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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mercredi 16 juillet 2008

2ème séance
Séance de 21 heures 30
18ème séance de la session
Présidence de M. Marc Laffineur, Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

DROITS ET DEVOIRS DES DEMANDEURS D’EMPLOI

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi.

M. Jean Mallot – Rappel au règlement ! Monsieur le Président, je déplore – comme beaucoup – que l’examen de ce texte commence un mercredi soir. C’est un texte important, médiatisé, sensible : si les travaux parlementaires étaient correctement organisés, il aurait pu être discuté au mois de juin ; il aurait pu aussi être discuté au mois d’octobre, en même temps que le projet de fusion entre l’ANPE et l’UNEDIC. Choisir de nous faire examiner ce texte en été n’est pas convenable.

M. le Président – Puisque nous sommes en été, autant discuter le soir ! (Sourires.)

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi – Au cœur des engagements du Président de la République, figure le double objectif de ramener le chômage à 5 % à la fin du quinquennat, en 2012, et de rendre le plus grand nombre possible de nos concitoyens à l’emploi, en revenant à un taux d’emploi de 70 %. Cette question est étroitement liée à celle du pouvoir d’achat : un des premiers moyens d’améliorer le pouvoir d’achat de nos concitoyens, c’est de faire en sorte qu’ils disposent d’un travail, donc d’un salaire, et dès lors du pouvoir d’achat qui en résulte. Aujourd’hui, rappelons-le, le taux de chômage en France est à 7,2 % – le plus bas depuis 25 ans quant au taux d’emploi, il remonte à 65,1 % ; nous sommes donc sur le bon chemin.

Pour atteindre nos objectifs, pour encourager la croissance et les emplois de demain, des mesures de fond sont nécessaires. Cela passe par la réhabilitation du travail, par la compétitivité, par l’innovation, par l’attractivité : les lois importantes votées depuis 2007 – à commencer par la loi TEPA – s’inscrivent dans notre combat pour l’emploi et contre le chômage. La loi de modernisation de l’économie, débattue devant l’Assemblée puis devant le Sénat, contribuera, elle aussi, à améliorer l’attractivité de notre territoire, sa capacité d’innovation, et dès lors sa capacité à créer des emplois.

Créer des emplois est essentiel, mais il est tout aussi essentiel de pourvoir les emplois existants : alors que notre pays compte 1,9 millions de candidats à l’emploi, des centaines de milliers d’emplois sont inoccupés et cherchent un salarié. L’offre et la demande ne se rencontrent pas : il faut donc améliorer le marché de l’emploi. De nombreux chantiers ont été lancés, notamment par les partenaires sociaux : pensons à l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2008, grâce auquel notre pays a franchi un pas important dans la sécurisation des parcours professionnels ; cet accord a été consacré par la loi du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail.

D’autre part, depuis la loi du 13 février 2008, votée par l’Assemblée, le processus de création du nouvel opérateur issu de la fusion entre l’ANPE et l’ASSEDIC est lancé. Laurent Wauquiez et moi-même suivons ce chantier avec détermination, afin qu’il se traduise rapidement, par des améliorations concrètes, et pour les candidats à l’emploi, et pour les entreprises. Vous vous rappelez nos débats : il ne s’agit pas d’une réforme institutionnelle, mais de la création d’une plateforme de services capable d’offrir le meilleur service possible aux deux catégories d’usagers du service public : candidats à l’emploi et entreprises. Certains changements sont déjà intervenus, notamment sur l’emploi des seniors : depuis le 1er mars un suivi mensuel de tous les candidats à l’emploi seniors est assuré afin de les rapprocher au plus vite et au mieux de l’emploi.

Parallèlement – et toutes ces réformes se tiennent – nous avons lancé le chantier de la réforme de la formation professionnelle. Une réunion importante s’est tenue le 10 juillet en présence de l’ensemble des partenaires sociaux et des représentants des régions. Ce système doit être réformé en profondeur.

Enfin, les négociations sur la convention d’assurance chômage s’ouvriront à la rentrée prochaine, afin de prévoir les mécanismes d’indemnisation les plus efficaces possibles au service des candidats à l’emploi qui ne trouvent pas rapidement un nouvel emploi.

Ces réformes sont toutes très importantes ; elles forment un ensemble cohérent. C'est tout le sens de ce projet de loi sur les droits et devoirs des demandeurs d'emploi, qui contribuera lui aussi à accroître l'efficacité de l'intermédiation sur le marché du travail, c’est-à-dire le bon fonctionnement de ce marché où se rencontrent l’offre et la demande, dans un souci de droits et de devoirs réciproques.

Ce sujet, que vous connaissez bien, a été trop longtemps délaissé, de la même façon qu’on parlait depuis des années de la fusion ANPE-ASSEDIC, sans se risquer à la réaliser. Les partenaires sociaux, qui en étaient saisis dès le mois de juin 2007, ne sont pas parvenus à trouver un accord, après avoir déjà échoué lors des négociations sur de précédentes conventions d'assurance chômage depuis 2000. C'est la raison pour laquelle le gouvernement doit agir et traiter cette question de l'équilibre des droits et devoirs et de la définition de l'offre raisonnable d'emploi, avec sérénité, mais aussi avec détermination. Il est l’un des points d’équilibre de ce paysage que j’essayais de vous dresser où les pièces s’emboîtent les unes dans les autres, avec pour seul objectif de rapprocher les candidats à l’emploi de l’emploi.

Après une concertation approfondie avec les partenaires sociaux, nous sommes parvenus à un projet équilibré, qui répond à un besoin d'amélioration du fonctionnement de notre marché du travail et qui répond aussi – nous le savons, et c’était une promesse du Président de la République – à une légitime préoccupation de nos concitoyens.

Je voudrais d’abord exposer les principes généraux de la réforme. Notre premier principe, c’est d’adopter une approche personnalisée. C’est un principe de bon sens : un traitement anonyme, standardisé ne convient pas au traitement d’un chômage qui – nous l’espérons – ne sera plus un chômage de masse, mais un chômage réduit à la portion congrue. Comment envisager de traiter de façon identique un cadre célibataire dans un milieu urbain et une femme qui élève deux enfants, qui vit loin d’un centre urbain et qui a des difficultés de déplacement ?

L'offre raisonnable d'emploi doit donc être adaptée à la situation de chacun. Elle doit se fonder sur le projet professionnel que les candidats à l'emploi élaborent avec leur conseiller du service public de l'emploi. Elle doit aussi s'appuyer sur des critères objectifs pour éviter l'arbitraire, assurer une égalité de traitement et garantir l'efficacité du dispositif.

Le second principe, tout aussi important, est celui de l'équilibre entre les droits et devoirs. Qu'il n'y ait pas de droits sans devoirs est une évidence – qu'il est toutefois bon de rappeler, et que, j'imagine, personne sur ces bancs ne contestera. Nous voulons tout à la fois renforcer les droits et rappeler les devoirs. Nous renforçons les droits : en particulier certains droits deviendront portables grâce à la modernisation du marché du travail, et la réforme du service public de l'emploi permettra un service personnalisé. La fusion ANPE-ASSEDIC permettra de déployer davantage de moyens humains au contact des usagers, et elle sera l'occasion de rénover profondément l'offre de service aux demandeurs d'emploi, indemnisés ou non – ceux qui ont participé aux débats sur la fusion s’en souviennent : nous sommes attachés à ce qu’un service personnalisé soit offert à tous les candidats à l’emploi, qu’ils soient ou non indemnisés. Ce que nous souhaitons, c’est du sur-mesure.

En contrepartie, nous rappelons les devoirs : il s’agit tout simplement – et ce n’est pas bien compliqué – d’accepter une offre d'emploi raisonnable quand elle est définie par rapport au projet professionnel (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Laissez les autres écouter !

Monsieur le Président – Seule Mme la Ministre a la parole.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Au total, formaliser le projet professionnel, c'est responsabiliser davantage le demandeur d'emploi et son conseiller du service public de l'emploi.

Enfin, troisième idée de bon sens, l'équité. À l'inverse des autres motifs de radiation prévus par le code du travail – inchangés –, le motif du refus d'emploi pose aujourd'hui des difficultés. La définition actuelle de l'offre raisonnable d'emploi est floue ; les critères ne sont ni définis ni adaptables à la situation de la personne. Cela laisse la place à des interprétations variables, donc à l'arbitraire. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre en place des critères précis, à l’image de nos voisins européens.

Ce projet de loi, comportant trois articles seulement, est d’une grande clarté. Le premier article acte le principe d'un projet professionnel, à formaliser entre le service public de l'emploi et le demandeur d'emploi. Ce « projet personnalisé d'accès à l'emploi » précise le champ de la recherche : il est adapté au demandeur d'emploi en fonction de ses qualifications, de son expérience et de sa situation personnelle et familiale, mais aussi de la situation locale du marché du travail. Un amendement adopté par le Sénat a permis de clarifier la prise en compte dans le projet professionnel de l'ensemble de ces éléments. Le projet doit également permettre de déterminer les actions que le service public de l'emploi mettra en œuvre pour le candidat suivi.

Ce projet sera actualisé régulièrement et tiendra compte des efforts du demandeur d’emploi. Celui-ci s'engage à ne pas refuser plus de deux offres raisonnables d'emploi. L'évolution dans le temps du projet professionnel est un point essentiel pour inscrire la recherche d'emploi dans une dynamique et briser la spirale du chômage de longue durée. On le sait, plus le chômage dure, plus il est difficile de se rapprocher du marché de l’emploi.

Durant les trois premiers mois de chômage, l'offre raisonnable d'emploi repose uniquement sur le projet personnalisé d'accès à l'emploi, sans restrictions particulières en termes de salaire ou d’éloignement.

Après trois mois de chômage, est considérée comme raisonnable l'offre d'un emploi compatible avec les qualifications du demandeur d'emploi et rémunéré à hauteur de 95 % du salaire antérieurement perçu, tout en restant dans la zone géographique définie pour sa recherche. Les 95 % constituent un premier signal, d’aucuns estimant qu’il faut parfois quelques semaines pour se lancer activement dans la recherche d'un nouvel emploi.

Après six mois, est considérée comme raisonnable l'offre d'un emploi rémunéré à hauteur de 85 % du salaire antérieurement perçu, tout en répondant aux mêmes conditions de qualification, et situé au plus à trente kilomètres ou à une heure en transport en commun du domicile du demandeur d'emploi. Ces deux critères sont alternatifs.

Enfin, après un an de chômage, est considérée comme raisonnable l'offre d'un emploi rémunéré au moins à hauteur du montant de l'allocation, tout en répondant aux mêmes conditions en termes d'éloignement et de qualifications.

Évidemment, les salaires proposés doivent respecter les minima prévus par les conventions collectives et le SMIC. Il n'y aura aucun effet de dumping salarial, puisque le critère du salaire normalement pratiqué dans la région et dans la profession est parallèlement maintenu. Les salaires proposés devront donc correspondre à la réalité du marché du travail local.

Enfin, sur un sujet important et longuement débattu au Sénat, je rappelle que le dispositif ne peut avoir pour effet de contraindre quelqu'un à prendre un emploi à temps partiel s'il n'a pas précisé rechercher ce type d'emploi dans son projet professionnel.

Je salue le travail de Mme Dalloz, non seulement pour la qualité de son rapport, mais aussi pour la contribution intelligente apportée à ce texte, sous la présidence toujours efficace du président Méhaignerie. Je remercie aussi M. Albarello, excellent rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Régis Juanico – Et l’excellente opposition ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Au centre de ce projet, il y a le projet professionnel de la personne. Celui-ci doit évoluer, sur certains points, en fonction de critères qui sont tout à fait raisonnables ! Je vous invite à vous pencher sur les exemples, notamment européens, qui montrent que des dispositifs comparables ont été mis en place, souvent plus stricts s'agissant des critères.

Nous n'avons pas souhaité aller aussi loin, car il s'agit moins de sanctionner que d'envoyer un signal clair à la petite minorité de ceux qui abusent du système, mais aussi à ceux qui sont tentés par le découragement, à ceux qui laissent passer leur chance en cherchant trop longtemps dans un emploi dans un secteur qui n'en offre plus, ou encore à ceux qui se laissent enfermer dans le système.

Pour certains, cela se traduira par une mesure de radiation en cas de refus de deux offres raisonnables d'emploi. C'est ce que prévoit l'article 2 du projet de loi. L'allocation sera suspendue pendant deux mois par le nouvel opérateur issu de la fusion ANPE-Assedic. Le dossier pourra être parallèlement transmis au Préfet, dont les compétences demeurent inchangées. Ces derniers éléments, relatifs à la durée de la radiation, relèveront du décret d'application que nous prendrons très rapidement.

Enfin, les sénateurs ont souhaité ajouter un motif de sanction supplémentaire en cas de refus par un demandeur d'emploi d'élaborer ce projet professionnel. Il était important de rendre le dispositif opérationnel, en s'assurant de la bonne volonté de chacun pour bâtir ce projet professionnel sans lequel la recherche d'emploi est largement illusoire.

Ni cet amendement ni le texte dans son ensemble n'ont pour objectif de stigmatiser les demandeurs d'emploi. Laurent Wauquiez et moi-même l’avons répété aux partenaires sociaux : notre objectif est de ramener vers l’emploi ceux qui en sont éloignés. Au cœur du texte se trouve le nouveau projet personnalisé d'accès à l'emploi : c'est cette logique du sur-mesure qui nous a animés et le renforcement des devoirs n'en est que la contrepartie naturelle.

Même si les personnes qui abusent du système ne sont qu'une petite minorité, cela ne signifie pas qu'il faille se désintéresser de ce problème. C'est une question de justice vis-à-vis de la très grande majorité de ceux qui veulent travailler et vivent mal de voir des cas minoritaires donner une mauvaise image des chômeurs.

Il est important d'avoir le courage d'affronter sans tabou et sans caricature les sujets réputés sensibles. Il convient aussi d'avancer avec détermination, c’est pourquoi nous souhaitons une entrée en vigueur rapide de cette réforme. Tel est le sens de l'unique amendement gouvernemental instaurant la disposition transitoire de l'article 3 du projet.

Ce courage et cette détermination s'expliquent par l'ampleur des enjeux. En raison notamment d’une situation démographique favorable – fécondité et départs à la retraite –, nous avons une chance historique de tordre le cou au chômage de longue durée et au chômage de masse.

M. Régis Juanico – On verra !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Il serait coupable de ne pas saisir cette chance. Je ne doute pas que vous ayez à cœur d’y participer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marie-Christine Dalloz, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – L'amélioration durable de la situation de l'emploi est l'un des objectifs majeurs fixés par le Président de la République : il s'agit d'atteindre en 2012 un taux de chômage de 5 % et un taux d'emploi de 70 %.

Depuis trois ans, des résultats exceptionnels ont été obtenus : le nombre de demandeurs d'emploi de la catégorie 1 s'est réduit de 23 % ; le taux de chômage est revenu à un niveau inconnu depuis un quart de siècle. Dans le même temps, les tensions sont croissantes sur le marché du travail : un nombre trop important d'emplois offerts ne sont pas occupés.

Par ailleurs, la fusion de l'ANPE et des réseaux de l'assurance chômage permettra d'offrir un meilleur service aux demandeurs d'emploi comme aux employeurs.

Mais aux mesures d'accompagnement et aux droits doivent correspondre des devoirs. Nos concitoyens l'admettent parfaitement : un sondage montre que 82 % de salariés approuvent la réforme du système d'assurance chômage afin d’inciter davantage au retour à l'emploi et que 74 % sont favorables à un renforcement du contrôle des chômeurs passant par la sanction du refus non motivé d'un emploi « valable ».

M. Jean Mallot – 100 % des gagnants ont tenté leur chance !

Mme Marie-Christine Dalloz, rapporteure – Ce projet de loi propose une réforme concertée, conformément aux principes de la loi de modernisation du dialogue social. La question de l'«offre valable d'emploi» était évoquée dans le document d'orientation sur la modernisation du marché du travail, transmis en juin 2007 aux partenaires sociaux. Toutefois, ceux-ci n'ont pas traité de cette question dans la négociation sur le marché du travail.

Dans ces conditions, le Gouvernement était en droit de reprendre la main ; il l'a fait dans le respect des règles et des pratiques. La phase de consultation sur la réforme en cours de finalisation a été conforme aux pratiques habituelles et aux règles légales, avec notamment une réunion de travail tripartite le 6 mai et une délibération du Comité supérieur de l'emploi le 26 mai.

Cette réforme est équilibrée, parce qu'elle laisse une large place – au moins dans un premier temps – à l'expression des vœux et à l'individualisation des solutions. Le projet personnalisé d'accès à l'emploi existe déjà dans la pratique et dans la partie réglementaire du code du travail, mais le projet de loi le redéfinit en lui donnant une nouvelle portée.

Sans présenter un caractère contractuel, le PPAE devra être élaboré conjointement par le demandeur d'emploi et par les services du nouvel opérateur. Il se place clairement dans un équilibre de droits et de devoirs réciproques et devra être actualisé trimestriellement. En outre, il acquiert des effets juridiques : le Sénat a logiquement décidé que le refus du demandeur d'emploi de s'inscrire dans cette démarche pourra être sanctionné ; des éléments du PPAE seront constitutifs de l'offre raisonnable d'emploi qui devra être acceptée. Enfin, le service public de l'emploi devra s'engager dans le PPAE, à mettre en œuvre des actions d'accompagnement et, le cas échéant, de formation et d'aide à la mobilité.

