas Demorand, qui lui demandait ce qu’il pensait de la formule « travailler plus pour gagner plus », il répondit : « Il faut que nous travaillions moins pour être plus heureux ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Mme Catherine Lemorton – Il serait intéressant d’examiner dans quelles conditions les heures supplémentaires ont été, au nom du « travailler plus pour gagner plus », acceptées par les salariés car, en vous écoutant défendre les accords de gré à gré, on pourrait croire que nous vivons au pays des Bisounours ! Au nom du pouvoir d’achat, vous érigez la concurrence en religion. Cet article aggrave le renversement de la hiérarchie des normes, ce qui conduira à une atomisation du droit en matière de temps de travail. Ce dernier constituera un élément de concurrence entre entreprises d’une même branche et encouragera le moins-disant social. C’est pourquoi nous demandons, par l’amendement 373, la suppression des mots « à défaut » à l’alinéa 2.

M. Pierre-Alain Muet – Monsieur Méhaignerie, la France a connu entre 1997 et 2002 une croissance moyenne de 3 %, tandis que celle de l’Europe était de 2,4 %. C’est la seule période où, tous les ans, la croissance française a été supérieure d’un demi-point en moyenne à la croissance européenne. On entend souvent dire, dans la majorité, que nous aurions bénéficié d’une croissance mondiale exceptionnelle. Or, celle-ci était légèrement inférieure à 3,5 %, alors qu’entre 2002 et 2007 elle a été de 5 % et que la France en était très loin, avec moins de 2 %. En 2007 encore, la croissance française – 2,2 % – était bien inférieure à celle de la zone euro. Il n’y a donc aucun moyen de démontrer, sur la base des données économiques, que les 35 heures ont nui à la croissance de la France, d’autant que nous avions, entre 1997 et 2002, des excédents extérieurs considérables et que nous réduisions les déficits et la dette. Il y a un fossé entre nos deux politiques.

M. Marc Dolez – L’alinéa 2 de l’article aggrave le renversement de la hiérarchie des normes qui conduira au dumping social. L’amendement 380 vise à supprimer les mots « à défaut » de cet alinéa afin de rétablir la hiérarchie et de rendre à la branche le rôle qui doit être le sien.

Même si nous n’entendons pas beaucoup nos collègues de l’UMP défendre ce texte, les deux rapports sont là pour nous éclairer. Ainsi, le rapport de la commission proclame, dès les premières pages, que notre modèle social va changer : tout un programme ! Aux pages 26 et 27, nous pouvons lire en effet qu’« il est désormais temps que la dérogation devienne la norme et que les entreprises puissent décider du régime qui leur convient le mieux. » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Cela ne m’étonne pas que vous trouviez cela « très bien », mais ce droit du travail est censé protéger les salariés et éviter que les employeurs fassent ce qu’ils veulent.

Je poursuis la lecture du rapport.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Vous ne voudriez pas finir d’abord la phrase précédente ?

M. Marc Dolez – « En partenariat avec les salariés » (« Ah » sur les bancs du groupe UMP) Mais justement, les salariés ne sont pas les partenaires des employeurs ! Ils sont dans une relation de subordination juridique permanente, ils « louent leur force de travail ».

Plus loin, donc, le rapport explique que le projet de loi va redonner aux entreprises les moyens de négocier sur le temps de travail, et permettre aux salariés qui le souhaitent de s’accorder avec l’employeur pour le dépasser. Ce que vous appelez « s’accorder », c’est subir un chantage à l’emploi, le pistolet sur la tempe ! Et j’ai gardé le meilleur pour la fin : le titre II a ainsi pour objectif de limiter au « strict nécessaire le contenu des dispositions législatives du code du travail et de supprimer les clauses obligatoires contraignantes et les formalités administratives superflues qui y attachées »…

M. Jean-Paul Charié – C’est du bon sens !

M. Marc Dolez – C’est de la déréglementation généralisée ! Toute la philosophie de ce texte est résumée dans ces quelques extraits (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Je remercie vivement M. Mallot, qui désespère de me mettre en contradiction avec les conclusions de mon rapport sur la pénibilité au travail, et je lui confirme qu’il n’y arrivera pas. Nous avons des divergences sur de nombreux points. La première est que cet article 16 ne concerne pas la santé au travail.

Plusieurs députés du groupe SRC – Mais si !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Vous pouvez dire ce que vous voulez, ce n’est pas son objet (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). La deuxième, c’est que vous vous fondez sur une sorte d’incapacité des employeurs à comprendre d’eux-mêmes que leur intérêt est d’avoir dans des relations normales avec leurs salariés – c’est-à-dire des relations non pas égales, ne rêvons pas, mais partenariales, pour déterminer ensemble la meilleure façon de fonctionner. Vous prétendez qu’un salarié ne peut pas être le partenaire de son employeur. Les représentants syndicaux présents dans ces tribunes apprécieront. Si vous voulez récuser une bonne fois pour toute la notion de partenaires sociaux, faites-le savoir.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Les partenaires sociaux ne sont pas les salariés, mais les syndicats !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Je crois pour ma part en la possibilité d’une relation normale, et nous sommes Dieu merci un certain nombre ici à en avoir l’expérience. Il est de bon sens qu’une réglementation inutile, qui empêche le travail normal et met en péril la compétitivité de l’entreprise, soit réduite à son strict minimum. Ce minimum, c’est un certain nombre de seuils et de garanties pour les salariés, que la commission a déterminés. Nous ne sommes pas des forcenés du détricotage ni de la déréglementation, vous l’appelez, et vous n’êtes pas les défenseurs du seul système protecteur possible. Nous voulons trouver un équilibre, dans lequel les entreprises fonctionnent normalement et les salariés sont traités correctement. Ces amendements ne permettant pas d’atteindre cet objectif, la commission leur a donné un avis défavorable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Le Gouvernement aussi, bien sûr, mais je voudrais que l’opposition se rende compte, dans ce long débat où ses membres sont nombreux à intervenir pour tous dire la même chose, de l’image qu’elle finit par donner de l’entreprise. Les salariés auraient « le pistolet sur la tempe » et les employeurs un « droit de vie et de mort » sur eux. Ces propos sont absolument intolérables (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ils le sont déjà de la part d’un groupe d’extrême gauche, mais c’est bien pire dans cet hémicycle, dans la bouche de députés socialistes, qui font ainsi le lit d’opinions inacceptables (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). C’est le travail qui crée les richesses, et si vous voulez détruire le travail, il n’y aura plus rien à partager ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; vives protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Alain Vidalies – C’est à chaque fois la même chose (Rires sur les bancs du groupe UMP) : le Gouvernement fait des effets de manche plutôt que d’accepter le débat sur le fond. Ce qu’ont dit certains députés socialistes ne justifie pas qu’on mette en exergue une ou deux formules pour essayer de jeter l’opprobre sur eux. Et l’on ne trouvera jamais rien de plus offensant que ce que l’UMP a pu dire des 35 heures : voici, par exemple, une citation que je n’ai pas faite tout à l’heure pour ne pas envenimer le débat : « Si l’on n’avait pas arrêté de fabriquer des armements en 1936 grâce aux socialistes, on aurait eu des avions et des chars en 1939 et 1940. Les 35 heures, c’était un truc de vaincu. » Signé : Serge Dassault, sénateur UMP (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ; exclamations sur les bancs du groupe UMP).

