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Congrès du Parlement

Compte rendu
analytique officiel

LUNDI 4 FÉVRIER 2008

PRÉSIDENCE de M. Bernard ACCOYER

La séance est ouverte à seize heures.

OUVERTURE DE LA SESSION DU CONGRÈS

M. le Président – Le Parlement est réuni en Congrès conformément au décret du Président de la République publié au Journal officiel du 1er février 2008.

Le Bureau du Congrès a constaté que le Règlement adopté par le Congrès le 20 décembre 1963 et modifié le 28 juin 1999 est toujours applicable.

ÉLECTION DE NOUVEAUX DÉPUTÉS

M. le Président – J’ai reçu de Mme le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales une communication m’informant que, dimanche 3 février, ont été élus députés de la première circonscription d’Eure-et-Loir, Mme Françoise Vallet, et de la douzième circonscription des Hauts-de-Seine, M. Jean-Pierre Schosteck (Applaudissements).

TITRE XV DE LA CONSTITUTION

L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.

M. François Fillon, Premier ministre  Soixante millions de Français dans un monde ouvert et chaotique de plus de six milliards d’habitants : c’est peu de dire que notre nation a sa place en Europe. Elle y a son avenir, sa vocation et ses plus grands espoirs. La France a besoin de l’Europe pour prolonger son génie et l’Europe a besoin de la France pour approfondir sa singularité politique. Et cela d’autant plus que le monde est confronté à de nouveaux défis. Celui de l’exceptionnelle montée en puissance des continents asiatique et indien, dont les forces bousculent nos héritages. Celui de la prédation écologique qui dérègle les équilibres de la vie terrestre. Et aussi le défi de l’Afrique qui se tourne vers les richesses du Nord, comme celui que représente le côtoiement des civilisations, que le monde s’ingénie tout à la fois à rapprocher et à opposer.

Dans ce monde fascinant et instable, la France n’est pas condamnée à se taire et à subir. Elle ne doit pas choisir la voie du repli, sous peine d’être écartée du chemin de l’Histoire. L’Europe lui prête sa richesse, ses États partenaires, ses cinq cents millions d’hommes et de femmes. Elle agrandit les ambitions de notre pays aux dimensions d’un continent. Pour continuer de peser sur un monde sans repères, la France n’a pas le choix : elle doit endosser sans réserve son rôle d’animateur européen.

Il y a deux ans, nous avons rejeté un texte qui donnait à l’aventure européenne un cadre constitutionnel. Ce fut le choix des Français, il devait être respecté (quelques exclamations). Mais nous ne pouvons ignorer que nous avons alors jeté l’Europe, qui espérait en nous, dans l’étonnement et dans le trouble.

M. Jean-Pierre Brard – Comme à Valmy !

M. le Premier ministre – Il n’y avait pas de plan « B ». L’Union européenne s’est donc immobilisée, et les regards étaient tournés vers nous.

En votant « non » au texte constitutionnel de 2005, nous avions contracté une double responsabilité, vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis de l’Europe : celle de relancer au plus vite l’élan que nous avions contribué à briser.

Au fond, le référendum de 2005 nous donnait un avantage pour y parvenir : il nous montrait, en négatif, quelle Europe les Français voulaient. Ce qu’ils avaient refusé, c’était d’abord la nature constitutionnelle du texte, et l’ombre d’une Europe fédérale. Les Français voulaient une Europe définie à son juste niveau, dans le respect des Parlements nationaux et des différentes traditions sociales et publiques, dans le respect du principe de subsidiarité qui a toujours été, à mes yeux, la clé de voûte de la structure européenne.

La seconde perspective que les Français redoutaient, c’était celle d’une Europe impuissante. La complexité du texte constitutionnel faisait naître la menace d’une Europe incapable de mobiliser ses vingt-sept membres autour d’un projet, faute de mécanismes de décision adaptés à son étendue nouvelle. Les Français ont craint son enlisement, d’autant plus que le traité de Nice avivait leur défiance.

La leçon est historique : les Français n’ont pas peur de la réforme pourvu qu’elle aille au cœur des choses, ils n’ont pas peur de l’Europe pourvu qu’elle soit capable d’agir.

M. Roland Muzeau – Ils veulent un référendum !

M. le Premier ministre – Sur ces deux points, Nicolas Sarkozy a répondu à leur volonté de manière résolue, constante et transparente. Ses engagements de campagne ont tracé la seule voie qui permettait de transcender les clivages. Il fallait négocier avec nos partenaires européens un traité nouveau, permettant les évolutions institutionnelles indispensables ; il fallait tenir compte, dans ce traité, des craintes exprimées par le « non » majoritaire ; il fallait enfin faire adopter rapidement ce texte par le Parlement.