La création de la notion d'« offre raisonnable d'emploi » est également une mesure d'équilibre. D'ores et déjà, le code du travail permet de sanctionner le refus par un demandeur d'emploi d'un emploi dit « compatible » : le demandeur d'emploi doit accepter tout emploi compatible avec sa spécialité ou sa formation, quelle que soit la durée du contrat, dès lors que le taux de salaire est normal – même si cela entraîne pour lui un important sacrifice salarial. « L'offre raisonnable » sera définie de manière beaucoup plus précise, en partie sur la base de critères chiffrés ; le système sera ainsi moins arbitraire, plus juste et plus lisible. La plupart de nos voisins européens ont d'ailleurs adopté des définitions très détaillées de l'emploi dit « convenable » ou « approprié ». En outre, la définition de l'offre raisonnable évoluera dans le temps, comme dans la plupart des pays européens : au départ, elle laissera une grande liberté au demandeur d'emploi ; à trois, six et douze mois de chômage de la personne, des éléments impératifs et précis, chiffrés, seront insérés.

Enfin, le régime de sanction proposé est équilibré. La radiation de la liste des demandeurs d'emploi – entraînant la suspension des allocations – ne sera prononcée qu'après deux refus d'offres raisonnables, alors qu'aujourd’hui un refus d'emploi compatible suffit à fonder cette décision ; et cette radiation ne devrait durer que deux mois. Globalement, le dispositif proposé est nettement moins exigeant pour les demandeurs d'emploi que ceux retenus par la plupart de nos voisins européens.

La commission a néanmoins adopté quelques amendements. Elle a notamment souhaité encadrer les conditions dans lesquelles l'élaboration du projet personnalisé d'accès à l'emploi pourra être déléguée par le nouvel opérateur issu de la fusion ANPE - ASSEDIC à d'autres organismes. Dans le cadre de cette fusion, le choix a été fait de ne pas remettre en cause les « cotraitants » de l'ANPE – missions locales, APEC et Cap Emploi ; il est donc normal, comme le Sénat l'a prévu, que ces organismes puissent intervenir dans les nouvelles procédures. Encore faut-il que cela se fasse dans un cadre conventionnel, avec un retour d'information au nouvel opérateur.

Par un autre amendement, nous proposons que l'actualisation du PPAE soit l'occasion de tenir compte des formations suivies durant la période de chômage.

Nous proposons également que dans la définition de l'offre raisonnable d'emploi, on vise les compétences professionnelles plutôt que les qualifications, afin de garantir la prise en compte de l'expérience professionnelle.

Je suis particulièrement attachée à ce qu'aucune disposition nouvelle ne vienne renforcer les risques de temps partiel subi, qui concernent surtout les femmes. C'est pourquoi, dans l'article de garantie qui dispose que ne sauraient être tenues pour « raisonnables » des offres d'emploi sous le salaire normal de la profession et a fortiori sous le SMIC, la commission vous invite à inscrire en outre une protection explicite contre le temps partiel imposé.

Par ailleurs, la commission juge opportun d'insérer une mesure qui organise l'extinction de la dispense de recherche d'emploi, la quelle concerne environ 10 % des personnes âgées de 51 à 59 ans. Cette mesure, discutée avec les partenaires sociaux, va dans le sens de l'amélioration du taux d'emploi des seniors. Le dispositif proposé est progressif : toutes les personnes qui sont actuellement dispensées de recherche d'emploi ou qui le seront d'ici fin 2011 pourront le rester définitivement.

Enfin, j'ai déposé un amendement, que la commission a bien voulu approuver, pour clarifier les conditions d'application de la loi aux personnes qui sont inscrites au chômage à ce jour. Une interprétation rigoureuse pourrait conduire à ce que les délais de 3, 6 et 12 mois soient décomptés en quelque sorte rétroactivement, depuis leur inscription à l'ANPE. Nous proposons donc de prendre comme point de départ la date où un PPAE nouvelle version aura été établi pour ces personnes.

En remerciant Yves Albarello pour le travail qu’il a accompli en partenariat avec notre commission, je me réjouis de l’avancée que constitue ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Mallot – Historique ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Yves Albarello, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - La loi du 13 février 2008 portant réforme de l'organisation du service public de l'emploi en appelait d’autres, nous le savions. Elle était déjà l'aboutissement de plusieurs réformes, dont la principale avait été la loi du 18 janvier 2005 sur la cohésion sociale. L'objectif était simple : accroître l'efficacité du service public de l'emploi, paralysé par le manque de coordination entre ses différents acteurs. Cette première réforme permit d'expérimenter des guichets uniques ANPE et ASSEDIC et d'initier un rapprochement entre l’ANPE et l'UNEDIC dans le domaine de l'informatique. Saluons aussi la création des maisons de l'emploi, chères à notre collègue Anciaux, qui ont joué un rôle important dans la lutte contre le chômage – le taux de chômage, qui tournait depuis des années autour de 10 %, est tombé à 7,2 %.

Mme Martine Billard – Grâce aux maisons de l’emploi !

M. Yves Albarello, rapporteur pour avis – Leur bilan global positif a été mis en évidence par le remarquable rapport d'information de notre excellente collègue Mme Dalloz (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Martine Billard – Rapport historique !

M. Yves Albarello, rapporteur pour avis – Nous pouvons aujourd’hui aller plus loin. Bien que le regroupement fusionnel entre l'ANPE et les ASSEDIC ne doive devenir effectif que le 1er janvier 2009, nous devons sans attendre fournir au service public de l'emploi réorganisé les moyens d'agir efficacement.

En France, un demandeur d'emploi n'est vraiment tenu d'accepter une offre que si celle-ci lui paraît acceptable de manière subjective. Un tel système n'a pas manqué de produire des effets pervers, le demandeur pouvant se sentir autorisé, voire encouragé aux refus et à l'absence d'investissement personnel dans une recherche active d’emploi.

Il est donc logique, qu'à l'exemple de nos partenaires européens, dont les résultats en matière de lutte contre le chômage sont plus probants que les nôtres pour le moment, la France établisse une définition de l’offre raisonnable d'emploi. Il n’y a pas lieu de présenter cette évolution comme une atteinte à la dignité des demandeurs d'emploi ! Nous ne sommes pourtant pas aux Pays-Bas, où il est question, selon un grand quotidien national, que les personnes au chômage aient un an au maximum pour retrouver un emploi et soient contraintes, passé ce délai, d'accepter toute proposition qui leur sera faite.

Les demandeurs d'emploi ont des droits ; c’est pourquoi ils doivent en contrepartie accepter des devoirs, car il n’y a pas de droits sans devoirs. Les devoirs sont une contrepartie logique et indispensable. Il faut sortir de l'hypocrisie et du laxisme complice. Nous voulons favoriser le retour à l'emploi le plus rapidement possible et dans des conditions satisfaisantes. Nous ne pouvons plus payer indéfiniment à fonds perdus. Cette solution commode, mais irresponsable est derrière nous.

M. le Président – Il faut conclure.

Mme Martine Billard – Il y a des devoirs, dont celui de conclure !

M. Yves Albarello, rapporteur – Les sanctions importent. Le rapport remis en 2006 par notre collègue Dominique Tian sur la fraude est malheureusement resté au placard. Profitons de ce texte pour l’appliquer. Toutefois, l'inobservation de la règle ne doit pas être confondue avec l’acte délictuel qu’est la fraude, dont l’importance est considérable. Il convient d’instaurer une gradation dans les sanctions.

M. le Président – Il faut vraiment conclure.

Mme Martine Billard – Attention à la sanction !

M. Yves Albarello, rapporteur – Il serait souhaitable que le Gouvernement adopte, à la suite de notre vote, des sanctions dissuasives à l’égard des personnes impliquées dans des affaires de fraude en réseau, des organisateurs et des faux allocataires.

M. le Président – Je vais être obligé de vous interrompre.

M. Yves Albarello, rapporteur – Je suis favorable à ce texte et vous invite à partager ce point de vue (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Michel Issindou – Au risque de gâcher cette bonne ambiance, je n’ai pas tout à fait la même vision que vous. Ce projet de loi témoigne une nouvelle fois de votre volonté de bouleverser notre édifice social. Derrière un titre engageant – droits et devoirs – se cachent de biens funestes intentions.

L'inefficace loi TEPA, votée l'été dernier, avait d’ailleurs donné le ton, puis la loi de modernisation du marché du travail a beaucoup fait pour la flexibilité et peu pour la sécurité, même si elle résultait d'un accord partenarial. En déclarant l'urgence sur ce texte, vous retombez dans vos travers naturels : vous voulez passer en force !

Il y a quelques jours, la majorité avait déjà fait la part belle aux employeurs en adoptant le texte sur la représentativité et le temps de travail afin de contourner une durée légale du travail que vous n'avez pas eu le courage d'attaquer frontalement. Le projet que vous présentez aujourd'hui est de la même veine : contre l'avis des syndicats, vous allez écrire une page supplémentaire de votre rêve libéral. Vous nous préparez une société à l'anglo-saxonne dans laquelle la précarité et la pauvreté feront durablement partie du paysage.

Vous ne cessez de répéter que les Français ne travaillent pas assez. Cette affirmation devrait appeler des mesures pragmatiques destinées à faciliter l'accès à l'emploi des jeunes et des seniors dont le taux d'activité est beaucoup plus faible dans notre pays, mais ce n’est pour vous qu’une façon de critiquer les salariés et les chômeurs, que vous accusez d'une indolence coupable : ils seraient responsables de leur situation. Cette perception biaisée de la situation est le signe le plus évident de l'orientation idéologique qui vous inspire. Prisonnier de l'illusion néolibérale et enfermé dans ses ritournelles simplistes, le Gouvernement dénonce l’oisiveté des chômeurs, de la même façon qu’il avait mis la faiblesse du pouvoir d'achat des salariés sur le compte d’un manque de travail.

Forts de vos certitudes, vous multipliez les attaques contre les droits des travailleurs et des chômeurs. En forçant les demandeurs d'emploi à accepter des offres existantes, vous parachevez le démantèlement des droits sociaux. Nous ne nions pas la nécessité de réformes afin de résoudre les problèmes de main d'œuvre auxquels sont confrontés différents secteurs de notre économie, mais nous aurions préféré que le texte s'attaque aux racines du mal au lieu de s’en tenir aux symptômes.

Faute de croissance, il n'y a pas un emploi pour chacun. Ce n'est pas une question de mauvaise organisation des acteurs publics, ou de mauvaise volonté chez les chômeurs. Plusieurs facteurs expliquent la difficulté actuelle de rencontre entre l’offre et la demande, notamment pour les emplois en tension qui seraient au nombre de 500 000 – ce qui me paraît d’ailleurs très approximatif.

La première raison est la trop faible rémunération du travail qui résulte d'un partage déséquilibré de la richesse produite. Le niveau du salaire minimum est aujourd'hui trop peu supérieur aux minima sociaux pour être véritablement incitatif. Votre tentative de revalorisation du travail restera une coquille vide si elle n'est pas accompagnée d'une politique de revalorisation des salaires.

La seconde raison, intimement liée à la première, concerne la qualité des emplois proposés. Les métiers du BTP ou de l'hôtellerie et de la restauration sont considérés, souvent à raison, comme étant parmi les plus pénibles. Ils représentent aujourd'hui plus de 20 % du total des offres de l'ANPE, proportion considérable compte tenu du poids économique de ces deux secteurs. Physiquement exigeants, exercés dans des environnements difficiles, exposant ceux qui en ont la charge à de longues journées de travail, ces emplois ne sont assortis d'aucune contrepartie en matière de revenus et n’offrent souvent que des perspectives de carrière très limitées. L’attractivité de ces emplois est trop faible pour susciter un minimum de motivation chez les chômeurs.

Ce constat, qui est également celui des syndicalistes, doit nous inciter à rénover ces métiers en menant des actions concrètes tendant à améliorer leurs conditions de travail. Au lieu de se lancer dans une campagne de séduction en faveur de ces emplois difficiles, votre gouvernement cherche le moyen de forcer les chômeurs à les accepter. L'instrument de cette contrainte est l'offre « raisonnable » d'emploi, que vous avez définie de façon discrétionnaire sans concertation avec les partenaires sociaux.

Vous faites le postulat de l'irrationalité des demandeurs d'emploi, ce qui témoigne du peu d'estime dans laquelle vous les tenez. L’article premier tente de définir ce qui peut être considéré comme une « offre raisonnable d'emploi », en établissant trois critères : les caractéristiques des emplois – formation, qualifications et expérience professionnelle du demandeur – ; les prétentions salariales jugées légitimes, qui sont calculées par rapport au dernier salaire perçu ; la localisation géographique des offres, qui doivent être situées dans un rayon de 30 kilomètres, ou à une heure de transport en commun.

Ces trois critères sont autant de garde-fous pour les demandeurs d’emploi, mais il eût été souhaitable d’inclure la notion « d'emploi durable », que l’on peut définir comme CDD ou un contrat de mission d'une durée de six mois minimum. En application des règles d'indemnisation actuelle, un demandeur d’emploi risquerait de perdre ses droits s’il devait accepter un emploi de courte durée.

Toutefois, le danger principal est ailleurs : au bout d'un an d'inscription en tant que demandeur d'emploi, l'offre raisonnable n'est plus déterminée en fonction du salaire antérieur, mais du revenu de remplacement. Tous ceux qui percevront des indemnités d'un montant correspondant au salaire minimum – pour l'essentiel les bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique, qui s’élève à 447 euros par mois, – pourront être contraints d'accepter n'importe quel emploi partiel au SMIC quand bien même celui-ci serait sous-qualifié et en décalage complet avec leurs domaines de compétences.

Avec cette « trappe » à bas salaires, vous allez à rencontre de vos déclarations sur la revalorisation du pouvoir d'achat des Français. Le dumping social est en marche ! Il sera tentant pour l'employeur de recruter les demandeurs qui se trouveraient dans cette situation.

J’en viens à la sanction, qui figure à l’article 2. Le chômeur qui refuserait à deux reprises une offre raisonnable d'emploi sera radié de la liste des demandeurs et s'exposerait à une suspension de ses allocations. Cette politique du bâton est certainement vouée à l'échec, comme l’a montré l'expérience peu concluante de la dégressivité des allocations entre 1993 et 2001 : aucune accélération du retour à l'emploi n’a été constatée.

J’ajoute que ce projet de loi aura des conséquences sociales désastreuses. En Allemagne, par exemple, le gouvernement Schröder a fait voter les lois « Hartz » qui durcissent les conditions d'indemnisation des demandeurs d'emploi. La durée maximale de versement des allocations chômage a ainsi été réduite à un an, ce qui ressemble fortement à ce texte. Il était également prévu que les chômeurs devraient accepter toute offre de travail « acceptable », même si elle était inférieure à son niveau de qualification ou à ses exigences salariales, sous peine de perdre le bénéfice des allocations.

Or nous avons appris que ces dispositifs n’ont contribué que marginalement à la décrue de 25 % du nombre de chômeurs de longue durée qui a été constatée outre-Rhin au cours des trois dernières années. Selon la plupart des économistes allemands, la réintégration dans le monde du travail d'un nombre non négligeable d'individus appartenant aux catégories les plus éloignées de l'emploi – jeunes, seniors, chômeurs sans qualification – est avant tout imputable au retour d'une conjoncture économique favorable : en Allemagne, la progression du PIB a atteint 2,9 % en 2006 puis 2,5 % en 2007, ce qui est bien meilleur que chez nous.

Si les avantages économiques de ces mesures restent incertains, ce n’est pas le cas de leurs inconvénients sociaux. En imposant aux chômeurs des emplois sous-payés, les lois « Hartz » ont fait croître de sept points, en moins de trois ans, la proportion des salariés au bas de l'échelle des revenus. Au cours de la même période, le nombre de salariés bénéficiaires de minima sociaux est passé de 880 000 à 1,2 millions, soit une augmentation de 36 %.

En juin 2008, deux chercheurs du Centre d'études pour l'emploi ont émis les conclusions suivantes dans la revue Droit social : « le chômage de longue durée des personnes en difficulté, compte tenu de leur âge, de leur faible qualification ou d’une aptitude au travail limitée n’est pas réglé ; le taux d’emploi des travailleurs peu qualifiés est resté faible ; le nombre de travailleurs pauvres est en augmentation et la situation des chômeurs âgés dont les durées d'indemnisation ont été drastiquement revues à la baisse s'est dégradée ». Quel bilan ! On peut malheureusement penser que les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Votre obstination à « remettre les Français au travail », de gré ou de force, et quelle que soit la qualité des emplois proposés, risque de contribuer au développement d'une classe de travailleurs pauvres, phénomène qui frappe principalement les économies libérales des pays anglo-saxons, même si elle n’épargne pas notre pays. Ce texte se place dans le droit fil de votre politique de modération salariale, de déréglementation du marché du travail et de démantèlement des acquis sociaux, sans effet significatif sur l’emploi.