MM. Jean-Pierre Dupont et Jean-Pierre Schosteck – C’est bien ce qui s’est passé ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Francis Vercamer – Les paroles dépassent quelquefois la pensée et l’on use de formules inappropriées. Mais c’est à M. Dolez que je voudrais répondre. La branche est certes un moyen de garantir une certaine sécurité au salarié, mais est-ce une raison pour dévaloriser les partenaires sociaux à l’intérieur des entreprises ? Vous vouliez donner, dans la première partie du projet de loi, le pouvoir aux salariés de désigner leurs délégués dans les branches et l’interprofession, et aujourd’hui vous nous dites que, de toute façon, ils ne savent pas se défendre et qu’on ne peut pas leur faire confiance ! Soyons raisonnables ! La branche est nécessaire, les négociations dans l’entreprise aussi. Il faut laisser une certaine liberté à l’entreprise, dans un cadre protecteur plus général, au lieu de tout bloquer en appliquant les mêmes mesures de protection à toutes les entreprises, ni, comme le voudrait peut-être l’UMP, tout faire régler à leur niveau. Il faut un équilibre – et l’équilibre, c’est une position centriste (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Nous avons l’habitude des manières de M. Bertrand et notre grand avantage, par rapport aux salariés, est que nous ne sommes pas dans une relation de subordination avec lui. Le ministre peut, en restant dans les limites de la courtoisie, dire exactement ce qu’il veut, y compris des contrevérités, mais nous pouvons lui répondre. C’est la grande différence avec la relation entre un salarié et son employeur. Et ça change tout !

Non, le salarié n’est pas le partenaire de l’employeur. Il est sous un lien de subordination qui donne autorité à l’employeur, jusqu’à pouvoir apprécier comment le salarié effectue son travail et décider de mesures disciplinaires, voire d’un licenciement. Et l’enjeu, pour l’employeur, n’est pas seulement de savoir comment il paye ses salariés et s’il leur donne des vacances : l’employeur défend aussi les intérêts de ses actionnaires, qui peuvent être contradictoires. Toute l’histoire économique montre cette réalité. C’est pourquoi le progrès consiste à encadrer ce lien de subordination, afin qu’on n’oublie pas l’intérêt du salarié. C’est comme cela qu’on a empêché que des gamins descendent à 12 ans dans les mines, et qu’on a réduit le temps de travail.

Je ne vous compare pas à ceux qui refusaient ces réformes, mais vous portez atteinte à ce qui les a permises. Vous donnez aux employeurs – au meilleur d’entre eux comme à celui qui se moque de l’intérêt des salariés – des instruments redoutables. L’accord de branche est établi par les partenaires sociaux, par des syndicats qui portent les intérêts communs et disposent de leurs propres instruments de combat, y compris le lock-out et la grève. C’est parce que chaque partie avait ses propres instruments – cela s’appelle la régulation – qu’on a pu construire l’équilibre social.

Ce que nous critiquons le plus, Monsieur le ministre, c’est que vous cassez l’instrument de la régulation sociale. Non parce que vous auriez l’intention de taper sur les salariés – encore que… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) L’amiante, qu’est-ce sinon l’illustration de ce qui se passe lorsque l’intérêt économique l’emporte sur tout, y compris sur la santé du salarié…

Mme Sylvia Bassot – Avec la bénédiction de la CGT !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Et permettez-nous d’être perplexes lorsque nous entendons le rapporteur dire que les heures supplémentaires n’auraient à voir avec la santé des salariés. Dans ce cas, pourquoi ne pas supprimer toute durée légale ? La santé du salarié est au cœur de toute la problématique du temps de travail, car il faut la préserver y compris, parfois, contre la volonté de l’intéressé. Vous appelez cela de la contrainte, mais lorsque vous interdisez aux gens de fumer, vous surmontez bien une liberté individuelle pour servir la liberté collective.

C’est pour tout cela que je persiste à déplorer que vous cassiez l’instrument de régulation. Demain, les pouvoirs publics, quels qu’ils soient, ne pourront pas empêcher les catastrophes. Et ce n’est pas de voir accourir le Président de la République dans telle usine qui va fermer ou d’entendre tel député pleurer aux questions d’actualité sur la fermeture des entreprises qui y changera quelque chose. Il ne sera pas temps, alors, de regretter d’avoir cassé la régulation sociale. Dans l’entreprise, même le meilleur des employeurs et le meilleur des salariés ne sont pas à égalité de situation. Tout le progrès républicain, c’est de ne l’avoir jamais oublié ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Roland Muzeau – Le petit effet de manche que le ministre s’est permis montre bien sa gêne quant au fond du débat. Après avoir trahi la parole donnée aux organisations signataires, il tente de reprendre pied en vous prétendant offusqué par certains propos tenus ici-même, notamment l’image du pistolet sur la tempe… Pour ma part, j’y aurais ajouté le couteau sur la gorge et l’épée au-dessus de la tête ! Car force est bien de constater que les exemples dramatiques se multiplient. Tous ceux qui tiennent une permanence en fin de semaine en savent quelque chose. Regardons ce qui s’est passé récemment chez Goodyear…

M. Benoist Apparu – Il ne faut pas généraliser !

M. Roland Muzeau – …après ce qui s’est passé chez Bosch. Lors de la consultation d’octobre dernier, plus des deux tiers des salariés avaient refusé le plan de réorganisation de l’entreprise. Naturellement, cela n’a pas plu à l’employeur, au point qu’il a organisé un référendum – du reste illégal – en formulant lui-même la question posée : « Pour la sauvegarde de votre emploi, acceptez-vous de changer l’organisation du temps de travail ? »

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Et voilà !

M. Roland Muzeau – Est-ce que ce n’est pas un pistolet sur la tempe, çà ? Où est le choix du salarié là-dedans ?

La relation historiquement établie entre le salarié et l’employeur, c’est le lien de subordination qu’a évoqué M. Le Bouillonnec, et c’est très bien comme cela : il est heureux qu’ils ne soient pas en cogestion ! Qu’est-ce qui protège le salarié ? C’est la loi. Qu’est-ce qui le rend vulnérable ? C’est l’accord de gré à gré. On n’est pas copain-copain dans une entreprise, même si on peut avoir les meilleures relations du monde avec son employeur. Contrairement à ce qu’avait laissé entendre le président Chirac, tous les patrons ne sont pas des voyous. C’est vous qui les diabolisez avec de tels textes…

Mme Marie-Anne Montchamp – C’est la meilleure !

M. Roland Muzeau – Vous donnez l’impression tout faire pour augmenter la conflictualité dans les entreprises. La dérégulation de la relation de travail, c’est la porte ouverte à tous les abus et à tous les contentieux. C’est vous qui incitez à un chantage permanent, chez Bosch, chez Goodyear et chez tant d’autres encore.

En feignant la colère, vous avez voulu couper court à un très intéressant débat. Mais ce n’est pas par un effet de manches que vous nous forcerez à passer à autre chose – même si, pour les effets de manches, je vous fais confiance.

M. Benoist Apparu – L’argumentaire de nos collègues socialistes me laisse souvent sans voix, pour ne pas dire muet. Vous vous placez en effet dans une contradiction permanente : d’un côté, vous affirmez que ce texte met en péril la santé des travailleurs parce qu’ils vont travailler plus ; de l’autre, vous prétendez que les heures supplémentaires, cela ne marche pas puisque les gens n’en font pas. Mais’il n’y a pas d’heures supplémentaires, comment va-t-on mettre en danger la santé des travailleurs ? (Applaudissements ironiques sur les bancs du groupe SRC)

Le ministre vient de donner les chiffres qui sont sortis ce matin : les heures sup, ça marche ! (Rires et interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean Mallot – Allez-y, continuez à vous enfoncer !

M. Benoist Apparu – Vous ne raisonnez que sur des moyennes, mais ce qui est intéressant, ce ne sont pas les moyennes. Ce qu’il faut considérer, c’est si certaines entreprises ont besoin d’heures supplémentaires alors que ce ne serait pas le cas dans d’autres. Vous aurez des accords dans des entreprises qui resteront à 130 heures, alors que d’autres auront besoin de monter à 220 heures. Laissez les entreprises en décider localement plutôt qu’au niveau de la branche.

M. Régis Juanico – Et la modulation, ça n’existe pas ?

Les amendements 366 à 380, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Je souhaite faire un rappel au Règlement sur le déroulement de nos séances d’hier et d’aujourd’hui.