Personne ne peut contester la clarté de la stratégie du Président de la République pour relancer l’Europe (Applaudissements sur de nombreux bancs ; exclamations sur quelques-uns). Personne ne peut lui reprocher d’avoir précisément fait ce qu’il avait précisément dit (M. Jean-Pierre Michel proteste). Personne ne peut l’accuser de n’avoir pas tenté de rassembler.

À ceux qui, pour des raisons de forme, contestent les modalités d’adoption du traité de Lisbonne par la voie parlementaire, comme à ceux qui, pour des raisons de fond, s’opposent à ce traité, je pose une question simple : voulez-vous réellement relancer l’Europe ou préférez-vous qu’elle s’enlise ? (Applaudissements sur de nombreux bancs)

La stratégie du Président de la République a reçu le soutien des Européens, après avoir reçu celui de la majorité des Français. À son invitation et à celle de Mme Merkel, qui assurait la présidence de l’Union européenne, vingt-sept pays ont inscrit dans un texte nouveau leurs espoirs de paix, de coopération et d’intégration.

Le traité de Lisbonne nous permet d’assumer nos responsabilités à l’égard de l’Europe et de remplir nos devoirs à l’égard des Français (« Non ! » sur plusieurs bancs). Au blocage et à l’opposition, il substitue la synthèse et l’initiative.

En votant la révision constitutionnelle soumise aujourd’hui au Congrès, vous permettrez que la France devienne le quatrième pays à ratifier le traité de Lisbonne.

Cette révision, la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre dernier la commande, pour autoriser certains transferts de compétences vers l’Union et élargir les pouvoirs de notre Parlement.

À l'Assemblée nationale, puis au Sénat, je vous ai déjà présenté le contenu de ce traité, qui adapte et complète les précédents sans se placer au-dessus d’eux. Il reconnaît, de manière explicite, le contrôle de subsidiarité dévolu aux Parlements nationaux vis-à-vis de le Commission. Il garantit la compétence exclusive de chaque État dans la définition de sa sécurité nationale ; le rôle déterminant de ses autorités dans l’organisation des services publics ; celui des partenaires sociaux dans la défense des traditions et des ambitions sociales qui sont propres à chaque pays. Il préserve ainsi, partout où elles nous paraissent intangibles, nos exigences de liberté.

Surtout, le traité de Lisbonne rend corps au rêve français d’une Europe agissante et efficace. En dotant le Conseil européen d’un président élu, il offre à cette institution une force et une stabilité qui lui faisaient défaut. En politique extérieure, il donne au « haut représentant » les moyens nécessaires, comme il donne au Parlement européen des pouvoirs renforcés.

Les procédures de décision seront désormais plus souples grâce à l’extension du champ de la majorité qualifiée, et la démocratie sera renforcée grâce à une meilleure prise en compte de la population de chaque État. Quant à nos valeurs, elles seront garanties par la charte des droits fondamentaux.

À une Europe plus vaste, et plus nombreuse, le traité rend la capacité de se déterminer et d’agir ; et j’ai, en cet instant, une pensée pour le Général de Gaulle qui nous invitait à penser l’Europe élargie (Applaudissements sur de nombreux bancs ; exclamations sur quelques autres). Et voici que celle-ci est là, réalisée dans le cadre d’une Union qui, non contente d’avoir instauré la paix sur notre continent, a contribué à faire tomber le rideau de fer. Vingt-sept nations se sont volontairement et librement unies, sans un coup de feu, sans aucune contrainte, par la seule force d’un projet et d’un idéal commun : dans l’histoire humaine, aucune entreprise n’a été comparable à celle-ci.

Mais cette entreprise ne peut prendre tout son sens que si elle s’inscrit dans un dessein politique. Cette conviction inspire la France depuis plus de cinquante ans. Ni l’intégration économique ni l’intégration financière ne suffiront à affronter le monde complexe où l’Europe d’aujourd’hui doit choisir sa place.

Ni sa richesse ni sa population ne protégeront l’Europe de ces fractures que la démographie, la course aux matières premières, les affrontements ethniques, les tensions religieuses, les déséquilibres environnementaux provoquent sur le globe. Depuis longtemps j’en ai la conviction : plus ces fractures s’accuseront, plus nous apprécierons l’existence d’un espace européen de stabilité, de concertation et de décision. L’avenir de l’Union ne dépend plus que de sa capacité à définir et à projeter une vision politique originale.