À défaut d’un véritable rapprochement entre l'offre et la demande grâce à une action sur la qualité des offres, ce sera un coup d’épée dans l’eau. En forçant une rencontre asymétrique, ce projet ne garantit aucunement qu'un accord puisse être trouvé entre un employeur exigeant et recherchant un personnel motivé et un demandeur d'emploi désillusionné par la nature des propositions qui lui seront soumises. Il ne sera qu’un instrument de plus au service de votre stratégie de communication, une promesse démagogique à tous ceux qui assimilent les demandeurs d'emploi à des bataillons de profiteurs. Au lieu de lutter contre cette idée reçue avec, par exemple, les chiffres de la DARES, qui montrent que la fraude concerne au plus 2 % des demandeurs d'emploi – 5 % selon M. le ministre – vous donnez des gages à la partie la plus conservatrice de votre électorat.

Conscient de l'impopularité que vous vaudrait un affichage trop clair de cette ligne politique, vous présentez vos réformes au sein de paquets-cadeaux législatifs aux intitulés flatteurs – modernisation, droits et devoirs… Nous aurons bientôt la mobilité des fonctionnaires ! Votre texte ne comporte pourtant que des contraintes pour les demandeurs d'emploi, se révélant bien plus flou lorsqu'il est question de l'assistance qui peut leur être apportée. On voit bien qui sanctionnera le demandeur d'emploi défaillant, mais quelle sera la sanction et qui l'infligera à l'opérateur qui n’a pas su produire une offre raisonnable ? Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement, alors même que les contours du futur opérateur issu de la fusion entre ANPE-UNEDIC ne sont pas encore précisés ?

Prisonniers de votre activisme forcené, vous avez mis la charrue avant les bœufs – ce qui vous a été reproché à maintes reprises par les organisations syndicales. C’est d'autant plus dommageable que la pression exercée sur les chômeurs n'est efficace que si elle est accompagnée d'actions de formation et d’orientation.

Convaincue de cette vérité, la gauche avait mis en œuvre en 2001 le Plan d'aide au retour à l'emploi, avec un projet d'action personnalisé, destiné à définir précisément les responsabilités des demandeurs d'emploi et de l'ANPE dans le projet de retour à l'emploi. En échange de l’engagement du demandeur de rechercher activement un emploi, le contrat listait les mesures d'appui à lui apporter – évaluation des compétences, enseignement des techniques de recherche d’emploi, formation. Le PARE était fondé sur l'idée que le chômeur a cotisé – ce qui lui donne des droits – et il n'était pas envisagé d'appliquer la sanction de suspension des allocations, qui existait déjà dans notre législation.

Ce principe de réciprocité est aussi au cœur du Projet personnalisé d'accès à l'emploi que vous proposez, mais il ne sera dans l'immédiat qu'un engagement unilatéral du demandeur, sans garantie quant aux moyens mis en œuvre pour le soutenir. Nous pensons en particulier aux moyens humains : alors que le Gouvernement cherche à réaliser la fusion ANPE-UNEDIC à moyens constants, il est probable que le ratio actuel de 130 à 140 demandeurs d'emploi par conseiller – jusqu'à 200 dans certaines agences – puisse être abaissé à 60. Au-delà de la question du nombre des agents se pose celle de leur statut : travaillant dans le cadre de contrats de droit privé sous convention collective, éventuellement embauchés en CDD, ils n'offriront pas les mêmes garanties d'indépendance que des titulaires de la fonction publique. Pas assez nombreux, précarisés, ils seront immanquablement conduits à négliger la dimension humaine au profit du résultat comptable qui est devenu l'obsession du Gouvernement et sera demain celle de leur hiérarchie. Cela ne correspond pas à notre conception de ce que doit être un service public de l'emploi.

La puissance publique doit se donner pour mission d'encourager une réintégration durable dans le monde du travail, ce qui n'est pas toujours compatible avec un retour à l'emploi rapide. L’orientation et la formation des demandeurs d'emploi sont en effet cruciales pour permettre au chômeur de prendre un nouveau départ grâce à une véritable reconversion. La tendance actuelle est pourtant de les court-circuiter pour accélérer le retour à l'emploi. De moins en moins de chômeurs bénéficient aujourd'hui de bilans de compétences. Faute de temps, les conseillers qui les reçoivent peinent à les informer et à les orienter de façon pertinente.

L'insuffisance des efforts de formation professionnelle à destination des demandeurs d'emploi est patente. L'UNEDIC n’a dépensé en 2007 que la moitié du budget dont elle disposait dans ce domaine. Il est vrai que prescrire une action de formation au bénéfice d’un chômeur est un parcours du combattant pour les agents de I'ANPE : la complexité du système de formation professionnelle et la réticence des organismes de formation à concevoir de nouveaux programmes de qualification ont de quoi décourager les plus zélés !

Simplifier l'architecture de ce système, le recentrer sur les besoins des entreprises et des personnes : voilà ce que nous sommes en droit d'attendre de la réforme de la formation professionnelle que vous nous annoncez. Mais il est à craindre que ces nobles objectifs soient sacrifiés sur l'autel des économies budgétaires. Notre président n'a-t-il pas déclaré pendant sa campagne qu'il fallait « rendre aux salariés les 23 milliards de la formation professionnelle sous la forme de pouvoir d'achat » ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Où en est-on ?

Il est de mauvais augure que la question de la formation professionnelle ne soit pas liée à celle de votre projet, alors même que la stratégie de Lisbonne ou le rapport Attali font du développement des savoirs tout au long de la vie un instrument central dans le développement d'une économie dynamique et compétitive.

Cette nouvelle incohérence n’a rien d’étonnant. Loin d’investir pour l'avenir, votre action ne vise qu’à réduire la dépense publique et à affaiblir les services publics, bras armé de l'Etat. En déguisant ces intentions derrière le paravent de modernisations dans l'intérêt de tous, vous faites avaler cette pilule pourtant très amère.

La réforme que vous nous proposez n'échappe pas à cette règle. Elle est pensée pour limiter la dépense d'assurance chômage, sans égard pour son impact social ou son effet contre-productif sur le développement des savoirs.

Votre Premier ministre a programmé depuis 2004 de prélever les excédents de l'UNEDIC pour financer une partie des retraites. La diminution du nombre de chômeurs indemnisés est le levier qui permettra de réaliser cet objectif. Votre texte contribuera ainsi à accentuer le reflux engagé depuis 2005, qui a vu la masse des allocataires se réduire de près de 600 000 unités. Vous ne manquerez pas d'imputer cette décrue à votre action et aux évolutions démographiques. Mais elle est aussi le résultat des actions que vous avez mises en oeuvre pour faire basculer les individus les plus éloignés de l'emploi vers les dispositifs d'aide sociale. N’oublions pas les 500 000 RMIstes !

En durcissant les conditions d’accès à l'indemnisation et en réduisant sa durée, notamment pour les bénéficiaires de l’ASS, vous avez posé les jalons d'un système dans lequel les personnes en grande difficulté seraient confiées au secteur de l'insertion des collectivités territoriales, les demandeurs jugés employables étant remis au travail dans un minimum de temps et sans autre considération.

Ce texte contribue ainsi au mouvement de dualisation de notre système de protection sociale. Un système à deux vitesses se met en place, avec d'un côté des garanties de faible niveau ciblées sur les plus démunis et financées par des impôts universels et de l'autre, une couverture de base de plus en plus limitée au bénéfice des cotisants, qu'il est de plus de plus nécessaire de compléter par la souscription de polices d'assurances privées.

M. Jean Mallot – CQFD !

M. Michel Issindou – Nous y sommes : plusieurs compagnies d'assurances proposent déjà des contrats complémentaires individuels garantissant au salarié fraîchement licencié le paiement d'une indemnité mensuelle dont le montant dépend des versements effectués pendant la durée du contrat.

Ce texte est donc inacceptable et dangereux. Il donne l’illusion que tout est simple : un peu de remise en ordre, un opérateur public et des demandeurs d'emploi motivés, et tout est réglé ! Si vous en êtes si sûrs, allez plus loin : transposez ce que vous avez fait pour le logement en instaurant un droit opposable à l'emploi ! Au moins, vous seriez cohérents avec vos discours ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC)

Nous ne voulons pas d'un projet qui sape encore davantage les principes de solidarité collective et de mutualisation des risques sur lesquels s’est érigée la maison commune qui protège nos concitoyens contre les aléas de la vie.

Les déficits publics vous échappent et les perspectives sont mauvaises, sur fond de crise financière mondiale, de crise énergétique et d'une croissance que vous ne parvenez pas à relancer. Il vous faut donc trouver des expédients pour rester dans les limites du découvert européen autorisé – 3 % du PIB. L’assurance chômage et ses perspectives d'excédent – même si le déficit est encore de 9 milliards d’euros – constituent à cet égard une véritable manne.

En durcissant les conditions d'indemnisation, vous allez faire des économies sur le dos des plus démunis. Ces excédents vont permettront d'alléger les cotisations d'assurance-chômage et de transférer quelques milliards d'euros sur les retraites. Ce n'est pas très moral !

Vous nous parlez du modèle nordique, mais c’est un modèle anglo-saxon que vous mettez en place. La flexibilité, vous l'avez faite. Mais où est la sécurité ? Un opérateur peu préparé à assumer ses devoirs, un volet formation professionnelle en attente… Que dire de la pénibilité au travail : voilà plus de trois ans que nous attendons un texte !

Ce nouveau projet sera un coup d'épée dans l'eau. Vous aurez simplement répondu à ceux qui pensent que les demandeurs d'emploi sont des fraudeurs - jusqu'au jour où eux-mêmes ou leurs proches découvrent une réalité tout autre.

Nous ne défendons pas les fraudeurs, mais nous demandons plus de respect et plus d'humanité pour ceux qui vivent le drame du chômage. Nous sommes tous confrontés à cette détresse. Ce n'est pas par hasard que les demandeurs d'emploi sont les plus gros consommateurs de médicaments.

Ce texte n'a qu'un objectif économique et financier. Il le remplira peut-être, mais en nous conduisant vers une société plus dure pour les plus faibles. C'est cette politique que nous combattons et c'est pourquoi je vous demande de vous prononcer pour l'irrecevabilité de ce texte. Il y a manifestement rupture d’égalité entre les chômeurs urbains et ruraux : trente kilomètres, ce n’est pas la même chose en ville ou à la campagne ! Ensuite, celui qui est chargé du placement et celui qui est chargé de la radiation ne peut pas être le même, sinon il serait juge et partie. Il y a surtout un côté inhumain et dégradant dans ce texte qui stigmatise les demandeurs d’emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Martine Billard – Très bien !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi – Nous avons écouté avec attention M. Issindou, bien qu’une bonne partie de son propos n’ait pas de rapport avec une exception d’irrecevabilité.

Trois idées m’ont paru si caricaturales que je ne peux les laisser passer. Tout d’abord, sur le fonctionnement du marché de l’emploi. Vous nous avez dit que l’organisation du service public de l’emploi, bonne ou mauvaise, n’avait pas d’incidence sur le taux de chômage.

M. Michel Issindou – C’est vous qui caricaturez !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État – Toutes les études des économistes démontrent le contraire, à savoir qu’un service public de l’emploi efficace, capable d’accompagnement personnalisé, permettait de gagner un point à un point de demi de taux de chômage. Tout demandeur d’emploi sait que s’il bénéficie d’un service de l’emploi efficace il retrouvera plus vite du travail.

Un autre point de votre intervention m’a beaucoup choqué. Vous avez dit que des offres d’emploi n’étaient pas pourvues dans certains secteurs qui n’offrent que des emplois de rebut sans intérêt…

M. Michel Issindou – J’ai dit mal payés.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État – Et vous avez cité le BTP et la restauration. Cela m’a choqué car 1,2 million de personnes travaillent dans le secteur du BTP et 800 000 dans la restauration, et ils sont fiers de leur travail. Ces secteurs méritent mieux que la caricature que vous en avez faite. Vous avez du reste oublié qu’il y a quantité d’autres métiers en tension comme ceux d’informaticien, d’administrateur réseau, d’ingénieur, d’aide-soignant et tous ceux concernant les services à la personne.

À titre de comparaison internationale, vous avez cité l’Allemagne mais oublié de dire que tous les pays européens, sans exception, ont mis en place un accompagnement personnalisé des demandeurs d’emploi. C’est le cas de l’Allemagne, mais aussi du Danemark, de la Suède, de l’Espagne et de l’Italie où les gouvernements Zapatero et Prodi, de tendance socialiste, ont adopté des réformes semblables à celle qui vous est aujourd’hui proposée.

S’agissant de la constitutionnalité du texte, vous nous avez expliqué qu’il était inhumain et dégradant d’imposer un équilibre de droits et de devoirs aux demandeurs d’emploi (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Je me contenterai de vous rappeler le préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ».

M. Michel Issindou – Le droit d’obtenir un emploi !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État – Oui, mais ne prenez pas un seul des termes. Il doit y avoir un équilibre entre les droits et les devoirs.

Si nous souhaitons préserver un système de protection sociale généreux, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la question des contrôles et ne pas nous assurer que les sommes importantes prélevées notamment sur les revenus du travail sont utilement dépensées. La question des abus, que vous balayez d’un revers de main en indiquant qu’ils ne sont le fait que d’une minorité, n’est pas aussi simple que cela. Ne faudrait-il pas traiter les infractions de la route au motif que seule une minorité d’automobilistes en commettent ? Et la sécurité, et la fraude ? Il y va de l’équité. Nos concitoyens ne continueront d’accepter que nous ayons un système social généraux que s’ils sont assurés que l’équilibre entre les droits et les devoirs sont respectés. Nous serons à ce rendez-vous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Jean-Patrick Gille – Six textes en un an pour modifier le code du travail, sans compter la recodification elle-même !

M. Benoist Apparu – Oui, nous réformons.

M. Jean-Patrick Gille – Vous avez souligné la cohérence de ces textes. Nous ne doutons pas de votre volonté d’aligner notre marché du travail sur les standards anglo-saxons qui conduisent à la multiplication des travailleurs pauvres, et ce texte y contribuera.

Mais quel manque de cohérence dans la méthode ! Sur le contrat de travail, nous sommes partis de l’accord entre les partenaires sociaux que nous avons transcrit dans la loi. Sur le temps de travail, le Gouvernement, ajoutant un codicille à la position commune des syndicats, est passé en force. Cette fois-ci, vous faites encore mieux en commençant pas légiférer afin de peser sur les négociations à venir entre partenaires sociaux sur l’assurance chômage. Vous n’auriez dû légiférer qu’une fois le nouvel opérateur public opérationnel, une fois la négociation menée à bien. Mme Parisot elle-même a déclaré que les droits à indemnisation relevaient des partenaires sociaux. Nous aurions alors transcrit l’accord intervenu, et peut-être même une définition de l’offre raisonnable d’emploi, mais qui aurait été préalablement négociée.

Pourquoi ce passage en force nuitamment, au cœur de l’été ? Si ce n’est pour faire pression sur les partenaires sociaux et accomplir un hold-up sur l’UNEDIC, déjà commencé avec la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC. Dans quel but ? Abaisser les cotisations patronales ? Récupérer les excédents pour combler d’autres déficits ?

Votre second objectif est de passer d’une logique d’inscription des demandeurs d’emploi à une logique de contractualisation. Le demandeur d’emploi aura désormais obligation de contractualiser son projet personnalisé d’accès à l’emploi et de le réactualiser – à la baisse naturellement, vous ne vous en êtes pas cachés ! Mais peut-on instaurer une obligation légale de signer un contrat pour bénéficier d’un service public et de droits à indemnisation acquis après cotisation ? Par ce biais, vous faites insidieusement glisser l’indemnisation du chômage d’un système d’assurance vers un revenu d’assistance. Sous prétexte de lutter contre la fraude ou la pénurie de main-d’œuvre, vous engagez un processus de déqualification, accélérez la dualisation du marché du travail entre d’un côté des inclus obligés d’accepter les heures supplémentaires pour maintenir leur pouvoir d’achat, et de l’autre, des précaires qui toucheront le RSA…financé par les collectivités. Et ce, alors que l’UNEDIC, avec son excédent prévisible, a les moyens de mener une véritable politique d’accompagnement, de formation et de qualification des demandeurs d’emploi. Si tant d’emplois ne sont pas pourvus, c’est par manque de travailleurs qualifiés. Mais votre but est de capter l’excédent de l’UNEDIC…

M. le Président – Il faut conclure.

M. Jean-Patrick Gille – Il y a en outre un risque de rétroactivité, Mme Dalloz l’a bien vu.

Parce que les procédures de négociation n’ont pas été respectées, parce que ce texte fait courir une réelle insécurité juridique et un risque de rétroactivité, nous voterons cette exception d’irrecevabilité. Au lieu de bâtir une économie de la connaissance à partir de la qualification des salariés et sur la confiance des acteurs sociaux, vous organisez la déqualification…

M. le Président – Votre temps de parole est épuisé.

Mme Martine Billard – La moitié des demandeurs d’emploi ne sont pas indemnisés, ni par les ASSEDIC, ni par l’ASS. Puisque, Madame la ministre, vous pensez que les chômeurs traînent les pie ds pour reprendre un emploi et qu’il suffit de leur couper les vivres pour les y inciter davantage, comment expliquez-vous que même ceux qui ne sont pas indemnisés ne retrouvent pas de travail ?