A l’initiative du rapporteur, l’Assemblée a voté un amendement sur les effectifs, dont il me semble que tout le monde n’avait pas mesuré les conséquences et le cheminement. Très subtilement, le rapporteur s’est attaché à traiter une difficulté pendante devant la Cour de cassation, qui a de surcroît déjà nécessité l’intervention du Conseil constitutionnel. A la sortie de ce texte, dès lors que vous disposerez que les salariés sous-traitants doivent être présents dans l’entreprise depuis au moins un an pour être comptés dans les effectifs, vous aurez créé un système où il y aura moins de délégués du personnel et d’institutions représentatives qu’il n’y en a aujourd’hui.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – C’est faux.

M. Alain Vidalies – C’est un paradoxe extraordinaire ! Quel est le cheminement de cette affaire ? Cette tentative fort bien orchestrée vise à répondre aux difficultés d’un certain nombre de très grandes entreprises disposant de beaucoup de sous-traitants qu’ils refusent de prendre en compte dans leurs effectifs. Ils sont du reste allés jusqu’à la Cour de cassation à plusieurs reprises et la majorité a déjà tenté une fois de leur donner satisfaction, mais le Conseil constitutionnel a censuré le texte. Le véritable objet de l’amendement d’hier, c’est de diminuer le nombre des IRP et d’empêcher la Cour de cassation de tirer toutes les conséquences de la décision de 2006 du Conseil constitutionnel. A cette fin, vous modifiez la loi en catimini, via – et ce n’est pas le moins savoureux ! – un texte sur la démocratie sociale et la représentativité syndicale (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Monsieur Vidalies, nous avons déjà eu ce débat hier soir et nous n’allons donc pas le rouvrir cet après-midi. (M. Vidalies proteste) Reportez-vous à l’Analytique : tout a été dit hier soir.

Vous avez parfaitement le droit de dénoncer tel ou tel risque qui s’attacherait à l’adoption de cet amendement, pas celui de me faire un procès d’intention sur mes motivations pour le défendre. Je n’accepte pas que vous me prêtiez des intentions qui ne sont pas les miennes.

M. Jean Mallot – Seriez-vous manipulé ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Je vous ai exposé très clairement les raisons pour lesquelles je défendais cet amendement. J’ai tout aussi clairement annoncé la couleur en parlant du risque constitutionnel. Ne me prêtez pas d’arrière-pensée. J’ai dit tout ce qu’il y avait à dire au sujet de cet amendement.

M. Alain Vidalies – Alors, le hasard fait vraiment bien les choses !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Monsieur Vidalies, vous connaissez évidemment la règle telle que l’interprètent aujourd’hui le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. Une seule question : est-ce appliqué ou pas ?

M. Alain Vidalies – Ce n’est pas appliqué.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Merci de le préciser. Par conséquent, l’adoption du présent texte n’aboutira pas à ce qu’il y ait moins de délégués du personnel et moins de comités d’entreprise…

M. Alain Vidalies – Je le conteste !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Libre à vous, mais vous venez vous-même de confirmer à l’instant qu’il n’y aura pas moins d’IRP. Pourquoi ? Parce que la règle juridique telle qu’elle a été posée n’est pas appliquée. Au reste, est-elle applicable ? Voilà la vraie question, et voilà pourquoi nous avons donné un avis favorable à l’amendement du rapporteur. S’agissant des sous-traitants, pouvez-vous, Monsieur Vidalies, me dire si la règle est vraiment appliquée ? Les sous-traitants donnent-ils bien la liste de leurs salariés aux donneurs d’ordres ? Vous avez-vous la réponse et voilà pourquoi l’amendement du rapporteur revêt une importance particulière au plan juridique.

Ce qui importe, c’est que la jurisprudence repose aujourd’hui sur la notion de communauté de travail, laquelle est difficilement opérationnelle, tant pour les entreprises que pour les syndicats. Pour rendre les règles plus applicables, l’intervention du législateur s’imposait, et voilà pourquoi cet amendement était nécessaire.

M. Alain Vidalies – Je vous remercie, Monsieur le ministre, de la clarté de votre réponse. En réalité, nous partageons le même constat sur la gravité de la décision qui a été prise hier soir. La notion de communauté de travail est actuellement au cœur du problème, mais il s’agissait de définir à partir de quand, dans une entreprise – en particulier lorsqu’il y a plusieurs milliers de salariés présents en permanence sur le site, comme dans l’automobile – on prend en compte les sous-traitants pour déterminer le nombre de délégués du personnel à désigner ou les moyens à affecter au CE. Cela pose aussi la question des seuils.

Comme vous avez eu l’honnêteté de le reconnaître, vous avez déjà essayé de traiter le problème, mais ne nous dites pas que vous avez agi hier par inadvertance, sans connaître les conséquences de votre décision.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Je n’ai pas dit cela.

M. Alain Vidalies – Que dit le ministre aujourd’hui ? L’ensemble de ces grandes entreprises et de leurs dirigeants expliquent depuis des années que la loi est difficilement applicable. Puisqu’elles n’y arrivent pas, le Gouvernement propose tout simplement de changer la loi, et tant pis pour les salariés !

Je remercie le ministre d’avoir clairement dit quelle était l’intention du Gouvernement. Pour notre part, nous combattons avec la plus grande force cette initiative, contradictoire avec le texte que nous examinons et qui aura de très graves conséquences en matière de nombre de représentants du personnel.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – C’est faux !

M. Alain Vidalies – Comme on a du mal à appliquer la loi, la seule solution est de la mettre en conformité avec la réalité : voilà votre seul argument. Les intéressés viennent seulement de découvrir ce qui a été fait hier soir. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Je souhaite seulement que chacun soit informé de la gravité de cette initiative.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Monsieur Vidalies, ce n’est pas seulement nous qui souhaitons clarifier la situation. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 28 décembre 2006, invitait le législateur à prendre ses responsabilités. Des entreprises essaient de mettre en œuvre la notion de communauté de travail, mais n’y parviennent pas tant cette notion est vague. Je ne comprends pas que vous n’ayez pas fait référence à cette décision du Conseil constitutionnel que vous avez pourtant sous les yeux…

M. Alain Vidalies – Le Conseil constitutionnel, dans cette décision, dit exactement que le législateur « ne pouvait limiter le corps électoral aux seuls salariés liés par un contrat de travail » – ce qui signifie qu’il faut prendre en compte également les sous-traitants. Et comme cela, vous ne le voulez pas, vous inscrivez l’inverse dans la loi. Voilà la vérité.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Monsieur Vidalies, vous vous plaisez à faire parler le Conseil constitutionnel par anticipation et à nous menacer de sa censure…

M. Alain Vidalies – C’est le travail de l’opposition.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Non, le travail de l’opposition est aussi de faire des propositions. Vous semblez n’avoir pas lu entièrement le manuel de l’opposant (Protestations sur les bancs du groupe SRC). J’ai été dans l’opposition dans diverses assemblées – vous pourrez en parler avec M. Balligand.

Il fallait proposer une définition plus précise de cette notion trop vague. Que vous lisiez avec conviction la décision du Conseil constitutionnel ne change rien à la nécessité d’avoir adopté cet amendement du rapporteur par lequel nous avons pris nos responsabilités. Vous n’êtes pas d’accord : c’est votre droit. Nous, nous avons choisi de ne pas nous dérober.

M. Régis Juanico – Voilà qui au moins est clair !

La séance, suspendue à 17 heures 20, est reprise à 17 heures 40.

Mme Martine Billard – Le porte-parole de l’UMP nous a expliqué qu’avec cette loi, les entreprises pourraient tout aussi bien ne pas utiliser les heures supplémentaires qu’en faire faire 220 – c’est-à-dire le contingent légal actuel : si ce n’était que cela, il ne serait pas utile de modifier la loi. Le Gouvernement vient d’ailleurs de nous dire que le nombre moyen d’heures supplémentaires effectuées était de 8,7 heures par trimestre ; le contingent de 220 heures permettant d’en faire 55, la loi actuelle peut sembler largement suffisante.

Mais on nous a déclaré aussi que dans certains cas particuliers, il fallait pouvoir aller plus loin. Trois branches sont apparemment visées : le bâtiment, l’agro-alimentaire et l’hôtellerie-restauration. Dans cette dernière, le contingent conventionnel est déjà de 360 heures, ce qui permet de travailler 43 heures par semaine : on n’est pas loin de la limite de 44 heures fixée par le code du travail en moyenne hebdomadaire annuelle.

Alors pourquoi cette loi ? Parce qu’elle va permettre de supprimer le contrôle de l’inspection du travail et l’information du comité d’entreprise ou des délégués du personnel ! Or la protection des salariés est indispensable.

111 à la suite

Pour que les relations au sein de l’entreprise soient pacifiées, encore faut-il qu’elles soient équilibrées, chaque partie ayant des droits, mais aussi des devoirs. Voilà pourquoi nous critiquions tout à l’heure le terme de « partenaires », car le salarié n’est pas lié à l’employeur par un partenariat, mais par un lien de subordination. Ainsi, si l’employeur peut sanctionner un salarié qui ne respecterait pas les obligations qui lui incombent, le salarié ne peut faire de même, même lorsque l’employeur mène l’entreprise à la faillite !

Par l’amendement 115, nous proposons donc de rétablir l’obligation d’informer le comité d’entreprise – ou, à défaut, les délégués du personnel – et l’inspecteur du travail, car c’est là le meilleur moyen de protéger les salariés. À l’heure actuelle, certaines heures supplémentaires ne sont pas déclarées, même si les salariés qui les effectuent le sont : le travail non déclaré ne concerne pas seulement – tant s’en faut – les sans-papiers ! Mais les salariés peuvent solliciter l’inspection du travail pour recouvrer leur droit à ne pas effectuer les heures supplémentaires si elles ne sont pas déclarées, ou à bénéficier en contrepartie d’une rémunération ou d’un repos compensateur.

En supprimant cette obligation d’information, on risque de faire régner l’arbitraire dans certaines entreprises et d’entretenir le flou dont chefs d’entreprises et salariés ont déjà coutume d’entourer leur salaire et le nombre d’heures supplémentaires qu’ils effectuent – que le comité d’entreprise ou les délégués du personnel pouvaient jusqu’à présent estimer, du moins lorsqu’elles étaient déclarées.

Enfin, pourquoi travailler plus…

Mme Isabelle Vasseur – Pour gagner plus !

Mme Martine Billard – … sinon pour produire davantage d’objets propres à satisfaire nos besoins ? Or le temps de travail nécessaire à la production a nettement diminué depuis le début du xxe siècle. Mais notre système économique produit des objets inutiles ou dont la durée de vie est limitée par leur mauvaise qualité. Tel est l’enjeu du débat : quel système de production, quel système de consommation ? Aux yeux des Verts, si nous produisions des biens plus durables et plus utiles, nous n’aurions pas besoin de travailler plus, mais moins !

M. Benoist Apparu – Vous oubliez les services !

Mme Martine Billard – Pas du tout : ce n’est pas contradictoire !

M. Roland Muzeau – L’amendement 258 tend également à rétablir, en cas de dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires, l’information et le contrôle de l’inspecteur du travail, indispensables à la protection des salariés ; même si le système actuel n’est pas satisfaisant…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Ah !

M. Roland Muzeau – …il a le mérite d’exister. Les nombreuses heures supplémentaires non déclarées n’entraînent aucune compensation financière pour les salariés. Je citais hier l’exemple de Renault Technocentre, où 95 % des heures effectuées par la moitié des salariés et des techniciens ne sont pas déclarées, en toute impunité. De même, selon une étude européenne, 74 % des salariés français qui effectuent des heures supplémentaires déclarent ne toucher aucune contrepartie. Or, au lieu de faire en sorte que ces heures soient mieux payées ou de faire respecter les dispositions d’ordre public social – c’est-à-dire l’obligation de repos compensateur –, vous ouvrez les vannes de la dérégulation, mettant fin à l’obligation de contrôle par l’inspection du travail et d’information du comité d’entreprise ou des délégués du personnel. Ainsi, la valeur travail n’est qu’un leurre qui masque la normalisation d’une nouvelle forme de servitude.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable à ces amendements. Le projet tend précisément à lever l’obligation d’autorisation administrative…

M. Roland Muzeau – Mais pourquoi ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Elle date du début des années 1980 - c’est-à-dire d’une époque où le partage du travail avait meilleure presse qu’aujourd’hui – et constitue désormais une contrainte. Vous l’avez dit vous-même : le fonctionnement actuel de l’inspection du travail n’est pas adapté aux besoins ; voilà pourquoi, comme je l’ai rappelé hier, le Gouvernement mène jusqu’en 2010 la campagne active de recrutement d’inspecteurs lancée par le gouvernement précédent et entend recentrer leurs missions, conformément au rapport Larcher, sur les conditions de travail et sur la santé.

D’autre part, s’agissant de l’information des représentants du personnel, je présenterai tout à l’heure un amendement qui devrait satisfaire vos préoccupations.

M. le Président – Sur le vote de l’amendement 115, je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Avis défavorable à ces amendements. Nous ne supprimons pas les contrôles de l’inspection du travail, mais la formalité liée aux dépassements.

M. Roland Muzeau – La formulation est habile ; mais si l’on supprime les contrôles de vitesse, d’alcoolémie et si l’on cesse de s’assurer du respect de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, comment fera-t-on respecter la loi et les droits de ceux qui en sont victimes ?

M. Benoist Apparu – Il ne s’agit pas des contrôles, mais de l’autorisation préalable !

M. Roland Muzeau – Je l’ai dit, le système n’est pas satisfaisant, mais il a le mérite d’exister ; il est donc dangereux de le supprimer.

Mme Martine Billard – Monsieur le ministre, les deux amendements concernent l’information, et non l’autorisation préalable.

Monsieur le rapporteur, vous évoquez un amendement ultérieur sur les institutions représentatives du personnel, mais nous souhaitons que l’inspection du travail soit elle aussi informée. Les missions des inspecteurs seront recentrées, dites-vous, sur la santé et les conditions de travail ; mais, à nos yeux, le nombre d’heures travaillées rejaillit sur ces dernières, qui varient selon que l’on travaille 35 ou 44 heures par semaine, ou selon un forfait jours dont les 11 heures de repos obligatoire constituent la seule limite ! Voilà pourquoi es inspecteurs du travail doivent être tenus informés du nombre d’heures supplémentaires effectuées.

Or, souvent, ces heures ne sont pas déclarées. Selon une enquête portant sur plusieurs pays européens, 24 % des salariés français déclarent en effectuer au moins 50 par mois, sans compensation, et 34 % en effectuent entre 40 et 49 dans les mêmes conditions. Neuf fois sur dix, les plaintes déposées auprès des conseils de prud’hommes le sont pour non-paiement des heures supplémentaires ! La défense des salariés, qui doivent être rémunérés pour toutes leurs heures supplémentaires – y compris en cas de dépassement –, exige que l’inspection du travail soit informée et puisse effectuer des contrôles.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Le texte supprime l’obligation d’autorisation préalable, non la possibilité de contrôle. Comment maintenir une autorisation préalable s’agissant d’heures trop souvent – hélas – non déclarées ?

Mme Martine Billard – Donc, vous supprimez tout ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Non, pas la possibilité de contrôler que les heures supplémentaires sont effectuées dans les conditions prévues par le droit !

S’agissant de la santé, nous avons eu, Madame Billard, l’occasion d’en discuter à propos de la pénibilité au travail ; je répète ce que je disais tout à l’heure à M. Le Bouillonnec : le texte ne modifiant aucun des plafonds actuellement en vigueur, il n’aura aucune incidence sur cette question certes essentielle.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Madame Billard, je vous mets au défi de citer un seul article du code du travail relatif au contrôle que nous supprimerions.

Mme Martine Billard – Il s’agit de l’information !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Vous avez parlé de contrôle. Soyons précis ! Nous assumons la suppression de l’information et de l’autorisation préalable, véritable parcours du combattant, mais nous ne touchons pas au contrôle.

Mme Martine Billard – Monsieur le ministre, je vous ai dit tout à l’heure que l’amendement portait non sur le contrôle, mais sur l’information. Vous reconnaissez donc que j’avais raison.

