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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 15 juillet 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
15ème séance de la session
Présidence de M. Marc Le Fur, Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

DÉBAT D’ORIENTATION DES FINANCES PUBLIQUES POUR 2009 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite du débat d’orientation des finances publiques pour 2009.

M. Philippe Vigier – Si j’ai retrouvé dans le document que vous avez transmis aux députés les engagements forts du Gouvernement sur l’Université ou sur la justice, je suis surpris de ne rien lire sur le 5e risque ou sur le RSA et de constater que le financement est absent du paragraphe concernant le Grenelle de l’environnement.

Il s’agit pourtant d’enjeux majeurs de société, qui pourraient précisément permettre de trouver le point de croissance tant recherché : l’Allemagne compte 900 000 emplois de plus que la France dans le secteur de l’environnement.

M. Jean-Pierre Brard – Oui, mais ils n’ont pas Borloo !

M. Philippe Vigier – Le débat d’orientation budgétaire est un moment privilégié pour évoquer la politique qui sera menée l’année suivante. Monsieur le ministre, je suis heureux de souligner votre sincérité dans cet exercice, s’agissant des dépenses.

En matière de recettes, j’aurais aimé en revanche que vous alliez plus loin. Le groupe Nouveau Centre souhaite que des mesures socialement justes et économiquement efficaces soient mises en place ; c’est la raison pour laquelle nous souhaitons débattre de l’existence des niches fiscales (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). De nombreux collègues se sont déjà exprimés à ce sujet et des rapports ont été publiés. Mais demain, que va-t-il se passer ? Chacun sait que le nombre de niches a considérablement augmenté, leur coût passant de 50 à 73 milliards en cinq ans. La responsabilité n’est pas à rejeter sur tel ou tel.

M. Henri Emmanuelli – Vous avez la mémoire courte !

M. Philippe Vigier – Il n’y a pas eu que les lois Robien ou Borloo. Citons les lois Malraux, Demessine, et Girardin. Chacun a ajouté une couche au mille-feuilles.

Le groupe Nouveau Centre souhaite le plafonnement de ces niches pour chaque contribuable et le plafonnement du coût global que représentent les niches pour l’État.

M. Alain Néri et M. Michel Vergnier – Supprimez-les !

M. Philippe Vigier – Aucune niche ne devra échapper à ces mesures.

La grande majorité de ces niches sont inaccessibles aux smicards, aux Rmistes et aux chômeurs. Je suis indigné que certains, avec un million d’euros de revenus, ne payent pas d’impôts.

M. Alain Néri – L’indignation ne suffit pas !

M. Philippe Vigier – Quelle est l’incidence des niches ? L’idée que l’on puisse réaliser des économies de l’ordre de 3 à 4 milliards sur les niches fiscales me semble juste.

Par ailleurs, deux mesures d’économie doivent être prises sur les allègements de charges accordés par l’État aux entreprises. En 2007, nous avions suggéré, sans être suivis, que ces allègements soient concentrés sur les PME, et que les TGE ne soient plus concernées. Depuis, la Cour des comptes nous a donné raison. En outre, comme notre collègue de Courson l’a souligné ce matin, le seuil d’exonération des charges social doit être abaissé de 1,6 SMIC à 1,4 SMIC.

Pour ce qui est des stock-options, le Nouveau Centre fait trois propositions concrètes.

M. Henri Emmanuelli – Ah !

M. Philippe Vigier – Ce n’est pas nouveau, nous en avons déjà parlé l’année dernière. Nous souhaitons interdire à l’ensemble des mandataires sociaux de lever ou de céder des options, tant qu’ils exercent des fonctions dans l’entreprise…

M. Jean-Pierre Brard – Quel bolchevik !

M. Philippe Vigier – …instaurer une contribution sociale sur les plus-values de cession de stock-options et d’actions gratuites au taux de 8 % lorsque leur montant dépasse 50 000 euros…

M. Jean-Pierre Brard et M. Henri Emmanuelli – Très bien !

M. Philippe Vigier – …abaisser à 50 000 euros le seuil au-dessous duquel la plus-value d’acquisition est taxée à 30 % et taxer à 40 % les attributions d’actions gratuites pour un montant excédant 50 000 euros.

M. Henri Emmanuelli – Il faut taxer au niveau de l’IR !

M. Philippe Vigier – Nous considérons que c’est l’assainissement des finances publiques qui conditionne la croissance économique et non la croissance économique qui conditionne l’assainissement.

M. Jean-Pierre Brard – Excellent !

M. Philippe Vigier – Le débat sur la « règle d’or » a révélé des divergences. Il s’agit pour nous d’un problème moral et économique.

M. Henri Emmanuelli – Cela ne vous empêchera pas de voter le budget !

M. Philippe Vigier – N’oublions pas que prélever de l’épargne nationale pour financer les dépenses de fonctionnement affaiblit la croissance et développe le chômage.

M. Alain Néri – Et les collectivités ?

M. Philippe Vigier – Elles n’ont rien à dire, elles ont augmenté les impôts locaux de façon considérable !

M. Alain Néri – Parce que l’État se désengage !

M. Philippe Vigier – L’inscription de cette règle d’or dans la Constitution permettra d’aller chercher ce fameux point de croissance. Il faut privilégier les mesures d’économie plutôt que celles qui augmentent les dépenses publiques : c’est pourquoi nous soutenons la RGPP, réforme indispensable que tout le monde souhaitait sans avoir le courage de la faire.

Nous devons également avoir une programmation pluriannuelle de nos finances publiques, à l’exemple de ce qui se pratique au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Suède. Trois conditions sont pour cela essentielles : engagement politique au plus haut niveau ; objectifs crédibles, sur la base d’hypothèses macro-économiques prudentes ; existence d’un lien clair entre la programmation pluriannuelle et la procédure budgétaire annuelle. Les efforts faits par le Gouvernement vont dans le bon sens.

Le groupe Nouveau Centre souhaite que le Gouvernement prenne des mesures socialement justes, moralement indispensables et budgétairement vertueuses. La priorité des priorités – et la condition même du retour de la croissance –, c’est l’assainissement de nos finances publiques. Le « mur de la dépense » n’est pas loin : n’y fonçons pas tête baissée. Nous ne manquerons pas, lors des prochains débats budgétaires, de vous faire des propositions d’économies de l’ordre de 8 à 10 milliards d’euros (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre).

M. Dominique Baert – Le Ch’ti étant à la mode, je ne résisterai pas à l’envie de vous apprendre un nouveau terme, Monsieur le ministre : je crains que vous ne soyez un « carottier », c’est-à-dire quelqu'un qui cherche habilement à dissimuler la vérité.

Vous annoncez une croissance « soutenue », avec des hausses pour la consommation, l’investissement, les exportations ! Or, les statistiques de L’INSEE, tout comme l’expérience quotidienne, nous montrent une autre réalité : ménages appauvris devant faire face aux franchises médicales et à la hausse des produits alimentaires et de l’énergie, restriction des crédits aux particuliers et aux entreprises, dépression du secteur immobilier.

Personne ne croit plus à des chiffres de croissance en hausse ! L'économiste Patrick Artus, dans Le Monde de samedi soir, explique que la croissance annuelle de la France sera de 1 % pendant deux ans ! L'OCDE, dans son rapport « Perspectives 2006 », prévoit un ralentissement de la croissance française : 1,8 % en 2008 et 1,5 % en 2009 ! Alors qui dit la vérité ? L'OCDE ou vous, Monsieur le ministre ?

Autre exemple : ce matin encore, vous proclamiez que le déficit 2007 était inférieur à celui de 2006. Vous dites éradiquer les sous-budgétisations et maîtriser la dette. Là encore, ce n'est pas la vérité ! Le déficit 2007 n'est inférieur à celui de 2006 qu'au prix d'artifices liés au décalage des pensions d'État, à la cession de titres EDF, mais aussi à des dettes non réglées dissimulées derrière des crédits sous-évalués, tels que les arriérés de la sécurité sociale, ou le découvert au Crédit Foncier pour l’épargne-logement. L’écart est de 10 milliards d’euros : la réalité, c'est donc que le « trou » s'est creusé !

La spirale de la dette risque donc de se poursuivre, avec un effet « boule de neige », tant se creuse l'écart entre taux d'intérêt – à la hausse – et taux de croissance – à la baisse si l’on en croit l'OCDE. Vous n'échapperez donc pas à un « coup de massue » qui fera une fois de plus dériver notre stock de dette.

Fin mars, la dette publique s’élevait à 1 250 milliards d’euros. Elle a déjà augmenté de 41 milliards par rapport à fin décembre 2007. Celle de l'État a augmenté de 36 milliards.

Sait-on que la dette publique a augmenté de plus de 100 milliards entre fin 2006 et mars 2008, passant de 1 149 à 1 250 milliards ? Que sur la même période, celle de l'État est passée de 892 à 965 milliards, soit une progression de 73 milliards, et celle des administrations de sécurité sociale de 39 à 57 milliards, soit une hausse de 18 milliards ?

Dissimulation du déficit 2007, mécanique infernale des charges financières, accumulation de la dette sociale, quasi-stagnation des recettes fiscales, et surtout dépenses fiscales d'hier : tout concourt à expliquer, comme l'écrit la Cour des comptes dans son rapport préliminaire, « une aggravation de la situation des finances publiques » et une « dégradation de la situation de l'État ». Alors qui dit la vérité ? La Cour des comptes ou vous, Monsieur le ministre ?

Enfin, ce sont les collectivités locales qui auront à assumer les conséquences de l'incurie de la gestion financière de l'État. La croissance à zéro volume des dotations de l'État se traduira pour elles par des dotations forfaitaires en stagnation, des dotations de compensation en forte baisse, donc souvent des dotations globales en baisse. Comment faire avec une inflation à plus de 3 % ? C'est un garrot que vous posez sur bien des collectivités locales !

Oubliez-vous qu'elles sont le premier investisseur public en France ? N’avez-vous pas entendu Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, nous dire le 25 juin en commission des finances qu'il est « difficile d'imputer aux collectivités locales la situation difficile des finances publiques » ? Pour se défausser de ses responsabilités, l'État s'apprête à commettre une erreur économique et politique aux conséquences sociales dramatiques.

Je vous tiens pour un honnête homme, Monsieur le ministre. Mais je crains que vous ne jouiez, dans vos écrits comme dans vos propos de ce matin, un rôle de composition, un rôle d'illusionniste du chiffre et du verbe et d’adepte de la méthode Coué. Nous le dénonçons et continuerons de le faire : si en 2009 votre objectif est de « gagner des millions », l'opposition, elle, n'a pas encore dit son « dernier mot » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Michel Vergnier – Vous vous étonnez, Monsieur le ministre, que l’on parle autant des collectivités territoriales dans ce débat car, dites-vous, elles font partie d'un tout. J'en suis d'accord, mais vous conviendrez avec moi que la situation n'est pas la même en tous les points du territoire. Elle n'est dans doute pas identique chez vous, à Chantilly, et chez moi, à Guéret – et pas seulement à cause du champ de courses. Les citoyens devraient pourtant – puisqu’ils ont les mêmes devoirs – avoir partout les mêmes droits à la santé, à l'éducation, aux transports…

Tout n'est donc pas comptable, sauf à accepter de sacrifier des pans entiers du territoire. Oui, Monsieur le ministre : les territoires ruraux ont le sentiment d'être sacrifiés sur l’autel de la rentabilité.

M. Alain Néri – C’est la triste réalité !

M. Michel Vergnier – Il y a loin du discours aux actes. On nous dit que l'on nous aime, mais on nous le prouve bien rarement. Vous parliez tout à l’heure des ZRR. Nous n’avons qu’un seul souhait : qu’on les supprime parce qu'elles sont devenues inutiles. Si elles existent, c’est parce qu’elles sont nécessaires. Non, Monsieur le ministre : nous ne sommes pas tous égaux, et il est normal que l’État soit plus attentif aux territoires les plus fragiles.

M. Alain Néri – Très bien !

M. Michel Vergnier – Nous regrettons tous d'avoir à passer plus de temps à nous défendre qu'à construire. Nous croyons en nos territoires, mais nous ne trouvons dans les mesures que vous annoncez aucun encouragement pour ceux qui n'ont d’autre ambition qu’une gestion rigoureuse au service de leurs concitoyens et du développement. Je préside la commission nationale des territoires ruraux à l'Association des maires de France : ce que nous voulons, c’est avoir une lisibilité pour l'avenir, connaître vos intentions. Il a fallu un an pour nommer un secrétaire d'État à l'aménagement du territoire ! Ce n'est pas bon signe, d'autant qu’on ne l'entend guère.

Si nous avons bien compris, l'effort qui sera demandé sera le même partout. Cela ne fera qu'accentuer les différences entre territoires – M. de Courson l’a déjà dit ce matin. Sans vouloir opposer les territoires les uns aux autres, nous pensons que l'argent placé dans les ZRR est de l'argent bien placé. Au moment où vous évoquez des pertes de recettes liées à des réductions de TVA, nous nous inquiétons donc de leurs répercussions. Le programme de stabilité que vous proposez suppose un effort considérable, alors que la croissance de la dépense publique n'a jamais pu être durablement ramenée au-dessous de 2 % en volume. Vous n'êtes pas réalistes et, comme chaque collectivité est dépendante de l'autre, tout le monde finit par y perdre, y compris les entreprises – donc l'emploi et la croissance.

Le Président de la République s’était engagé, il y a près d’un an, à réformer la fiscalité locale. Nous savons que les contraintes sont importantes et que les objectifs à atteindre seront source de débat, mais des pistes sont tracées. Débattons-en sans perdre de temps ! Pour ce qui concerne le court terme, la Cour des comptes estime que « le chantier ne pourra produire des effets que dans le temps et ne peut dispenser d'aménagements à brève échéance ». Une attention plus grande doit être portée à la péréquation pour éviter que les collectivités à faible potentiel fiscal ne soient encore plus pénalisées par la faiblesse de la part des dotations de l'État qui fait l’objet d’une péréquation. « Il est normal que les Hauts-de-Seine aident la Creuse », avait déclaré le candidat Sarkozy. Après la théorie, je souhaite qu’on en vienne à la pratique.

Compte tenu du retard pris par le débat, je ne pourrai entendre votre réponse, Monsieur le ministre – et je le regrette. Je conduis en effet au ministère des transports une délégation d’élus locaux qui aimeraient voir les trains s’arrêter chez eux : voilà une belle illustration de mon propos ! Je serai en tout cas attentif à ce que vous pourrez dire à tous ces élus des territoires ruraux (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Georges Tron – Point n’est besoin de nous livrer à des calculs compliqués pour comprendre qu’il nous faut accélérer le processus des réformes. La situation exige en effet que nous ayons le courage de prendre des mesures d’une tout autre ampleur que celles auxquelles nous avons songé jusqu’à présent.

L’année qui s’annonce sera sans doute plus difficile que la précédente : les crises semblent perdurer ; quoi qu’en disent certains, nous ne sommes pas sortis de la crise des subprimes. Il y a donc matière à s’inquiéter. En 2007, bien que nous ayons enregistré une croissance satisfaisante, la dette publique et le déficit se sont malgré tout creusés. Si nous n’y prenons pas garde, nous nous retrouverons donc dans une situation encore pire à l’issue de cette année.

Vous avez déjà pris des mesures qui s’inscrivent dans la continuité de ce que vous aviez initié il y a quelques années, Monsieur le ministre. Après les stratégies ministérielles de réforme et les audits publics, nous voici dans la RGPP, qui porte sur un montant global de 425 milliards d’euros – soit 40 % de la dépense publique. Permettez-moi deux remarques à cet égard pour vous dire combien je suis convaincu par les mesures que mes collègues ont suggérées ce matin. Les effets de la RGPP ne se constateront qu’à terme. Il ne faut donc pas espérer d’économies avant plusieurs années.

En ce qui concerne l’immobilier, les études que nous menons à la commission des finances mettent en évidence la nécessité d’investissements lourds dans les prochaines années : avant de rationaliser notre parc immobilier, il faut le réorganiser. Les réformes de la carte judiciaire ou de la carte militaire – que j’approuve – induiront également des coûts, tout comme la mise aux normes HQE – 25 milliards d’euros prévus. Nous arriverons donc à un point d’équilibre, mais guère plus. Les réformes que vous avez annoncées il y a quelques jours doivent donc être accélérées. Je pense en particulier à la suppression du décret d’affectation aux ministères de leur patrimoine et de la règle du retour de 85 % des produits de cession.

En ce qui concerne la fonction publique, le Gouvernement a pris des engagements que j’approuve, mais qui seront coûteux, comme la règle du retour de 50 % des économies générées par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux – 450 à 500 millions seulement peuvent en être attendus.

Il y aura aussi l’impact du Livre blanc, avec l’harmonisation des régimes indemnitaires par le haut à échéance d’un an, un an et demi. Je pense aussi à la loi sur la mobilité, adoptée au Sénat en avril dernier, qui instaurera un système assez onéreux comprenant l’indemnité temporaire de mobilité de 10 000 euros, la prime de restructuration de 15 000 euros et l’indemnité de départ volontaire jusqu’à vingt-quatre mois. Cela risque de coûter fort cher.

S’agissant de la politique de rémunération, vous parvenez par le consensus à des résultats que d’autres n’obtenaient que par une décision unilatérale, en particulier avec la garantie individuelle de pouvoir d’achat – la GIPA. Cependant, cela engendrera nécessairement des coûts supplémentaires.

Sur tous les bancs, chacun est conscient de la situation de nos finances publiques. Après avoir lancé la réforme, vous la poursuivez de façon ambitieuse. Mais il faudra, dans le cadre du prochain budget, prendre des mesures d’une autre nature. C’est la raison pour laquelle je m’associe à ce qui a été dit sur le plafonnement des niches ou sur la nécessité de réduire de 1,6 à 1,4 SMIC les exonérations de charges sociales sur les bas salaires. Enfin, je suis convaincu qu’il faudra prendre des mesures beaucoup plus ambitieuses pour ce qui concerne le contrôle du périmètre de l’État. Comme l’a longuement exposé ce matin notre collègue Michel Bouvard, les opérateurs restent complètement exonérés des règles de maîtrise de la dépense auxquelles s’astreint l’État. Si on n’a pas le courage d’aller plus loin en ce domaine, ce sera le deuxième budget de la législature sans réduction du déficit. Tant par conviction personnelle qu’au regard de nos engagements européens, je trouverais cela tout à fait dommageable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Dominique Orliac – Ce débat d'orientation budgétaire donne à la représentation nationale l'occasion de dresser les perspectives de notre politique budgétaire pour les années à venir et de préciser l'état de nos finances publiques, ce qui revient à mesurer toute l'ampleur de ce qu'il convient d'appeler une faillite. Un an après les premières mesures économiques et financières du Gouvernement – lesquelles ne rompaient en rien avec la politique des gouvernements Raffarin et Villepin, les craintes que nous n'avons cessé de vous adresser se sont confirmées : vos mesures ont eu un coût indéniable pour le pouvoir d'achat des Français et pour la justice sociale, mais aussi un coût budgétaire que les derniers chiffres ne font hélas que confirmer.

Le déficit de l'État dépasse les 50 milliards d'euros et l'aggravation du trou budgétaire est patente sur les deux dernières années, puisque, fin mai 2006, ce même déficit s'élevait à 42,5 milliards. Aujourd'hui, toute perspective d'un déficit durablement stabilisé autour de 40 à 50 milliards semble donc devoir être écartée. Et que dire d'un retour à l'équilibre en 2012, comme le promet encore le Premier ministre ? C'est tout simplement impossible ! Rien que pour tenir nos engagements européens, nous devrions réaliser plus de 65 milliards d'économies entre 2009 et 2011, comme l’a précisé le sénateur UMP, rapporteur général du budget, Philippe Marini.

Ajoutez à cela qu'il devrait y avoir entre 3 et 5 milliards de moins-values de recettes fiscales cette année, comme vous l’avez-vous même indiqué Monsieur le ministre, cependant que la charge de la dette devrait augmenter d’environ 2,5 milliards. La dette représente aujourd'hui près de 64 % du PIB, soit 47 000 euros par actif occupé : c’est un record !

Quant à la situation pour 2009, elle ne s'annonce guère meilleure, pour ne pas dire pire : si vos prévisions d'une inflation à 2 % se vérifiaient, cela n'empêcherait pas d'alourdir les dépenses sociales de plus de 3 milliards. Or, la trajectoire actuelle des finances publiques nous conduit tout droit vers un déficit public de 3 % en 2008 et, au mieux, d'autant en 2009. Les prévisions d'un déficit public compris entre 2 et 2,5 % ne sont plus crédibles. Au reste, la Commission européenne n'a pas manqué de vous adresser un avertissement, pour vous alerter sur le fait que le déficit public allait dépasser le seuil autorisé de 3 % du PIB dès l’année prochaine.

Au final, la Cour des comptes évalue le solde budgétaire à 44 milliards, auxquels s’ajoutent les dépenses qui auraient dû être payées en 2007 et qui, souvent en raison de l'insuffisance des crédits ouverts, se sont retrouvées tout simplement reportées sur l'exercice suivant, pour un montant d'au moins 5,5 milliards. Autrement dit, le déficit de l'État s'est creusé de près d'un cinquième d'une année sur l'autre.

On est loin des grandes annonces et des belles formules contenues dans le projet de loi de règlement pour 2007, où l’on parle de « vertu », de « performance », de « maîtrise », de « chaînage vertueux » ! En matière budgétaire plus encore que dans tout autre domaine, la rhétorique ne peut suffire à cacher la réalité implacable des chiffres. Dans ces conditions, Monsieur le Ministre, comment vous sera-t-il possible de ramener le déficit public à 2 % comme vous l’annoncez, tout en finançant certaines des priorités fixées par le Gouvernement, comme l'enseignement supérieur ou la justice ?

Mme Chantal Robin-Rodrigo – C’est impossible !

Mme Dominique Orliac – Où trouver les sommes manquantes ? La suppression de 32 000 postes de fonctionnaires n'y suffira évidemment pas puisque cela ne rapportera pas plus de 400 millions.

C’est donc l'ensemble de votre architecture budgétaire qu'il faut revoir. C'est d'ailleurs à une autre politique qu'aspirent les Français, d'abord fondée sur la transparence et la sincérité budgétaires et qui s'inscrive dans le long terme ; certainement pas une politique à courte vue et au coup par coup, dont les deux piliers seraient l'attente du retour providentiel de la croissance mondiale et le choc psychologique ! Loin de promouvoir la France qui se lève tôt, la politique du Président de la République favorise la France des riches, celles des premiers bénéficiaires des niches fiscales. Notre pays se situe à contre-courant de la politique rigoureuse de la plupart de nos voisins européens et accroît le poids de la dette au mépris de nos engagements.

Dans ces conditions, nous nous dirigeons encore un peu plus vers une aggravation abyssale de nos déficits, laquelle est synonyme de creusement préoccupant des inégalités. Sauf à espérer le retour miraculeux de la croissance à court terme, de quelles marges de manœuvre disposez-vous ? Allez-vous construire le projet de loi de finances pour 2009 sur la base d'hypothèses sincères et réalistes ? Allez-vous tenir compte de l’avis des conjoncturistes les plus optimistes, qui ne prévoient pas, pour 2009, une croissance au-delà de 1,4 % ? Enfin, pourquoi refuser de réduire – ou même de supprimer – certaines niches fiscales et sociales pour mieux protéger des recettes publiques désormais bien fragiles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. le Président – La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Jean-Pierre Brard – La voix du seigneur !

