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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du lundi 7 juillet 2008

1ère séance
Séance de 15 heures
8ème séance de la session
Présidence de M. Marc Le Fur, Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

DEMOCRATIE SOCIALE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

M. Alain Vidalies – Rappel au Règlement. À la fin de la semaine dernière, le Président de la République, qui assistait à une convention de l’UMP – ce qui semble ne choquer personne –, a déclaré : « La France change : désormais, quand il y a une grève, personne ne s'en aperçoit ». Au moment où nous examinons ce texte sur la démocratie sociale, de tels propos éclairent vos objectifs réels !

Il n’est pas acceptable que le Président de la République parle en des termes aussi péjoratifs d’un droit reconnu par la Constitution, dont il est le garant. La grève n’est pas un objectif en soi, mais un moyen ultime et parfois indispensable d’exprimer ses revendications et ses aspirations. Ainsi, le mouvement social a permis de faire reculer la majorité sur le CPE et le CNE (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Les masques sont tombés : après avoir trahi les partenaires sociaux et leur accord sur le temps de travail, vous tentez d’humilier les organisations syndicales en les renvoyant à leur impossibilité de mobiliser.

Ces déclarations marquent du sceau du cynisme les débats sur la prétendue rénovation sociale. C’est la raison pour laquelle je demande, au nom du groupe SRC, une suspension de séance de dix minutes.

M. Jean-Louis Bernard – Ça commence bien !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité – Je ne sais pas si mon intervention sera de nature à convaincre M. Vidalies de retirer sa demande.

M. Alain Vidalies – Non, et je compte bien demander une autre suspension pour les propos tenus par M. Karoutchi concernant l’examen de ce texte.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – La grève est certes un droit constitutionnel…

M. Alain Vidalies – Jusque là, c’est bien !

Mme Martine Billard – Et ils n’ont pas prévu de modifier ce point-là de la Constitution (Sourires).

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – On peut donc user de ce droit, mais discuter au préalable est mieux. Pouvoir organiser, en cas de grève, les transports terrestres, c’est mieux aussi et c’est désormais possible grâce à la loi sur le service minimum dans les transports, que la majorité a votée l’été dernier et qui prévoit une négociation préalable à la grève.

Je me félicite que le pays ne soit plus paralysé et que l’on respecte aussi le droit de ceux qui empruntent les transports en commun pour aller travailler. Tout cela a d’ailleurs été rendu possible par un dialogue social voulu par le Président de la République.

Nous avons prouvé que nous savions respecter un droit constitutionnel tout en valorisant le dialogue social. Je m’étais même fait la réflexion que ces résultats, qui rassemblent les Français, pouvaient nous rapprocher (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Vidalies – Ce n’est pas ce qui a été dit à la convention !

M. Jean-Pierre Brard – Rappel au Règlement. Monsieur le président, vous qui êtes homme d’expérience et de sagesse, vous savez bien qu’il y a le texte et le contexte. Or le contexte change quotidiennement, du fait d’un personnage qui n’a pas encore compris qu’il est Président de la République (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Il viole l’article 5 de la Constitution chaque jour, étant comme l’a dit le titulaire du prix de l’humour politique, « le seul qui a été obligé de passer par l'Élysée pour devenir Premier ministre ».

Je sais bien qu’in petto – comme l’on dit au Vatican – vous pensez comme moi : jamais, depuis 1958, un président de la République n’est allé s’exprimer devant son ancienne formation politique.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiquesIls se cachaient !

M. Jean-Pierre Brard – Non, ils étaient républicains, et il y a là plus qu’une nuance.

Monsieur le ministre, puisque vous voyez le Chef de l’État chaque semaine et que vous êtes, paraît-il en odeur de sainteté auprès de lui, pouvez-vous lui conseiller de ne pas oublier qu’il est Président de la République lorsqu’il s’exprime ? Et à l’occasion, demandez-lui donc d’user plus convenablement de la langue de Molière. Mais, si l’on fait abstraction de la forme, on peut voir dans ces propos tout à fait déplacés une provocation des parvenus à l’égard du monde ouvrier. La majorité le paiera, avec les intérêts, au retour des frimas !

Mme Martine Billard – Rappel au Règlement. La déclaration du Président de la République est en effet à situer dans son contexte : c’est au moment où nous examinons un projet de loi dont on nous dit qu’il permettra de rétablir le dialogue social et de moderniser la France, nous rapprochant des autres pays européens qui ont moins recours à la grève, que le Chef de l’État s’est permis cette déclaration très méprisante vis-à-vis des syndicats et a dénigré la grève.

Monsieur le ministre, les propos du Président de la République ne visaient pas que les grèves dans les transports. On ne peut être qu’inquiet sur l’avenir de ce droit constitutionnel, alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi visant à restreindre le droit de grève des enseignants. Par ailleurs, ce mépris tend à se généraliser : il vise non seulement les partenaires sociaux, qu’ils représentent les salariés ou le patronat, mais aussi la direction de l’armée ou encore les médias (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Il est donc très difficile de discuter sereinement de textes qui ne sont que le reflet de ce mépris.

M. Alain Vidalies – Et d’une certaine arrogance.

M. Benoist Apparu – Je regrette la tournure que prend ce débat, qui s’était déroulé jusque-là dans d’assez bonnes conditions. Comme le ministre l’a dit, le droit de grève est un droit constitutionnel. Mais le droit d’aller à l’école, le droit d’emprunter les transports publics, le droit de travailler sont également des droits constitutionnels.

Mme Martine Billard – C’est faux.

M. Benoist Apparu – Nous devons tous les respecter. À aucun moment le Président de la République n’a remis en cause le droit de grève ou stigmatisé les grévistes. Il a simplement voulu dire que dans notre pays, il y a des droits pour ceux qui veulent faire grève et des droits pour ceux qui ne veulent pas faire grève.

M. Alain Vidalies – Non, ce n’est pas ce qu’il a dit.

La séance, suspendue à 15 heures 10, est reprise à 15 heures 20.

ARTICLE 17 (suite)

M. Alain Vidalies – L’amendement 756 vise à réserver l’application des conventions de forfait aux cadres. Il y a deux approches possibles dans cette affaire : soit le champ d’application de ces conventions est limité à une catégorie de cadres bien définie, et ne concerne donc qu’un nombre réduit de salariés, ce qui correspond à la définition d’origine, celle de la loi Aubry ; soit on élargit petit à petit ce champ d’application, et la multiplication des dérogations à la règle normale de calcul du temps de travail crée des dégâts considérables pour les salariés non cadres. Il faut donc choisir. Or le Gouvernement cumule les inconvénients des deux approches : il applique ces systèmes dérogatoires à des salariés de plus en plus nombreux, mais conserve leur caractère exceptionnel, qui était justifié par la limitation du champ d’application. Puisque vous voulez conserver ces dispositifs où n’existe pratiquement aucune limite, il faut continuer à les réserver aux cadres.

M. le Président – Cette série d’amendements a été présentée : la parole est donc à M. le rapporteur (Protestations sur les bancs du groupe SRC). C’est le même amendement ! Je vous redonnerai la parole pour répondre à la commission (Même mouvement).

M. Christophe Sirugue – Le sujet est tout de même d’importance, Monsieur le président ! Nous avons bien compris que le ministre chargé des relations avec le Parlement considère que ce texte ne mérite pas d’être examiné avec attention et qu’il faut passer aux autres, mais nous ne partageons pas son avis !

Le Gouvernement entend manifestement durcir les conditions de travail des salariés. Par l’amendement 757, identique au précédent, je propose donc de limiter ce que vous présentez comme une avancée – mais qui est en réalité un recul – aux seuls salariés cadres. Vous prenez en effet le risque d’un dumping social qui aura pour effet de mettre en compétition les entreprises d’une même branche professionnelle, avec de graves conséquences pour l’ensemble des salariés. Après bien d’autres, ce texte vient à nouveau fragiliser le code du travail. Il mérite donc d’être encadré.

M. Jean Mallot – En dépit de la volonté du ministre des relations avec le Parlement d’abréger nos débats, voire de les dévaloriser en prétendant qu’ils ne méritent pas qu’on y consacre tant de temps, je souhaite exercer le droit d’amendement qui nous est encore reconnu dans cette enceinte et auquel je vous sais très attaché, Monsieur le Président.

L’amendement 759, identique aux précédents, anticipe sur ceux que nous présenterons tout à l’heure. Nous souhaitons revenir à la disposition de la loi Aubry du 19 janvier 2000 qui réservait l’application des conventions de forfait aux cadres. Contrairement à la plupart des autres salariés, ceux-ci bénéficient en effet d’une autonomie dans l’organisation de leur travail. L’application de votre dispositif permettrait de faire travailler les gens jusqu’à 282 jours par an, ce qui est probablement contraire à la Charte sociale européenne, et jusqu’à 417 heures supplémentaires sans repos compensateur. Même restreint aux cadres, ce n’est pas acceptable. Cela ne peut donc l’être pour l’ensemble des salariés.

Mme Catherine Lemorton – Il y a décidément un problème de sémantique dans ce débat. La semaine dernière déjà, M. le rapporteur nous parlait de « partenariat » entre le salarié et l’employeur. Il y a tout de même un certain cynisme à étendre comme vous le faites les conventions de forfait aux non-cadres : cela laisse entendre qu’ils bénéficient de la même responsabilité et de la même autonomie dans leur travail que les cadres. Voilà qui va laisser songeurs des millions de salariés… C’est pourquoi je défends l’amendement 763, qui est identique à ceux de mes collègues.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – La commission a repoussé ces amendements. Les conventions de forfait existent déjà. La jurisprudence soumet seulement leur validation à trois conditions : elles doivent avoir fait l’objet d’un accord entre les parties ; le nombre d’heures concernées doit être précisé dans les conventions ; le forfait ne peut être désavantageux pour le salarié. Ces trois conditions rendent le forfait applicable à tous les types de salariés, sauf à ce que les conventions collectives en disposent autrement. Le texte ne fait donc que « préciser » dans notre droit des pratiques déjà courantes, et pas seulement pour les cadres.

Les amendements identiques 756 et suivants, repoussés par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – L’argumentation que nous venons d’entendre s’applique sans doute à des amendements qui seront défendus ultérieurement, mais elle ne vaut pas pour ceux qui viennent d’être repoussés.

Par les amendements 771 à 785, nous posons des verrous de sécurité. Vous voulez étendre la convention de forfait à d’autres salariés que les cadres, mais ni le rapporteur, ni le rapporteur pour avis, ni le ministre n’ont donné aucune idée du nombre de salariés qui pourraient se trouver victimes de l’extrême souplesse que vous tenez à introduire dans la loi. L’absence d’étude d’impact des mesures proposées n’est pas la moindre des difficultés que l’on éprouve à en apprécier justement les conséquences. De un à deux millions de salariés risquent de se trouver subitement soumis au régime du forfait. Puisque vous refusez de limiter le champ d’application du dispositif, limitons-en au moins l’effet, en disposant, comme le fait l’amendement 771, que, dans le cadre de ces forfaits, la durée de travail ne peut excéder 48 heures au cours d’une même semaine ou, si cette durée maximale hebdomadaire est calculée sur une période de douze semaines consécutives, 44 heures, ou 46 heures si cela est prévu par un accord de branche. Au moins seront ainsi spécifiées des règles minimales permettant de préserver la santé des salariés concernés.

M. Christophe Sirugue – On laisse à penser dans ce texte que chaque salarié pourrait organiser son travail dans l’entreprise de manière autonome. La réalité est bien différente !

M. Benoist Apparu – Où une telle chose est-elle écrite dans le texte ?

M. Christophe Sirugue – Elle est implicite mais comment interpréter autrement le fait que vous prétendiez étendre à tous les salariés un dispositif qui était conçu pour les seuls cadres ? Cette disposition est particulièrement inquiétante car dans les entreprises, singulièrement dans les plus petites, les relations sociales sont très déséquilibrées, au détriment des salariés. Les garde-fous que nous proposons par l’amendement 772 sont donc indispensables pour préserver la vie personnelle des salariés et leur santé, ce qui n’a rien de secondaire. Le dynamisme économique exige le respect de toutes les parties prenantes. Il importe donc d’encadrer la durée maximale du travail comme nous le proposons.

M. Jean Mallot – L’objectif de la négociation sociale est de parvenir à un accord définissant l’organisation du travail dans l’entreprise, mais les relations sociales y étant déséquilibrées, la loi doit apporter aux salariés les protections indispensables, sans quoi s’imposera une spirale de dérégulations provoquant une dégradation continue des conditions de travail et de rémunération. Par l’amendement 774, nous proposons d’établir des garde-fous pour éviter que les salariés ne soient livrés à la libre concurrence. Il en va de leur santé et de leur sécurité au travail. À l’heure où se déroulent, difficilement, des négociations relatives à la pénibilité au travail, et alors que M. Poisson, rapporteur du présent texte, vient de rendre public le rapport de la mission d’information sur ce thème – rapport dont nous avons repoussé les conclusions –, à quoi sert de dire que les partenaires sociaux devraient négocier si l’on ne fixe pas dans la loi des protections minimales ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission a repoussé ces amendements identiques. Où voyez-vous que nous proposons « l’extension » du droit en vigueur ? Les forfaits existent, ils peuvent être utilisés, et il a bien de l’exagération à affirmer que les salariés s’y trouveraient « subitement soumis ». Par ailleurs, aucune organisation syndicale n’a demandé ce que vous proposez, et pour cause : les dispositions que vous dites vouloir introduire dans la loi sont de droit commun. Et non seulement elles seraient redondantes, mais y aurait danger à faire ce rappel à cet endroit du texte.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Même avis. Les amendements tendent en réalité à revenir sur le principe du forfait jours.

Les amendements identiques 771 et suivants, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Régis Juanico – L’article 17, parce qu’il banalise les conventions de forfait, pousse à son paroxysme l’individualisation du temps de travail, ce qui ne laisse pas d’inquiéter sur l’articulation entre vie professionnelle et vie privée et sur la préservation des repères collectifs. Le texte conduira à l’atomisation des accords, qui échapperont à la fois à la loi et à l’équilibre atteint par les accords collectifs. Par les amendements identiques 786 à 800 – j’ai personnellement déposé le 792 – nous entendons limiter le champ d’application du dispositif à certaines catégories de salariés – les moins nombreuses possible. Je rappelle qu’il s’agissait initialement d’un dispositif dérogatoire. Par retouches successives, vous l’avez déjà étendu, si bien qu’à ce jour, de 8 à 10 % des salariés sont concernés, et cette proportion ne cessera de croître si aucun garde-fou n’est posé.

Mme Catherine Lemorton –. Le ministre et le rapporteur ont une fâcheuse tendance à négliger la santé des travailleurs (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Si le projet va à son terme, et après lui le projet relatif aux offres « valables » d’emploi, il ne faudra pas s’étonner de voir augmenter le nombre d’accidents du travail. Par ailleurs, avec les limites extensives de durée du travail que vous instituez, les arrêts de travail deviendront le seul moyen qu’auront les salariés de se reposer, et ils se multiplieront, ce qui vous obligera à multiplier les contrôles. Par l’amendement 793, nous cherchons donc à éviter l’inversion des normes sociales.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Vous semblez considérer que vous êtes les seuls à vous préoccuper de la santé des salariés. N’exagérez pas.

Par ailleurs, ces dispositions que vous dénoncez figurent déjà dans le droit du travail…

M. Régis Juanico – Que vous avez largement modifié.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Pas du tout. La convention de forfait heure, dont nous débattons, est une pratique qui existe et le projet ne fait que la codifier sans en changer ni le contenu ni les modalités. La commission a repoussé ces amendements.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Défavorable.

M. Alain Vidalies – À force de dire que le projet ne change rien, Monsieur le rapporteur, vous semblez avoir convaincu M. Karoutchi, puisqu’il a déclaré que ce texte n’ayant aucune importance, si nous n’avions pas terminé demain, nous passerions à autre chose. C’est ce qui s’appelle respecter notre travail.

Mais tout cela n’est pas vrai. Initialement, les conventions de forfait, notamment de forfait en jours, ont été limitées aux cadres…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Pas le forfait en heures.

M. Alain Vidalies – …dont la durée du travail ne peut être prédéterminée du fait de la nature de leurs fonctions, des responsabilités qu’ils exercent et du degré d’autonomie dont ils bénéficient dans l’organisation de leur emploi du temps. Puis la loi Fillon de janvier 2003 a retenu comme seul critère, pour les forfaits en jours, l’autonomie dans l’organisation de l’emploi du temps, y compris pour les salariés non cadres dont la durée du travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et en raison des responsabilités qui leur sont confiées. Aujourd’hui, sont concernés tous les salariés qui disposent d’une autonomie, sans qu’il soit plus fait référence à leurs responsabilités. Ce qui ne change pas, c’est votre méthode d’empilement ! Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, dit le juriste. Aussi, ne venez pas nous dire que votre projet ne change rien au prétexte que vous en avez déjà trop fait !

Ce sont déjà 10 % des salariés qui sont concernés. Et vous refusez de nous dire si ce sont 2 % ou 25 % de plus qui le seront désormais. C’est une fuite en avant vers la dérogation généralisée. De plus, l’accord d’entreprise ayant priorité, les salariés ne seront même plus protégés par l’accord de branche. Assumez cette dérégulation massive.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Non.

M. Jean-Pierre Brard – Si de votre point de vue ces amendements sont satisfaits, Monsieur le rapporteur, donnez donc un avis favorable, et il y aura consensus. Quant au ministre, on sait combien il est habile, roué, madré…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Vous êtes expert !

M. Jean-Pierre Brard – Désormais cependant, vous répondez par mimiques. C’est dire dans quelle difficulté vous êtes !

On comprend bien que vous vous êtes tous fait remonter les bretelles pendant le week-end. Pierre Méhaignerie, apôtre du soutien au Gouvernement,…

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Encore une référence religieuse !

M. Jean-Pierre Brard – …va pousser loin l’abnégation, pour gagner son paradis.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Et une de plus !

M. Jean-Pierre Brard – Ce n’est pas moi qui viole la laïcité, comme l’a fait dans les discours du Latran et de Riyad celui qui devrait en être le garant (Sourires sur de nombreux bancs).

Venons-en au fait. Nous ne sommes pas les seuls à nous préoccuper de la santé des salariés, nous rétorque le rapporteur. Il a raison. Vous le faites, c’est certain, avec les franchises médicales, les déremboursements, la vente des médicaments dans les supermarchés ! Vous avez poussé l’inhumanité jusqu’à assujettir les victimes de l’amiante au prélèvement que vous appelez de solidarité. Il faut le dire, car ces débats n’ont pas pour objet de vous convaincre – vous êtres complètement autistes – mais d’éclairer nos concitoyens sur le fait que vos bonnes paroles masquent des turpitudes. Et vous, monsieur le ministre, avec votre discours patelin, vous êtes expert pour mettre à bas toutes les conquêtes sociales arrachées par les salariés depuis la Libération !(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR)

Mme Martine Billard – Le rapporteur est habile pour cacher la réalité. Cette « codification » n’est pas neutre. Actuellement, aux termes du code, le forfait s’applique aux cadres, même si vous en avez déjà élargi la portée. Mais dans l’alinéa 6 de l’article 17, vous indiquez que la durée de travail « de tout salarié » peut être fixée, en l’absence d’accord collectif, par une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois. Il ne s’agit donc plus seulement des cadres. Vous reconnaissez d’ailleurs dans votre rapport que cela peut concerner des techniciens de maintenance…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – C’est déjà le cas.

Mme Martine Billard – …Non, il fallait qu’ils soient cadres ! Seraient également touchés des techniciens en informatique et électronique, les agents de maîtrise de la grande distribution alimentaire, des salariés effectuant des missions particulières, les marins, les chauffeurs-livreurs. Cette extension, de gré à gré, des forfaits qui concernaient les cadres, n’est vraiment pas sans importance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

Les amendements identiques 786 à 800, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Les amendements 801 à 815 sont défendus.

Les amendements identiques, 801 à 815, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Les amendements 816 à 830 sont défendus, ainsi que les amendements 831 à 845.

Les amendements identiques 816 à 830, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés, non plus que les amendements identiques 831 à 845.

M. Alain Vidalies – Je défends les amendements 846 à 860.

Sauf le rapporteur, personne ne croit que ce texte ne change rien. En réalité, avec ces dérogations, on entre dans un no man’s land juridique où, dans un certain nombre de cas, seules valent encore les règles européennes, soit le repos obligatoire de onze heures, ce qui laisse une journée de travail de treize heures, et la semaine de 48 heures. Alors combien de salariés sont concernés ?

Avec votre mauvais coup sur le repos compensateur, vous avez remis en cause une loi de 1978 relative à la protection de la santé des travailleurs. C’est ce que vous faites de nouveau, en acceptant l’idée qu’il n’y aura plus de limites autres que les maxima qui s’appliquent aux salariés des 27 pays de l’Union européenne. Il y a quelques années lorsqu’un pays adhérait, on pensait qu’il allait progressivement se rapprocher de notre modèle social. Aujourd’hui, vous avez tellement déréglementé qu’il ne reste à nos salariés que les règles minimales qui s’appliquaient à ceux de ces pays. Peut-on encore parler de modèle social français ?

Ce que nous proposons dans ces amendements n’est tout de même pas révolutionnaire ! Il s’agit d’une durée minimale de repos quotidien, de l’interdiction de faire travailler un salarié plus de six jours par semaine… – cela relève du droit social des années trente ! À invoquer ainsi la souplesse, à prôner ainsi la déréglementation, vous oubliez tout simplement la vie des salariés. Nous ne vous demandons rien d’extravagant, seulement de respecter le droit à la santé, à une vie de famille, à du temps de loisir... (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – J’ai déjà répondu tout à l’heure. Ces amendements sont déjà satisfaits. La commission les a donc repoussés.

Madame Billard, je vous renvoie à l’article 2 de la loi du 19 janvier 1978 relative à la mensualisation – laquelle transcrivait un accord national interprofessionnel du 10 décembre 1977.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Amendements inutiles. Mêmes arguments que le rapporteur.

Les amendements identiques 846 et suivants, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard – L’amendement 131 vise à supprimer les alinéas 4 à 6 étendant les forfaits en heures sur la semaine ou sur le mois aux non-cadres. Je ne vois en effet pas comment une loi de 1978, bien antérieure donc à l’institution des forfaits par la loi Aubry II, aurait pu prévoir que ceux-ci pourraient s’appliquer aux non-cadres.

Aujourd’hui, pour que ce soit le cas, il faut qu’un accord collectif le prévoie. Or, tout en prétendant ne rien modifier, vous supprimez rien de moins que cette obligation.

Depuis 2002, vous avez procédé à diverses expérimentations comme celle consistant à supprimer la limitation du nombre d’heures supplémentaires en cas d’accord de modulation du temps de travail – c’était le fameux amendement Méhaignerie s’appliquant en fait aux industries agro-alimentaires. De même, la loi du 8 février 2008 prévoyait une expérimentation concernant le forfait jour de gré à gré jusqu’au 31 décembre 2009. Sans qu’aucun bilan n’en ait été tiré, vous étendez la disposition, là encore en prétendant ne rien modifier.

M. Pierre Gosnat – Je n’avais pas prévu de parler du droit de grève sur cet article 17.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur C’est en effet hors sujet.

M. Pierre Gosnat – Mais le Président de la République intervenant à tout bout de champ sur n’importe quel sujet, quelquefois de manière ridicule, je m’y vois contraint.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Un peu de respect, je vous prie.

M. Pierre Gosnat – Quel respect ? Les récents propos du Président de la République sur la grève sont inadmissibles. Ils sont intolérables vis-à-vis des grévistes qui se mettent en grève non par plaisir, mais parce qu’ils y sont obligés pour défendre leurs intérêts et ceux de notre pays.

Vous ne cessez de dire que les grèves entravent l’économie, gênent le pays, prennent les usagers en otages…

M. Dominique Tian – Exactement !

M. Pierre Gosnat – Soyez conséquents ! Le Président de la République a affirmé hier que personne ne s’apercevait des grèves… Nous ne manquerons pas de vous le rappeler lorsque vous chercherez à limiter encore le droit de grève. Si celui-ci n’a pas d’effets, c’est un non-sens que de vouloir le restreindre.

J’en viens à l’amendement 266, identique au précédent. La nouvelle rédaction de l’article L. 3121-38 du code du travail disposerait que « la durée du travail de tout salarié peut être fixée, même en l’absence d’accord collectif préalable, par une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois. » Vous élargissez à tous les salariés la possibilité d’être placés en forfait heures hebdomadaire ou mensuel, sans évaluation préalable des conséquences que cela peut avoir pour eux, notamment pour ce qui est de la durée effective du travail.

Supprimer l’encadrement collectif des forfaits, c’est laisser les salariés face à face avec leur employeur. Quel retour en arrière ! Il est vrai que vous refusez de reconnaître la réalité de la dépendance entre l’employeur et le salarié, comme si les formes modernes du contrat de travail et l’existence même d’un droit du travail, distinct du droit commun des contrats n’étaient pas précisément issues d’une réaction à cette dépendance !

Mais, en fait, c’est vous qui êtes réactionnaires, à revenir ainsi à une conception pré-industrielle de la relation de travail, au décret d’Allarde de 1791 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) qui renvoyait la relation entre employeur et salarié à la négociation individuelle.

Une approche aussi théorique et dogmatique ne vise à rien d’autre, surtout dans la contexte économique actuel, qu’à donner tous pouvoirs aux employeurs. Elle conduira à la dégradation des conditions de travail d’une majorité de nos concitoyens.

M. Alain Vidalies – Il va falloir que le Gouvernement nous réponde…

M. Jean Glavany – Pour une fois !

M. Alain Vidalies – …sur la formulation retenue et la place qui lui est donnée dans ce texte. Les forfaits en heures sur la semaine ou sur le mois, jusque là réservés aux seuls cadres, pourraient désormais s’appliquer à tous les salariés. Vous prétendez que cette modification ne change rien par rapport au droit positif, cette possibilité étant déjà prévue dans l’accord interprofessionnel de décembre 1977. Or, celui-ci excluait du champ de son application les salariés en CDD, les salariés à temps partiel, les travailleurs saisonniers… Doit-on comprendre qu’ils le seront donc aussi des nouvelles dispositions ? Par un tour de passe-passe et en laissant accroire que vous ne faites que reprendre la jurisprudence, votre propos n’est-il pas que les forfaits heures hebdomadaires ou mensuels puissent s’appliquer à tous les salariés ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission a repoussé ces amendements pour des raisons que j’ai déjà exposées. La jurisprudence a répondu à votre question, Monsieur Vidalies, en intégrant peu à peu la possibilité d’ouvrir ces forfaits à l’ensemble des salariés. La loi de janvier 1978 joue à plein. Les alinéas en question ne modifient pas le droit actuel. Ils ne font que le préciser en tenant compte de la jurisprudence.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – La loi de 1978 ne limitait pas les forfaits en heures, hebdomadaires ou mensuels, aux seuls cadres. Une abondante jurisprudence l’a précisée.

Pour ce qui est des salariés à temps partiel, les nouvelles dispositions ne peuvent pas leur être appliquées, dans la mesure où le forfait intègre les heures supplémentaires, alors que ces salariés accomplissent, eux, des heures complémentaires.

M. Alain Vidalies – Merci, Monsieur le ministre, de ce début de précision.

Contrairement à ce que dit M. le rapporteur, l’accord interprofessionnel du 10 décembre 1977, repris dans la loi du 19 janvier 1978, excluait explicitement les travailleurs à domicile, les travailleurs saisonniers, les intermittents, les travailleurs temporaires. Vous devez nous répondre : soit votre texte ne change rien et ces gens ne sont toujours pas concernés, soit ils le sont. Or ces catégories comprennent plusieurs centaines de travailleurs !

Allez jusqu’au bout : confirmez que nous restons bien dans ce même champ d’application, et qu’aucun salarié exclu par l’accord interprofessionnel de 1977 ne sera concerné par ce nouveau système.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Je sais que telle n’est pas votre intention, mais il ne faut pas introduire ici de confusion. Ce que vous demandez finalement, c’est une précision sur la situation actuelle ! (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Aujourd’hui, l’ensemble des salariés peuvent être visés, hormis les salariés à temps partiel. Le texte ne changera pas la donne.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – J’ai dit la même chose.

M. Alain Vidalies – Non ! Si vous avez raison, Monsieur le rapporteur, le projet ne devrait rien changer à la loi de 1978, mais nous attendons que le ministre en donne la confirmation en répondant à la question précise que je viens de poser après m’être référé à cette loi et à l’accord de 1977.

Le texte du code du travail – comme Mme Billard l’a dit – ne vise que les cadres ; vous nous dites qu’à cause de cet accord de mensualisation, bien d’autres salariés seraient concernés. Dont acte. Mais si vous sortez du champ défini par cet accord, il faut l’écrire : ce ne serait plus alors un article anodin, mais une nouvelle extension de la flexibilité et de la précarité.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Vous devriez choisir des objections cohérentes ! Je reprends ce que j’ai déjà dit : le rapport fait référence à la jurisprudence, qui permet à tous les salariés de bénéficier d’une convention de forfait. Vous l’avez certainement lu !

M. Alain Vidalies – C’est un débat technique, mais important. La jurisprudence ne concerne pas ceux qui sont exclus par l’accord interprofessionnel de 1977, je le maintiens. En quoi est-ce une difficulté de viser ces exclusions ? Appliquer un tel système à ce type de salariés serait extravagant – mais votre incapacité à répondre à nos questions montre que nos inquiétudes sont fondées.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Je ne conteste pas votre bonne foi (« Très bien ! » et rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Les références sont au nombre de trois : le code du travail, la loi de 1978, la jurisprudence. Le seul changement, c’est que nous codifions la loi de 1978. Vous cherchez à faire croire à un changement dans la réglementation en vigueur : c’est faux…

M. Alain Vidalies – Répondez à la question !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Pourquoi ne prenez-vous pas ma place ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)) Vous n’avez pas dit non : vous trahissez votre ambition ! (Sourires)

Le seul changement est un changement de situation de la loi de 1978 ; il n’y a aucun changement de fond.

Les amendements identiques 131, 266 et 861 à 875, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard – L’amendement 132 vise à limiter le recours aux conventions de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois aux seuls salariés initialement concernés, c’est-à-dire les cadres intermédiaires, ni dirigeants, ni intégrés, et il précise la définition des cadres en reprenant l’actuel article L. 3121-38 du code du travail.

Si cette loi est votée, tout salarié pourra en effet se voir proposer une convention de forfait, soit en heures soit en jours, ce qui aura d’importantes conséquences : le temps de travail sera allongé, et la rémunération n’inclura plus d’heures supplémentaires ! Certes, les conventions de forfait en heures sont censées les inclure, mais la loi ne reprend pas l’obligation de tenir un compte des heures effectuées : nous sommes donc inquiets de cette extension du système de forfait, bien moins favorable que la durée du travail mensualisée qui était jusqu’ici le lot commun de l’immense majorité des salariés.

Rappelons que, si la loi Aubry II avait créé des forfaits, cela avait pour contrepartie la réduction du temps de travail. Désormais, les entreprises auront le beurre et l’argent du beurre : elles disposeront de toutes les formes de souplesse, suivant un terme cher à un ancien Premier ministre de votre majorité – une souplesse qui confine à la dérégulation totale ! Mais les contreparties sous forme de réduction du temps de travail ou de repos compensateur disparaissent. Monsieur le ministre, vous ne m’avez pas répondu, mais puisque les repos compensateurs ne font plus partie du temps de travail effectif, ils ne seront même plus comptés pour la retraite !

Les droits des salariés sont donc de plus en plus réduits, et les conditions de travail largement aggravées. Cet amendement est de repli : il faudrait en revenir à la situation qui existait avant la loi Aubry II, où les conventions de forfait concernaient uniquement les cadres dirigeants. Nous sommes au XXIe siècle : la productivité horaire a très fortement augmenté, et nous avons besoin de beaucoup moins d’heures de travail pour produire l’immense majorité des biens nécessaires à une vie correcte sur notre planète ; cette course à l’augmentation du temps de travail dégrade la santé des salariés, compromet l’avenir de notre planète, et n’a finalement comme conséquence que de réduire le nombre de salariés au travail et d’aggraver tout particulièrement les conditions de travail des femmes.

M. Alain Vidalies – Les amendements 876 à 890 sont défendus.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Même avis.

Les amendements 132 et 876 à 890, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Les amendements 891 à 905 sont défendus.

Les amendements identiques 891 et suivants, repoussés par la commission et le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Christophe Sirugue – Avec les amendements 906 à 920, nous voulons encore réduire – autant que faire se peut – la flexibilité que vous installez. Vous privilégiez les accords individuels et les accords d’entreprise, installant une flexibilité à outrance, faisant du salarié une variable d’ajustement.

Vous dites pourtant vouloir, vous aussi, sécuriser le travail des salariés. Prouvez-le donc ! Nous avions proposé d’appliquer les durées maximales hebdomadaires de travail aux salariés concernés par les conventions de forfait ; vous avez refusé. Votre texte précise qu’il peut y avoir convention même en l’absence d’accord collectif préalable ; nous proposons quant à nous de nous en tenir à l’accord collectif. On verra qui défend les intérêts des salariés, et pas seulement une vision idéologique des choses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Nous avons déjà expliqué, la semaine dernière, pourquoi l’explosion de la hiérarchie des normes et l’atomisation des rapports du travail allaient totalement altérer le sens du progrès social. Celui-ci a consisté jusqu’ici, tout en maintenant le lien de subordination entre l’employeur et le salarié, à établir un équilibre entre eux en s’appuyant, non sur les relations bilatérales, mais sur la loi et les conventions collectives.

Nous avons également contesté l’idée, défendue par le ministre et par le rapporteur, selon laquelle un « partenariat » pourrait lier l’employeur et le salarié en matière de relations du travail. Le seul partenariat possible, c’est celui entre les représentants syndicaux du patronat et des salariés, dont les négociations permettent d’élaborer des règles équilibrées.

Les amendements que nous défendons tendent à en revenir à la logique du dialogue social, qui passe par des accords collectifs dépassant la seule relation entre l’employeur et les salariés. Nous voulons notamment que l’établissement des forfaits dépende des conventions de branche.

La stratégie du Gouvernement éclate au grand jour : il s’agit, texte après texte, de démembrer le droit social au profit de la seule relation de travail entre l’employeur et les salariés. Or, si les enfants sont restés dans les mines si longtemps, c’est précisément à cause de ce type de conception. Tous les progrès sociaux dont les salariés ont bénéficié ont été obtenus grâce à la construction d’un ordre social dans lequel l’employeur trouvait lui aussi sa place et son intérêt : le contrat de travail sert aussi les intérêts de l’employeur et l’inspection du travail le protège également.

Les partenaires sociaux ont tous intérêt à ce que le dialogue ne se limite pas à la seule relation du travail au sein de l’entreprise. Or, c’est bien ce qui résultera de ce texte. Au-delà de la seule question des 35 heures, vous allez concentrer l’intégralité des rapports de travail entre les mains de l’employeur, qui détient un pouvoir hiérarchique sur ses salariés – et en disant cela, je ne mets en cause ni l’honneur, ni la dignité, ni les qualités des employeurs.

Le Président de la République pourra venir pleurer en compagnie des salariés sur les fermetures d’entreprises, et nous pourrons interpeller le Gouvernement, mais ce sera en vain : en renonçant aux accords collectifs, vous aurez perdu toute capacité de mener une véritable politique sociale. Nous ne cesserons de le répéter tout au long de cette discussion : vous êtes en train de casser l’instrument qui a permis le progrès social au cours des cent cinquante dernières années.

M. Jean Mallot – Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission a repoussé ces amendements. Sans faire offense à nos collègues, je ne reviendrai pas sur nos débats de la semaine dernière. Nous assumons le fait que l’accord d’entreprise primera l’accord de branche, et qu’il sera possible d’établir des forfaits en l’absence d’un accord collectif.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis. Je me demande, Monsieur Le Bouillonnec, si vous ne remettez pas en cause l’action de Mme Aubry…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Ce n’est pas mon genre !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Permettez-moi de citer une circulaire du 3 mars 2000 : « ces forfaits peuvent être mis en place sur la base d’un accord collectif ou du contrat de travail ».

En réponse à vos critiques, Monsieur Le Bouillonnec, je vous renvoie donc à ce qu’a fait la majorité socialiste avant 2002 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Vous vous méprenez : le contrat de travail ne peut pas imposer aux salariés des obligations plus défavorables que l’accord collectif, qui lui-même doit respecter la loi. C’est ce qu’on appelle la hiérarchie des normes ! Si vous prétendez le contraire, c’est une première et j’invite tous les professeurs de droit social à prendre connaissance de cette nouvelle conception du droit du travail !

Les amendements identiques 906 à 920, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – L’amendement 83 vise à introduire la loi la jurisprudence. L’existence d’une convention de forfait ne se présumant pas, l’accord du salarié est requis.

L'amendement 83, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Dans le même esprit, l’amendement 82 précise que la convention de forfait doit être établie par écrit.

L'amendement 82, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme Martine Billard – Aux termes de l’article L. 3121-41 actuel du code du travail, « lorsqu'une convention de forfait en heures a été conclue avec un salarié, la rémunération afférente au forfait est au moins égale à la rémunération que le salarié recevrait compte tenu du salaire minimum conventionnel applicable dans l'entreprise et des majorations pour heures supplémentaires ».

Or, cette précision disparaît dans la rédaction actuelle du texte. Par l’amendement 133, nous rappelons que la convention de forfait ne peut faire obstacle ni au décompte des heures effectuées, ni au paiement des heures supplémentaires à un taux au moins égal à celui prévu par le code du travail. Il ne faudrait pas que l’on impose aux salariés un temps de travail supérieur à 35 heures pour un gain financier minime.

Voilà un an que le Gouvernement répète qu’il faut travailler plus pour gagner plus. J’imagine que le ministre sera donc sensible à notre argumentation : nous voulons nous assurer que certains salariés travaillent plus pour gagner moins… (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable, même si je suis d’accord sur le fond. Votre demande sera satisfaite grâce à l’amendement 84 de la commission qui vient plus loin en discussion.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même position. Je donnerai d’ailleurs un avis favorable à l’amendement 84.

L'amendement 133, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Catherine Lemorton – Afin d’éviter toute utilisation abusive des conventions de forfait en l’absence d’accords collectifs, les amendements 921 à 935 tendent à soumettre ces conventions à l’avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel et, à défaut d’existence de représentants du personnel, à l’autorisation de l’inspection du travail.

Chacun sait qu’à Amiens, la direction de Goodyear a enjoint aux salariés de signer un accord sur le temps de travail en échange d’emplois. Que feront les salariés ne disposant par de représentants du personnel ou de comité d’entreprise face à un tel chantage ? Vous les renvoyez à leur relation avec leur employeur, relation que le rapporteur aime bien qualifier de « partenariat », alors qu’elle est par nature déséquilibrée.

Pour notre part, nous demandons des garde-fous – en l’occurrence, le recours à l’inspection du travail.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Évitez les artifices : je n’ai jamais prétendu que l’ensemble des relations entre l’employeur et le salarié puissent être qualifiées de « partenariat » (« Mais si ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Reportez-vous au compte-rendu analytique, que j’ai pris le soin de relire…

Pour le reste, nous avons déjà débattu, la semaine dernière, de la place qui doit revenir à l’inspection du travail. Je n’y reviens pas. Avis défavorable.

Les amendements identiques 921 à 935, repoussés par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Les amendements 936 à 950 sont défendus.

Les amendements identiques 936 à 950, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Les amendements 951 à 965 sont également défendus.

Les amendements identiques 951 à 965, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Les amendements 966 à 980 tendent à compléter l’alinéa 6 par l’alinéa suivant : « Les conventions de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois donnent lieu, au moins une fois par ans, à une consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel ».

Ces instances doivent en effet prendre connaissance de l’existence et du contenu de ces conventions conclues. Nous contournerons ainsi votre refus du recours aux conventions collectives et à l’inspection du travail.

Il conviendrait d’éviter que l’ignorance devienne un instrument de dumping social entre les salariés eux-mêmes dans l’entreprise et que l’employeur soit tenté de l’utiliser pour exercer des pressions sur eux, au risque de porter atteinte à la santé du salarié.

Monsieur le rapporteur, voici ce que vous avez dit lors de la deuxième séance de jeudi : « Vous vous fondez sur une sorte d’incapacité des employeurs à comprendre d’eux-mêmes que leur intérêt est d’avoir dans des relations normales avec leurs salariés – c’est-à-dire des relations non pas égales, ne rêvons pas, mais partenariales – pour déterminer ensemble la meilleure façon de fonctionner. » Je vous ai alors répondu : « Les partenaires sociaux ne sont pas les salariés, mais les syndicats ! »

Pour la dernière fois, nous voulons vous proposer que les accords individuels sur ces conventions de forfait puissent être consultés par le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, ce qui permettrait de connaître très exactement les conditions dans lesquelles l’instrument de la convention individuelle est utilisé par l’employeur.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur La commission a repoussé cet amendement, non pour des raisons de fond, mais parce que le code du travail prévoit déjà que le comité d’entreprise est systématiquement consulté sur les modalités d’aménagement du temps de travail. L’alinéa 34 de l’article 17 du présent projet de loi dispose en outre que le comité d’entreprise est consulté chaque année sur l’aménagement du temps de travail sous forme de forfait ainsi que sur les modalités de suivi de la charge de travail des salariés concernés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Et s’il n’y a pas de comité d’entreprise ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur Par définition, il ne peut être consulté.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – C’est pourquoi nous évoquons dans l’amendement les délégués du personnel.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis. Cette consultation doit être annuelle.

Les amendements identiques 966 à 980, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Régis Juanico – Ce texte signifiera davantage de précarité pour les salariés, des conditions de travail dégradées et du pouvoir d’achat en moins.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – C’est le contraire, et vous le savez !

M. Régis Juanico – Il s’inscrit dans une série de dispositions prétendument à même d’améliorer le pouvoir d’achat, mais qui se sont toutes soldées par des échecs. Vous êtes les champions de la déflation salariale : les chiffres de l’INSEE, qui viennent de paraître, montrent que les salariés, compte tenu d’une inflation de 3,2 % en rythme annuel, ont déjà perdu 0,5 point de pouvoir d’achat au premier trimestre.

Vous avez annoncé triomphalement, avec Mme Lagarde, que le volume annuel des heures supplémentaires avait augmenté de 40 %.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Merci de le rappeler.

M. Régis Juanico – Vous savez bien que c’est une supercherie ! Vous avez pris les chiffres du premier trimestre 2007 – alors que la loi TEPA n’était pas en vigueur – alors qu’il convenait de comparer les chiffres du dernier trimestre 2007 – 8,4 heures par trimestre et par salarié – et ceux du premier trimestre 2008 – 8,7 heures –, ce qui donnait une augmentation de 4 % seulement !

Mme Martine Billard – Ils se sont trompés d’un zéro !

M. Régis Juanico – « Travailler plus pour gagner moins » : la réalité est bien celle-là. Les jours supplémentaires travaillés par les salariés en convention de forfait seront majorés de 10 % seulement. Afin de garantir la rémunération de ces salariés, nous proposons, par les amendements identiques 981 à 995, qu’elle soit au moins égale à celle correspondant à leur qualification et qu’ils percevraient compte tenu des majorations pour heures supplémentaires applicables dans l’entreprise. Nous ne faisons là que nous inspirer de la jurisprudence actuelle.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur La commission a repoussé ces amendements et adopté l’amendement 84, qui relève du même esprit, à deux différences près : il vise la validité de la convention de forfait, et non pas seulement la rémunération ; il est moins restrictif que les amendements 981 à 995, qui ne mentionnent que la qualification.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis L’amendement 104, identique, reprend, en la reformulant, les dispositions de l’article L. 3221-41 du code du travail qui prévoit que la rémunération d’un salarié au forfait est au moins égale à la rémunération du salaire minimum applicable dans l’entreprise et des majorations pour heures supplémentaires. Cette clause, qui constitue une garantie pour le pouvoir d’achat, conditionnera la validité des conventions individuelles de forfait.

M. Christophe Sirugue – Nous considérons qu’il faut tenir compte de la qualification du salarié et que l’inscrire dans la loi permettra de sécuriser la prise en compte des particularités de chacun, d’autant qu’il s’agit d’accords de gré à gré. Les sous-amendements identiques 1725 à 1737 étant complémentaires de votre dispositif, Monsieur le rapporteur, je ne doute pas que vous émettrez un avis favorable…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur Je comprends l’esprit et le partage même – mais j’estime trop restrictif de faire apparaître la seule notion de qualification alors que d’autres éléments pourraient être évoqués.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Comme les compétences ou les catégories…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur En effet. À titre personnel, avis défavorable.

M. Jean-Pierre Brard – Monsieur le ministre, vous avez évoqué tout à l’heure, avec l’air de ne pas y toucher, les heures supplémentaires. Il se trouve que M. Carrez a présenté en commission des finances son projet de rapport, dont je n’imagine pas que vous ignoriez les conclusions. Notre excellent rapporteur général – homme de droite, certes, mais d’une grande rectitude – nous a expliqué que les conséquences des exonérations de cotisations sociales restaient incertaines, au point qu’il était impossible d’établir le nombre exact d’heures supplémentaires « nouvelles » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Seule certitude : les nouvelles règles ont fait sortir de la « zone grise » les heures supplémentaires déjà effectuées, tout comme l’avait fait l’abaissement du taux de TVA pour les travaux à l’intérieur des logements. Puisque, comme d’habitude, vous avez profité d’un autre sujet pour reprendre en douce le même refrain, je tenais à informer de ces conclusions nos collègues qui ne sont pas membres de la commission des finances, ainsi que nos concitoyens qui ne peuvent assister à ses travaux.

Pour ce dispositif, aucune évaluation ne permet de poser les jalons. Une fois de plus, vous affectez de vilipender l’« idéologie », mais, tels Tartuffe, vous la laissez imprégner entièrement votre argumentation ! (Protestation sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Avis favorable aux amendements, défavorable aux sous-amendements.

Mme Martine Billard – C’était la moindre des choses que de réintroduire cette disposition du code du travail actuel. Pour autant, je regrette que la commission et le Gouvernement n’aillent pas plus loin : la difficulté, pour l’employeur comme pour le salarié, sera de démontrer combien d’heures supplémentaires ont été intégrées dans le forfait. L’absence de décompte desservira les deux parties en cas de conflit car elles ne seront pas en mesure de prouver si la convention de forfait a été respectée ou non.

C’est pour cela que j’avais déposé un amendement prévoyant un décompte des heures effectuées. De plus en plus d’entreprises n’ayant pas leur siège en France emploient, souvent dans le cadre de marchés de sous-traitance, des salariés venus de toute l’Europe – je pense en particulier aux chantiers navals. Ces salariés manquent de moyens pour prouver – le cas échéant – leur bonne foi et l’absence de respect du contrat par l’employeur. Il me semblait donc important de prévoir ces décomptes pour limiter le dumping social entre entreprises sous-traitantes.

M. Jean Mallot – J’ai quelques difficultés à suivre les méandres de la pensée du ministre et la souplesse d’échine qui lui permet de s’y retrouver… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Si j’ai bien compris, le rapporteur et le Gouvernement sont opposés à notre sous-amendement parce que la précision « de sa qualification et » restreint le champ d’application de la disposition en cause. Je vais vous faire une proposition constructive : pourquoi ne pas ajouter « notamment » ? Cela permettrait de prendre en compte notre préoccupation sans restreindre ce champ d’application ! (Exclamations et rires sur plusieurs bancs)

M. le Président – Le sous-amendement est donc rectifié en ce sens.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur  J’en ai suffisamment entendu de mes collègues la semaine dernière sur l’utilisation abusive, déplacée, inutile, impromptue et impertinente de l’adverbe « notamment » pour accepter qu’ils recourent aujourd’hui au même procédé ! Je m’y oppose donc formellement !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

Les amendements identiques 981 et suivants rectifiés, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Les sous-amendements identiques 1725 à 1737 rectifiés, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Les amendements 84 et 104, mis aux voix, sont adoptés.

M. Jean-Pierre Brard – Notre collègue est bien sévère avec vous lorsqu’il dit se perdre dans les méandres de votre pensée, Monsieur le ministre.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Pourquoi n’entend-on plus M. Muzeau ?

M. Jean-Pierre Brard – Vous ne perdez rien pour attendre ! N’essayez pas de noyer le poisson ! Vous n’avez qu’un objectif : beurrer la tartine du MEDEF (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) – tout le reste n’est qu’habillage. Vous n’en avez que pour les banquiers, les compagnies d’assurance et les grands groupes !

N’ayez crainte, M. Muzeau va parler : nous, nous sommes pour le pluralisme ! Ce n’est pas comme chez vous, surtout depuis le conseil national de l’UMP ! Combien entendez-vous de députés UMP parmi ceux qui sont présents ? Seul M. Apparu a levé timidement la main tout à l’heure – c’est un jeune député dynamique, qui n’a pas compris qu’il faut de la discipline…

L’amendement 267 vise à supprimer les dispositions proposées pour la mise en place des conventions de forfait sur l’année, pour les mêmes raisons que celles qui nous font refuser le dispositif relatif aux conventions de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois. Si vous avez pris le soin de renvoyer aux accords d’entreprise ou de branche, vous prévoyez néanmoins l’élargissement du dispositif à l’ensemble des salariés, sans évaluation préalable des conséquences possibles. Vous n’avez que faire de ce que donnent vos politiques : ce qui vous importe, c’est seulement de les poursuivre, avec les objectifs idéologiques que vous niez – ceux-là mêmes que nous combattons et dont souffrent nos concitoyens.

L'amendement 267, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Francis Vercamer – L’amendement 225 est défendu.

M. Christophe Sirugue – Les amendements 996 à 1010 visent à revenir sur une orientation fondamentale du texte qui est de privilégier les accords d’entreprise plutôt que les accords de branche. Pour nous, l’accord de branche est un élément de sécurité pour le salarié. Laisser la négociation s’établir au niveau de l’entreprise est un facteur de fragilisation, notamment dans les petites entreprises où la discussion entre l’employeur et le salarié est plus difficile que dans les grands groupes.

M. François Goulard – C’est exactement le contraire !

M. Christophe Sirugue – Mon amendement 997 tend donc à retenir le principe de l’accord de branche dans le cadre des conventions de forfait. Puisque vous avez refusé les garde-fous que nous proposions, la mise en œuvre de ces conventions de forfait doit être prévue par un accord de branche étendu.

L'amendement 225 et les amendements identiques 996 et suivants, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard – L’amendement 177 rectifié procède de la même idée : les forfaits sur l’année doivent être négociés prioritairement dans le cadre d’accords de branche.

Je voudrais d’ailleurs poser à nouveau une question à laquelle vous n’avez toujours pas répondu, Monsieur le ministre : pourquoi ne parle-t-on plus d’accord de branche « étendu » dans les articles 16, 17 et 18 ? La nuance est de taille : les entreprises qui ne sont pas affiliées à une branche ne seront pas tenues par les accords de branche s’ils ne sont pas étendus. En outre, les entreprises qui n’ont pas leur siège en France ne seront tenues ni par des accords de branche qu’elles ne peuvent pas avoir signés, ni par des accords d’entreprise. Elles seront uniquement tenues par le code du travail. Or pour prendre un exemple, les jours fériés – à l’exception du 1er mai – ne dépendent pas du code du travail mais des conventions collectives. Sans accords de branche étendus, ne risque-t-on pas d’assister à des reculs ? Je précise enfin que plus de 90 % des salariés travaillant aujourd’hui dans notre pays sont couverts par des accords de branche.

M. Alain Vidalies – Les amendements 1011 à 1025 sont identiques. Mme Billard vous a posé une vraie question, Monsieur le ministre, et il serait également utile que vous reveniez sur la circulaire que vous nous avez lue tout à l’heure pour nous démontrer que, dans le cadre de la loi Aubry, on pouvait signer des conventions annuelles directes sans accord collectif.

S’agissant de la hiérarchie des normes, nous avons évoqué la semaine dernière le danger que présente pour notre droit la seule référence à l’accord d’entreprise. Vous avez dû concéder que vous étiez inquiet des conséquences des arrêts de la CJCE.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Non : attentif ! (Sourires)

M. Alain Vidalies – « Attentif », dites-vous ? Nous avons appris à parler le Bertrand (Sourires) : c’est que la situation doit être grave !

Plus sérieusement, à partir du moment où la Cour de justice dit qu’un accord d’entreprise, parce qu’il n’est pas d’application générale, ne peut être opposé à une entreprise étrangère, la référence à un accord de branche devient une précaution essentielle, tant pour les salariés que pour les entreprises elles-mêmes.

Je reviens à ce sujet sur un amendement à la loi LME, sur lequel le Gouvernement et sa majorité ne se sont guère exprimés. Au cours de la discussion du texte, Mme Lagarde a fait adopter une disposition passée inaperçue, y compris, à quelques exceptions près, dans nos rangs. De quoi s’agit-il ? De permettre qu’une entreprise étrangère établissant une succursale en France soit exonérée du paiement des cotisations vieillesse pour ses salariés, à la seule condition de justifier du paiement d’une assurance vieillesse dans un autre pays – y compris si ladite cotisation n’est que de 0,5 % du salaire… Ainsi, des entreprises étrangères pourront en toute légalité s’installer sur notre territoire et ne cotiser pour leurs salariés qu’à hauteur de 1 ou 2 % des salaires, quand les entreprises françaises devront cotiser à hauteur de 10 % ! Jusqu’à présent, une telle disparité était interdite…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail C’est la traduction d’une réglementation européenne.

M. Alain Vidalies – Nullement. Si c’était le cas, le Gouvernement n’aurait pas été contraint d’inscrire cette disposition dans la loi. D’ailleurs, l’exposé sommaire de l’amendement ne dit rien de tel, mais il est proprement extraordinaire : il s’agirait par ce biais, nous dit-on, de « renforcer l’attractivité du territoire français » ! À quoi riment donc tous les beaux discours du Président de la République ? L’ensemble que vous constituez crée le désordre économique et social ; nos amendements tentent de remettre les choses dans un ordre juridique acceptable (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur La commission a repoussé ces amendements identiques car le texte ne supprime pas l’extension de l’accord de branche. L’accord de branche étendu sera toujours nécessaire mais, comme l’a d’ailleurs indiqué Mme Billard, il n’est pas général à ce jour.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Avis défavorable. Si mention était faite des accords de branche étendus, il faudrait attendre l’extension de l’accord pour que les entreprises adhérentes puissent bénéficier des progrès permis par les accords collectifs, ce qui serait une perte de temps. Je le répète, il n’y a pas de changement. Quant à M. Vidalies, il déploie des trésors d’imagination pour faire peur, mais ses efforts tombent à côté…

M. Jean Mallot – Depuis le début de l’après-midi, Monsieur le ministre, vous tentez de nous rassurer, mais vos efforts tombent à côté…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail À aucun moment vous n’avez pu apporter la preuve de ce que vous affirmez. La disposition dont vous avez parlé tend à éviter la double affiliation. Elle sera nécessaire aussi longtemps qu’une directive n’aura pas harmonisé les conditions du détachement des salariés, et elle ne fait aucunement régresser notre droit social. Il n’y a là rien de plus et rien de moins, et vous aurez du mal à faire peur avec cela.

Mme Martine Billard – Votre réponse me laisse dubitative. Supprimer l’extension de l’accord de branche pour gagner du temps…

M. François Goulard – Qu’il ne soit pas mentionné ne signifie pas qu’il est supprimé !

Mme Martine Billard – Au terme de l’examen de ce texte, vous aurez inclus le temps de travail dans la négociation de l’accord d’entreprise, inversé la hiérarchie des normes et refusé de maintenir explicitement la mention de l’accord de branche étendu. Permettez-moi de considérer que cette construction pose problème.

M. François Goulard – Le droit en vigueur n’impose pas l’obligation d’accords de branche étendus.

Mme Martine Billard – Le refus de le mentionner est significatif en soi. Nous vous avons vus à l’œuvre depuis 2002, démontant pierre à pierre l’édifice de notre droit social. Sachant quelles sont les exigences du MEDEF, que vous satisfaites les unes après les autres, on voit ce qui se trame.

M. François Goulard – Mais non ! Le MEDEF ne cesse de nous enguirlander !

M. Alain Vidalies – Vous prétendez, Monsieur le ministre, qu’une entreprise étrangère qui s’établirait en France et qui emploierait des salariés français…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Des salariés étrangers.

M. Alain Vidalies – Mais non, il s’agit de salariés français !. Comme le montre le compte rendu analytique de la séance considérée, il ne s’agit nullement d’appliquer un règlement communautaire, mais d’autoriser une entreprise étrangère qui s’installe sur notre territoire à ne pas cotiser à l’assurance vieillesse française pour peu qu’elle cotise, a minima, ailleurs. Comme cette innovation emportera des conséquences sociales, j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Les amendements identiques 177 rectifié et 1011 à 1025, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Les amendements identiques 1026 à 1040 tendant à préciser le texte, le rapporteur ne pourra que les approuver…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur Non, car la commission, qui préfère voir cette précision figurer à l’alinéa 11, présentera un amendement à cette fin.

Les amendements 1026 à 1040 sont retirés.

M. Jean Mallot – Nous voici au cœur du débat : c’est ici que le Gouvernement commet son forfait (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), forfait que la majorité approuve donc. Le mécanisme que vous créez conduira inévitablement au dumping social que vous appelez de vos vœux. Au prétexte qu’il faut « s’adapter à la mondialisation », vous facilitez le broyage des salaires (Mêmes mouvements). On voit bien dans quelle spirale descendante les accords d’entreprise dérogatoires entraîneront les normes sociales. Si un tel accord est conclu par une entreprise, que pourront faire les salariés des entreprises concurrentes appelés à « négocier », sinon s’aligner ? Et que feront les entreprises qui devront affronter la concurrence d’entreprises étrangères pour ainsi dire exemptées de cotisations d’assurance vieillesse ? Elles aussi s’aligneront par le bas. Après avoir ouvert des brèches, vous vous apprêtez à mettre à mal tout notre système social par l’inversion de la hiérarchie des normes, par l’individualisation des rapports sociaux, par la multiplication d’auto-entrepreneurs appelés à se débrouiller comme ils peuvent et de journaliers non protégés par des conventions collectives. Telle est la France que vous voulez ; telle est celle que nous refusons.

Le texte confie la négociation relative à la mise en œuvre de conventions de forfait sur l’année directement au niveau de l’entreprise ou de l’établissement : « par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ». Ce n’est qu’en l’absence d’accord d’entreprise ou d’établissement que peut s’appliquer un accord de branche : « ou, à défaut par une convention ou un accord de branche » en l’occurrence non étendu, c'est-à-dire ne s’appliquant pas à l’ensemble des entreprises de la branche concernée.

Cette rédaction constitue une aggravation du renversement de la hiérarchie des normes, déjà engagée par la loi Fillon du 4 mai 2004, qui conduira à une atomisation du droit du travail d’une entreprise à l’autre et qui constituera un élément de concurrence entre les entreprises d’une même branche et encouragera le moins disant social. Nous demandons donc, par les amendements 1041 à 1055, la suppression des termes « à défaut », afin de conserver une hiérarchie des normes qui protège un peu le salarié.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Défavorable, pour les raisons déjà exposées.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

Les amendements identiques 1041 à 1055, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard – L’amendement 134 est défendu.

L'amendement 134, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Les amendements 1071 à 1085 tendent à préciser que l’accord est bien un accord collectif préalable. C’est un minimum minimorum, sans lequel il y aurait une véritable régression sociale.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – C’est parce que la commission a émis un avis favorable que nous avons refusé, voici un instant, de placer la même disposition plus tôt dans le texte.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Cela va de soi, mais s’il s’agit de mettre fin une fois pour toutes à toutes ces craintes d’une régression sociale, le Gouvernement émet un avis favorable. Je vous remercie de votre soutien… (Sourires)

M. Alain Vidalies – Je remercie le rapporteur de son ouverture d’esprit. Je ne sais si je dois remercier le Gouvernement, car accepter même un amendement de clarification semble un tel effort pour le ministre qu’il ne peut pas s’empêcher d’être désagréable…

Je reviens sur ma question de tout à l’heure en me reportant à l’exposé sommaire de l’amendement du Gouvernement à la loi LME. Vous m’avez répondu en expliquant que la dispense d’affiliation à la sécurité sociale concerne des salariés dont l’employeur est dans un autre pays de l’espace économique européen ou dans un pays couvert par une convention bilatérale. Mais ce dont il s’agit ici, c’est l’exonération d’affiliation pour des salariés détachés d’un groupe à un autre dans le cas de pays qui n’ont pas signé de convention bilatérale. C’est bien une nouvelle exonération pour ces salariés étrangers concernés par la mobilité intergroupes, et non pour ceux auxquels s’applique la coordination des règlements communautaires et dont vous m’avez parlé.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Sans vouloir poser au ministre qui aurait réponse à tout – d’autant qu’il s’agissait de la loi LME –, la disposition qui y figure concerne uniquement les salariés extracommunautaires. L’objectif ici est d’éviter la double affiliation des salariés extracommunautaires détachés pendant une durée de trois ans non renouvelable.

M. Jean Mallot – Elle est renouvelable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Pendant la présidence française, des conférences auront lieu sur cette question spécifique de la mobilité intergroupes car j’ai toujours voulu faire des garanties pour éviter le dumping social une des priorités de cette présidence. Vous êtes invités à vous associer à ces travaux s’ils vous intéressent.

Les amendements identiques 1071 à 1085, mis aux voix, sont adoptés.

M. Alain Vidalies – Les amendements 1086 à 1100 sont défendus.

Les amendements 1086 à 1100, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard – Mon amendement 135 tend à préciser que la conclusion d’une convention individuelle de forfait par un salarié constitue une modification substantielle du contrat de travail. Le salarié doit pouvoir la refuser sans qu’on considère qu’il s’agit d’une démission, et avoir droit, par conséquent, aux indemnités de licenciement ou de chômage.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission a repoussé cet amendement. Non qu’elle soit en désaccord avec Mme Billard sur le fond : elle a adopté un amendement qui spécifie que cette modification doit donner lieu à consentement personnel et écrit du salarié. D’autre part, depuis 1996, la modification « substantielle » du contrat n’existe plus.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – On pourrait sous-amender l’amendement pour supprimer le terme « substantiel »… En tout état de cause, il y a un véritable problème de fond. Le traiter permettrait d’éviter un certain nombre de contentieux sur les conditions dans lesquelles la convention individuelle est conclue. Il convient en effet de se placer clairement dans le cadre de l’élaboration du contrat de travail et de sa modification et d’affirmer que le salarié doit pouvoir refuser celle-ci, car elle porte sur un point qui n’est pas accessoire.

Mme Martine Billard – Dans un amendement ultérieur, le rapporteur spécifie bien que la mise en œuvre de la convention individuelle de forfait en jours sur l’année requiert l’accord du salarié concerné. Mais les modifications de forfait en heures ne sont pas couvertes. Je laisse de côté le cas d’une embauche ; lorsqu’un salarié en poste refuse une telle convention, est-on bien dans le cadre du licenciement et non de la démission ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – De mon point de vue, refuser une telle disposition ne peut être considéré comme une démission au regard du droit actuel. Il n’y a donc pas de modification à apporter sur ce point.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Je confirme que le refus du forfait ne constitue pas une faute.

L’amendement 135, mis au voix, n’est pas adopté.

M. Alain Vidalies – Je demande, au nom de mon groupe, une suspension de séance.

M. le Président – Elle est de droit.

La séance, suspendue à 17 heures 45, est reprise à 18 heures.

M. Christophe Sirugue – Les amendements identiques 1101 à 1115 visent à insérer l’alinéa suivant : « L’accord collectif fixe les conditions dans lesquelles le salarié fait connaître son choix, les modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés concernés, de l’amplitude des journées d’activité et de la charge de travail qui en résulte, ainsi que les conditions de contrôle de leur application ». Il s’agit d’apporter une sécurité maximale aux salariés, en évitant tout risque de dérapage dans les accords qui pourraient être conclus, notamment dans les petites entreprises. Il faut en effet veiller à préserver aussi la vie de famille et la santé des salariés. Chaque fois que des dispositions collectives peuvent se substituer aux dispositions conclues de gré à gré entre salarié et employeur, les droits des salariés sont mieux protégés. Cela est d’autant plus nécessaire que les conventions individuelles de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois ont été étendues à l’ensemble des salariés.

M. Alain Vidalies – Ces amendements sont en fait de repli. Le législateur peut-il rester indifférent au contenu futur des accords d’entreprise que vous préconisez, ou doit-il poser certaines limites ? Pour nous, la loi doit préciser comment le salarié fait connaître son choix, comment sera assuré le suivi de l’organisation du travail et de l’amplitude des journées de travail, comment s’appliquera l’accord. Nous aurions d’ailleurs souhaité, nous, que des réponses précises soient apportées à ces questions. À défaut, il faut au moins s’entendre sur une méthode minimale et fixer dans la loi la liste des questions que devront aborder ces accords. C’est indispensable pour parvenir non à l’homogénéité – à laquelle nous ne croyons pas –, mais au moins à une certaine cohérence et éviter l’atomisation totale du droit du travail conventionnel. Puisque vous avez choisi de donner la priorité aux accords d’entreprise, le législateur doit fixer les objectifs de leur contenu.

M. Jean Mallot – Je défends l’amendement 1104. Que les conventions individuelles de forfait en heures puissent désormais s’appliquer aux non-cadres est une raison de plus pour nous, législateurs, de nous interroger sur les protections nécessaires pour les salariés. Il faut en effet éviter que le système ne dérive au mépris de leur santé. Si nous n’y prenions garde, les conditions par exemple dans lesquelles ils feront connaître leur choix pourraient laisser place à des pressions psychologiques, si bien que ce choix ne serait pas totalement libre. De même, il faut veiller à l’amplitude des journées de travail pouvant résulter de ces accords – vous devriez être d’accord avec moi sur ce point, Monsieur Poisson, vous qui êtes l’auteur d’un rapport sur la pénibilité au travail, même si ses conclusions nous ont beaucoup déçus. Ne serait-ce que pour garantir la liberté de choix effective du salarié et la protection de sa santé comme de sa sécurité, il appartient au législateur de limiter autant que possible les dérives auxquelles votre démarche, hélas, conduit naturellement en inversant la hiérarchie des normes. Ce que nous proposons devrait en fait figurer dans l’accord de branche, au sein duquel devrait s’inscrire l’accord d’entreprise. Nous espérons que vous aurez le bon sens de limiter le dumping social –même si vous l’appelez secrètement de vos vœux.

M. Régis Juanico – Oui à la souplesse dans l’entreprise, pour répondre tant à ses besoins en matière d’activité qu’aux aspirations de ses salariés en matière d’organisation du travail – elle existe d’ailleurs depuis plusieurs années –, mais non à la chienlit (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ! Non au n’importe quoi dans l’entreprise ! Le risque, avec ce texte, est que se multiplient les cas d’accords forcés comme nous l’avons vu chez Bosch ou encore Goodyear-Dunlop à Amiens où les salariés se sont mis en grève pour contester un accord de réorganisation du travail qui s’apparentait davantage à du chantage qu’à un accord d’entreprise. Celui-ci prévoyait la possibilité pour les salariés de faire 48 heures par semaine pendant plusieurs mois par an et le non-paiement des heures supplémentaires, ce qui au final se traduisait pour eux par une perte de salaire. Si cette loi ne comporte pas les garde-fous indispensables, elle risque d’encourager ce type de pratiques, que nous ne saurions cautionner, et de faire se dégrader le climat social, comme cela est aujourd’hui le cas dans les entreprises qui ont mis en œuvre ce type d’accord.

Mme Catherine Lemorton – Ce texte est l’un des plus dangereux examinés depuis le début de la législature. Il conduira au moins-disant social, mettra en concurrence, non seulement les entreprises entre elles, mais aussi les salariés au sein d’une même entreprise.

Plutôt qu’à l’accord de branche, vous donnez la préférence à l’accord d’entreprise, voire à l’accord de gré à gré entre salarié et employeur, conclu dans ce partenariat si cher au rapporteur… Face aux dangers en résultant, il est de notre devoir de législateurs de protéger les salariés dès lors que leurs conditions de travail risquent de se détériorer, au mépris de leur santé et de leur sécurité.

Nous aurons tout tenté pour y parer, vous avez, hélas, tout refusé. Ainsi d’une intervention éventuelle de l’inspection du travail pour protéger le salarié dans ce colloque si singulier avec son employeur. Vous avez refusé tous les amendements destinés à protéger les salariés d’un éventuel licenciement pour refus d’effectuer des heures supplémentaires. Devant cette absence de protection, devant cette fragilisation du monde du travail, nous vous demandons instamment d’accepter cet amendement.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable. D’une part, la mention des « caractéristiques principales » par l’alinéa 11 du projet suffit à répondre aux légitimes interrogations de nos collègues…

Mme Catherine Lemorton – C’est trop flou !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – …et d’autre part, nous pensons effectivement – c’est un point de désaccord entre nous – que toutes ces modalités doivent être discutées : il ne faut pas préempter les discussions entre l’employeur et les salariés.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail On ne peut pas vouloir donner la liberté au négociateur et encadrer à l’excès cette négociation en inscrivant trop de détails dans la loi.

M. Jean Mallot – Ce n’est pas un point de détail !

M. Alain Vidalies – Les réponses que nous venons d’entendre ne sont pas raisonnables. Un désaccord de fond nous oppose, c’est vrai. Vous avez aussi refusé d’inscrire dans la loi des normes que les accords devraient absolument respecter – il s’agissait pourtant déjà d’une position de repli. Mais cet amendement ne porte plus que sur le cadre des négociations : et vous estimez que le seul fait de fixer des objectifs communs à l’ensemble des accords d’entreprise, c’est encore trop !

Que se passera-t-il dans les entreprises ? Votre parole est d’or, Monsieur le rapporteur, mais seulement dans cet hémicycle ; les entreprises, elles, ne se reporteront pas nécessairement à votre interprétation. Certains accords prévoiront tous ces éléments – par exemple les conditions de contrôle de l’organisation du travail – mais d’autres ne le feront pas. Comment l’administration exercera-t-elle son contrôle ? Il est vrai qu’elle ne contrôlera pas, puisque vous avez écarté l’intervention de l’inspecteur du travail…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Non, seulement son autorisation préalable !

M. Alain Vidalies – Et comment le juge prud’homal tranchera-t-il, dès lors que les conditions de contrôle et l’amplitude de la journée de travail ne sont pas prévues, ou bien sont prévues par certaines conventions et pas par d’autres ? Si le salarié va devant le conseil des prud’hommes, le juge considèrera-t-il cette mention comme superfétatoire, puisqu’elle n’est pas obligatoire aux termes de la loi ? Le non-respect de ces éléments par l’employeur constituera-t-il une violation grave du contrat de travail ? Tout cela pose problème.

Vos réponses laissent penser que tous ces éléments doivent figurer dans les accords. Sans être trop directif, il faut être plus précis ! Il vous revient de prévoir – d’ici à la fin de la discussion de ce texte – les éléments qui doivent figurer dans l’accord d’entreprise. Même si vous ne voulez pas de nos amendements, il faut absolument homogénéiser ces accords : c’est une question d’équité pour les salariés, et aussi d’équité entre les entreprises. On n’est même plus dans l’atomisation, on est dans le n’importe quoi !

Les amendements 1101 et suivants, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Christophe Sirugue – Je n’imagine pas que vous puissiez refuser les amendements 1116 à 1130. L’esprit de nos travaux, c’est de donner toute leur place à la souplesse et à la flexibilité. Cette approche ne saurait seulement concerner l’employeur, comme vous le proposez ; elle doit, comme nous le proposons, concerner aussi le salarié, qui pourra faire connaître son choix d’accepter ou non la convention, puis son choix de la renouveler ou, au contraire, d’en sortir. La loi doit respecter l’équilibre entre employeur et salarié, sans léser l’une des parties. Vous dites vouloir servir l’intérêt général : mettez vos actes en adéquation avec vos paroles !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Nous ne proposons pas d’amenuiser la capacité des parties à discuter, et moins encore d’empêcher toute discussion : nous estimons que pour qu’un accord soit conclu, il faut prévoir les éléments qui doivent nécessairement y figurer. C’est ce qui s’est toujours fait en droit du travail, et sans cela, les litiges risquent de se multiplier. Plus la loi fixera les éléments qui doivent nécessairement faire l’objet de discussions, moins nombreux seront les contentieux et plus nombreux seront les accords conclus. Nous restons dans votre logique ; mais le meilleur moyen de favoriser l’élaboration d’un accord, c’est de fixer les éléments qu’il doit contenir, et donc de placer les partenaires en situation de remplir des cases, d’éliminer les imprécisions et donc de régler par avance bien des problèmes. Sinon, vous prenez le risque de multiplier les contentieux.

M. Alain Vidalies – Ces amendements visent à inscrire dans la loi que les accords d’entreprise doivent nécessairement comporter deux éléments : les conditions dans lesquelles le salarié fait connaître son choix d’accepter ou de refuser la conclusion d’une convention de forfait, mais aussi les conditions de renouvellement ou de sortie de la convention. J’entends bien l’argument qui consiste à dire que ces précisions n’ont rien à faire dans la loi. Mais il faut aller jusqu’au bout de votre logique : c’est parce que vous choisissez l’accord d’entreprise que la loi peut seule fixer le périmètre des accords.

M. Jean Mallot – Bien sûr !

M. Alain Vidalies – Selon nous, ces précisions devraient relever de l’accord de branche ; mais voilà que ce dernier devient supplétif dans le cadre de ce projet, voire quasi-inexistant puisque sa supériorité sur l’accord d’entreprise disparaît. Pour maintenir un minimum d’homogénéité, c’est donc au législateur qu’il revient d’apporter certaines précisions. Or, vous n’allez pas jusqu’au bout de votre démarche : vous faites disparaître ce qui pourrait relever de l’accord de branche, mais sans rien mettre à sa place. Ce sera la loi de la jungle dans les entreprises !

Certains accords seront conclus dans des conditions très particulières : quoi de commun entre une entreprise qui connaît des difficultés financières, qui vient par exemple de perdre un marché important, et où des emplois sont en jeu, et une entreprise qui vient au contraire de remporter un marché important ? La première négociera pour éviter des licenciements, la seconde pour pouvoir répondre à toutes les commandes : c’est le jour et la nuit ! Sans cadre précis de discussion, le paysage social deviendra disparate, il perdra toute cohérence. Si vous ne voulez pas d’accords de branche, il faut au moins fixer un cadre : celui de la loi. Tel est l’objet de ces amendements.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Avis défavorable, pour les mêmes motifs que précédemment. Tout d’abord, j’ai du mal à imaginer des accords ne contenant pas un minimum de précisions. J’ajoute que nous examinerons bientôt un amendement exigeant un accord écrit du salarié. Enfin, puisqu’il doit y avoir une négociation, pourquoi ne pourrait-elle pas porter également sur le cadre méthodologique ? C’est une pratique habituelle.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Un encadrement législatif est effectivement nécessaire. La jurisprudence du Conseil constitutionnel l’impose d’ailleurs. Cela étant, vous savez bien que les conditions de validité des accords ont été renforcées : le « 30-50 », ce n’est pas rien ! Par ailleurs, rien n’exclut l’intervention de l’inspection du travail, laquelle doit veiller à la bonne application des accords.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Exactement !

M. Alain Vidalies et M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Mais ce ne sera pas systématique.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Il ne faudrait pas oublier ces deux garanties supplémentaires.

Les amendements 1116 à 1130, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean Mallot – Le ministre et le rapporteur prétendent sans cesse que nos amendements sont inutiles au motif que « tout va de soi » et que « rien ne change ». C’est un éloge permanent du non-dire, du non-faire, voire du non-sens…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur Certainement pas !

M. Jean Mallot – Permettez-moi de citer une chronique de Vialatte : « La rentrée a eu lieu depuis longtemps. Les élèves de 6e ont déjà commencé à ne pas apprendre le latin. Des spécialistes nous assurent qu’ils auront la tête mieux faite. Les connaissances barbouillent l’esprit, retardent le jugement et fatiguent la mémoire. On ne saurait commencer trop jeune à ignorer ! » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Par l’amendement 1134, nous demandons que les dispositions du code du travail relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux congés payés soient explicitement applicables aux salariés concernés par une convention de forfait en heures ou en jours. C’est bien le moins !

Aux termes des articles L. 3131-1 et L. 3132-2, tout salarié a droit à un repos quotidien d’au moins onze heures consécutives et à un repos hebdomadaire d’au moins 24 heures consécutives. Ce serait une régression sans précédent de refuser ce droit dans le cadre d’une convention de forfait. Sortez pour une fois du non-dit en acceptant nos amendements 1131 à 1145.

M. Régis Juanico – Ces amendements sont essentiels, car il y va des dispositions minimales applicables en matière de repos. Pour ma part, je ne ferai pas référence à Alexandre Vialatte, mais au philosophe André Gorz…

Mme Martine Billard – Pas mal non plus !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Pourquoi ne citez-vous pas Gaëtan Gorce ? (Sourires)

M. Régis Juanico – André Gorz s’interrogeait sur la désynchronisation des temps de la vie. Quand dans un couple, un homme et une femme… (Exclamations sur divers bancs) Quand un couple, de toute nature (sourires), est soumis à des rythmes de travail trop anarchiques, que se passe-t-il ? On ne se croise jamais et l’on ne voit plus ses enfants. Avec la désynchronisation des temps sociaux, il n’y a plus de repères communs, ce qui est extrêmement grave dans une société.

Les dispositions minimales en matière de repos sont le fruit d’un siècle et demi de luttes sociales. Si les enfants ne travaillent plus depuis la fin du XIXe siècle, si les salariés ont obtenu la semaine de 40 heures et les congés payés, c’est parce que le mouvement ouvrier a arraché ces conquêtes sociales au prix de grèves, et parfois de vies humaines. Nos amendements n’ont d’autre but que de graver ces avancées dans le marbre de la loi.

Mme Catherine Lemorton – Vous vous voulez sans cesse rassurant, Monsieur le ministre. Vous êtes une vitrine rassurante, une sorte de « Plastic Bertrand » (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe SRC). Nous touchons pourtant au cœur de ce texte : la santé des salariés dans les entreprises où il n’y aura pas de garde-fous, car la majorité aura refusé nos propositions.

Il faut songer à l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale des salariés. Le travail est certes essentiel pour que nos concitoyens puissent s’épanouir, mais ils ont besoin d’autres temporalités à côté du travail. C’est pourquoi nous insistons tant sur les conditions de repos.

Le ministre répond sans cesse que tout est déjà dans le texte…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – C’est le cas !

Mme Catherine Lemorton – Mais nous avons un doute. Si c’est une telle évidence, pourquoi vous refusez-vous à l’inscrire dans la loi ? Cela irait encore mieux en le disant !

Si nous répétons que les salariés ne doivent pas travailler plus de six jours par semaine, c’est que nous allons bientôt examiner un texte relatif au repos dominical et que nous craignons que certains salariés soient contraints, du fait des conventions de forfait, à travailler deux semaines d’affilée.

Allez-vous imposer aux jeunes qui arrivent sur le marché un monde totalement dérégulé, sans limite de temps de travail et sans congés acceptables ? Ce serait mettre en danger leur santé et porter préjudice à leur avenir professionnel. C’est pourquoi nous vous demandons d’accepter nos amendements.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission les a repoussés pour des raisons que j’ai déjà exposées. Ces dispositions figurent déjà dans le code du travail. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Elles s’appliqueront donc aux forfaits, et les amendements sont satisfaits.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Ils le sont en effet. J’ajoute que le projet de loi apporte plus de garanties aux salariés que les lois dites « Aubry ». Alors qu’il était possible de déroger aux durées maximales par voie conventionnelle, ce ne sera plus le cas.

La plastique de ces amendements est a priori impeccable (Sourires). En les adoptant, vous risqueriez toutefois de fragiliser les dispositions que vous voulez consacrer : ce serait en effet ouvrir la voie à des raisonnements a contrario. Voilà pourquoi il vaut mieux s’abstenir. Avis défavorable.

M. Alain Vidalies – Vous prétendez que ce texte apporte plus de garanties que les lois « Aubry » ! Cela ne manque pas de sel, et c’est bien la première fois que j’entends une telle assertion. Assumez votre préférence pour l’accord d’entreprise mais n’allez pas nous dire, dans le même temps, que vous apportez des garanties aux salariés ! Une telle méthode peut donner des résultats en matière commerciale – encore qu’il puisse y avoir tromperie sur la marchandise – mais elle n’a pas lieu d’être au Parlement.

Vous auriez pu nous répondre que le champ d’application était trop large, puisque cet amendement est générique et vise tous les salariés en conventions de forfait. J’aurais accepté cette observation. Pour autant, à partir du moment où vous élargissez le champ des compétences afin que de plus en plus de salariés entrent dans ces dispositifs, il est normal que nous cherchions à le restreindre et à augmenter parallèlement les garanties des salariés. Mais nous avons bien compris que vous ne voulez ni de l’un ni de l’autre.

Les amendements 1131 à 1145, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Christophe Sirugue – J’avais naïvement imaginé que nous pouvions nous accorder – ce qui aurait permis de faire de ce texte un texte équilibré – sur le fait que la loi est censée protéger aussi bien le salarié que l’employeur. Mais votre réponse, Monsieur le rapporteur, montre qu’on en est loin.

Nos amendements, qui ont pour vocation à poser des garde-fous, prennent d’autant plus d’importance. Les amendements 1146 à 1160 prévoient que les durées hebdomadaires maximales de travail – 48 heures au cours d’une même semaine ; 44 heures ou 46 heures si accord de branche sur une période de douze semaines consécutives – s’appliquent aux salariés qui ont accepté, de gré ou de force, une convention de forfait en heures ou en jours.

Vos réponses nous prouvent que nous avons raison, amendement après amendement, de vous inciter à sécuriser davantage les relations à l’intérieur de l’entreprise. Vous êtes en train de fabriquer un projet de société où seul le travail importera. Les ménages verront même leur pouvoir d’achat augmenter puisqu’ils feront des économies ; en effet, à quoi bon acheter un lit à deux places quand deux personnes pourront se contenter de s’y relayer ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Nous souhaitons que les dispositions relatives aux durées hebdomadaires maximales de travail prévues au premier alinéa de l’article L. 3121–35 et aux premier et second alinéas de l’article L. 3121-36, s’appliquent aux salariés concernés par une convention de forfait en heures ou en jours sur l’année.

Nous considérons qu’il existe des références auxquelles vous ne voulez pas toucher, et qu’elles constituent le cadre dans lequel doit s’inscrire le dispositif. S’agissant des dispositions européennes, vous nous avez indiqué que vous n’entendiez pas prolonger de manière inconsidérée et dangereuse le temps de travail, mais que vous souhaitiez apporter une certaine souplesse.

Si vous avez pour objectif de maintenir les limites légales à la durée du travail, au-dessus desquelles le salarié voit sa situation personnelle, son intégrité physique et sa santé remises en cause, alors rappelez ces critères. Si vous refusez de le faire, c’est que vous imaginez que ces accords pourraient, sans protections, sans contrôles et sans conséquences pour l’employeur, contribuer à faire exploser ces limites.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteurMais non !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – C’est tout le contraire !

M. Alain Vidalies – Ne me répondez pas, Monsieur le rapporteur, que cet amendement est satisfait : les durées maximales hebdomadaires s’appliquent seulement aux salariés en conventions de forfait en heures. L’objectif de ces amendements est précisément d’aligner les conventions de forfait en heures et les conventions de forfait en jours du point de vue de ces règles de protection minimale.

Dans la mesure où vous étendrez ultérieurement les conditions de recours au forfait en jours et, surtout, que vous inventez qu’un nombre maximal de jours travaillés puisse se rajouter aux 218 jours actuels, la question d’un verrou mis au forfait en jours se pose avec d’autant plus de force.

Je voudrais à ce sujet rappeler les propos du sénateur Larcher, qui semble estimer que le ministre et certains des députés UMP observent une position excessive : « les sénateurs de la commission des affaires sociales sont à l’écoute des salariés ; il y a de réelles possibilités d’amendement au Parlement. Je pense que l’on pourrait instaurer plusieurs verrous supplémentaires pour garantir le respect de la santé et de la sécurité au travail ».

C’est à cela que nous nous attachons. Mais vous avez repoussé toutes nos propositions et notre seul espoir, par un fait extraordinaire, réside désormais dans le Sénat ! Répondez à l’aspiration de l’ancien ministre du travail, et dites-nous où vous pensez poser ces verrous (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteurLa rédaction actuelle du code du travail prévoit que la durée maximale hebdomadaire ne peut dépasser 48 heures et 44 heures sur douze semaines glissantes, sauf accord prévoyant d’aller jusqu’à 46 heures. Cela s’applique à l’ensemble des salariés visés à l’article 17. Ces amendements sont donc satisfaits.

M. Alain Vidalies – Pas pour les salariés en conventions de forfait jours.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteurS’agissant du forfait jours, nous discuterons tout à l’heure des modalités dans lesquelles on appliquera le nombre de jours plafond. Il ne s’agit pas vraiment d’une « invention » ; une logique sous-tend l’amendement de la commission des affaires culturelles qui consiste à rétablir l’obligation de repos hebdomadaire de 48 heures. Par la durée maximale, on fait en sorte de ne pas dépasser un certain nombre de jours par an.

Par ailleurs, je vous répète, au risque de vous déplaire, que puisque le droit commun s’applique, il n’y a pas lieu de faire figurer un tel amendement dans ce texte. Cet amendement est satisfait. Avis défavorable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

M. Francis Vercamer – Je m’étonne de la défiance dont fait preuve le groupe SRC vis-à-vis des partenaires sociaux (Protestations sur les bancs du groupe SRC). On parle d’une convention établie sur la base d’un accord collectif d’entreprise ou à défaut d’une convention ou d’un accord de branche. Tout part donc d’une négociation collective.

Mme Marisol Touraine – À quel niveau ?

M. Francis Vercamer – Vouloir prouver que les partenaires sociaux ne seront pas capables de mettre des verrous me semble attristant.

Vous présentez du reste des amendements déjà satisfaits (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Certes, il est nécessaire de poser des verrous supplémentaires, et c’est ce que j’ai d’ailleurs prévu de faire. Mais devez-vous pour autant présenter ces amendements, qui sont autant de marques de défiance à l’égard des partenaires sociaux, et qui plus est, identiques ?

M. Alain Vidalies – Monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas vous contenter de répondre que cet amendement est satisfait par le droit. Les deux articles du code du travail relatifs à la durée hebdomadaire maximale ne s’appliquent pas au forfait jours.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteurJe suis d’accord.

M. Alain Vidalies – Vous disiez l’inverse à l’instant. Cela prouve en tout cas que notre amendement n’est pas satisfait et qu’il apporte quelque chose à la réglementation.

Ce que vous avez dit il y a quelques instants m’intéresse beaucoup plus, Monsieur le rapporteur, car cela pourrait constituer une avancée. Je serai donc très attentif au compte rendu analytique sur ce point. Vous avez dit que votre proposition de fixer le nombre de jours maximal à 235 – par exemple – dans le cadre du forfait jours était inspirée par l’application implicite de la règle des 48 heures, y compris dans le cadre du forfait jours. C’est précisément ce que notre amendement vous demande d’écrire dans la loi. Si vous confirmez cette interprétation, ce serait une avancée assez significative pour être relevée.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Sur le forfait jours, je maintiens que le nombre total de jours travaillés dans l’année sera plafonné. En revanche, ni le texte ni les amendements de la commission ne prévoient de limitation en heures de ce forfait. Si j’ai dit le contraire, je fais amende honorable (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Et sur le fond – le fait de ne pas limiter ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur  La législation actuelle – 11 heures de repos quotidien consécutives – reste en vigueur, ce qui limite le plafond en heures de travail à 13 heures.

M. Benoist Apparu – Cela ne change rien par rapport aux lois Aubry !

Les amendements 1146 et suivants, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Les amendements identiques 1161 à 1175 sont défendus.

Les amendements 1161 et suivants, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – Nous en venons aux amendements identiques 1176 à 1190.

M. Jean Mallot – Ils ont pour objet d’insérer après l’alinéa 11 un alinéa ainsi rédigé : « La rémunération du salarié en convention de forfait en heures ou en jours sur l’année est au moins égale à celle correspondant à sa qualification et qu’il percevrait compte tenu des majorations pour heures supplémentaires applicables dans l’entreprise ». Nous pourrions proposer un sous-amendement prévoyant que cette rémunération est « au moins égale à celle correspondant notamment à sa qualification », mais sans doute le rapporteur le fera-t-il lui-même (Sourires). Il s’agit, vous l’aurez compris, d’apporter des garanties de rémunération au salarié en convention. Si nous insistons sur cet aspect de la rémunération dans la négociation sociale, c’est parce que c’est l’un des éléments majeurs du dumping social. Vous affectez de l’ignorer, mais le rapport de forces dans l’entreprise n’est pas équilibré, et dans un contexte de concurrence exacerbée, on voit bien à quels dégâts s’attendre.

Puisque le Gouvernement se soucie du pouvoir d’achat de nos concitoyens, il devrait accueillir favorablement cet amendement : cela lui permettrait de montrer que ce texte ne cherche pas à mettre en place des mécanismes qui conduisent à réduire leurs rémunérations. Soyez cohérent, Monsieur le ministre !

M. Régis Juanico – Permettez-nous d’insister sur cette question de la garantie de rémunération des salariés en convention de forfait. Elle concerne au bas mot 10 % des salariés – sans doute bien plus demain, puisque le texte étend le champ d’application des conventions de forfait.

Nous sommes dans un contexte de dégradation du pouvoir d’achat. Les salariés ont perdu 0,5 % de leur pouvoir d’achat au premier trimestre 2008. Depuis 2002, leur pouvoir d’achat n’a augmenté en moyenne que de 1,2 % à 1,3 % par an, contre 2,6 % sur la période 1998-2002.

J’ai relu tout à l’heure l’étude de la DARES sur les heures supplémentaires. On constate que les plus faibles résultats pour le nombre d’heures supplémentaires déclarées au premier trimestre 2008 sont obtenus dans les entreprises qui sont en moyenne à 35 heures – celles-là mêmes où l’on pourrait s’attendre à une forte demande d’heures supplémentaires de la part des salariés.

Il convient donc de garantir au salarié en forfait heures une rémunération correspondant à sa qualification et tenant compte des majorations pour heures supplémentaires applicables dans l’entreprise.

Mme Catherine Lemorton – M. Vercamer en reste à la réflexion sur l’accord de branche. Pour notre part, nous constatons que le texte renvoie à l’accord d’entreprise, voire à un accord de gré à gré entre le salarié et l’employeur. Cela justifie nos craintes pour les salariés qui n’ont ni délégués du personnel ni comité d’entreprise.

Le Gouvernement veut encourager les heures supplémentaires. Mais celles qui ont été effectuées – beaucoup moins que ce que l’on veut bien nous dire – ne répondent-elles pas à un effet d’aubaine ? Et dans quelles conditions ont-elles été acceptées par les salariés ? Vous parlez de travailler plus pour gagner plus, mais le dispositif que vous mettez en place acte le fait que vous ne voulez pas augmenter les salaires ! Que vous le vouliez ou non, c’est la réalité !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Mais non !

M. Pierre Méhaignerie C’est n’importe quoi !

Mme Catherine Lemorton – Nos concitoyens voient leur pouvoir d’achat se dégrader. Il faut donc prendre en compte la qualification dans la rémunération du salarié en convention de forfait (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Pour les mêmes raisons que tout à l’heure, la commission a repoussé les amendements.

Les amendements 1176 et suivants, repoussés par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président – Nous en venons aux amendements identiques 1191 à 1205.

M. Alain Vidalies – Nous sommes là sur une des dispositions les plus délicates du texte, la modification du forfait jours. Sachant que les dispositions en vigueur fixent un plafond de 218 jours, la grande innovation consiste à prévoir un nombre maximal de jours travaillés dans l’année – concept nouveau – qui figurera dans l’accord et conduira les salariés à travailler au-delà. Rappelons que la particularité du forfait jours est de n’être soumis à pratiquement aucune règle, hormis le repos quotidien de 11 heures prévu par le droit européen. En l’état du texte, certains salariés pourraient donc travailler 282 jours dans l’année et 13 heures par jour. Ce sont là des conditions indignes – et encore ce calcul n’intègre-t-il pas les possibilités de rachat.