Pour que vous vous rendiez compte de ce que propose le Gouvernement, je suggère qu’on coupe les salaires des ministres et des députés pendant deux mois (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Ne faites jamais aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse !

Comment imaginer que l’on puisse couper deux mois d’indemnités chômage à des personnes qui, lorsqu’elles ont la chance d’être indemnisées, touchent moins de mille euros par mois ? Vivront-ils d’amour et d’eau fraîche ? Lorsqu’on est au chômage, on se demande tous les jours comment on va payer son loyer, la cantine des enfants, les dettes qui s’accumulent… Et contrairement à ce que vous feignez de croire, on ne songe pas à refuser les emplois qui éventuellement se présenteraient.

S’agissant de notre système de protection sociale, que vous qualifiez de particulièrement généreux, permettez-moi de vous signaler que les dépenses publiques en faveur des demandeurs d’emploi ne représentant que 2,52 % du PIB en France, contre 3,3 % en Allemagne, 4,26 % au Danemark – elles sont certes proches de zéro en Grande-Bretagne. Quant à votre raisonnement selon lequel il ne saurait y avoir de droits sans devoirs, il faudrait l’appliquer à bien d’autres domaines de la vie publique et sociale car il en est de nombreux où des personnes ont beaucoup de droits et peu de devoirs.

Croyez-vous, Madame la ministre, que l’on vive facilement avec moins de mille euros par mois, quand les loyers flambent, le prix des denrées alimentaires et des carburants explose, quand on n’a pas de transports en commun à sa disposition ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Benoist Apparu – Ce n’est pas le sujet.

Mme Martine Billard – Si. Puisque vous partez de l’idée que les chômeurs font les difficiles et qu’il suffit de leur couper les vivres pour qu’ils retrouvent du travail, c’est bien que vous considérez qu’il leur est facile de vivre avec ce qu’ils touchent.

Enfin, quelle précipitation pour ce texte ! La législation actuelle comporte déjà beaucoup de dispositions : elle prévoit des sanctions, des rendez-vous obligatoires, un projet personnalisé, un référent…

M. le Président – Il faut conclure.

Mme Martine Billard – Fallait-il modifier la législation actuelle maintenant, alors que les négociations sur l’assurance chômage n’ont toujours pas recommencé, ce qui signifie d’ailleurs que ceux qui auraient accepté une rupture conventionnelle de leur contrat de travail ne seront toujours pas indemnisés puisqu’il fallait attendre la renégociation ?

Pourquoi tant de précipitation, enfin, alors que la refonte de la formation professionnelle n’est toujours pas aboutie – et je constate que le thème n’est même pas abordé dans le projet ?

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera l’exception d’irrecevabilité.

M. le Président – Sur l’exception d’irrecevabilité, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

Mme Valérie Rosso-Debord – M. Issindou nous a prêté des arrière-pensées malignes que nous n’avons pas. Le dispositif que nous proposons est simple, clair, juste et dans la ligne des politiques menées au sein de l’Union européenne. Il vise le plein emploi et il correspond aux attentes de la très grande majorité des Français – qui en ont témoigné lors des élections présidentielles et législatives. Il s’agit de donner au service public de l’emploi les moyens d’aider effectivement les demandeurs à trouver un emploi, et un emploi en adéquation avec les besoins de notre économie. Mais, prisonniers d’une idéologie passéiste, figés dans le dogme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) vous cherchez à faire renaître de vieilles peurs et vous nous accuserez bientôt de vouloir vous faire tomber le ciel sur la tête (Mêmes mouvements). Parce que, pragmatiques, nous refusons votre dogmatisme dépassé, nous ne voterons pas l’exception d’irrecevabilité.

M. Francis Vercamer – Je pense aussi que ce projet aurait pu nous être soumis après d’autres, ceux qui porteront sur le RMA ou sur la formation professionnelle par exemple, mais le gouvernement en a décidé autrement, et c’est son droit. L’important est de ne pas stigmatiser les demandeurs d’emplois, et je regrette que M. Issindou ait esquissé une telle stigmatisation (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Les disparités sont grandes selon les bassins d’emploi, la situation de l’industrie varie selon les régions et certains demandeurs d’emploi sont parfois victimes de discriminations. Dans le même temps, des secteurs comme l’aide à la personne, le bâtiment ou la restauration sont « sous tension », faute de bras qu’il faut donc trouver.

Chacun se trouvera d’accord pour dire qu’il est préférable d’accompagner les demandeurs d’emploi. Il est donc un peu surprenant d’entendre dire que le service public de l’emploi ne servirait à rien (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Dire que l’existence de l’ANPE ou son inexistence ne ferait aucune différence, c’est manifester une forme d’irrespect à l’égard du personnel de l’ANPE, qui se bat pour les demandeurs d’emploi.

Il est vrai, Madame la ministre, que des questions demeurent en suspens : est-on certain qu’un demandeur d’emploi qui retrouvera un travail gagnera davantage que lorsqu’il est indemnisé ? Et qu’est-ce qu’une offre « raisonnable » d’emploi ?

La Belgique, le Danemark, l’Espagne, le Portugal ont mis au point un dispositif similaire à celui que vous nous proposez, et certains de ces pays sont gouvernés par des socialistes. Le dogmatisme, qui s’exprime de manière permanente sur les bancs socialistes n’a donc vraiment pas lieu d’être. Enfin, je ne vois pas en quoi ce texte équitable serait inconstitutionnel. Le groupe Nouveau Centre ne votera pas l’exception d’irrecevabilité.

À la majorité de 76 voix contre 25 sur 101 votants et 101 suffrages exprimés, l’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean Mallot – L’objet de mon propos est de vous convaincre qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur un projet qui prétend fixer les droits et les devoirs des demandeurs d’emploi, mais qui traite bien davantage de leurs devoirs, des contraintes qu’on leur impose et des sanctions qu’ils encourent, que de leurs droits. C’est oublier un peu vite le préambule de notre Constitution et la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nous avions déjà constaté cette propension à un déséquilibre orienté lors de l’examen de la loi dite de modernisation du travail qui, transcrivant l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2008, et prétendant mettre en œuvre la flexisécurité, traitait surtout de flexibilité et renvoyait à des discussions ultérieures tout ce qui aurait pu amener de la sécurité dans les parcours professionnels.

Ce projet inutile et dangereux est une pièce supplémentaire de votre puzzle idéologique. Inutile puisque l’article L. 5411-6 du code du travail dispose déjà que le demandeur d’emploi est tenu « d'accomplir des actes positifs et répétés de recherche d'emploi ». Mon opinion est d’ailleurs confortée par les propos de M. Méhaignerie, observant devant la commission des affaires sociales qu’il faudrait consacrer plus de temps à l’application des textes qu’à en adopter de nouveaux.

Votre démarche précipitée aurait gagné à prendre en compte ce qui résultera, à partir du 1er janvier 2009, de la fusion entre l’ANPE et les ASSEDIC, car chacun comprend que le suivi des demandeurs d’emploi ne sera pas le même s’ils sont répartis à raison d’une soixantaine par conseiller, comme vous le laissez entendre, au lieu de 130 en moyenne comme c’est le cas actuellement. Ou bien cet objectif ne serait-il que le résultat escompté de votre frénésie de radiation ? Il aurait été logique, aussi, d’attendre l’entrée en vigueur de la future convention d’assurance chômage.

Votre précipitation fait aussi que vous n’avez pas jugé utile de donner aux partenaires sociaux le temps de négocier sur l’offre valable d’emploi, dont le principe a été posé dans l’accord interprofessionnel. Mais l’on sait le mépris que vous inspire le résultat des négociations des partenaires sociaux, et la manière dont vous les utilisez pour faire avancer à la hussarde votre contre-réforme.

Nombre de dispositions de ce projet relèvent du domaine réglementaire. M. Bertrand avait pourtant expliqué qu’il fallait laisser à la loi le soin de fixer les principes fondamentaux, et rien d’autre…

Inadapté à la réalité, le projet ne traite pas les vrais problèmes. Il s’agit en fait de traquer et de sanctionner une minorité de chômeurs dont le comportement serait abusif.

M. Benoist Apparu – Ne le faudrait-il pas ?

M. Jean Mallot – L’ANPE l’indique, le phénomène est marginal. Pourquoi, alors, saisir ce prétexte pour jeter l’opprobre sur tous les autres, leur compliquer la vie et semer le trouble chez tous les chômeurs ? S’agissant des métiers « en tension », les causes réelles de leur manque d’attrait sont connues : bas salaires, horaires excessifs, mauvaises conditions de travail ; plutôt que de contraindre les demandeurs d’emploi à se diriger vers ces secteurs, mieux vaudrait porter l’effort sur la formation et l’amélioration des conditions de travail.

La proportion de chômeurs qui fraudent étant, au dire du directeur général de l’ANPE, infime, votre dispositif est disproportionné. Par ailleurs, à mesure que le chômage diminue, demeurent chômeurs les personnes les plus éloignées de l’emploi – celles que vous sanctionnez en les radiant des listes !

Pour permettre le retour à l’emploi des chômeurs, il faut certes un accompagnement mais surtout de emplois, et les prévisions économiques n’incitent guère à l’optimisme. Sous l’effet du choc pétrolier, le salaire réel a diminué de 1 % dans la zone euro, alors que les profits des entreprises ont augmenté de 7 à 10 % – mais encore faut-il qu’elles disposent de débouchés pour recruter.

Ce n’est pas la politique suivie depuis maintenant six ans qui améliorera les choses – le fameux paquet fiscal de l’été dernier a plombé notre économie. Les économistes nous le disent – nous l’avons lu dans la presse il y a quelques jours : à partir de maintenant et pour les deux ans qui viennent, la croissance annuelle de la France devrait avoisiner 1 %.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Vous vous trompez !

M. Jean Mallot – Vous laissez entendre que votre objectif est de réduire le nombre d’offres d’emplois non pourvues : elles seraient, selon les déclarations, de l’ordre de 300 000 à 500 000, et vous rapprochez ce chiffre des deux millions de personnes inscrites à l’ANPE. En réalité, en 2007, celle-ci a collecté 3,7 millions d’offres et réalisé 2,1 millions de placements. Les 300 000 à 500 000 offres mentionnées correspondent au chômage frictionnel incompressible, puisqu’une offre ne peut pas être satisfaite dans l’instant, et reste disponible un certain temps avant d’être pourvue. Quant aux offres non pourvues, il faut s’interroger sur les raisons pour lesquelles aucun chômeur ne les accepte, alors que l’immense majorité d’entre eux – vous l’avez dit vous-même – cherche de bonne foi un emploi.

Enfin, aucune mesure n’est prévue en faveur de la formation professionnelle : l’UNEDIC reconnaît pourtant n’avoir dépensé en 2007 que la moitié du budget dont elle dispose pour la formation des demandeurs d’emploi, alors même que ces formations sont reconnues comme efficaces.

En mettant la pression sur les demandeurs d’emploi et en mettant l’accent sur la sanction, vous espérez simplement radier encore plus pour dégraisser la statistique. Vous dites comme Tartuffe : cachez ces chômeurs que je ne saurais voir !

Pour être inutile et inadapté, votre projet n’en est pas moins dangereux. Il présente les demandeurs d’emploi comme des fraudeurs en puissance, comme des coupables plutôt que comme des victimes du chômage. Alors que moins de la moitié d’entre eux perçoivent une indemnisation, alors qu’il n’y a manifestement pas assez d’emplois véritables pour tous – plus des deux tiers des offres correspondent à des emplois précaires, à durée déterminée – et alors même que le chômage est vécu comme une mise à l’écart de la société, vous les obligez à se justifier en permanence.

Ce renvoi de la culpabilité sur la victime me rappelle cette affirmation de notre collègue Poisson, dans son rapport sur la pénibilité au travail – cela mérite d’être cité : « il arrive encore souvent que les travailleurs soient eux-mêmes la cause de la pénibilité qu’ils subissent, ne serait-ce qu’en ne respectant pas les consignes ou la réglementation, en gérant leur travail de manière à maximiser leur temps libre » – les bougres ! – « sans veiller à préserver les rythmes biologiques naturels ou en ne mettant pas à profit les périodes de récupération ou de congé pour se reposer ».

Dans les dispositifs proposés par votre projet, on voit bien que la relation entre le demandeur d’emploi et l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 – que nous appellerons pour le moment l’ANPE – n’est pas équilibrée – comme dans un contrat de travail où la relation entre le salarié et l’employeur, du fait du lien de subordination, n’est pas elle-même équilibrée. Ainsi les sanctions sont-elles précises, et drues, pour le demandeur d’emploi, mais inexistantes pour l’institution, même lorsqu’elle se révèle incapable de proposer une, et a fortiori deux offres d’emploi valables. Aucune sanction n’est prévue non plus contre les employeurs qui déposent des offres de mauvaise qualité, précaires ou offrant des conditions de pénibilité inacceptables.

Je veux insister sur une dérive de votre démarche, qui marque une évolution importante de notre système de prise en charge du chômage. Aujourd’hui, les salariés et les employeurs cotisent aux ASSEDIC pour assurer le risque de perte d’emploi et indemniser, selon des modalités issues de la négociation sociale, les demandeurs d’emploi. C’est le système d’assurance chômage qui donne des droits aux salariés. Certes, personne ne soutiendra que le demandeur d’emploi puisse pour autant simplement attendre que le temps passe en touchant ses allocations ; il a, à l’égard de la collectivité, un devoir de recherche d’emploi. Mais la collectivité, via notamment l’ANPE, a le devoir de lui proposer un emploi. Or votre texte, en indiquant dans la loi que la relation entre le chômeur et l’ANPE se situe dans le cadre d’un projet personnalisé d’accès à l’emploi élaboré conjointement, opère un glissement vers une relation de type contractuel, décrivant les obligations réciproques de l’un et de l’autre. Le demandeur d’emploi perd un peu des droits qui lui sont ouverts par l’assurance chômage en échange de ses cotisations, pour retrouver surtout des obligations.

On peut s’interroger, d’ailleurs, sur la constitutionnalité d’une partie de votre dispositif, tel qu’il a été remanié par le Sénat. Le PPAE aura des effets juridiques ; le Sénat en a déduit que le refus du demandeur d’emploi de s’inscrire dans cette démarche pourrait être sanctionné. Mais n’est-ce pas nier les droits découlant de l’assurance chômage que de sanctionner pour cette raison ? N’est-ce pas simplement à l’ANPE de faire des offres, et de quel droit sanctionner celui ou celle qui ne souhaiterait pas entrer dans la démarche contractuelle proposée ?

N’y a-t-il pas aussi contradiction entre le caractère personnalisé, individuel, du PPAE et le caractère automatique, systématique, des règles d’évolution dans le temps de ce que vous appelez l’offre raisonnable ? Dans ce nouveau système, et dans le cadre de la relation déséquilibrée entre l’ANPE et le demandeur d’emploi, quelle est alors la marge de manœuvre du chômeur ? Elle est très faible, voire quasiment nulle. Le directeur adjoint de l’ANPE, auditionné par le Sénat, l’a d’ailleurs admis : « On ne peut, dit-il, exclure qu'un conseiller ANPE conseille, par réalisme, à un jeune demandeur d'emploi d'accepter un CDD afin de faciliter son entrée sur le marché du travail ».

Dans le même cadre de réflexion, comment ne pas s’étonner que la sanction, en l’occurrence la radiation, soit prononcée par l’un des partenaires de cette relation encore imprécise ? L’ANPE n’est-elle pas ici juge et partie ? Elle est censée proposer des offres raisonnables, selon une définition établie conjointement, mais elle sanctionne le demandeur d’emploi qui refuserait une telle offre au motif que lui-même ne la considérerait pas comme raisonnable, c’est-à-dire comme répondant à cette même définition établie conjointement.

Alors, c’est vrai, l’usine à gaz des recours peut se mettre en branle…

M. Régis Juanico – Une de plus !

M. Jean Mallot – Possibilité pour le chômeur de répondre aux reproches qui lui sont faits, décision motivée du directeur de l’ANPE, recours gracieux, commission consultative, recours hiérarchique éventuel, recours contentieux devant le tribunal administratif : tout cela aura lieu, mais on voit que le rapport de force est défavorable aux chômeurs. L’habillage contractuel du PPAE se révèle trompeur : alors que les règles du jeu sont censées être établies conjointement, la sanction se fait, dans presque tous les cas, au détriment du demandeur d’emploi.

D’autre part, la présentation pour ainsi dire anodine des sanctions prévues – on nous dit de la radiation de deux mois qu’elle ne fera rien perdre au demandeur d’emploi, ses droits étant seulement suspendus, décalés dans le temps – est en total décalage avec les conséquences réelles qu’elle aurait pour le chômeur, qui se trouvera sans ressources pendant deux mois ; son loyer, ses factures ne seront pas suspendus, eux ! Et si la notification de la sanction arrive après le versement de l’indemnité, il devra reverser l’indu : cette situation est fort désagréable – même si je vois que cela réjouit l’UMP (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

La nature de ces sanctions, leur gravité, justifieraient une révision de leurs modalités concrètes, afin que leurs effets ne soient pas excessifs par rapport à la faute commise ; elles devraient être prononcées par une autorité garante de l’intérêt général : l’État.

L’un des principaux objets du texte est la définition de l’offre raisonnable d’emploi, selon des critères qui en font évoluer l’appréciation dans le temps. Il est d’ailleurs un peu étrange qu’une offre ne soit pas considérée comme raisonnable, c’est-à-dire convenable, à un moment donné, et qu’elle le devienne avec le temps, pour le même demandeur d’emploi, avec les mêmes qualifications, dans le même contexte économique local ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Après trois mois d’inscription à l’ANPE, l’offre raisonnable serait rémunérée à 95 % du salaire antérieur ; après six mois, elle le serait à 85 %. Mais comment gérer ce compte des mois ? Qu’en sera-t-il pendant l’été – un chômeur inscrit au 1er juillet sera certain d’attendre trois mois et de devoir accepter 95 % de son ancien salaire !

Vous me répondrez que ce type de système existe ailleurs. C’est vrai, mais il a partout, et par exemple en Allemagne, eu pour conséquence une explosion de la précarité et une paupérisation à la fois des chômeurs et des personnes ayant repris un emploi. Aux Pays-Bas, où le taux d’emploi général de la population avoisine 70 %, 40 % environ de la population sont employés à temps partiel ; ce pourcentage, mes chères collègues députées, monte à 70 % pour les femmes.

S’agissant du contenu des emplois, la définition de l’offre raisonnable mentionne un emploi compatible avec les qualifications du demandeur : nous en débattrons au moment de la discussion des amendements, mais qu’est-ce qui n’est pas compatible ? Il n’y a aucune incompatibilité entre une formation d’avocat et un emploi de cueilleur de fraises, pour reprendre un exemple médiatique. Demandez donc à Maître Copé s’il veut aller cueillir des fraises ! Voilà pourquoi nous demandons que vous changiez de logique et que vous fassiez en sorte que l’offre d’emploi corresponde – au lieu d’être seulement compatible avec elle – à la qualification du demandeur d’emploi concerné.

L’offre d’emploi se définit aussi par rapport à une zone géographique. Nous le verrons aussi dans la discussion article par article – si par malheur vous ne votiez pas cette question préalable. Nous savons bien que dans certains bassins économiques, il n’y a tout simplement pas d’emploi : que devient alors la définition de l’offre d’emploi raisonnable ? Quid de l’égalité de traitement entre les demandeurs d’emploi de ces bassins et ceux d’autres secteurs en meilleure santé économique ?

J’en viens à la question des contestations sur l’offre dite raisonnable. Certains prétendent qu’en fixant des critères précis – c’est ce que vous dites dans l’exposé des motifs –, vous assurez la sécurité juridique du dispositif. En fait, celui-ci sera une mine à contentieux : n’y a-t-il pas, par exemple, rupture d’égalité entre un demandeur d’emploi parisien et le chômeur d’une zone rurale – au regard du critère de distance ou de temps de trajet ? S’il doit accepter un travail à 30 kilomètres de chez lui, comment fera le second s’il n’a pas de véhicule personnel ?

Mme Michèle Delaunay – Il prend son tracteur !

M. Jean Mallot – Quand bien même il posséderait une voiture, il lui faudra payer son carburant. Est-ce raisonnable de travailler plus pour gagner moins ? L’éloignement ne manquera pas non plus de poser des problèmes pour la garde des enfants.

Les agents de l’ANPE devront faire preuve de beaucoup de discernement dans l’application de la loi, mais cela n’empêchera pas les tribunaux administratifs de crouler sous les contentieux.

Ce projet de loi est inutile, inadapté et dangereux. Il révèle en effet les véritables intentions du Gouvernement et de la majorité : pousser à la radiation pour diminuer statistiquement – mais pas dans la réalité sociale – le nombre de chômeurs ; donner des gages à une partie de l’opinion publique sensible à la démagogie en affichant de la fermeté face aux chômeurs soupçonnés de profiter du système ; opérer une pression à la baisse sur les salaires, en cohérence avec le dumping social organisé par la loi de rénovation de la démocratie sociale ; renvoyer progressivement sur l’aide sociale – gérée par les collectivités locales, cibles privilégiées du Gouvernement – nombre de chômeurs radiés et découragés ; enfin, grossir l’excédent de l’Unedic – 3,5 milliards en 2007, 4,6 milliards prévus en 2008 – afin d’organiser le glissement d’une partie de celui-ci vers le financement des retraites.

La méthode du Gouvernement apparaît plus clairement. Désigner des boucs émissaires et dresser les Français les uns contre les autres, c’est la règle des pouvoirs autoritaires qui n’obtiennent pas les résultats espérés et se crispent.

Il y a un an, la cible, c’était le gréviste. C’est du gréviste que la France est malade, s’exclamait M. Bertrand, tel Toinette au chevet d’Argan ! Tout cela pour que M. Sarkozy – alors que la loi sur le service minimum dans les transports n’a encore trouvé aucun début d’application – puisse s’écrier, avec provocation et peut-être imprudence : « Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit » !

Après le gréviste, le malade, qui paie pour les autres malades par le biais des franchises médicales. Ensuite, le code du travail, assoupli avec la rupture conventionnelle et le contrat à objet défini, puis carrément dynamité la semaine dernière. Désormais, la concurrence entre entreprises se fera aussi sur les normes sociales.

Alors que la mondialisation est l’occasion d’améliorer les conditions de vie et de travail des salariés des pays en voie de développement, vous choisissez de niveler par le bas et de dégrader nos normes sociales. Vous faites le choix de sous-développer la France.

Comment un salarié d’une petite entreprise pourra-t-il refuser la suppression des repos compensateurs ? Comment pourra-t-il s’opposer à un forfait de 282 jours de travail par an si la direction menace de délocaliser ?

Vous avez, il est vrai, de la constance. Avec la loi TEPA – 14 milliards d’euros par an –, avec le culte des inégalités érigé par la ministre de l’économie en moteur de la société, avec le bouclier fiscal, avec le statut d’auto-entrepreneur permettant au tâcheron moderne de concurrencer l’entreprise dont il est le salarié, le nouveau mot d’ordre est : « mangez-vous entre vous, mangez-vous vous-mêmes ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Aujourd’hui, la cible, c’est le chômeur qu’il faut gommer, cacher, radier. La technostructure a pour cela des trésors d’imagination : à 29 kilomètres de distance, l’offre est raisonnable, à 31 kilomètres, elle ne l’est plus ! Jusqu’où irez-vous dans la régression sociale ?

Chers collègues de la majorité, il vous reste une petite chance de sauver l’honneur avant les vacances, saisissez-la, votez cette question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Bruno Le Maire – Je veux commencer par dénoncer une contre-vérité affirmée intervention après intervention et insupportable pour la majorité, selon laquelle ce projet de loi serait dirigé contre les chômeurs (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Ce que demandent les chômeurs, ce n’est pas votre compassion, Monsieur Mallot, c’est un emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ce projet de loi leur permettra d’en obtenir un plus facilement.

Je veux aussi dénoncer au moins trois illusions. La première est que nous pourrions attendre, attendre la concertation avec les partenaires sociaux, attendre une amélioration de la situation, attendre comme si les chômeurs n’étaient pas pressés de retrouver un emploi.

Mme Marisol Touraine – Ce n’est pas vous qu’ils attendent !

M. Bruno Le Maire – La deuxième illusion consiste à faire croire qu’il existe une solution miracle. Si le Gouvernement a réussi à réduire le taux de chômage de 10 à 7,5 %, c’est qu’il a mis en œuvre des réformes l’une après l’autre : fusion ANPE-Unedic, accompagnement personnalisé, équilibre entre l’offre et la demande. Il n’y a pas de solutions miracles, mais des progrès pas après pas.

Enfin, vous agitez l’idée selon laquelle il faut attendre la croissance. À vous entendre, Monsieur Mallot, il faudrait s’asseoir sous l’arbre de Godot et attendre que la croissance revienne. Mais la croissance se construit d’abord sur les emplois que l’on crée.

Mme Sandrine Mazetier – Il y a d’autres solutions, 1997 nous l’a montré.

M. Bruno Le Maire – François Mitterrand disait dans les années 1980 : « Contre le chômage, on a tout essayé ». Je pense au contraire que l’on n’a pas tout essayé, qu’il existe de bonnes solutions, comme celles que contient ce texte.

Les faits sont têtus.

M. Jean Mallot – Nous aussi !

M. Bruno Le Maire – Depuis que nous avons pris les mesures qui s’imposent, le taux de chômage baisse depuis quatre ans. Vous ne pouvez pas contester ce résultat, dû à la majorité.

Par ailleurs, il y a 500 000 emplois non pourvus (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Cela signifie bien qu’il y a un défaut d’adéquation entre l’offre et la demande, auquel il faut remédier.

Les chiffres du Credoc montrent que le taux de retour à l’emploi augmente de plus de 10 % dans le dernier mois d’indemnisation du chômage : c’est bien que quelque chose ne fonctionne pas dans notre système, et vous le savez.

Le nombre d’agents de l’ANPE est passé de 18 000 à 28 000 entre 1999 et 2008 pour améliorer l’accompagnement des demandeurs d’emploi.

Enfin, les chances de retour à l’emploi diminuent de moitié après un an de chômage : plus tôt on intervient, meilleurs seront les résultats.

Parce que tous ces faits sont irréfutables, le groupe UMP rejettera cette question préalable. Ce projet de loi est une action résolue contre le chômage, quand vous ne proposez qu’inaction et attentisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Maxime Gremetz – Merci, Monsieur le directeur de cabinet ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Bruno Le Maire – Je suis élu de la Nation, et mieux élu que vous, Monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz – Vous n’avez peut-être jamais connu le chômage.

M. Charles de La Verpillière – Et vous, vous êtes apparatchik depuis cinquante ans !

M. Maxime Gremetz – Partons de l’actualité. La direction – américaine (« Quelle horreur ! » sur les bancs du groupe UMP) – de Goodyear, soutenue par votre politique de régression sociale, impose une nouvelle organisation du travail en 4/8 à ses salariés, les empêchant de consacrer du temps à leur famille, avec 500 licenciements à la clé. La stratégie de ce groupe multinational va mettre plus de 1 500 salariés au chômage. On laisse faire des délocalisations pour dégager plus de profit pour les actionnaires ; et ensuite, on stigmatise les chômeurs en soutenant qu’ils ne voudraient pas travailler : eh bien non ! Nous voterons donc cette motion.

Mme Martine Pinville – Le chômage, ce n’est ni la sanction d’une vie professionnelle laxiste, ni une fatalité qu’il faudrait accepter. C’est avant tout une rupture, qui fait disparaître une part de ce que l’on est. Il y faut une réponse sociale faite de réalisme et de compréhension, excluant la compassion autant que le mépris.

Hélas, ce n’est pas ce qu’on nous propose avec ce texte. On est d’abord frappé par l’absence de nouveauté dans la définition des droits du demandeur d’emploi. Il n’y a pas d’avancée en matière de formation, notamment pour les moins qualifiés, pas d’évolution dans la prise en compte des compétences. En outre, la mise en place de l’opérateur unique risque d’aboutir à des compressions de personnel qui ne feront que niveler par le bas les services rendus aux chômeurs.

Au sujet des devoirs, en revanche, ce projet est très prolixe. Les demandeurs d’emploi sont rendus coupables de leur situation et devront accepter des offres que d’autres auront jugées raisonnables pour eux.

Après les attaques contre le code du travail, après la fusion entre l’Unedic et l’ANPE, après le projet dit de modernisation du marché du travail, après la réforme de la démocratie sociale et du temps de travail, cette nouvelle offensive montre bien la cohérence de votre action.

Parce que ce texte n’apporte aucune avancée dans les droits des demandeurs d’emploi et accroît de manière injuste leurs devoirs, parce qu’il les stigmatise, parce qu’il s’inscrit dans un plan cohérent de déconstruction de notre modèle économique et social, nous voterons cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Francis Vercamer – Je suis assez attristé par la caricature que vient de faire M. Mallot. Il ne s’agit nullement avec ce texte de stigmatiser les chômeurs, mais de lutter contre la fraude de ceux qui ne cherchent pas d’emploi ou refusent ceux qu’on leur propose. En tant que président d’une maison de l’emploi, j’ai ainsi constaté la semaine dernière que, pour répondre aux offres d’aide à la personne que nous proposions, un seul candidat s’est présenté sur les dix demandeurs d’emploi que nous avions retenus… Il faut lutter contre certaines pratiques pour mieux défendre ceux qui cherchent réellement à réintégrer le monde du travail. Le Nouveau centre votera donc contre la question préalable.

La question préalable, mis aux voix, n'est pas adoptée.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Mme Valérie Rosso-Debord – Depuis trois ans, des résultats exceptionnels ont été obtenus dans la lutte contre le chômage : le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie 1 s'est réduit de 23 %, et le taux de chômage est revenu à un niveau que la France n'avait pas connu depuis un quart de siècle. Ce projet participe de l’objectif de le ramener à 5 % d’ici à 2012.

Il tend à donner au service public de l'emploi les moyens de travailler plus efficacement et exclusivement au service de ceux qui acceptent d'avoir des droits et des devoirs.

Trop longtemps, nous avons considéré qu'il suffisait de faire se rencontrer l'offre et la demande pour que le chômage diminue et que les employeurs trouvent une réponse à leurs attentes. Il est aujourd'hui de notre devoir d'aider les chômeurs et les employeurs à s'adapter et à individualiser leurs besoins. C'est la fierté de notre majorité d'avoir engagé ce chantier, dont une étape a été franchie avec le rapprochement Unedic-ANPE ; celui-ci permet d’optimiser le travail des agents, dont je veux saluer l’action.

Ce texte favorisera l'expression des vœux de parcours professionnel de chacun afin de garantir l'individualisation des solutions. Le service public de l'emploi s'engage à mettre en œuvre toutes les actions jugées nécessaires pour faciliter le retour à l'emploi et propose des offres considérées comme raisonnables ; en contrepartie, le demandeur d'emploi s'engage à accepter ces offres et peut être sanctionné en cas de refus répété.

Cet engagement réciproque prend forme à travers un projet personnalisé d'accès à l'emploi élaboré conjointement par le service public de l'emploi et le demandeur d'emploi. Le projet individuel précisera la nature et les caractéristiques de l'emploi recherché, la zone géographique dans laquelle le demandeur recherche un emploi ainsi que le niveau du salaire attendu.

La notion d'offre raisonnable d'emploi sera appréciée en tenant compte de la formation du demandeur d'emploi, de ses qualifications, de son expérience et de sa compétence professionnelle, mais aussi de sa situation personnelle et familiale ainsi que de la situation du marché du travail. Le système sera plus juste et plus lisible, et chacun saura à quoi s'en tenir.

Comme l’a rappelé à juste titre la rapporteure, notre devoir est de soutenir les plus faibles tout en les accompagnant avec détermination dans cette épreuve qu’est l'inactivité. Outre une légitime compassion, les parlementaires doivent faire preuve d’esprit de responsabilité. Le chômage est une épreuve, qui nécessite écoute et tact ; mais c’est aussi un échec qui peut empêcher un rétablissement rapide. Toutes les études démontrent qu’on éprouve d’autant plus de difficultés à retrouver un emploi que le chômage se prolonge. Selon le Credoc, on perd 50 % de chances de trouver un emploi après un an de chômage. Notre devoir est donc de veiller à ce que chaque demandeur d’emploi bénéficie d'une prise en charge individualisée et rapide. Cela implique des droits, mais aussi des devoirs dans l’intérêt même des chômeurs, qui doivent bénéficier d’une solution durable et adaptée à leurs difficultés.

Certains contestent nos motivations en agitant un chiffon rouge : le Gouvernement obligerait les chômeurs à accepter un emploi moins payé et plus éloigné de leur domicile, sous peine de suppression des allocations versées. Les partisans du conservatisme font preuve de la plus grande vigueur en défendant un statu quo impensable.

Le rôle du législateur, défenseur de l'intérêt général et gardien des intérêts de la société, est de poser des garde-fous. Oui, nous avons pris nos responsabilités en posant des règles acceptables et en donnant au service public les moyens de réussir. Il faut effectivement imposer des limites. Certains pensent-ils qu’il faut supprimer les limitations de vitesse sur la route en pariant sur la régulation spontanée ?

Notre but est de tout mettre en œuvre pour réduire le taux de chômage et pour accroître l'emploi. Comme l’a indiqué le rapporteur pour avis, nous devons innover afin de garantir une croissance harmonieuse et durable. D’aucuns pensent que les aides d’État et les emplois assistés sont les seules réponses adaptées aux difficultés du marché du travail ; pour notre part, nous avons eu le courage d'engager une nouvelle démarche, fondée sur la responsabilité individuelle, l'accompagnement personnalisé et l'adaptation de la demande aux réalités de l'offre.

J’ajoute que le développement de l'activité assurera la pérennité de notre système de solidarité collective et participera au rétablissement de nos finances publiques, qui est une autre priorité du Gouvernement. La qualité de l'emploi, la lutte contre les trappes à inactivité ou contre les effets de seuil qui contribuent à appauvrir les salariés, mais aussi la liberté dans le niveau d'activité, tout cela va dans le bon sens, et tout cela aide aussi au renforcement du pouvoir d'achat.

Comme l’a rappelé le président Méhaignerie, il est temps d'appliquer des règles justes. Ce texte nous permettra de faire ce pas en avant. Les portes de l'avenir sont ouvertes à ceux qui savent les pousser. C'est avec enthousiasme que le groupe UMP votera ce projet de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Danièle Hoffman-Rispal – La dernière édition du Larousse est disponible dans les librairies. La flexisécurité, ce modèle qui tend à offrir aux travailleurs une plus grande sécurité de l’emploi en échange d'une flexibilité accrue, fait son apparition dans ce dictionnaire. À elle seule, cette nouveauté justifierait que les membres du Gouvernement et ceux de la majorité fassent l'acquisition de ce volume ! (Sourires).

Il n’y a rien d'étonnant et de choquant à l'introduction de ce concept dans nos dictionnaires. Inspiré des pratiques du nord de l'Europe, notamment du Danemark, le terme fait référence à un triangle d'or : plus grande flexibilité du marché du travail, politique d'indemnisation généreuse et politiques actives en faveur de l'emploi.

Les députés du groupe SRC sont prêts à étudier toute avancée en ce sens sans le moindre préjugé et dans un esprit constructif, à condition que l’on prenne en considération les deux aspects du concept. Or la majorité se méprend sur la signification de la flexisécurité en se cantonnant à la seule flexibilité.

Assouplissement des règles régissant les contrats de travail, attaques répétées contre la durée légale du travail, renversement de la hiérarchie des normes et aujourd'hui sanctions contre les chômeurs : les mesures destinées à renforcer la flexibilité sont légion. Votre empressement au service de cette cause est tel que vous avez inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire le projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, puis le projet de loi que nous examinons maintenant. Comme l’a demandé à juste titre M. Vercamer, pourquoi ne pas avoir attendu la négociation sur la convention d’assurance chômage et celle sur la sécurisation des parcours professionnels ? En tout cas, les éléments susceptibles d'apporter un minimum de sécurité aux demandeurs d'emploi n'ont pas bénéficié de la même faveur que la flexibilité.

Nous discutons par ailleurs des sanctions applicables aux chômeurs alors que le plus grand flou règne encore sur la fusion entre les Assedic et l’ANPE, dont les modalités auront pourtant une incidence sur les droits des demandeurs d'emploi. Les agents de ces deux institutions regrettent d’être si mal informés sur la constitution du futur opérateur public de l'emploi. Les syndicats ont réclamé en vain des précisions sur le calendrier de la fusion, sur l’offre de service qui sera proposée, sur les restructurations du réseau, sur la mise en concurrence avec le secteur privé, sur l’organisation territoriale, sur le pilotage et sur le financement de la nouvelle institution.

Les conditions d’élaboration de ce projet de loi méritent également quelques mots. L'accord interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail avait abouti à un quasi-consensus sur l'amélioration de l'accompagnement des demandeurs d'emploi. L'article 18 de cet accord évoquait ainsi des « droits et devoirs réciproques », mais un léger basculement sémantique vous a visiblement conduits à abandonner cette condition de réciprocité. Vous avez unilatéralement élaboré une définition de l'offre raisonnable d'emploi, ce qui a provoqué la colère des syndicats.

Avant son élection, Nicolas Sarkozy déclarait pourtant que « les réformes doivent conjuguer les nécessités de l'action et la pratique du dialogue social ». Dans la pratique, vous avez choisi d’ajouter à la précarisation des salariés le refus d’écouter les partenaires sociaux.

Il est vrai que ce texte présente une qualité : il ne compte que trois articles. Nous vous félicitons pour cette concision législative, suffisamment rare pour être soulignée…

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Merci !

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Pour une fois, nos concitoyens pourront prendre connaissance du contenu de ce texte assez facilement. Cela étant, je note que les droits nouveaux reconnus aux demandeurs d'emploi sont inexistants, tandis que leurs devoirs sont omniprésents. La mention des « droits et devoirs » dans le titre de ce texte est donc quelque peu exagérée. Mais les demandeurs d’emploi jugeront eux-mêmes...

Contrairement à ce que vous croyez sans doute, les faits sont têtus. Selon l'ANPE, les radiations pour « refus d'offre » restent marginales : de janvier à novembre 2007, il y aurait eu 13 672 suppressions à ce titre sur 563 680, soit seulement 2,4 % du total. Une étude de la DARES datée du 2 juin dernier indique également que 2 % seulement des personnes se déclarant au chômage ne souhaitent pas travailler à l'avenir, essentiellement pour des raisons de santé. Quant aux 500 000 offres d'emplois non pourvues, qui ont été évoquées à de multiples reprises par le Président de la République, les chômeurs, les agents de l'ANPE et les syndicats les cherchent encore... Il n'existe pas de décompte des offres d'emploi non satisfaites !

Autre aspect contestable de ce texte, une offre située à moins de trente kilomètres du domicile du demandeur d’emploi pourrait être considérée comme raisonnable au terme d’un délai de six mois. J’imagine mal comment cette condition pourra être vérifiée – il faudrait embaucher bien des agents à cette fin ! – et je trouve cette exigence bien peu compatible avec le Grenelle de l'environnement.

Quand bien même les demandeurs d'emploi choisiraient les transports en commun – je suis d’ailleurs impatiente de savoir quel système permettra de vérifier la durée maximale d'une heure de déplacement – les salariés habitant loin des centre-villes ou dans des zones mal desservies seront pénalisés.

Avec la journée de 13 heures autorisée par la remise en cause de la durée légale du travail et avec les heures de transport prévues par ce projet de loi, quel temps libre restera-t-il aux salariés si l’on retranche le temps de sommeil ? Si l’on prend également en compte le travail du dimanche, sujet auquel vous avez promis de vous attaquer bientôt, nous ne sommes pas loin d’en revenir à des conditions de travail inacceptables pour les salariés.

M. le Président – Il faut conclure.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Comme vous, Madame la ministre, nous souhaitons que notre société s’achemine vers le plein emploi. Notre responsabilité est en jeu là. Mais puisqu’il a été question de dogmatisme, j’aimerais savoir pourquoi le précédent gouvernement s’est empressé de supprimer le programme TRACE en 2002. C’était une forme d’accompagnement individualisé pour les jeunes.

Mme Martine Billard – Très juste.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Loin de tout dogmatisme et malgré la torpeur de ce milieu du mois de juillet, nous défendrons nos convictions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Francis Vercamer – Ce projet de loi est conçu comme un dispositif au service de la politique du travail. Nous aussi, nous souhaitons faciliter le retour à l’emploi, car le chômage de longue durée est particulièrement déstructurant.

Le choc de la perte d'emploi est un traumatisme pour tout salarié : perdre son emploi, c'est voir remettre en question sa vie personnelle, familiale, parfois même son logement. Si toutes les situations ne sont pas aussi dramatiques, beaucoup de nos concitoyens sont frappés par la précarité et la fragilité qu’engendre le chômage.

Les situations sont extraordinairement diversifiées et complexes. Bien des éléments viennent interférer dans la position du demandeur d'emploi sur le marché du travail : des paramètres professionnels – qualification, expérience, formations suivies, qualité des emplois occupés –, mais aussi des considérations plus personnelles – âge, état de santé, situation familiale, parcours personnel, difficultés à se loger… À cela s'ajoutent les obstacles que constituent les discriminations. Je vous renvoie sur ce point au rapport 2007 de la Halde, qui montre que le phénomène est loin d’être négligeable.

Il convient d'ajouter les limites propres au marché du travail local, qui ne suscite pas toujours suffisamment de créations d'emplois pour répondre à une demande dont la pression est particulièrement forte - je pense en particulier au bassin d'emplois de Roubaix – Tourcoing dont je suis élu.

Ce texte vise également à régler le problème des métiers en tension : 500 000 offres d'emploi ne trouveraient pas preneur, alors que notre pays compte 1,9 millions de chômeurs. Le fait qu'un certain nombre de secteurs d'activité ne trouvent pas les salariés qu'ils recherchent doit nous inciter à nous interroger sur l’attractivité de leurs métiers. Les contraintes qui leur sont attachées constituent à l’évidence des freins au recrutement, même si des efforts ont été accomplis – un secteur comme le bâtiment a ainsi progressé sur les questions de pénibilité ou de rémunération, ce qui n’empêche cependant pas les besoins de main-d’œuvre de s’y faire encore ressentir. La situation est d’ailleurs contrastée entre les grandes entreprises, qui n'hésitent pas à engager leurs nouveaux salariés dans une démarche de formation, et les petites, qui recherchent plutôt des professionnels immédiatement opérationnels. Sur ce sujet aussi, la complexité prime.

On ne choisit pas d'être chômeur. Notre groupe veillera toujours à éviter tout risque de stigmatisation des demandeurs d'emploi, en particulier des chômeurs de longue durée.

J'ai écouté avec attention les interrogations du président de la commission sur les raisons d’un nouveau texte, alors même qu'une loi rappelle déjà leurs devoirs aux demandeurs d'emploi et qu'elle pourrait être mieux appliquée. Ce dispositif de contrôle et de sanction aurait dû parachever le cycle des réformes du marché du travail plutôt que le précéder. La portée de votre texte eût été tout autre s’il avait tiré les conclusions des expérimentations du contrat de transition professionnelle pour ce qui concerne les bassins industriels en crise, s’il avait été précédé par une réforme de la formation professionnelle et une identification claire des priorités de la nouvelle convention d'assurance-chômage et des missions du nouvel opérateur issu de la fusion entre l’ANPE et les Assedic, et accompagné par une rénovation complète des outils de l'insertion, grâce au Grenelle de l'Insertion et à la généralisation du RSA.

Or nous sommes loin du compte. Cela se comprend : ces chantiers sont vastes, et le Gouvernement a choisi d'y associer les partenaires sociaux et les acteurs quotidiens de ces domaines.

M. Maxime Gremetz – Pas trop !

M. Francis Vercamer – On le voit notamment pour la réforme de la formation professionnelle, dont le rapport Ferracci a défini les axes. Les partenaires sociaux doivent désormais s’en saisir. Pour le Nouveau Centre, cette réforme est, avec la loi de modernisation du marché du travail, la clef de voûte de la sécurisation des parcours professionnels.

De même, nous devons approfondir la réflexion sur le rôle des maisons de l'emploi. Les conclusions de la mission d'information qui y a été consacrée, présidée par Mme la rapporteure, ainsi que le rapport d'évaluation de notre collègue Anciaux, mettent en lumière la nécessité d'une articulation étroite avec le service public de l'emploi et l'opérateur unique issu de la fusion entre l’ANPE et le réseau des Assedic.

L’accompagnement du demandeur d'emploi reste pour nous l'un des moyens les plus efficaces de le contrôler…

M. Michel Issindou – Pour nous aussi !

M. Francis Vercamer – …et de le conduire vers un nouveau parcours d'accès à l’emploi.

Sur tous ces points, nous attendons des précisions et des engagements au cours du débat. Un certain nombre de principes de l'architecture et des missions des acteurs de l'emploi restent en effet en suspens. Votre texte apparaît donc déséquilibré à certaines associations de demandeurs d'emploi : les devoirs du demandeur d'emploi y sont plus détaillés que ses droits ; l’offre apportée par le service public de l’emploi doit être détaillée, et les conditions de son accessibilité précisées.

Je ne doute pas de votre volonté de donner aux demandeurs d'emploi, en contrepartie de l'affirmation de leurs devoirs, les meilleurs outils d'accompagnement. Mais ils n’apparaissent pas clairement dans votre texte. Nous attendons donc des garanties précises sur ce point.

Le Nouveau centre veillera tout particulièrement à ce que le texte ne franchisse pas la limite entre la volonté de contrôler les personnes qui ne cherchent pas de travail – qui est compréhensible – et la sanction de celles qui ne trouvent pas de travail – qui n’est pas acceptable. Nous vous incitons donc à traiter avec prudence des mécanismes de dégressivité dans le temps dont est assortie l'offre raisonnable d'emploi, notamment pour ce qui est du salaire. Revaloriser le travail, c'est aussi convaincre que le travail rapporte plus que les allocations !

Si le demandeur d'emploi doit accepter un travail à un niveau de salaire égal au revenu de remplacement, alors qu'il perd le bénéfice des droits connexes à celui-ci, on donne à penser que le retour à l'emploi n'apporte aucun revenu supplémentaire. Là encore, nous vous demandons des garanties.

Nous souhaitons aussi que le texte prenne mieux en compte les droits du demandeur d'emploi – notamment dans le cadre de ses relations avec le service public de l’emploi – et lui évite d'être sanctionné pour des raisons indépendantes de sa volonté.

Le projet personnalisé d'accès à l'emploi doit prendre expressément en considération un certain nombre d'éléments – âge, état de santé, pénibilité des métiers, type de contrat de travail recherché. Vous devez également préciser les modalités d'entrée dans le dispositif des personnes actuellement inscrites comme demandeurs d'emploi dans le cadre d'une période transitoire.

Nous restons enfin en attente de précisions sur le devenir des demandeurs d'emploi de plus de 56 ans, qui ne pourront plus accéder à l'allocation équivalent retraite à compter du 1er janvier 2009. Or leur retour à l’emploi se heurte à de considérables difficultés, notamment dans les bassins industriels en crise. Ils doivent donc faire l'objet d'un accompagnement et d'un suivi renforcé. Nous attendons des précisions sur ce point.

Le dispositif proposé s'inscrit dans la logique de l'affirmation de droits et devoirs du demandeur d'emploi qui sous-tend notre législation depuis 1993. Il s'inscrit donc dans une relative continuité.

De même, la notion d'offre raisonnable d'emploi est une constante dans bien des pays européens. Un certain nombre d'entre eux sont parvenus à réduire notablement la demande d'emplois, non grâce à ce seul dispositif, mais parce qu'il s'intègre dans un cadre plus global permettant de sécuriser les parcours professionnels. C’est le cas du Danemark.

C’est sans a priori et sans dogmatisme – à l’inverse du parti socialiste – que le Nouveau centre aborde la discussion de ce texte. C'est avec la volonté de sécuriser la position du demandeur d'emploi que nous proposons un certain nombre d'amendements et demandons des garanties quant à leurs droits. Et c'est en fonction des réponses qui nous seront apportées que nous nous prononcerons.

M. Régis Juanico – On connaît la réponse d’avance !

M. Jean Mallot – Le Nouveau centre est à gauche dans la discussion générale, mais à droite lorsqu’il faut voter !

M. Maxime Gremetz – Ce projet de loi est le quatrième volet d'un projet de casse qui en comporte cinq.

Premier volet, la recodification du code du travail, que l'on pourrait intituler : « réécriture du code du travail ou l'histoire des droits amoindris » – car vous avez manqué à vos engagements. Vous avez profité de cette recodification pour complexifier le code – en le faisant doubler de volume – et amoindrir la protection des salariés, transposant certains droits du domaine législatif au domaine réglementaire, quand vous ne les avez pas purement supprimés !

Deuxième volet : privatisation rampante du service public de l'emploi, avec la fusion de l’ANPE et des Assedic. On aurait pu croire à vos bonnes intentions si elles n'étaient contredites par le contenu même du texte. Demain, les agents seront tout à la fois agents de placement et de contrôle, donc juge et partie.

Troisième volet : votre modernisation du marché du travail, dont le propos pourrait se résumer ainsi : « circulez, on précarise à tout-va ». Ce que les salariés retiendront de ce texte, c'est qu'il a été un outil supplémentaire dans la réduction du coût du travail et de leurs droits.

Quatrième volet : celui qui nous occupe aujourd'hui.

Le cinquième volet est la remise en cause du temps de travail. Vous préférez visiblement la semaine de 65 heures – 13 heures de travail journalier – que votre Gouvernement a imposé grâce au soutien des autres libéraux européens.

C’est encore l’inversion des normes avec la priorité donnée aux accords d’entreprise sur les accords de branche, permettant aux patrons seuls de déterminer l’organisation du travail et de fixer le contingent d’heures supplémentaires.

Cette contre-réforme, mise en scène par François Fillon et dont Xavier Bertrand assure la promotion, sera lourde de conséquences pour les plus fragiles de nos concitoyens qui, pour s’en sortir et espérer continuer à vivre dignement, pouvaient compter sur la solidarité nationale. Mais de tout cela, votre Gouvernement n’a cure. On sait quel est votre modèle social, celui des Etats-Unis, ce pays que vous connaissez bien, Madame la ministre, ce pays où la solidarité est d’abord familiale et confessionnelle, où l’on peut être licencié du jour au lendemain, où les aides sociales sont limitées au strict minimum, où les malades les plus pauvres peinent à se soigner – triste réalité transposée en France avec les dépassements d’honoraires non maîtrisés, les déremboursements et les franchises médicales.

Je souhaiterais d'ailleurs connaître votre avis, Madame la ministre, sur les propos tenus jeudi dernier par M. Dassault, lors de votre audition par la commission des finances du Sénat, relative au référé de la Cour des comptes sur la fusion ANPE-Assedic. Selon M. Dassault, le problème serait que « l'assistance et les aides diverses aux chômeurs sont trop élevées ». Et de rajouter, avec la mesure qui la caractérise, que réduire « carrément les aides aux chômeurs serait quand même plus efficace pour les faire travailler que de leur donner de l’argent prélevé sur les deniers de l’État ». Et de poursuivre « Quant aux jeunes, pourquoi ne pas les mettre en apprentissage dès 14 ans ? » Ce même esprit mesuré s'était d'ailleurs manifesté lors de l'examen du projet de loi sur la modernisation du marché du travail, où le même M. Dassault avait défendu une société totalement dérégulée, dans laquelle le droit de licencier ne devrait pas être encadré, et où les contrats les plus précaires, les contrats de portage et les contrats de mission, devraient être généralisés. Le futur que veut ce sénateur pour la France a, hélas, un arrière-goût d'antan.