M. Frédéric Lefebvre – M. le marquis est en forme.

Notre majorité a été élue pour réformer, afin de soutenir la croissance et de rendre du pouvoir d’achat aux Français (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Le débat d’orientation des finances publiques que nous lançons aujourd’hui doit prendre en compte cette exigence. Pour rester crédibles, il faut poursuivre l’effort d’assainissement de nos finances publiques, de manière à retrouver des marges de manœuvre. Dans ce domaine, il n’y a pas de fatalité.

M. Jean-Pierre Brard – Quel intégriste ! C’est Mgr Lefebvre ! (Rires)

M. Frédéric Lefebvre – M. le marquis est en forme, décidément. Nos voisins européens y sont parvenus et la crise doit être un accélérateur de réforme – car si la rigueur est une mauvaise réponse, la réforme est la seule bonne réponse…

Mme Chantal Robin-Rodrigo – La réforme pour qui ?

M. Frédéric Lefebvre – Trop de gouvernements se sont succédé sans faire les réformes nécessaires. La révision générale des politiques publiques, voulue par le Président de la République et que vous conduisez personnellement, Monsieur le ministre, cela marche ! Et le courage, ça marche aussi. La carte judiciaire, la carte militaire, la carte sanitaire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) sont autant de réformes qu’il convient d’affronter de face, avec un peu de courage. Vous en avez manqué, il nous en faut pour rattraper le temps perdu (Même mouvement).

À l’UMP, nous voulons participer à ce mouvement de réforme. Cependant, nous vous demandons de reconnaître le pouvoir d’évaluation du Parlement. Comme l’a déjà déclaré le président Migaud, le moindre des droits du Parlement, c’est d’être destinataire des études d’impact et des évaluations réalisées par le Gouvernement. C’est bien le moins si nous voulons être efficaces et je sais bien, Monsieur le ministre, que vous partagez cet objectif.

Je vois beaucoup sourire à ma gauche, mais visiblement, certains oublient un peu vite la responsabilité des collectivités locales…

M. Henri Emmanuelli – Quelle modestie !

M. Frédéric Lefebvre – Au moment où le Gouvernement et sa majorité font des efforts importants pour serrer la ceinture de l’État…

M. Jean-Pierre Brard – Et surtout celle des Français !

M. Frédéric Lefebvre – …dans les régions, l’effort reste à accomplir.

M. Jean-Louis Gagnaire – Évidemment, avec les transferts de charges !

M. Frédéric Lefebvre – Comme pour la justice sociale – sujet sur lequel la gauche parle beaucoup mais n’a pas fait grand-chose (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), nous allons organiser une convention de l’UMP sur les collectivités locales (Exclamations sur les mêmes bancs). Vous y êtes du reste invités. Puisque vous n’arrivez pas à débattre de ces sujets dans vos familles politiques respectives, venez le faire avec nous !

M. Henri Emmanuelli – Avec des intellectuels comme vous ? Nous craignons de ne pas en avoir les moyens ! (Rires)

M. Frédéric Lefebvre – Je tiens à rappeler une vérité historique. Le taux de prélèvements obligatoires a atteint son sommet en 1999, avec 44,9 %. Pour autant, je ne dédouane pas la majorité car ce taux a été systématiquement supérieur en France à la moyenne de l’UE, à quinze puis à vingt-sept, comme à celle de l’ensemble des pays de l’OCDE.

Vous avez beaucoup critiqué ce que vous avez appelé le paquet fiscal. S’il n’avait pas été mis en place, avec les heures supplémentaires et la déduction des intérêts d’emprunt, j’imagine quel serait aujourd’hui l’état du pays. La loi TEPA a constitué un amortisseur de crise…

Mme Chantal Robin-Rodrigo – Et le scandaleux bouclier fiscal ?

M. Frédéric Lefebvre – Le bouclier fiscal bénéficie pour 74 % à ceux qui présentent un revenu fiscal de référence inférieur à 3 753 euros, soit 312 euros par mois. Est-on riche avec 312 euros par mois ? Ceux qui se lèvent tôt et n’arrivent pas à payer la taxe foncière, les considérez-vous comme des riches ? Le parti socialiste n’a toujours pas reconnu publiquement son erreur et M. Montebourg continue d’expliquer que les milliers de contribuables qui reçoivent des chèques du Trésor public sont riches !

Mme Chantal Robin-Rodrigo – N’importe quoi !

M. Frédéric Lefebvre – La seule voie pour notre pays, c’est de poursuivre les réformes sous l’angle de la justice sociale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Nous avons augmenté massivement la PPE – un milliard de plus en 2007, soit 9 millions de salariés modestes qui disposent ainsi d’un treizième mois : vous en aviez rêvé, nous l’avons fait ! Et nous allons la redéployer pour mieux la distribuer.

Mme Catherine Lemorton – Et les franchises médicales ?

M. Frédéric Lefebvre – De la même façon, nous allons mettre en œuvre le RSA : là encore, vous avez beaucoup parlé mais jamais agi. Je propose aussi de mettre en place le dividende salarial. À la SNCF, le grand président qu’est Guillaume Pépy, qui n’est pas connu pour partager toutes mes idées, l’a instauré. Nous serons intransigeants pour revaloriser les petites retraites, et les bourses étudiantes seront augmentées.

Pour faire des économies, il faut – après que beaucoup s’y sont essayé – parvenir à mettre en place un plafond global des niches fiscales. Cela permettrait d’économiser entre 800 millions et un milliard d’euros, et bien entendu d’aller dans le sens de l’équité. L’UMP, le Nouveau Centre et beaucoup de parlementaires, sur tous les bancs, attendent du Gouvernement qu’il s’engage dans cette voie.

Un budget de justice sociale, qui fasse dépenser moins, mais mieux : voilà ce que nous souhaitons pour 2009 (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Balligand – Le 28 juin dernier, Alain Lambert, sénateur UMP, déclarait ceci : « Monsieur le Président de la République, je lis, dans le Figaro de ce jour, que vous redoutez que les collectivités locales soient la cause du retard pris par la France dans sa modernisation et le redressement de ses comptes publics. Respectueusement, je voudrais vous mettre en garde sur ce qui constitue, selon moi, une vraie erreur de diagnostic ».

M. Jean Glavany – Voilà un homme honnête !

M. Jean-Pierre Balligand – Cette déclaration illustre bien la politique du Gouvernement à l'égard des collectivités locales : il en fait des boucs émissaires, et il leur fait les poches ! Il a engagé contre elles la plus grande offensive jamais menée. Voyez le rapport préparatoire remis par le Gouvernement. Censé énoncer des orientations pour l'ensemble des finances publiques, il est particulièrement succinct sur les finances locales, au point qu'on peut le résumer ainsi : les collectivités affichent des dépenses qui croissent à un rythme très élevé depuis trente ans, en raison du dynamisme de leurs ressources, qui sont largement financées par l'État ; elles doivent donc sérieusement freiner leurs dépenses, ce qui permettra à l'État de faire des économies.

Or, le principe de libre administration des collectivités locales, posé par l'article 72 de notre Constitution, et auquel on n’avait jamais autant porté atteinte, signifie entre autres que le Gouvernement n'a pas à fixer le rythme des dépenses des collectivités locales, lequel découle des décisions prises par des conseils élus. Si l'UMP veut réduire ou ralentir les dépenses locales, elle doit gagner les élections locales ! Il n'y a aucune raison de demander aux collectivités de participer à la limitation des dépenses publiques, à partir du moment où elles prennent leur juste part de la maîtrise des déficits et de la dette – comme elles le font actuellement, puisque fin 2007, leur dette représentait 7,2 % du PIB, contre 49,2 % pour celle de l'État.

Le Gouvernement remet néanmoins en cause leur capacité à limiter les déficits publics, puisqu'il attaque simultanément leurs deux principales catégories de ressources – les dotations et la fiscalité locale. Ainsi, lors de la dernière Conférence nationale des exécutifs, il a annoncé que les concours financiers de l'État aux collectivités évolueraient désormais au rythme de l'inflation. En outre, il a l'audace d'intégrer, dans l’enveloppe normée, le FCTVA, qui permet le remboursement aux collectivités de la TVA sur leurs investissements ; ainsi, plus les collectivités investiront, et plus les concours financiers qu'elles percevront en dehors du FCTVA seront diminués. Quand on se souvient que pour justifier la loi sur les partenariats public-privé, le Gouvernement avait mis en avant la nécessité de développer l'investissement public, on ne peut qu'être frappé par le cynisme de cette décision, qui lui permettra de récupérer 660 millions en 2009, et plus encore après la réforme du FCTVA prévue en 2010.

Concernant la fiscalité locale, la presse s'est déjà faite l'écho de scenarii envisagés par le Gouvernement, comme une baisse du plafonnement de la taxe professionnelle – lequel a déjà coûté 640 millions aux collectivités en 2007 –, mais l'exécutif a pour le moment refusé d'indiquer clairement ses intentions.

Il faut donner une véritable autonomie fiscale aux collectivités locales, afin qu'elles disposent des moyens d'assumer les responsabilités qui leur ont été confiées par les Français. Cela implique de mettre fin au système des dégrèvements qui conduit l'État à financer plus d'un quart du produit des « quatre vieilles », et de doter les collectivités locales d’impositions modernes.

C'est pourquoi nous, députés socialistes, avons fait le choix de nous inscrire, aux côtés des associations d'élus, dans les orientations du rapport du Conseil économique et social rédigé par Philippe Valletoux. Nous proposons, premièrement, une réforme globale de la fiscalité locale ; deuxièmement, une réforme à prélèvement global – État et collectivités – constant ; troisièmement, l'existence d'un seul pouvoir fiscal local pour chaque impôt…

M. Gilles Carrez, rapporteur général – Très bien !

M. Jean-Pierre Balligand – Quatrièmement, la mise en place, pour chaque niveau de collectivité, d'un « panier » d'impôts reposant sur les ménages et les entreprises ; cinquièmement, le maintien de la répartition actuelle des prélèvements entre les ménages d'une part et les entreprises d'autre part. Il serait intéressant, Monsieur le ministre, que vous nous disiez si ces orientations sont aussi les vôtres ; les Français doivent notamment savoir si vous envisagez d'augmenter la fiscalité des ménages pour diminuer celle des entreprises.

J'espère que vous serez en mesure de me rassurer, mais je n'en suis pas certain car une telle réforme nécessite que le Gouvernement rompe avec l'attitude qui a été jusqu'à présent la sienne, consistant à attaquer la légitimité des collectivités locales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Bruno Le Maire – Nous n’avons pas aujourd'hui un simple débat technique : nous discutons d’un problème politique. Depuis des années, toutes majorités confondues, l'état des finances publiques a été au mieux médiocre, au pire préoccupant. Alors que tous les gouvernements européens se sont acquittés de leurs obligations et ont réduit leur dette publique, nous nous sommes accommodés d'une situation qui rend chaque année plus douloureux le retour à l'équilibre.

Nous voici une nouvelle fois à la croisée des chemins : soit nous engageons résolument une politique de désendettement qui ne donnera des résultats que progressivement, soit nous estimons que la conjoncture économique est incompatible avec un effort supplémentaire sur les finances publiques et qu'il vaut mieux laisser filer le déficit, ou les contenir tant bien que mal. Pour ma part, j'estime que nous n'avons pas le choix. Le désendettement de la France n'est pas une obligation budgétaire. C'est une condition du maintien de sa puissance, de la relance de son économie et du retour de la confiance des Français.

Et c'est aussi le bon sens. Regardons notre évolution démographique : la population de notre pays, comme celle de tous les pays développés, vieillit rapidement, et l’augmentation du nombre de personnes atteignant 60 ans dans l'année va représenter une charge supplémentaire de 2,75 milliards cette année et de 3 milliards en 2010. Regardons la conjoncture économique : le retour d'une inflation, même limitée, aura un fort impact négatif sur les finances publiques. D'une part, l’inflation par les coûts, liée à la hausse du prix du pétrole, réduit les recettes fiscales de l'État et alourdit les dépenses sociales ; d'autre part l'augmentation des taux d'intérêt accroît mécaniquement la charge de la dette. Regardons, enfin, la situation de nos principaux partenaires européens, qui ont consenti les efforts de redressement nécessaires : en Allemagne, le déficit structurel est revenu de 2,4 % du PIB à 0,3 % en 2007, tandis qu’il restait stable en France, aux environs de 2,9 % de PIB.

Dans ce contexte, l'assainissement de nos finances publiques, qui était hier une possibilité, est aujourd'hui un devoir. Je me réjouis que M. le ministre Woerth et l'ensemble du Gouvernement se soient engagés résolument dans cette voie. Il est essentiel d'avancer dans trois directions.

Sur le plan politique, il s’agit de faire comprendre aux Français que notre pays se trouve aujourd'hui dans une situation singulière en Europe, que son endettement est un fardeau qui pèse sur l'économie réelle, et que le creusement des déficits n’est dans l'intérêt de personne. Il s'agit aussi de les convaincre que le retour à l’équilibre est possible et qu'il peut se faire en respectant la justice sociale.

S’agissant de l'organisation même de la réforme, la programmation pluriannuelle est un premier outil utile, la RGPP en est un autre, et un objectif d'équilibre fixé dans la Constitution en sera un troisième si la révision constitutionnelle est adoptée la semaine prochaine – ce dont je ne doute pas (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Il ne faut cependant pas surévaluer l'efficacité de ces outils. Ainsi, il est naturellement indispensable de réduire les dépenses de fonctionnement de l'État ; mais il ne faut pas oublier qu'elles ne représentent que 35 % de la dépense publique, contre 53 % pour les prestations sociales et les autres transferts.

Il faut donc – et c’est la troisième direction – réformer l'organisation de l’État, réorganiser le financement des collectivités locales pour gagner en simplicité et en lisibilité, réfléchir à une nouvelle donne en matière de dépenses sociales. C'est en nous attaquant à ces enjeux majeurs que nous sortirons enfin la France de la situation budgétaire dans laquelle elle se trouve : les petits pas ne peuvent suffire, il ne faut pas avoir peur d'avancer à grandes enjambées par des réformes structurelles ; c’est une condition de notre efficacité économique, c’est aussi une condition de l’égalité entre les hommes et entre les territoires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Paul – L’état de nos comptes publics suscite l’inquiétude sur l’ensemble de ces bancs.

M. Jean-Pierre Brard – Et dans tous les départements, même la Nièvre !

M. Christian Paul – Les fautes de gestion s’accumulent – ainsi la loi TEPA. Les millions d’euros gaspillés dans d’absurdes campagnes de propagande ne suffiront pas à polir votre image. Les Français s’inquiètent de voir leur protection sociale s’effriter. Peut-être les députés du groupe UMP, ayant enfin rencontré leurs concitoyens à l’occasion de la fête nationale, auront-ils entendu leur légitime colère ?

Je m’en tiendrai aujourd’hui à exercer notre devoir d’alerte au sujet de l’assurance maladie. Vous envisagez de ramener le déficit de 4,6 à 2 milliards, pour atteindre l’équilibre en 2011 – ce même équilibre que M. Bertrand promettait déjà en son temps, et M. Douste-Blazy avant lui.

M. Jean Glavany – L’ONU aura su reconnaître son talent !

M. Christian Paul – Hélas, au mépris de toute justice sociale, vous préférez les mesures d’économie aux financements nouveaux. Après les franchises médicales, vous menacez la prise en charge intégrale d’affections de longue durée telles que le diabète, le cancer ou le sida. Scandale ! Vous auriez reculé, dit-on : tant mieux, mais pour combien de temps ? La ministre de la santé surenchérit cependant : plus d’économies, clame-t-elle ! Elle est pourtant bien placée pour savoir que le coût de la santé est appelé à augmenter. Si dépenser mieux est possible, dépenser moins est illusoire !

Plus préoccupante encore est votre panne de créativité face au besoin de nouveaux financements. Ainsi, le prélèvement sur les stock-options que nous proposons par souci d’équité et comme pour tout autre revenu, vous tétanise. Les niches sociales existent, tout comme les niches fiscales. Qu’il s’agisse de stock-options ou de parachutes dorés, vous devez prendre vos responsabilités. Sinon, comment pourrez-vous demander au plus grand nombre des salariés de consentir davantage d’efforts ?

Croyez-vous par exemple que les Français préfèrent des déremboursements massifs à une modification de la CSG ? Non !

M. Michel Bouvard – La hausse de la CSG : telle est donc votre seule proposition ?

M. Christian Paul – L’exemple doit venir du sommet de la pyramide – celle des revenus, s’entend. Quoi qu’il en soit, un débat démocratique sur nos préférences collectives doit avoir lieu, non pas au fil de l’eau comme aujourd’hui, mais avec 2020 comme ligne de mire.

Autre motif d’inquiétude : le pilotage de la politique de santé, erratique, diffère les évolutions radicales et nécessaires telles que la mutation des modes de rémunération des professionnels – à condition d’avoir le courage de lutter contre les dépassements d’honoraires. Au contraire, vous empruntez de fausses pistes : des revalorisations incohérentes qui négligent les généralistes ou, pire encore, la culpabilisation des malades. Il faut certes responsabiliser les malades, mais les prendre en otages de la sorte est contraire aux principes de notre République.

D’autre part, vous substituez peu à peu les dépenses individuelles aux dépenses socialisées, en transférant ce que la sécurité sociale ne rembourse plus aux mutuelles et aux assurances complémentaires. Le calcul est cynique : leurs hausses de tarifs sont moins visibles que celles des prélèvements obligatoires. Sont-elles pour autant plus justes, plus solidaires ? Au contraire : non seulement vous imposez aux ménages une contribution accrue, mais vous diminuez l’effort de solidarité au détriment des familles les plus modestes.

Cette démission de la sécurité sociale s’étend aux soins dentaires ou optiques, souvent inabordables pour les retraités, les chômeurs et même de nombreux salariés, qui achètent leurs lunettes ou leurs couronnes grâce à l’entraide familiale au-delà de la maigre prise en charge sociale.

Au fil de vos discours, une seule idée vous obsède : la protection sociale coûte trop cher. Ira-t-on jusqu’à la privatiser ? La politique que vous menez depuis six ans nous incite à le craindre. Alors, soyez sûrs que vous nous trouverez avec des millions de Français en travers de la route ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Pierre Morange – La programmation pluriannuelle de nos finances publiques est destinée à restaurer l’équilibre d’ici 2012 tout en préservant la qualité du service public et de notre protection sociale. Chacun connaît l’ampleur de la dette et du déficit, dans un contexte mondial marqué par l’inflation, le renchérissement des matières premières, les délocalisations, une récession rampante, le risque d’effondrement financier et le vieillissement de la population.

M. Jean Glavany – Quel tableau !

M. Pierre Morange – Le Gouvernement s’est fixé un objectif vertueux : le retour à l’équilibre. Pour l’atteindre, les efforts doivent être partagés, en matière de recettes autant que de dépenses.

S’agissant des recettes, les taux et les assiettes de prélèvement dans la fonction publique doivent correspondre à ceux du régime général – sans oublier les prélèvements sur les stock-options et les indemnités de licenciement.

En ce qui concerne la dette, le transfert à la CADES de 34 milliards issus des déficits cumulés de l’ACOSS et du FFIPSA sans modification de la CRDS impose de transférer une fraction suffisante de la CSG au FSV, désormais excédentaire, conformément à la loi organique de 2005 relative à l’affectation des recettes.

J’en viens aux dépenses de l’assurance vieillesse. Le taux d’emploi des seniors, très insuffisant, mais aussi la date de départ à la retraite et la liquidation des pensions sont les trois outils essentiels à la mise en place d’un système de flexicurité des parcours professionnels.

En matière de santé comme ailleurs, les déficits doivent être comblés. La future loi « patient-santé-territoires » y contribuera à moyen terme. À court terme, le transfert de quelques points de l’assurance maladie vers les assurances complémentaires associé à une hausse de la prise en charge des soins dentaires et optiques – pour lesquels le reste à charge demeure élevé, alors même que la prise en charge globale atteint 77 % par ailleurs – serait une mesure judicieuse et respectueuse de la justice sociale.

Que ceux qui s’inquiètent d’une augmentation des primes d’assurance complémentaire se rassurent : la Cour des comptes a récemment rappelé que leurs coûts de gestion étaient quatre à cinq fois supérieurs à ceux de l’assurance maladie obligatoire, et leurs fonds propres sont élevés.

Compte tenu de la complexité de notre système de soins, toute réforme exigera du temps, de la patience et de la méthode. Pour accomplir le nécessaire décloisonnement des structures de soins, ainsi que leur rationalisation, la maîtrise de l’information doit s’articuler autour du dossier médical personnel, qui fera bientôt l’objet d’un projet de loi. Sans attendre cet avenir radieux, le projet de loi de finances pour 2009 pourrait comprendre plusieurs mesures simples.

M. Jean Glavany – Nous attendons votre ordonnance !

M. Pierre Morange – La voici : les huit millions de patients souffrant d’une affection de longue durée, à l’origine de 70 % des dépenses de l’assurance maladie, pourraient disposer d’une clef USB à reconnaissance biométrique – à raison de dix euros l’unité environ. Ensuite, il convient de généraliser le « web médecin », le dossier pharmaceutique et les logiciels d’aide à la prescription, notamment à l’hôpital. D’autre part, la responsabilité de la gestion du risque doit échoir à l’assurance maladie dans tous les établissements de soins, grâce à l’identification informatique du prescripteur. Enfin, les dispositions que j’ai proposées lors du PLFSS de 2007 visant à croiser les données d’un NIR devenu commun avec celles du fisc contribueront à lutter contre la fraude…

M. Jean-Pierre Brard – Dans les cliniques, par exemple !

M. Pierre Morange – …pourvu qu’elles soient mises en œuvres au plus vite et dotées de moyens adéquats.

Ces mesures pourront nous aider à transmettre aux générations futures et sans handicap notre système de protection sanitaire et sociale, qui est au cœur du pacte républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Le débat est clos.

M. Éric Woerth, ministre du budget La maîtrise de la dépense est le fondement de notre politique budgétaire. Nombreux sont ceux qui se réjouissent de l’adoption d’une programmation pluriannuelle, malgré sa complexité. Elle constituera en effet un outil formidable pour la mise en perspective de nos finances publiques, notamment en matière de dépense sociale.

Que ceux qui craignent que cette stratégie de maîtrise de la dépense ne conduise à terme à sa diminution se détrompent : loin de baisser, la dépense de l’assurance maladie est appelée à augmenter plus vite que la richesse nationale. Il nous faudra y faire face avec lucidité. D’autre part, la révision générale des politiques publiques – un travail sans précédent à ce niveau de l’État – nous permettra de suivre pas à pas la programmation pluriannuelle.

Pour autant, le Gouvernement financera ses actions prioritaires. Si le RSA n’est pas à l’ordre du jour de ce débat, c’est parce que ses modalités de financement ne sont pas encore fixées. Nous débattons aujourd’hui d’orientations : il n’est pas encore temps d’entrer dans les détails. La décision de principe a été prise par le Président de la République et le Premier ministre, mais les modalités n’ont pas été arrêtées ; le Parlement n’a pas encore été saisi.