À la majorité de 43 voix contre 20 sur 63 votants et 63 suffrages exprimés, l’amendement 115 n’est pas adopté.

L’amendement 258, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. Francis Vercamer – L’amendement 221 tend à préciser qu’au-delà du contingent annuel de 220 heures, toute heure supplémentaire s’effectue sur la base du volontariat, afin qu’un éventuel refus du salarié ne soit pas considéré comme une faute grave. L’amendement 222 a le même objet, à cette différence près que le seuil au-delà duquel le volontariat est applicable sera fixé par l’accord collectif.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable. Dans certaines branches professionnelles, le contingent dépasse 220 heures. Faisons confiance aux partenaires sociaux : ils pourront adopter ou non le principe du volontariat au cours de leurs négociations.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Même avis. Le projet de loi n’exclut pas le volontariat, mais ne doit pas non plus se substituer à la négociation en l’imposant. Certains secteurs tels que l’hôtellerie et la restauration, où le contingent atteint 360 heures, se heurteraient à un risque de désorganisation.

M. Francis Vercamer – D’où mon amendement 222 !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Il est préférable de laisser toute liberté aux uns et aux autres de négocier.

M. Francis Vercamer – Soit. Je retire ces amendements (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

Les amendements 221 et 222 sont retirés.

M. Roland Muzeau – L’amendement 260 précise que le refus d’exécuter des heures supplémentaires ne constitue ni une faute ni, a fortiori, un motif de licenciement. En effet, cette réforme est un leurre qui ne permettra pas à ceux qui travaillent plus de gagner plus, puisqu’elle ne desserrera pas l’étau des heures supplémentaires contraintes, dont l’employeur décide seul, et qui sont imposées dans de nombreuses entreprises pour les besoins de la production. De fait, les heures supplémentaires régies par le volontariat sont l’exception.

Dès lors, les salariés modestes de la France qui se lève tôt subiront vos mesures de plein fouet. De surcroît, l’allongement du temps de travail affectera les salaires, tirés vers le bas, ainsi que l’embauche et les conditions de travail. Notre amendement est nécessaire à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs !

Mme Martine Billard – L’amendement 116 a le même objet. Si le partenariat dont vous parlez tant avait une quelconque réalité en matière d’heures supplémentaires, l’employeur proposerait et le salarié disposerait. Or, ce n’est jamais le cas : l’employeur décide toujours. Le recours aux heures supplémentaires dès lors que le contingent est fixe et que le repos compensateur est obligatoire en cas de dépassement se conçoit pour faire face à un afflux brutal de la demande – et les salariés s’y soumettent volontiers. Néanmoins, en l’absence de contingent légal, les salariés pourront être privés de repos compensateur et soumis à des heures supplémentaires obligatoires selon l’accord signé dans l’entreprise. À défaut de prévoir une possibilité de refus, vous aggraverez les risques pour la santé au travail.

Pourquoi ne pas appliquer le volontariat envisagé pour le travail du dimanche aux heures supplémentaires ? En fonction de son état de santé, de ses engagements familiaux ou sociaux, le salarié pourrait ainsi refuser d’effectuer trop d’heures supplémentaires. Sinon, vous créerez un déséquilibre aux dépens du salarié et à l’avantage de l’employeur.

En outre, le maintien du caractère obligatoire des heures supplémentaires réduit la possibilité d’embauche ou de passage à temps plein des salariés à temps partiel subi.

Nombreux sont les députés de la majorité qui prétendent à l’envi que les salariés peuvent refuser d’effectuer des heures supplémentaires. Le moment est venu de mettre vos paroles en cohérence avec vos actes : votez ces amendements !

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Nos amendements 381 à 395, identiques, tendent à établir le cadre juridique des heures supplémentaires ouvrant la possibilité d’un refus pour les salariés.

Au fil des textes, vous augmentez la flexibilité et négligez la sécurité. Avec ces amendements, votre texte prendra une portée symbolique qui ne manquerait pas de profiter au Gouvernement, par ailleurs engagé dans la confection de textes qui précariseront la situation des salariés – qu’il s’agisse du travail du dimanche ou des droits et devoirs des demandeurs d’emploi.

Le moral des ménages est au plus bas. L’indice de confiance de l’INSEE a établi son sixième record de faiblesse consécutif, en dépit de vos nombreuses tentatives de modernisation dont, selon M. Georges Hatchuel, directeur adjoint du CREDOC, les Français ne voient que les désordres qu’elles provoquent. N’est-il pas temps de rassurer nos concitoyens qui s’inquiètent de perdre leur emploi s’ils refusent d’effectuer des heures supplémentaires ? Comment les quatre millions de salariés des très petites entreprises pourront-ils refuser à leur patron – même s’il est de bonne foi – de lui rendre ce service ? Adoptons cet amendement qui offre un espace de liberté aux salariés. À défaut, leur santé et leur sécurité en pâtiront et, comme souvent, les femmes seront en première ligne !

Mme Catherine Lemorton – À en croire cet article, salariés et employeurs seraient partenaires. Au contraire : leur rapport est fondamentalement déséquilibré. Par souci de cohésion sociale, l'Assemblée nationale doit protéger le plus faible.

Songez aux 3 000 salariés de SFR qui, en mai 2007, ont appris par courrier électronique l’externalisation de leur centre d’appel vers la société Infomobile, filiale de Vivendi à qui M. Sarkozy, alors ministre de l’économie, avait octroyé le régime du bénéfice mondial consolidé – preuve de la bonne santé du groupe. Lesdits salariés reçurent une offre de maintien d’emploi chez Infomobile entraînant une baisse de 25 % de leur rémunération ; beaucoup acceptèrent. Est-ce cela que vous nommez partenariat ? Vous le voyez : il faut permettre aux salariés de refuser les heures supplémentaires (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable. La jurisprudence prévoit les cas où le refus du salarié d’effectuer des heures supplémentaires est justifié, par exemple lorsqu’il n’en est pas prévenu suffisamment à l’avance ou lorsque leur caractère systématique apporte une modification substantielle au contrat de travail. Une réponse uniforme qui ne prendrait pas en considération les différents cas d’espèce ne serait pas pertinente.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Accords collectifs, jurisprudence : autant de garanties pour les salariés. Avis défavorable.

Les amendements 260 et 116, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Les amendements identiques 381 et suivants, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Roland Muzeau – L’amendement 259 vise à rétablir les dispositions de l’article L. 3121-19 du code du travail qui permettent à l’inspecteur du travail d’interdire le recours aux heures supplémentaires afin de favoriser la création d’emplois. En outre, nous souhaitons lui permettre d’interdire le dépassement du contingent d’heures supplémentaires dès lors que l’entreprise emploierait un nombre excessif de salariés à temps partiel désireux de travailler à temps plein. Le temps partiel représente aujourd’hui 17 % de l’emploi total et plus de 30 % de l’emploi féminin en France. C’est un temps partiel qui est le plus souvent subi.

Cessons de présenter le recours aux heures supplémentaires comme une démarche forcément volontaire ; nous savons que des chantages et des pressions s’exercent sur les salariés pour qu’ils effectuent ces heures même s’ils ne le souhaitent pas. Si nous avions déjà dénoncé la logique de la loi TEPA, ce projet n’en est que la suite. Il s’agit d’un marché de dupes. Au Technocentre Renault, que j’ai déjà pris pour exemple, les salariés qui travaillent en continu deux nuits à la chaîne ne peuvent effectuer des heures supplémentaires sans mettre en danger leur santé. Enfin, à cause des heures supplémentaires, qui se substituent à la création de postes, les demandeurs d’emploi restent exclus de l’embauche.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable. J’ai déjà répondu sur ce point.

L'amendement 259, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – Je défendrai l’ensemble des amendements 396 à 410, par lesquels nous souhaitons réaffirmer qu’en matière de dépassement du contingent d’heures supplémentaires, l’accord de branche prime sur l’accord d’entreprise. Alors que, pour vous, les heures supplémentaires seraient le nec plus ultra en matière de rémunération, les problèmes qu’elles posent sont connus. En premier lieu, toute mesure portant sur les heures supplémentaires ne concerne que les 38 % de salariés qui y recourent. Ensuite, nous discutons de l’éventuel dépassement d’un contingent de 220 heures, alors que la moyenne nationale est de 55 heures.

Enfin, vous avez rappelé que le salarié ne pouvait refuser d’effectuer les heures supplémentaires qui lui sont demandées, celles-ci constituant une nécessaire variable d’ajustement dans la gestion de l’entreprise. Or, personne ne peut construire un projet de vie sur la base d’une rémunération dont le principal caractère est d’être aléatoire. Une telle rémunération entraîne nécessairement sur le terrain de la précarité, puisque, d’un mois sur l’autre, le salarié n’a aucune certitude quant au niveau de sa rémunération. Essayez d’emprunter auprès d’une banque avec cela ! Les banquiers ne retiennent que la rémunération de base et n’accordent aucune attention à ce complément aléatoire. Dès lors, on ne peut présenter les heures supplémentaires comme quelque chose de pérenne à la disposition du salarié. Elles induisent en réalité une précarité sociale, et c’est pour cela que nous ne pouvons laisser cette question à la seule négociation d’entreprise.

Monsieur le ministre, une discussion s’est tenue hier entre les partenaires sociaux sur les questions de santé au travail et de stress. D’après la presse, les organisations syndicales et le MEDEF se seraient mis d’accord au niveau interprofessionnel pour que les accords d’entreprise traitant de ces questions ne dérogent pas aux accords de branche. Il semblerait donc que les partenaires sociaux vous apportent un nouveau démenti, au moment où vous nous expliquez que l’accord d’entreprise est le meilleur niveau de la négociation collective !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable. Comme je l’ai dit en commission, je considère que nous devrions avoir, un jour ou l’autre, un débat de fond sur la situation des branches, leur recomposition, etc. Mais on peut être préoccupé par leur situation sans pour autant souhaiter qu’elles restent le niveau de négociation s’imposant de plein droit. De même, je ne vois pas en quoi le maintien de l’actuelle hiérarchie entre la branche et l’entreprise réglerait le problème des salariés souhaitant emprunter auprès des banques.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis. Monsieur Vidalies, l’accord m’est parvenu au ministère ce matin, et je vous l’apporterai tout à l’heure. Je n’en ai pas tout à fait la même lecture que vous.

Les amendements identiques 396 et suivants, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard – L’amendement 175 est défendu.

L'amendement 175, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christophe Sirugue – Les amendements 411 à 425 visent à ce que les conditions d’accomplissement des heures supplémentaires au-delà du contingent soient définies dans le cadre d’un accord majoritaire. Si, dans la démocratie politique, la majorité est la règle, il y a, en démocratie sociale, des atermoiements préoccupants. Avec ce projet de loi, des accords minoritaires pourraient remettre en cause des dispositions mises en œuvre par les accords d’entreprise majoritaires. C’est ce que nous souhaitons prévenir par le biais de ces amendements.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable. Nous avons adopté hier, au titre premier, des règles concernant la validation des accords ; il n’y a pas lieu de les modifier au présent titre.

Les amendements identiques 411 et suivants, repoussés par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Christian Eckert – Il s’agit à nouveau de la formule « à défaut », qui inverse la hiérarchie des normes. Nous souhaitons souligner la nécessité de cette hiérarchie. J’ai parlé tout à l’heure, et le ministre en a tiré quelques effets de manches, d’un droit de vie et de mort sur les salariés, ce qui est peut-être un peu excessif.

Plusieurs députés du groupe UMP – Si peu !

M. Christian Eckert – Mais on ne peut nier que l’employeur a sur les conditions de vie et de mort du salarié une influence, volontaire ou non ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Il suffit de penser à l’amiante ou aux accidents de travail – comment penser qu’en multipliant les heures supplémentaires, les conditions de sécurité ne seront pas dégradées ? Et sur le plan psychologique, le stress du salarié, le chantage au licenciement qu’il peut parfois subir ont des conséquences importantes sur sa vie. Ce n’est pas par hasard qu’un salarié n’a pas le droit de témoigner en faveur de son employeur devant une juridiction civile : c’est parce que la loi reconnaît sa situation de subordination ! L’inversion de la hiérarchie des normes est donc dangereuse.

Enfin, le principe des heures supplémentaires est parfaitement concevable lorsqu’il s’agit de donner de la souplesse pour pouvoir répondre à des marchés ponctuels. C’est ce que prévoit la législation actuelle, qui est pour une partie issue de nos gouvernements. Mais si le besoin de travail supplémentaire devient si important qu’il faut dépasser des plafonds qui sont aujourd’hui, en moyenne, loin d’être atteints, alors il faut tout simplement embaucher ! Les amendements 426 à 440 demandent donc, comme précédemment, la suppression des termes « à défaut », ce qui change toute la signification du texte.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable pour les mêmes raisons que précédemment.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

Les amendements 426 à 440, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Régis Juanico – En réponse à nos demandes répétées, le ministre vient de nous accorder la primeur des résultats de la loi TEPA, en révélant une hausse de 40 % des heures supplémentaires au premier trimestre 2008. Mais cette comparaison est faite avec le premier trimestre 2007 ! Sans vouloir jeter un froid, je suis obligé de dire que l’augmentation n’est que de 0,3 heure en moyenne par salarié par rapport au quatrième trimestre 2007. Or, la loi TEPA est entrée en vigueur le 1er octobre… Ce dispositif extrêmement coûteux est donc assez inefficace.

M. Benoist Apparu – S’il est extrêmement coûteux, c’est qu’il est utilisé, non ?

M. Régis Juanico – Le résultat est bien inférieur à ce que vous espériez.

Les amendements 441 à 455 visent à remplacer « en complément de la majoration des heures supplémentaires prévue à l’article L. 3121-22 » par « la majoration des heures supplémentaires étant fixée selon les modalités prévues à l’article L. 3121-22 ». C’est une clarification rédactionnelle.

Mme Catherine Coutelle – Ces amendements me permettent de souligner un aspect qui n’a pas encore été abordé. Monsieur le ministre, vous avez présidé fin novembre la commission tripartite d’égalité salariale et le président Sarkozy veut éradiquer d’ici à 2010 cette discrimination insupportable qui veut que le salaire des femmes soit de 20 à 25 % inférieur à celui des hommes. Or, vos dispositions sur les heures supplémentaires vont aggraver cette disparité salariale. Les résultats que vous venez de nous communiquer sur la loi TEPA, pas plus que les autres, ne sont différenciés par sexe, ce qui serait pourtant extrêmement intéressant, mais on sait tout de même que le taux d’emploi entre hommes et femmes diffère de onze points et qu’un million de femmes travaillent à temps partiel non choisi. Elle n’auront pas droit aux heures supplémentaires, ne pourront pas travailler plus. Les lois sur le temps de travail n’abordent pas cet écart salarial, qui est lié pour 40 % au temps de travail, pour 40 % à la qualification individuelle et qui est pour 20 % « résiduel » – un résidu qui correspond simplement à la façon dont nous arrivons à concilier nos vies familiales et professionnelles. Or, les enquêtes européennes font apparaître que c’est en France que les salariés y parviennent le moins. Ils se plaignent d’être bien trop occupés par leur travail pour penser à leur vie familiale en rentrant chez eux et les RTT ont majoritairement servi à des activités parentales, ce qui correspondait à une forte demande des Français. La multiplication des heures supplémentaires, la dérégulation des horaires, la brièveté du délai de prévenance vont aggraver la situation. Or, comme ce sont les femmes qui occupent les emplois les plus précaires et les moins qualifiés, ce sont elles qui abandonneront le monde du travail, ce qui pose le problème annexe de leur retraite.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission a accepté ces amendements, qui apportent une précision bienvenue. Le moindre de leur mérite n’est pas de rappeler l’importance du dispositif actuel de majoration des heures supplémentaires, qui demeure inchangé…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Avis favorable.

M. Jean-Paul Charié – On voit que M. Anciaux est revenu !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – C’est vrai que l’atmosphère est tout de suite différente… (Sourires)

Ces amendements permettent de préciser les taux de majoration des heures supplémentaires, en faisant du même coup la preuve que rien ne change en la matière dans le code du travail. Il n’était d’ailleurs pas pensable d’aller à l’encontre des dispositions de la loi TEPA sur les heures supplémentaires, dont vous venez de reconnaître vous-même qu’elles portaient leurs fruits… (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Régis Juanico – 0,3 heure en plus !

Les amendements 441 à 455, mis aux voix, sont adoptés.

Mme Martine Billard – Jusqu’à présent, dans les entreprises de plus de vingt salariés, le repos compensateur était obligatoire, dans le contingent conventionnel ou réglementaire, à hauteur de 50 % de chaque heure supplémentaire au-delà de 41 heures, et au-delà du contingent à hauteur de 100 %. Avec ce texte, le repos compensateur va entrer dans la négociation et n’existera plus qu’au-delà du contingent annuel. Prenons l’exemple de l’hôtellerie restauration, qui a un contingent conventionnel de 300 heures supplémentaires, soit en moyenne 43 heures par semaine. Jusqu’à présent, le repos compensateur était de 50 % par heure entre 41 et 43 heures, et de 100 % au-delà. Désormais, l’obligation de repos ne sera due que pour les heures effectuées au-delà du contingent, ce qui veut dire que les heures entre 41 et 43 heures n’y ouvrent plus droit. Les salariés vont donc perdre des repos compensateurs ou leur équivalent en salaire. Ils vont travailler autant pour gagner moins…

Mme Catherine Coutelle – On a déjà des difficultés à recruter dans la restauration !

Mme Martine Billard – En effet, et ce n’était donc certainement pas le meilleur moment pour créer cette situation. C’est pourquoi l’amendement 117 vise à remplacer « au-delà du contingent annuel » – soit le contingent négocié – par « à partir de la 41e heure » – quel que soit le contingent –, ce qui fait revenir au droit actuel. Dans le cas de l’hôtellerie restauration que nous venons d’évoquer, la situation actuelle serait maintenue et cela ne créerait aucune charge supplémentaire pour les entreprises. L’objectif est de ne faire perdre aucun droit aux salariés en poste. Nous voulons vous éviter, Monsieur le ministre, de vous mettre en porte-à-faux avec le slogan du Président de la République du « travailler plus pour gagner plus ».

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Défavorable car cet amendement est satisfait par l’amendement 79 de la commission, qui va être soumis à votre sagacité dans quelques instants et dont la formulation semble plus conforme à l’esprit du texte.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis défavorable à l’amendement 117.

Mme Martine Billard – Cela impose de parler de l’amendement 79 qui est bien différent. L’amendement de la commission dit : « et, le cas échéant, en deçà ». Cela signifie bien que l’abaissement du seuil à prendre en compte pour le repos compensateur ne sera pas du tout obligatoire. Si le rapport de forces dans la branche est défavorable, on pourra se retrouver avec un accord réduisant les droits existants. Je pense notamment à l’hôtellerie restauration.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Laissez les accords en décider !

Mme Martine Billard – Avec cette loi, on pourra dire, Monsieur le ministre, que vous avez réduit les salaires dans ce secteur d’activité. Voilà qui va sûrement améliorer l’embauche dans cette branche !

M. Roland Muzeau – Assurément !

L'amendement 117, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Je ne reviens pas sur l’amendement 79 puisque Mme Billard l’a mieux défendu que je ne saurais le faire…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Favorable.

L'amendement 79, mis aux voix, est adopté.

M. Francis Vercamer – À cet endroit du texte, l’avis du Nouveau centre diverge de celui du Gouvernement… (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) S’il me semble essentiel que l’entreprise puisse définir son quota d’heures supplémentaires et ses modalités de fonctionnement avec ses partenaires sociaux, la contrepartie en repos doit être fixée de manière équitable entre les salariés d’une même branche ou au plan national. Il ne faut pas que les contreparties soient négociées à l’échelle de l’entreprise. C’est pourquoi notre amendement 210 supprime la fin du troisième alinéa de l’article, lequel permet de fixer la durée, les caractéristiques et les conditions de prise en compte de la contrepartie obligatoire en repos.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – L’amendement a été repoussé par la commission au motif que cela doit faire partie des sujets de la négociation collective. Elle ne souhaitait donc pas le fixer dans la loi.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis. Chacun a bien compris que l’esprit du texte était de renvoyer à la négociation collective le soin de fixer les contreparties en repos. Si M. Vercamer ne retire pas son amendement, je serai contraint d’exprimer un avis défavorable.

M. Francis Vercamer – Je le maintiens car le texte dispose que c’est l’accord d’entreprise qui fixe la contrepartie ; si c’était la convention collective, je serais d’accord mais tel n’est malheureusement pas le cas. J’estime que dans une même branche, les salariés qui effectuent le même nombre d’heures supplémentaires doivent avoir les mêmes contreparties – même s’il se conçoit que des entreprises d’une même branche fixent des volumes d’heures supplémentaires différents, en fonction de leurs commandes.

M. Jean-Paul Charié – C’est inapplicable !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – En supprimant toute la fin de l’alinéa, vous privez les salariés de garanties supplémentaires et je ne suis donc pas d’accord.

L'amendement 210, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président – Nous en venons aux amendements identiques 456 à 470.

M. Alain Vidalies – Nous arrivons à la partie du texte la plus contestable et sa conformité à la Constitution n’est du reste pas certaine du tout. L’idée de supprimer le repos compensateur obligatoire de la loi au profit d’un concept nouveau appelé « contrepartie obligatoire en repos » qui serait négocié entreprise par entreprise nous semble éminemment dangereuse et n’a strictement rien à voir avec le débat sur les 35 heures. Ce que vous vous apprêtez à modifier, c’est en effet la loi Stoléru du 16 juillet 1976, laquelle créait le repos compensateur. Le repos compensateur n’est pas une modalité d’organisation du temps de travail, mais une protection de la santé du travailleur. L’autorité publique est dans son rôle lorsqu’elle intervient pour exprimer qu’elle ne peut accepter que la santé des salariés puisse être mise en cause au nom des nécessités de l’entreprise. Il y a aujourd’hui en France un peu plus d’un million d’accidents du travail chaque année. Lorsque la santé publique est ainsi menacée, il revient à l’autorité publique de peser de tout son poids. Vous ne laissez pas aux clients du restaurant le soin de négocier avec le patron s’il peuvent fumer ou non ; vous ne laissez pas aux automobilistes le soin de négocier avec les garagistes s’ils peuvent rouler à 200 à l’heure ! La liberté individuelle n’est pas en jeu lorsqu’il s’agit de protéger la santé au travail.

Dès lors, pourquoi passer soudainement dans le champ de la négociation ce qui relevait de la loi, bien avant les 35 heures ? Comme l’a dit Martine Billard, l’obligation légale de prévoir un repos compensatoire au-delà de la 41e heure disparaît purement et simplement. C’est un droit que vous éliminez, pour renvoyer le tout à la négociation. Cela signifie que vous en faites un objet de négociation : or la santé est-elle négociable ? Il me semblait au moins que nous pouvions avoir une approche commune pour tout ce qui concerne la santé publique. Au reste, il y a eu des alternances depuis 1976 et nul n’avait jamais songé à revenir sur la loi Stoléru. En franchissant ce pas, demain, dans une entreprise, les droits pourront être renégociés à la baisse, sans le filet de sécurité qu’aurait constitué l’obligation de négocier en interprofessionnel ou au niveau de la branche. En procédant entreprise par entreprise, cela va conduire à une diminution de la rémunération, y compris à volume d’activité constant. Lorsqu’on aura accepté cette régression dans une entreprise, toutes celles de la branche seront forcées de s’y rallier si elles veulent rester concurrentielles.

Enfin, cette disposition est selon nous contraire au onzième alinéa du Préambule de la Constitution.