Vous me rétorquerez qu’il s’agit de propos excessifs qui n’engagent que leur auteur. Je ne le crois pas ! Ils sont cohérents avec le discours de la droite qui vise à culpabiliser et à stigmatiser les demandeurs d’emploi. Ces phrases, d'une rare violence sociale, sont l'une des conséquences de votre politique et de celle des gouvernements successifs de droite depuis 2002. Et ce projet de loi stigmatise en effet les demandeurs d'emploi, puisque vous partez du présupposé selon lequel un chômeur trouverait plus facilement un emploi si on limitait ses droits et son indemnisation. Etes-vous d’accord avec les positions de M. Dassault ou les dénoncez-vous, Madame la ministre ?

Le déni de démocratie sociale est aujourd’hui patent. Aucune des cinq organisations syndicales représentatives des salariés n'a voulu parapher votre projet de loi. Toutes au contraire, de la CFE-CGC à la CGT, vous ont fait part de leur mécontentement, sur la méthode utilisée comme sur le contenu du texte. Toutes dénoncent un texte stigmatisant et culpabilisateur, comportant des dispositions qui risquent d’entraîner la suspicion sur l’ensemble des chômeurs. Elles dénoncent aussi l'absence de droits nouveaux pour les demandeurs d'emploi. Un collectif de syndicats et d'associations de précaires et de chômeurs a également fait connaître son opposition à ce projet de loi « qui rendait les chômeurs responsables de leur situation ».

Je remercie le rapporteur au Sénat de le rappeler dans son rapport : « Les organisations syndicales ont exprimé leur opposition à ces dispositions. Elles regrettent que le Gouvernement ne leur ait pas laissé la possibilité de négocier sur ce sujet et estiment que le projet de loi jette une suspicion sur l’ensemble des demandeurs d'emploi». Ce n’est pas moi qui le dis, mais votre propre rapporteur.

Quant à la référence faite à l'accord national interprofessionnel, elle me laisse perplexe. Vous reprochez aujourd'hui aux partenaires sociaux d'avoir préféré écarter de la discussion une disposition qui, si elle avait été introduite, aurait hypothéqué la signature de l'accord que vous vous réjouissez par ailleurs d'avoir obtenu. De plus, les partenaires sociaux s'étaient accordés à l'occasion de l'ANI pour reporter l'examen de l’offre raisonnable d'emploi à la négociation, fin 2008, de la convention d'assurance chômage ! La ficelle est un peu grosse !

Vous voudriez nous faire croire que c'est par sens des responsabilités que le Gouvernement se serait substitué à la négociation des partenaires sociaux. Si telle est la raison, je m’en réjouis : je ne doute pas que, dès la rentrée, vous proposerez à la représentation nationale un projet de loi sur la pénibilité, sujet que la droite refuse obstinément d'aborder (Marques d’approbation sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Notre groupe ne nourrit, hélas, que peu d’espoir. Il ne s'agit pas là de satisfaire aux exigences du patronat, mais aux attentes légitimes des salariés. Et c’est toute la différence.

Où est passée votre détermination ? Le Gouvernement se vantait il y a peu encore de sa capacité à développer le dialogue social et à le respecter. « L'histoire nous a montré que les lois les plus durables et les plus reconnues, celles qui sont entrées dans notre vie quotidienne de la meilleure façon, sont consécutives à des accords ». Ce n’est pas moi qui le dis, mais M. Xavier Bertrand.

M. Sébastien Huyghe – Excellent ministre !

M. Maxime Gremetz – Je me souviens également l’avoir entendu dire, dans ce fabuleux exercice d'autocongratulation que constituait son intervention sur la modernisation du marché du travail : « La réalité, c'est que ce dialogue social bien portant et si longtemps attendu est enfin au rendez-vous ». Je crains, hélas, que sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, le Gouvernement ait manqué son rendez-vous.

Vous n'avez pas respecté les organisations syndicales et avez manqué à votre promesse faite aux Français. Durant la campagne présidentielle, je me souviens avoir entendu M. Bertrand dire – je n’écoute pas que lui, mais comme il est picard, je l’entends plus que d’autres ! –, parlant des 35 heures, que cette façon de légiférer était dépassée. Vous fustigiez alors une loi imposée d'en haut et promettiez de ne plus jamais agir ainsi (Marques d’approbations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Une promesse de plus dissoute dans l'acide de la version sarkozyste du dialogue social, qui consiste à recourir aux syndicats parfois, à les opposer les uns aux autres et à les trahir régulièrement. C'est ce que vous avez fait avec la loi sur la démocratie sociale et le temps de travail.

Il y a également une incohérence manifeste à vouloir nous faire adopter un projet de loi sur les droits et devoirs des demandeurs d'emploi alors même que la nouvelle institution, qui aura pour mission de garantir leurs droits et de leur imposer leurs devoirs, n'est pas encore opérationnelle. Incohérence plus grande encore à vouloir faire adopter ce texte quand les négociations sur la convention d'assurance chômage, qui présentera l'offre de service de la nouvelle institution, n'est pas encore entamée. Cette offre de services est pourtant l'une des composantes des droits des demandeurs d'emploi !

Tout cela fait de ce projet de loi un texte profondément déséquilibré, au titre abusif, dans lequel les devoirs sont nombreux et les droits absents. Et ce d'autant que la politique de bas salaires que vous conduisez conduira inévitablement à une baisse généralisée des salaires, comme nous le constatons, déjà avec le recours à l'intérim et aux temps partiels.

En réalité, l'urgence vous est fort utile, elle vous permet de contourner le débat qu’aurait légitimement fait naître votre projet de loi si vous aviez eu recours à la voie législative classique et traité de la responsabilité sociale des employeurs dont vous ne dites mot. J’ai évoqué Goodyear, je pourrais citer aussi Cosserat, seule entreprise à fabriquer encore du velours en France, ou Whirlpool, toujours à Amiens, qui vont licencier des centaines, sinon des milliers de salariés.

Voilà quelques années qu'émerge dans la société un débat sur la responsabilité sociale des entreprises qui ont des droits mais aussi des devoirs envers les salariés, comme à l’égard de l’environnement. On parle toujours des droits et des devoirs des chômeurs…

M. le Président – Il faut vous acheminer vers votre conclusion.

M. Maxime Gremetz – La Commission européenne définit d’ailleurs ainsi cette responsabilité sociale des entreprises : « C'est l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ». Beau projet en apparence ! On a même eu droit à l'élaboration d’une charte de bonne conduite et à la création de sociétés chargées d'évaluer le respect de ces engagements.

Les belles promesses ne sont, hélas, pas tenues. Les entreprises ne cessent de réduire leur masse salariale, licenciant les salariés les plus anciens, qui sont les plus coûteux, faisant peser sur les sous-traitants le poids de leurs décisions économiques, refusant d'utiliser les crédits consacrés à la formation professionnelle, recourant aux stagiaires pour occuper des postes à temps plein, et j'en passe!

M. le Président – Il faut vraiment conclure.

M. Maxime Gremetz – Il faut dire que les employeurs n'ont aucune raison de s’engager davantage puisque l'État lui-même manque à ses obligations. Votre Gouvernement participe effectivement d'un grand mouvement de déresponsabilisation.

M. le Président – Vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole.

M. Maxime Gremetz – On ne peut compter sur une charte, simple déclaration de bonnes intentions, pour protéger les salariés. Il faut pouvoir faire appel à la loi.

Quant à la place de l'entreprise dans la société, il devrait toujours y avoir du donnant-donnant.

Les députés communistes ne défendent pas, vous le savez, l'époque où les employeurs se comportaient en bons pères de famille, avec un paternalisme parfois étouffant. Mais il nous semble impératif de revenir à une situation où les salariés faisaient l'objet d'une réelle reconnaissance. La vie dans l'entreprise était faite de solidarité, et celle-ci se poursuivait à l'extérieur de l'entreprise. Aujourd'hui, les employeurs divisent autant qu'ils le peuvent, parfois avec le soutien du Gouvernement. Hier encore, l'entreprise était responsable du salarié pendant et après son activité ; ce temps est révolu.

En abordant la question du chômage et du retour à l'emploi, nous aurions pu, nous aurions dû, aborder de front la question de la place de l'entreprise dans la société. Mais vous ne le voulez pas.

Les députés communistes et républicains et le groupe GDR voteront contre ce mauvais coup porté aux demandeurs d'emploi.

M. Dominique Tian – Ce texte est la suite logique de la réforme du service public de l'emploi. La fusion de l'ANPE et des Assedic permettra en effet de dégager des moyens nouveaux pour accompagner le demandeur d'emploi et faciliter sa mobilité professionnelle et géographique. Il devra, en contrepartie, accepter les offres raisonnables et pourra être sanctionné en cas de refus répétés.

M. Régis Juanico – Voilà un résumé d’une simplicité biblique !

M. Dominique Tian – Ce projet court et clair nous est soumis après que le RSA a été institué. Il est inspiré des règles en vigueur dans de nombreux pays européens. J’en rappellerai certaines. En Allemagne, pays souvent gouverné par la gauche, les lois « Hartz » ont modifié les conditions d'indemnisation des chômeurs. La quatrième loi Hartz instaure l'obligation pour le chômeur d’accepter toute offre de travail « acceptable », même si elle est inférieure à son niveau de qualification ou à ses exigences salariales, sous peine de perdre le bénéfice de ses prestations sociales. En cas de refus sans motif particulier, l'allocation peut être réduite de 30 % pendant trois mois et, s'il rejette une deuxième offre en l'espace d'un an, le taux passe à 60 % pendant trois mois. Après la troisième offre refusée, les indemnités peuvent être supprimées.

M. Maxime Gremetz – Et M. Schröder a été battu !

M. Dominique Tian – En Espagne, le taux d'indemnisation du chômage est de 70 % du salaire de référence pendant six mois ; il diminue ensuite, mais il est tenu compte des charges de famille. La durée d'indemnisation est comprise entre quatre et vingt-quatre mois. Si un chômeur refuse une proposition de travail correspondant aux critères qu'il a définis avec les services de l'emploi, le paiement des prestations est suspendu jusqu'à ce qu'il se justifie. Un emploi est considéré comme « convenable » s'il est rémunéré à hauteur de ce qui est pratiqué dans le secteur de l'activité proposée. L’emploi doit être situé dans un rayon de 30 kilomètres, sous réserve que le temps de transport n'excède pas 25 % du temps journalier (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

En Grande-Bretagne, le taux d'indemnisation est fixé forfaitairement en fonction de l'âge de l'intéressé et non de son ancien salaire. L'indemnisation est limitée à six mois ; au delà, la personne ne peut maintenir aucune exigence quant au niveau de rémunération des offres qu'il est prêt à accepter.

Au Danemark, le taux d'indemnisation du chômage est fixé à 90 % du salaire de référence, et plafonné à 2 000 euros par mois (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Maxime Gremetz – Bien plus qu’en France !

M. Dominique Tian – En Autriche, le taux d'indemnisation est de 55 % en moyenne. L'indemnisation dure de 20 à 39 semaines pour les chômeurs âgés de 40 ans et plus et jusqu'à 52 semaines pour les chômeurs de 50 ans et plus.

Les Pays-Bas connaissent une grave pénurie de main-d'œuvre et le Gouvernement entend encourager le retour au travail par des mesures contraignantes. Toutes les personnes au chômage auront un an au maximum pour retrouver un emploi. Passé ce délai, elles seront contraintes, quelle que soit leur formation, d'accepter toute proposition qui leur sera faite. En échange d'une éventuelle déqualification, elles bénéficieront d'un complément salarial payé par les pouvoirs publics afin que leur revenu soit toujours supérieur à leur indemnité de chômage.

Le projet qui nous est soumis a fait l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux. C’est une réforme équilibrée. Le texte donne une définition précise de l'offre raisonnable d'emploi en tenant compte de la formation du demandeur d'emploi, de ses qualifications, de son expérience professionnelle, de sa situation personnelle et familiale et de la situation du marché. C’est un projet raisonnable et modéré, qui ne concerne que 5 % des demandeurs d’emploi, comme l’a souligné M. Wauquiez. Le texte, qui nous est présenté avant la réforme de la formation professionnelle à venir, est court, simple, approuvé par une large majorité de nos concitoyens, utile et nécessaire. Je le voterai avec enthousiasme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Michèle Delaunay – Voilà, au cœur de l'été, avec l'espoir de le voir se dissoudre dans le brouhaha des départs en vacances, un texte incomplet, impuissant et en réalité mensonger (Protestations sur les bancs du groupe UMP), un texte qui va modifier l'esprit dans lequel a été créée l’ANPE. L’Agence qui était destinée à soutenir, conseiller et orienter ceux qui ont perdu leur travail va devenir une agence conçue pour sanctionner, contrôler, dévaloriser le travail, où l’on se rendra avec crainte. Vers quel type d’État allons-nous si ce qui doit sécuriser inquiète?

Ce texte est incomplet. Nous avons beaucoup cherché, jusqu'entre les lignes de ces deux articles, mais si nous avons bien trouvé les devoirs des demandeurs d'emploi, où sont leurs droits véritables, conclus dans l’équité ? Nous lisons bien que « le service public de l'emploi s'engage à mettre en œuvre toutes les actions jugées nécessaires pour faciliter le retour à l'emploi », mais où sont les actions et les moyens, que l'on puisse ériger en droits pour les demandeurs d'emploi ? Où sont les aides à la mobilité géographique ? Où est le renforcement du service public de la petite enfance, nécessaire pour favoriser l'emploi des femmes ? Où est le développement de l'accompagnement et de l'accès à la formation pour tous, au moment où vous annoncez la suppression de 141 postes à l’ANPE en Ile-de-France ? Où sont les mesures incitatrices à l'emploi des plus de 55 ans ?

L'Unedic reconnaît n'avoir dépensé en 2007 que la moitié du budget dont elle dispose pour la formation, et 5 % seulement des demandeurs d'emploi ont bénéficié d’un tel programme.

M. Dominique Tian – C’est vrai, mais l’Unedic est géré par les syndicats.

Mme Michèle Delaunay – Le modèle nordique est évoqué, mais son essence est trahie, car il est axé sur la formation.

Le texte est surtout impuissant. Ce n'est pas tant l'offre que le législateur que l'on doit appeler à être raisonnable. Malheureusement, la loi ne crée pas l'emploi, non plus que les dents ne suffisent à aller chercher la croissance… Pensez-vous qu'un salarié qui a perdu son emploi puisse en retrouver deux, dans sa qualification, dans l'année ? Non, bien sûr, et c'est alors le « raisonnable » qui va combler l’hiatus. Mais depuis quand le « raisonnable » dicte-t-il la loi ? Cette notion ne relève pas du droit.

Ce projet est aussi délétère parce qu'impuissant et il aura pour conséquence prévisible l'augmentation du nombre de travailleurs pauvres, comme on l’a vu en Allemagne. Depuis que la loi Hartz a été promulguée, 25,4 % de la population perçoivent moins que le revenu moyen, qui est de 16 000 euros, contre 19 % en 2000, et le ministère allemand du travail reconnaît que 15 % des salariés gagnent moins de 7,5 euros bruts de l'heure.

M. le Président – Il vous faut conclure.

Mme Michèle Delaunay – Je m’y emploie, Monsieur le Président. Ce projet va précipiter nombre de demandeurs d'emploi vers l'emploi précaire et le temps partiel.

En réalité, le texte est mensonger, car il se résume en fait à « travailler moins pour gagner moins ». Son objectif n’est pas de s'attaquer au chômage durablement mais de fournir une main-d'œuvre bon marché aux secteurs d'activité en tension.

M. le Président – Madame Delaunay…

Mme Michèle Delaunay – Une phrase encore, pour dire qu’en réalité, après avoir radicalement dévalorisé le travail en le réduisant à un moyen de gagner plus, vous dévalorisez aujourd'hui les travailleurs en les contraignant à accepter n'importe quel travail pour gagner moins ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Régis Juanico – Le projet vise-t-il à améliorer l’efficacité du service public de l’emploi et le service rendu aux demandeurs d’emplois, ou s’agit-il à nouveau d’un texte de pur affichage politique destiné à assouvir les fantasmes de l’UMP ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Le texte fixe un objectif louable – un taux de chômage de 5 % en 2012. Mais ce taux sera-t-il atteint grâce à ce dispositif ou en raison d’une démographie favorable ? Si le chômage a baissé, c’est d’abord en raison de l’accélération des départs en retraite, cependant que le nombre des jeunes qui arrivent sur le marché du travail reste stable. Mais cette baisse statistique masque une transformation radicale de l’emploi. Le CDI n’est plus la forme générale du contrat de travail ; la précarité ne cesse de croître avec la multiplication des CDD, des missions d’intérim et des emplois à temps partiel. Les 300 000 emplois créées en 2007…

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie 352 000.