Le Grenelle de l’environnement, quant à lui, est évidemment présent dans l’ensemble des missions proposées ; il le sera aussi dans la dépense fiscale, dont une partie peut être réorientée.

Le sujet des opérateurs de l’État est cher à Michel Bouvard, et il a raison. Je confirme que le projet de loi de finances inclura un plafond d’emplois pour les opérateurs, et que leurs effectifs diminueront.

Nombre d’orateurs ont, avec des approches fort différentes les unes des autres, abordé le sujet des collectivités locales. Celles-ci ne peuvent évidemment pas rester à l’écart de l’effort ; il ne faut voir là, je le redis, aucune stigmatisation. Les rapports entre l’État et les collectivités locales doivent être simplifiés ; nous pouvons, sans polémique, progresser sur la question de la fiscalité et clarifier le partage des charges et des compétences. Revenons à la réalité des chiffres : je remarque que la progression des charges des collectivités locales est forte, mais que les dépenses progressent beaucoup même quand il n’y a pas eu de transfert de compétences. Lorsqu’il y a transfert, je mesure évidemment les dépenses à périmètre constant : le transfert des TOS provoque bien sûr une augmentation des effectifs. Mais lorsqu’il n’y a pas transfert, les montants et les personnels augmentent plus vite que ce que permettrait une meilleure coordination entre l’État et les collectivités locales. Les responsables de celles-ci sont évidemment indépendants ; nous sommes, quant à nous, jugés sur les résultats financiers dans leur ensemble : il faut donc mieux communiquer entre nous, et la Conférence nationale des exécutifs représente de ce point de vue un important progrès. Beaucoup reste naturellement à accomplir, notamment en termes de fiscalité locale.

Je crois que le débat budgétaire devra éviter les polémiques inutiles : ce qui compte, c’est de progresser dans la voie de l’équilibre des finances publiques. Les collectivités locales, à leur place, et selon leurs moyens qui sont bien inférieurs à ceux de l’État, se doivent de participer à ce débat et à cet effort.

La préservation des recettes est évidemment un point important. Nous aurons l’occasion de revenir sur les dépenses fiscales et sociales. S’agissant du plafonnement global, je suis favorable à ce qu’on ne ferme pas toutes les portes…

M. Frédéric Lefebvre – Très bien !

M. Éric Woerth, ministre du budget …et un plafonnement niche par niche n’est pas l’unique solution ; il faut garder en tête le principe que nul ne peut s’exonérer de l’impôt du fait de l’existence de niches fiscales, mais il faut tout envisager, de la façon la plus pragmatique et la plus objective possible. J’ajoute que la loi de programmation contiendra évidemment une prévision de recettes, non seulement pour 2009, mais jusqu’en 2012.

S’agissant de la pertinence de notre politique économique face à la conjoncture, l’opposition s’est exprimée de façon – comment dire ? – peu objective (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Notre politique est en tout cas clairement en rupture, car elle vise à maîtriser les dépenses (Mêmes mouvements).

M. Jean-Pierre Brard – C’est la couche de beurre qui est trop épaisse !

M. Éric Woerth, ministre du budget La crise nous oblige aussi à trouver des ressorts internes : la loi de modernisation de l’économie ou la loi sur le marché du travail sont notre réponse à la dégradation de la situation économique globale. Le paquet fiscal n’est pas inéquitable : je tiens à le redire, il touche à 85 % des personnes modestes. Quant au bouclier fiscal, c’est une bonne politique, fondée sur une forme de moralité de l’impôt

M. Jean Glavany – Ben voyons !

M. Éric Woerth, ministre du budget Nous aurons du mal à nous mettre d’accord sur ce point !

M. Jean-Pierre Brard – Carottier !

M. Éric Woerth, ministre du budget Nos hypothèses, Madame Orliac, sont discutables, comme toutes les hypothèses, mais elles sont sincères et réalistes – nous nous en expliquerons à nouveau à l’automne.

S’agissant du Fonds de réserve des retraites, nous souhaitons protéger tant ses actifs que ses recettes, même si nous avons pour notre part choisi une autre manière de financer la dette sociale.

S’agissant enfin des finances sociales, sachons regarder les choses de la façon la plus responsable possible : elles vont mieux (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Jean Glavany – Elles vont moins mal !

Mme Catherine Lemorton – Mais à quel prix !

M. Éric Woerth, ministre du budget De 10 ou 11 milliards d’euros de déficit il y a quelques années, nous sommes passés à environ 4 milliards : nous ne sommes pas encore à l’équilibre, mais le déficit a été divisé par deux.

Nous pouvons revenir à l’équilibre des finances sociales, et notamment de l’assurance maladie, dans les deux ou trois ans à venir : il faut seulement bien partager les charges, car aucun acteur du système de santé ne détient seul la vérité. L’assurance maladie représente 77 % de l’ensemble de la dépense ; et si on ne fait rien, ce sont environ 600 millions d’euros chaque année qui, compte tenu notamment du mécanisme des affections de longue durée, sont transférés des assurances complémentaires vers l’assurance maladie. Nous devons, pour conserver le système, regarder précisément ce qu’il en est. Afin de soigner de mieux en mieux, afin que tous les malades aient accès aux meilleurs traitements – qui peuvent coûter jusqu’à 100 000 euros par an – il faut mieux réguler les dépenses. Avec Mme Bachelot, nous traiterons ce sujet en respectant à la fois la justice et l’égalité, sans céder à une fausse compassion. J’appelle de mes vœux un débat serein, responsable et sincère lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Le Maire l’a dit, nous sommes à la croisée des chemins. Nous avons choisi le nôtre, celui de l’équilibre des finances publiques : nous ne renoncerons à rien, ni à la réduction de la dépense publique, ni à la réforme, ni à la construction d’un budget qui traduira la réalité de nos finances publiques. J’ai lu dans un journal du soir que le Gouvernement était en position défensive ; il n’en est rien. Nous sommes à l’offensive pour limiter les dépenses et pour changer notre approche budgétaire – car on ne peut plus lire les budgets d’un pays comme le nôtre avec les mêmes lunettes qu’il y a cinq, six ou dix ans. L’équilibre de nos finances publiques et les marges de manœuvre de notre pays sont à ce prix ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 16 h 25, est reprise à 16 h 30, sous la présidence de M. Bernard Accoyer.

PRÉSIDENCE de M. Bernard ACCOYER

DROIT D’ACCUEIL DANS LES ÉCOLES

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques pendant le temps scolaire obligatoire.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Chaque fois que la société française a réclamé plus de liberté, plus de justice, plus de progrès social, elle a trouvé dans l’école de la République sa plus sûre alliée. Lorsqu’elle conquit le suffrage universel, c’est à l’école qu’elle demanda de forger une citoyenneté nouvelle. Quand elle reconnut le rôle des femmes, c’est à l’école que s’imposa la mixité. Quand elle voulut donner à chacun les mêmes chances d’accéder à l’enseignement supérieur, c’est à l’école qu’elle demanda de se réformer pour y parvenir. L’école a appris à enseigner le respect de toutes les formes d’expression reconnues dans l’espace démocratique. C’est le cas du droit de grève, que peuvent exercer librement les enseignants, dans le respect des modalités fixées par la loi.

Pour autant, l’institution scolaire peine à justifier le fait que, tout en incarnant le progrès social pour les familles les plus modestes, elle puisse pénaliser celles-ci en les exposant de façon imprévisible à l’obligation d’assurer elles-mêmes la garde de leurs enfants, lorsque les enseignements sont suspendus du fait d’un préavis de grève. Au moment où l’État et les partenaires sociaux s’efforcent de moderniser le dialogue social en évitant de faire porter le poids des conflits sociaux sur les usagers, l’école doit, une nouvelle fois, se trouver aux avant-postes de ce progrès, en définissant un droit à l’accueil des enfants durant le temps scolaire habituel. Tel est le sens de la volonté exprimée par le Président de la République, qui a souhaité inscrire ce nouveau droit dans la loi votée en première lecture au Sénat le 26 juin et que j’ai l’honneur de vous présenter.

M. Jean-Pierre Brard – Il n’y a pas de quoi s’en vanter !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Le projet de loi garantit à tout enfant scolarisé dans une école maternelle ou élémentaire publique de pouvoir y être accueilli pendant le temps scolaire obligatoire. En temps ordinaire, ce droit relève de la responsabilité de l’État, qui doit veiller à ce que les enseignants absents soient remplacés, en dehors des cas où ces absences résultent d’un préavis de grève. J’ai décidé de réformer en profondeur la politique du remplacement et de créer à cet effet une agence nationale du remplacement, qui dépendra directement du ministère…

M. Patrick Roy – C’est ce qui nous inquiète !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – … et n’aura aucun caractère privé. Elle sera chargée d’optimiser constamment l’utilisation des outils de remplacement afin de limiter au maximum les conséquences d’une absence sur le bon fonctionnement de la scolarité. Il n’est pas normal que les 50 000 professeurs chargés du remplacement ne soient utilisés qu’à 80 % et qu’un professeur d’Avignon ne puisse effectuer un remplacement à Villeneuve-lès-Avignon, de l’autre côté du Rhône, cette commune dépendant d’une autre académie.

M. Régis Juanico – Que faites-vous depuis six ans ?

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Ne cherchez pas dans le présent projet – comme j’ai pu l’entendre – une manœuvre pour installer des animateurs à la place des professeurs absents (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Ce texte m'engage au contraire à réformer notre système de remplacement pour l'améliorer et garantir la continuité du service public de l'enseignement.

En cas de grève, les enseignements suspendus ne sauraient être remplacés, sauf à prendre des mesures contraires à un droit constitutionnel. Les élèves pourront cependant être accueillis durant le temps scolaire et leurs parents poursuivre ainsi normalement leur activité professionnelle.

Le texte initial prévoyait qu'en dessous de 10 % de grévistes, c'est l'État qui assure l'accueil des élèves ; sur proposition de son rapporteur, le Sénat a porté cette limite à 20 % par école. En cas de mouvement de grève plus important, le projet de loi confie la mise en œuvre de l’accueil aux communes, avec la participation financière de l'État.

M. Yves Durand – Est-ce une participation ou un remboursement ?

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Le projet ne porte pas atteinte à la libre administration des communes. La création d'une nouvelle compétence pour ces dernières, accompagnée de moyens financiers pour l'assurer, est conforme aux exigences constitutionnelles.

Cet accueil pourra être organisé par la commune sans contrainte. Le texte voté par le Sénat substitue la responsabilité administrative de l'État à celle de la commune dans tous les cas de dommages causés aux enfants liés à l'organisation ou au fonctionnement du service d'accueil. Je suis d'autant plus satisfait de cette évolution qu'elle apporte une réponse claire aux inquiétudes des élus locaux, et je tiens à remercier M. Lefebvre, à l'origine de cette avancée (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Manuel Valls – Il est de tous les mauvais coups !

M. Jean-Pierre Brard – La voix de son maître !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – J'ai souhaité également que les communes disposent de la plus grande souplesse, en particulier pour le choix du lieu d'accueil – qui pourra être l'école même, que celle-ci soit fermée ou bien partiellement ouverte. Dans ce dernier cas, ce sera dans les salles de classe : tel est le sens de l'article 7, car ce serait bien le comble que la commune, propriétaire des locaux scolaires, ne puisse utiliser ceux-ci pour assurer le service d'accueil.

M. Pierre Lellouche – Absolument !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Mais l'accueil peut également être organisé ailleurs, par exemple dans un centre de loisirs.

De la même manière, plusieurs communes pourront s'entendre pour organiser le service : le projet leur permet de confier à l'une d'entre elles ce soin. C'est une solution particulièrement adaptée en milieu rural, par exemple dans les cas de regroupements pédagogiques intercommunaux.

La souplesse prévaudra également dans le choix des intervenants. L’accueil pourra être assuré par les assistantes maternelles, par d'autres fonctionnaires municipaux, mais aussi par des associations gestionnaires de centres de loisirs ou des associations familiales, des mères de familles, voire des enseignants retraités ou des étudiants. L'amendement voté au Sénat créant un « vivier » d'intervenants permettra aux communes de préparer en amont l'organisation de ce service.

M. Patrick Roy – Nous voudrions un vivier de professeurs !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Le code de l'action sociale et des familles n'exige pas de qualification spécifique,… (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Mme Delphine Batho – Vous avouez !

M. Benoist Apparu – C’est déjà la loi !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – …et n'impose pas de normes d'encadrement tant que l'accueil ne dépasse pas quatorze jours. C'était d'ailleurs ce que demandait l'Association des maires de France, en 2006, lorsque la réglementation sur l'encadrement des mineurs a vu le jour.

Par ailleurs, la bonne organisation de ce nouveau service suppose, d'une part, que l'État et les représentants du personnel aient pris toutes leurs responsabilités pour prévenir le déclenchement de la grève, et, d'autre part, que l'État puisse transmettre aux communes, dans un délai raisonnable, le nombre d'enseignants ayant déclaré leur intention de se mettre en grève. C'est pourquoi le projet propose d'instaurer un dispositif d'alerte sociale, novateur dans la fonction publique, en créant une obligation de négociation pour l'État et les organisations syndicales représentatives, pendant une période ne pouvant excéder huit jours. Il s'agit d'anticiper le dépôt d'un préavis et de permettre l'émergence d'un vrai dialogue social, conduit dans la sérénité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Les modalités de cette procédure seront précisées par décret.

Pour que ce dialogue social soit un véritable instrument de prévention des conflits, il faut également que l'échange soit conduit au bon niveau, c'est-à-dire au niveau des autorités déconcentrées lorsque le sujet concerne l'échelon local, et au niveau des autorités nationales lorsque la question est d'ampleur nationale. C'est ce que prévoit le texte.

Le projet fait également obligation aux personnes ayant l'intention de participer à une grève d'en informer leur autorité administrative au plus tard 48 heures avant son déclenchement. Un amendement du Sénat précise que ce délai devra comprendre au moins un jour ouvré.

Il ne s'agit pas d'une mesure contre les syndicats ou le droit de grève… (Même mouvement)

M. Jean Glavany – Qui pourrait croire une chose pareille ?

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Ce délai est nécessaire à l’organisation de l'accueil par les communes, et je rappelle d'ailleurs que d'aucuns pensaient qu’il était trop bref. La procédure de déclaration à l'autorité administrative est tout aussi nécessaire. On ne peut en effet se contenter d'une information des familles, car l'accueil deviendrait difficile à organiser. Le projet précise les garanties propres à assurer la confidentialité des informations recueillies sur les personnes.

Il prévoit enfin le financement dont bénéficieront les communes pour l'exercice de cette nouvelle compétence. Je me suis engagé au Sénat à relever la prise en charge financière – qui sera inscrite dans le décret financier – de 90 à 110 euros par groupe de quinze élèves. Un amendement voté par le Sénat dispose en outre qu’un forfait minimal de 200 euros sera versé même si le nombre des élèves accueillis demeure très faible.

Soucieux de donner sa pleine portée à ce droit nouveau, je mène depuis plusieurs semaines un travail de fond avec les élus de toutes les sensibilités. J'ai rencontré à plusieurs reprises députés, sénateurs, maires – dont les maires d'arrondissement de l'opposition parisienne –, ainsi que de nombreuses associations d'élus comme l'Association des maires de France, l'Association des maires des grandes villes de France ou encore l'Association nationale des élus de montagne. Je veux souligner la qualité de ces discussions, ainsi que celle du travail des commissions de l'Assemblée nationale. Je tiens à remercier l'ensemble des députés qui y ont contribué, à commencer par M. de la Verpillière, rapporteur, et Mme Guégot, rapporteure pour avis. Par leurs propositions et leurs conseils, ils ont utilement complété le travail des sénateurs. Je remercie également M. Jean-François Lamour pour sa contribution.

Je veux saluer le courage et la détermination de ceux qui œuvrent depuis plusieurs mois à rendre possible l'émergence de ce texte. Je pense bien sûr aux pionniers tels que M. Marlin, à Étampes, …

M. Jean-Pierre Brard – Quelle référence !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – …comme à tous ceux qui ont expérimenté le service minimum d'accueil dans leur commune à l'occasion des grèves de janvier et de mai : Mme Guégot, à Mont Saint-Aignan, M. Heinrich à Épinal, M. Geoffroy à Combs-la-Ville, M. Mothron à Argenteuil, M. Dionis du Séjour à Agen, Mme Barèges à Montauban, M. Perrut à Villefranche-sur-Saône, M. Cornut-Gentille à Saint-Dizier, M. Herbillon à Maisons-Alfort…

Cette concertation a permis de clarifier un certain nombre de points, de dissiper nombre de malentendus, d'apporter des réponses concrètes aux interrogations des collectivités locales et, en allant au fond des choses, d’obtenir des avancées dont je ne peux que me féliciter.

Quoi qu’en disent les rumeurs, j’ai été attentif aux observations et aux propositions et je souhaite vous apporter d’ores et déjà des éclairages sur plusieurs points.

S’agissant du taux précis de grévistes à partir duquel il revient à la commune d'organiser l'accueil des élèves, nous avons beaucoup travaillé avec les deux rapporteurs et Jacques Pélissard, président de l'AMF. Leur préoccupation était de faire en sorte que dans une école comptant dix enseignants dont deux grévistes – ou cinq enseignants dont un gréviste –, il revienne toujours à l'État d’assurer l'accueil. L'amendement des rapporteurs propose donc que la commune organise l'accueil à partir d'un taux de grévistes strictement supérieur à 20 %, et non pas égal ou supérieur à 20 %.

S’agissant de la compensation financière versée par l'État aux communes, la discussion au Sénat a permis des avancées importantes : le forfait minimal sera de 200 euros et un forfait de 110 euros par groupe d’un à quinze élèves accueillis est prévu.

M. Christian Eckert – À l’euro près !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Pour autant, les rapporteurs ont souhaité aller plus loin en proposant un « filet de sécurité » qui garantisse aux communes une rémunération minimale dans l'hypothèse où le nombre d'élèves accueillis serait très inférieur à leurs prévisions. Cette rémunération sera fonction du nombre effectif d’enseignants grévistes. Mais c’est, en tout état de cause, le calcul le plus favorable à la commune qui sera retenu.

Pour des questions de recevabilité financière, j'ai repris au nom du Gouvernement cet amendement, mais je tiens à saluer le travail accompli avec l’Association des maires des grandes villes de France et son président, Michel Destot – tiens, vous ne réagissez pas ici !

En ce qui concerne la responsabilité pénale des maires, Jacques Pélissard et Frédéric Lefebvre ont proposé un amendement que je reprends également au nom du Gouvernement. Il vise à permettre à l’État de se substituer à la commune pour assurer la protection juridique du maire en cas de faits non intentionnels ayant causé dommage à un enfant, dans le cadre de sa mission d'organisation et de contrôle de l'accueil.

Yvan Lachaud et Jean-Philippe Maurer proposent que le dispositif soit étendu à l’enseignement privé sous contrat. Leurs amendements visent à confier aux organismes de gestion de l'enseignement privé le soin d'organiser l’accueil, ce qui permettra aux élèves scolarisés dans les écoles privées de bénéficier du même droit que leurs camarades du public.

Mme Delphine Batho – Et l’État paiera !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Ce service d'accueil sera assuré par les organismes gestionnaires et n'impliquera pas les communes. Là encore, pour des raisons de recevabilité, j'ai repris à mon compte l'amendement financier qui complète le dispositif.

Les rapporteurs ont souhaité qu'un effort soit fait pour informer suffisamment tôt les familles de la mise en place d'un service d'accueil. Soucieux d'assurer l’effectivité du droit que nous créons et l'efficacité du dispositif, je soutiendrai cet amendement.

Mme Guégot et M. de la Verpillière ont souhaité apporter des précisions sur le vivier. Ils proposent notamment que les personnes susceptibles de participer à l'accueil soient averties qu'un contrôle est systématiquement effectué sur le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et que la liste « vivier » soit transmise aux parents d'élèves élus au conseil d'école. Ces précisions sont souhaitables et je les appuierai donc.

M. Pierre Lellouche – Elles sont d’ordre réglementaire !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Ce texte, vous le voyez, a fait l'objet d'une concertation avec des élus de toutes les sensibilités politiques.

M. Jean Glavany – Une concertation avec Frédéric Lefebvre !

M. Patrick Roy – C’est bien pour cela que l’urgence a été déclarée !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Je suis convaincu que nous parviendrons à un texte équilibré, qui répondra autant aux attentes des familles qu’aux interrogations légitimes des collectivités locales (Rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

L'école n'est pas une icône immuable, étrangère aux tumultes de son temps, mais un symbole dépassant les oppositions de ceux qui l'animent et le lieu familier où des millions de Français ont rendez-vous chaque jour avec l'idéal républicain de promotion individuelle par l'étude, le travail et le mérite.

Rien ne saurait altérer la force de cet idéal – que partagent aussi les enseignants grévistes –, pas même les contraintes imposées aux collectivités locales, au demeurant assurées de bénéficier des garanties qu’elles ont demandées ces dernières semaines.

M. Pascal Deguilhem – Pas tout à fait !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Si nous voulons que l'école reste en dehors des polémiques, il faut que nous lui donnions les moyens de ne pas y impliquer les enfants dont elle a la charge et leurs parents. Ce nouveau progrès de la société est désormais entre vos mains. Il vous appartient de lui donner sa pleine expression (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Charles de La Verpillière, rapporteur de la commission des loisSi l'école de la République a pour mission fondamentale d'assurer l'éducation de nos enfants, elle doit aussi les accueillir et les surveiller, particulièrement les plus jeunes.

La notion d'accueil figure d'ailleurs déjà à l'article L. 113-1 du code de l'éducation : « Les classes enfantines ou les écoles maternelles sont ouvertes aux enfants qui n'ont pas atteint l'âge de la scolarité obligatoire. Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l'âge de trois ans, dans une école maternelle ou une école enfantine le plus près possible de son domicile. L'accueil des enfants de deux ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé. »

Alors que la plupart des parents travaillent, souvent loin de leur domicile, il est essentiel de garantir la continuité de cet accueil. Toute interruption de ce service public, notamment en cas de grève des enseignants, perturbe gravement la vie des parents et peut être source de difficultés économiques, particulièrement pour les familles monoparentales et celles qui sont en situation de précarité.

M. Yves Durand – Et les enseignants non remplacés ?

M. Charles de La Verpillière, rapporteur – C'est pourquoi, à la demande du Président de la République, vous avez, Monsieur le ministre, préparé ce projet de loi instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques. Vous en avez présenté beaucoup mieux que je ne saurais le faire les dispositions.

M. Régis Juanico – M. de la Verpillière sort la brosse à reluire !

M. Jean-Pierre Brard – Quelle modestie !

M. Charles de La Verpillière, rapporteur – L'article 2 dispose que tout enfant scolarisé dans une école maternelle ou élémentaire publique a le droit d’y être accueilli gratuitement lorsque son professeur habituel est absent et n'a pu être remplacé. C'est un principe général, qui s'applique quelle que soit la raison de l'absence.

M. Yves Durand – C’est bien cela, le problème.

M. Charles de La Verpillière, rapporteur – L'article 3 instaure un dispositif d'alarme sociale et de prévention des grèves qui s'inspire de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres.

Plusieurs députés du groupe SRC – Cela n’a rien à voir !

M. Charles de La Verpillière, rapporteur – Il oblige syndicats et administration à négocier et impose aux enseignants qui souhaitent faire grève de se déclarer 48 heures à l'avance.

Les articles 4 à 9 concernent spécifiquement l'accueil en cas de grève. Celui-ci incombera à l'Éducation nationale, sauf dans les écoles où 20 % au moins des enseignants seront grévistes. Dans ce dernier cas, les communes interviendront moyennant une compensation financière.

La commission des lois a entendu, outre le ministre, deux professeurs de droit constitutionnel, six organisations syndicales de personnels de l'Éducation nationale, deux fédérations de parents d'élèves, l'Association des maires de France et l'Union nationale des associations familiales.

M. Patrick Roy – Dans l’urgence !

M. Charles de La Verpillière, rapporteur – Ces échanges nous ont permis d'identifier les principales questions que soulève ce texte et de déposer un certain nombre d’amendements, que je vais exposer.

En premier lieu, en l'état du texte, les communes n'organiseront le service d'accueil qu'en cas de grève et à condition que le pourcentage de grévistes soit égal ou supérieur à 20 % par école. A contrario, cela signifie que l'Éducation nationale restera chargée de l'accueil dans tous les autres cas : grève moins importante, mais aussi absence ou empêchement ayant une autre cause – maladie, formation, etc. L'appel aux communes nous a paru tout à fait justifié : propriétaires des écoles, elles en assurent le fonctionnement et leurs agents – ATSEM, personnels d'entretien – sont déjà sur place. En outre, elles sont nombreuses à gérer des services périscolaires. La commission a cependant été sensible aux arguments de l'AMF. Nous suggérons donc de mieux définir et de mieux encadrer l'intervention des communes.

L'amendement 16 à l'article 5 propose ainsi de relever le seuil d'intervention des communes pour le fixer, non à partir de 20 %, mais au-dessus. Cette modification, d’apparence anodine, change tout dans les écoles comptant cinq enseignants – une majorité en milieu rural – car un seul gréviste ne suffira pas à déclencher l'intervention de la commune.

Un amendement à l'article 8, qui sera repris par le Gouvernement en raison de son incidence budgétaire, devrait accroître la contrepartie financière qui sera versée aux communes. Enfin, nous nous associons à l'initiative de nos collègues Frédéric Lefebvre et Jacques Pélissard tendant à ce que l'État accorde sa protection aux maires en cas de mise en cause de leur responsabilité pénale. Cette disposition complétera utilement l’article 8 bis, qui dispose déjà que la responsabilité administrative de l'État est substituée à celle des communes en cas d'accident.

La deuxième série d'amendements de la commission concerne le respect du droit de grève et réaffirme la primauté de la mission d'enseignement. La plupart de nos interlocuteurs ont admis que les restrictions apportées au droit de grève des enseignants n'étaient pas excessives. Le texte ne crée pas un service minimum qui serait imposé aux enseignants par voie de réquisition : on leur demande simplement de déclarer 48 heures à l'avance leur intention de faire grève, formalité qui a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans le domaine des transports.

En revanche, plusieurs personnes auditionnées ont souligné que l'obligation générale d'accueil ne devrait en aucun cas être un substitut à l'obligation d'enseignement, qui demeure la mission fondamentale de l'école. Lorsque l'absence d'un enseignant a une cause autre que la grève, l'éducation nationale n’est pas dispensée de tout faire pour le remplacer : l'accueil est un « filet de sécurité », une prestation minimale réservée aux cas de grève et aux absences imprévisibles de courte durée. Tel est l'objet de l'amendement 42 à l'article 2.

La troisième série d'amendements touche aux modalités d'organisation du service d'accueil. Pour renforcer ses garanties de qualité, la commission vous propose que les communes soient tenues d'informer les familles de la mise en place de ce service, que les personnes qui figureront sur la liste des intervenants soient informées des vérifications et des contrôles dont elles peuvent faire l'objet et, si elles sont écartées par l'autorité académique, que les motifs n'en soient pas divulgués.

Ainsi amendé, le projet de loi permettra l'organisation d'un service d'accueil efficace, respectueux des principes constitutionnels et répondant à l'attente des familles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Le Fur remplace M. Accoyer au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Marc LE FUR
vice-président

M. le Président – La parole est à Mme Françoise Guégot, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Patrick Roy – Elle va sans doute parler des 13 500 postes !

Mme Françoise Guégot, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles – Le rapporteur au fond a présenté avec beaucoup de pédagogie…

M. Jean-Pierre Brard – N’exagérons rien !

Mme Françoise Guégot, rapporteure pour avis – …les points forts du texte. Je le remercie d’avoir accepté le principe d'auditions communes. Je salue aussi l'esprit d'équipe qui nous a animés pendant le travail effectué avant et après les réunions des commissions,…

M. Patrick Roy – Dans l’urgence !

Mme Françoise Guégot, rapporteure pour avis – …esprit qui se traduit aujourd'hui par la présentation d'amendements identiques.

L'institution d’un droit d'accueil pour les enfants scolarisés dans les écoles primaires est une avancée considérable. Peut-être faut-il d’ailleurs parler de consécration plus que d’institution. En effet, l'école a toujours accordé une place centrale à l'accueil. Simplement, celle-ci n'avait pas encore été pleinement consacrée par la loi.

L'objectif premier de la grande loi de Jules Ferry sur l'enseignement primaire de 1882 était de soustraire les jeunes enfants aux influences du milieu familial, social et professionnel pour les accueillir dans un milieu neutre où leur serait dispensé un enseignement.

M. Jean-Pierre Brard – Ce n’est pas que cela, Jules Ferry !

Mme Françoise Guégot, rapporteure pour avis – En 1989, le législateur reconnaissait le droit à scolarisation des enfants âgés de trois ans en liant l'accueil au droit à l'éducation : l'article L. 113-1 du code de l'éducation dispose que « tout enfant doit pouvoir être accueilli, dès l'âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près de son domicile ». Bref, le droit à l'accueil existait déjà « virtuellement » dans le code de l'éducation. Avec ce texte, il devient un droit réel (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP ; brouhaha sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Tout enfant scolarisé doit être accueilli à l'école pendant le temps scolaire pour recevoir les enseignements prévus par les programmes. Le droit d'accueil s’ajoute ainsi au droit à l'éducation pour former un couple juridique aussi logique qu'incontestable. Le texte garantit à l'enfant qu'il sera accueilli même si les enseignements prévus ne peuvent lui être dispensés en raison de l'impossibilité de remplacer son professeur.

Certains voient dans cette avancée une opération scandaleuse, destinée à substituer une prestation de garderie à l'éducation (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Mais le vrai scandale est que l'école soit aujourd'hui incapable d'assurer l'accueil systématique des enfants sur l'ensemble du territoire, au point que certains jours des parents se retrouvent devant des établissements fermés (Vives protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Nous ne pouvons plus admettre qu'un service public organisé pour de jeunes enfants puisse être interrompu, contraignant les familles à trouver en urgence une solution pour faire garder leurs enfants. Cette situation est très perturbante pour eux.

Le mérite du texte est bien de placer l'enfant au cœur du dispositif et de permettre à la société de remplir pleinement son rôle.

Les amendements adoptés par la commission des affaires culturelles ont tous été inspirés par la volonté de rassurer l'ensemble des parties prenantes du futur service d'accueil – enseignants, enfants, parents et maires.

Les trois premiers, présentés par Yvan Lachaud et cosignés par Jean-Philippe Maurer, visent à étendre le dispositif aux établissements d’enseignement privé sous contrat – 890 000 enfants sont concernés. Ces amendements ont été déclarés irrecevables sur le plan financier, mais le Gouvernement nous proposera une solution permettant de généraliser ce service d’accueil de manière équitable.

La commission a pensé aux familles. Elle a donc adopté trois amendements visant à préciser les modalités d'élaboration de la liste des personnes susceptibles d'assurer le service d'accueil quand il est pris en charge par les communes. Pour l'essentiel, le maire devra veiller à ce que ces personnes possèdent les qualités requises pour encadrer des enfants, et cette liste sera transmise aux représentants des parents élus au conseil d'école.

Dans le souci de rassurer les communes, la commission a également adopté un amendement tendant à modifier le seuil de déclenchement du service d'accueil. Avec le seuil de 20 % d'enseignants déclarant leur intention de faire grève retenu par le Sénat, la grève d'un seul enseignant dans les écoles de cinq classes ou moins suffirait à obliger la commune à mettre en œuvre le service d'accueil.

M. Alain Néri – Obliger la commune ! Quel scandale !

M. Manuel Valls – Et la décentralisation ? Et la liberté des collectivités territoriales ?

Mme Françoise Guégot, rapporteure pour avis – Or ces établissements représentent 67 % des écoles du premier degré. En retenant un seuil strictement supérieur à 20 %, notre amendement écarte ce risque. Les enfants seront simplement répartis dans les quatre autres classes. Cette disposition me semble équitable, aussi bien pour les familles, qui ne seront pas privées du service d'accueil, que pour les communes, qui ne seront sollicitées qu’en cas de grève importante.

La commission a également supprimé une disposition adoptée par le Sénat, qui confiait de plein droit la compétence d'organisation du service d'accueil aux établissements publics de coopération intercommunale lorsque ceux-ci exercent les compétences relatives au fonctionnement des écoles.

M. Alain Néri – Relisez les lois de décentralisation de 1982 !

Mme Françoise Guégot, rapporteure pour avis – Il nous a en effet semblé que les possibilités de conventionnement ouvertes par l'article 9 du projet de loi et l'article L. 5211-17 du code général des collectivités territoriales étaient suffisantes.

Enfin, la commission a adopté un amendement portant article additionnel prévoyant une évaluation des articles de la loi relatifs à la mise en place du service d'accueil par les communes. Cette évolution portera notamment sur les difficultés qui pourraient être rencontrées. S'il y a en effet un dispositif qui doit être évalué dans ses effets pratiques, c'est bien celui-là !

À l’issue de ses travaux, la commission a donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe GDR une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Pierre Brard – Encore un Ch’ti, et ce n’est pas un carottier !

M. Pierre Lellouche – La parole est aux passéistes ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean-Jacques Candelier – Il n'y a pas si longtemps, M. Darcos indiquait que la priorité du Gouvernement n'était pas de recourir à la loi pour instaurer un éventuel accueil des élèves en cas de grève dans l'Éducation nationale. L'expérimentation de janvier s'est donc faite sur la base du volontariat des communes. L'idée était simple : payer les mairies qui acceptaient la basse besogne de jouer les briseurs de grève (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP). L'État leur proposait le versement de fonds correspondant aux retenues sur le traitement des enseignants grévistes, en échange de l'organisation d'un service d'accueil pour les enfants. Les personnels municipaux étaient mis à contribution dans les maternelles et les écoles élémentaires.

Le bilan est maigre. Selon la presse, là où l'accueil a été organisé, moins de 10 % des parents y ont eu recours. Quelque 31 000 élèves ont été accueillis, dans seulement 2 700 ou 2 800 communes.

M. Claude Goasguen – C’est pour cela qu’on fait la loi !

M. Jean-Jacques Candelier – Le raz-de-marée attendu n'a donc pas eu lieu : les municipalités volontaires étaient bien rares.

Cette mesure avant tout idéologique n'a pas fait recette, même dans les rangs de la droite. Les élus locaux de la majorité se sont comportés en croyants non pratiquants. Mais il est vrai qu’aux élections de mars, les étiquettes « UMP » n'avaient pas beaucoup plus de succès !

Malgré cet échec notoire, le Gouvernement entend aujourd’hui passer en force pour imposer son service d'accueil dont personne ne veut. Ce choix brutal est une caricature de ce qu'on appelle la politique de l'autruche. Le Gouvernement érige le libre choix en valeur quand il s'agit de démolir les 35 heures, mais quand le choix des communes n’est pas conforme à celui du Gouvernement, leur volonté est mise entre parenthèses !

Il y a plus grave. Alors que l'Éducation nationale traverse une crise sans précédent…

M. Pierre Lellouche – À cause de qui ?

M. Jean-Jacques Candelier – …le choix d'imposer ce service d'accueil est une véritable provocation. Car l'objectif inavoué de ce texte est de couper l'herbe sous le pied de ceux qui luttent pour l'avenir de l'enseignement. Depuis quelques années, l’école publique est attaquée de toutes parts et le Gouvernement compte, par ce projet de loi, infliger une gifle aux enseignants. La destruction de l’éducation nationale et l’imposition du droit d’accueil sont bien les deux faces d’une même politique réactionnaire. Pourtant, toutes les enquêtes d’opinion confirment que les Français sont très majoritairement attachés à la qualité de l’école publique,…

M. Claude Goasguen – Nous aussi !

M. Jean-Jacques Candelier – …à sa gratuité et à sa continuité.

M. Jean-Pierre Brard – Et à sa laïcité.

M. Jean-Jacques Candelier – Ils savent aussi que les enseignants ne se mettent pas en grève par plaisir. Les élus communistes et républicains que nous sommes soutiennent sans réserve le mouvement enseignant. Face à la politique de casse, il faudrait au contraire investir pour un service maximum en faveur de ceux qui sont l’avenir de la nation. Après des déclarations intempestives sur l’utilité de l’école maternelle, après des coupes claires dans les effectifs d’enseignants, on parle encore de supprimer 13 500 postes supplémentaires en 2009. Après les fermetures de classes et la refonte des programmes par quelques experts, c’est une politique différente qu’attendent les familles et la communauté éducative.

Avec ce texte, le Gouvernement ne répond ni aux préoccupations des enseignants ni à celles des parents. L’obligation pour les municipalités d’organiser un service d’accueil en cas de grève a tout de la fausse bonne idée.

M. Pierre Lellouche – Demandez aux parents ce qu’ils en pensent !

M. Jean-Jacques Candelier – Il faut être à l’écoute des demandes des parents et nous savons bien qu’il n’est agréable pour personne d’avoir des complications d’agenda. De là à transformer les écoles en véritables garderies, il y a un pas que nous ne voulons pas franchir car cela correspond à une perversion grave de la mission d’enseigner. Ce service d’accueil est une supercherie pour les parents, car le rôle de l’école est de prodiguer des enseignements.

Ce texte est donc un leurre. Si une forte majorité d’enseignants est en grève, aucun enseignement ne pourra être assuré. Quant aux municipalités, elles risquent fort d’être complètement dépassées ! Mais, pour l’État, l’essentiel semble être de faire supporter par les collectivités territoriales les conséquences de ses conflits avec ses agents. En cas de crise, l’on entendra à coup sûr : « Allez voir votre maire ! » Au reste, il n’est pas inédit que l’État se défausse sur l’échelon local, au moins depuis la décentralisation à la mode de l’UMP. C’est tout notre pacte républicain qui est dans le collimateur !

Le projet du Gouvernement tente d’exploiter un sentiment d’abandon des parents par l’école pour durcir les conditions d’exercice du droit de grève. Mais si sentiment d’abandon il y a, cela relève exclusivement de la responsabilité de l’État. Cela fait suite à la politique de casse de l’Éducation nationale. Ce ne sont pas les enseignants qui renoncent ! Au vrai, ce texte se situe dans le droit fil des déclarations revanchardes et provocatrices du chef de l’État devant le dernier conseil national de l’UMP. Pour la droite, le but est plus que jamais de museler l’expression revendicative et contestataire. Après la loi sur le service minimum dans les transports, c’est le droit de grève des enseignants qui est directement visé. Mais gare aux lendemains qui déchantent ! Ne criez pas victoire trop vite car la rentrée sociale risque d’être agitée (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Au reste, le Gouvernement n’est pas du tout serein. S’il l’était, il ne nous ferait pas légiférer à la hussarde, au cœur des congés estivaux…

M. Patrick Roy – Et en urgence !

M. Jean-Jacques Candelier – Mieux vaut sans doute faire passer les mauvais coups en juillet, lorsque les familles et les élèves sont au repos. Dans un élan de démagogie, le Gouvernement n’hésite pas à opposer les parents aux professeurs et aux élus. En tournant le dos au dialogue social et en rendant plus difficile le recours à la grève, ce texte ne sert pas les intérêts de l’école. Nul doute que la solidarité du citoyen et de l’usager s’exprimera de nouveau. C’est alors que nous constaterons que ce piteux projet de loi n’aura rien réglé !

La principale justification du texte, c’est, nous dit-on, la liberté des parents de travailler. Dès lors, pourquoi le Gouvernement ne fait-il rien pour faciliter la garde des enfants de moins de trois ans ?

M. Claude Goasguen – Quel rapport ?

M. Jean-Jacques Candelier – Pourquoi se limiter au temps scolaire et proposer un texte qui, en moyenne, ne sera applicable qu’entre deux et quatre jours par an ? Pourquoi le Gouvernement ne manifeste-t-il aucun intérêt pour l’accueil des jeunes le soir après l’école ou pendant les vacances scolaires ? Est-ce pour faciliter la vie des familles que l’école du samedi vient d’être supprimée arbitrairement ? Pourquoi le texte ne s’attaque-t-il qu’aux écoles publiques et non aux établissements privés ? J’ai bien entendu qu’un amendement providentiel allait tout régler. Il reste que rien n’est prévu dans le cas où le personnel recruté pour assurer le service d’accueil se mettrait lui aussi en grève (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Est-ce pour faciliter la vie des familles que le Gouvernement encourage le travail le dimanche, supprime les journées de récupération et allonge la durée du travail dans des limites inconnues, pour toutes les catégories de salariés ? Alors oui, les familles vont subir des journées ingérables mais à qui la faute ? (Même mouvement) Il est indéniable que les difficultés auxquelles sont confrontés les parents qui travaillent sont devenues énormes. Il s’agit d’un casse-tête quotidien et coûteux, sans compter le temps et l’énergie dépensés à tenter de trouver des solutions. Mais la source de cette gêne n’est pas la grève. En règle générale, on ne compte en effet que quelques jours de grève par an. Mais, pour le Gouvernement, c’est déjà insupportable ! Vous voulez faire d’une pierre deux coups : criminaliser l’action revendicative et opérer un habile renversement sur les causes profondes des difficultés des familles.

Par cette motion de procédure, les députés communistes et républicains entendent réaffirmer leur défense absolue du droit de grève.

M. Patrick Roy – Ils ont raison !

M. Jean-Jacques Candelier – Si la continuité du service public a tout autant valeur constitutionnelle que le droit de grève, il faut éviter de tout mettre sur le même plan. La mission de l’école ne se résume pas à l’accueil des élèves et consiste à dispenser des enseignements. De ce fait, contrairement à ce que vous affirmez en pavoisant, ce projet ne réconcilie pas les deux !

Du point de vue juridique, le droit de grève est reconnu dans le préambule de la Constitution de 1946, repris dans celle de 1958. « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent » et, selon la décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 1980, il s’agit d’une compétence exclusive du législateur qui ne saurait emporter aucune délégation au profit du gouvernement. Or l’article 3 du projet dispose qu’un décret en Conseil d’État fixe les règles relatives au déroulement de la négociation préalable entre l’État et les organisations syndicales, notamment pour ce qui concerne les conditions de notification et de dépôt d’un éventuel préavis de grève. Ce même article renvoie aussi à un décret le soin de fixer le délai donné à l’autorité administrative pour réunir les syndicats, la durée de la négociation préalable et même les modalités d’élaboration du relevé de conclusions.

Mme Chantal Bourragué – Très bien !

M. Jean-Jacques Candelier – Excusez du peu ! On le voit, tout sera encadré par un décret ultérieur. Or toutes ces modalités concernent directement l’exercice du droit de grève. Il est donc impossible de considérer que le décret en question est un simple décret d’application ; il faut y voir un abaissement du rôle du législateur et une délégation de compétences en forme de renoncement.

Dans le même ordre d’idée, l’imprécision de la formulation revient à abandonner au pouvoir réglementaire des compétences dont le Conseil constitutionnel a rappelé la dévolution exclusive au législateur. Enfin, l’article 3 dispose que lorsqu’un préavis a été déposé dans les conditions prévues à l’article L. 2512-2 du code du travail, par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives, un nouveau préavis ne peut être déposé avant que la procédure de concertation prévue ait été mise en œuvre. À l’évidence, il s’agit d’une nouvelle entrave à l’exercice du droit de grève au motif de l’accueil des enfants (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Quant à l’article 5, il impose à chaque enseignant gréviste d’informer son administration de sa participation à la grève 48 heures avant le début de celle-ci. M. le ministre parle d’une atteinte « non excessive » au droit de grève, ce qui ne veut rien dire ! Nous constatons non sans effroi que cette atteinte est parfaitement assumée. On nous répond que ces restrictions sont justifiées par le fait que serait introduite une garantie d’accès au ministère en cas de crise. Mais plutôt que légiférer à nouveau, pourquoi ne pas faire en sorte que l’État patron se montre plus à l’écoute dans le cadre existant ? Tous les syndicats vous diront que cette garantie ne constitue absolument pas une avancée.

Comme je l’ai rappelé, les familles et les enseignants aspirent à un authentique service de l’éducation. Las, le ministère s’assoit sur leurs aspirations ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Avoir le droit de négocier avec un Gouvernement qui supprime autoritairement des postes, tripatouille sournoisement les programmes et laisse filer le pouvoir d’achat de ses agents : est-ce vraiment un progrès ? Un tel droit apportera-t-il quelque chose ? Pour s’en convaincre, il faut voir comment ce projet de loi a été concocté dans le dos de la communauté éducative ! C’est la défiance générale qui s’est installée. Les syndicats n’ont pas de leçons de dialogue à recevoir de l’État et les bloqueurs ne sont pas ces fonctionnaires que le Gouvernement entend rendre coupables de tous les maux.

Votre texte soulève également des questions de constitutionnalité relatives au statut des collectivités territoriales. Le principe de leur libre administration, posé dans l’article 72 de la Constitution, est ici largement bafoué. La commune n’a jamais été l’autorité organisatrice de l’enseignement. Cette compétence reste en effet à l’État. Responsable pénalement et civilement, le maire se verra placé devant de nouvelles et lourdes responsabilités. Là encore, on nous annonce un amendement pour modifier la donne. Il reste que l’immixtion dans les affaires communales est manifeste et constitue même le cœur de ce nouveau droit d’accueil.

M. Claude Goasguen – Personne n’obligera les maires à le mettre en place !

M. Jean-Jacques Candelier – Ici, le législateur ne se contente pas de poser des principes ou d’attribuer des compétences, il fait de l’ingérence ! Le ministre tend à diriger directement l’action des municipalités.

Malgré le verdict des urnes de mars, le Gouvernement reste sourd et cela le mènera droit dans le mur ! Ce texte oblige les mairies à assumer les conséquences d’un conflit entre l’État et ses personnels. D’ordinaire, l’accueil des enfants relève de la responsabilité de l’État lui-même, qui doit notamment veiller à ce que les enseignants absents soient rapidement remplacés. Or l’article 2 du projet laisse entendre que l’accueil sera obligatoire pour toute absence, y compris en cas de problème de santé. Il y a donc contradiction flagrante avec les ambitions déclarées. En réalité, on risque de voir la fin du remplacement des enseignants absents dans les écoles maternelles et élémentaires.