L’Europe a déjà pu mesurer les bénéfices qu’une volonté concertée pouvait lui valoir. Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, elle a réussi le prodige de rompre avec mille ans de conflits armés, de mobilisation permanente. Avons-nous pris toute la mesure de ce succès, alors que partout encore, des hommes et des femmes meurent en rêvant de ce qui est pour nous un acquis, une garantie, une évidence ?

Dès l’origine, l’Europe a voulu se prémunir contre les crises économiques et monétaires qui avaient scandé la première moitié du XXe siècle. Elle a fondé sur ses politiques communes, agricole, industrielle et douanière, une prospérité durable.

Aujourd’hui, avec le traité de Lisbonne, l’Europe retrouve le « droit de vouloir », le pouvoir de mettre sa puissance au service de ses priorités politiques. Politique commune de l’énergie et de l’environnement ; politique commune de politique étrangère et de défense ; politique commune de justice et de sécurité : voilà les grands projets sur lesquels les Européens se rejoignent. Le traité nous offre la possibilité de les concrétiser.

Ce qui se joue aussi, c’est notre capacité à promouvoir un modèle de société. Celui-ci – qu’on peut nommer culture, héritage ou civilisation, qu’importe – donne à nos parentés européennes leur évidence.

Il s’enracine dans un passé et se nourrit des contacts permanents de nos patrimoines artistiques, philosophiques – et moraux. Oui, moraux, car ce sont nos valeurs qui, aux frontières de l’Union, signent notre différence : l’humanisme, la tolérance, la liberté de conscience ; l’individu pris comme référence de toute justice ; l’État de droit, la reconnaissance d’un droit du travail et d’un droit au travail ; la prise en charge publique de la solidarité ; la considération accordée au savoir et aux transmissions familiales et spirituelles ; la confiance dans la science, l’innovation industrielle et le progrès ; l’attachement au marché, cadre où se valorisent, par la libre concurrence, le capital et le talent.

M. Jean-Pierre Brard – Comme à la Société générale !

M. le Premier ministre – Ces valeurs disent où commence et s’épanouit l’Europe.

La présidence française de l’Union européenne va donner à notre pays une responsabilité que nous assumerons avec gravité et enthousiasme. À nous d’être les promoteurs et les ambassadeurs d’un modèle européen de développement.

Beaucoup de pays et de régions attendent de l’Europe, et en particulier de la France, qu’en partenaire, attentif et inventif elle use de son influence pour arbitrer les équilibres du monde. Ce vote ne sera donc pas seulement un vote pour la France et pour l’Europe. Il permettra aussi de distinguer entre les acteurs et les spectateurs de l’Histoire (Applaudissements soutenus sur de nombreux bancs).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. le Président – Je donne maintenant la parole aux orateurs pour présenter les explications de vote de chacun des groupes de l’Assemblée et du Sénat.

M. Jean-Pierre Bel (Groupe socialiste – Sénat) – Plus de cinquante ans après sa création, l’Europe suscite toujours autant de passion. À son histoire les socialistes français ont fortement contribué et je veux réaffirmer l’engagement européen de tous les socialistes français. Mais l’Europe peut aussi donner le sentiment de n’avoir jamais autant divisé. Sans doute chacun voudrait-il voir l’Europe à son image : pour beaucoup de nos compatriotes, elle devrait prolonger nos politiques franco-françaises. Or l’Europe est par nature un projet collectif et par conséquent un compromis.

L’Europe sera ce que les peuples décideront d’en faire. De leur volonté pourra émerger un espace politique européen, à condition d’y associer les citoyens. Le désenchantement actuel renvoie à l’écart entre cet idéal et la réalité que ressentent nos concitoyens. Tous, partisans du oui ou du non en 2005, nous sentons que l’Europe a besoin d’un nouveau souffle, d’un nouveau projet et surtout d’une nouvelle méthode.

D’une manière imparfaite et partielle, le traité de Lisbonne peut être l’occasion de ce nouvel élan, notamment en dotant l’Union d’une présidence stable, en plaçant le Parlement européen quasiment à égalité avec le Conseil, ou en élargissant les procédures de contrôle des Parlements nationaux.

Nous nous réjouissons également de l’adoption d’un protocole sur les services publics, premier pas vers une Europe plus sociale.

Parce qu’il n’y a pas de temps à perdre dans un monde inquiétant, parce que nous n’avons pas le droit de pratiquer la politique de l’autruche ou de nous en remettre à des lendemains incertains, parce qu’il faut bien offrir une sortie à la crise politique de l’Europe, nous sommes favorables au traité de Lisbonne et nous voterons en faveur de sa ratification, comme l’ensemble des partis socialistes d’Europe.

Il reste que, pour nous, l’engagement européen se vit comme une ambition, mais également comme une exigence. Si l’on veut demeurer fidèle à la fois aux principes fondateurs de notre République et au rêve d’une démocratie européenne, il n’est pas possible d’ignorer l’ampleur du débat de 2005 et de ne pas vouloir en tirer les conséquences !

L’Europe, majeure politiquement, doit être ouverte au débat, à la critique permanente, si l’on veut que ses citoyens se l’approprient.

Nous regrettons donc profondément que la ratification ne soit pas soumise à nouveau au vote des Français (Applaudissements sur plusieurs bancs). Nous ne pouvons ni donner notre blanc-seing au Président de la République en approuvant la méthode qu’il a choisie, ni empêcher la révision, préalable nécessaire à la ratification d’un traité auquel nous sommes favorables. Nous marquerons donc notre désaccord en nous abstenant sur la révision constitutionnelle. C’est pour nous une question de cohérence (Sourires sur certains bancs) et la seule manière d’exiger un débat démocratique sans mettre en péril le traité.

En réalité, au-delà des dispositions juridiques, ce seront la volonté politique et la confrontation des idées qui détermineront les orientations à donner aux politiques européennes. Durant la présidence française et à la veille des élections européennes de juin 2009, nous serons mobilisés pour faire progresser nos idées, notamment pour une réforme des politiques structurelles et une réévaluation du budget afin de démontrer aux Français qu’au-delà des traités, une autre Europe est possible.

Afin de réconcilier les citoyens avec le projet européen, il faut faire en sorte que le citoyen n’ait plus peur de l’Europe, et que l’Europe n’ait plus peur du regard des citoyens (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Patrice Gélard (Groupe Union pour un mouvement populaire – Sénat) – Le Sénat a approuvé sans modification le projet de révision constitutionnelle tel qu’adopté par l'Assemblée nationale. Ce projet répond intégralement aux exigences formulés par la Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 décembre 2007, sans rien ajouter, contrairement à 2005. Il ne comporte que trois articles : un article premier qui rend possible la ratification du traité de Lisbonne ; un article 2 qui modifie les articles 88.1, 88.2, 88.4, 88.5, 88.6 et 88.7 de la Constitution ; et un article 3 de coordination.

Nous nous félicitons que des droits nouveaux soient conférés au Parlement français. Les deux chambres pourront adresser des avis motivés sur la conformité d’un projet d’acte législatif européen au principe de subsidiarité, et saisir la Cour de justice européenne. Enfin, le Parlement pourra s’opposer à la modification des règles d’adoption des actes communautaires, ce qui constitue un quasi-droit de veto. Il faudra que les règlements des assemblées tiennent compte de ces évolutions, en renforçant le rôle des délégations parlementaires aux affaires européennes et en créant une structure de veille permanente pour assurer l’application de l’article 88-6.

Sans doute faudra-t-il un jour réécrire l’ensemble du titre XV de la Constitution, pour le rendre plus lisible et plus apte à faire face à l’adoption de traités ultérieurs. Il faudra également repenser les dispositions concernant le recours au référendum pour l’admission de nouveaux membres et supprimer la décision obsolète de réciprocité pour le vote de ressortissants européens aux élections locales. De même, il faudra réfléchir à une procédure de surveillance améliorée pour le contrôle de conformité de nos actes juridiques aux dispositions communautaires, peut-être en transférant cette compétence au Conseil constitutionnel. Nous devrons nous pencher sur ces questions lors de la prochaine révision constitutionnelle. Cela dit, le groupe UMP de Sénat, à la quasi-unanimité, votera ce texte (Applaudissements sur de nombreux bancs).

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat (Groupe communiste républicain et citoyen – Sénat) Le 29 mai 2005, le peuple français a refusé la ratification du traité constitutionnel européen par 54,67 % des voix. Ce vote n’était pas un vote de circonstance, il résultait d’un large débat national, sans doute sans précédent, sur l’Europe, sa construction, sa politique.

Contrariant le vote des parlementaires qui l’avaient approuvé à 93 %, le peuple français, parce qu’il attend beaucoup de l’Europe, a refusé non seulement le contenu de ce traité, mais aussi une Europe de la flexibilité et du dumping social, de la détérioration du service public, de la libre circulation des capitaux et des emplois, sans harmonisation sociale et fiscale.

Le vote français du 29 mai 2005, suivi de celui des Néerlandais, a rendu caduc le traité constitutionnel, mais n’a pas été suivi de la réorientation qui aurait été nécessaire. Au contraire, les dirigeants européens ont mis à profit ces deux années pour tenter de faire oublier leur échec, et chercher le moyen de passer outre le choix d’une partie des peuples.

Le candidat Sarkozy avait du reste annoncé ce tour de passe-passe. À Strasbourg, en février 2007, après une diatribe de circonstance contre l’actuelle Europe, il concluait en effet : « Je proposerai à nos partenaires de nous mettre d’accord sur un traité simplifié qui reprendra celles des dispositions du projet de traité constitutionnel qui sont nécessaires pour que l’Europe puisse se remettre en marche, et qui n’aient pas suscité de désaccord majeur durant la campagne référendaire. Ce traité simplifié de nature institutionnelle sera soumis par ratification au Parlement ».

Le traité de Lisbonne, c’est le contraire du Canada Dry : la présentation est différente, mais le contenu est le même ! Il concerne en effet les questions institutionnelles et l’ensemble de la politique européenne : politique économique et sociale, politique de défense, politique étrangère, politique de sécurité.

Exemple emblématique, il est vrai qu’à l’article 3, la référence à la libre concurrence non faussée a disparu, à la demande de M. Sarkozy. Mais on y voit surgir « l’économie de marché où la concurrence est libre » et le protocole n° 6 rappelle que le marché intérieur comprend « un système garantissant que la concurrence est non faussée ».

Du reste, l’auteur du traité constitutionnel, M. Giscard d’Estaing, se réjouit du retour de ce dernier, et tous les observateurs indépendants le reconnaissent. D’ailleurs, on dit aux Espagnols, qui ont voté oui par référendum en 2005, qu’ils ne seront pas consultés cette fois-ci, car le traité est le même !

Le Conseil constitutionnel admet, dans sa décision du 20 décembre 2007, la similitude : « Le traité de Lisbonne ne transfère pas à l’Union, par rapport au TECE, d’autres compétences intervenant dans des matières régaliennes nouvelles. Il ne retire par ailleurs aucune des matières transférées par le TECE. »

Il est temps de se poser cette question essentielle pour l’avenir des peuples européens. Nous savons bien qu’un certain modèle démocratique est en crise, sous la pression d’une mondialisation financière anarchique. Les derniers soubresauts boursiers doivent servir d’avertissement. Le peuple doit s’exprimer, et ses représentants doivent l’y aider, non l’en empêcher. J’estime donc qu’il faut dire non à cette révision constitutionnelle, afin d’exprimer que c’est au peuple de décider (Applaudissements sur de nombreux bancs). Le peuple a le droit de changer d’avis, mais ce n’est pas au Parlement de changer l’avis du peuple ! (Même mouvement) Ce serait d’ailleurs une première : lorsque des référendums ont été négatifs, en 1946 et en 1969, les gouvernements en ont immédiatement tenu compte. Ne pas le faire aujourd’hui serait un grave déni de démocratie.

Voilà pourquoi le groupe communiste républicain du Sénat, unanimement, votera contre cette révision constitutionnelle et invite tous les parlementaires qui ne veulent pas renier la parole des citoyens à faire de même (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Pierre Fauchon (Groupe Union centriste-UDF – Sénat) – Ce n’est pas parce que nous avons déjà voté une semblable réforme constitutionnelle, il y a presque trois ans, que nous devons expédier celle-ci sans prendre conscience de ce que signifie la relance des affaires européennes et de nos responsabilités à cet égard.

Ce n’est pas parce que, fidèles à nos ancestrales querelles gauloises, certains se réfugient dans un débat de procédure que nous devons nous laisser impressionner par leurs imprécations.

Au nom de quoi le Président de la République, confronté aux choix que lui présentent les articles 11 et 89 de Constitution, devrait-il choisir une solution différente de celle proposée par lui et clairement approuvée par la majorité que l’on sait, il y a moins d’un an ? (Applaudissements sur de nombreux bancs) