Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques de la session > Compte rendu analytique de la séance

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire

Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 8 juillet 2008

1ère séance
Séance de 15 heures
10ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

Consulter le sommaire

La séance est ouverte à quinze heures.

DÉMOCRATIE SOCIALE (suite)

L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – Sans revenir sur le détail des dispositions que nous avons adoptées, je souhaite tout d’abord remercier tous les groupes du climat dans lequel se sont déroulés nos débats : contrairement à ce qu’a pu en dire la presse, ils furent tranchés, mais courtois et marqués par une capacité d’écoute mutuelle qui nous a permis d’affirmer nos divergences tout en en comprenant les raisons. Je remercie également M. Anciaux pour le travail mené en concertation avec la commission des affaires économiques, qui a permis de faire évoluer sensiblement le texte.

Si sa seconde partie, consacrée à la réforme du temps de travail, a quelque peu monopolisé nos débats ces derniers jours, n’en oublions pas pour autant le titre premier, relatif à la démocratie sociale et à la représentativité. Son adoption constituera un acte important de la législature et de l’histoire sociale de notre pays, car il modifie profondément le mode de désignation des représentants syndicaux, donc la représentation syndicale dans les entreprises. Ce changement était attendu par les signataires de la position commune, mais aussi par ceux des syndicats qui ne l’ont pas signée.

S’agissant du temps de travail, trois principes essentiels ont guidé le Gouvernement, la commission des affaires culturelles et l'Assemblée nationale : donner la priorité à la négociation au sein des entreprises par rapport à toute autre forme d’accord ; faire confiance – à la différence de nos collègues de l’opposition – au dialogue interne et à l’échange entre employeurs et salariés ; enfin, conformément à un souhait partagé – même si nous ne sommes pas parvenus à nous mettre d’accord sur les modalités –, prendre en considération les contraintes de la vie personnelle des salariés comme les besoins économiques des entreprises. Grâce au concours de tous, nous sommes parvenus dans une large mesure à respecter ces principes. Je suis heureux, Monsieur le ministre, d’ouvrir ce dernier moment du débat, et je souhaite vivement que l’Assemblée adopte le texte issu de nos discussions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques – Par ce projet de loi, le Gouvernement traduit l’un des grands engagements pris lors de la campagne présidentielle. Le texte répond aux besoins des entreprises en facilitant le dialogue social, en assouplissant et en simplifiant les dispositions du code du travail relatives aux heures supplémentaires et aux conventions de forfait.

Ce qui nous a distingués de l'opposition au cours des débats, c'est la confiance que nous accordons aux salariés et aux partenaires sociaux en les associant davantage aux décisions qui les concernent, en particulier au plus près du terrain, c'est-à-dire dans leurs entreprises. On observe depuis une quinzaine d’années une tendance constante à favoriser l’accord et à renvoyer la loi et le règlement à leur fonction fondamentale : édicter la norme. Ainsi, un grand syndicat ouvrier tend à ratifier plus de 80 % des accords d'entreprise qui lui sont soumis.

Au cours des débats, l'opposition s’est cantonnée à une posture archaïque (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR ; exclamations sur les bancs du groupe UMP). La loi plutôt que l'accord, l’accord éventuel devant résulter de la négociation au plus haut niveau avec « les professionnels de la négociation », plutôt qu'avec les délégués syndicaux ou les représentants élus du personnel dans l'entreprise : tel en était l’esprit (Vives exclamations sur les bancs du groupe GDR). J’en veux pour preuve la rédaction de vos amendements, qui avaient pour seul objet d'empêcher toute modification du code du travail que nous proposions (Protestations sur les bancs du groupe GDR).

Les relations sociales dans notre pays connaissent aujourd’hui un tournant historique : l’adoption de cette loi va faire évoluer notre modèle social, comme évolue notre environnement tout entier - la société, l'entreprise, les conditions de travail.

M. Jean Roatta – Eh oui !

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur pour avis – Même le syndicalisme – n'en déplaise à certains – abandonne la culture de l’obtention des avantages sociaux par le conflit et la lutte, au profit de la négociation « gagnant-gagnant » ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires économiques, qui se préoccupe du devenir des entreprises, donc de celui des salariés, qui en constituent la première force, est très favorable à l'adoption de cette loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles – J’espère apaiser quelque peu l’atmosphère en remerciant tous ceux qui ont participé à ce débat serein et de qualité (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP et du groupe NC ; exclamations sur les bancs du groupe GDR). Deux différences s’en dégagent : d’une part, à la position traditionnelle selon laquelle nous devrions travailler moins pour travailler tous s’oppose l’idée, inspirée de l’expérience étrangère, que pour travailler tous, il faut travailler plus ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) D’autre part, alors que l’exercice de la démocratie au seul niveau de la branche explique notre faible taux de syndicalisation, son exercice au niveau de l’entreprise revitalisera le dialogue social en mobilisant les salariés (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Roland Muzeau – « Notre histoire sociale est suffisamment jalonnée de projets menés à la hussarde, sans concertation, qui se sont soldés par de retentissants échecs pour que l'on en finisse une fois pour toutes avec l'idée que l’État saurait seul ce qui est bon pour notre pays. » Cette phrase a été prononcée le 19 avril… par M. Sarkozy. Un mois plus tard, l'UMP, à la hussarde et sans concertation, entreprenait de livrer les salariés à des horaires de travail qui les renvoient plusieurs décennies en arrière. On dit que la trahison n’est qu’une question de temps ; un mois vous aura suffi !

Au terme d’une négociation interprofessionnelle longue de plusieurs mois, visant à modifier les règles actuellement applicables en matière de représentativité syndicale, de dialogue social et de financement du syndicalisme, la CGT, la CFDT, le MEDEF et la CGPME étaient parvenus, le 9 avril dernier, à une position commune que d'aucuns n'hésitaient pas à qualifier d'historique. Ce texte en appelait à une réforme fondant la représentativité des syndicats sur le vote des salariés au niveau de l'entreprise et prenant en considération cette audience électorale pour valider les accords collectifs. Les débats l'ont souligné, un délai d’application trop long et, surtout, l'absence de dispositions concrètes relatives à l'expression des salariés des TPE – plus de 4 millions – en constituent les principales carences.

D’autre part, selon la position commune, l'extension de la possibilité de déroger au droit du travail n’était soumise à aucune condition, mais le contingent des heures supplémentaires, à titre expérimental, pouvait être fixé dans l'entreprise par un accord signé par des syndicats représentant une majorité absolue de salariés. Cet accord devait respecter les dispositions du code du travail et de la convention collective, s’agissant notamment des taux de majoration des heures supplémentaires et du droit des salariés au repos compensateur.

Monsieur le ministre, le 16 mai dernier, la CGT et la CFDT vous ont expressément demandé – comme à M. Copé et au groupe UMP – que le projet de loi gouvernemental reprenne à la lettre la position commune sur ce point, et le représentant du MEDEF, confirmant l'interprétation du texte, s’est associé à leur demande.

Pourtant, et bien que le Président de la République et le gouvernement ne cessent de vanter les mérites du dialogue social, vous avez décidé de passer outre la position commune approuvée par les deux confédérations représentant la majorité des salariés et d’imposer en catimini, à la faveur du texte relatif à la représentativité syndicale, une réforme profonde de la durée du travail. Le Gouvernement lui a arbitrairement ajouté un ensemble de dispositions graves, fort éloignées des principes pourtant âprement négociés par les partenaires sociaux.

Comme je l’ai montré avec ma collègue Mme Billard, votre texte conduit ainsi aux 48 heures par semaine ; à la suppression des jours fériés – à l’exception du 1er mai – pour les forfaits jours ; à 17 jours de travail supplémentaire – soit un samedi sur trois ; à la monétisation du repos compensateur – ou de ce qu’il en reste ; à l’évaporation des jours de RTT. En outre, vous ouvrez la voie à tous les abus de la part de certains employeurs, auxquels vous offrez un instrument de dumping social en matière économique. L'avis des comités d’entreprise, des délégués du personnel et la consultation de l'inspection du travail sont en grande partie escamotés, la hiérarchie des normes est inversée, l'ordre public social remis en cause, la Charte européenne et notre Constitution de nouveau bafouées.

À plusieurs reprises, au cours des débats, vous avez été pris, Monsieur le ministre, en flagrant délit de mensonge (Approbation sur les bancs du groupe GDR ; protestations sur les bancs du groupe UMP) – avec un aplomb qui augure mal de votre future rencontre avec les partenaires sociaux !

Votre réforme fait mentir la célèbre phrase qui veut qu' « entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Votre texte ne maintient la durée légale hebdomadaire du travail de 35 heures qu'à titre d'anecdote. Il va à l’encontre de l'intérêt des salariés, invités à tout sacrifier, leur santé, leur sécurité et leur vie familiale pour quelques hypothétiques euros de plus. En généralisant la négociation de gré à gré entre employeur et salarié, en tirant un trait sur la reconnaissance du lien de subordination qui caractérise les relations de travail, vous condamnez notre pays à connaître l'une des plus graves régressions sociales de son histoire. La clef de voûte du droit du travail que représente la durée légale n'aura plus pour limites que les seuils sociaux européens, portés à 60 ou 65 heures par le projet de directive.

En faisant de la réforme des 35 heures le bouc émissaire de vos propres échecs économiques, non seulement vous mentez aux Français, mais vous pérennisez un système qui joue contre les salaires et l'emploi. Pendant près d'un siècle, notre pays a prouvé qu'il était possible tout à la fois de baisser le temps de travail, d'augmenter les salaires et d'augmenter la productivité, laquelle est aujourd’hui l’une des plus élevées au monde.

Monsieur le ministre, ce sont ces principes-là que nous défendons, pour un vrai progrès social et une société moderne qui respecte ses salariés en ne cédant pas à la fuite en avant du « moins disant social ».

En conséquence, vous l'aurez compris, le groupe GDR, communiste, vert et ultramarin votera à l’unanimité contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Francis Vercamer – Nous arrivons donc au terme d'un débat riche et passionnant sur deux sujets qui le sont tout autant : la rénovation de la démocratie sociale et l'organisation du temps de travail dans l'entreprise. D'un côté, il s'agit de donner au dialogue social les moyens d'une nouvelle légitimité, pour gagner en efficacité ; de l'autre, d'adapter le temps de travail aux réalités des entreprises, notamment à leur rythme de production et aux évolutions des marchés dans lesquels elles évoluent.

Sur ce point, nous avons exprimé un certain nombre de réserves. Il est évidemment nécessaire que notre législation laisse des espaces de liberté pour organiser, au mieux des besoins de l'entreprise, le temps de travail au sein de celle-ci. Toutefois, nous avons rappelé notre préférence pour une organisation du temps de travail régulée, d'abord dans le cadre des accords de branche, de manière à assurer aux salariés les garanties indispensables sur leurs conditions de travail, tout en fixant un cadre équitable qui permette les conditions d'une concurrence loyale entre les entreprises d'un même secteur d'activité.

Nous avons également rappelé notre attachement à ce que le salarié qui travaille davantage gagne effectivement plus, de manière à ce que l'accomplissement d'heures supplémentaires entraîne une progression réelle de la rémunération. Cela est essentiel en ces temps d'inquiétude sur le pouvoir d'achat. Sur d’autres éléments, comme la prise en compte de la pénibilité ou du volontariat du salarié, nous avons eu des échanges qui ont permis soit de clarifier certaines dispositions du texte, soit de prendre acte de nos différences.

Un député SRC – Allons donc, vous avez retiré tous vos amendements !

M. Francis Vercamer – La commission et le Gouvernement ont accepté notre proposition de limiter – en l'absence d'accord collectif – le nombre maximal de jours travaillés dans le cadre des forfaits jours à 235, alors même qu’il est aujourd’hui possible pour un cadre de se voir imposer jusqu'à 282 jours de travail. Il appartiendra aux partenaires sociaux de décider par accord collectif du nombre maximal de jours travaillés. Nous faisons confiance au dialogue social pour fixer les règles du temps de travail au mieux des intérêts des salariés et des entreprises.

La gauche de l'hémicycle voit et dénonce dans ce texte une dérive idéologique. C’est la raison pour laquelle elle s'est crue autorisée à dériver elle-même dans le sens d'une critique caricaturale de ce projet de loi. Celui-ci constitue en effet une avancée réelle pour ce qui concerne le rôle des organisations syndicales et la place du dialogue social, dans l'entreprise, dans les branches professionnelles et au niveau interprofessionnel.

Particulièrement attaché à la vitalité de la négociation collective, le Nouveau Centre fait confiance à la capacité d'innovation des partenaires sociaux pour engager la rénovation de notre législation du travail. En transcrivant les dispositions établies par la position commune le 10 avril dernier, ce texte représente une étape décisive vers un dialogue social fondé sur de nouvelles légitimités, grâce à l'adoption de nouveaux critères de représentativité. Soucieux de voir mieux pris en compte les effectifs des adhérents des organisations syndicales, le Nouveau Centre se félicite de l’adoption de deux de ses amendements, l'un visant à mieux concilier engagement syndical et vie professionnelle, l'autre étendant la validation des acquis de l'expérience aux responsabilités exercées dans le cadre syndical.

C'est donc parce que ce texte modernise les fondements de la démocratie sociale dans notre pays et pose les conditions d'une présence plus significative des partenaires sociaux, tant dans la réforme de notre législation du travail que dans son application, que le Nouveau Centre le votera (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre ; applaudissement sur deux ou trois bancs du groupe UMP).

M. Benoist Apparu –Le 18 septembre 2007, devant la presse sociale, Nicolas Sarkozy présentait publiquement les modalités du nouveau dialogue social.

M. Jean-Pierre Brard – Courtisan !

M. Benoist Apparu – « Le Gouvernement tirera toutes les conséquences des négociations. Quand il y aura eu accord, la loi le consacrera. Là où il n'y aura pas eu accord, l'État prendra ses responsabilités. Si l'accord est un mauvais accord,…

M. Roland Muzeau – Qui en décide ?

M. Benoist Apparu – …l'État se réserve le droit de le dire ». Cette méthode, nous l’avons depuis lors scrupuleusement respectée, notamment pour la position commune du 10 avril dernier. Les partenaires sociaux ont reçu une commande portant sur la fixation de règles de représentativité plus démocratiques et sur un assouplissement des 35 heures.

Sur le premier point, les partenaires sociaux ont pleinement répondu à l'objectif fixé par le Gouvernement et nous en avons donc respecté l'esprit et l'équilibre.

M. Maxime Gremetz – C’est faux !

M. Benoist Apparu – Sur le second point, il est patent que l'article 17 de la position commune ne répond pas aux objectifs fixés par le Gouvernement. Pour paraphraser le président de la République,…

M. Jean-Pierre Brard – Courtisan !

M. Benoist Apparu – …l'article n’étant pas un bon accord, l'État n'a pas manqué de le dire et en d’en tirer toutes les conséquences. Personne ne peut raisonnablement affirmer qu'il ne connaissait pas les règles du jeu, personne ne peut prétendre qu'il a été pris en traître. Tout a toujours été transparent, dans la méthode comme sur nos intentions.

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine – C’est faux !

M. Benoist Apparu – Le groupe UMP attend ce texte depuis longtemps et nous l'assumons à 100 %. Il donnera aux syndicats une assise démocratique qui viendra renforcer leur légitimité et leur capacité à négocier. Il répond également aux besoins des entreprises, au plus près de leurs réalités économiques en matière de temps de travail. Et c'est cela, la différence fondamentale entre vous et nous, entre le texte de Martine Aubry et celui de Xavier Bertrand, entre le dogmatisme et le pragmatisme. Être dogmatique, c'est vouloir que toutes les entreprises d'une même branche soient soumises au même contingent d'heures supplémentaires, indépendamment de leurs besoins réels ; être pragmatique, cela consiste à partir de la réalité pour légiférer.

Prenons un exemple concret, l'industrie du plastique, chère à M. Bertrand. Dans la plasturgie, il y a des entreprises qui n'ont pas besoin d'heures supplémentaires au-delà du contingent actuel de 130 heures. Mais il y a également des entreprises qui ont besoin de ces heures supplémentaires pour se développer. Ce que nous voulons, c'est leur donner la possibilité de le faire et sans entrave. C'est aussi simple que ça ! C'est ça le pragmatisme et c'est ça que vous refusez ! Nous voulons répondre aux besoins particuliers de chaque entreprise en respectant bien entendu toutes les prescriptions qui protègent la santé des salariés en matière de repos hebdomadaire, des 48h hebdomadaires ou du repos quotidien.

Chers collègues de l'opposition, arrêtez donc de faire peur aux Français en faisant croire que nous mettons en péril leur santé : c'est faux ! Le contingent d'heures supplémentaires fixé par décret sera de 220 heures, ce qui correspond à quatre heures supplémentaires par semaine. Pour ce qui concerne les forfaits jours, vous agitez le chiffon rouge de 282 jours par an ou de 3055 heures de travail. Il faut rétablir la vérité : vous savez très bien que la loi Aubry 2 est muette sur ce sujet et n'interdit en rien ces 282 jours et ces 3055 heures.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – C’est faux !

M. Benoist Apparu – Nous souhaitons promouvoir la valeur travail et donner plus de souplesses aux entreprises : c'est pourquoi le groupe UMP votera avec enthousiasme ce projet de loi. Enfin, je voudrais rendre un hommage tout particulier à notre rapporteur qui, dans cette matière aride et complexe, a su naviguer comme un poisson dans l'eau… (Rires sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Glavany – Nous non plus n’avons pas mordu à l’hameçon !

M. Benoist Apparu – …pour éclairer nos débats avec compétence et précision. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – La parole est à Alain Vidalies (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Alain Vidalies – Ce projet de loi sur la rénovation de la démocratie sociale et la réforme du temps de travail restera dans notre histoire sociale comme celui de la trahison des partenaires sociaux (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) et de l’émiettement des règles d'organisation du temps de travail. Alors que les deux principaux syndicats de salariés et le Medef étaient parvenus à un accord, le Gouvernement a décidé de ne pas le respecter, au seul motif qu'il ne correspondait pas à ses objectifs (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Nous connaissons désormais votre conception de la démocratie sociale : les partenaires sociaux ont le droit de négocier, mais le résultat est fixé d'avance par le gouvernement et l'UMP (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Vous avez réussi l'exploit de sortir les syndicats de salariés de la table des négociations pour les envoyer dans la rue. Votre jubilation d'avoir fait un bon coup en profitant de la division syndicale s'est manifestée dans les déclarations provocatrices du Président de la République devant le conseil national de l'UMP. Quand le Président de la République tente, sous les vivats des dirigeants de l'UMP, d'humilier les syndicats, les Français comprennent que le temps de l'évocation de Blum ou de Jaurès est révolu au profit de relents de revanche sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Même sur la première partie du texte relative à la démocratie sociale, vous avez montré votre véritable visage. En effet, vous avez durci les conditions de calcul des effectifs dans les entreprises, ce qui aboutira mécaniquement à moins de délégués du personnel et à moins de comités d'entreprises. Une nouvelle fois, vous avez repoussé l'entrée en vigueur de l'accord UPA. Ainsi, depuis sept ans, un accord sur le financement du dialogue social entre toutes les organisations syndicales de salariés et les représentants de 800 000 entreprises artisanales ne peut entrer en application par la seule obstruction du Gouvernement et de l'UMP (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Sur le temps de travail, le fil rouge de votre réforme, c’est la priorité donnée à l'accord d'entreprise. Le principe de faveur – qui permettait aux salariés de bénéficier des dispositions plus favorables d'un accord de branche – est abandonné au profit de l'application obligatoire de l'accord d'entreprise, même plus défavorable.

Avec ce projet de loi, on passe directement à une hiérarchie des normes inversée puisque, pour la première fois, vous affirmez la supériorité de l'accord d'entreprise. Et vous êtes pleinement conscients de la conséquence immédiate de ce bouleversement, à savoir l’émiettement et l'atomisation des règles d'organisation du temps de travail. Les règles sociales vont ainsi devenir un élément de concurrence entre les entreprises d'une même branche (« Baratin ! » sur les bancs du groupe UMP). Que pourront faire les salariés d'une entreprise soumis au chantage d'un alignement par le bas sur un accord accepté dans une entreprise voisine ? Il n'y aura alors guère de négociation possible puisque c'est leur emploi qui sera en cause. Avec votre projet, le dumping social sera au rendez-vous et la négociation d'entreprise s'effectuera toujours sous la contrainte des accords socialement les plus défavorables (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Pour être sûr que cette déréglementation s'imposera dans les accords d'entreprise, vous avez décidé d'annuler, purement et simplement, au 31 décembre 2009, tous les accords existants pour imposer une nouvelle négociation dans un cadre contraint. Vous avez décidé d'augmenter considérablement le nombre de salariés soumis au forfait jour et au forfait heure. En ouvrant ce dernier aux salariés « qui disposent d'une autonomie dans l'exercice de leur fonctions », vous avez choisi une formule tellement vague que nul ne peut mesurer l'ampleur des dégâts.

Pour le forfait jour, votre texte aboutit à passer de 218 jours à 282 jours travaillés et, contrairement à certains commentaires de presse, votre amendement sur les 235 jours ne constitue pas un plafond puisqu'il pourra toujours être dépassé par un accord d'entreprise.

Le pire réside peut-être dans la remise en cause du repos compensateur, lequel n’est pas une mesure d’aménagement du temps de travail, mais de protection de la santé des salariés. Les dispositions relatives au repos compensateur que vous avez supprimées remontaient à une loi de 1976, ce qui n’a donc rien à voir avec les 35 heures.

Voues êtes fiers du bon coup politique que vous avez réalisé sur le dos des syndicats, mais ce texte constitue surtout un mauvais coup contre la démocratie sociale, les conditions de vie personnelle et familiale des salariés, et contre la protection de la santé des travailleurs.

Voilà pourquoi le groupe socialiste, radical et citoyen votera résolument contre son adoption. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche dont les députés se lèvent, et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

À la majorité de 326 voix contre 222 sur 549 votants et 548 suffrages exprimés, l’ensemble du projet de loi est adopté.