Ce texte ne respecte pas davantage le principe d’égalité des usagers devant le service public, auquel le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juin 1998, a reconnu une valeur constitutionnelle. Le projet précise en effet que l’accueil des enfants est assuré en fonction du nombre d’enseignants grévistes. De fait, il ne sera pas garanti partout, notamment dans les écoles privées. Mais il est vrai que là encore, nous avons entendu parler d’un amendement miracle. Il reste que ce texte est un texte de rupture, rupture juridique, rupture politique et rupture du dialogue social.

Selon le proverbe, le diable se trouve dans les détails… (Exclamations) Nous le vérifions ici. Il est ainsi prévu que les déclarations de grève individuelles seront enregistrées au moyen d’un savant comptage. Moralité, les enseignants seront davantage fichés par l’éducation nationale, par l’inspection d’académie et par leurs supérieurs hiérarchiques (Protestations sur les bancs du groupe UMP). L’article 6 dispose que les informations issues des déclarations de grève individuelles seront couvertes par le secret professionnel et que leur utilisation à d’autres fins sera interdite. Mais un risque est bel et bien introduit et toutes les précautions pénales ne suffiront pas à le supprimer. Les garanties sont inexistantes.

M. Claude Goasguen – C’est insultant pour l’Éducation nationale de dire cela !

M. Jean-Jacques Candelier – Par ailleurs, selon le texte, l'accueil sera obligatoire à partir de 20 % d'enseignants grévistes, mais on ne sait toujours pas si ce sont les calculettes du rectorat, celles du ministère, celles de l'inspecteur d'académie ou celles des municipalités qui seront utilisées. On ne sait pas non plus comment l’on va compter des fractions d'enseignants… Devra-t-on faire les calculs en nombre d'heures de travail ? Faudra-t-il intégrer les sacro-saintes heures supplémentaires ? Comment prendre en compte les enseignants à temps partiel ?

D'une façon générale, ce texte est une véritable mine d'aberrations et de manques (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Par exemple, il est prévu à l'article 9 que les communes pourront confier l'organisation du service d'accueil à d'autres communes, voire à un établissement public de coopération intercommunale : après la défausse de l'État sur les communes, voici la défausse des communes sur les autres communes ou les EPCI ! Dommage qu’on ne prévoie pas la possibilité de conventions avec l'État : le retour à l'envoyeur eût été salutaire ! Cette possibilité de convention n'est qu'un constat d'impuissance : elle prouve par avance que certaines communes, notamment les plus petites, seront complètement démunies pour remplir les obligations que l'État va leur imposer.

On donne aux maires une responsabilité écrasante. Où trouveront-ils le personnel d'encadrement ? Leur rôle n'est pas d'être les DRH de l'Éducation nationale, ni les collaborateurs de la « police anti-grèves » que va progressivement devenir son administration (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

Venons-en à la question du financement.

Pour le Gouvernement, les coûts de l'organisation du service se limitent à la rémunération des personnes chargées de l'accueil. Dans les faits, il en va bien autrement ; la compensation intégrale des charges par l'État, principe pourtant constitutionnel, n'aura donc pas lieu. Ce n'est pas en inscrivant que la compensation financière sera fonction du nombre d'élèves accueillis que l’on écarte l'arbitraire d'un décret ultérieur.

Par ailleurs, le ministre nous parle d'un « vivier » de personnes susceptibles d'assurer l'accueil, lequel vivier serait préalablement débarrassé des délinquants sexuels grâce à un amendement adopté à la hâte au Sénat… C’est une mauvaise plaisanterie : rien n'est prévu pour garantir la qualité des encadrants.

Or la loi du 17 juillet 2001 et l'instruction du 23 mai 2003 posent des exigences d'encadrement drastiques. Pour les moins de six ans, il faut un animateur pour huit enfants en centre de loisirs et un pour dix en période périscolaire. Pour les six ans et plus, il en faut un pour douze en centre de loisirs et un pour quatorze en période périscolaire. Ici, aucune règle n’est fixée ! De même, pourquoi ne pas demander de justifier du BAFA, comme dans les centres de loisirs et pour l’encadrement des activités périscolaires ? Ajoutons à cela que les lieux utilisés ne seront pas obligatoirement ceux de l'école ! Pour la sieste des petits, un préau fera-t-il l'affaire ? J'ai l'impression que la sécurité des enfants sera sacrifiée sur l'autel de la démagogie.

M. Claude Goasguen – C’est un coup des curés, c’est sûr !

M. Jean-Jacques Candelier – Le recours à des personnels non qualifiés, recrutés au dernier moment, qui plus est pour œuvrer dans des locaux inadaptés, sera incompréhensible pour les familles. Le malheur, c’est que les familles n'ont pas leur mot à dire…

J'ai déjà alerté les maires de ma circonscription sur les dangers d'un service d'accueil dans les écoles (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Pour les députés communistes et républicains, le plus urgent et le plus vital pour l'avenir de notre jeunesse, c'est la reconquête du service public ! (Même mouvement et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Après avoir provoqué une situation de conflit dans l'Éducation nationale en bafouant tous les principes de l'école publique, il s'agit maintenant pour le Gouvernement de dissuader ou d'empêcher les agents de se mettre en grève (Protestations sur les bancs du groupe UMP), tout en se défaussant sur les communes pour organiser un service d'accueil des enfants.

M. Marc Dolez – Voilà la vérité !

M. Jean-Jacques Candelier – Mais contrairement à ce que voudrait penser la majorité, une journée de garderie ne remplacera jamais une journée de cours ! (Même mouvement, applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Ce projet ne saurait susciter l'enthousiasme des maires. On a vu ce que cela a donné sur la base du volontariat !

Le service public de l'éducation mérite mieux qu'une usine à gaz qui permet d'escamoter le débat sur les vrais enjeux. Plus que jamais, il faudrait réunir les conditions pour qu'une véritable école républicaine, gratuite, laïque et obligatoire, garantisse à chaque enfant les moyens nécessaires à son épanouissement dans notre société.

Encore une fois, l'opposition des députés communistes et républicains, verts et ultramarins est donc frontale. Il n'y a strictement rien à améliorer de ce projet, rien à garder : tout, jusque dans sa philosophie, est à jeter par la fenêtre ! C'est pourquoi j’invite l’Assemblée à voter l'exception d'irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Charles de La Verpillière, rapporteur – Nous n’avons entendu dans ces propos excessifs rien qui justifie le dépôt d’une exception d’irrecevabilité : il aurait fallu développer des arguments d’ordre constitutionnel.

Or la démonstration a déjà été faite que ce projet respecte le principe de libre administration des collectivités territoriales, ne serait-ce que parce que son article 8 fixe le niveau des ressources que les communes recevront en contrepartie de leur intervention.

Quant au droit de grève, il n’est pas remis en cause par l’obligation de négociation préalable et l’obligation pour les grévistes de se déclarer individuellement, qui ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel l’année dernière.

M. Marc Dolez – Ce n’était pas du tout le même cas de figure !

M. Charles de La Verpillière, rapporteur – J’appelle donc l’Assemblée à repousser cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Sans vouloir être désobligeant, je considère que nous venons d’entendre un certain nombre d’incongruités.

La première est une incongruité chiffrée : vous convoquez l’opinion publique pour légitimer votre refus, Monsieur Candelier, alors que les sondages montrent que 82 % des familles approuvent notre dispositif ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Deuxièmement, vous laissez entendre que ce dispositif est une atteinte à l’école primaire, alors que non seulement nous ne retirons aucun emploi aux écoles primaires, mais nous leur en ajoutons ! Je vous rappelle aussi que nous avons créé des stages pour les élèves de CM1 et CM2, que nous avons mis en place l’accompagnement éducatif et que les enseignants vont consacrer deux heures de leur service aux élèves en difficulté. Jamais un gouvernement n’avait fait autant pour l’école primaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Par ailleurs, nous n’avons en rien « tripatouillé » sournoisement les programmes du primaire : nous avons consulté tous les enseignants sans exception, et nous avons tenu compte de leurs avis.

Ce projet porte-t-il atteinte au droit de grève ? Evidemment non. Nous nous contentons de mettre en place un système d’accueil. Présenter comme une régression le fait d’accueillir les enfants plutôt que de les laisser dans la rue est une nouvelle incongruité…

Vous dites que ce droit servira peu : c’est possible, mais je préfère un droit universel qui serait utile à un seul à une situation d’injustice qui pèserait sur tous (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Enfin, à la lecture des précédentes décisions du Conseil constitutionnel, il est clair que le service d’accueil demandé aux communes, défini avec précision, n’a rien d’anticonstitutionnel.

Je demande donc le rejet de cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Bernard Perrut – Tout nous oppose, Monsieur Candelier ! Vous avez parlé pendant une demi-heure de la grève ; nous, nous parlons des enfants et de leurs familles, nous parlons du droit de travailler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Au lendemain d’un 14 juillet qui célèbre les valeurs de la République, nous voulons à travers ce texte illustrer la liberté et l’égalité ! (Même mouvement)

L’engagement pris par le Président de la République doit devenir un droit réel pour toutes les familles de France. Au fil des mouvements de grève, n’avez-vous pas entendu les parents se plaindre de n’avoir aucune solution de garde et de ne pas pouvoir se rendre au travail ?

M. Philippe Meunier – Non, ils sont sourds !

M. Bernard Derosier – Pourquoi ne pas réquisitionner les enseignants, tant que vous y êtes !

M. Bernard Perrut – Aujourd’hui, le Gouvernement et la majorité répondent à leur attente.

M. Patrick Roy – Caricature !

M. Bernard Perrut – Ce projet de loi instaure un droit d’accueil qui associe deux libertés : celle de faire grève, que personne ne songe à remettre en cause (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et celle de travailler, non moins essentielle. Il repose sur un équilibre entre la nécessité de ne pas remplacer les enseignants, afin de ne pas ôter aux grévistes leurs moyens d’action, et celle de pourvoir à l’accueil des enfants, afin de ne pas priver les parents d’une journée de travail.

Enfin, ce texte contribue à lutter contre les inégalités sociales et territoriales : les enfants pourront désormais être accueillis dans toutes les communes ! Pourquoi, en effet, les Français ne seraient-ils pas égaux devant la grève des personnels de l’Éducation nationale ? La grève pose le problème : certains parents peuvent faire garder leurs enfants, mais les familles modestes en sont souvent incapables.

Mme Claude Greff – Pensez aux femmes seules !

M. Bernard Perrut – De même, le champ de ce projet de loi s’étend tout naturellement à l’enseignement privé : c’est là encore une question d’égalité.

Les inquiétudes des maires de France, exprimées par leur président, M. Pélissard (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), sont également prises en compte. L’État prend ses responsabilités, puisqu’il prévoit une compensation financière et une indemnisation adéquate. Il se substitue à la commune pour ce qui concerne la responsabilité administrative et pénale de l’accueil.

Plusieurs députés du groupe SRC – Pénale ? De quoi s’agit-il ?

M. Bernard Perrut – Le dispositif est assez souple pour que les communes puissent, par une convention, partager un lieu d’accueil et des intervenants.

Au fond, ce texte dépasse largement le simple cadre du service minimum : c’est de droit à l’accueil tout au long de l’année qu’il est question !

Plusieurs députés du groupe SRC – Et voilà : les masques tombent !

M. Patrick Roy – Non à la garderie scolaire !

M. Bernard Perrut – Désormais, en cas d’absence d’un enseignant, l’État assumera ses responsabilités.

En somme, ce texte ne comporte aucun motif d’inconstitutionnalité. Il ne porte pas non plus atteinte à la libre administration des communes, puisque seul le conseil municipal décide de l’ouverture des classes et établit la liste des élèves soumis à l’obligation scolaire. Enfin, ce texte porte les grandes valeurs de notre République : liberté, égalité et fraternité.

Mme Claude Greff – Bravo !

M. Christian Eckert – Ce n’est plus une explication de vote : c’est un sermon !

M. Bernard Perrut – Voilà les principes qui guident l’école républicaine, ainsi que les députés du groupe UMP, qui repousseront, cela va de soi, cette exception d’irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

Mme Colette Le Moal – Les discours les plus brefs étant les meilleurs, je me contenterai, en toute modestie, de constater que le propos de M. Candelier est à la fois passéiste et confus. Le service d’accueil dans les écoles est attendu par les parents depuis de nombreuses années dans toutes les communes, petites ou grandes, et dans toutes les écoles, publiques ou sous contrat. Le texte a été bien préparé et amendé.

M. Patrick Roy – En urgence !

Mme Colette Le Moal – Dès lors, le groupe Nouveau Centre rejettera cette exception d’irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Brard – M. Candelier vous a mis en verve au point de vous faire vibrer, et même trembler ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Sans l’heureuse présence de plusieurs médecins sur les bancs de l’hémicycle, votre sursaut d’adrénaline n’aurait pas été sans risque, Monsieur le ministre… Tous les fantassins de la droite ont été mobilisés en bataillons serrés pour s’opposer à cette motion (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP). Pourtant, nulle vitupération ne saurait valoir un argument et remplacer un engagement en faveur de l’éducation des enfants de la nation – notion que vous ignorez, hélas.

M. Yves Nicolin – Assez !

M. Jean-Pierre Brard – M. le ministre ne manque pas d’audace, qui propose de régler la démocratie par sondages alors même que le prince qui nous gouverne vient de refuser le référendum, d’une essence pourtant bien supérieure !

M. Franck Gilard – Le référendum est bonapartiste !

M. Jean-Pierre Brard – Cette exception d’irrecevabilité est bien légitime.

M. Franck Gilard – Au contraire : elle est archaïque !

M. Jean-Pierre Brard – Le ministre l’a reconnu lui-même : n’est-ce pas à la demande du Président de la République lui-même qu’il nous présente ce texte, en violation de l’article 5 de la Constitution ? (Rires sur les bancs du groupe UMP) Le Président de la République ne peut se mêler que des domaines qui lui sont confiés par la Constitution.

M. Claude Goasguen – Incroyable !

M. Jean-Pierre Brard – Oui, Monsieur Goasguen : vous, le député des douairières, des immigrés choisis et des émirats d’Arabie, étiez également dubitatif ! Quant à M. le ministre, ce pédagogue issu de l’illustre maison de l’Éducation nationale, il n’a pas pu écouter sans regarder la pointe de ses chaussures Mme Guégot affirmer que le rôle de l’école est de soustraire les enfants à l’influence du « milieu ». Quelle insulte à Condorcet, à Ferdinand Buisson, à Jules Ferry ou encore à Henri Wallon !

En outre, votre texte comporte bien des incohérences. Ainsi, comment préviendrez-vous les familles « assez tôt » lorsque la grève sera décidée un mercredi après-midi ou, pire, un vendredi soir ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Le texte prévoit ces cas de figure.

M. Jean-Pierre Brard – Que ferez-vous avec ceux qui ont été désignés pour accueillir les enfants lorsqu’un syndicat facétieux aura exhorté l’ensemble des enseignants d’une école à se déclarer en grève ?

Au fond, ce texte n’est qu’affaire d’idéologie bon marché.

M. Benoist Apparu – Un spécialiste vous parle !

M. Jean-Pierre Brard – Conformément à la déclaration du Président de la République, vous n’avez à cœur que de rendre les mouvements sociaux invisibles afin de briser toute solidarité entre parents et enseignants dans leur combat contre les mauvaises politiques. M. le ministre a parlé de dialogue social : quel talent il a pour rétablir des usages en vogue au temps de Mmes de Sévigné et Tallien – vous recevez, on cause, et tout cela sans le moindre effet !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Je ne fais pas de cogestion, Monsieur !

M. Jean-Pierre Brard – Pourquoi ne vous attachez-vous pas plutôt à supprimer les raisons qui poussent les enseignants à faire grève ? Pourquoi ne pas aider les enfants en difficulté sans se limiter à des stages dont chacun reconnaît l’insuffisance ? Certaines écoles ont besoin d’un, voire de deux enseignants supplémentaires pour un soutien personnalisé, de sorte qu’aucun enfant ne soit exclu de la communauté scolaire.

M. Claude Goasguen – Ce n’est pas le sujet !

M. Jean-Pierre Brard – Les autorités intellectuelles susmentionnées n’auront pas manqué de se retourner dans leur tombe à entendre le mésusage par Mme Guégot de la notion d’équité – Condorcet au premier rang d’entre elles, qui a fait honneur à la Révolution et à l’école publique. M. Darcos ne peut qu’être d’accord sur ce point, même s’il doit s’en défendre.

M. le Président – Je suis saisi par le groupe UMP d’une demande de scrutin public sur le vote de l’exception d’irrecevabilité.

Mme Sandrine Mazetier – Dans sa sobriété, M. Candelier n’a relevé que quelques-uns des motifs d’inconstitutionnalité de ce texte (Rires sur les bancs du groupe UMP). Il y en a bien d’autres. En premier lieu, ce projet de loi est contraire au principe constitutionnel du droit à l’éducation.

M. Yves Nicolin – C’est faux !

Mme Sandrine Mazetier – Conformément au préambule de la Constitution, l’État a le devoir d’organiser l’enseignement public, gratuit et laïc à tous les degrés. Dès lors que le droit d’accueil est mis sur le même plan que le droit à l’éducation, il ne manquera pas de s’y substituer peu à peu.

D’autre part, vous attentez au principe de libre administration des collectivités territoriales, en violation de l’article 72 de la Constitution. En effet, l’accueil dans les écoles ne relève pas du champ de compétence évidente des collectivités, mais bien plutôt de l’État.

Ensuite, l’alinéa 11 du préambule de la Constitution dispose que la nation garantit à tous – et notamment à l’enfant – la protection de la santé et de la sécurité matérielle. En quoi ce texte s’y conforme-t-il dès lors qu’il ouvre la possibilité à n’importe qui, même dépourvu de toute formation, de garder les enfants dans les écoles pendant des journées entières ?

Sans être inscrit au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, des adultes, fussent-ils eux-mêmes parents d’élèves, peuvent se livrer à des violences, perdre leur calme, administrer une gifle ou une fessée. Cela s’est vu et se verra encore. Vous porteriez-vous volontaires, mes chers collègues, pour encadrer des enfants de maternelle ou des enfants de CM2 pendant des journées entières ? Imaginons les plus patients et les plus expérimentés de nos collègues dans ces situations : M. Warsmann assurerait-il l’atelier gommettes et M. Méhaignerie l’atelier pâte à modeler ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Cela n’a aucun sens ! Ce texte, sans même imaginer de catastrophe, bafoue l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 (Mêmes mouvements).

M. le Président – Écoutons Mme Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier – Le texte est encore contraire à l’article 72-2 de la Constitution, qui dispose que « toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi » – par la loi, et non par un décret qui ne prend en compte ni le risque pénal pour les maires, ni le transfert de compétences aux collectivités, ni le temps passé en gestion des ressources humaines, en émission de fiches de paie, en signatures de contrat, en vérifications auprès des services chargés du fichier des auteurs d’infractions sexuelles…

Ce texte viole enfin la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui pose que la loi est l’expression de la volonté générale (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : quand le droit d’accueil a été expérimenté grandeur nature, à l’échelle nationale, l’hiver dernier, 90 % des communes ont refusé de le mettre en œuvre : la volonté générale a manifesté son opposition à ce dispositif ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

À la majorité de 168 voix contre 42 sur 210 votants et 210 suffrages exprimés, l’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président – Je suis saisi par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d’une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Sandrine Mazetier – Si l’accueil des élèves n’existait pas, faudrait-il l’inventer ?

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Oui !

Mme Sandrine Mazetier – C’est le sens de la question préalable que je pose au nom du groupe SRC. Mme Guégot et M. de La Verpillière y ont d’une certaine manière répondu : ils ont avoué, avec une touchante naïveté, que l’accueil existait déjà dans le code de l’éducation, et ce dès la création de l’école publique, laïque et obligatoire.

C’est la première fois de la législature que nous examinons un texte qui concerne l’école. C’est un grand rendez-vous, pour le Parlement comme pour le Gouvernement : les premiers textes sont, plus que tout autre, porteurs des convictions d’une majorité, révélateurs d’une vision du Gouvernement et du ministre concerné – surtout lorsque le problème dont il s’agit a été largement évoqué au cours de la campagne électorale. Aussi pouvait-on espérer débattre et légiférer plus tôt dans la législature, et sur de grands sujets. Au lieu de cela, nous avons un texte qui pourrait n’être qu’inutile, comme l’ont démontré avant moi les deux rapporteurs, ou n’être qu’impraticable, comme cela a déjà été évoqué – s’il n’était avant tout dangereux.

Nous aurions pu débattre de la meilleure manière d’atteindre un objectif qui fait consensus entre nous, celui de la maîtrise de la langue française par tous les élèves ; cela nous aurait donné l’occasion de discuter, par exemple, de l’âge à partir duquel doit s’appliquer l’obligation scolaire – nous pensons qu’il faut la faire débuter à trois ans, et qu’il faut même promouvoir une socialisation plus précoce encore (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP) pour prendre à la racine les problèmes linguistiques et culturels qui préexistent à la scolarisation. Cela aurait fait débat entre nous, mais c’eût été un beau débat, digne de l’école de la République que nous prétendons tous défendre, digne des élus de la nation.

Nous aurions pu débattre de l’école en général, de ce que nous en attendons et de l’effort que la nation est prête à consentir pour lui permettre d’atteindre les objectifs toujours plus nombreux que nous lui fixons.

M. Benoist Apparu – Nous l’avons fait lors du débat budgétaire !

Mme Sandrine Mazetier – Nous aurions pu débattre des cycles et des niveaux, et de leur articulation, depuis la maternelle jusqu’au lycée ; nous aurions pu débattre de la nature et du contenu des programmes à chacune de ces étapes. Nous aurions pu débattre, par exemple, des cinq piliers du socle commun de connaissances définis par la loi en 2005 – cette loi dispose d’ailleurs que « l’acquisition du socle commun par les élèves fait l’objet d’une évaluation qui est prise en compte dans la poursuite de la scolarité » et que « le Gouvernement présente tous les trois ans au Parlement un rapport sur la manière dont les programmes prennent en compte le socle commun de connaissances et sur la maîtrise de celui-ci par les élèves au cours de leur scolarité obligatoire ». Au lieu de ce rendez-vous prévu par la loi, sur des programmes que vous avez pourtant contribué à imposer, vous avez décidé unilatéralement de revoir, sur des bases que vous seul connaissez, les programmes du primaire, comme vous avez, unilatéralement et sans la moindre étude d’impact, décidé de réduire de deux heures par semaine le temps de scolarité obligatoire au cours duquel les écoliers sont censés apprendre à maîtriser tous ces savoirs et ces compétences.

Nous aurions pu débattre de l’éducation prioritaire, laissée en déshérence. Nous aurions pu débattre de la suppression de la carte scolaire, alors qu’un rapport – que vous ne publiez pas – dénonce les conséquences discriminatoires de cette mesure. Nous aurions pu débattre de la place et du rôle de l’histoire et de la mémoire dans les programmes, ou de la place de l’éducation artistique ailleurs qu’au théâtre des Amandiers. Nous aurions pu débattre des enseignements professionnels, de la réforme du lycée ou de celle du baccalauréat.

Bref, nous aurions pu débattre de très nombreux sujets tout aussi importants et légitimes les uns que les autres – sujets que vous ne vous êtes pas privé d’évoquer, Monsieur le ministre, mais hélas ! le plus loin possible du Parlement. Vous en méfieriez-vous, vous qui écriviez pourtant il y a quelques années dans votre ouvrage L’Art d’apprendre à ignorer,

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Bonne lecture !

Mme Sandrine Mazetier – « ce serait une belle conquête démocratique qu’un Parlement réfléchissant publiquement à ce qui doit s’enseigner à la jeunesse de la nation ». Quel dommage qu’au lieu de cela, vous nous présentiez un texte qui pourrait n’être qu’inutile et inapplicable, mais qui se révèle dangereux !

Si le mot « accueil » n’existait pas, il faudrait peut-être l’inscrire dans le code de l’éducation ; mais cela ne serait pas urgent et une loi ne serait pas nécessaire. Les rapporteurs l’ont dit : l’accueil existe dans plusieurs de ses articles : tous les élèves inscrits à l’école sont accueillis dans les locaux scolaires avant même que d’y être instruits ; on ne connaît pas d’élève refoulé à l’entrée des écoles maternelles ou primaires.

M. Benoist Apparu – Ce doit être vrai aussi les jours de grève !

Mme Sandrine Mazetier – Mais l’accueil est un moyen, et non une fin en soi. Vous nous demandez, sans le dire, d’inverser les valeurs : en érigeant l’accueil en droit, vous en faites une mission à part entière de l’école, placée au même rang que l’éducation elle-même. C’est l’atteinte la plus sournoise aux missions de l’Éducation nationale que l’on ait vue depuis longtemps. Le pire, c’est qu’elle n’est pas présentée pour ce qu’elle est vraiment. Mesurez, mes chers collègues, la portée de ce qu’on nous propose !

Ce texte est avant tout inopportun, au regard des problèmes rencontrés par l’école, par les élèves, par les enseignants, par leurs parents. Le Gouvernement le présente comme le pendant pour l’école de la loi sur le service minimum dans les transports ; c’est d’ailleurs à l’occasion de l’examen de ce dernier texte, l’été dernier, que le ministre l’a évoqué pour la première fois. Cet hiver, l’expérimentation volontaire de la prise en charge par les communes des élèves les jours de grève s’est révélée bien infructueuse. Vous avez voulu en faire un élément d’offensive électorale en pleine campagne municipale et cantonale ; vous n’avez réussi qu’à démontrer l’immense distance qui vous sépare des réalités, de la vraie vie des gens vrais, des problèmes effectivement rencontrés par les Français et par leurs élus locaux. Vous n’avez témoigné que du caractère instrumental et politicien de cette disposition et, dans une certaine mesure, de ce que vous entreprenez pour l’école, du mépris que vous inspire la communauté scolaire dans son ensemble, et du rôle de croupion que vous assignez aux élus, même s’ils font partie de votre majorité.

Moins de 10 % des communes ont répondu à l’appel : c’est un résultat piteux, et un sondage grandeur nature ; car les élections n’avaient pas encore eu lieu, et nous ne détenions pas les 90 % de communes récalcitrantes.

Qui a bien pu dire : « Ce texte est inacceptable en l’état » ? C’est M. Pélissart, notre collègue, président UMP de l’Association des maires de France et maire de Lons-le-Saunier.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Il a évolué !

Mme Sandrine Mazetier – Qui a proféré les coupables propos suivants : « Cela me paraît tout à fait surréaliste » ? C’est M. Ambroise Dupont, distingué sénateur UMP du Calvados, lors de l’examen de l’article 9 de ce projet de loi par le Sénat. Ce dangereux sénateur argumentait ainsi : « Les petites communes sont strictement incapables d’exercer la compétence d’accueil : il faudrait pour cela que la communauté de communes, qui gère la compétence scolaire, puisse aviser de la grève dans les établissements scolaires chacun des maires qui relèvent d’elle et que les parents des enfants soient avertis. »

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Il a voté le texte !

Mme Sandrine Mazetier – Je poursuis. Qui a émis cet avis flatteur : « Les jours de grève, Xavier Bertrand ne demande pas aux maires de conduire les trains ; je ne vois pas pourquoi l’Éducation nationale ne pourrait pas s’occuper de prendre en charge les élèves. Moi, j’essaie de m’occuper des vrais problèmes, pas des tempêtes dans un verre d’eau » ? Le dangereux maire gauchiste qui a tenu ces propos violents, c’est M. Pierre André, maire UMP de Saint-Quentin, dont le conseil municipal comprend justement M. Xavier Bertrand (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Pour paraphraser un ancien Président de la République, cette expérimentation, contrairement à ce que vous avez dit lors de votre audition en commission des lois, a fait pschitt ! C’est simplement, mais de manière éclatante, par pragmatisme que 90 % des communes n’ont pas participé à l’expérience – ce pragmatisme que vous avez toujours à la bouche, mais dont vous faites si peu preuve !

Ce texte ne répond en rien aux problèmes rencontrés sur le terrain par les élèves, par la communauté scolaire, et par les élus locaux attentifs que sont les maires.

M. Patrick Roy – Le Gouvernement n’est pas pragmatique, il est dogmatique !

M. Benoist Apparu – C’est un spécialiste qui parle !

Mme Sandrine Mazetier – L’intervention des communes ne permet en rien d’assurer la continuité d’un service public d’éducation – du moins au sens où on l’entendait jusqu’à présent, c’est-à-dire un service d’enseignement.

Loin d’être ébranlé par cette preuve administrée par la France tout entière de l’inopportunité de ces dispositions, vous persévérez, car répondre aux préoccupations de la communauté éducative et des parents d’élèves n’est pas votre problème. C’est d’ailleurs l’une des grandes habiletés de ce texte de prétendre résoudre un problème qui ne se pose pas pour occulter votre incapacité à résoudre les problèmes qui se posent !

Plusieurs députés SRC – Très bien !

Mme Sandrine Mazetier – Le 15 mai dernier, au soir d’une journée de mobilisation très suivie au sein de l’Éducation nationale, par une habile manœuvre de diversion dont il est coutumier, le Président de la République a annoncé le vote avant l’été de ce texte, et dès lors il n’a plus été question que de cette annonce dans les médias. Rien n’a été dit de l’ampleur de la mobilisation, ni des raisons des manifestants, qui protestaient contre la réforme des programmes dans le primaire et la suppression des cours le samedi. Rien n’a été retenu du ras-le-bol qui s’est exprimé ce jour-là dans toute la France. L’opération a été, de ce point de vue, plus que réussie, et c’est ainsi que s’est réalisé le rêve de M. Sarkozy : une grève importante, sur un sujet aussi essentiel que l’école, a été à peine évoquée dans le « 20 heures », alors que dans notre société post-moderne et médiatique, la preuve ontologique de l’existence est justement le passage au « 20 heures », sur TF1 de préférence. Telle est la motivation première de ce texte : rendre invisibles, inaudibles les vrais problèmes.

Pour défendre ce texte sans intérêt, vous invoquez les grandes valeurs républicaines, vous convoquez la liberté, l’égalité ; il ne manque que la fraternité…

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – M. Perrut l’a dit.

Mme Sandrine Mazetier – Ce texte préserverait la liberté de ceux qui veulent travailler, ainsi que l’égalité entre ceux qui seraient censés pouvoir le faire et les autres. Vous avez ainsi déclaré en commission, Monsieur le ministre : « Le projet de loi présenté se justifie en raison de l'inégalité affectant les familles en cas de grève dans l’école primaire ».

Les impostures d’une telle démarche sont multiples. C’est une imposture de faire croire que ce texte ne s'applique qu'à la circonstance de grève et aux communes, alors qu'il va largement au-delà. C’en est une encore de faire croire que la grève est la principale cause d'absence des enseignants, alors que le rapport entre jours chômés pour fait de grève et jours chômés pour cause de maladie est de un pour dix. C’est une imposture encore de vouloir faire oublier que vous avez décidé la fermeture des écoles le samedi matin à partir de la rentrée prochaine (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine), et de prétendre aider les familles alors que vous allez les plonger dans les pires difficultés : les mères célibataires, qui vous sont si chères, qu’en ferez-vous le samedi matin ? Ces personnes qui travaillent le samedi, et bientôt le dimanche, dans les centres commerciaux que le Gouvernement veut voir ouvrir en permanence, que faites-vous de leur liberté ? (Même mouvement)

Mme Claude Greff – L’école n’est pas une garderie !

Mme Sandrine Mazetier – Enfin, et surtout, ce texte consacre l'abaissement des missions de l'école de l'éducation à l'accueil.

La première imposture, c’est de faire croire que ce texte ne s'applique qu'aux circonstances de grève et aux communes. Ni le titre du projet de loi, ni son article premier, ni son article 2, ne parlent de la grève. Il est question de l’absence des enseignants, et de la possibilité de les faire remplacer par des gens qui ne sont pas diplômés de l’enseignement. C’est la garderie nationale au lieu de l’Éducation nationale ! (Même mouvement)

Les sénateurs ne s'y sont pas trompés, quand ils ont amendé l’article 4 pour faire préciser que cet accueil serait assumé par l’État, et non par les communes. Des absences, il y en a tous les hivers dans toutes les académies, lors des épidémies. Et les remplacements non pourvus sont de plus en plus nombreux, car les listes de remplaçants s’épuisent. Vous prévoyez de généraliser le remplacement par des personnels autres qu’enseignants ainsi que la répartition des élèves dans les classes des collègues des enseignants absents pour cause de maladie, formation ou maternité. Les brigades de remplaçants sont déjà toutes utilisées sur des postes de titulaires durablement absents ; certaines académies ont même dû faire appel à des enseignants à la retraite ou à des contractuels non titulaires de diplômes de l’enseignement.

La deuxième imposture, c'est de faire croire que la grève est la cause principale d'absence des enseignants, alors que, sur 17 jours d'absence en moyenne, il n'y en a que deux pour cause de grève. Ces jours intéressent aussi les parents d’élèves. Les enfants n’ont-ils pas le droit d’apprendre pendant ces autres jours, le droit d’être éduqués par des personnes formées pour l’enseignement ?

Gouverner, c'est prévoir. Monsieur le ministre, vous avez prévu que ces absences allaient se multiplier, parce que le corps des professeurs des écoles est en plein renouvellement et rajeunissement. De même qu’une loi ne peut empêcher les épidémies de grippe, vous ne pouvez empêcher de jeunes mariés, et pas seulement des mamans, de prendre des congés de maternité ou des congés pour enfants malades.

Mme Claude Greff – Il faut neuf mois pour faire un bébé ! Cela laisse le temps de s’organiser.

Mme Sandrine Mazetier – Il y aura encore des remplacements, mais pas par des enseignants ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Mais non ! Lisez le texte.

Mme Sandrine Mazetier – Cette nouvelle génération voudra naturellement se former tout au long de sa carrière. Elle voudra même se former tout court, car parmi vos nombreux projets de suppression de postes et d’économies, figure la suppression des IUFM ! Par qui seront-ils remplacés ? Par un « vivier »…

C’est parce que l'État est défaillant dans son devoir d'éducation que vous inventez un devoir de garderie. Si ce texte est adopté, nous n’aurons plus la certitude que, demain, un enseignant sera remplacé par un autre enseignant en cas d’absence. La situation va empirer, avec les 13 000 suppressions de postes que vous annoncez pour l’an prochain et qui s'ajoutent aux 40 000 suppressions déjà effectuées depuis 2002.

Cette imposture se double d'une stigmatisation des enseignants, car si vous ne cessez de dire que vous les aimez, vous mettez à le rappeler une telle insistance que ces déclarations d'amour sont devenues suspectes.

M. Manuel Valls – Largement !

Mme Sandrine Mazetier – Dans toutes les études réalisées auprès des enseignants, les trois plus importantes motivations citées par ceux-ci pour justifier le choix de leur métier sont : enseigner la discipline qu'ils aiment ; être en contact avec les élèves ; transmettre des connaissances. La rémunération, le statut ou les vacances ne viennent que très loin derrière et de manière si marginale que je considère que ce texte met en cause la probité et le sens du service public de notre corps enseignant.

La troisième imposture, c'est de faire oublier que vous avez unilatéralement décidé l'absence d'école tous les samedis matin à partir de la rentrée prochaine. Le temps perdu ne se rattrape pas, et ce sont avec des semaines entières de classe en moins que nos enfants devront affronter les examens.

La quatrième imposture, c'est de prétendre aider les familles, quand vous allez les plonger dans les pires difficultés. Les mères célibataires, tout comme les pères célibataires, d’ailleurs – mais vous parlez rarement de ceux-ci, car vous avez une vision de la parentalité qui vous est propre…

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Vous n’avez pas de leçon de parentalité à me donner ! C’est inacceptable.

Mme Sandrine Mazetier – C’est spontanément aux femmes que vous pensez pour garder les enfants : vous les assignez à résidence, alors que celles-ci ont autant le droit de travailler que les hommes (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Ces propos sont inacceptables ! Je demande des excuses.

Mme Sandrine Mazetier – Derrière la posture du pragmatisme, c'est cette série d'impostures que nous voulons révéler à travers cette question préalable. Derrière la posture de l'instauration d'un droit, c'est la défaillance de l'État dans ses devoirs fondamentaux que nous démontrons (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Faute d’excuses, je sors ! (M. Xavier Darcos se lève et sort, suivi par de nombreux membres de la majorité, qui élèvent en même temps de vives protestations)

Mme Sandrine Mazetier – Vous fuyez devant vos responsabilités, Monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. le Président – Mes chers collègues, je suspends la séance pour quelques minutes.

M. Manuel Valls – Au nom de quoi ?

La séance, suspendue à 18 heures 30, est reprise à 18 heures 35.

Mme Sandrine Mazetier – Je souhaite dire à M. le ministre que si mes propos ont pu être interprétés comme une mise en cause personnelle, telle n’était pas mon intention. Je faisais allusion à son intervention au Sénat, où il ne faisait référence qu’aux « mamans » et à leur disponibilité – de principe –, ce qui procède d’une vision quelque peu sexuée de la répartition des rôles dans notre société.

Plusieurs députés du groupeUMP – Des excuses ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

Mme Sandrine Mazetier – Derrière la posture de l’instauration d’un droit, c’est la défaillance de l’État dans ses devoirs fondamentaux que nous dénonçons.

Ce texte révèle que vous anticipez les nombreux mouvements de grève que votre politique provoquera ; il prend acte de l'épuisement du corps des remplaçants du fait des suppressions de postes massives ; il plonge les familles et les communes dans l'incertitude et dans le risque.

Pour le premier texte de la législature qui concerne l'école, il n'est pas anodin que vous touchiez au titre III du livre premier du code de l'éducation – consacré aux principes généraux de l'éducation nationale – en flanquant avec désinvolture les deux colonnes du temple que sont l’obligation et la gratuité scolaire d’un « droit d'accueil » appendice.

Avouez que les grands républicains qui ont pensé l'instruction publique gratuite et obligatoire doivent se retourner dans leur tombe, eux qui voulaient soustraire tous les enfants de France aux déterminismes économiques, familiaux, religieux ! Vous faites de l'éducation nationale un service de dépose minute d'enfant, à mille lieues des hautes missions qui sont les siennes.

Ce texte est dangereux par ce qu'il est, ce qu'il anticipe et ce qu'il sacrifie.

Avant de conclure (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), je ne peux m'empêcher, lorsque j’entends « droit d’accueil », de penser à ces enfants accueillis et scolarisés en France et que le Gouvernement s’apprête à expulser du territoire dans les jours qui viennent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ; vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

Ce texte organise l’invisibilité des mouvements dans l'éducation nationale et l'impossibilité pour les parents d'élèves de rappeler l'État à ses devoirs. Vous comprendrez, Monsieur le ministre, que nous demandions à nos collègues, de voter, sur ce texte inutile, impraticable et dangereux, la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ; huées sur les bancs du groupe UMP).

M. Charles de La Verpillière, rapporteurIl appartenait à nos collègues socialistes de démontrer l’inutilité de ce texte.

M. Patrick Roy – Cela vient d’être fait, avec talent !

M. Charles de La Verpillière, rapporteurMais les faits sont têtus. Le nombre de jours de grève dans le premier degré était de 265 000 en 2005, de 296 000 en 2006 et de 88 500 en 2007. Par ailleurs, un sondage révèle que 78 % des Français attendent cette mesure.

N’ayant pu démontrer l’inutilité de ce projet de loi, vous avez proféré, Madame la députée, des accusations hors sujet, s’agissant du droit d’asile, de la réforme des programmes ou de la modification des rythmes de travail.

M. Régis Juanico – Ce sont des sujets importants !

M. Patrick Roy – Ce qui est hors sujet, c’est le Gouvernement ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Charles de La Verpillière, rapporteurVous avez également affirmé que l’effort budgétaire se réduisait dans le premier degré, alors que c’est le contraire qui se produit.

Enfin, vous vous livrez à un procès d’intention en suggérant que l’accueil serait un substitut au remplacement des enseignants. Si les déclarations du ministre ne suffisent pas à vous convaincre, je vous invite à lire l’article 2 du projet de loi voté par le Sénat et à prendre connaissance des amendements que nous souhaitons y apporter. Contrairement à ce que vous affirmez, l’accueil constitue uniquement un filet de sécurité, une prestation minimale réservée aux cas de grève et aux absences imprévisibles et de courte durée.

Devant le peu de solidité de vos arguments, il nous faut chercher ce qui se cache derrière cette motion. En vérité, vous n’admettez pas que la majorité se saisisse d’un sujet concernant l’école, car c’est là votre chasse gardée, votre domaine réservé.

Mais vous avez vingt ans de retard dans ce domaine, comme dans les autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La communauté éducative a changé, et vous ne vous en êtes pas aperçus ! Les parents aussi ont changé, ils attendent des réformes qui améliorent leur vie quotidienne. En voici une. C’est la raison pour laquelle il faut rejeter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Le rapporteur vient de donner les raisons de fond pour lesquelles la question préalable ne saurait être adoptée. J’ajouterai un mot sur le ton et la forme de votre propos, Madame Mazetier. Je trouve illégitime que vous prétendiez donner l’exemple au ministre sur ce ton d’imprécation et d’anathème : vous n’avez pas plus de légitimité personnelle que moi sur la question de l’école. J’ai le droit d’en parler et d’avoir un avis sans qu’on mette en cause ma vie privée, ma carrière, mes conceptions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), voire l’idée que je me fais du rôle de la femme dans la société. Ce n’est pas acceptable. J’observe d’ailleurs que vous ne vous êtes pas excusée lorsque je vous ai demandé de taire votre opinion sur la manière dont je concevrais mon métier de père ou d’époux.

Vous croyez détenir la Révélation sur l’Éducation nationale, et par conséquent le droit de montrer du doigt ceux qui y ont consacré quarante ans de leur vie et de vous livrer à une exégèse de nos comportements et de nos engagements. C’est votre droit, mais c’est une manière d’aborder la politique que je n’approuve pas – et je ne suis pas le seul (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je l’approuve d’autant moins que ce que vous avez dit n’est pas exact. Vous avez par exemple expliqué que je cherchais, par des moyens subreptices, à organiser une sorte de garderie à la place des enseignements : j’ai dit le contraire dans la présentation du projet de loi ! Je crée une agence de remplacement pour éviter ce risque, et c’est moi qui ai souhaité que nous le disions dans le Préambule de la loi !

M. Patrick Roy – L’article 2 dit le contraire !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Non : il dit que l’État s’engage à remplacer les enseignants chaque fois que cela est possible, et qu’en cas d’impossibilité majeure non prévisible et exceptionnelle, les enfants seront gardés s’ils ne peuvent être accueillis dans les classes.

De même, vous nous intentez un procès sur l’organisation scolaire. Vous avez parlé d’abandon en ce qui concerne le samedi matin. Savez-vous que depuis plus de vingt ans, 30 % des écoles de France n’assurent pas de cours le samedi matin ? Marchent-elles moins bien que les autres ? Savez-vous que la semaine de quatre jours ou de quatre jours et demi existe dans le monde entier et que personne ne s’en plaint ? Vous parlez des rythmes de l’enfant : qu’est-ce donc que cette science qui s’arrête à nos frontières, puisque cela se fait partout ailleurs sans que les enfants réussissent moins bien ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Répondrez-vous enfin à la question de fond : comment se fait-il que 15 % des élèves ne sachent pas lire en sixième et qu’un fils de cadre supérieur ait neuf fois plus de chances de savoir lire qu’un fils d’ouvrier ? (Huées sur les bancs du groupe UMP) Le Gouvernement a voulu répondre à ce problème en décidant que les élèves en difficulté seraient pris en charge par les enseignants, qu’on leur offrirait des aides supplémentaires. Franchement, cette leçon de socialisme, de partage et de générosité que vous prétendez nous donner est bien mal placée ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Frédéric Lefebvre – Rappel au Règlement. Pour que le débat se poursuive dans un climat apaisé, il me semblerait utile que des distances soient prises au nom du groupe socialiste avec ce qui a été dit tout à l’heure (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Yves Durand – Je ferai également un rappel au Règlement. Nous entamons un débat important. Chacun ici – et c’est sans doute ce qui explique la passion de nos débats – est attaché, avec sa conception propre, à l’école de la République et à la réussite des enfants.

Un député du groupe UMP – C’est du baratin ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Yves Durand – Non ! Convenez que je n’ai pas l’habitude de manier l’interruption ou l’insulte, en particulier vis-à-vis de vous, Monsieur le ministre. Nous avons souvent débattu, avec fermeté, mais toujours dans le respect mutuel. Je crois d’ailleurs que c’est le cas de chacun ici. Poursuivons donc ce débat dans la sérénité. Cela n’empêche pas – Mme Mazetier l’a montré tout à l’heure – d’avoir de la fermeté dans ses convictions et donc dans son expression (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Plusieurs députés du groupe UMP – Des excuses !

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

Mme Chantal Bourragué – Je regrette le ton de votre propos, Madame Mazetier (Protestations sur les bancs du groupe SRC). Nous aurions aimé que vous vous excusiez auprès du ministre.

Contrairement à ce que avez demandé au nom du groupe SRC, il faut examiner ce projet de loi utile et équitable. Je vous remercie de nous l’avoir soumis, Monsieur le ministre : l’institution d’un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques est un vrai progrès.

M. Patrick Roy – Et le droit à l’éducation ! (Mouvements d’impatience sur les bancs du groupe UMP)

Mme Chantal Bourragué – Il reconnaît aux agents de la fonction publique la liberté de cesser leur travail pour marquer leur désaccord avec leur employeur, mais s’emploie à concilier deux libertés : la liberté de travailler et celle de faire grève. Tout enfant doit pouvoir être accueilli pendant le temps scolaire obligatoire, y compris quand les cours ne peuvent être dispensés.