M. Roland Muzeau – Très bien !

M. Christophe Sirugue – La remise en cause du repos compensateur obligatoire constitue l’une des pires mesures de ce texte. Depuis le début du débat, vous prétendez vouloir aller de l’avant en faisant de ce texte une avancée pour tous. Las, vous faites marche arrière sur l’un des éléments clés de notre droit social. Bien entendu, le gain est important pour les chefs d’entreprise, qui jouiront désormais d’une plus grande liberté pour fixer les heures supplémentaires. En décrivant tout à l’heure le lien de subordination, nous avons bien démontré que le choix des heures supplémentaires était toujours fait par l’employeur et jamais par le salarié. Vous avez choisi de diminuer encore le coût de ces heures supplémentaires en rognant sur la contrepartie en repos compensateur qui était jusqu’alors octroyée aux salariés. Cela va les fragiliser encore davantage, notamment les plus fragiles d’entre eux déjà.

Vous prétendez que ce texte améliorera la compétitivité des entreprises, il accroîtra surtout la concurrence entre les entreprises. Comment imaginer en effet que ce « gain » sur le repos compensateur – élément constitutif du coût du travail – ne sera pas un élément de la compétition entre entreprises ?

Cette disposition, funeste pour le code du travail, est aussi dramatique pour la santé des salariés auxquels les heures supplémentaires seront imposées et qui, confrontés aux problèmes de pouvoir d’achat que l’on sait, seront peut-être même tentés d’en accepter plus que de raison pour obtenir un salaire un peu supérieur. Cela ne sera pas sans conséquences sur leur santé.

Les accidents du travail sont à la hausse depuis plusieurs années. De même, le nombre de nouveaux cas de maladies professionnelles a augmenté de 9,7 % en 2004 et en 2005. Le stress au travail s’est accru…

Plusieurs députés du groupe UMP – Du fait des 35 heures !

M. Christophe Sirugue – Pas du tout. Les 35 heures ont constitué un progrès…

M. Benoist Apparu – Expliquez-nous comment le stress peut augmenter quand la durée du travail diminue !

M. Christophe Sirugue – Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Les 35 heures constituent un tout et on ne peut en déconnecter un élément seul. Les négociations qui ont eu lieu dans les entreprises à l’occasion du passage aux 35 heures, alors que parfois il n’y en avait pas eu depuis des années, ont permis aux entrepreneurs comme aux salariés d’améliorer le rapport au travail dans l’entreprise. Vous supprimez avec le repos compensateur – dont le principe est bien antérieur aux 35 heures –, un élément essentiel d’un tout.

M. Benoist Apparu – A quoi est due l’augmentation des accidents du travail ?

M. Christophe Sirugue – Votre approche des 35 heures est idéologique.

Si cette disposition devait être maintenue, elle marquerait une régression sans précédent du droit du travail dans notre pays. Nous vous proposons par l’amendement 457 de ne pas entrer dans cette logique.

M. Jean Mallot – Je défends l’amendement 459. Ces questions de santé et de bien-être au travail nous ramènent au débat ouvert à plusieurs reprises par notre collègue Christian Eckert sur les indicateurs de développement humain et de bonheur personnel. La belle citation de Joseph Stiglitz qu’il nous a rapportée, « Travailler moins pour être plus heureux », me rappelle une chronique d’Alexandre Vialatte que je ne résiste pas au plaisir de vous citer à mon tour : « Sans bonheur, l’homme n’est pas heureux. Quand on s’ennuie, le corps souffre, la constitution s’altère et les maladies surviennent. Quand on est heureux, c’est tout le contraire : on donne de grands coups de pied dans les réverbères, on tire la queue des chats… » (Sourires)

Trêve de plaisanterie ! Il s’agit de la question très sérieuse de la santé au travail. Il ne peut être question de la renvoyer à la négociation entre employeur et salariés, laquelle n’est nécessairement pas équilibrée. La loi doit jouer tout son rôle et garantir des dispositions d’ordre public pour préserver la santé des salariés.

Mme Catherine Coutelle – Je défends l’amendement 468. Alors que depuis des années, le nombre d’accidents du travail déclarés ayant donné lieu à arrêt, incluant aussi bien ceux survenus durant les trajets que sur le lieu de travail, régressait, cette diminution a été moins marquée en 2004-2005, et une hausse a même été constatée en 2006. L’augmentation des heures supplémentaires risque d’aggraver encore la tendance. La part des accidents du travail ayant donné lieu à arrêt est également en augmentation par rapport au nombre total. La part de ceux ayant conduit à une incapacité permanente est elle aussi repartie à la hausse, désormais supérieure de 10 % aux autres. La diminution des repos compensateurs aggravera encore la situation.

M. Christian Eckert – Une fois de plus, on nivelle par le bas. Vous allez faire du repos compensateur un élément de la concurrence entre entreprises. Les exemples cités de Continental Edison ou Goodyear à Sarreguemines, près de chez moi, montrent que le phénomène peut faire tache d’huile. Quand dans un même secteur géographique ou d’activité, une entreprise rogne sur les repos compensateurs, l’argument est utilisé par ses concurrentes pour faire de même, au motif qu’elles s’exposent sinon à disparaître et que les salariés risquent donc de perdre leur emploi.

Parlant de repos compensateur, je pense à un sujet important que nous devrions aborder en octobre, celui du travail le dimanche. Je ne comprends absolument pas l’argument selon lequel les gens achèteraient davantage si les magasins étaient ouverts le dimanche. Les gens achètent quand ils en ont les moyens ! D’abord pour satisfaire leurs besoins puis leurs envies s’ils le peuvent ! Si un seul magasin ouvrait le dimanche, son chiffre d’affaires augmenterait sûrement. Mais ce ne sera pas le cas si tous le font. Il en va de même pour les repos compensateurs. Si une seule entreprise pratique ce dumping social, elle pourra peut-être y gagner pour elle-même, mais si toutes pratiquent de la sorte, l’ensemble de notre économie y perdra.

Alors même que le repos compensateur est indispensable pour garantir la sécurité des salariés, vous prenez le risque de le voir diminuer, voire disparaître. La loi impose pourtant dans le secteur du transport routier par exemple, un temps de repos minimal aux chauffeurs, considérant qu’il y va de la sécurité de tous.

Je citerai à mon tour Joseph Stiglitz, lequel déclarait dans le même entretien donné en janvier dernier sur ce qui reste de la radio publique et cité tout à l’heure par notre collègue Mallot, que « quand on n’a pas de temps libre, on ne voit pas sa famille ». Et famille doit s’entendre au sens large, bien au-delà des liens du sang et du mariage : ce peut être sa famille sociale, politique, philosophique… Diminuer, voire supprimer, les repos compensateurs sera extrêmement préjudiciable à l’épanouissement personnel et collectif de l’ensemble de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission a repoussé ces amendements qui visent à rétablir dans la loi les dispositions relatives au régime des repos compensateurs, alors que le texte vise à ce qu’elles relèvent désormais de la négociation. L’opposition est là encore orthogonale… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) Après tout, je parle comme je veux (Sourires).

Concernant la santé, je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 2005, qui portait sur les forfaits jours. Le Conseil a dit qu’à partir du moment où un accord détermine les catégories de salariés concernés, que les intéressés donnent leur accord, qu’ils bénéficient du repos quotidien de onze heures et du repos hebdomadaire de trente-cinq heures prévus par le code du travail et que le nombre de jours travaillés ne dépasse par le plafond annuel, les exigences constitutionnelles relatives à la santé des travailleurs ne sont pas ignorées. Le projet ne les méconnaissant pas davantage, je ne vois pas où est le risque d’inconstitutionnalité. Avis défavorable donc.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Même avis.

M. Francis Vercamer – Le Nouveau Centre soutient ces amendements, celui que j’ai défendu tout à l’heure tendant à ce que le repos compensateur soit fixé par le décret n’ayant malheureusement pas été adopté.

Les amendements identiques 456 et suivants, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 20.

Le Directeur du service
du compte rendu analytique,

Michel KERAUTRET

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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