La séance, suspendue à 15 heures 30, est reprise à 15 heures 55.

MODERNISATION DES INSTITUTIONS (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi constitutionnelle, modifié par le Sénat, de modernisation des institutions de la Vème République.

M. François Fillon, Premier ministre  Dans treize jours, nous serons devant le Congrès. En vertu de l’article 89 de la Constitution, Assemblée et Sénat doivent, au préalable, voter un texte dans des termes identiques. Après un débat digne même sil fut souvent passionné, c’est déjà le cas sur un grand nombre de dispositions : les nouvelles méthodes de travail du Parlement avec le partage de la maîtrise de l’ordre du jour et l’examen en séance publique du texte adopté en commission ; l’instauration de délais minima entre le dépôt d’un texte par le Gouvernement et l’examen en séance publique ; l’augmentation du nombre de commissions parlementaires ; le plafonnement par la Constitution du nombre des députés et des sénateurs ; le renforcement de l’obligation d’assortir tout projet de loi d’études d’impact ; l’autorisation par la loi de la prolongation des opérations militaires au-delà de quatre mois et l’information du Parlement lors de l’engagement des troupes ; l’encadrement du recours à l’article 16 ; la possibilité pour le Président de la République d’intervenir devant le Parlement réuni en Congrès ; le principe d’une limite du cumul des mandats du Président de la République dans le temps ; l’inscription dans la Constitution d’une trajectoire vertueuse des finances publiques ; l’obligation de ratifier expressément les ordonnances ; le principe de l’extension du principe de parité aux responsabilités professionnelles et sociales.

Sur l’instauration d’une exception d’inconstitutionnalité, nous sommes très proches d’un vote conforme. Le justiciable français aura enfin le droit reconnu au justiciable américain depuis 1803 et désormais ouvert dans presque tous les pays européens. Je précise, pour les parlementaires alsaciens et mosellans, que l’exception d’inconstitutionnalité ne saurait déboucher sur une remise en cause du droit local (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Un autre point fera, j’en suis certain, l’unanimité : c’est de rendre un hommage appuyé au rapporteur Jean-Luc Warsmann (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Avec un sens aigu des responsabilités, il a été l’artisan d’un consensus qui tient compte des préoccupations de chaque chambre.

Pour atteindre ce nécessaire consensus, nous devions tous faire un pas. Le Gouvernement le devait le premier. Le texte présenté en deuxième lecture diffère sensiblement du projet initial. Nous avons renoncé au plafonnement du nombre de ministres dans la Constitution ; accepté de réduire le délai au terme duquel l’autorisation du Parlement était requise pour prolonger les opérations extérieures. Nous avons donné notre aval au droit de veto des commissions parlementaires qui formuleront désormais, à la majorité des trois cinquièmes, un avis sur les nominations opérées par le Président de la République.

Nous nous sommes efforcés, avec les rapporteurs, de dégager des compromis sur l'encadrement du droit de grâce du chef de l'État et l'exercice de son droit de message devant les chambres.

De même, nous avons considérablement augmenté les délais minima dont doit disposer le Parlement pour examiner les textes. Notre projet initial proposait un mois devant la première chambre et quinze jours devant la seconde. Votre assemblée proposait six et trois semaines, le Sénat huit et cinq. Je crois qu'un accord est possible autour de six et quatre semaines.

Enfin, le Gouvernement a été attentif à vos débats sur les équilibres au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Sur ce sujet, nous sommes convaincus qu’il faut renforcer l'indépendance de cette institution, tout en évitant l’écueil du corporatisme. Pour autant, avec la garde des sceaux, nous avons été à votre écoute quant à la composition du Conseil quand il statue en formation disciplinaire. Grâce au travail de vos rapporteurs, nous avons réussi à concilier les préoccupations des uns et des autres, en ménageant l'ouverture de l'institution et la parité en matière disciplinaire. Je vous propose d’entériner le compromis satisfaisant auquel nous sommes parvenus.

Le Gouvernement s'est montré ouvert à plusieurs de vos propositions. Vous avez nourri le débat à travers la référence aux langues régionales, l'extension de la parité au-delà de la vie politique, le renforcement de l'obligation d'instaurer des études d'impact pour tout projet de loi, la mise en exergue de l'évaluation des politiques publiques par le Parlement... L'opposition a également été entendue : notamment, sa suggestion d'introduire dans la Constitution le très novateur référendum d'initiative populaire a été retenue. Au total, une vingtaine de modifications réclamées par la gauche et soutenues par la majorité ont été adoptées de façon consensuelle.

Quant au Sénat, nous lui devons la notion de pluralisme et de respect des groupes politiques minoritaires, le renforcement du défenseur des droits des citoyens et la référence à la francophonie dans notre Constitution.

M. Manuel Valls – Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre  En outre, s’agissant de l’article 34 de la Constitution, le Sénat a tenu à y faire figurer des principes comme l'indépendance des médias, les Français établis hors de France ou l'exercice des mandats électoraux. En droit pur, une telle clarification ne s'imposait pas dans la Constitution, mais le Gouvernement a été sensible à la volonté du Sénat de mettre ces principes en valeur. C'est pourquoi je souhaite le maintien de cette disposition.

Au cours des débats, nous avons pris la mesure de ce qui nous rapproche, mais aussi de ce qui nous distingue. Toutes les opinions sont respectables, mais aujourd'hui, il faut avoir le courage de se rassembler autour de l'essentiel, à savoir la revalorisation du Parlement que consacre ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC). Il faut aller au bout de notre démarche constructive, et pour cela, harmoniser les dissonances qui subsistent entre les deux chambres.

En ce qui concerne l'encadrement de l'article 49-3, je reste attaché à cet outil essentiel du parlementarisme rationalisé. Mais son usage a été progressivement dévoyé et il s’est transformé en outil de lutte contre l'obstruction parlementaire. L'article 49-3 doit rester un instrument préventif, en évitant une banalisation excessive dédiée au seul confort du Gouvernement. C'est pourquoi le Gouvernement a proposé une limitation de son usage à un seul texte par session ainsi qu’aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Cette proposition a été supprimée par le Sénat, certains nous reprochant de ne pas aller assez loin, tandis que d'autres nous demandent de supprimer purement et simplement le 49-3. Entre ces deux extrêmes, notre solution constitue le meilleur compromis et je vous propose de la retenir.

Alors que vous aviez souhaité supprimer le droit pour les assemblées de voter des résolutions, les sénateurs ont tenu à le restaurer. Il y a ceux qui redoutent qu'un tel outil, mal encadré, fragilise les mécanismes de mise en cause de la responsabilité gouvernementale prévus par l'article 49 de la Constitution.

M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des lois – Absolument !

M. François Fillon, Premier ministre  Et il y a ceux qui ne voient pas pourquoi le Parlement français serait privé d'un instrument dont sont dotés la plupart des parlements des pays développés. Là encore, le Gouvernement privilégie une solution de compromis. II laisse au Parlement la faculté d'exercer son droit de résolution, tout en confiant au Gouvernement l'appréciation du risque de mise en cause de sa responsabilité politique. Faut-il laisser au Conseil constitutionnel le soin de trancher un éventuel désaccord à ce sujet ? Je ne le crois pas, car cette appréciation n'a rien de juridique ; par ailleurs, le conflit peut être résolu très simplement : il suffira que l'auteur de la résolution litigieuse dépose une motion de censure dans les formes prévues par l'article 49. À cet égard, nous ne faisons que reprendre la solution qui avait été imaginée en 1959 lors de l'élaboration de votre Règlement et que le Conseil constitutionnel avait annulée faute de point d'accroche dans la Constitution.

La troisième dissonance entre les deux chambres porte sur la composition de la commission chargée de donner un avis sur certaines nominations du Président de la République. Un accord semble toutefois proche, puisque votre rapporteur a œuvré avec talent à l'élaboration d'un compromis original et pragmatique, maintenant la réunion des deux commissions compétentes tout en ménageant la spécificité de chacune des assemblées.

Les modalités de ratification des traités d'élargissement de l'Union européenne sont un autre point d'achoppement. En première lecture, vous aviez manifesté votre attachement au référendum pour les élargissements les plus importants, en avançant l'idée d'un seuil de population. Cette idée, originale et non dépourvue de logique, n’a cependant pas été comprise par tous, certains y voyant une stigmatisation des pays les plus importants. Les sénateurs ont préféré revenir au texte du Gouvernement, c'est-à-dire à l'article 89, qui offre la possibilité au Président de choisir entre le référendum ou la voie du Congrès.

Aujourd'hui, un consensus se dessine autour d'une solution intermédiaire. Le référendum resterait de droit pour tout élargissement, mais une majorité qualifiée de parlementaires pourrait autoriser le Président à emprunter la voie du Congrès pour lui demander de ratifier, à la majorité qualifiée, le traité d'adhésion. Cet amendement nous paraissant tenir compte des différentes sensibilités, le Gouvernement y sera favorable.

M. Richard Mallié – Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre  Sur la question du mode de scrutin sénatorial (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC), nous n'avons pu trouver de compromis. Dès lors, il nous a paru plus sage d'en rester au droit actuel, qui n'interdit pas d'envisager une réforme et un rééquilibrage de ce mode de scrutin…

M. Marc Dolez – À la Saint-Glinglin !

M. François Fillon, Premier ministre  Des propositions ont été formulées il y a quelques années. Le Gouvernement considère qu'il s'agit d'une bonne base de travail, susceptible de recueillir un consensus. Mais ces propositions ne sont pas du ressort de la Constitution.

Enfin, je voudrais insister sur un dernier sujet, introduit par votre Assemblée : il s'agit du dualisme juridictionnel entre juge judiciaire et juge administratif. L'idée de votre chambre est de permettre à la loi de déroger aux règles d'attribution des contentieux à l'un ou l'autre des ordres juridictionnels. Le Sénat a supprimé la disposition à la quasi-unanimité. Je me permets de vous demander de ne pas y revenir, afin de permettre la convergence entre les deux assemblées. Nous pourrions, certes, débattre longuement du sujet sur le fond, car je sais que la position de votre assemblée était nourrie d'une véritable analyse de votre rapporteur, mais je pense qu'il convient d'aller à la rencontre de la position du Sénat, quitte à ce que la réflexion et la discussion soient reprises par la suite en évaluant ce que sont les besoins d'une bonne administration de la justice.

Nos débats sont désormais concentrés sur les dispositions les plus sensibles. Cela ne doit toutefois pas nous faire perdre de vue l'objectif central, qui est de donner des droits nouveaux au Parlement, afin de moderniser notre démocratie. Au regard de cet objectif, il revient à chacun de vous de répondre à des questions simples : « Vais-je me saisir de ces droits ou y renoncer ? Vais-je contribuer à un compromis historique où vais-je me réfugier dans des objections politiques ? »

M. René Couanau – Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre  Chacun est maître de sa réponse mais doit bien en mesurer les conséquences. Dire « non » à ce projet, ce sera dire « oui » au statu quo, et ce pour de longues années, car les révisions constitutionnelles d'une telle ampleur sont rares. Dire « non », ce sera choisir l'immobilisme institutionnel plutôt que le renouveau politique. J'ai la conviction que la majorité se sent en mesure d'assumer ce renouveau, et je souhaite que l'opposition puisse trouver la force de se rallier à ce mouvement de modernité qui transcende les clivages. Le Président de la République vous propose de donner plus de souffle à notre démocratie : l'enjeu est suffisamment élevé pour se rassembler et aller de l'avant (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur Nous voici parvenus, après cinquante heures de débat en première lecture à l’Assemblée et un passage devant le Sénat, au deuxième rendez-vous de cette révision constitutionnelle. Notre responsabilité à présent est de faire en sorte que sorte de notre assemblée, dans quelques jours, un texte que le Sénat puisse voter en l’état, afin que nous puissions constituer ensemble, le 21 juillet, la majorité des trois cinquièmes permettant de concrétiser cette révision. C’est dans cet esprit de responsabilité et de recherche de solutions équilibrées et consensuelles que je vous propose de travailler aujourd’hui, car même sur les sujets qui paraissaient les plus difficiles – on l’a vu avec le débat sur l’intégration des langues régionales – nous pouvons construire des vues consensuelles.

Mes chers collègues, nous devons rester fidèles aux lignes directrices de cette révision constitutionnelle. La première consiste à revaloriser le rôle du Parlement, en lui permettant de voter des lois moins nombreuses et de meilleure qualité. C’est une avancée considérable que de rendre obligatoire l’élaboration d’études d’impact préalables à tout projet de loi,…

M. René Couanau – Enfin !

M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur – …d’obliger le Gouvernement à justifier le rapport qualité-prix de toute nouvelle loi et à rechercher s’il n’y a pas d’autre solution à un problème que la voie législative. M. Juppé, lorsqu’il était Premier ministre, avait déjà fait une telle proposition, mais celle-ci n’avait pas tenu le cap, ayant été introduite par simple circulaire. Elle aura désormais un ancrage constitutionnel.

Cette revalorisation du Parlement passe également par l’introduction de délais minima indispensables, notamment pour mener à bien toutes les auditions, dont nous savons combien elles enrichissent le travail parlementaire. C’est aussi l’augmentation du nombre des commissions permanentes, de six à huit. Tant la commission des affaires culturelles que la commission des affaires économiques attendent avec impatience d’être dédoublées pour pouvoir mieux se consacrer à leurs missions.

C’est, enfin, l’obligation de ratifier les ordonnances de manière expresse. Sur tous les bancs, de nombreux parlementaires ont déploré l’utilisation massive des ordonnances par les gouvernements, et ce d’autant plus qu’une ratification expresse faisait défaut ; au détour d’un amendement technique retouchant une ordonnance, il était possible de ratifier sans s’en rendre compte une ordonnance entière !

Le deuxième objectif, c’est de faire évoluer le travail parlementaire vers davantage d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, dans un contexte où il est vital de veiller à ce que chaque euro dépensé le soit à bon escient.

Ainsi, concernant l’ordre du jour, je pense que nous allons tous nous entendre pour rétablir le texte de l'Assemblée nationale, qui est une avancée historique : nous allons mettre entre les mains de la Conférence des Présidents une « super-priorité » permettant, jusqu’à une semaine sur quatre, de consacrer le travail dans l’hémicycle à l’évaluation et au contrôle de l’action du Gouvernement.

Nous allons aussi introduire, dans la définition du rôle du Parlement, le fait d’évaluer les politiques publiques.

De plus, nous allons ancrer le rôle de l’opposition en matière d’évaluation et de contrôle car, comme je l’ai dit en première lecture, si l’on veut disposer d’un travail pointu et objectif, il faut donner à l’opposition un poids supérieur à ce qu’il est dans l’hémicycle.

L’initiative que vous avez annoncée il y a quelques instants, Monsieur le Président de l’Assemblée, va aussi dans cette direction.

La possibilité que nous allons donner à un ministre de venir présenter sa politique et d’ouvrir ainsi un débat, qui pourra éventuellement être suivi d’un vote, va également renforcer le pouvoir de contrôle. Car certaines politiques ne passent pas essentiellement par la législation : je pense par exemple à l’éducation nationale.

Il en va de même pour la discussion systématique, attendue depuis des décennies, de l’intervention des forces armées.

Vous avez également évoqué, Monsieur le Premier ministre, l’introduction des résolutions. Je n’ai aucune honte à faire partie de ceux qui pensent qu’elles ne doivent pas être dévoyées : la Ve République a le mérite d’avoir clarifié les modes de mise en cause de la responsabilité gouvernementale ; je ne voudrais pas que demain le vote d’une résolution permette de mettre en cause l’action d’un ministre ou d’un gouvernement réformateur. Je voterai donc avec un grand plaisir, Monsieur le Premier ministre, l’amendement que le Gouvernement défendra pour éviter cela.

Tous ces outils vont permettre de développer considérablement le travail d’évaluation et de contrôle.

Le troisième objectif, enfin, est le renforcement des droits de nos concitoyens.

Nous allons leur permettre de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, constitutionnaliser un « défenseur des droits » et permettre aux justiciables de soulever l’exception d’inconstitutionnalité.

Nous avons introduit, à une quasi-unanimité, un référendum d’initiative conjointe, qui permettra de renforcer le dialogue entre le Parlement et la population.

Nous avons également eu de longs débats concernant les référendums sur l’élargissement de l’Union européenne. Je rappelle qu’en l’état actuel de la Constitution, si le Président de la République signe un traité relatif à l’intégration d’un pays, la première solution est l’organisation d’un référendum, en application de l’article 88-5 ; la deuxième est la ratification par voie parlementaire, avec une majorité des trois cinquièmes au Congrès. Le choix retenu a été de faire figurer les deux voies dans l’article 88-5, afin qu’elles apparaissent clairement aux yeux notamment des observateurs étrangers. La seule différence avec le droit actuel est qu’avant l’organisation du Congrès, on examinera si la majorité des trois cinquièmes est réunie dans chacune des deux assemblées – ce sera une troisième voie de ratification. Je pense que chacun peut se rallier à cette solution ; ce qui importe aujourd’hui, c’est bien le rassemblement.

M. Jean Glavany – Rassemblez vos troupes !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur  Certes on peut estimer que ce projet de loi n’est pas parfait, mais comparons-le avec la situation actuelle : dans tous les domaines – revalorisation du Parlement, pouvoir de contrôle, qualité du travail législatif –, nous faisons des pas en avant.

Nous continuerons à faire preuve d’un esprit d’ouverture durant cette lecture. J’espère que le texte qui en sortira pourra recueillir l’accord du Sénat puis, au Congrès, celui des trois cinquièmes des parlementaires.

M. Jean Glavany – Non, il ne le recueillera pas !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur Nous réussirions ainsi une nouvelle dynamisation des institutions de la Ve République, auxquelles nous sommes tous attachés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une question préalable déposée en application de l’article 91 du Règlement.

M. Arnaud Montebourg – Depuis l’ouverture de ce débat, notre position a été constante. Nous avons dit, sans varier, que nous étions disponibles pour un compromis dans lequel nous pourrions retrouver les valeurs démocratiques, les procédures démocratiques et les objectifs démocratiques que nous défendons depuis des années. Nous avons dit, sans varier, que même si cette réforme n'était pas la nôtre, il était possible que nous puissions nous y retrouver, pourvu que vous accomplissiez les efforts nécessaires pour venir vers nous.

M. Benoist Apparu – Et réciproquement ?

M. Arnaud Montebourg – Nous avons dit qu'il nous était possible d'accepter un progrès insuffisant à nos yeux, pourvu qu'il nous fasse avancer vers une réforme plus large, et dès lors que ce progrès ne s’accompagnait d’aucun recul.

Nous avons multiplié les occasions publiques de dialogue, dans l'hémicycle, à la commission des lois et à Matignon. Nous vous avons tendu la main, nous vous avons présenté nos revendications, mais nous n'avons reçu que des fins de non-recevoir. Nous avons défendu avec force la séparation des pouvoirs, là où nous déplorons chaque jour la confusion des pouvoirs et leur concentration entre les mains d'une seule personne.

Quand nous demandons des garanties sur les droits de l’opposition au sein des assemblées parlementaires, on nous dit : « On verra plus tard ! »

Quand nous demandons des garanties sur l'indépendance de la justice, la Garde des sceaux nous répond qu’il est nécessaire contrôler les magistrats.

M. Marc Dolez – Où est –elle ?

M. Arnaud Montebourg – Quand nous demandons des garanties de pluralisme et de représentativité à l’intérieur d’un Sénat moins réformateur encore que la Chambre des Lords, on nous répond par un durcissement de la protection des intérêts des sénateurs et l’installation d’un sanctuaire antidémocratique en béton armé pour les sénateurs de cette majorité.

Quand nous évoquons la monopolisation du temps de parole audiovisuel par le Président de la République et ses collaborateurs, on nous claque la porte au nez ; et de surcroît, on nous annonce la prise de contrôle par l'Élysée de France Télévisions, contre l’avis de 71 % des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) L’ambiance est quasi-poutinienne… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Quand nous contestons le charcutage électoral, destiné à réduire une opposition qui vous gêne, qu'elle vienne de la gauche ou de vos propres rangs, vous nous répondez par des manipulations sur les futures circonscriptions des députés des Français de l’étranger.

Quand nous demandons la simple reprise des propositions du comité Balladur, on nous reproche presque d’être des balladuriens gauchistes : quel oxymore !

Là où nous attendions un esprit d’ouverture, nous avons rencontré le sectarisme. Au lieu de vous saisir de nos propositions, vous avez décidé de vous enfermer dans la négociation avec votre majorité. Ce choix stratégique de vous appuyer sur les conservateurs du Sénat vous conduit à une impasse : comment faire une réforme avec ceux qui pensent qu’il ne faut jamais réformer ? Le Sénat est le triangle des Bermudes qui engloutit la quasi-totalité des réformes démocratiques depuis 1958. Souvenons-nous de 1969. Le Sénat est l’angle mort de la réforme.

M. Richard Mallié – Vos camarades vont être contents !

M. Arnaud Montebourg – Réformer avec des anti-réformateurs, c’est comme construire l’Europe avec des pays qui veulent la défaire, comme ramer sur une barque attachée par une corde à un arbre !

Votre choix de vous enfermer dans le camp conservateur n’a produit qu’un seul résultat : une non-réforme, pour ne pas dire une anti-réforme. En plus des divisions de la majorité au sein de l’Assemblée, nous avons assisté à un concours de conservatisme avec le Sénat. Au lieu de lutter contre les membres les plus conservateurs de la Haute assemblée, vous avez choisi de vous appuyer sur eux.

Disposant du dernier mot, ils feront plier la partie la plus réformatrice de votre majorité. L’entonnoir fonctionne comme un étau dans lequel votre réforme risque d’être broyée. Au nom du groupe socialiste, vous me permettrez d’exprimer des regrets sur le contenu du projet tel qu’il nous revient du Sénat.

Depuis le début de ces débats, nous avons combattu les dispositions accroissant les pouvoirs du Président de la République et son influence sur le système politique. Je pense en particulier à la possibilité qui lui serait accordée de s’exprimer devant le Congrès. Cet empiètement sur les compétences du Gouvernement – Gouvernement que nous persistons à défendre malgré vous –, n’est malheureusement plus en discussion, car la mesure a été définitivement adoptée.

À cela s’ajoute le droit donné aux ministres démissionnaires de retrouver automatiquement leur siège au Parlement, sans se présenter à nouveau devant les électeurs. Bien qu’elle rappelle le « tourniquet » de la IVe République, cette disposition renforcera les pouvoirs de fait du Président, car il pourra disposer de ses ministres comme autant de hochets dont il userait à volonté.

Il en résultera une réduction des pouvoirs des ministres au profit de l’infini cortège des collaborateurs de l’Élysée. Les fonctions ministérielles subsisteront en droit, mais disparaîtront dans les faits. La réalité du pouvoir gouvernemental sera captée par les collaborateurs du Président de la République, placés autour du secrétaire général de l’Élysée, qui s’exprime désormais chaque semaine dans les médias alors qu’il n’est pas responsable devant le Parlement et que ses compétences ne sont pas définies par la Constitution, contrairement à celles du Premier ministre, que nous défendons malgré lui.

M. Pierre Lellouche – Vous êtes trop bon !

M. Arnaud Montebourg – Ce n’est pas de la bonté, mais une nécessité démocratique.

Nous contestons également la réforme de l’article 16, qui permet au Président de la République, à sa propre initiative, de concentrer tous les pouvoirs. À nos yeux, c’est une disposition non seulement baroque, mais aussi inquiétante, car dépourvue de limite, notamment en cas d’actes terroristes.

Loin d’encadrer le recours à l’article 16, la réforme qui nous est proposée tend à revitaliser ce dispositif inutile et dangereux, qu’il ne faudrait pas placer entre toutes les mains.

De la même façon, le pouvoir de nomination du Président de la République ne sera aucunement encadré, puisqu’il faudra convaincre les trois cinquièmes des commissions compétentes de l’Assemblée ou du Sénat pour qu’une décision soit reconsidérée. Il nous faudra donc convaincre plus de 50 députés ou sénateurs de la majorité pour bloquer la moindre nomination.

M. Jean-Christophe Lagarde – Aujourd’hui !

M. Arnaud Montebourg – Pis encore, la gauche sera en permanence exposé au veto du Sénat lorsqu’elle reviendra aux responsabilités. Ce veto nous sera pourtant interdit quand nous serons dans l’opposition. C’est une disposition injuste, dissymétrique et exclusivement orientée contre la gauche. Cela n’a donc rien d’un progrès. Nous devons lutter contre un dispositif institutionnel qui protège ad vitam aeternam les intérêts de la droite.

Dès le début des débats, nous avions annoncé que tout ce qui renforcerait les pouvoirs du Président serait combattu, mais que tout ce qui les limiterait aurait notre appui. Or, l’opposition ne peut se reconnaître dans les pouvoirs supplémentaires accordés au Parlement. C’est en effet un texte fait par la majorité et pour la majorité : vous n’attribuez de nouveaux pouvoirs qu’aux parlementaires appartenant à celle-ci.

Nous avons pourtant demandé des droits supplémentaires pour l’opposition, notamment le droit, pour 60 députés ou sénateurs, voire un groupe parlementaire, de constituer une commission d’enquête sans avoir à demander l’autorisation du Gouvernement ou de l’Élysée. Or, vous n’avez pas accédé à cette demande. Nous n’avons obtenu que de vagues promesses ou des déclarations apaisantes.

Il en va de même pour la parité du temps de parole entre la majorité et l’opposition dans cet hémicycle. Le président Accoyer s’est engagé à inscrire le principe dans le règlement intérieur. Mais c’est la majorité qui adopte ce texte, et nous dépendrons de sa générosité et de sa bonté pour jouir de ce droit. Nous n’avons aucune garantie alors que rien ne vous empêche d’inscrire ce droit dans la Constitution.

Par ailleurs, comment croire à ces promesses quand le temps de parole de l’exécutif s’accroît de 250 % dans les médias. Quand nous demandons un rééquilibrage, vous nous répondez d’aller nous faire voir ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous ne l’avez peut-être pas dit en ces termes, mais nous n’étions pas très loin de ce langage quand Mme Alliot-Marie est montée à la tribune.

À chaque fois, le rapporteur et le ministre nous ont renvoyés à une hypothétique modification du règlement intérieur ou de la loi organique. Le premier dépend pourtant du pouvoir majoritaire et la seconde des sénateurs les plus conservateurs de la majorité.

Pis encore, le droit d’amendement, actuellement garanti par la Constitution, a fait l’objet d’atteintes supplémentaires au Sénat, malgré certains propos rassurants et le renvoi, une fois encore, au règlement intérieur.

M. Jean Glavany – C’est une terrible régression démocratique.

M. Arnaud Montebourg – Vous portez atteinte à ce droit imprescriptible – je n’ose dire : sacré – qu’ont tous les parlementaires de déposer des amendements et de faire la loi. Le Sénat a souhaité araser le droit d’amendement, qui sera contraint par un règlement intérieur que la majorité pourra écrire seule.

L’un des vice-présidents de l’Assemblée appartenant à la majorité, M. Laffineur, n’a-t-il pas déclaré, la semaine dernière, qu’il souhaitait une adoption rapide de la réforme institutionnelle afin de pouvoir lutter contre des amendements socialistes qu’il jugeait excessifs – il n’a pourtant pas à s’arroger ce droit de contrôle ! Était-ce un lapsus, ou bien la réforme institutionnelle est-elle conçue pour nous empêcher de déposer des amendements ?

J’en viens à l’envoi des formes armées à l’extérieur de nos frontières. Sur ce point, vous n’avez même pas été capables d’aligner notre droit sur celui des autres puissances militaires européennes : il n’y aura ni vote, ni débat, ni même communication des accords de coopération et d’assistance en vertu desquels nous envoyons des troupes. Le domaine réservé du Président de la République a encore de beaux jours devant lui.

Peut-on cependant considérer que les citoyens, eux, pourraient se reconnaître dans cette réforme ? Le dispositif concernant le référendum d’initiative populaire a été laminé par le Sénat, alors même que nous étions déjà en deçà des propositions faites par le comité Balladur. Il sera tout simplement impossible à mettre en œuvre, ce qui découragera toute forme de militantisme civique.

Il est vrai que les justiciables pourront désormais saisir le Conseil supérieur de la magistrature et le Conseil constitutionnel. La composition de ces deux instances demeurera toutefois aussi politisée et partisane qu’aujourd’hui, ce qui nous expose à des difficultés au regard des garanties d’indépendance que doit respecter toute juridiction compte tenu de nos engagements européens.

Mme Élisabeth Guigou – On ne perd rien pour attendre !

M. Arnaud Montebourg – Que reste-t-il donc de positif dans ce qui nous est proposé ? Il faut s’interroger par honnêteté intellectuelle (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La répartition des compétences entre le Président de la République et le Premier ministre en matière de défense nationale ? Nous sommes réduits à y voir une avancée alors même qu’il n’y a que maintien du statu quo.

Mme Élisabeth Guigou et Mme Marylise Lebranchu – Encore heureux !

M. Arnaud Montebourg – La fin des irrecevabilités opposées par les présidents des assemblées aux amendements empiétant sur le champ réglementaire ? Là encore, il faut se réjouir du maintien du statu quo. Quelle belle entrée dans la modernité ! La ratification expresse des ordonnances ? Cette disposition était nécessaire, mais reste de portée homéopathique face à la crise de la loi et à la multiplication des ordonnances.

Le rétablissement du droit de résolution des assemblées ? C’est très bien, mais la rédaction du texte issu du Sénat permettra au Gouvernement de s’opposer aux résolutions dès qu’elles mettront en cause, directement ou indirectement, sa responsabilité. C’est lui qui décidera quand le Parlement aura le droit de s’exprimer !

Mme Marylise Lebranchu – C’est scandaleux.

M. Arnaud Montebourg – Les délais minima entre le dépôt d’un projet et sa discussion ? Le Sénat a décidé d’aller plus loin que l’Assemblée, et nous nous en réjouissons. Mais que de temps pour décrocher ce pompon supplémentaire ! Par ailleurs, les exceptions sont tellement larges – projets de loi de finances, projets de loi de financement de la sécurité sociale, état de crise – que tout ou presque dépendra du bon vouloir du Gouvernement.

Le nombre des commissions permanentes passera également de six à huit, ce qui est un point positif. Mais ce n’est pas la Révolution française.

M. Jean Glavany – Ni mai 68 !

M. Arnaud Montebourg – Quant à la procédure accélérée, les conférences des présidents pourront s’y opposer ? C’est une autre avancée, mais elle reste de l’ordre du détail. Ce projet n’est pas à la hauteur de la crise démocratique qui frappe notre pays. C’est seulement un outil astucieux pour faire croire qu’il y a une réforme, mais, sur tous les points que j’ai énumérés, peut-on sérieusement et honnêtement qualifier ainsi ce texte ? (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC)

M. Bernard Roman – C’est une réformette !

M. Arnaud Montebourg – Nous qui avons donné ses chances à ce processus, en assumant la discussion publique avec vous, en cherchant à vous convaincre plutôt qu’à vous combattre, nous avons le sentiment d’avoir épuisé notre salive (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et d’avoir été menés en bateau jusqu’au port du plus complet conservatisme. Les astuces, le talent du Gouvernement en matière d’enrobage et de maquillage, son sens de la mise en scène et de la décoration ne suffiront pas à dissimuler l’immense malentendu qui sépare le pays de ceux qui le dirigent.

Alors que les Français veulent davantage de démocratie, de délibération, de contre-pouvoirs, vous leur donnez le contraire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : le renforcement de l’absolutisme présidentiel – qu’il s’exerce en droit ou en fait, directement ou indirectement. Plus les difficultés économiques et sociales augmentent, plus les Français ont besoin de démocratie pour les exprimer et les faire entendre.

Mme Marylise Lebranchu – Très juste !

M. Arnaud Montebourg – Comment se reconnaîtraient-ils dans une réforme qui leur ferme, à eux aussi, la porte au nez ? (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP) Cette déception et ce malentendu viendront s’ajouter à d’autres, plus graves encore. Chacun l’aura compris : cette réforme a été faite par le pouvoir, pour le pouvoir, et pour en assurer le maintien (« Mais non ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Voilà pourquoi nous vous la laissons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Marc Laffineur – Monsieur le président, je demande la parole : j’ai été mis en cause par l’orateur.

M. le Président – En effet ; en pareil cas, notre Règlement vous permet de répondre en fin de séance. Je vous donnerai alors volontiers la parole.

M. Marc Laffineur – M. Montebourg est un menteur ! (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean Glavany – Prenez garde ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Christophe Lagarde – Le discours de M. Montebourg différait sensiblement de celui qu’il a prononcé lors de la première lecture.

M. Jean Glavany – Forcément !

Mme Marylise Lebranchu – Et heureusement !

M. Jean-Christophe Lagarde – À vrai dire, en première lecture, nous n’avions pas été dupes de l’ouverture dont le Parti socialiste prétendait faire preuve : d’emblée, son bureau politique – et non le groupe parlementaire socialiste – avait fixé ses cinq conditions, qui devaient toutes être respectées pour que les socialistes votent le texte. Tous l’auront compris : en réalité, le groupe socialiste ne s’intéressait pas au débat constitutionnel (Protestations sur les bancs du groupe SRC), mais – on l’a encore vu ce matin – à un congrès qui doit se tenir non à Versailles, mais à Reims ! Et aujourd’hui, les masques commencent de tomber.

Assurément, mes chers collègues, si le Nouveau Centre devait écrire une Constitution, il ne s’agirait pas de ce texte. Mais vous avez suffisamment dénoncé pendant des années, voire des décennies, à juste titre, les dérives et les excès de la Ve République – l’hypertrophie du pouvoir exécutif et la quasi-disparition du pouvoir parlementaire – pour ne pas vous détourner d’un texte qui, comme l’a dit M. Montebourg, n’est pas la panacée, mais a été amélioré sur plusieurs points au cours de la navette – plusieurs de nos demandes, dont certaines du groupe socialiste, ayant été acceptées par la majorité et le Gouvernement.

Ce texte, dites-vous, est inutile ; mieux vaut le jeter aux orties et s’occuper d’autre chose ! Je veux dire à l’opposition et à la majorité qu’à l’issue de cet examen en deuxième lecture – dont j’espère qu’il permettra une réunion du Congrès dans les meilleurs délais –, il ne s’agira pas de juger si le texte est parfait, mais s’il est utile et s’il permet des avancées. Préférons-nous partager la maîtrise de notre ordre du jour avec le Gouvernement ou se le voir entièrement imposer par lui, comme c’est le cas aujourd’hui ? (Approbation sur plusieurs bancs du groupe UMP) Préférons-nous avoir une part de responsabilité ou laisser au Gouvernement la toute-puissance que les dérives des institutions de la Ve République, ou de leur pratique, lui ont octroyée ? Quant à l’envoi des troupes et aux interventions militaires à l’extérieur, si ce que le texte propose n’est effectivement pas parfait, le système actuel est encore plus simple : le Gouvernement ne nous informe de rien, ne nous demande rien et ne nous fait voter sur rien ! Le trouvez-vous préférable ?

Pourquoi les parlementaires refuseraient-ils l’extension des droits dont disposent leurs groupes, aujourd’hui fort contraints ? Est-ce pour éviter de devoir vous accorder sur les sujets que vous inscririez à l’ordre du jour de l’Assemblée ? Aujourd’hui, les nominations par le Président de la République et par les présidents des deux assemblées ne font l’objet d’aucun contrôle ; le texte en instaure un, qui permet à la majorité et à l’opposition de se prononcer sur elles par un avis et par un vote – progrès indéniable, car comment le Président de la République ou celui de l’Assemblée passerait-il outre l’avis de sa majorité, dût-elle ne pas atteindre les trois cinquièmes ? Mais vous préférez l’absence de contrôle, qui vous permettra de continuer de critiquer les nominations faites par le Président de la République. Curieusement, vous ne vous en prenez jamais à celles que décide le président de l’Assemblée, pourtant sans débat ni audition !

M. Manuel Valls – Cela viendra ! (Sourires)

M. Jean-Christophe Lagarde – Vous déplorez que le Gouvernement puisse désormais s’opposer aux résolutions que nous proposerions ; il est vrai qu’il n’a pas aujourd’hui à se donner cette peine, puisqu’elles nous sont purement et simplement interdites !

Le référendum, dites-vous, sera impossible ; je n’en crois rien, même s’il nous faudra pour cela revenir, au cours de cette deuxième lecture, sur les modifications apportées par le Sénat. Alors qu’aucun référendum ne peut aujourd’hui avoir lieu à l’initiative des citoyens, le texte leur ouvre cette possibilité, leur permettant de s’investir dans le processus législatif ; c’est vous, Monsieur Montebourg, qui voulez leur refermer cette porte au nez ! De même, vous entendez les priver de la possibilité de se défendre contre des lois anticonstitutionnelles.

Le tout ou rien ne pouvant tenir lieu de politique, nous préférons un texte porteur d’avancées à un recul dont nombre d’entre vous savent qu’il accroîtrait encore la toute-puissance non de ce seul Gouvernement, mais de tous les gouvernements futurs, et affaiblirait un peu plus le Parlement. Voilà pourquoi le groupe Nouveau Centre ne votera pas cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Jean-Jacques Urvoas – On pourrait définir toute révision constitutionnelle en s’inspirant de la définition que donnait le général de Gaulle de la Constitution, le 31 janvier 1964 : « un esprit, des institutions, une pratique ». Et ce sont autant de raisons pour nous de voter cette motion, afin de condamner, pour la seconde fois, le texte que vous nous soumettez.

Tout d’abord, l’esprit de votre révision ne satisfait pas nos attentes. À nos yeux, la VRépublique est épuisée par la concentration des pouvoirs, la dévalorisation du Parlement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et l'irresponsabilité présidentielle. Mettant à profit la conjoncture, vous auriez pu tenter de vous attaquer à ces maux – à condition de faire preuve d’audace, d’un peu de courage et de beaucoup d'imagination ! Mais vous refusez d’aller à l'essentiel, vous contentant de proposer un catalogue de mesures disparates – au point que le professeur Avril a jugé devant la commission des lois que le texte aurait pu s'intituler « projet de loi portant diverses mesures d'ordre constitutionnel ».

Mme Marylise Lebranchu – Exact !

M. Jean-Jacques Urvoas – Nous continuons donc de penser qu’il s’agit d’une occasion manquée.

S’agissant des institutions, nul n’ignore les malfaçons qui altèrent notre loi fondamentale : la prépondérance de l'exécutif est devenue excessive dans ses moyens comme dans ses effets. Constamment abaissé, le Parlement est contesté dans sa représentativité, bridé par le Gouvernement, étiolé par la mise à l'écart de l'opposition. Une vaste révision aurait dû avoir pour ambition de desserrer, sans dommage pour la stabilité de nos institutions, l'étau qui le réprime ; d’ouvrir des pistes nouvelles afin de rompre avec les logiques institutionnelles et politiques qui, depuis trop longtemps, étouffent sa voix, notamment celle de l'Assemblée nationale.

Hélas, mais sans surprise, votre texte nous revient du Sénat assorti d’un lot de reculades qui ne peut que nous décevoir. Il fallait beaucoup de naïveté, il est vrai, pour attendre du Sénat un progrès démocratique ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Une révision, c’est enfin une pratique. En la matière, les textes ne suffisent pas ; telle est du reste la spécificité du droit constitutionnel : le jeu y compte autant que les règles. Voilà pourquoi les parlementaires socialistes se sont fixés une ligne de conduite : tout faire pour que la démocratie progresse (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). C’est du reste en partie la modestie des avancées opérées, au regard des nombreux refus essuyés par nos propositions, qui justifiait notre vote négatif en première lecture.

Or, pour l’heure, aucun signe ne nous porte à espérer des modifications notables : la voie que vous proposez ne saurait permettre de remédier aux vices qui affectent notre constitution. Nous voterons donc cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Noël Mamère – La position du groupe GDR sera rigoureusement identique à celle que nous avions adoptée en première lecture, car le passage par le filtre sénatorial n’a fait qu’affaiblir un peu plus un texte qui s’apparente à un vulgaire bricolage !

M. le Premier ministre nous mettait tout à l’heure en garde contre le risque de manquer une occasion historique de réformer le Parlement en accroissant ses pouvoirs ; mais à nos yeux, c’est le Gouvernement qui a manqué une occasion historique de réformer nos institutions, notamment en améliorant la représentation dont y jouissent les diverses forces politiques du pays. Vous avez manqué le rendez-vous de la vitalité démocratique, préférant maintenir, en refusant de réformer le Sénat, une sorte de citadelle sur le fronton de laquelle est inscrit : « bâtiment interdit à la gauche » ! Tant que ce verrou demeurera, on ne pourra parler de réforme des institutions.

En commission des lois, puis lors de l’examen en première lecture, nous avons exprimé plusieurs critiques et formulé plusieurs propositions, en particulier s’agissant du vote des étrangers, cruellement absent de cette réforme alors même que plusieurs pays de l’Union européenne, notamment l’Espagne, s’apprêtent à le rendre possible. Le texte ne comporte rien non plus sur la proportionnelle ou sur la limitation du cumul des mandats, et rien de pertinent sur le contrôle de la politique étrangère et de défense. En somme, cette pseudo-réforme – que M. Montebourg a qualifiée à juste titre de « décorative » – vise à faire diversion pour masquer le renoncement du Président de la République et du Gouvernement à l’essentiel, et en cela elle ne diffère pas de beaucoup d’autres – je songe par exemple à ce que vous avez fait, ou plutôt n’avez pas fait pour le pouvoir d’achat et au vote solennel, tout à l’heure, d’une loi de régression qui nous renvoie au XIXe siècle en matière de temps de travail et de relations entre salariés et entreprises (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Vous pouvez toujours protester et pousser des cries d’orfraie ! La vérité, c’est que loi après loi, votre majorité adopte dans l’urgence des textes de circonstance, souvent dictés par des faits divers et la tyrannie de l’émotion. Le régime actuel est en train de détricoter le fruit de décennies de conquêtes sociales…

M. Bernard Roman – Absolument !

M. Noël Mamère – Mais il ne faut pas croire que les Français vont tomber dans le panneau ! Votre réforme des institutions, ce n’est qu’un mirage pour faire croire que l’on veut donner plus de pouvoir au Parlement ! Las, ce dernier reste une armée des ombres,… (Protestations sur les bancs du groupe UMP) toujours au service d’un exécutif qui décide de tout.

Le groupe GDR votera la question préalable avec détermination. Nous restons fermes : après avoir voté contre cette réforme en trompe-l’œil en première lecture, nous voterons contre en deuxième lecture et contre au Congrès ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. le Président – Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

M. Marc Laffineur – Je remercie Jérôme Chartier de me laisser faire cette explication de vote. Cela fait vingt ans que tous, ici, dans notre for intérieur, nous espérions une révision destinée à renforcer le pouvoir du Parlement. Aujourd’hui, le Président de la République tire les conséquences du quinquennat que nous avons voté il y a quelques années. Cette occasion, il est tout simplement impossible de la laisser passer ! Si nous le faisions, nous nous priverions de la possibilité de renforcer le Parlement sans doute pour des dizaines d’années. Et je note au passage qu’il est également prévu de donner plus de pouvoir à l’opposition. Le partage de l’ordre du jour représente un fantastique avantage pour les parlementaires, de même que le contrôle des nominations…

M. François Brottes – À la télévision ?

M. Marc Laffineur – …pour une République plus impartiale. Je pense aussi au renforcement du contrôle sur les institutions européennes.

M. Montebourg m’a mis en cause pour des paroles que je n’ai jamais prononcées…

M. Bernard Roman – Assumez, vous l’avez dit !

M. Arnaud Montebourg – Le Figaro le rapporte !

M. Marc Laffineur – Bien entendu, le groupe UMP ne votera pas la question préalable. Saisissons sans plus attendre l’occasion qui nous est offerte de renforcer le rôle du Parlement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

À la majorité de 216 voix contre 105, sur 321 votants et 321 suffrages exprimés, la question préalable n’est pas adoptée.

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Jean-Christophe Lagarde – La question de la modernisation des institutions ne se serait sans doute pas posée si la Ve République n'avait pas changé de visage depuis 1958. Pour de nombreux constitutionnalistes, comme pour une majorité d'acteurs politiques qui n'osent pas le dire, la Ve République des origines est morte. Régime parlementaire rationalisé à l’origine, elle est peu à peu devenue, du fait de la pratique institutionnelle, présidentialiste, évolution que consacrèrent l'élection au suffrage universel du Président de la République et le passage au quinquennat, dans la mesure où ces réformes ne s’accompagnèrent pas d’un juste rééquilibrage des pouvoirs publics.

Le régime hybride voulu par le Général de Gaulle, mi-parlementaire et mi-présidentiel, n'est donc plus une réalité depuis bien des années. Le déséquilibre entre les pouvoirs est si important qu'on peut considérer aujourd'hui que la France est progressivement devenue une démocratie fictive. Ce déséquilibre, nous avons été nombreux à le pointer du doigt depuis des décennies. Nous avons été nombreux à réclamer que notre démocratie se modernise, à souhaiter qu'on rende sa légitimité et sa force au pouvoir législatif, tout en assumant pleinement l’héritage gaulliste, celui d'un exécutif fort et stable, capable de gouverner le navire France.

Les pères de la Ve République voulaient garantir la stabilité gouvernementale indispensable au pays, pour mettre fin aux excès insupportables de la Quatrième. Cinquante ans après, nous pouvons tous constater qu'ils y sont parvenus. Mais nous savons aussi que nous avons remplacé les excès de la IVe par d'autres, tout aussi pervers. La conjugaison d'un mode de scrutin exclusivement majoritaire à deux tours et d'un arsenal constitutionnel anti-Parlement, à disposition permanente du Gouvernement, ont progressivement rendu le Parlement impuissant à peser réellement les décisions importantes. En réalité, sous les majorités de droite comme de gauche, dans 99 % de ces décisions, le Gouvernement décide et le Parlement exécute.

C'est si vrai que, depuis des années, nombre d'acteurs politiques osent répéter à l'envi que le rôle essentiel du Parlement ne doit plus être de légiférer mais de contrôler l'action du Gouvernement. Je ne nie pas que le contrôle de l'action gouvernementale soit pour nous une mission essentielle – d'ailleurs à peu près aussi importante qu’inexistante dans nos travaux. Mais pour autant, nous n’approuverons jamais la conception d'un Parlement qui ne légifère qu'à la marge, au fallacieux prétexte que le Gouvernement doit pouvoir gouverner, ce qui reviendrait à dire qu'il doit avoir les mains libres.

Dans tous les pays de l'Union européenne, dans tous les pays occidentaux, les gouvernements gouvernent et négocient leurs projets de lois avec leurs majorités parlementaires. Nous savons tous que cela ne se passe pas ainsi dans notre pays. La culture de la négociation législative n'est pas celle de nos gouvernements successifs et cela est dû au déséquilibre des pouvoirs au sein de nos institutions. Ce travers est si profondément ancré dans les esprits que, par extraordinaire, quand le Parlement ne vote pas selon les souhaits du Gouvernement, on parle immédiatement de crise ou de conflit, là où un pays démocratiquement mûr ne verrait que le cours normal du débat législatif. Ainsi ce débat constitutionnel où, pour une fois, l'exécutif se plie à l'exercice normal de la démocratie en modifiant profondément son texte originel, sans les crispations habituelles et inutiles, ce débat, disais-je, suscite railleries et critiques. Pourtant, une démocratie disposant d'un Gouvernement fort et d'un Parlement apte à équilibrer les pouvoirs de l'exécutif devrait toujours fonctionner ainsi, pour permettre aux lois communes d'être plus justes et mieux acceptées, car mieux comprises par les citoyens.

Et ce n'est que si l'essentiel de sa politique était remise en question que nous devrions considérer que la responsabilité du Gouvernement peut être mise en cause. Au lieu de cela, un Gouvernement récent s'est offert le ridicule il y a quelques mois de dégainer, comme on dit, l'article 49-3 sur un texte aussi peu fondamental que celui traitant des téléchargement sur Internet.

Lorsqu'on a la chance d'être, comme nous aujourd'hui, des constituants, on doit toujours avoir à l'esprit cette merveilleuse formule de Montesquieu qui constate sans détour que, « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Et le comité dirigé par Édouard Balladur ne disait pas autre chose dans son rapport : « Les institutions de la Ve République ne fonctionnent pas de manière pleinement satisfaisante. Et en dépit des nombreuses révisions constitutionnelles intervenues ces dernières années, [...] les institutions peinent à s'adapter aux exigences actuelles de la démocratie. » Quand on connaît le sens de la litote de M. Balladur, on mesure la sévérité du constat !

Ce rapport recommande d'encadrer davantage l'exercice des attributions que le Président de la République tient directement de la Constitution, de renforcer le Parlement, d'améliorer la fonction législative, de desserrer l'étau du parlementarisme dit rationalisé, de revaloriser la fonction parlementaire, de doter les groupes minoritaires de droits garantis, de renforcer le pouvoir et les moyens de contrôle du Parlement. Telles sont, aux yeux du comité, les grandes lignes du nécessaire rééquilibrage de nos institutions.

Les modifications apportées à la Constitution depuis 1958 ont bouleversé de façon majeure l'équilibre institutionnel de départ. Mais elles n'ont jamais revêtu l'ampleur du projet de révision qui nous est aujourd'hui soumis – sans doute la plus importante révision proposée depuis 1962. Depuis cette date, la légitimité d'un Président de la République élu au suffrage universel n'a, à l'évidence, plus rien à voir avec celle d'un Président élu par un collège de grands électeurs. Et l'adoption, en 2000, du quinquennat a renforcé le caractère présidentiel de notre régime politique, du fait de la concomitance des élections législatives. C’est du reste l’une des questions que je me posais en écoutant tout à l’heure M. Montebourg. Ne faisait-il pas partie de la majorité qui a instauré le quinquennat, au risque de la dérive présidentialiste qu’il dénonce jour après jour ? Ne se montre-t-il pas beaucoup plus exigeant avec MM. Sarkozy et Fillon qu’il n’a su l’être avec M. Jospin ?

M. Dominique Perben – C’est vrai.

M. Jean-Christophe Lagarde – Le passage au quinquennat a modifié profondément l'équilibre de nos institutions : d’un Président arbitre, on est passé à un Président partisan ; d'un présidentialisme limité par la possible cohabitation, on est passé à un présidentialisme affranchi de tout contre-pouvoir

Le projet de loi constitutionnelle que propose le Gouvernement en tire un certain nombre de conséquences, ce que les gouvernants de l'époque n'avaient pas voulu faire. Force est de constater que le Président de la République actuel est le premier à proposer un tel rééquilibrage. Combien de ses prédécesseurs, après avoir critiqué les dérives présidentialistes du régime, ont fini par se lover dans ce costume de monarque républicain ? C'est donc l'actuel chef de l'État qui a fait, dans ce domaine, un certain nombre de propositions. Le Nouveau Centre n'aurait certes pas réformé la Constitution de la sorte s'il en avait eu le pouvoir. Ce texte n'est pas celui que nous aurions écrit. Pourtant, nous retrouvons plusieurs de nos recommandations : un exécutif fort, certes, mais un Parlement responsable ; une démocratie stable, bien évidemment, mais respectueuse du pluralisme. La navette parlementaire a permis des avancées appréciables. Nous nous apprêtons à moderniser nos institutions, en donnant notamment plus de place aux citoyens qui pourront, appuyés par leurs parlementaires, solliciter un référendum mais aussi saisir le Conseil constitutionnel pour être assurés de la constitutionnalité d’une loi.

Nous voulions un exécutif stable : votre projet garantit cette exigence. Nous voulions des droits nouveaux pour le Parlement : un certain nombre ont été retenus. Je mentionnerai un meilleur contrôle de l'ordre du jour parlementaire, la limitation du recours au 49-3, l'encadrement des nominations individuelles dépendant du chef de l'État ou des présidents des assemblées, le droit de résolution, le droit d'initiative parlementaire élargi. L'obligation – pour la première fois dans notre histoire – d'informer le Parlement des interventions militaires extérieures et d’en débattre mettra fin à cette détestable exception française, qui faisait de nous le seul pays démocratique ou l'exécutif pouvait envoyer mourir de jeunes soldats à la guerre sans même s'en expliquer ! De même, la possibilité pour le Parlement d'être assisté par le Conseil d'Etat ou la Cour des comptes donnera plus de force aux propositions parlementaires, évitant ainsi qu'il nous soit régulièrement répondu par le Gouvernement qu’elles sont mal conçues ou mal rédigées. Nous apprécions que notre Constitution s'apprête enfin à reconnaître le rôle et l'importance des langues régionales dans notre pays.

Le Nouveau Centre souhaitait que notre loi fondamentale oblige à la responsabilité en matière budgétaire. Car depuis au moins trois décennies, les gouvernements successifs dépensent sans compter, en laissant la facture aux suivants ! C’est ainsi que s’est peu à peu alourdie, jusqu’à atteindre quelque 1 300 milliards d'euros, la dette de l’État, qui pèsera pendant des décennies sur les générations suivantes. Or, pour la première fois, la Constitution énonce la nécessité de concilier les deux exigences de la pluriannualité budgétaire et de l'équilibre des comptes publics. Si nous savons nous en saisir, ce sera une vraie révolution dans les politiques budgétaires de notre pays.

Au total, la réforme proposée va dans le bon sens. Mais pour qu’elle emporte notre adhésion, des améliorations doivent encore y être apportées. Un rééquilibrage est nécessaire pour que le Parlement maîtrise mieux son ordre du jour. Nous ne comprenons d'ailleurs pas le choix du Sénat de revenir en arrière en refusant un partage équitable de l'ordre du jour avec le Gouvernement. Nous souhaitons sur ce point que notre Assemblée rétablisse le texte voté en première lecture. Le rôle du Parlement ne saurait être renforcé si celui-ci ne peut décider de l'organisation de son travail. Il ne s'agit pas d'empêcher le Gouvernement d'agir, puisque celui-ci conservera ses prérogatives s’agissant des textes majeurs, mais de ne plus infantiliser le Parlement. Cela vaut aussi dans le domaine des affaires européennes, ainsi qu’en matière d’interventions militaires et d’affaires étrangères. Il faut également que le Parlement puisse suggérer des orientations au Gouvernement, comme le font d'ailleurs la plupart des autres Parlements européens.

Nous voulons bien sûr, et depuis longtemps, que nos institutions, à commencer par le Parlement, respectent le pluralisme, qu'il s'agisse de son mode d'élection – lequel n’est pas d’ordre constitutionnel – ou du droit des groupes parlementaires. Nous nous réjouissons que les nominations relevant du Président de la République et des présidents des assemblées soient enfin soumises à l'avis du Parlement, qui pourra s'y opposer. Nous nous félicitons également de la reconnaissance de certains droits aux groupes parlementaires. Nous voulions que notre Constitution reconnaisse le pluralisme et la diversité des courants d'opinion comme ferments de notre démocratie, notre souhait est en passe d’être exaucé.

Nous nous sommes battus, au Nouveau Centre, contre l'instauration d'un bipartisme réducteur, éloigné de la conception française du débat démocratique. Nous nous sommes battus pour que des droits soient reconnus aux groupes parlementaires. Nous nous réjouissons donc des avancées proposées à cet égard, notamment de l’engagement pris par le président Accoyer concernant les commissions d’enquête. Nous regrettons toutefois l'obstination de notre commission des lois à refuser que les groupes parlementaires puissent saisir le Conseil constitutionnel, disposition sagement introduite par le Sénat. Il y a là un obstacle à l’adhésion unanime de notre groupe à ce projet. L'élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel, qui je l'espère deviendra Cour, va dans le sens d'une plus grande transparence de nos institutions et d'un plus grand respect de la hiérarchie des normes, grâce au contrôle démocratique, parlementaire et citoyen que permet l'exception d'inconstitutionnalité. Mais il faudrait aller jusqu’au bout de cette logique. Si les citoyens peuvent demain se protéger contre l'inconstitutionnalité d'une loi, au nom de quoi voudrait-on empêcher un groupe parlementaire de le faire en amont ?

Nous souhaitons également que le Parlement dispose d'un plus grand nombre de commissions. L’un des moyens utilisés par le constituant de 1958 pour le corseter a été en effet de limiter le nombre de ces commissions, de façon qu'elles ne puissent pas entrer dans le détail. D'autres Parlements, notamment l’allemand, l’anglais et l’espagnol, comptent deux à trois fois plus de commissions que le nôtre. Si le projet de loi propose d'augmenter ce nombre, nous souhaiterions aller encore un peu plus loin –nous avons déposé des amendements à ce sujet.

Vous l'aurez compris, fidèle aux idées institutionnelles que l'UDF a toujours défendues, le Nouveau Centre est prêt à soutenir ce projet de loi s'il conserve ses avancées en matière d'impartialité de l'État et de pluralisme politique. Au cours de cette deuxième lecture, nous veillerons à la cohérence du débat et au respect par le Gouvernement de ses engagements.

Nous avons œuvré ensemble pour moderniser nos institutions et les rendre plus démocratiques. Il est de notre responsabilité d'aller jusqu'au bout de cette démarche pour que cette réforme soit utile et sorte notre démocratie d’une dangereuse léthargie. Elle doit être celle qui redonnera des pouvoirs et des droits aux citoyens, qui imposera la responsabilité budgétaire aux gouvernants et qui permettra au Parlement de partager les décisions, afin que celles-ci trouvent une plus grande légitimité aux yeux de nos concitoyens.

Si le Gouvernement respecte ses engagements et si une majorité des trois cinquièmes est réunie à Versailles, nous aurons davantage de responsabilités et de pouvoirs. Surtout, notre démocratie pourra être un peu moins virtuelle (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – Quel redécoupage électoral a-t-on bien pu promettre au Nouveau Centre pour qu’il tienne un discours aussi idolâtre ?

M. Jérôme Chartier – Le débat sur la révision de la Constitution entre dans une nouvelle phase avant son aboutissement espéré au Congrès. Il s’agit de modifier, en l'équilibrant davantage, la règle commune qui régit le fonctionnement de nos institutions et définit les relations entre les pouvoirs. II n'y aura ni vainqueurs ni vaincus au lendemain de cette révision : seule la citoyenneté sortira gagnante. Mais si ce projet échoue, c'est nous tous qui seront perdants, le Parlement comme les citoyens.

Cessons donc de raisonner en termes manichéens, regardons ce texte sans passion inutile ni a priori. Il n’est pas question de succès ou d'échec pour le Président de la République, le Gouvernement ou la majorité, mais uniquement de ce qu’a à y gagner la démocratie.

M. Jean-Pierre Brard – Prêche !

M. Jérôme Chartier – Ce texte se caractérise notamment par la diversité des thèmes abordés. Quelle révision constitutionnelle a jusqu'ici touché – je cite, à dessein, nombre de sujets qui restent aujourd'hui en débat – au droit de grâce, au nombre maximal de parlementaires, au statut des anciens Présidents de la République, aux pouvoirs de nomination, aux procédures parlementaires, au patrimoine que constituent les langues régionales, au défenseur des citoyens, aux modalités de saisine du Conseil constitutionnel, à la composition du Conseil supérieur de la magistrature, à la francophonie... ?

Ce débat constitutionnel n'a éludé aucun sujet. C’est là tout son intérêt, avec l'esprit constructif et ouvert dont a fait preuve le Gouvernement depuis le début. Le chef de l'État avait dit lui-même lors de son discours sur les institutions prononcé à Épinal – peut-être en hommage à Philippe Séguin – que tout n'était pas ficelé au départ. Les réflexions de la commission Balladur comme le nombre d'amendements adoptés ont confirmé cet esprit d’ouverture et témoignent de l'apport considérable du Parlement. Le reproche formulé par certains, qui ne cherchent qu’à justifier un vote politicien, consistant à dire que c'est la réforme du Président, se trompent : si elle est en effet portée par le Président de la République et le Premier ministre, elle a aussi été améliorée de façon significative par un Parlement convaincu et déterminé !

Le débat est, sur plusieurs points, sorti des sentiers battus, il faut s’en féliciter. Je me réjouis ainsi qu'un compromis semble être trouvé sur les langues régionales. Leur reconnaissance au titre de patrimoine ne peut ni ne doit porter atteinte à la langue de la République. Les points de vue ont pu être rapprochés sur ce point. Le travail accompli par le Gouvernement et les deux rapporteurs ont permis d'imaginer un contenu adoptable dans les mêmes termes par les deux assemblées. Le groupe UMP veillera à ce qu’il en soit bien ainsi.

Le renouveau du Parlement constitue le fil directeur de cette révision. Certains ont reproché à ce texte de renforcer les pouvoirs du Président. C'est totalement faux. Le droit de parole, qui s'ajoute au droit de message, n'est pas exactement ce qu'avait souhaité initialement le Président. Et en quoi porte-t-il atteinte à nos droits de parlementaires ? En revanche, comment ignorer toutes les dispositions qui desserrent les contraintes qui pèsent sur les assemblées ? Soyons réalistes : depuis que je siège à l'Assemblée, j'entends, comme beaucoup d’entre vous, la complainte du député résigné ou désabusé. Le spleen du parlementaire qui veut faire avancer une idée, mais se retrouve prisonnier des procédures et du poids de l'exécutif, est bien connu. Précisément, ce projet de révision constitutionnelle l’allège : limitation du recours au 49-3, partage de l’ordre du jour, augmentation du nombre de commissions, débat sur le texte de la commission… Cette réforme qui reconnaît et valorise le travail des commissions est indispensable : plutôt qu’un hémicycle désert comme aujourd’hui, mieux vaut des commissions qui travaillent, avec des parlementaires actifs et impliqués dans leur double mission de législateur et de contrôleur de l'action du Gouvernement.

Allons-nous laisser passer cette occasion unique de moderniser les procédures ? Allons- nous refuser le délai désormais exigé entre le dépôt d'un texte et son examen en séance – que toutes les majorités successives ont toujours réclamé –, protester contre la limitation du recours à l'urgence, renoncer au contrôle des opérations militaires ou au travail d'évaluation législative ? Non, car il y va de la transparence.

La transparence et le débat témoignent de la vitalité de la démocratie, et non d'un affaiblissement de l'État. Instaurer un « défenseur des droits » comme l'appelle le Sénat – nous débattrons de cette dénomination – est une excellente initiative. Moderniser le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature était de même très souhaitable. Instaurer une exception d'inconstitutionnalité, c'est admettre une démocratie juridique et donner la possibilité au citoyen d'être un acteur du droit. Affirmer enfin le pluralisme, imposer une transparence dans le découpage des circonscriptions, contrôler les nominations, c’est partout faire reculer le risque d'arbitraire.

Allons-nous passer à côté de tout cela ? Chacun peut naturellement regretter tel ou tel compromis. J'ai, comme chacun, quelques regrets mais aussi des satisfactions. Je pense ainsi que le retour en grâce des résolutions qui bénéficient d'une rédaction améliorée prenant appui sur une disposition datant de 1959 est une bonne chose. Je regrette en revanche que la jurisprudence relative au lien entre le texte débattu et les amendements n’ait pas été assouplie. Mais notre débat est le fruit d'un compromis et le Sénat a lui-même consenti des efforts. Ce compromis est centré sur l’essentiel et il serait dommage que des détails l’occultent. Mais ce qui n’est pas un détail, c’est le régime concordataire, qui fait partie du patrimoine de l’Alsace-Moselle, et auquel je suis attaché. Je suis heureux que de nombreux orateurs aient reconnu la place qu’il tient, comme l’a fait la commission Stasi sur la laïcité.

M. Jean-Pierre Brard – Vous semez la confusion.

M. Jérôme Chartier – Aussi, je dis oui à une démocratie plus sereine et plus respectueuse des droits du Parlement, oui à ce qui limite les pouvoirs sans discussion du Président de la République – droit de grâce, nomination, présidence du CSM, qu’il n’exerçait d’ailleurs plus. Je dis oui à un nouveau partage des pouvoirs, qui reconnaît mieux les droits de l’opposition et les pouvoirs de contrôle. Refuser ce texte, refuser d’accroître notre autonomie et nos responsabilités, serait une régression ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Manuel Valls – Lorsque ce débat sur la révision a été lancé il y a plus d’un an, l’espoir était grand, à gauche comme à droite, qu’il débouche sur une modernisation, attendue, de nos institutions. S’il y avait consensus en effet, c’était, depuis des années, pour déplorer l’effacement du Parlement et la crise de confiance dont souffre le régime.

Les conclusions du comité Balladur ont donc été accueillies avec l’attention qu’elles méritaient et c’est avec l’ambition de participer à la construction de la maison commune que l’ensemble des députés socialistes ont abordé la discussion. Avec de nombreux collègues, j’ai voulu croire à cette démarche. Nous avons donc affirmé notre conviction que l'importance de la tâche justifiait de faire vivre jusqu'au bout l'espoir d'un consensus.

Plusieurs dispositions pouvaient, en effet, concourir utilement à renforcer les droits du Parlement et du citoyen : le partage de l'ordre du jour, l'encadrement de la procédure d'urgence, la reconnaissance du statut de l'opposition, la création d'un référendum d'initiative populaire... Sur toutes ces mesures, on pouvait dépasser les clivages partisans.

Aujourd'hui hélas, le compte n'y est pas et une chance historique risque de tourner en un lamentable gâchis. Le Gouvernement et la majorité en porteront seuls la redoutable responsabilité. À l'occasion de la première lecture à l'Assemblée, vous auriez dû prendre, avec nous, des engagements suffisamment forts pour qu'ils puissent s'imposer au Sénat conservateur. Vous ne l’avez pas fait, c’est votre responsabilité.

M. Arnaud Montebourg – Bien sûr.

M. Manuel Valls – À l’ouverture du débat parlementaire, mon groupe a souhaité non pas poser des conditions, mais affirmer des exigences pour rénover notre démocratie et ouvrir des réflexions sur certaines avancées. Or pas une d'entre elles n'a été sérieusement examinée.

Alors que l'accès aux médias est un enjeu décisif, il n'est pas acceptable que le premier des acteurs politiques y dispose d'un droit d'entrée illimité. Il est légitime qu'il puisse s'y exprimer, en toute liberté, lorsqu'il parle au nom de tous les Français, pas lorsqu'il parle en qualité de chef de la majorité. Or c’était encore le cas il y a quelques jours, devant le conseil national de l’UMP (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). Cette exigence est aujourd'hui d'autant plus grande que ses déclarations récentes ont provoqué de graves inquiétudes sur l'indépendance du service public de l’audiovisuel. Pourtant, toutes nos propositions tendant à encadrer le temps de parole présidentiel ont été balayées par la majorité. Seul le Président de notre assemblée et Edouard Balladur ont osé relayer, timidement mais courageusement, notre revendication. En vain.

S'agissant du collège électoral du Sénat, nous avions pu convaincre l'Assemblée, avec peine, qu'il fallait, au minimum, que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population ». C'était déjà trop ! La majorité de la Haute assemblée a jugé que cette humble avancée pourrait, un jour lointain, menacer son monopole !

Ce conservatisme étriqué l’a encore conduite à refermer d'autres portes ouvertes par l’Assemblée. Supprimer purement et simplement le référendum d'initiative populaire aurait été une provocation trop voyante. Il a donc été assorti de conditions qui le rendent impossible. C’était pourtant un moyen idéal de restaurer la confiance dans nos institutions et de lutter contre la défiance croissante envers les supposées « élites ».

Notre commission des lois a eu la sagesse de rétablir de nombreuses dispositions, et je rends hommage à son président qui a souvent cherché le compromis. Mais tout reste à faire pour que le Sénat ne soit pas, selon la formule d'Arnaud Montebourg, ce « triangle des Bermudes » dans lequel viennent s'échouer la plupart des révisions constitutionnelles.

Assurée de pouvoir exercer son droit de péage, la majorité sénatoriale a, de nouveau défendu ses privilèges et accru ses prérogatives. Elle donne ainsi raison à ceux qui croient qu’une modification ambitieuse de la Constitution et du collège électoral du Sénat ne pourra être conduite qu’en recourant à l'article 11.

À l'heure où s'ouvre la seconde lecture, reste-t-il quelques motifs d'espérer un consensus qui permette l'adoption de ce texte ? Plusieurs appels pressants ont été lancés, ces derniers jours, pour sensibiliser le Président de la République et le Gouvernement sur les risques d'un échec. Mais le Gouvernement, occupé à redécouper les circonscriptions électorales et à tripatouiller les modes de scrutin pour les régionales, nous laisse bien peu d'espoir d'être entendus au sujet d'un point capital qui figure au dernier alinéa de l'article 9.

Sachant quelle est la majorité chez les Français qui vivent à l'étranger, les faire représenter par douze députés, sans proportionnelle et avec un découpage ridicule, revient à retrancher autant de sièges à la gauche. Une manœuvre aussi malhonnête pourrait suffire à justifier notre opposition au texte. Discuter de cette question en même temps que de la réforme de la Constitution montre bien que vous n’avez pas entendu notre appel.

Il est vrai que le Gouvernement est fort occupé à gérer les divisions et les équilibres internes à sa majorité. La question du référendum relatif à l'adhésion de la Turquie est, à cet égard, symbolique et il a fallu toute l’imagination du rapporteur pour trouver une solution – en attendant la prochaine. Un député de l'UMP a reconnu qu'à droite « personne ne veut de la Turquie, mais qu'on n'ose pas l'inscrire dans la Constitution et qu'on va de compromis bancal en compromis bancal ».

Ainsi marche la révision constitutionnelle, cahin-caha et droit dans le mur ! Trop peu sûre de sa cohésion, la majorité ne veut plus prendre le risque de se briser en cherchant le compromis historique indispensable avec l’opposition. Désormais, le Gouvernement reconnaît publiquement miser sur l'abstention d'une vingtaine de parlementaires et sur le débauchage d'un plus faible nombre encore. Ces petits calculs ne sont pas à la hauteur de vos responsabilités.

M. Arnaud Montebourg – Très bien.

M. Manuel Valls – Quand on pouvait espérer dégager des lignes claires pour le plan de notre maison commune, tout se termine dans le gribouillage, ce qui risque d’aggraver la défiance qui mine notre démocratie. Tel est notre principal souci.

Il n'était pas trop tard pour déjouer les pronostics, pour prendre des initiatives fortes et inverser la tendance. C’était du moins notre espoir. Vous n’y avez pas répondu, le Premier ministre a été très clair. Vous porterez seuls la responsabilité de l’échec (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Patrick Braouezec – Par ses corrections, ajouts et amendements, la Haute assemblée a rendu ce projet plus conservateur encore : sur le 49.3, le droit de grâce, l’encadrement de certaines nominations présidentielles, la fixation de l'ordre du jour, les langues régionales, elle nous renvoie à un statu quo qu’on ne saurait faire passer pour une réforme digne de ce nom. Nous étions déjà très critiques lors de la première lecture. L’amorce de cette deuxième lecture signe une fin de non-recevoir aux préalables que, nombreux dans cet hémicycle, nous avions tenté de fixer. En vous en remettant à la sagesse des sénateurs, vous nous avez renvoyés à une vision archaïque des institutions, avec un président de plus en plus omnipotent, mais irresponsable politiquement, et un chef du Gouvernement responsable, mais impuissant. Cette réforme, qui favorise le « tout présidentiel », ne saurait être conduite sans qu'un certain nombre de contre-pouvoirs – les citoyens, la presse, la justice… – acquièrent un véritable poids constitutionnel ainsi que l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Or, ils sont absents du texte, quand ils ne sont pas dépossédés. Les annonces du Président de la République au sujet de la réforme de la future ex-ORTF nous remplissent d'effroi quant au régime en train de se dessiner !

Nous sommes certes habitués à voir les commissions balayer nos amendements d'un revers de main et le Gouvernement faire passer ses réformes en force. Nous sommes habitués à ce que le Sénat imprime aux textes cette lourdeur conservatrice caractéristique d’une institution incapable de tenir compte de l'évolution de la société. Nous sommes habitués aussi aux tractations de couloirs. Il n’en reste pas moins que ces pratiques nient le débat parlementaire.

Cette prétendue « modernisation » des institutions est un leurre, un trompe-l'œil, une tromperie, pour ne pas dire une fourberie, qui ne fait d’ailleurs même plus illusion puisque la majorité des trois cinquièmes ne vous est pas acquise, les pires difficultés semblant provenir de votre propre camp. Cette réforme est révélatrice des dysfonctionnements de votre politique : vous êtes sourds au dialogue, aux problèmes que rencontrent nos concitoyens, aux conséquences désastreuses des réformes menées depuis un an.

Si les Français ne vont pas dans votre sens, votre gouvernement sait malgré tout parvenir à ses fins. Il en a été ainsi le 4 février, lorsque le Parlement a été réuni en Congrès pour ratifier le traité de Lisbonne et gommer ainsi un vote citoyen récalcitrant. Nous avons eu l'occasion d'en débattre en janvier, à la faveur d’une niche parlementaire, lorsque j’ai demandé que tout traité ayant fait l'objet d'un référendum passe par la même procédure pour être validé définitivement. Les Français se seraient trompés et n'auraient pas compris l'enjeu du débat ? Qu'à cela ne tienne ! Le peuple doit être pris par la main, ou plutôt repris en main, afin qu'il entende la voix de la raison, votre voix, la seule qui compte, celle qui détient la vérité, votre vérité, que vous ne cessez de brandir dogmatiquement contre tout discours constructif ne vous convenant pas. Je passe sur les chiffres tronqués, les données déformées, les réalités revisitées et qui, à force d’être martelées, deviendraient des vérités indiscutables, annihilant tout principe d'opposition !

Le droit d'initiative populaire tel que voté par les députés n'avait de populaire que le nom. Un dixième des citoyens, un cinquième des membres du Parlement : autant de conditions qui le rendaient inaccessible et en faisaient plutôt un référendum d'initiative parlementaire. Cela n’a pas empêché les sénateurs de le border davantage, et à en croire certaines rumeurs, ce droit populaire, à peine né, serait déjà complètement dévoyé par son instrumentalisation politique, pour faire passer l’amendement contre l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.

L’initiative populaire, dans une démocratie moderne et respectueuse de sa population, est une procédure par laquelle un groupe de citoyens peut obtenir l'organisation d'un vote au Parlement ou un référendum sur un projet de loi, une révision constitutionnelle… Il ne peut s’agir en aucun cas d’un outil pour instrumentaliser le peuple au service d'un gouvernement qui ne saurait faire accepter ses idées autrement ! Or, votre proposition révèle très clairement que les parlementaires n'accepteront l'initiative citoyenne qu'à condition de décider eux-mêmes de son objet, voire de son devenir. Ce débat était pourtant censé replacer le citoyen au cœur des institutions !

Alors que le seul souci devrait être de mettre fin au divorce entre les citoyens et leur République, nous voilà en train d'essayer de colmater des brèches. Tous les préalables sans lesquels une volonté de modernisation des institutions ne peut être prise au sérieux, font défaut : le mode de scrutin proportionnel, seul garant du pluralisme politique ; la réforme d’un Sénat dont on mesure bien la capacité d'inertie et de blocage institutionnels ; le cumul et la durée des mandats, obstacles à un renouvellement de la classe politique ; le droit de vote des étrangers, reconnaissance indispensable du rôle qu'ils jouent dans la vie économique et sociale de notre pays ; enfin le pluralisme des médias, seul garant d'une vie démocratique non inféodée à un pouvoir politique. Ces questions sont fondamentales ; leur prise en considération témoignerait de votre part d’une volonté de réconcilier les citoyens avec la politique.

Il est troublant de voir comment vous créez les conditions de votre réforme avant même qu'elle soit votée. Que dire, en effet, des rendez-vous à la chaîne que M. Marleix organise, place Beauvau, avec une partie des acteurs politiques, en vue de redessiner la carte des circonscriptions, quand le Parlement planche sur la création d'une commission censée encadrer ce processus ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Je ne sais pas si c’est vrai ; en tout cas, je n’ai pas été invité !

M. Patrick Braouezec – Que dire encore de cette réforme des comptes rendus de séance qui fait, en ce moment même, l'objet d'une large mobilisation du personnel de l'Assemblée nationale, personnel qui loin d'être empreint, pour reprendre vos termes, Monsieur le Président, « d'un excès de conservatisme, pour ne pas dire de corporatisme », se soucie de l'avenir des comptes rendus, qu'ils soient analytiques ou intégraux, dans le respect de ce que nous impose la Constitution, afin que ce service d'intérêt public bénéficie au plus grand nombre ? L'article 33 de la Constitution dispose que « le compte rendu intégral des débats est publié au Journal officiel ». Or, cette réforme a pour objet de redistribuer les forces de ce service vers les commissions, anticipant ainsi sur le passage de ces dernières de six à huit. Cette évolution se fera au détriment de la qualité du compte rendu de la séance publique, pourtant essentiel, non seulement aux députés, mais aussi aux journalistes, aux magistrats, aux avocats, aux historiens, aux citoyens…

M. Jean-Christophe Lagarde – C’est vrai !

M. Patrick Braouezec – Ces deux exemples sont révélateurs d'une stratégie politique violant l'esprit de la réforme avant son adoption même.

Permettez-moi, dès lors, de m'interroger sur notre rôle de députés, quand le droit de veto sénatorial reste insurmontable et que le mode d'élection des sénateurs ne peut être remis en cause. Il est tout de même aberrant que l'amendement, ici voté, disposant que le Sénat représente les collectivités territoriales en fonction de leur population soit « tombé ». Le Sénat continuera donc à ne représenter que lui-même, c'est-à-dire à sur-représenter les zones rurales et dépeuplées. Cela en dit long sur sa capacité à se démocratiser !

En contrepoint, le conseil municipal de Chevaigné, en Ille-et-Vilaine, a voté, vendredi 27 juin, une motion refusant de désigner les délégués pour l'élection des sénateurs, dont il dénonce les privilèges, et a demandé un référendum sur la suppression du Sénat. Que répondez-vous à ces élus ?

M. Richard Mallié – Nous leur répondons qu’il y a des sénateurs communistes !

M. Patrick Braouezec – Le Gouvernement n’est pas en position de force. Remettez-vous en à la sagesse du peuple ou, pour le moins, à ceux qui les représentent le mieux ; nous sommes suffisamment nombreux pour que notre voix, nos propositions soient enfin entendues et fassent l'objet d'un véritable débat parlementaire. Il est encore temps pour vous de faire marche arrière et de proposer un vrai débat sur une réforme constitutionnelle digne de l'attente de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Hervé de Charette – Je remercie le groupe UMP de m'avoir donné la parole dans cette discussion générale, puisque cela me permet de dire pourquoi je suis plus que réservé sur la réforme constitutionnelle telle qu'elle se présente à nous.

La France a longtemps pratiqué une sorte d'errance constitutionnelle, recherchant pendant 170 ans le régime politique qui lui convenait le mieux : l'empire, la monarchie constitutionnelle, la République, les régimes d'Assemblée... Nous avons tout essayé ! En 1958, à l'initiative du général de Gaulle, mais aussi par un consensus de toutes les grandes formations politiques, notre pays, en adoptant la Constitution de la Ve République, s’est doté d'un système institutionnel original, nourri de l'expérience accumulée, et qui a tout de suite plu aux Français, malgré les critiques des spécialistes de droit constitutionnel.

En voulant, par une sorte de manie réformatrice mal placée, revisiter l'ensemble de cette Constitution, je crois donc que l'on se fourvoie. La force de la démocratie trouve sa source, non dans le caractère changeant des institutions, mais dans leur stabilité. Dans notre République laïque, si quelque chose doit être sacré, c'est bien la permanence et la force des institutions !

Voilà pourquoi je désapprouve l'idée même d'une révision générale, voilà pourquoi je combats une prétendue modernisation qui nous amène vers une « Ve République bis » dont nul ne sait où sera son point d'équilibre. Elle ressemble au vent du désert dont on ne sait ni d'où il vient, ni où il va. C'est d'ailleurs le vent du désert intellectuel…

M. Jean-Pierre Brard – C’est vrai !

M. Hervé de Charrette – La vacuité de nombre des modifications proposées, la médiocrité de leur rédaction, la confusion qu'elles introduisent, font qu'au terme de cette réforme, la Constitution française, qui avait en 1958 quelque chose de la force du style du code civil napoléonien, aura perdu l'essentiel de cette force au profit d'une banalisation verbeuse dont l'espérance de vie sera faible (Rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Je ne suis pourtant pas opposé à l'évolution du texte constitutionnel. Celui-ci a connu en cinquante ans trois grandes réformes qui, toutes, ont fait polémique, mais qui, toutes, ont été positives : l'élection du Président de la République au suffrage universel, la possibilité donnée à l'opposition de saisir le Conseil constitutionnel, la réduction à cinq ans du mandat présidentiel. Aujourd'hui, tout le monde reconnaît la nécessité d’une réforme qui améliore le travail parlementaire et renforce les pouvoirs du Parlement ; c'est donc cela, et uniquement cela, qui aurait dû être proposé. La réforme constitutionnelle aurait alors fait l’objet d’un large consensus national. Il est clair, en tout cas, que j'approuverai la plupart des dispositions qui tendent à cet objectif.

Quoi qu’il en soit, les institutions ne valent que par l'usage qu'on en fait ; et force est de reconnaître qu'il y a de la marge pour améliorer notre pratique démocratique.

Ainsi par exemple, nos forces armées sont engagées depuis des années dans deux pays difficiles, l'Afghanistan et la Côte-d'Ivoire. Qu'attend-t-on pour en débattre au Parlement ? Faut-il vraiment réviser la Constitution pour cela ? Ne suffirait-il pas que l'exécutif renonce aux pratiques abusives de ses prédécesseurs ?

De même, la distinction entre la loi et le règlement, établie par les articles 34 et 37 de la Constitution, est pratiquement tombée en désuétude. Le Gouvernement et le Parlement ne pourraient-ils réfléchir aux modalités pratiques d'un retour à cette distinction, qui est l'une des conditions sine qua non d'un travail législatif utile ?

Enfin, chacun dit vouloir revaloriser le Parlement, mais vaut-il mieux pour cela donner aux commissions le pouvoir de négocier avec l'Élysée quelques nominations, ou mettre un terme au cumul des mandats ?

S’agissant de l’article 49, alinéa 3, ou encore de l’ordre du jour du Parlement, pourquoi changer la Constitution ? Depuis un an, vous aviez tout loisir de modifier les pratiques gouvernementales, mais vous ne l’avez pas fait… Ayant été membre de la Conférence des présidents pendant cinq ans, je sais comment s’établit l’ordre du jour : qu’est-ce qui empêche le Gouvernement de décider que, désormais, l’ordre du jour restera entre les mains du Bureau et de la conférence des présidents ?

M. Arnaud Montebourg – Bonne question !

M. Hervé de Charette – Bref, j'entre dans le débat qui commence avec la volonté de dire ce que je crois bon pour le pays et de voter, au vu de ses résultats, selon la liberté et les devoirs qui sont les nôtres (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Didier Migaud – Ce projet a été largement modifié et complété par les deux assemblées – pas toujours dans le bon sens, malheureusement.

Je limiterai mes observations à l’organisation de la discussion des textes au Parlement, sujet important pour le rééquilibrage des pouvoirs même si, comme l’a dit Hervé de Charette, la pratique compte au moins autant que la lettre : si le Parlement le voulait, il serait déjà possible de sortir d’une culture de la démission et de la soumission.

L'article 16 du projet, selon lequel la discussion des projets et propositions de loi porte en séance sur le texte adopté par la commission, nous est présenté, à juste titre, comme un élément essentiel du renforcement du Parlement. Il fixe les délais minimums dont doit disposer chaque chambre pour examiner un texte et place les commissions du Parlement au cœur du travail législatif. On peut dire qu’il renverse la charge de la preuve, en obligeant le Gouvernement, en séance, à justifier sa position en cas de désaccord avec la commission. Mais pourquoi exclure de ce dispositif les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale ? On nous dit que les PLF et PLFSS sont au cœur des prérogatives du Gouvernement et, surtout, que leur discussion est encadrée par des délais constitutionnels qui ne peuvent être modifiés, ces textes devant entrer en vigueur au 1er janvier. Ces objections ne tiennent pas : il ne s'agirait en aucun cas de remettre en cause ni l'initiative gouvernementale dans ces domaines ni la nécessité d'un vote dans un temps contraint ; je suis convaincu, comme le président de la commission des finances du Sénat, que le respect de ces impératifs est parfaitement compatible avec une discussion en séance sur la base du texte adopté par la commission.

Ma deuxième observation porte justement sur la discussion des PLF et PLFSS. Il est désormais admis qu'une approche globale des finances publiques est indispensable à leur pilotage à moyen terme. Il serait souhaitable que les dépenses continuent de figurer dans deux textes distincts, mais qu’en revanche, on examine ensemble toutes les dispositions relatives aux recettes : cela permettrait d’avoir une meilleure vision des prélèvements obligatoires et de mettre fin au chevauchement de mesures fiscales et sociales. Les commissions des finances et des affaires sociales de l'Assemblée comme du Sénat portent une grande attention à la question de la maîtrise des dépenses fiscales et des dépenses dues aux exonérations de cotisations sociales ; j’ai déposé avec Pierre Méhaignerie, Gilles Carrez et Yves Bur un amendement tendant à ce que toutes les mesures de cette nature adoptées hors lois de finances et de financement de la sécurité sociale fassent l'objet d'une prorogation explicite en lois de finances et de financement de la sécurité sociale, au vu d'un récapitulatif documenté.

Ma troisième observation porte sur l'article 18. Dans le projet initial, il était prévu que le droit d'amendement s'exercerait en séance ou en commission selon les conditions et les limites fixées par les règlements des assemblées, dans un cadre déterminé par une loi organique. À ce stade, si la référence aux limites a été supprimée, il n'en reste pas moins que les conditions du droit d'amendement des parlementaires, droit fondamental, demeurent fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre ou non d'une loi organique, selon que l'on retient la rédaction du Sénat ou celle proposée par la commission des lois de l'Assemblée. Je vois là un recul par rapport à la situation existante et la tentation de restreindre le droit d’amendement, sous le prétexte de l’obstruction parlementaire – alors que le dépôt d'amendements en masse est rarissime, et qu’au demeurant il appartient aux parlementaires de définir eux-mêmes de quelle manière ils entendent s'exprimer ; le Gouvernement a déjà les moyens constitutionnels de faire face à ces situations d'exception (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC).

Le pouvoir d'amendement est déjà suffisamment contraint… Je regrette, d'ailleurs, qu’on ait pas donné suite aux initiatives prises tant à l'Assemblée qu'au Sénat pour redonner aux parlementaires une pleine capacité d'amendement en matière financière, en abrogeant l'article 40 de la Constitution.

Le droit d'amendement est essentiel à un bon équilibre entre l'exécutif et le législatif. Le texte que vous nous proposez, loin de l'affirmer, est en recul par rapport à la situation actuelle ; ce n’est pas le moindre de ses paradoxes (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Dominique Perben – À quoi doit servir une constitution ?

D’abord, à rendre possible l’expression de la volonté populaire. Cependant je pense que les modes de scrutin ne doivent pas y figurer car il est nécessaire de pouvoir les adapter ; c’est bien ce qu’avaient prévu les constituants de 1958.

Ensuite, assurer la stabilité du gouvernement, pour assurer celle de l’action politique.

Enfin, faire en sorte que le choix des électeurs soit respecté jusqu’aux élections suivantes. Ce n’était pas le cas sous la IVe République, où les majorités se modifiaient au cours du mandat législatif.