Vous avez peu parlé des enfants et des familles, Madame Mazetier. Je tiens pour ma part à vous remercier, Monsieur le ministre, au nom des nombreux foyers monoparentaux, dont le chef de famille est le plus souvent une femme à la situation professionnelle qui peut être précaire, et de toutes les familles en général. Grâce à ce droit, le service public respecte chacun. Quand les familles peuvent recourir à un mode de garde familial ou rémunéré, elles surmontent l’absence d’accueil. Dans le cas contraire, il faut prendre un jour de congé ou aménager ses horaires de travail, ce qui entraîne une perte de rémunération, voire des difficultés professionnelles.

Ce texte ne porte pas atteinte au droit de grève des enseignants : il fait simplement obligation aux grévistes d’en informer leur autorité administrative au plus tard 48 heures avant le début de la grève – c’est le minimum pour pouvoir organiser un accueil de qualité. Du reste, de nombreuses communes offrent déjà ce service en cas de grève. Grâce à vous, Monsieur le ministre, il bénéficiera d’un cadre légal et d’un financement précis qui permettra d’assurer la gratuité pour les familles. Ce financement a été précisé en concertation avec les maires. J’ai ici la convention signée par la ville de Bordeaux et l’Inspection académique pour les grèves des 15 et 22 mai et pour les trois prochaines années. C’est l’occasion de rappeler qu’il n’y a eu que 25 % de grévistes les 15 et 22 mai…

Le texte prévoit que l’État versera une contribution minimale, indépendante du nombre d’enfants accueillis, pour prendre en compte la situation des petites communes.

Ce service est très attendu par les parents des écoles publiques comme par ceux des écoles privées. Ce sont les mêmes enfants qui y sont instruits.

Accueillir les enfants et protéger la liberté de travailler, c’est plus de justice, plus d’égalité, plus de liberté. Je ne comprends pas que le parti socialiste ne parle pas des parents en difficulté. Votre intervention était hors sujet, Madame Mazetier. Voilà plus de vingt ans que nous avons supprimé l’école le samedi matin à Bordeaux, en parfaite concertation avec les enseignants et les familles.

Mme Sandrine Mazetier – En parfaite concertation !

Mme Chantal Bourragué – Vous préférez que les enfants soient dans la rue ou que leurs parents ne puissent pas aller travailler !

Notre groupe rejettera donc cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Dominique Raimbourg – Ce que je vais dire concerne le texte et non les personnes, sur lesquelles je me garderai de tout commentaire (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). C’est cependant du mal que je dirai de votre texte.

D’abord, il survient dans un contexte difficile. L’éducation nationale est touchée par des suppressions de postes, qui semblent inspirées par la consigne présidentielle de réduire le nombre de postes plus que par une véritable analyse des besoins. Les programmes de 2002 viennent d’être modifiés sans avoir été évalués publiquement : on brûle en 2008 ce qu’on avait adoré en 2002 ! Enfin, les horaires de la semaine ont également été modifiés : cela peut plaire, mais cela peut aussi poser problème, notamment à ceux qui veulent rencontrer les enseignants le samedi matin.

Mais le texte est critiquable pour d’autres raisons. Il ne respecte pas l’article 72 de la Constitution, qui dispose que les collectivités locales s’administrent librement : en forfaitisant l’indemnisation, la loi fait peser sur elles une obligation. Beaucoup de maires pensent d’ailleurs qu’il sera impossible de constituer un vivier de personnes auxquelles il pourra être fait appel en cas d’absence inopinée.

Le texte porte également atteinte au droit de grève. L’obligation de préavis est incontestablement une limitation de ce droit. De plus, l’organisation du préavis est renvoyée à un décret, alors que le Préambule de la Constitution de 1946 prévoit que le droit de grève s’exerce « dans le cadre des lois qui le réglementent » – des lois, non des décrets.

C’est également un mauvais texte parce que l’accueil risque de remplacer l’obligation d’enseignement. Je ne dis pas que c’est votre intention, mais il y a là une porte ouverte, d’autant plus que le texte ne vise pas seulement la grève mais tous les motifs d’absence.

Enfin, ce texte est mauvais parce qu’il témoigne d’une certaine désinvolture à l’égard de la qualité de ceux qui vont intervenir dans les écoles. Il n’y a aucune obligation de compétence, pas même celle de posséder le BAFA ; la seule exigence est de ne jamais avoir été condamné pour des faits de nature sexuelle, ce qui est bien mince eu égards aux obligations qui incombent normalement à tous ceux qui s’occupent d’enfants.

Au final, ce texte n’est pas très utile. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter au rapport écrit de notre rapporteur : on y découvre que le nombre de jours de grève par enseignant et par an s’établit à 0,28… Tant d’efforts, tant de discussions passionnées pour une absence de 0,28 jour par an, cela semble bien dérisoire ! C’est la raison pour laquelle le groupe SRC appelle l’Assemblée à voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Mme Colette Le Moal – Ce projet de loi a le mérite de proposer un dispositif d’accueil à l’école court et facile à mettre en place, y compris par les petites communes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Le système envisagé est souple, grâce à la diversité des personnes qui pourront être recrutées par les communes, avec, bien entendu, tout le sérieux dont elles sont les garantes. Il faut croire aux talents qui peuvent se révéler lorsque l’on fait appel à la solidarité. Les enfants seront bien accueillis et les parents pourront travailler l’esprit libre ! Au reste, cette souplesse de recrutement est déjà souvent demandée aux maires pour les crèches, le temps de trouver un remplaçant pour un agent absent…

M. Bernard Derosier – Ce n’est pas vrai.

Mme Colette Le Moal – Le Nouveau Centre rejettera la question préalable et réaffirme son soutien à M. le ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. François de Rugy – Monsieur le ministre, tout à l’heure, vous avez semblé contester notre droit à parler de l’école. Il est particulièrement choquant de s’adresser en ces termes aux députés de la nation. Vous avez dit : « Il y a des personnes qui ont quarante ans d’expérience et elles seules sont légitimes pour s’exprimer ». Monsieur le ministre, qu’il s’agisse de Mme Mazetier, de moi-même ou de tous les autres collègues, nous représentons tous les Français et nous avons tous le droit de nous exprimer sur tous les sujets (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). L’école publique – dont vous n’avez pas toujours été les plus grands défenseurs (Huées sur les bancs du groupe UMP) – n’appartient à personne en particulier. L’école, c’est le bien commun de tous les Français. Nous y sommes attachés et nous n’avons pas de leçons à recevoir sur ce sujet. (Même mouvement)

M. Philippe Vitel – Nous non plus !

M. François de Rugy – Monsieur le rapporteur, tout à l’heure, pour répondre à Mme Mazetier, vous avez égrené ses propos en disant que tout cela était hors sujet et cela a été répété à l’instant par la porte-parole de l’UMP. Je vous le demande donc très directement : la vie dans nos écoles est-elle hors sujet dans ce débat ? C’est la vraie question et je vois dans vos propos une forme d’aveu : avec ce texte, l’école n’est pas votre première préoccupation.

Mme Sandrine Mazetier – Très bien !

M. François de Rugy – Votre objectif, c’est de dresser les Français les uns contre les autres (Huées sur les bancs du groupe UMP), les syndicats contre les parents d’élèves, les salariés du privé contre les fonctionnaires (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Telle est la réalité de votre texte et voilà pourquoi nous le combattons. Vous voulez créer un écran de fumée, en plein mois de juillet. Pourquoi ne pas avoir présenté ce projet au printemps dernier ou à la rentrée prochaine ? Comme par hasard, vous avez choisi le cœur de l’été ! Vous essayez de masquer les vrais problèmes de l’école car, non contents de ne pas les avoir réglés depuis un an, vous les avez souvent aggravés, notamment en supprimant des postes. Vous tentez de faire croire que la grève serait le principal problème de l’école.

M. Benoist Apparu – Nous n’avons jamais dit cela !

M. François de Rugy – Est-ce bien sérieux ? Hélas, j’observe que la première fois depuis le début de la législature que se tient dans cet hémicycle un débat sur l’école, c’est pour parler du service minimum ! Je fais mien cet argument de Mme Mazetier : en un an, vous avez multiplié les déclarations fracassantes sur l’école, au risque de semer le désordre dans les écoles de France (Huées sur les bancs du groupe UMP). Je le dis comme je le pense et je m’appuie pour le faire sur le témoignage des parents et des enseignants de ma circonscription. Au final, ce n’est pas la peine de se gargariser de grands discours sur la société de la connaissance et sur l’avenir de nos enfants si nous ne parlons jamais des conditions concrètes dans lesquelles est rendu notre service public de l’Éducation nationale. C’est pourquoi le groupe GDR votera pour l’adoption de la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – J’ai reçu de Mme Mazetier un mot par lequel elle exprime ses regrets sur le fait que j’aie pu considérer qu’elle parlait de ma vie privée et non de ma vie professionnelle. Je lui en donne acte et l’incident est donc clos.

Et je veux dire à M. le député de Rugy que je ne conteste évidemment à personne le droit de débattre sur l’école. Ce que je conteste simplement, c’est que l’on puisse mettre en cause les vies des personnes qui s’intéressent à l’école. C’est tout à fait différent (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous en venons à la discussion générale.

M. Yvan Lachaud – S'il y a des sujets qui, dans cet hémicycle, donnent souvent lieu à des prises de position politiques et à des instrumentalisations plus ou moins démagogiques, l'école est bien un de ceux-là et nous venons d’en avoir une démonstration ! Sur ce projet de loi instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire, que n'avons-nous pas entendu ? Le Gouvernement et les parlementaires – dont nous sommes – qui soutiennent ce texte ont été tour à tour accusés de porter atteinte au droit de grève et de vouloir mettre à bas le système scolaire de notre pays. Et je ne reviens pas sur les attaques personnelles dont le ministre a été victime !

Je voudrais rétablir la vérité, en revenant à la lettre et à l'impartialité des textes. Ce projet de loi, pour lequel je félicite M. Darcos, se situe à la confluence de trois préoccupations : assurer l'intérêt de l’enfant, préserver la liberté de sa famille et celle de ses parents qui travaillent, enfin, garantir les droits des professeurs. Depuis le siècle des Lumières, notre pays s'est honoré en mettant l'instruction et le progrès des consciences au-dessus de tout ; les pères fondateurs de la IIIe République ont voulu mettre l'école en dehors des querelles politiques et religieuses. Aujourd'hui, nous voulons, dans cet esprit, mettre l'école au-dessus des contingences que peuvent entraîner les discussions, voire les conflits liés aux évolutions de l'institution scolaire.

Ce projet de loi dit une chose très simple, à laquelle tous les parents et tous les enfants trouveront avantage : quand les enseignants usent de leur droit de grève – et ils ont tout à fait le droit de le faire –, les enfants ont droit à être accueillis dans l'école et les parents ont le droit de travailler. Dans une société où la démocratie fonctionne bien et où le mot de dialogue social a un sens, l'exercice d'un droit par les uns ne prive pas les autres d'un autre droit : le droit de grève des enseignants ne doit pas empêcher le droit au travail des parents d'élèves.

Si l'on considère que l'école est avant tout un lieu où l'on apprend à respecter les libertés, je ne vois pas de meilleur exercice pratique et de plus bel exemple pour les élèves que de voir l'État faire en sorte que les libertés des uns et des autres soient garanties et que l'intérêt des uns soit concilié avec celui des autres. Jusqu’à présent, que faisaient les parents quand ils amenaient leurs enfants à l'école un jour de grève et qu'ils trouvaient porte close ? Ils étaient contraints de trouver des expédients, dans l'urgence : il fallait payer une nourrice – parfois difficile à trouver – ou appeler à la rescousse un grand-père, une grand-mère ou un voisin. Le plus souvent, l'un des deux parents se voyait contraint de prendre un jour de congé, au risque que les relations avec l'employeur se dégradent au fil du temps.

Bien entendu, ces difficultés pesaient particulièrement sur les familles les plus modestes et pénalisaient singulièrement les familles monoparentales. Ce n'était pas satisfaisant. Loin de remettre en cause le droit de grève, nous disons simplement que l'État doit prendre un certain nombre de dispositions pour concilier ce droit et la mission de service public qui est celle des personnels de l'Éducation nationale. L'inscription dans la loi du droit des élèves à être accueillis pendant le temps scolaire permettra de rétablir l'égalité des Français face aux mouvements de grève, au-delà du taux de conflictualité habituel dans l'école où leurs enfants sont scolarisés, et au-delà de leur capacité à trouver un mode de garde. Il ne s'agira pas d'un simple service offert aux familles susceptible de varier en fonction des circonstances : c'est un droit qui pourra désormais s'exercer de façon permanente et immédiate.

Le dispositif prévu par le projet de loi comporte toutes les dispositions pour satisfaire les parents, puisque les élèves seront accueillis par du personnel sûr et compétent pour encadrer des enfants ; pour satisfaire les communes aussi, puisque la liberté est laissée aux maires pour s'organiser, et aussi puisque l'État engage sa responsabilité et leur verse une compensation financière. Ce projet de loi ne porte absolument pas atteinte à la libre administration des communes ; la création d'une nouvelle compétence pour les communes est accompagnée de moyens financiers pour l'assurer ; enfin, cet accueil pourra être organisé par les communes sans contrainte ni normes nouvelles. Les parlementaires centristes ont été particulièrement sensibles à cet aspect.

Plusieurs amendements ont encore amélioré l'organisation de ce droit d'accueil pour les élèves, que ce soit au Sénat ou ici : je pense notamment à l'établissement d'une liste des personnes susceptibles de participer à l'organisation du service d'accueil. La commune pourra librement choisir les intervenants mobilisés ; il pourra s'agir d’assistantes maternelles ou d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, qui travailleraient ce jour-là, d'autres fonctionnaires municipaux, mais aussi des associations gestionnaires de centres de loisirs ou des associations familiales, des mères ou pères de famille, voire des enseignants retraités ou des étudiants, etc. Il est important que le libre choix soit laissé aux communes.

Avec le soutien d'un bon nombre de mes collègues, j’ai souhaité que ce droit d'accueil puisse bénéficier également aux élèves des écoles maternelles et élémentaires des enseignements d'établissement privé sous contrat. En effet, ces établissements se trouvent confrontés aux mêmes situations de grève, de sorte qu'il serait à la fois anormal et inéquitable qu'une solution d'accueil existe pour les enfants des écoles publiques, et que ceux des enseignements d'établissement privé sous contrat restent à la porte des écoles. Ce ne serait en tout cas pas conforme à l'esprit de notre République et à la volonté de nos compatriotes.

Ce projet de loi répond à l'intérêt bien compris de tous : des élèves d’abord, qui prendront conscience que l'obligation scolaire doit être respectée tous les jours, y compris les jours de grève, et vous savez tous l'importance de l'exemplarité des institutions publiques pour l'éducation des jeunes générations ; des parents ensuite, qui seront rassurés par la garantie de voir accueillis leurs enfants dans des conditions pérennes et satisfaisantes ; mais aussi à l'intérêt des enseignants, car je suis persuadé que leurs mouvements de grève seront d'autant mieux compris qu'ils n'auront pas de conséquences difficiles pour la vie quotidienne des familles.

Finalement, on peut dire que ce projet de loi répond à l'intérêt de l'éducation nationale dans son ensemble et à celui de l'institution scolaire, car le secteur public garantira l'accueil permanent des élèves dans des conditions dignes d'un vrai service public. Il crée les conditions pour que tous les acteurs de la communauté éducative – parents, enseignants, État, collectivités locales – assument leurs responsabilités partagées dans l'éducation de nos enfants.

Ce droit d'accueil est conforme aux fondements de notre service public de l'enseignement. Bien loin de porter atteinte à ses trois principes – gratuité, obligation, laïcité –, il assure les conditions de leur respect. À ceux qui ne voient que manœuvre politique et mauvaises intentions dans ce projet de loi, nous répondons que nous n’avons pas la même vision des choses. Parce que ce projet de loi privilégie l'intérêt des enfants et des parents, le groupe du Nouveau Centre le votera avec confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Frédéric Lefebvre – Ce texte, Monsieur le ministre, l'UMP l'espérait. Notre groupe le soutient avec d'autant plus d'enthousiasme qu'il marque une vraie rupture avec l'attitude fataliste de vos prédécesseurs.

Les Français, notamment les plus modestes, connaissaient depuis des décennies de véritables galères les jours de grève. Un petit salaire, pas de possibilité de prendre des RTT, pas de famille pour s'occuper des enfants : voilà ceux pour qui ce projet de loi est fait en priorité !

M. Régis Juanico – Ceux-là, leurs enfants sont déjà accueillis !

M. Frédéric Lefebvre – Les professeurs sont libres de manifester, mais les parents ne sont pas libres de se rendre à leur travail. Et au PS, on oserait remettre en question la légitimité du droit d'accueil ?

Je fais partie de ceux qui se seraient bien passés d'une loi... Beaucoup de maires, de l’UMP mais pas seulement, avaient décidé de prendre les choses en mains.

Mme Delphine Batho – Très peu !

M. Frédéric Lefebvre – Vous les y aviez incités, Monsieur le ministre. Lors des grèves du mois de janvier, un dispositif expérimental d'accueil dans les écoles a été mis en place dans plus de 2 000 communes. En mai, 2 837 des 22 500 communes comprenant au moins une école ont appliqué le service minimum d'accueil, permettant à des parents de se rendre à leur travail sans avoir à organiser dans l'urgence une garde pour leurs enfants.

Mais par idéologie, poussés par un parti socialiste spécialisé dans les batailles d'arrière- garde, des maires ont fait la grève du service minimum d'accueil – par solidarité avec les professeurs, disaient-ils ! À Paris, Bertrand Delanoë s'est illustré par son sectarisme, en contrant toutes les initiatives prises par les maires d'arrondissement de droite et en faisant fermer les écoles.

Mme Sandrine Mazetier – C’est faux !

M. Frédéric Lefebvre – Si donc, Monsieur le ministre, nous vous suivons pour légiférer, c'est pour contrer la complicité de certains élus avec ce qui s'apparentait parfois à une prise en otage de nos enfants (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

Il n'est pas question par cette loi de revenir sur le droit de grève des enseignants, ni de « casser les mouvements de grève ». Il s’agit simplement de garantir aux Français le droit de travailler quand certains font grève. Oui au droit de grève, mais non au droit de nuire aux Français ! À 82 %, ils sont favorables à cette loi. D’ailleurs, l’éditorial du Monde relève fort bien que la gauche est gênée…

Ce texte est une avancée dans les relations entre les enseignants et les familles ; les uns et les autres auront la possibilité de jouir de leurs droits et libertés. Néanmoins il n'est pas sans poser des problèmes aux élus, et je veux rendre hommage à Jacques Pélissard, qui a eu le courage de poser depuis le début un certain nombre de questions. Dans les réponses aux questionnaires qui ont été adressés aux maires, il est apparu que leur inquiétude portait sur la question de la responsabilité.

Mme Delphine Batho – Pas seulement.

M. Frédéric Lefebvre – Lorsque je vous avais interrogé sur le sujet à l’occasion des questions d’actualité, Monsieur le ministre, vous vous étiez dit ouvert à la discussion. Or Jacques Pélissard, en tant que président de l'Association des maires de France, a l’avantage sur nous d’avoir, d’une certaine manière, un pied au Sénat (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) ; et au Sénat, chers collègues, beaucoup de progrès ont été faits sur la question de la responsabilité administrative.

Restait celle de la responsabilité pénale. Avec Jacques Pélissard, nous avons déposé un amendement mais il est tombé sous le coup de l’article 40. Nous proposions en effet que l’État puisse se substituer aux collectivités locales dans la protection juridique des maires face au risque pénal.

Mme Delphine Batho – Cela n’existe pas !

M. Frédéric Lefebvre – Mais si ! Et le ministre a accepté de reprendre cet amendement.

Mme Delphine Batho – Il ne s’agit pas de substitution !

M. Frédéric Lefebvre – Nos collègues socialistes de bonne foi ont désormais toutes les raisons de voter ce texte.

M. Jean Glavany – Cessez d’être politicien !

M. Frédéric Lefebvre – À l'UMP, en tout cas, nous pourrons partir en vacances avec le sentiment qu'à la rentrée prochaine, rien ne sera plus comme avant.

M. Yves Durand – Ça, c’est vrai !

M. Frédéric Lefebvre – Certains oublient trop souvent que le rôle du Parlement, c’est de se mobiliser pour défendre les intérêts des Français et répondre à leurs attentes : avec ce texte, c’est ce que nous faisons. Nous vous remercions d’avoir pris cette initiative, Monsieur le ministre. Au mois de juillet, on peut faire de belles réformes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Yves Durand – Faire les lois, ce n’est pas forcément commenter les articles du Monde, fussent-ils brillants, ni de se déterminer en fonction des sondages – sinon le Président de la République aurait quelques problèmes, notamment avec la nomination du responsable de France Télévisions.

Avant de créer un droit nouveau, encore faudrait-il assurer les droits fondamentaux qui fondent la République, en particulier le droit à l’éducation. Combien de jours de classe ont été perdus pour fait de grève, au regard du nombre de jours non assurés par manque de remplaçants ? Combien d'heures d'enseignements amputés par votre décision unilatérale de suppression de l'école le samedi matin – dont des conseils municipaux, pas nécessairement de gauche, ont demandé le report – ? Le rythme scolaire pose problème, il est vrai, mais il est autrement profond, et la suppression des cours du samedi matin ne suffira pas à le résoudre.

D’autre part, en envisageant la suppression des IUFM, vous niez la spécificité même du métier d’enseignant – que vous défendiez pourtant avec talent lorsque vous dirigiez le cabinet de M. Bayrou. Le tollé général que cette annonce a provoqué parmi les pédagogues – que vous méprisez – et les enseignants – à qui vous tentez de faire croire par voie de presse que vous les aimez – est légitime, ainsi que les mouvements de grève subséquents. À vous entendre, on croirait que les enseignants font parfois grève par plaisir. Dois-je rappeler que ce n’est jamais le cas ? Au contraire, la plupart des mouvements de grève dans l’Éducation nationale n’ont pas pour objet des questions salariales ou statutaires, mais la préservation des principes qui sont au cœur de leur mission – je pense à la mobilisation sur les programmes, par exemple. S’ils prennent l’initiative d’amputer leur salaire – pourtant loin d’être excessif – d’un jour de travail, c’est bien pour défendre leur conception de l’école.

Or, votre seule réponse à cette mobilisation fut d’annoncer, le soir même d’un mouvement de grève, l’élaboration d’un projet de loi sur ce qu’il convient d’appeler le service minimum à l’école. Comment ne pas y voir une provocation ? Avant de quêter les bons sondages en apportant de fausses réponses aux parents, mieux vaudrait mettre en œuvre une politique éducative et une pratique sociale qui rendent exceptionnel le recours à la grève. La discussion en urgence de ce projet de loi est un aveu d’échec : votre politique n’a porté ses fruits ni en matière d’effectifs, puisque 13 500 postes sont supprimés – malgré une légère augmentation dans le primaire, bien inférieure aux besoins suscités par l’embellie démographique – ni en matière de pédagogie, alors que l’école doit porter chaque enfant au plus haut de ses capacités et lui faire comprendre la complexité du monde dans lequel il vit. À cet égard, nous aurons l’occasion de revenir sur la modification sans évaluation des programmes du primaire.