La question du forfait jours a surgi entre les deux lois Aubry. Contrairement à la vision qui sévit dans les rangs de l’UMP, il y a en effet eu deux lois Aubry, la première s’appuyant sur la seule négociation et la deuxième en tirant les enseignements. Il est donc apparu qu’il serait préférable d’avoir un forfait en jours plutôt qu’en heures pour certaines catégories. Nous avons alors prévu deux verrous, le plafond de 218 heures et une définition précise : le forfait jour était initialement réservé aux cadres « dont la durée ne peut être prédéterminée du fait de la nature de leur fonction, des responsabilités qu’ils exercent et du degré d’autonomie dont ils bénéficient dans l’organisation de leur emploi du temps. Ces critères étant cumulatifs, le dispositif que nous avions créé ne concernait qu’un nombre très restreint de cadres supérieurs. Depuis lors, vous avez largement étendu son champ d’application. Conformément à la loi Fillon du 17 janvier 2003, il concerne désormais aussi les cadres « qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps » et, depuis l’adoption de la loi du 2 août 2005, « les conventions de forfait en jours sont applicables, à condition qu'ils aient individuellement donné leur accord par écrit, aux salariés non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées ».

Autant dire que ces définitions sont à des années-lumière de celle qui encadrait le forfait jours initial. Vous le savez, la France a été régulièrement condamnée à ce sujet pour non-respect de la Charte sociale européenne en raison de l’amplitude horaire exigée des salariés soumis à ce régime. Vous savez également que, dans son arrêt du 31 octobre 2007, la Cour de cassation a considéré que la seule raison pour laquelle la Chambre sociale n’avait pas été en mesure de statuer sur la compatibilité de la convention de forfait en jours avec le droit européen, était qu’elle n’avait pas été saisie de la question. La Cour de cassation est donc prête à statuer à ce sujet, et la prochaine étape viendra lorsqu’un justiciable lui posera directement la question.

Je vous mets donc en garde : ne réitérez pas l’aventure du CNE, dont les entreprises ont beaucoup pâti, en vous engageant à nouveau dans une démarche des plus aléatoires. Le risque est grand, en effet, que le dispositif que vous proposez soit jugé incompatible avec le droit européen (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteurLa commission a donné un avis défavorable à l’amendement. Sur le fond, je rappelle que l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation est fondé sur deux griefs : la durée excessive du travail hebdomadaire et l’absence de principe de rémunération majorée des heures supplémentaires. Mais le texte du projet, amendé par les commissions au fond et pour avis, donne satisfaction à la Cour. Il ne me semble donc pas que le risque évoqué par M. Vidalies subsiste.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Aujourd’hui, la loi organise les modalités de récupération des heures travaillées au-delà des 218 jours prévus dans la convention de forfait, mais il se trouve que, par une fuite en avant, ces récupérations ne se font jamais, si bien qu’il n’y a aucun plafond réel. Quelles garanties ont donc les salariés concernés ? Nous leur en apportons (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Benoist Apparu – Très bien.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – La loi prévoit que la récupération doit se faire dans l’année qui suit. Il suffit qu’elle soit respectée !

M. Jean-Pierre Soisson – De toute évidence, M. Vidalies n’a aucune illusion quant au vote de ses amendements. L’expert en droit du travail qu’il est cherche une seule chose : provoquer un écart de langage du rapporteur ou du ministre, qu’il pourrait utiliser par la suite (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Comme il l’a lui-même rappelé, la Cour de cassation ne pouvait se prononcer sur une question qui ne lui a pas été posée. Il me paraît peu efficace de vouloir faire dire au rapporteur des choses qu’il ne dira pas, et de nier que le Gouvernement apporte aux salariés des garanties là où il n’y en avait pas (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Nos collègues de l’opposition auraient tout intérêt à centrer leurs interventions sur quelques principes forts ; ils seraient plus audibles. La réitération des mêmes arguments tend à minimiser la portée de leur propos. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Régis Juanico – Soisson au secours de Poisson ! (Sourires)

Mme Martine Billard – Le ministre fait preuve d’une mauvaise foi absolue (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Ainsi, il faudrait changer la loi parce qu’elle n’est pas appliquée et que, de ce fait, la récupération des jours travaillés au-delà du forfait en jours n’a pas lieu ? Si l’on en vient à cette étrange méthode, elle devrait concerner bien d’autres domaines que le code du travail – les textes relatifs aux libertés publiques par exemple.

Le rapporteur nous explique quant à lui que l’arrêt de la Cour de cassation est fondé sur la durée excessive du travail. La loi rend obligatoire un repos d’au moins 11 heures entre deux journées de travail, et elle interdit que l’on travaille plus de six jours consécutifs. Ces règles étant fixées, et puisque la commission a refusé que la limite des 48 heures s’applique au forfait en jours, 78 heures hebdomadaires peuvent donc être travaillées dans ce cadre. Or, au Parlement européen, l’opt out porte sur une durée hebdomadaire de travail de 65 heures…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Soixante !

Mme Martine Billard – Soixante heures pouvant être étendues à 65 avec le temps de garde. Il sera difficile au ministre qui aura défendu cette durée de travail au nom de la France d’expliquer à la Cour de cassation qu’il ne trouve pas excessive une durée hebdomadaire de travail de 78 heures ! Le rapporteur et le ministre auront du mal à faire valoir que le dispositif, tel qu’il est conçu, ne pose pas de problème.

M. Alain Vidalies – Je remercie M. Soisson de ses aimables conseils, dont je tenterai de tenir compte… (Sourires) La Cour de cassation a dit de manière oblique qu’elle était prête à se saisir de la question de la compatibilité du forfait en jours avec la Charte sociale européenne. Pour le reste, le principe selon lequel, « puisque la loi n’est pas appliquée, il n’y a qu’à la supprimer pour la mettre en adéquation avec la réalité » ne laisse pas de surprendre. Proposez donc ce système à la Chancellerie pour le pénal, Monsieur le ministre, et voyez quelles seront les réactions ! Le procédé est d’autant plus extraordinaire qu’il est faux d’affirmer qu’il n’existe pas de garantie à ce sujet dans notre droit. C’est l’objet de l’article L. 3121-49 du code du travail, conformément auquel, « lorsque le nombre de jours travaillés dépasse le plafond annuel fixé par la convention ou l'accord, le salarié bénéficie, au cours des trois premiers mois de l'année suivante, d'un nombre de jours égal à ce dépassement ». Mais il va sans dire que si vous supprimez le plafond des 218 jours, cela ne s’appliquera évidemment plus.

On ne peut pas nous dire « puisqu’on ignore la loi, changeons la loi » ! Si c’est là la nouvelle manière que la République a de légiférer, nous pouvons vous donner beaucoup d’autres exemples !

M. Roland Muzeau – Le « tout est possible » devient donc la règle au Parlement.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – « Ensemble, tout devient possible ».

M. Roland Muzeau – Par ailleurs, comme l’a dit M. Vidalies, on voudrait supprimer la loi sous prétexte qu’elle est difficile à appliquer – ce qui est faux : la où les organisations syndicales et les comités d’entreprise en ont les moyens, elle est appliquée.

Mais pensez-vous que vous pourrez avoir raison longtemps seul contre tous ? Oui à l’évidence. Après tout, si le peuple n’est pas d’accord, changeons le peuple (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Je vois que je peux réveiller une majorité bien silencieuse !

Je prends simplement les dépêches de presse de ce jour. Avez-vous convaincu les partenaires sociaux ? Absolument pas. La CGC se demande si les salariés vont désormais être sollicités de 8 heures à 21 heures, et les 24 et 31 décembre. Cette centrale a l’intention de déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme. Elle signale aussi qu’au-delà de 218 jours, les majorations de salaires seront de 10 % et non de 25 %, pour conclure que « tout cela a assez duré ». La CFDT dit qu’en dix ans d’expérimentation, le législateur n’a pas su trouver un encadrement adéquat, que les entreprises n’hésitent pas à imposer les forfaits jours. FO, qui n’a, pas plus que la CGC, signé l’article 17 de la position commune, demande que l’obligation de récupération soit rétablie. Quant à la CGT elle explique qu’au Technocentre de Renault, 50 % de salariés sont des cadres, tous au forfait jours, qui travaillent plus de 50 heures par semaine sans récupération ni repos compensateur. Le rapport d’audit du CHSCT parle d’une culture du surengagement, et d’une exploitation, par la direction, de la passion pour le métier et de l’ambition professionnelle.

Certes, les amendements du rapporteur apportent un semblant de correction. C’est sans doute parce que la présidente de la chambre sociale de la Cour de cassation a alerté sur les dangers de ce texte, pointant notamment les critiques du comité européen des droits sociaux, selon lequel ce texte viole la charte sociale du Conseil de l’Europe, et qu’elle vous a invités à corriger vos errements.

Comment pensez-vous convaincre, quand tous sont contre vous ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Très bien !

Les amendements 1191 à 1205, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Les amendements 1206 et suivants sont retirés.

M. Christophe Sirugue – Les amendements 1221 à 1235 précisent que seuls les salariés ayant la qualité de cadre au sens de la loi Aubry, c’est-à-dire des conventions collectives de branche et des caisses complémentaires d’assurance vieillesse, peuvent conclure des forfaits en jours sur l’année.

M. Alain Vidalies – Nous reviendrons sur le champ d’application du texte. Mais vous avez déjà élargi considérablement les possibilités de signer des forfaits en jours. Ne nous renvoyez pas à la loi Aubry : elle appliquait des règles souples à très peu de salariés, dans des conditions bien définies. Aujourd’hui, cela n’a plus rien à voir et, avec ces amendements, nous revenons à un champ d’application qui limite les exceptions.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La commission a repoussé cet amendement.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

Les amendements 1221 à 1235, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – Pour préciser les conditions à prendre en compte afin d’évaluer si les cadres peuvent ou non signer une convention de forfait en jours, nous précisons par les amendements 1236 à 1250 qu’il s’agit de ceux pour lesquels la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée. Cette précision ne figurait pas dans la première loi Aubry, mais à la lumière des accords qui ont été passés, elle a été introduite dans la seconde.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – La notion d’autonomie n’est pas bien déterminée en droit. La commission avait d’abord adopté un amendement concernant les salariés qui disposent d’une réelle autonomie, ou pour lesquels la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée. Puis je l’ai retiré…

M. Roland Muzeau – Le ministre a exigé le retrait à la demande de Mme Parisot.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur – Pas du tout. Nous avons considéré que cela risquait d’augmenter le nombre des salariés susceptibles d’être touchés par ce type de forfait, ce qui n’était pas du tout mon intention, ni celle du Gouvernement. Inversement, la formulation que vous proposez restreint ce nombre, sans motif particulier. La commission a donc repoussé les amendements.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Avis défavorable. L’amendement est superfétatoire, puisque l’article L. 3121-38 relatif au champ des salariés concernés par les forfaits en jours est inchangé. Vos craintes sont donc infondées.

Mme Martine Billard – Cet article n’est pas repris sans changement, puisque dans le projet, on mentionne un article L. 3121-38 nouveau.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Non, il est repris à l’identique.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Il est modifié par la rédaction de l’alinéa 6.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Les dispositions de cet article sont reprises dans le texte de loi, à l’article L. 3121-38 et à l’article L. 3121-51.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – L’alinéa 6 modifie l’actuel article L. 3121-38, qui définit les cadres concernés par la convention de forfait.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Les dispositions de l’actuel article L. 3121–38 sont reprises dans le texte de loi.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Où ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – À l’article L. 3121-38 et à l’article L. 3121-51.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – L’actuel article L. 3121-38 dispose que « la durée de travail des salariés ayant la qualité de cadre au sens de la convention collective de branche au sens du premier alinéa de l’article 4 de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres (…) et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auxquels ils sont affectés peut être fixée par des conventions individuelles de forfait. Ces conventions individuelles de forfait peuvent être établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle ». Il suffit de lire le nouvel article L. 3121-8 pour constater qu’il diffère.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Et qu’est-ce que je viens de dire ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Vous essayez de me faire la leçon. Mais, nous, ici, nous élaborons la loi. Nous avons le devoir, en matière de droit du travail peut-être plus encore qu’en tout autre domaine, d’être d’une absolue rigueur.

Les députés de l’opposition, et je ne doute pas qu’il en va de même pour ceux de la majorité, souhaitent apporter utilement leur contribution dans le cadre de cette première lecture, pour ne pas être ensuite prisonniers lors d’une CMP de ce qui aura été fait au Sénat. Nous avons posé une question que nous sommes fondés à poser : y a-t-il ou non contradiction entre le nouvel article L. 3121-38 et l’ancien ? Plutôt que de nous faire la leçon, levez cette difficulté juridique, Monsieur le ministre.

Mme Martine Billard – L’alinéa 6 de l’article 17 réécrit l’article L. 3121-38, si bien que l’actuel article L. 3121-38 n’existera plus. Pour ce qui est de l’article L. 3121-51, il est en effet maintenu, mais il ne concerne que les non-cadres. La précision qui existait jusqu’à présent concernant les cadres dans l’article L. 3121-38 a donc disparu.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Non.

Mme Martine Billard – Démontrez-le nous. Vous ne pouvez en tout cas pas soutenir que l’article L. 3121-38 n’est pas réécrit.

Les amendements 1236 à 1250, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Roland Muzeau – Le rapporteur et le ministre peuvent ne pas être d’accord avec nous, mais nous sommes en droit de poser toutes les questions qui nous semblent nécessaires, et le ministre a le devoir de nous répondre. Le nouvel article L. 3121-38 n’est pas identique à l’ancien. Vous ne pouvez donc pas prétendre que les droits antérieurs pour les cadres sont maintenus. Je demande une suspension de séance de dix minutes.

M. le Président – Je vais donc lever la séance.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

Le Directeur du service
du compte rendu analytique,

Michel KERAUTRET

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