La Constitution de 1958 a apporté ces trois éléments essentiels.

Mais une constitution doit aussi offrir la possibilité d’un vrai débat entre les différents éléments des institutions, et permettre de faire avancer les débats de société. Notre pays a besoin de réformes, il a besoin de faire dialoguer entre eux ses acteurs économiques, sociaux, culturels, il a besoin de « bouger » en profondeur ; il a trop souvent donné l’impression d’être enfermé dans les conservatismes et les fausses certitudes.

Qu’est-ce qu’une démocratie apaisée ? C’est une démocratie où l’on ne se contente pas de se faire succéder des majorités souvent également impuissantes à régler les problèmes, mais une démocratie qui permet de traiter les sujets de fond.

Je pense notamment à la réforme des universités. Nous avons fait un pas en avant considérable l’an dernier grâce à la dynamique impulsée par l’élection présidentielle, mais il faut tout de même reconnaître que nous nous heurtons, depuis plus de 20 ans, à de graves difficultés dès que nous abordons ce type de sujet. Il en va d’ailleurs de même en matière d’éducation, de sécurité sociale ou encore de déficits publics. Outre l’impuissance institutionnelle qui fut celle de la IVe République, nous devons éviter toute dérive vers une « société bloquée » que les institutions républicaines ne permettraient pas de modifier en profondeur.

Depuis 1958, la Ve République a traversé deux grands changements : l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962, mais aussi l’instauration du quinquennat. Même si nous ne l’avions peut-être pas perçu d’emblée, cette dernière révision a profondément modifié nos institutions. C’est aujourd’hui une évidence, et cela fait plusieurs années que nous attendons un rééquilibrage : il faut renforcer l’autonomie du Parlement et lui donner une plus grande capacité à dialoguer avec la société.

Pour cela, le Parlement doit jouer un rôle d’initiative, au lieu d’être une enceinte chargée de se prononcer sur les projets du Gouvernement. Ce doit être un lieu d’action, de débat et de réflexion. Une fausse solution serait d’introduire la proportionnelle dans le mode d’élection de cette Assemblée.

M. le Président – Il faut conclure.

M. Dominique Perben – La bonne solution est au contraire de renforcer le rôle du Parlement, comme tend à le faire ce projet de loi constitutionnelle grâce au partage de l’ordre du jour et grâce à la discussion sur la base du texte de la commission. Ce sont des facteurs de changement considérables. Nous donnerons en effet au Parlement le pouvoir et l’autonomie dont il a besoin pour nourrir le débat politique et pour mieux dialoguer avec l’ensemble de la société (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Permettez-moi de revenir sur les dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature et, partant, sur l’indépendance de la justice, laquelle est un des piliers de l’État de droit : tout justiciable doit pouvoir accéder à un juge impartial.

Sur ce point, il faut que nous progressions encore. La démocratie et la justice ne doivent pas être seulement des principes consacrés par les textes, mais également des réalités quotidiennes pour nos concitoyens. Sans oublier que le CSM a besoin de moyens institutionnels, administratifs et budgétaires suffisants pour exercer pleinement ses missions, nous devons nous pencher, dans notre réflexion de constituant, sur la composition de cette instance et sur les compétences qui lui sont dévolues.

Votre prudence sur cette question témoigne bien de votre méfiance envers l’ordre judiciaire, pourtant un des piliers de notre pacte républicain et de la cohésion sociale au même titre que le pouvoir exécutif et que le pouvoir législatif. Nous aurions souhaité que le Gouvernement accepte un dispositif plus juste et plus équilibré. Nous devons non seulement redonner à nos concitoyens confiance en l’institution judiciaire en assurant à cette dernière les moyens de remplir sa mission constitutionnelle, qui est de garantir la liberté individuelle aux termes de l’article 66, mais aussi la préserver, dans l’intérêt des justiciables, du corporatisme et des risques de politisation.

Force est pourtant de constater que le texte reste en deçà de ces objectifs. En confiant la présidence du CSM au premier président de la Cour de cassation et au procureur général près la Cour de la cassation, vous allez compromettre le principe constitutionnel d’unité du corps judiciaire, et vous susciterez des difficultés pratiques de fonctionnement et de cohérence. Afin de préserver l’unité et l’indépendance de cette institution, nous avions proposé que la présidence de la formation plénière soit confiée à un non-magistrat, élu par les deux formations réunies en séance plénière.

Nous sommes en effet attachés au principe d’une formation plénière du CSM, qui existe déjà dans les faits, et qui présente une grande utilité pour coordonner les jurisprudences en matière de nomination entre les formation du siège et du parquet, ainsi que pour rendre des avis. Il est bien dommage que ce texte ne permette pas à la formation plénière de s’auto-saisir : les avis spontanés du CSM ont présenté beaucoup d’intérêt au cours des dernières années. Il me paraît en outre invraisemblable que tous les membres du CSM ne puissent appartenir à la formation plénière.

Alors que l’hyper-présidentialisation ne fait que se renforcer, il est en outre inacceptable que le Président demeure le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Nous proposons de supprimer ce qui était déjà une illusion en 1958 en accordant ce rôle au CSM.

Comment qualifier ce texte de « réforme » en l’absence d’une volonté politique de rénover la composition de cette instance afin de garantir son pluralisme ? Le projet de loi constitutionnelle continue à priver le CSM de tout pouvoir de nomination, et ne nous préserve pas de l’écueil de la politisation. Quant à l’extension de l’avis simple à la nomination des procureurs généraux, il faut l’apprécier à l’aune des pratiques actuelles : au cours des dernières années, chacun sait que l’exécutif n’a pas systématiquement respecté les avis défavorables du CSM concernant les nominations de membres du parquet.

Le pouvoir exécutif garde donc la main et le garde pourra toujours assister aux séances. Où est le progrès ? Où est le changement ? Nous demandons que la formation compétente à l’égard du parquet rende des avis conformes. C’est d’autant plus essentiel que les procureurs de la République sont progressivement devenus, au fil des réformes, de véritables arbitres en matière pénale. Leur impartialité et leur objectivité n’en sont que plus nécessaires.

J’ajoute que les magistrats seront minoritaires au sein du CSM, ce qui constituera une exception par rapport à nos voisins. De nombreux textes européens consacrent en effet le principe de parité, voire de majorité, entre magistrats et non-magistrats au sein des institutions judiciaires. C’était d’ailleurs un critère pour l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne.

Ce texte fait également de la magistrature une exception en France du point de vue disciplinaire : tous les autres corps relèvent, dans ce domaine, d’organes comptant une majorité de membres issus de leur sein. Je le répète : seule la parité permettra d’assurer l’équilibre nécessaire à l’indépendance du CSM aux yeux de nos concitoyens.

Tout aussi grande est notre déception à l’égard de la nomination des personnalités extérieures, car il manque des garanties en matière d’impartialité.

Permettez-moi de conclure sur une citation : « Nos concitoyens soupçonnent la justice d’être parfois soumise à l’influence du Gouvernement et de ne pas suffisamment garantir le respect des libertés individuelles ». Vous aurez reconnu la lettre de mission adressée, le 21 janvier 1997, par Jacques Chirac à la commission de réflexion sur la justice, présidée par M. Pierre Truche.

Dix ans plus tard, qui peut croire que ce projet de loi constitutionnelle est à la hauteur des exigences d’une société démocratique ? Personne. Mais vous pouvez encore changer ce jugement à la faveur de la seconde lecture. Nos amendements vous y aideront (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Richard Mallié – Cela fait longtemps qu’un projet de loi n’avait pas fait l’objet d’autant de débats, d’autant de concertation et d’autant de travail.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement Très juste !

M. Richard Mallié – De l’importance que nous attachons à notre rôle de constituant peuvent témoigner les heures de débats qui ont eu lieu sur ce texte, ainsi que le nombre des amendements qui ont été déposés.

Comme l’a si bien rappelé le Premier ministre, cette réforme donnera plus de souffle à notre démocratie. C’était une nécessité. Nous allons accorder aux parlementaires un droit de veto sur les nominations les plus importantes décidées par le Président de la République ; le pouvoir d’évaluation du Parlement en matière de politiques publiques sera reconnu ; l’ordre du jour sera partagé ; le nombre des commissions permanentes augmentera.

Je voudrais maintenant revenir sur l’article 33 du projet de loi, dont la version initiale rendait facultative, et non plus obligatoire, l’organisation d’un référendum sur tout nouvel élargissement de l’Union européenne. Le Président de la République aurait alors pu choisir d’exercer ou non cette faculté.

Pour notre part, il nous est apparu indispensable que les Français soient consultés sur un tel sujet. Il faut choisir : soit on pousse dans le sens d’une Europe dont nos concitoyens ne veulent pas, ce qui nous a conduits à l’échec du référendum de 2005, soit on s’efforce de les associer à la construction européenne.

C’est dans cette dernière perspective que j’ai proposé, avec 52 de nos collègues, un amendement tendant à soumettre systématiquement à un référendum l’adhésion des pays dont la population représente au moins 5 % de celle de l’Union européenne. Adopté par notre Assemblée, cet amendement n’a pas survécu à la navette parlementaire, car il a été rejeté par les représentants des collectivités territoriales.

Nous avons donc réfléchi à une autre solution en gardant à l’esprit que toutes les adhésions ne présentent pas la même importance pour les Français et pour les institutions de l’Union. On ne peut soumettre à référendum l’entrée de pays qui ne constituerait qu’un enjeu modeste aux plans européen et national, mais la question se pose différemment dans d’autres cas.

Contrairement à ce que certains suggéraient, nous ne pouvions pas en rester à la situation actuelle : l’immobilisme n’a jamais permis de résoudre les problèmes. Avec Frédéric Lefebvre, Patrick Devedjian et plus de 90 députés de la majorité, dont Jean Roatta, ici présent, nous avons donc élaboré un autre amendement destiné à faire consensus au sein de la majorité : le recours au référendum resterait automatique pour toute nouvelle adhésion, mais une majorité des trois cinquièmes du Parlement pourrait décider de recourir à la procédure.

J’espère que nous serons entendus sur ce sujet, car il est plus que jamais nécessaire de rapprocher les Français de l’Europe en leur donnant la possibilité de s’exprimer sur l’avenir de cette dernière et de décider de ses frontières.

En dernier lieu, je voudrais vous faire part de mon incompréhension face au comportement de certains membres de l’opposition. Depuis le début de la Ve République, l’opposition réclame, souvent de façon légitime, davantage de pouvoir. Or, nos collègues socialistes semblent décidés à voter contre ce texte. C’est un déni du travail que l’on peut faire dans cette Assemblée. Sortons de cette politique politicienne qui nuit tant à l’image de tous les parlementaires ! Certaines attitudes sont regrettables pour notre République et injuste pour notre Parlement.

Mon vote sera naturellement favorable à ce projet de loi constitutionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Sylvia Pinel – L'histoire constitutionnelle de notre pays s'accélère. Force est de le constater : la Ve République est à bout de souffle, les gardiens du temple sont de moins en moins nombreux, les fondations sont atteintes, le socle vacille et le mythe s'effondre. Nous assistons à sa fin programmée, et ce projet de loi n’est sans doute qu’une ultime tentative pour sauver ce qui peut l’être et conserver une République qui n’aura plus de cinquième que le nom. De ce point de vue, la réforme est d’abord l’expression d’un conservatisme : il s’agit de tenter de conserver une Ve République usée, fatiguée et profondément dénaturée par vingt-deux révisions, et une pratique institutionnelle toujours plus éloignée de la volonté du pouvoir constituant originel. Si, comme de Gaulle lui-même aimait à le répéter, une Constitution, c’est « un esprit, des institutions, une pratique », nous devons admettre que l'esprit et la pratique de 1958 n'ont plus rien à voir avec ceux d'aujourd'hui et, moins encore, de demain – du moins l’espérons-nous.

Le temps est donc venu de sortir de la crise que traverse notre régime en accordant enfin l'esprit et la pratique de nos institutions aux attentes démocratiques d’aujourd’hui. Cinquante après, nous ne pouvons nous contenter une fois de plus de changer la République ; il nous faut changer de République ! Telle aurait été la vraie rupture, mes chers collègues !

Selon l'article 28 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, préambule à la Constitution du 21 juin 1793, « un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations suivantes ». J'appartiens à une génération qui refuse l'héritage de 1958 et le culte aveugle de la Ve République, et qui entend adapter les institutions aux exigences démocratiques et citoyennes de son temps.

Voilà pourquoi, au lieu de « moderniser » les institutions de la Ve République, nous devrions entreprendre de créer celles de la VIe. Le Président de la République et son Gouvernement ont fait un autre choix. Vous l'avez compris, ce n'est pas celui qu'auraient souhaité les radicaux de gauche : comme l’ont rappelé en première lecture Gérard Charasse, à la tribune de cette assemblée, et Jean-Michel Baylet, à celle du Sénat, le plus vieux parti de France réclame une VIe République présidentielle.

Néanmoins, peut-on revaloriser le Parlement, rééquilibrer les pouvoirs et démocratiser le régime sans changer de République, mais au moyen d'ajustements et de réglages ? Toute amélioration du régime actuel, qui est à bout de souffle, constitue naturellement un progrès ; or nombre des dispositions du projet, après sa première lecture par les deux assemblées, contribuent à améliorer le système en vigueur. En le niant, nous nous rendrions coupables d’irresponsabilité politique et d’un manque de discernement et d'ambition. S’agissant d’un texte qui engage l’avenir de nos institutions, il est toujours dangereux d’adopter une interprétation partisane, inspirée de l’actualité et limitée au court terme.

Je m’adresse à mes partenaires de l'opposition et à mes collègues du groupe SRC comme à toute la majorité : nous devons nous projeter dans l’avenir, imaginer l'opposition actuelle devenir majoritaire, et inversement ; oublier les questions de personnes et éviter à tout prix de personnaliser les institutions. En somme, nous devons prendre de la hauteur et nous livrer à un exercice de conceptualisation certes difficile – surtout aujourd’hui –, mais indispensable dès lors qu’il s'agit de la Constitution.

Ainsi, les radicaux de gauche considèrent comme une avancée toutes les mesures qui améliorent l'expression du pluralisme politique et confèrent de nouveaux droits aux minorités politiques et parlementaires. Une démocratie moderne ne peut se contenter d'une bipolarisation entre droite et gauche trop prononcée et exclusivement organisée autour de deux grands partis politiques, qui ne sauraient incarner seuls la majorité et l’opposition ; de fait, les Français ne s’y reconnaissent pas. De même, la vie parlementaire doit s'organiser autour de plusieurs groupes politiques composant la majorité et l'opposition, ce qui implique l’existence de groupes minoritaires au sein de la majorité et de l'opposition – mais aussi, le cas échéant, de groupes qui n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre. Plus les groupes seront nombreux et mieux notre démocratie parlementaire, plus représentative et plus légitime, se portera.

En outre, chaque groupe doit disposer de droits spécifiques, comme le précise l’un des amendements que nous avons défendus en première lecture, que le Sénat a adopté et dont nous veillerons à ce que notre Assemblée le conserve en deuxième lecture. La démocratie parlementaire connaîtra ainsi un progrès modeste, mais indéniable, qui, assorti de la part de proportionnelle que nous proposons de nouveau d’introduire lors des élections législatives, modifierait le visage de notre assemblée et l'exercice du travail parlementaire. Ainsi atténuerait-on les effets désastreux du quinquennat et de la simultanéité des élections présidentielle et législatives, qui, à eux deux, laminent les « petits » partis – du moins tous ceux qui ne peuvent espérer être représentés au second tour de l'élection présidentielle.

Afin de faire preuve de responsabilité et de pragmatisme, et de remédier autant que faire se peut à la situation actuelle, qui ne satisfait presque plus personne, les radicaux de gauche souhaitent pousser le plus loin possible la logique indéniable, mais parfois trop timide, de revalorisation du Parlement. Ainsi proposons-nous d’encadrer plus strictement le 49-3, en en limitant l’usage gouvernemental aux seuls projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale. Un autre de nos amendements vise à inscrire dans la Constitution la possibilité pour le Parlement de créer des commissions d'enquête au titre de ses missions de contrôle et d'évaluation de l'action du Gouvernement, tout en confiant aux règlements des assemblées le soin d’ajouter ce droit aux droits spécifiques de tous les groupes parlementaires. L'exercice de notre démocratie en serait là encore amélioré, comme le contrôle de l'exécutif.

À la faveur de cette deuxième lecture, de nombreuses améliorations pourraient être apportées à une réforme qui, sans constituer une rupture, peut remettre en cause le régime… à condition de poursuivre le travail d'amendement entamé à l'Assemblée et poursuivi au Sénat, sans pour autant revenir sur certaines des dispositions adoptées. Voilà pourquoi nous proposerons en outre de mieux encadrer le pouvoir de nomination dont dispose le Président de la République, de confier la présidence d’au moins deux des commissions permanentes de chaque assemblée à d'autres groupes que le groupe majoritaire, de supprimer l'instauration de députés des Français de l'étranger, qui n'a aucun sens, de même que l'inscription dans la Constitution du nombre maximal de députés et de sénateurs.

Nous veillerons en outre au maintien dans la rédaction finale de la mention de la parité professionnelle et sociale entre hommes et femmes et de la limitation des membres du Conseil constitutionnel aux neuf membres nommés, que nous avions proposée et qui a été acceptée par le Sénat. En effet, rien ne justifie que les anciens présidents de la République siègent à vie au sein d’une institution aussi puissante – dont il faudra du reste revoir un jour le fonctionnement et l'usage de certaines prérogatives. Nous souhaitons également le statu quo sur la question de l'adhésion d'un nouvel État à l'Union européenne, car nous ne saurions accepter une mesure discriminatoire envers la Turquie, grand pays laïc qui aura toute sa place au sein de l'Union européenne dès qu'il répondra à tous les critères de Copenhague.

Enfin, nous défendrons à nouveau un amendement visant à rappeler que l’unique définition du principe de laïcité qui fonde notre République est contenue dans la loi de 1905 : il n'y a ni laïcité positive ni laïcité négative, et nous nous opposerons à toute tentative de modifier la composition du Conseil économique et social pour y introduire des représentants des cultes et des courants spirituels.

Si, pour les radicaux de gauche, la Ve République fait déjà figure d’Ancien Régime, l’adoption de ce projet, avec ses avancées et ses imperfections, modifierait profondément la Constitution de 1958. Ce nouveau texte servirait de transition constitutionnelle, car les jours de la Ve République sont comptés et la VIe, inévitable, est en marche ; elle sera la priorité de l'actuelle opposition dès que celle-ci redeviendra majoritaire, et les radicaux de gauche contribueront alors pleinement à la construire.

M. Christian Vanneste – Il faudra les trois cinquièmes !

Mme Sylvia Pinel – Dans l’intervalle, nous devrons nous prononcer sur ce texte de transition à l'issue de sa deuxième lecture, puis devant le Congrès. A ce jour, nous n'écartons aucune option : de la rédaction finale issue de nos travaux, comme du sort de certains de nos amendements, dépendra notre vote.

M. Gérard Charasse – Très bien !

M. Christian Vanneste – Le signe distinctif d'une démocratie solide est sans équivoque : soit elle n'a pas de Constitution, soit elle n'en a pas changé. La France en est à sa quatorzième Constitution ; encore l'a t-elle déjà modifiée vingt-trois fois. Or, si l’on ne doit modifier la loi que d'une main tremblante, c'est une secousse convulsive qui doit la saisir lorsqu'elle s'approche de la Constitution. Pour nous résoudre à modifier notre texte fondamental, il faut que les circonstances soient exceptionnelles, que la société et le monde connaissent des changements importants ou qu’il soit impossible de conserver le texte précédent.

La réforme qui nous est proposée découle pourtant toute entière de la modification précédente, qui a instauré le quinquennat. Car la coïncidence du quinquennat législatif avec le quinquennat présidentiel, dont il semble totalement dépendre, ne peut que renforcer le déséquilibre institutionnel, déjà excessif, entre les pouvoirs exécutif et législatif. Sans doute eût-il été plus opportun de résoudre cette difficulté en instituant un régime clairement présidentiel, qui aurait assuré une meilleure séparation des pouvoirs et évité au Parlement de n’être plus que la chambre d'enregistrement des projets de loi gouvernementaux. Cette solution n'ayant pas été choisie, l’on en reste donc à une addition de demi-mesures et de faux-semblants qui risquent d'affaiblir la Ve République sans accroître le pouvoir réel du Parlement.

Certes, en renforçant la maîtrise par le Parlement de son ordre du jour et l’importance du travail en Commission, le texte va dans le bon sens. Je me félicite d’une réforme qui tend à permettre au Parlement de consacrer davantage de temps aux études d'impact de la loi, au contrôle de son application, et moins au rituel des débats dans l'hémicycle, ainsi que de l'introduction du référendum d'initiative populaire, qui concilie la modernisation de nos institutions et le respect de celui qui les a fondées.

Malheureusement, un ensemble de propositions échouent à atteindre l’objectif visé, quant elles ne favorisent pas l'évolution contraire. Ainsi de trois modifications inquiétantes, dont certaines ont été heureusement amendées par le Sénat.

Tout d’abord, afin de permettre un plus large consensus, certaines dispositions portent atteinte à l'esprit de la Ve République, en particulier la limitation de l'usage du 49-3, moyen de protection légitime contre l'obstruction excessive à laquelle l'opposition – ou une partie de la majorité – peut être tentée de se livrer. Sur ce point, le Sénat a heureusement corrigé le texte de l'Assemblée. En outre, en accordant des droits spécifiques aux groupes d'opposition, on oublie que le Parlement est composé d'élus qui ne sont investis d'aucun mandat impératif et représentent les Français, notamment ceux qui les ont élus, avant de faire partie d'un groupe. De même, la possibilité pour un ministre démissionnaire de retrouver son siège au Parlement affaiblit les exigences de cohésion gouvernementale et de responsabilité des membres de l'exécutif. Contrairement à ce que l’on entend dire, Monsieur le ministre, ce n’est pas au Gouvernement d'exprimer la diversité de la majorité dans l'espace médiatique, mais au Parlement, lieu du débat, d'exprimer la richesse des opinions, et au Gouvernement de décider et d’agir.

En second lieu, d'autres propositions éveillent les soupçons quant aux objectifs véritables de la réforme. Ainsi de la réintroduction des résolutions après le vote du Sénat. Le Parlement a pour vocation de voter la loi ; il doit en voter moins et les voter mieux. À cette fin, il doit prendre le temps de l'élaboration, de l’évaluation de l'impact, du débat serein en Commission et du contrôle de l'application des lois.

Les résolutions – qui devront être très encadrées pour ne pas mettre en difficulté le Gouvernement – correspondent à une dévaluation du travail parlementaire. Il s'agit de combler le vide créé par une diminution du temps consacré au vote de la loi, par des débats stériles suivis de vœux pieux. C'est le procédé bien connu de la catharsis ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) On va libérer les énergies, et, surtout, nous faire perdre notre temps !

De la même façon, le souhait de voir les Français de l'étranger représentés spécifiquement à l'Assemblée nationale ne pouvait que dénaturer le rapport personnel entre le député et ses électeurs. Il n'aurait conduit qu'à l’introduction malheureuse de la proportionnelle ou à la représentation absurde de la moitié d'un continent par une seule personne. Il faut éviter à tout prix la proportionnelle ! Pour ma part, je souhaite que le mode de scrutin soit inscrit dans la Constitution et que l’on entérine le mode uninominal, pourquoi pas à un tour, comme le souhaitait Édouard Balladur.

Enfin, si le but réel de la réforme était de renforcer le rôle du Parlement, la venue du Président de la République devant celui-ci aurait été écartée. Le Président peut dissoudre une partie du Parlement, l'Assemblée nationale, et ne doit pas engager sa responsabilité. C'est là une situation d'inégalité qui est en contradiction avec le respect dû au pouvoir législatif, auteur de la loi, et par-là même supérieur dans toute démocratie, au plan des principes, au pouvoir exécutif. Devant le Parlement, c'est le Premier ministre qui représente l'exécutif ou alors il faut en venir au régime présidentiel.

De la même manière, le renforcement du pouvoir de contrôle et d'évaluation du Parlement passe par la création d'un organisme ad hoc sur le modèle de la NAO britannique. Le recours à la Cour des comptes apparaît, de ce point de vue, comme un palliatif bien insuffisant.

Je crois que la réforme de la Constitution que nous allons examiner passe malheureusement à côté de l'essentiel. Peut-être est-il encore temps d'en atténuer les aspects les plus regrettables et d'en satisfaire l'ambition déclarée mais non vérifiée : l'amélioration du travail parlementaire et du rôle du Parlement dans notre pays.

M. Julien Dray – La formule est désormais célèbre : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour… »

M. Christian Vanneste – Cocteau !

M. Julien Dray – Appliqué au présent projet de révision constitutionnelle, cela pourrait donner : « Il n’y a pas de bonne volonté, il n’y a que des preuves de bonne volonté ». Au moment d’engager ce qui devait être l’une des œuvres majeures du début du quinquennat sarkozyste, le Gouvernement avait déclaré qu’il écouterait l’opposition. Mieux, le Président de la République avait lui-même annoncé qu’il serait « celui qui allait limiter son propre pouvoir ».

M. Jean-Pierre Brard – Quel farceur !

M. Julien Dray – La réalité de la discussion aura été bien différente. Ce que nous attendions sans esprit partisan, c’est plus de transparence dans la décision et un meilleur équilibre entre les institutions démocratiques, via un renforcement du Parlement, où se noue la délibération démocratique.

Contrairement à ce que prétend M. Karoutchi lorsqu’il se répand sur les ondes, nous n’avons pas changé ; nous n’avons pas rajouté des conditions aux conditions pour charger la barque…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Oh que si !

M. Julien Dray – Aux cinq questions que nous avions posées, nous attendions des réponses claires. Et si tel avait été le cas, nous aurions participé sans aucun esprit partisan à la réforme constitutionnelle. Las, vous avez fait semblant de discuter et tenté, dans les couloirs, de débaucher tel ou tel… (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Ne protestez pas : certains le revendiquent haut et fort et les gazettes en font état…

M. Jean-Pierre Brard – Des noms ! Pour quelles circonscriptions ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  N’oubliez pas, Monsieur Dray, que nous vous voulions au Gouvernement ! (Sourires)

M. Julien Dray – La question ne se pose pas, ni pour aujourd’hui ni pour demain ! (Même mouvement) Au final, cette réforme ne concourt ni à la transparence ni au rééquilibrage des institutions démocratiques. Et l’on ne peut passer sous silence ce qui est en train de se passer dans l’univers médiatique. À cet égard, notre demande d’une répartition plus équitable des temps de parole dans les médias revêtait une importance toute particulière. La suite l’a prouvé ! N’y a-t-il pas matière à s’étonner lorsqu’on apprend au détour d’une déclaration du Président de la République que c’est dans un souci de transparence et d’honnêteté qu’il nommera désormais lui-même le président des chaînes publiques ? Même présenté comme une évidence – ce qui correspond à la méthode de communication de M. Sarkozy –, ce principe ne va pas de soi ! Et certains d’ajouter : « Après tout, puisque le Président nomme les dirigeants des grandes entreprises publiques, pourquoi en serait-il autrement du PDG de France Télévisions ? » Certains journalistes s’engouffrent dans la brèche et disent : « Mais oui, après tout, il a raison ! Bon sang mais c’est bien sûr, pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? »

M. Benoist Apparu – Ceux-là ne sont pas très nombreux !

M. Julien Dray – La réalité que certains feignent d’oublier, c’est que ces entreprises ne sont pas du tout de même nature ! En 1981, en créant la Haute autorité de l’audiovisuel, nous avons voulu décadenasser l’information : certains semblent avoir la nostalgie de l’ORTF !

Madame et Monsieur les ministres, vous auriez été bien inspirés de donner un signe en acceptant la nouvelle répartition des temps de parole que nous avions proposée. Cela aurait montré que vous entendiez faire respecter le pluralisme. Las, la presse ne parle aujourd’hui que de Nicolas Sarkozy et cela ne vous dérange en rien !

M. Benoist Apparu – Est-ce notre faute si vous n’arrivez pas à vous faire entendre ?

M. Julien Dray – Voilà la réalité : la presse est soumise à des pressions et vous allez devoir vous en expliquer ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Il n’est pas acceptable d’entendre certains journalistes déclarer en toute innocence que les décisions ne se prennent plus au sein de leur rédaction, mais… ailleurs ! Et que dire des ministres qui, en privé – au moins jusqu’à présent ! – revendiquent de telles méthodes ?

Nous connaissons désormais l’état d’esprit dans lequel vous voulez travailler : derrière l’habillage, vous voulez concentrer tous les pouvoirs dans les mains d’un seul homme et lui donner des alibis pour répondre à ceux qui l’accusent de vouloir tout décider.

Nous attendons peu de la discussion qui s’ouvre car nous disons non à votre méthode comme au fond de votre projet. Peut-être allez-vous trouver, au détour des couloirs, ces trois cinquièmes que vous n’avez pas encore pour entériner la révision. Mais vous savez comme moi qu’elle ne restera pas dans l’histoire comme la grande œuvre institutionnelle que vous espériez. Pour ce qui concerne la reconstruction démocratique des institutions de la Ve République, il faudra en tout cas compter sur la gauche plutôt que sur la majorité actuelle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Bernard Cazeneuve – Les parlementaires socialistes se sont souvent interrogés sur les raisons de l’ostracisme dans lequel une certaine pratique de la Ve République place le Parlement dès lors qu'il s'agit de politique étrangère et de défense. Dans le cadre de la révision constitutionnelle qui nous est soumise, je souhaite donc intervenir plus particulièrement sur ce point, traité notamment dans l'article 35 de notre Constitution.

Nous attendons en effet de ce projet de loi constitutionnelle qu’il apporte des changements significatifs. Selon une logique déjà en place dans la plupart des grandes démocraties, le Parlement doit bénéficier d'une information de qualité et être associé aux décisions qui concernent les opérations extérieures de nos armées. Et, il se manifeste encore aujourd'hui à l'égard des assemblées une méfiance qui n'a pas lieu d'être. Les représentants de la nation ne sont pas moins soucieux de notre sécurité que l'exécutif. Il n'est pas acceptable qu'ils soient, encore aujourd'hui, informés par la presse de l'envoi de nos forces sur les terrains extérieurs. Ce nécessaire renforcement du Parlement apparaît donc comme une mise à niveau de notre démocratie, face à nos voisins et alliés, qui ont depuis longtemps engagé ces avancées, sans pour autant affaiblir leurs forces.

Le sujet est d'autant plus important que les opérations extérieures se sont multipliées. Elles sont aussi de plus en plus longues et de plus en plus coûteuses – un milliard d'euros pour l'année 2009. Comme cela a été rappelé par le ministre de la défense, ces dépenses ont été évaluées à 880 millions pour l'année 2008, dont seulement 475 millions programmés dans la loi de finances. Le contrôle du Parlement est donc plus que jamais indispensable, pour éviter l'enlisement de nos troupes comme celui de nos finances publiques.

Aux termes des dispositions adoptées en première lecture, le Gouvernement devra, en cas d'envoi de forces sur les terrains extérieurs, en informer le Parlement dans les trois jours. A l'initiative du Sénat, il devra également, par le vote d'une loi non amendable, obtenir l'accord des assemblées pour toute prolongation des opérations extérieures au delà de quatre mois. Une véritable réflexion s'impose sur les interventions qui devront faire l'objet de cet agrément. Il ne s'agit pas pour le Parlement de se prononcer sur des accords humanitaires, ou sur des opérations qui nécessitent à la fois confidentialité et rapidité. Et il en est de même pour certaines opérations qui ne mobilisent que quelques militaires, comme la mission d'observation de l'ONU au Sinaï. Par contre, lorsqu'il s'agit d’envoyer des militaires en corps constitués à des fins opérationnelles, il est indispensable que les élus du peuple puissent prendre leur responsabilité et se prononcer par un vote. Un groupe de travail pourrait cependant être constitué, afin de déterminer quelles interventions seront concernées et quel sera le point de départ du délai de trois jours.

Afin que les dispositions de cet article soient effectives, il est nécessaire de compléter le dispositif en précisant que si besoin est, le Parlement se réunit en session extraordinaire. Personne ne souhaite ici entraver la capacité d'action et de défense de la France. Mais si de graves circonstances l'exigent, le Parlement ne devrait pas être écarté simplement parce qu'il ne siège pas ; il est donc souhaitable que le Président de la République le convoque en session extraordinaire si cela est nécessaire.

Dans le cas ou les opérations extérieures se prolongent dans le temps, les assemblées doivent y être associées de manière régulière. Nous demandons donc le renouvellement de six mois en six mois de la consultation du Parlement. En effet, la première autorisation ne doit pas être un blanc seing entre les mains du Gouvernement ; le Parlement doit, tout en restant responsable, avoir la possibilité d'éviter l'enlisement de nos troupes.

Je souhaite enfin insister sur la nécessaire information du Parlement sur le contenu des accords de défense et de coopération militaires. À l'exception de celles auxquelles nous participons en vertu d'un mandat international, nos interventions militaires à l'étranger se fondent souvent sur des accords de défense signés avec des pays tiers. La plupart d'entre eux ont été conclus avec des pays africains, dans le contexte particulier de leur accession à l'indépendance. Ces accords ne sont pas anodins, puisqu’ils légitiment juridiquement et politiquement l'engagement de nos troupes et déterminent le caractère de nos interventions. Ce fut le cas au Rwanda, en Côte-d'Ivoire et, plus récemment, au Tchad.

Au reste, la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale s'est unanimement prononcée « pour considérer que les accords de défense devraient désormais être transparents et connus du Parlement ». Je m'étonnerais d'autant plus que cette demande ne soit pas acceptée que le Président Sarkozy s'est lui même engagé publiquement « à rendre publics tous nos accords de défense », le 28 février dernier – devant le Parlement sud-africain !

M. Arnaud Montebourg – On attend toujours !

M. Bernard Cazeneuve – Bien entendu, cela n'interdira pas de prendre ensuite toutes les précautions qui s'imposent pour que l'information du Parlement se déroule dans des conditions respectueuses du principe de confidentialité. Cela implique également un dialogue avec ces pays, dont nous souhaiterions savoir s'il est engagé.

Il s'agit naturellement de nous mettre au niveau des grandes démocraties qui, depuis longtemps, contrôlent l'envoi de troupes par leur Gouvernement. Mais il s'agit aussi d’instaurer des contrepoids à un moment où la pratique actuelle du pouvoir les rend indispensables.

Tout d’abord, notre exécutif est en effet de moins en moins bicéphale. Le Premier Ministre est marginalisé et dépossédé de services actuellement concentrés au sein du SGDN. Ensuite, le Président présidera seul le conseil national de défense et le coordinateur aux renseignements sera placé sous sa seule autorité, sans que soit même mentionnée la délégation parlementaire au renseignement nouvellement créée.

Ce que certains ont appelé, en visant ces différentes structures constituées, le « bunker institutionnel », porte en germe de dangereux déséquilibres. Dans un contexte de personnification du pouvoir, le Parlement constitue un contrepoids indispensable à assurer l'équilibre de nos institutions. Ce qui est nouveau, c'est que les militaires eux-mêmes appellent aujourd'hui de leurs vœux ce renforcement salutaire de nos assemblées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Benoist Apparu – Toutes les réformes engagées depuis le début de cette législature sont la traduction des promesses faites aux Français il y a un peu plus d’un an.

La réforme des institutions en est une, et non des moindres. Tout notre système politique repose sur la Constitution de 1958 dont chacun a conscience qu’il est temps de revoir certains mécanismes…

M. Jean-Pierre Brard – Pourquoi ?

M. Benoist Apparu – …d’autant que la pratique présidentielle a considérablement changé depuis l’instauration du quinquennat par Jacques Chirac et Lionel Jospin.

M. Jean-Pierre Brard – Et depuis l’arrivée de Napoléon !

M. Benoist Apparu – L’importance d’une telle réforme exige que chaque amendement fasse l’objet d’une intense réflexion et de nombreuses discussions. C’est d’ailleurs ainsi que les constituants de 1958 étaient parvenus à un équilibre.

Chacun en convient, les règles institutionnelles ne correspondent plus aux réalités de la pratique du pouvoir. Le rôle du Parlement a évolué et ses relations avec le Gouvernement se sont pacifiées. Il faut donc rééquilibrer nos institutions au profit du Parlement et mieux encadrer les pouvoirs du Président et de l’exécutif. C’est l’objet même de cette réforme.

Mais réviser la Constitution exige de recueillir une très large adhésion. Au-delà de la majorité des trois cinquièmes requise au Congrès, notre rôle est de parvenir à un large consensus, comme y étaient parvenus nos prédécesseurs. Ceux-ci avaient eu le courage et l’intelligence de dépasser les clivages traditionnels pour instaurer une République de stabilité et de souplesse. Nous avons aujourd’hui le même devoir de laisser de côté nos querelles partisanes au profit du texte suprême. Il ne s’agit pas de choisir entre telle ou telle orientation économique ou sociale, mais de dessiner ce qui sera notre paysage politique futur. Sur ce texte, plus que sur tout autre, le compromis est primordial. Nous avons fortement progressé en ce sens. La majorité a en effet répondu favorablement à plusieurs demandes de l’opposition (Interruptions sur les bancs du groupe SRC) : référendum d’initiative populaire, droit de résolution, veto des trois cinquièmes sur les nominations, refus de tout accroissement des pouvoirs du Président, contrôle des opérations extérieures, non-limitation du nombre de ministres, délais d’examen des textes… Nous avons dans tous ces domaines, tendu la main à l’opposition.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Tout à fait.

M. Benoist Apparu – Et nous continuerons de le faire tout au long de ce débat jusqu’au Congrès pour parvenir à un consensus. Il nous appartient à tous de poursuivre en ce sens et j’espère, si j’ai bien entendu ce qui a été dit ce week-end sur les ondes, que d’autres initiatives pourront encore renforcer celles de la majorité.

Ce que l’opposition a proposé et que la majorité a accepté enrichit ce projet de loi constitutionnelle. Cette révision ne peut être la propriété d’une seule famille politique, non plus que le fruit d’une seule idéologie.

Ceux qui dénoncent aujourd’hui le manque de dialogue doivent pourtant, en toute honnêteté, reconnaître que le Gouvernement et la majorité ont fait des concessions majeures.

Au moment où un équilibre peut être trouvé, j’en appelle à la responsabilité de chacun. Au terme de nos débats, chacun devra faire son choix en conscience. J’espère qu’à cet instant notre foi en la République sera plus forte que la règle de l’opposition systématique. Je ne comprendrais pas pourquoi certains de nos collègues qui ne cessent de dénoncer un présidentialisme renforcé ne voteraient pas ce texte qui précisément le limite.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Tout à fait.

M. Benoist Apparu – A la veille de ce rendez-vous historique, le seul souci qui doit nous guider est la nécessité de réformer nos institutions. La seule question qui vaille est de savoir si notre Constitution sera meilleure avant ou après cette révision. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Brard – Lapalissade !

M. Benoist Apparu – Il est bon parfois, Monsieur Brard, de rappeler certaines évidences.

La discussion générale est close.

M. Le Fur remplace M. Accoyer au fauteuil de la présidence.

PRÉSIDENCE de M. Marc LE FUR
vice-président

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Je remercie tout d’abord l'ensemble des orateurs. La majorité de ceux qui se sont exprimés a manifesté la volonté d'être au rendez-vous d'une réforme qui changera en profondeur le fonctionnement de notre démocratie.

Le Parlement débat de ce projet depuis deux mois et y a consacré une centaine d'heures en séance publique. Je salue le travail effectué par votre commission des lois, en particulier la volonté de votre rapporteur, le président Warsmann, de rechercher, tout au long de ces deux lectures, le consensus pour qu'au final, le Congrès puisse adopter la révision le 21 juillet.

En première lecture, l'Assemblée nationale puis le Sénat ont amélioré substantiellement le texte du Gouvernement. Je vois dans la qualité et la richesse des travaux parlementaires une preuve supplémentaire du bien-fondé de notre projet.

Après nombre d’entre vous, je voudrais, comme Benoist Apparu, saluer la lucidité et même la prescience du général de Gaulle, qui a su concevoir une Constitution qui s'est révélée à la fois durable et forte. La Constitution de la Ve République a suffisamment fait ses preuves pour ne pas être dénaturée ou démantelée. C’est pourquoi ce projet s'inscrit dans le cadre de la Ve République : le Président de la République est et reste élu par le peuple, et le Gouvernement est et reste responsable devant le Parlement. L'héritage du général de Gaulle est ainsi préservé et respecté, Monsieur de Charette, mais rénové. L’élection du Président de la République au suffrage universel instaurée en 1962 et l'adoption du quinquennat en 2000 ont accentué la prédominance du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif. Il n'est pas question d'accentuer cette prédominance, contrairement à ce que M. Dray feint de croire.

M. Lagarde et Mme Pinel ont insisté sur la nécessité de moderniser notre démocratie. A cet égard, Madame Pinel, je vous remercie d'avoir reconnu que des progrès ont été accomplis lors de l'examen dans les deux assemblées. Je salue votre sens de l'intérêt général et votre esprit de responsabilité. Je partage votre attachement, ainsi que celui de M. Lagarde, à la modernisation de notre démocratie pluraliste.

Pour restaurer cet équilibre, presque tous les orateurs ont insisté sur la nécessité de revaloriser les pouvoirs du Parlement. Je vous propose de passer des mots aux actes, en tentant d'échapper à la surenchère, laquelle n’est bien souvent que l'antichambre de l'immobilisme. A ce sujet, Monsieur Montebourg, ceux qui veulent tout changer sont parfois ceux qui, en réalité, se préparent à ne rien changer.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Tout à fait.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Mais j'entends aussi les aspects positifs de la réforme que vous avez, tout comme Manuel Valls, reconnus : partage de l'ordre du jour, reconnaissance d'un statut de l'opposition, référendum d'initiative populaire. Au-delà des postures, passons maintenant ensemble aux actes.

Le Gouvernement est prêt à entendre tous les arguments, il l'a démontré en acceptant de très nombreux amendements, y compris de l'opposition. J’invite cependant chacun à faire preuve de bon sens et de responsabilité : aller beaucoup plus loin, ce serait ruiner l'équilibre du texte ; aller moins loin, ce serait en ruiner l'ambition. Monsieur Braouezec, la surenchère est une posture facile et souvent confortable.

Le président Warsmann l’a excellemment dit, il ne s'agit pas de revaloriser le Parlement pour le plaisir, mais pour améliorer la qualité de la loi et de nos politiques publiques. Or, il l’a rappelé, tout comme MM. Chartier et Vanneste, les outils pour atteindre ce grand objectif sont nombreux : étude d'impact, délais minimaux d'examen des textes, ratification expresse des ordonnances, plus grande maîtrise par le Parlement de son ordre du jour, temps réservé pour le contrôle et l'évaluation. Monsieur Chartier, vous avez à juste titre insisté sur ce point. S'agissant du contrôle, je remercie M. Cazeneuve d'avoir reconnu des avancées dans celui des opérations militaires extérieures.

Je tiens à souligner les avancées sur la reconnaissance de droits spécifiques aux partis et aux groupes non majoritaires. Sur ce point, le projet permettra d'inscrire dans la Constitution une pratique que nous avons commencé à mettre en œuvre, ce dont M. Migaud conviendra aisément.

Voilà le projet ambitieux, équilibré et enrichi de vos réflexions que nous vous proposons. Il reste, bien entendu, des rédactions à harmoniser entre les deux assemblées. Votre commission des lois propose de nombreux amendements en ce sens, et je voudrais à nouveau saluer le travail du président Warsmann, qui a rappelé tout à l'heure la responsabilité qui est la vôtre de voter le texte dans un esprit de compromis et d'équilibre afin d'en permettre l’adoption par les deux chambres.

Sur plusieurs points du projet, nous approchons d'un compromis -même si des ajustements et des précisions sont toujours possibles et nécessaires. Le Gouvernement sera favorable aux amendements qui permettront de l'atteindre. Je pense notamment au partage de l'ordre du jour, pour lequel, Monsieur Lagarde, la rédaction adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale a notre préférence. Je pense également à la constitutionnalisation des langues régionales à laquelle, Monsieur Braouezec, nous sommes favorables.

S'agissant de la question de l'élargissement de l'Union européenne, je comprends le souci, qui s'est largement exprimé dans votre assemblée, notamment par la voix du questeur Mallié, de veiller à ce que les élargissements à venir ne puissent intervenir contre la volonté populaire. Mais il faut aussi veiller à éviter de stigmatiser un pays, quel qu'il soit. Le Gouvernement sera donc ouvert à votre proposition sur ce point.

Voilà les grandes lignes du compromis que nous pouvons ensemble dessiner. Un compromis n'a rien de honteux, bien au contraire, mais pour que compromis il y ait, des avancées sont nécessaires de part et d’autre.

Je m'adresse aujourd'hui à vous dans ce double esprit de responsabilité historique et de cohésion nationale. Je veux, comme le Premier ministre tout à l'heure, souligner, avec solennité, le caractère exceptionnel du texte qui nous occupe.

Aujourd'hui, chacun est invité à prendre ses responsabilités. Ceux qui diront « non » aux droits nouveaux accordés au Parlement devront motiver leur refus.

M. Arnaud Montebourg – C’est fait !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Ceux qui le feront au nom du statu quo devront expliquer pourquoi ils ont si peu confiance en leur assemblée.

M. Arnaud Montebourg – Parce que ce texte est dangereux, mieux vaut le statu quo que la régression.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Ceux qui le feront au nom du changement devront expliquer pourquoi ils n'ont pas saisi la chance de faire un pas en direction de leur objectif.

La Constitution n'est la propriété d'aucun camp politique. Elle appartient à la France. Pour être adoptée, cette réforme aura besoin de réunir une majorité d'hommes et de femmes capables de se rassembler autour d'un compromis dont le succès pourra être revendiqué par chacun et dont la réalisation sera l'œuvre de tous, dans le seul intérêt de la nation.

Si le Congrès adopte cette révision, notre vie politique sera profondément rénovée. Le Parlement jouera pleinement son rôle. Nous aurons ainsi franchi une étape majeure dans la modernisation de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Noël Mamère – Comme les Français, nous sommes nombreux à vouloir une véritable réforme de la Constitution et non un simple aménagement. Si la Constitution de la Ve république a eu le mérite d’assurer la stabilité, elle est néanmoins marquée d’une sorte de mépris pour le Parlement qui, de ce fait, fut, et est encore souvent une chambre d’enregistrement soumise au bon vouloir de l’exécutif. C’est que ses auteurs avaient le souvenir d’une IVe République à l’instabilité chronique. Or les régimes parlementaires, majoritaires en Europe, y donnent une image de stabilité et de pluralisme.

Réformer la Constitution est donc une urgence, reconnaître le Parlement est une nécessité. Mais l’intelligence, l’ouverture, nécessitent de tenir compte aussi de l’opposition. Le Président de la République a choisi de procéder par la voie parlementaire et non par le référenduM. Fallait-il y voir une première revalorisation de notre rôle ? Il n’en fut rien.

On mit en place un comité Balladur, avec des experts, des hauts fonctionnaires et quelques parlementaires. Il eût pourtant été simple et sage de mettre sur pied une commission parlementaire, associant majorité et opposition, pour conduire les travaux de réforme.

S'agissait-il de s'affranchir des contraintes partisanes pour mener à bien une réflexion originale et élaborer des propositions courageuses ? Les travaux du comité ont certes donné lieu à des auditions publiques de qualité ; il n'en demeure pas moins paradoxal, lorsque l'on dit vouloir rétablir le Parlement dans ses prérogatives, de commencer par se passer de ses services.

On n'attendait pas du comité qu'il fasse œuvre révolutionnaire. Mais on n'escomptait pas non plus copie si conforme aux souhaits présidentiels. Ses quelques audaces, comme l'introduction d'une dose de proportionnelle et la limitation du cumul des mandats, ont disparu du projet gouvernemental.

Au cours du débat parlementaire, l'opposition a-t-elle été associée à la réflexion ? À aucun moment. A-t-elle pesé dans le texte qui nous parvient du Sénat ? Jamais.

Votre méthode de gouvernement est d’ailleurs éclairante.

Depuis un an, 97 lois ont été promulguées et vous semblez tirer fierté d'une telle production de lois, mal rédigées et examinées dans l’émotion du moment. Le Parlement siège désormais en continu, alors que la session unique devait limiter le nombre des séances. Les sessions extraordinaires sont devenues la règle. À cela s'ajoute l'organisation chaotique d'un ordre du jour surchargé. Le calendrier parlementaire est modifié quasi quotidiennement. Vous imposez au Parlement un rythme frénétique, et privilégiez, loin de l'intérêt général, des préoccupations tactiques et médiatiques.

La pratique de l'urgence est symbolique de cette dérive organisée vers une législation de l'à-peu-près, au risque du n'importe quoi. Mme la garde des sceaux est coutumière de l'exercice : après les lois de décembre 2005 sur la récidive, de mars 2007 sur la délinquance, elle a présenté son projet sur les peines planchers, en août 2007 et en février 2008, celui sur la rétention de sûreté. On attend le prochain...

L'urgence vise à mettre au pas un Parlement où vous disposez pourtant d'une très large majorité. Dans ces conditions, aucun travail de réflexion n'est possible. Cette session extraordinaire est, de ce point de vue, caricaturale : y sont inscrits trois projets majeurs sur la réforme des institutions, la modernisation de l'économie, la démocratie sociale et le temps de travail et une vingtaine d'autres textes sans oublier le Congrès. Le résultat, ce sont des votes aux forceps et la recherche immédiate du vote conforme des deux assemblées afin d'en finir au plus vite.

Vous avez mis à rude épreuve votre propre majorité. Soumise à de formidables pressions, parfois elle s'essouffle, résiste ou implose (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Ainsi, sur les OGM fut adoptée la motion de procédure défendue par André Chassaigne. La dénonciation du poids des lobbies dans le débat avait déjà mis mal à l'aise nombre de parlementaires de la majorité.

M. Benoist Apparu – Et vous, vous ne faites pas de lobbying ?

M. Noël Mamère – Il a fallu un coup de force et un rappel à l'ordre pour que le texte soit adopté. Quant à celui dont nous discutons, il a été rejeté par la commission des affaires étrangères. Sur le projet de loi de modernisation de l'économie, la majorité UMP a déposé trois fois plus d'amendements que la gauche. C'est le seul moyen pour les députés de votre majorité, soumis à une discipline de fer (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), de voler un peu de temps d'expression. Les « godillots » commencent à traîner les pieds (Mêmes mouvements). Et ces derniers jours ont donné lieu à un marchandage au sein de l’UMP, entre le maintien du 49-3 et le référendum sur l'entrée de la Turquie dans l'Union.

Ce n'est pas au cours d'une discussion réduite à une peau de chagrin que des compromis peuvent naître. Dès lors, l’argument le plus convaincant du Gouvernement contre quelques récalcitrants réside dans le redécoupage électoral et dans le pouvoir de nomination…

Rien dans cette réforme de la Constitution ne remédie aux maux d'un régime où le Parlement est sans cesse méprisé, où le pouvoir présidentiel n'a de limites que celles fixées par celui qui l'exerce.

Sous les apparences d'un rééquilibrage des pouvoirs, dont le Premier ministre est le grand perdant, cette réforme ne s'attaque pas à l'omniprésence du Président. Il pourra même s’exprimer devant un Parlement muet, aux ordres, qui pourra ensuite, en son absence, débattre, mais pas voter.

Le Parlement aura désormais la maîtrise de son ordre du jour, nous dit-on. En fait, l'opposition assistera impuissante, lors de la conférence des Présidents, à l'enregistrement des désirs gouvernementaux. Dans un système marqué par la bipolarisation des forces politiques et dans lequel le rôle du Parlement est moins de fabriquer la loi que de contrôler le Gouvernement et d'évaluer les politiques qu'il conduit, on ne revitalisera le Parlement qu’en donnant de véritables marges de manœuvre à l'opposition. Elle aura le droit de fixer l’ordre du jour, mais seulement un jour de séance par mois ! C’est quelque peu ridicule. Surtout, si l'on voulait vraiment dynamiser le travail parlementaire, il faudrait lui donner un véritable droit d'initiative sur les procédures de contrôle, notamment la création de commissions d'enquête, l'audition de ministres ou la saisine de la Cour des comptes. Il faudrait répartir à la proportionnelle les présidences des commissions et répartir également les temps de parole entre la majorité et l'opposition. Bref, il faudrait instaurer des procédures qui, sans le mettre nécessairement en danger, obligeraient le gouvernement à s'expliquer ou même à rendre des comptes. En l'état, la réforme constitutionnelle n'avance pas d'un iota dans cette direction.

Les pouvoirs présidentiels seront désormais encadrés, annonce-t-on. Ainsi la nomination par le Président de la République à certains postes – lesquels ? – ne pourront avoir lieu qu'après avis public d'une commission mixte paritaire issue des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée. La vraie transparence passerait par l’audition publique, qui décourage les nominations de complaisance. Il aurait sans doute fallu définir plus précisément le champ des nominations présidentielles avant de prévoir leur contrôle. En l'état, la liste des emplois pourvus en conseil des ministres est établie par décret en conseil des ministres, autrement dit à la discrétion du président de la République. François Mitterrand, à la veille de la première cohabitation, avait utilisé ce moyen pour accroître considérablement le nombre d'emplois publics dépendants de la signature présidentielle. Le texte ne met pas fin à cette possibilité.

La réforme constitutionnelle prétend, dans son article 13, permettre un meilleur contrôle du Parlement sur les opérations militaires extérieures. Ainsi, le Parlement devra dorénavant être informé de ces opérations « dans les délais les plus brefs », c'est-à-dire bien après les médias ; cette information pourra donner lieu à un débat, ce qui est déjà possible aujourd'hui, mais pas à un vote. Certes, il sera désormais écrit que : « La prolongation de l'intervention au-delà de quatre mois est autorisée en vertu d'une loi. Aucun amendement n'est recevable. » Mais l'expérience montre que ce type de disposition ne garantit pas un contrôle parlementaire efficace des opérations militaires. La question du contrôle doit se poser bien en amont de l'intervention militaire, comme l’avait préconisé le rapport du comité Balladur. Il faut que les accords de défense et les engagements d'assistance militaire souscrits par la France soient systématiquement transmis au Parlement, et que ce dernier puisse alors en juger « à froid ».

En lançant le processus de révision constitutionnelle, le 12 juillet, à Épinal, M. Sarkozy expliquait que, « dès lors que le Président gouverne », il doit être « responsable ». Comment organiser cette responsabilité ? La réponse pour lui était simple : il fallait que le Président « puisse s'exprimer au moins une fois par an devant le Parlement pour expliquer son action et rendre compte de ses résultats ».

En général, on rend compte de son action devant ceux qui vous ont mandaté pour agir. Ainsi, le Premier ministre, dans un régime parlementaire, rend compte de son action devant le Parlement. Or, en France, le Président de la République ne doit rien au Parlement ; pourquoi faudrait-il qu'il se présente devant lui ? Une telle disposition aurait du sens si le Président devenait constitutionnellement le chef de l'exécutif – ce qu’avait proposé le comité Balladur. Puisque nous restons dans un régime parlementaire, il devrait être responsable devant l'Assemblée, c'est-à-dire prendre le risque de subir sa censure, mais c’est difficilement imaginable : pourquoi la légitimité des députés l'emporterait-elle sur celle, électivement de même nature, du Président ? Or, si le véritable chef de l'exécutif ne peut être renversé par l'Assemblée, nous ne sommes plus dans un régime parlementaire, mais dans un régime présidentiel, et il faut l'assumer, à savoir qu’il convient d’augmenter les pouvoirs du Parlement, assurer sa totale indépendance vis-à-vis de l’exécutif, et supprimer le droit de dissolution de l'Assemblée par le Président.

Mais personne ne souhaite véritablement une telle solution, d’où la curieuse idée de M. Sarkozy : le Président, quand il le souhaitera, viendra vanter son action devant les parlementaires, puis s'en retournera tranquillement à l'Élysée, tandis que, « hors sa présence », les parlementaires pourront débattre, mais sans voter. La responsabilité politique selon M. Sarkozy, c'est donc un Président tout puissant qui, sans prendre le moindre risque et en conservant l'arme ultime de la mise au pas des députés – le droit de dissolution –, daigne venir expliquer sa politique devant les parlementaires, relayé par des médias bienveillants (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC), avec notamment un service public sous contrôle. On se demande où est le « rééquilibrage » des institutions !

Il s’agit pour lui de marquer clairement devant la représentation nationale et l'opinion le fait qu'il conduit la politique de la nation. C'est bien sûr le cas dans la pratique, mais au prix de l'abandon de fait du principe de responsabilité politique. Accepter que le Président s'exprime ainsi devant le Parlement officialise une pratique démocratiquement déviante : le découplage entre l'exercice du pouvoir d'État et la responsabilité politique des gouvernants. C'est un pas supplémentaire vers l'irresponsabilité de ceux-ci, c'est accepter le dévoiement présidentialiste de nos institutions.

Le projet de réforme entend d’autre part limiter les usages de l'article 49-3, ce coup de massue de l'exécutif contre le Parlement. Dans l'esprit des constituants de 1958, l'utilisation de cet article devait rester exceptionnelle et être réservée à un gouvernement ne disposant que d'une majorité fragile. Au fil des années, elle s’est banalisée, le 49-3 devenant une arme à la disposition des gouvernements, même lorsqu'ils disposent d'une forte majorité. Avec la consolidation du fait majoritaire, la question de sa suppression est posée. D'autant que le gouvernement Jospin, bien que s'appuyant sur une majorité plurielle, a apporté la preuve, en n'utilisant jamais cet article, que l'on pouvait gouverner sans brutaliser l'Assemblée.

Il est désormais prévu que l’article 49-3 ne sera utilisé que pour les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale. Mais – et c'est là que le bât blesse –, le texte précise qu'« en outre » le Premier ministre « peut recourir à cette procédure pour un autre texte par session ». De deux choses l'une : soit l’on considère que l'article 49-3 demeure utile en cas de majorité relative, et alors il ne faut pas restreindre son utilisation ; soit le texte est présumé inutile compte tenu de l'existence de majorités claires, et alors il faut restreindre les utilisations possibles de l'article. Mais la voie médiane n'a aucun sens, parce qu'elle ne limite rien. En dix ans, cet article n'a été utilisé que trois fois : par M. Raffarin en février 2003 puis en juillet 2004, et par M. de Villepin en janvier 2006 – autant de gouvernements assurés d'une majorité hégémonique à l'Assemblée ! Dans sa formulation actuelle, la réforme ne changera donc rien.

La réforme prétend en outre améliorer le travail législatif. La seule disposition importante à cet égard est celle de l’article 17, qui dispose que la discussion des projets de loi en séance publique portera dorénavant sur le texte adopté en commission. En réalité, loin d'améliorer le travail parlementaire, cette mesure risque de limiter le droit d'amendement des élus, d'opacifier la production de la loi et de conduire à une réduction drastique des temps de débat en séance. Nous nous réjouirions de l'instauration d'un délai entre le dépôt d'un texte et sa discussion, si le Gouvernement n’avait toutefois la possibilité de s'en affranchir en déclarant l'urgence, comme l’article 20 le lui permet, sauf si « la conférence des présidents de chacune des deux assemblées s'y oppose », ce qui n'est pas – vous en conviendrez – l'hypothèse la plus probable. Ces changements homéopathiques se situent très en retrait par rapport aux propositions du comité Balladur.

Les lacunes de ce texte sont immenses. Quelques droits nouveaux sont accordés à l'opposition, mais dans un esprit étroit, inspiré par une vision bipolaire de la vie politique que nos concitoyens ne souhaitent guère. Le pluralisme aurait pu connaître une avancée avec l'introduction d'une dose de proportionnelle pour l'élection des députés et la modification du mode de scrutin sénatorial, qui rend aujourd’hui illusoire toute possibilité d'alternance. Sur ces deux points, votre copie mérite un zéro pointé (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

Le droit de vote des étrangers aux élections locales, dont le principe avait été approuvé par cette assemblée, est une exigence à laquelle l'opinion est prête. La participation aux élections locales et européennes des ressortissants de l'Union crée une injustice vis-à-vis des étrangers non communautaires. Il est hypocrite de s'y opposer en usant du prétexte de la nationalité, car ce critère n’existe plus depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht.

Ces petits rafistolages ne contribuent nullement au rééquilibrage annoncé. Ils confortent la prééminence du Président et de l'exécutif sur le Parlement, et lorsque le Parlement bénéficie de vos largesses, ce sont en fait des transferts de compétence à la majorité parlementaire. Dans la situation d'ambiguïté politique ou constitutionnelle où nous sommes - ni régime présidentiel, ni régime parlementaire -, nous étions en droit d'attendre un peu plus de clarté et de courage.

Les quelques timides avancées, telles que l'élargissement de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, ne modifient en rien l'économie de ce projet et en font simplement un leurre de plus. Je vous entends déjà pousser des cris d'orfraie et dire que nous n'avons pas saisi une « occasion historique » de renforcer les pouvoirs du Parlement. Or, le texte présente encore trop de zones d'ombres, de renvois, d'omissions injustifiables. C'est pourquoi je vous propose son renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. le Président – Je suis saisi de plusieurs demandes d’explication de vote.

M. Jean-Pierre Brard – Nous sommes dans les faux-semblants. Toutes les cartes sont sur la table, mais hors de l’hémicycle ! Monsieur le ministre, en vous regardant, je vous imaginais chez vous, le dimanche, avec tablier, plumeau et aspirateur (Exclamations et rires sur de nombreux bancs) tant vous êtes actif dans les recoins de l’Assemblée et du Sénat, vous efforçant d’aspirer les parlementaires récalcitrants pour les amener à voter votre texte (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC). C’est en cela que je ne dis que les cartes ne sont pas ici à disposition. Cela justifie en soi le renvoi en commission.

Les arguments ont été dits. Il y a le discours du trône, où la Rolex remplacera les joyaux de la couronne d’Élisabeth II (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC), devant des parlementaires muselés. Il y a, en contrepartie des adhésions, qui ne seront pas spontanées, le découpage électoral, puisque le Gouvernement s’apprête à recourir, après avoir manié la hache pour le gros œuvre, au scalpel de la haute couture pour tailler des circonscriptions sur mesure à ceux qui auront courbé l’échine, ou plutôt démontré qu’ils n’en avaient pas ! (Même mouvement)

M. Mamère a bien dit que le Parlement était une chambre d’enregistrement. Sur tous les texte que nous discutons depuis des mois, vous aviez la possibilité d’anticiper la réforme constitutionnelle. Hier, Mme Brunel, dans un moment de sincérité, s’est exprimée en faveur de la protection des salariés, en situation d’inégalité face à l’employeur. Eh bien, vous lui avez imposé comme supplice de voter contre son propre amendement ! (Même mouvement)

M. Benoist Apparu – Elle n’avait pas d’amendement !

M. Jean-Pierre Brard – Madame et Monsieur les ministres, j’ai de l’admiration pour vous, pour votre sens du sacrifice et votre abnégation de soldats.

Mme Dati est montée à la tribune pour défendre un point de vue auquel elle ne peut pas croire ! Et quand un ministre ose dire franchement ce qu’il pense, il lui arrive ce qui est arrivé à Mme Kosciusko-Morizet : l’humiliation (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Votre texte est sorti d’un magasin de farces et attrapes. Pourquoi ne le soumettez-vous pas à référendum, comme l’eût fait le général de Gaulle ? Il est vrai que les citoyens répondent plus à celui qui pose la question qu’à la question posée, et que vous le savez...

En tout cas, pour faire la clarté sur ce qui se passe dans les coulisses, sur les ficelles qui sont tirées, il faut absolument renvoyer ce texte en commission. Faute de quoi vous allez prendre le risque du Congrès ; or les parlementaires invertébrés que vous allez faire plier dans les conditions que l’on sait, ont, sachez-le, des convictions fragiles, et un dernier réflexe de prudence pourrait finalement les amener à ne pas vous suivre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

Mme Catherine Lemorton – Le renvoi en commission se justifie pleinement. M. Mamère a développé les arguments de fond ; pour ma part, au nom du groupe SRC, je m’attacherai aux arguments de forme.

Depuis l’adoption du projet par le Conseil des ministres le 23 avril dernier, une course contre la montre a été engagée. L’exécutif veut faire adopter une révision constitutionnelle de plus de 40 articles en trois mois : cela se passe de commentaires !

Madame la garde des sceaux, vous venez de déclarer que la Constitution n’appartenait pas à un clan politique, mais à la France. Pourquoi alors nous soumettre cette révision à marche forcée, sinon pour éviter qu’elle soit hypothéquée par l’élection de sénateurs de l’opposition en septembre ? Nous ne pouvons accepter ce passage en force ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC)

M. le Président – Sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public.

M. Benoist Apparu – J’observe que M. Mamère, qui dévoie les motions de procédure, a totalement oublié de justifier sa demande de renvoi en commission… M. Brard n’a d’ailleurs pas fait mieux.

Pour sa part, le groupe UMP considère que la commission a bien travaillé et qu’il est temps d’aborder la discussion des articles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Nous allons maintenant procéder au scrutin.

M. Yves Nicolin – Où sont les socialistes ? Ils sont deux !

À la majorité de 107 voix contre 9 sur 116 votants et 116 suffrages exprimés, la motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

Le Directeur du service
du compte rendu analytique,

Michel KERAUTRET

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr

© Assemblée nationale