Faut-il que vous craigniez une forte contestation dès la rentrée pour imposer en urgence un projet si mal ficelé que toutes les associations de maires vous en demandent le report, voire l’abandon ! Ce texte, en effet, est inapplicable et dangereux.

C’est d’ailleurs parce qu’il est inapplicable que vous devez l’imposer aux communes par la loi. En janvier dernier, vous n’évoquiez encore que la base du volontariat. Or, seules deux mille des trente-six mille communes de France en ont accepté le principe. Ce sont les maires de gauche qui veulent saboter le projet, a-t-on entendu : notre pays en compte-t-il donc autant ? Quelle bonne nouvelle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) Les maires des petits communes vous ont interrogé en vain sur la nature de leurs responsabilités. En outre, le financement – la compensation, dites-vous – par l’État reste à préciser.

Inapplicable, ce texte le sera dans les communes rurales ne disposant pas du personnel municipal suffisant. Comment le maire pourra-t-il alors recruter des surveillants pour s’occuper d’enfants dont on ne connaîtra pas même le nombre jusqu’au dernier moment ? Les communes pourront se regrouper, nous dit-on ; cela ne sera possible que dans les rares cas de regroupements pédagogiques intercommunaux, mais pas autrement – par exemple en cas de grève locale.

Inapplicable, il le sera aussi compte tenu des difficultés pédagogiques et juridiques que posera la cohabitation dans les mêmes locaux d’élèves dont l’enseignant fait grève et d’autres non.

Inapplicable, il le sera enfin lorsque le mouvement de grève affectera l’ensemble de la fonction publique, y compris les personnels municipaux.

Pire encore : c’est un texte dangereux. En créant le droit d’accueil pendant le temps scolaire obligatoire, vous déliez l’État de son obligation de garantir la continuité de l’enseignement. L’article 2 ouvre la voie à son extension aux cas où les enseignants sont absents pour cause de maladie ou de formation – quoique ces derniers cas soient de plus en plus rares, étant donné la faiblesse des crédits. C’est mettre le doigt dans un engrenage terrible : à terme, la continuité de l’enseignement disparaîtra par manque de remplaçants. Ainsi, vous épongerez quelques dizaines de milliers de postes supplémentaires tout en réjouissant les parents – dont l’intérêt fondamental, pourtant, est que leurs enfants soient éduqués bien plus que gardés. D’ailleurs, la création annoncée sans la moindre précision d’une agence nationale de remplacement laisse craindre une généralisation du recours à l’intérim. Le remplacement de tout enseignant absent deviendrait alors un simple accueil, et non plus un enseignement à la charge de l’État.

M. Patrick Roy – Quelle régression !

M. Yves Durand – De même, le pire est à craindre pour l’école maternelle, dont la suppression – envisagée dans un livre récent – permettrait l’économie de 8 500 équivalents temps plein. Pourrez-vous, Monsieur le ministre, nous confirmer qu’elle possède une spécificité qui en fait l’un des joyaux de l’Éducation nationale ?

En conclusion, je tiens à dénoncer le faux clivage que vous ne cessez d’invoquer entre vous, les partisans d’une école moderne, et nous, les ringards favorables à l’immobilisme.

M. Charles de La Verpillière, rapporteur – Eh oui !

M. Yves Durand – Pas du tout : nos conceptions de l’école sont certes bien différentes, mais la vôtre est minimaliste, qui réduit l’éducation à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, excluant toute ouverture au monde, toute passion pour l’histoire ou la culture…

M. Claude Goasguen – Quel procès d’intention !

M. Yves Durand – La nôtre, au contraire, apporte des solutions et des moyens à des questions qui nous concernent tous. Nous sommes attachés à la défense de l’école, comme le prouvera la discussion d’amendements. En l’état, nous voterons contre ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. François de Rugy – En ce début d’été, on aurait pu penser, Monsieur le ministre, que vous auriez d’autres priorités que ce texte pour les enfants de France. On aurait pu penser par exemple que l’urgence était à l’organisation d’un droit aux vacances pour tous ces enfants – même si le discours gouvernemental ne va guère dans ce sens. Quant à moi, je souhaiterais que l’on pense aux millions d’enfants qui ne partiront pas en vacances cette année. N’était-il pas plus urgent de se préoccuper de ce problème, plutôt que de nous présenter un tel texte ? On aurait aussi pu penser que l’urgence était à la préparation de la rentrée scolaire.

M. Benoist Apparu – Ceci n’empêche pas cela !

M. François de Rugy – C’est précisément pour anticiper la situation de l’Éducation nationale à la rentrée que ce texte est aujourd’hui déposé en urgence au cœur de l’été, nous direz-vous. N’est-il pas un peu triste qu’un ministre de l’Éducation nationale n’anticipe la rentrée que sous le seul angle du conflit avec les enseignants ? Quel aveu de votre part sur le climat qui règne au sein de cette grande institution qu’est l’Éducation nationale que de ne préparer la rentrée qu’au moyen d’un texte sur le service minimum en cas de grève !

Il y a à cela deux motivations. La première consiste à opposer les parents d’élèves aux enseignants – le Président de la République s’en cache à peine.

M. Guy Geoffroy – Mais non !

M. François de Rugy – Sachez-le, Monsieur le ministre : cette politique qui vise à monter les uns contre les autres fonctionnaires et salariés du privé, enseignants et parents d’élèves, est vouée à l’échec. Je vous le dis d’autant plus tranquillement que je connais bien le milieu de l’éducation, étant fils et petit-fils d’enseignant – une tare, diront certains – mais aussi parent d’élève. En outre, j’ai eu de très nombreuses conversations avant les vacances dans les écoles de ma circonscription de Nantes-Orvault-Sautron. C’est main dans la main que les enseignants et les parents d’élèves s’y battent pour préserver la qualité de l’enseignement à l’école. J’ajoute, car c’est assez rare pour être souligné, que c’est le cas autant au sein de l’école publique que dans les écoles privées. Les banderoles de la mobilisation sont encore suspendues aux portes des unes et des autres. C’est avec les parents que les enseignants ont envie de parler des questions de moyens, bien sûr, mais pas uniquement des questions de moyens, pas uniquement de ce qui ressort de leur intérêt propre, mais aussi de sujets généraux comme les programmes. C’est dans ce sens qu’ils ont organisé de nombreuses réunions d’échange et d’information, et je me souviens que vous aviez brocardé les occupations d’école, y compris dans des soirées qui étaient symboliques – vous avez dit que c’était du carnaval ou je ne sais quoi, et que ça n’avait pas sa place dans les écoles. Eh bien, c’est bien regrettable, car cela a été des moments d’échange très fructueux entre les parents et les enseignants. Je le dis, comme l’ont dit d’autres collègues avant moi, au passage, la suppression de l’école le samedi matin rendra demain encore plus difficile ces échanges, et c’est bien dommage.

Mais comme vous constatez que cette politique d’affrontement entre les parents et les enseignants, ourdie davantage sans doute à l’Élysée que dans les couloirs ou les bureaux de votre ministère, ne marche pas, vous avez décidé d’aller à l’affrontement direct avec les enseignants. On a même carrément l’impression que vous vous trouvez réduit – alors que ce n’était pas votre positionnement au départ – si vous me permettez l’expression, à casser du prof, au motif que cela vous rendrait populaire à l’Élysée et sur les bancs de l’UMP, et on l’a vu malheureusement lors de nombreuses séances de questions d’actualité : vous avez été applaudi à tout rompre par les collègues de l’UMP alors que vous critiquiez le monde enseignant.

Il y a quelque chose de paradoxal à raviver ce discours anti-profs sur la question des grèves, alors même que c’est un des secteurs de la fonction publique où il y avait traditionnellement le moins de jours de grève. Vous devriez commencer, peut-être, par vous interroger sur les raisons qui ont conduit à cette crispation. Et en vous arc-boutant sur ce projet de loi sur le service minimum en cas de grève, vous tentez d’escamoter le débat sur les causes réelles, profondes, du mécontentement dans l’éducation nationale, qui encore une fois fédère autant les enseignants que les parents d’élèves.

Alors vous nous dites que vous avez les sondages avec vous, vous l’avez encore dit tout à l’heure dans une réponse à notre collègue Candelier. Mais voilà quand même un raisonnement étrange de votre part : les Français s’expriment quotidiennement, depuis des mois, sondage après sondage, contre les principaux aspects de votre politique ; alors avec ce raisonnement, vous devriez changer de politique, et même appeler le Président de la République à la démission. Vous voyez bien que ces raisonnements ne tiennent pas ; quand on fonde une politique sur les sondages, on ne va nulle part.

En fait, la déclaration de Nicolas Sarkozy devant le Conseil national de l’UMP – et d’ailleurs on se demande bien ce qu’un Président de la République va faire devant le conseil national d’un parti – selon laquelle la France change « puisque maintenant quand il y a une grève, plus personne ne s’en rend compte », eh bien cette phrase sonne comme un défi lancé aux enseignants, et à travers eux à tous les fonctionnaires. Si le Président de la République veut un bras de fer au point que la France soit paralysée par les mouvements sociaux, qu’il le dise ! Mais surtout, alors que l’Éducation nationale vient de connaître une année agitée, où tous les niveaux, de la maternelle à l’université – c’est une première : tous les niveaux ont été touchés dans la même année scolaire, et ç’a été, encore une fois, les parents, les enseignants et les élèves pour ce qui concerne le lycée et l’université – la première urgence est-elle d’aller défier les enseignants ? Est-elle de faire preuve de défiance et de méfiance à leur égard ? Toute votre politique est résumée dans cette attitude. Enfin, nous aurions un ministre de l’éducation nationale qui va au conflit avec les enseignants, un ministre qui ne cède pas : tel est le portrait qui est fait de vous à l’Élysée et à l’UMP ; c’est ce que nous lisons chaque jour dans la presse. Remarquez que ce serait d’autant plus facile si vous faites une loi pour casser les grèves : il est assurément plus facile de régler les conflits si on empêche qu’ils aient lieu.

Mais sur le fond, est-ce là le bon indicateur de l’efficacité d’une politique de l’éducation ? Est-ce sur la capacité à créer du conflit avec les enseignants que se juge une bonne politique éducative préparant l’avenir de nos enfants ? Nous, les Verts, nous croyons au contraire que c’est dans la capacité à s’appuyer sur les enseignants, sur la capacité à leur faire confiance, que l’on gagnera la bataille de la société de la connaissance pour tous. C’est en soutenant les enseignants dans leurs difficiles tâches que l’on améliorera les résultats scolaires. Quiconque a été enseignant sait que c’est une tâche particulièrement difficile de faire face à une classe, que ce soit en maternelle, en école primaire, au collège, au lycée ou à l’université ! Alors vraiment, c’est en soutenant l’innovation pédagogique que l’on fera progresser tous les enfants ; c’est en fixant des objectifs, des résultats, des objectifs sur les résultats, et en laissant la plus grande liberté aux enseignants sur les moyens pour y parvenir, que l’on améliorera le service public de l’éducation nationale, et pas en pondant des directives autoritaires. En quelque sorte, ce serait la réforme permanente : oui, bien loin de l’idéologie, ou de la petite politique politicienne qui caractérise vos postures anti-profs, ce serait la vraie réforme, celle qui se diffuse à partir de l’expérimentation, celle qui donne des résultats concrets, celle qui est vraiment au service des enfants de France et de la qualité de l’enseignement qui leur est délivré. Cette question d’état d’esprit et de méthode est comme dans toute réforme l’un des éléments clés de la réussite, et nous le disions de la même façon quand Claude Allègre traitait l’éducation nationale de mammouth. Le fait d’ailleurs qu’il soutienne de plus en plus votre politique est plutôt de mauvais augure pour vous et votre politique.

Un député SRC – C’est vrai !

M. François de Rugy – On peut d’ailleurs se souvenir que sur cette question du service minimum nous avons failli, nous les députés, ici à l'Assemblée nationale, comme nos collègues sénateurs, ne pas avoir la parole, puisque cela a déjà été expérimenté, depuis le début de l’année scolaire, par le biais d’une circulaire ; pour mémoire, la circulaire du 8 janvier 2008 instaurait un service minimum d’accueil qui a été opérationnel pour les mouvements du 25 janvier et du 15 mai. Ce dispositif était basé sur le volontariat et peu de communes se sont empressées de le mettre en place, puisque selon les chiffres seulement 1 750 la première fois, et 2 387 la seconde, l’ont fait sur les 36 600 communes que compte la France –, ce n’est quand même pas parce qu’il y avait 34 000 communes de gauche !

Cette circulaire ne respectait déjà pas l’article 34 de la Constitution car le dispositif qu’elle instaurait relève du domaine de la loi : instaurer de nouvelles obligations aux collectivités et limiter le droit de grève, cela relève du domaine de la loi, la Constitution le rappelle.

Enfin, sur le fond, vous dites dans ce projet de loi que la déclaration de grève 48 heures à l’avance doit être précédée d’une négociation entre les syndicats et l’État ; c’est la première fois, d’ailleurs, dans la fonction publique, que la négociation préalable est rendue obligatoire avant l’arrêt de travail ; mais notons quand même le paradoxe : ce texte qui fait semble-t-il l’éloge de la négociation préalable, du dialogue social, a été préparé dans la précipitation, sans concertation, ni avec les syndicats, ni avec les associations de parents d’élèves dont plusieurs se sont élevées contre ce projet. Alors franchement, cela augure mal de la suite des relations entre les enseignants, les parents d’élèves, et leur ministère de tutelle.

Enfin, sur le dispositif d’accueil, nos collègues l’ont dit avant moi, il y a quand même une ambiguïté assez choquante, puisqu’on est passé d’un dispositif d’accueil prévu pour les cas de mouvements de grève à un dispositif d’accueil lorsqu’il y a une absence, sans qu’il en soit précisé le motif, puisque, je cite le texte : « lors par suite de l’absence ou de l’empêchement du professeur habituel de l’élève et de l’impossibilité de le remplacer, ses enseignements ne peuvent lui être délivrés, il y aura un service d’accueil ». Alors là aussi, il faut quand même préciser les choses : est-ce que les collectivités locales vont être appelées à suppléer l’État en cas d’absence des enseignants pour maladie, par exemple ?

M. Claude Goasguen – Bien sûr que non ! Lisez le texte !

M. François de Rugy – D’autant plus que cela se situe quand même dans un contexte, mon collègue Durand l’a rappelé avant moi, mais je voudrais rappeler une autre chose que beaucoup d’enseignants et de syndicats d’enseignants ont dit, c’est qu’aujourd’hui il n’y a plus de consignes données par votre ministère pour regrouper les heures supplémentaires et créer de vrais postes, mais au contraire la consigne donnée est de fractionner un certain nombre de postes en heures supplémentaires pour se séparer de postes à plein temps et titulaires. Et comme l’a dit mon collègue, on voit bien que cela peut déboucher sur une vraie dégradation de la qualité de l’enseignement si on fait appel à des intérimaires. Ça, c’est le contexte général dans lequel vous présentez ce projet de loi.

Mais sur ce projet de loi proprement dit, la Constitution dispose en son article 72 que les collectivités locales s’administrent librement ; or dans ce cas, la loi leur impose certaines contraintes à savoir l’organisation – ce n’est pas rien – et l’accueil des élèves en cas de grève des enseignants, qui sont des fonctionnaires d’État, et pas jusqu’à nouvel ordre des fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale. Et cela bien entendu provoque une levée de boucliers de la part de tous les maires de France, cela a été dit tout à l’heure, y compris le président de l’association des maires de France, les maires de petites communes comme les maires des grandes villes ; et nous avons été saisis, comme les autres collègues, je suppose, par l’Association des maires des grandes villes de France qui regroupe des maires de toutes tendances et qui nous a dit qu’il fallait combattre ce projet de loi.

De plus le Sénat a rajouté une nouvelle obligation, introduite par un amendement, celle de constituer aux côtés de l’inspection académique, au préalable, un fichier des personnes susceptibles de participer à l’organisation de ce service minimum d’accueil. Cela veut bien dire que l’on met les communes en première ligne, alors que cela ne relève pas de leur compétence. Et tout cela, je le disais tout à l’heure, intervient dans un contexte général qui suscite de nombreuses inquiétudes sur lesquelles vous ne répondez pas. Sur les suppressions de postes, je me souviens qu’il y a un an et demi, lorsque vous étiez en campagne électorale, et il y a un an, au tout début de votre Gouvernement, nous avons interpellé le ministre des comptes publics, et nous lui avons dit : à force de dépouiller l’État de ses moyens avec le paquet fiscal, vous serez bien obligé de tailler dans les effectifs de la fonction publique, et on leur a demandé : mais sur quels postes va-t-il y avoir des suppressions ? Est-ce que c’est dans l’éducation ? Est-ce que c’est dans la police ? Est-ce que c’est dans la justice ? Est-ce que c’est dans les services publics utiles à tous les Français ? On nous a dit non, non, non ! Ne vous inquiétez pas, cela ne touchera pas l’éducation ! Et on a vu le résultat. On se souvient du Président de la République, alors candidat, qui essayait de nous faire croire qu’il n’y aurait des suppressions de postes que dans l’administration des Douanes ; on voit le résultat : aujourd’hui, c’est l’Éducation nationale qui est en première ligne, presque un poste sur deux sur les 30 000 postes que vous comptez supprimer.

J’ai parlé aussi du problème des heures supplémentaires, je pourrais parler dans le contexte actuel particulièrement idéologique de suppression des IUFM : pourquoi donc voulez-vous supprimer les IUFM…

M. Claude Goasguen – Mais pas du tout !

M. François de Rugy – …si ce n’est pour faire soit un clin d’œil aux milieux les plus conservateurs de l’éducation nationale dont vous faites peut-être partie, M. Goasguen, soit pour faire des économies ? Ce qui veut dire demain, et les enseignants comme les parents d’élèves l’ont très bien compris, que les personnes passeront directement du statut d’étudiant au statut de professeur, sans transition : ils auront le concours, ils iront enseigner devant les classes, sans formation préalable à la pédagogie ; est-ce que c’est ça, le progrès que vous nous proposez pour l’éducation nationale ?

Voilà les vrais débats dont nous aurions besoin sur l’éducation nationale…

M. Claude Goasguen – Mais où sont les solutions ?

M. François de Rugy – …et je ne parle même pas – je vais finir là-dessus – de la menace de suppression de l’école maternelle. Il y a un livre qui a été écrit sur le sujet…

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Je ne suis tout de même pas responsable de tout ce qui s’écrit !

M. François de Rugy – Mais alors il faut prendre ses distances clairement avec ce genre de propos, qui sont là aussi, on le sait, issus des milieux les plus conservateurs sur l’éducation nationale. C’est particulièrement grave ! Et lorsque Mme Mazetier a dit tout à l’heure que l’on aurait pu parler de l’obligation scolaire dès trois ans, on a entendu beaucoup de protestations sur les bancs de l’UMP. Ça, ça rassurerait les parents et les enseignants !

Le minimum aurait été, Monsieur le Ministre, que ce soit l’État et lui seul qui assume ce service minimum. Pour toutes ces raisons, et parce que l’école mériterait mieux qu’un projet désolant de pauvreté et choquant sur l’idéologie qu’il exprime, les députés verts voteront contre ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Guy Geoffroy – Mon propos portera sur le texte qui nous est proposé, et non pas sur tous les fantasmes que l’on construit à cette occasion…

M. Patrick Roy – Des craintes, pas des fantasmes !

M. Guy Geoffroy – …car tout ce qui vient d’être dit n’a pas grand rapport avec la réalité. Monsieur le Ministre, vous le savez et chacun ici le sait : nous sommes nombreux, dans cette assemblée, à être issus de ce très joli métier qu’est le métier d’enseignant. Et, tous, nous partageons la même passion et les mêmes valeurs. Parmi ces valeurs, il y en a une à laquelle certains voudraient faire croire aujourd’hui que l’on envisage de toucher : le droit de grève. Homme de l’enseignement public, fier de l’être, j’ai toujours été et je resterai toujours attaché au droit fondamental qu’est le droit de grève. Y a-t-il alors contradiction entre ce que je viens de dire et le soutien massif que le groupe UMP apportera évidemment à ce texte ? Bien évidemment non. Contrairement à ce qui a été dit sur certains bancs, ce texte n’a absolument pas pour ambition de casser le droit de grève…

M. Marc Dolez – Il le restreint !

M. Guy Geoffroy – …il se contente de préciser des choses qui méritent de l’être, et d’ouvrir pour les familles, de manière plus certaine qu’aujourd’hui, un droit pas totalement assuré.

Comment se fait-il que l’accueil soit, dans le second degré, une obligation en toute occasion, même en cas de grève, alors que, lorsque les enfants sont plus petits et que leurs parents sont légitimement amenés à se demander ce qu’ils feront pendant la journée, aucun accueil ne soit prévu ? C’est à cette anomalie que répond le projet de loi : les familles bénéficieront désormais d’un droit à l’accueil de leurs enfants, quel que soit leur âge. Et reconnaître ce droit ne revient pas à le confondre avec le premier droit fondamental en matière d’école, qui est celui à l’éducation et à l’enseignement.

Nous aurions été nombreux à souhaiter que le recours à la loi ne devienne pas une nécessité, et que les maires, petit à petit, adhèrent à un dispositif…

M. Marc Dolez – Comme à Saint-Quentin !

M. Guy Geoffroy – …qui, sur le terrain, ne suscite pas tant d’opposition que cela.

Pour illustrer mon propos, je vous raconterai une anecdote (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Cela se passe entre 1997 et 2002, M. Jospin étant Premier ministre et M. Allègre ministre de l’Éducation nationale. Je suis le maire nouvellement élu de ma commune, et l’ancien maire socialiste, qui siège au conseil municipal, m’interpelle un jour : « Monsieur le maire, les enseignants sont en grève » – ils avaient le front de faire grève contre M. Allègre, ce qui lui paraissait alors insupportable ! – « Qu’allez-vous prévoir pour que l’accueil des enfants soit assuré ? » Tout était dit ! Je salue la sagesse de mon prédécesseur à la mairie de Combs-la-Ville, qui, avec de nombreuses années d’avance, demandait l’accueil des enfants les jours de grève…

M. Jean Glavany – Que vous êtes politicien !

M. Guy Geoffroy – C’est la seconde sagesse de ce texte, qui prévoit, à l’article 4, que cet accueil est obligatoire pour l’État en toute situation, jusqu’au moment où une grève recueille la participation d’au moins 20 % des enseignants, où c’est alors la commune qui prend cet accueil en charge. Il n’y a aucun scandale là-dedans, mais au contraire beaucoup de bon sens. Les communes ont déjà fait leurs preuves, fût-ce à petite échelle, dans la gestion d’un tel accueil, lors des grèves de janvier et de mai.

Je reviendrai sur ces différents points lors de la discussion des articles. Pour le groupe UMP, le seul débat porte sur le fait que les parents doivent avoir le droit que leurs enfants soient accueillis. Les amendements que le Gouvernement s’apprête à accepter apportent une plus grande clarté au texte. Notre groupe, dans le souci de servir la cause de l’école et des familles, votera donc ce texte, après l’avoir amélioré (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 5.

Le Directeur du service
du compte rendu analytique,

Michel KERAUTRET

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