M. Régis Juanico – Soit, mais ce sont pour l’essentiel des emplois d’intérimaires.

Les petits boulots mal payés se multiplient : des contrats de trois heures de soutien scolaire ou de deux heures de ménage sont aujourd’hui intégrés dans les statistiques du chômage ! La prolifération de ces petits boulots s’accompagne d’un tassement général des salaires, dénoncé par les économistes de l’OFCE et de l’IRES – qui critiquent d’ailleurs fortement votre texte. Un million et demi de salariés sont aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté, et le nombre de ces travailleurs pauvres est en augmentation constante. L’Insee l’a dit en début d’année : 1,2 million de salariés sont aujourd’hui dans l’obligation de cumuler deux emplois pour pouvoir joindre les deux bouts en fin de mois.

Quand on regarde le type de contrats de travail auxquels accèdent les chômeurs indemnisés, on trouve surtout des emplois précaires : 30 % de CDD et 22 % de missions d’intériM. Une étude publiée au mois de juin par la Dares nous le montre bien : 24 % seulement des chômeurs ont un jour refusé une proposition d’embauche, 12 % en ont refusé plusieurs. Quand on les interroge sur les raisons de ce refus, 40 % mettent en avant une rémunération insuffisante, et 20 % des conditions de travail pénibles.

La grande absente de votre texte, c’est la qualité de l’emploi, alors que ce pourrait être un élément de l’offre raisonnable d’emploi. Un emploi de qualité, c’est un emploi bien rémunéré, des horaires prévisibles, un emploi stable, durable, avec de bonnes conditions de travail, qui permette le développement des compétences et ouvre de réelles perspectives d’évolution de carrière.

M. Lionel Tardy – Le beurre et l’argent du beurre !

M. Régis Juanico – C’est enfin un emploi motivant ; et aujourd’hui la motivation au travail est un critère déterminant de la reprise d’emploi. Si certains secteurs d’activité ont du mal à recruter, c’est que leur image n’est pas attractive. Rien de cela ne figure dans votre texte, qui fait ainsi l’impasse sur l’essentiel.

Je conclus en citant l’autre grand absent : c’est, comme nous le disent les agents de l’ANPE, un accompagnement de qualité pour les demandeurs d’emploi. Ces agents nous confient leur crainte de ne pouvoir prendre en compte suffisamment les spécificités des publics et des demandes, et de ne pouvoir respecter les logiques des progressions professionnelles et des besoins de formation.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Régis Juanico – Ce projet de loi est d’abord l’outil du déclassement et du dumping salarial ; il obligera les chômeurs à accepter des réductions de salaire allant jusqu’à 40 %, et c’est pourquoi nous ne pourrons l’accepter (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Lionel Tardy – Ce projet est court, il n’en est pas moins important ; il s’insère dans une chaîne de textes qui viennent rénover profondément notre service public de l’emploi, qui en a bien besoin. Il aborde, entre autres, le problème de ces demandeurs d’emploi qui, justement, ne sont pas pressés d’en trouver un, et qui font du tort aux vrais demandeurs d’emploi.

M. Maxime Gremetz – Et voilà !

M. Lionel Tardy – Combien de fois une personne licenciée, en fin d’intérim ou même en fin de CDD, et à qui l’on propose un CDI – un CDI ! – n’a-t-elle pas dit : j’attendrai quelques mois pour chercher un nouvel emploi, j’ai cotisé, j’ai droit à des indemnités, j’en profite… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Est-ce cela la solidarité ? Eh oui, j’ai des exemples, M. Gremetz !

Si de plus cette personne exerce un métier en tension, ce qui est de plus en plus souvent le cas, elle sait qu’elle n’aura aucun mal à retrouver un nouveau poste, et s’offre ainsi un congé sabbatique aux frais de la collectivité, jusqu’à la fois suivante. Cette attitude est inacceptable, et malheureusement trop bien ancrée dans notre mentalité de pays latin. Ce texte mettra tous ces vacanciers de la recherche d’emploi devant leurs responsabilités (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) : vous voulez prendre un peu de repos, vous en avez le droit, mais à vos frais ! (Mêmes mouvements)

On devrait d’ailleurs insuffler cet esprit de responsabilité à l’ensemble des bénéficiaires de prestations publiques ; cela ferait le plus grand bien à nos comptes sociaux, dont la dérive ne cesse de s’accentuer. Chaque citoyen a des droits, mais certains oublient trop souvent les devoirs.

M. Régis Juanico – C’est déraisonnable !

M. Lionel Tardy – Si la lutte contre la fraude est importante, ce n’est pas le cœur de la réforme du service public de l’emploi. L’essentiel est dans la réorganisation complète de ce service et dans le changement de l’esprit qui doit l’animer. Bien que les décrets ne soient pas encore publiés, la fusion administrative entre l’Unedic et l’ANPE est en marche ; elle devrait être effective d’ici la fin de l’année, et je m’en réjouis.

Mais cela ne servira pas à grand’chose si France Emploi, puisque tel sera le nom de cette nouvelle entité…

M. Maxime Gremetz – Merci de l’information !

M. Dominique Tian – Ce n’est pas sûr !

M. Lionel Tardy – … garde la même culture et le même mode de fonctionnement que l’ANPE. Nous avons là une occasion unique de repartir sur de bonnes bases, en créant un lien nouveau avec les chefs d’entreprise qui ont des postes à offrir, et qui jusqu’ici préfèrent pour recruter utiliser leur propre réseau plutôt que les services de l’ANPE. Un conseiller de France Emploi ne devra pas se contenter de découvrir et de réactualiser les annonces sans contact direct avec les chefs d’entreprise. France Emploi ne devra pas se borner à afficher un flux d’offres et de demandes : ces chiffres n’ont plus aucune signification, sinon de donner l’impression d’un équilibre dans un marché en réalité complètement obscur.

Les codes référentiels métiers de France Emploi, le fameux ROME, devront tenir compte des nouveaux métiers…

M. Maxime Gremetz – Vous dites des tas de bêtises !

M. Lionel Tardy – …car certaines catégories de personnes – notamment nos chers assistants parlementaires – ne peuvent se voir présenter des offres en accord avec leur profil : ils n’entrent pas dans les cases du système.

Les offres que les chefs d’entreprise recevront de France Emploi…

M. Maxime Gremetz – Il doit y avoir des actions !

M. Lionel Tardy – …ne devront plus être sélectionnées, comme c’est trop souvent le cas, par tri informatique en fonction de mots-clés : cela crée bon nombre d’aberrations, qui dissuadent les chefs d’entreprise de travailler avec l’ANPE.

M. Maxime Gremetz – Et France Emploi, que fait-elle ?

M. Lionel Tardy – L’enjeu est d’importance, car il ne faut pas oublier que le marché de l’emploi va subir de plein fouet le choc démographique, que personne n’a évoqué,…

M. Jean Mallot – Mais si !

M. Lionel Tardy – …dû au départ en retraite de la génération du baby-boom. Dans les années à venir, le nombre d’actifs va baisser mécaniquement ; les chefs d’entreprise seront dès lors confrontés à une pénurie de main-d’œuvre de plus en plus importante. Quand on connaît la disparité déjà constatée entre 1,9 million de chômeurs et près de 500 000 emplois non pourvus,…

M. Maxime Gremetz – Personne ne peut donner de chiffres précis !

M. Lionel Tardy – …il y a de quoi s’inquiéter. Il faut changer les mentalités, et cette loi va dans le bon sens. Il faut tout faire pour pourvoir au plus vite les emplois en tension, en établissant un suivi personnalisé des chômeurs et en facilitant au besoin leur reconversion. Je souligne que le système éducatif a sa part de responsabilité (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) en s’évertuant à diplômer chaque année plus de 200 000 étudiants dans des disciplines où il n’y a pas de travail. Là aussi, le chantier est immense.

Vous l’avez bien compris, la réinsertion des chômeurs et la mise en application de ce projet de loi reposent entièrement sur la nouvelle entité que sera France Emploi (Rires), sur sa culture et ses pratiques. Il nous faudra veiller à son bon fonctionnement, qui sera la condition nécessaire de la réussite de cette réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Catherine Lemorton – Engagement, raison, réalité : voilà le triptyque qui symbolise un texte destiné – avouons-le – à rester dans les annales.

Engagement, car jusqu’à présent l’engagement pris par le demandeur d’emploi et l’ANPE impliquait des obligations réciproques que ceux-ci s’engageaient à respecter. Hélas pour les Français, le Gouvernement a décidé d’instaurer un nouveau type d’engagement, où seule l’une des deux parties est obligée de s’acquitter de ses obligations ! Comment, en effet, décrire autrement ce qui est proposé dans ce texte ?

D’un côté, le demandeur d’emploi se voit contraint d’accepter des règles toujours plus drastiques afin de renouer avec l’intégration sociale par le travail ; de l’autre, l’Unedic-ANPE unifiée : nous ne connaissons pas encore les effets sur la qualité du service rendu à la population, mais par ce texte, elle semble déjà décrédibilisée.

Le tout s’inscrit dans un texte rendu inutile par d’évidentes lacunes : prenons quelques exemples.

En France, la formation professionnelle s’adresse avant tout aux salariés qualifiés, ceux qui ne sont pas qualifiés n’y accédant pas. Qu’annoncez-vous pour y remédier ? Rien. On sait aussi qu’une démarche réussie est une démarche encadrée, où les capacités du demandeur sont ciblées, analysées, où son évolution est prise en compte. Or qu’en sera-t-il demain de l’accompagnement des demandeurs d’emploi ? Aucune évolution n’est prévue. Enfin, moins de la moitié des chômeurs sont aujourd’hui indemnisés par l’Unedic, les autres étant principalement des jeunes et des personnes ayant occupé des emplois précaires pendant une période très courte. Que proposez-vous pour ne pas précariser plus encore ces personnes en grande difficulté ? Rien.

Le nouveau type d’engagement que porte ce projet de loi, c’est l’engagement de subordination, où le demandeur d’emploi accepte plus pour recevoir moins. Mais il y a pire : sa raison même est remise en cause.

Raison : c’est la faculté de chacun à se conduire suivant des valeurs et des règles. C’est cette grande avancée intellectuelle qu’a portée l’humanisme pour sortir de l’obscurantisme religieux ; la raison libère et fait progresser. Eh bien, pour le Gouvernement, la raison aurait abandonné les demandeurs d’emploi : on sous-entend que le demandeur d’emploi est plus ou moins responsable de sa situation, et qu’il n’est pas même capable de porter un jugement sur sa propre conduite.

Il doit être sanctionné, et accompagné sous injonction, puisqu’il aurait perdu la raison : sanctionné par la dégressivité de ses allocations et par les conditions nouvelles qu’il doit accepter ; accompagné par l’imposition d’une raison de substitution, puisque l’acceptation d’un ersatz d’emploi lui sera soufflée. Comment imaginer que cette proposition d’offre raisonnable d’emploi émane d’un gouvernement français ? Vous qui si souvent avez accusé la gauche de déresponsabiliser les demandeurs d’emploi, comment pouvez-vous aujourd’hui leur retirer leur libre arbitre ? Comment faire peser une telle responsabilité sur des agents de l’Unedic-ANPE, qui seront pris en tenaille entre les pressions quantophréniques de leur hiérarchie et leurs sentiments vis-à-vis de telles situations de faiblesse et de détresse ?

Ces deux notions, engagement et raison, ne sont que des écrans de fumée destinés à faire illusion et à masquer la réalité de ce texte.

Réalité : elle est simple, cohérente, mais masquée. Simple : ce projet cache en fait un triple objectif : diminuer les dépenses à la charge de l’assurance chômage, en ne prenant pas en compte la situation des demandeurs d’emploi comme facteur important de sa mission ; augmenter la pression exercée sur les salariés pour qu’ils se dirigent vers les secteurs en tension – pour lesquels ils ne seront pourtant pas formés ; récupérer des cotisations des entreprises afin de les rediriger vers des cotisations retraites. Cohérente, car cette réalité complète l’arsenal législatif que la droite constitue pour gagner cette bataille culturelle qui lui tient tant à cœur : après les futurs retraités, les jeunes, les malades, elle stigmatise maintenant les chômeurs afin de mieux assurer le glissement des soutiens sociaux vers le monde du privé et du contrat.

Ce nouveau modèle, nous pourrions le nommer la flex-précarité, puisqu’il s’appuie sur une flexibilité mise en place par la loi et sur une précarité généralisée que la majorité accepte sans broncher. Hélas, comme toujours lorsqu’elle tente de modifier en profondeur la destinée de la société française, la majorité se cache…

M. le Président – Veuillez conclure.

Mme Catherine Lemorton – …et la preuve en est l’absence de concertation avec les partenaires sociaux dans un domaine où le Président de la République et ses ministres s’étaient pourtant engagés à ne pas intervenir sans débat préalable. « La raison du plus fort est toujours la meilleure », écrivait La Fontaine : vous avez fait vôtre cette phrase. Dont acte. Mais la politique existe aussi pour venir en aide à ceux qui souffrent, et ce d’autant plus dans une période économique aussi troublée !

Ce modèle de société est effectivement historique, tristement historique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Jean-Patrick Gille – Ce projet de loi peut se résumer simplement. Il crée deux obligations pour les demandeurs d’emploi : définir et actualiser son PPAE ; accepter l’offre raisonnable d’emploi.

Mais quels sont les nouveaux droits ? Un meilleur suivi personnalisé ? Encore faudra-t-il le démontrer dans les mois qui viennent : le rapport publié par la CFDT indique que ça n’est pas très bien parti et les agents de l’ANPE ont reçu consigne de ne consacrer que 30 minutes, et non plus 45, au premier entretien. Et quid de la formation ?

La méthode de la flexicurité semble abandonnée : alors qu’il s’agissait de négocier avec les partenaires sociaux des compromis entre flexibilité et sécurisation, nous n’avons plus que des contraintes.

L’objectif est que les demandeurs d’emploi acceptent les offres de l’ANPE. En réalité, beaucoup souhaiteraient se voir présenter davantage d’offres. Mais pas à n’importe quelle condition. Peu nombreux sont les demandeurs qui refusent des offres – pour des raisons d’éloignement géographique ou liées à la garde des enfants – et ils sont déjà sanctionnés. Tout le monde le sait : les vrais fraudeurs échappent à ce contrôle et y échapperont toujours. Il arrive aussi que la personne effectue une mission d’intérim, ce qui la rend indisponible pour un CDI. Surtout, 70 % des offres d’emploi de l’ANPE concernent des emplois précaires : c’est à ce problème qu’il faudrait s’attaquer. Mais au lieu de cela, vous obligez les demandeurs les plus fragiles à accepter ces offres.

Plutôt qu’un effort d’accompagnement, de formation, de qualification pour répondre aux offres non pourvues, vous souhaitez mettre le système en tension. Que les demandeurs se soumettent ou qu’ils se démettent !

L’excédent de l’Unedic permettrait de financer cet effort. Mais votre projet est de faire main basse sur l’excédent prévu, soit pour le consacrer aux retraites, soit pour baisser – comme le souhaite Pierre Méhaignerie – les cotisations patronales.

Il y a plus pervers : vous obligez le demandeur d’emploi à contractualiser, à accepter sa déqualification progressive par l’obligation de réactualisation régulière de son PPAE. Vous passez ainsi d’une logique d’inscription à un service public de l’emploi à une contractualisation obligatoire avec un organisme de placement, dont on sait qu’il pourra être privé. Alors que l’indemnisation chômage a un caractère assurantiel, vous en faites une assistance que l’on doit s’engager à mériter. Voilà la bataille idéologique que vous voulez livrer.

Avec ce dispositif, vous accélérerez la tendance à la dualisation du marché du travail. D’un côté, on incite les inclus à courir après les heures supplémentaires pour maintenir leur pouvoir d’achat. De l’autre, on amène les demandeurs à accepter des emplois à temps partiel. L’Allemagne a adopté un dispositif similaire : tout le monde s’accorde à dire qu’il contribue à faire exploser le nombre de travailleurs pauvres.

Nous proposons d’œuvrer à une meilleure qualité de l’emploi. Il faut tirer les conséquences des extraordinaires gains de productivité de ces dernières années et non pas revenir au modèle du XIXe siècle. Il faut investir massivement dans les besoins de qualification. Mais vous vous apprêtez à supprimer l’obligation légale de financement de la formation professionnelle.

Vous vous êtes engagés dans un système de contrôle et de contraintes, piloté dans un premier temps par l’État, bientôt confié à des organismes privés. Alors que nous sommes dans une économie de la connaissance, dont les clés sont l’éducation et la recherche, votre projet est de faire accepter par les demandeurs d’emploi les plus fragiles les bad jobs, dont personne ne veut.

Demain, l’offre valable d’emploi sera celle dont on ne voudra pas pour ses enfants. Aveuglés par le dogme de la baisse du coût du travail, vous engagez notre pays dans la spirale de la baisse des salaires et du pouvoir d’achat. Au lieu de bâtir l’économie de la connaissance, vous construisez celle de la déqualification, sur la défiance et le contrôle.

Enfin, Monsieur Tardy, si on lutte contre la fraude en luttant contre les fraudeurs – ce que permet déjà le code du travail –, on ne lutte pas contre le chômage en luttant contre les chômeurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, jeudi 17 juillet, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 20.

Le Directeur du service
du compte rendu analytique,

Michel KERAUTRET

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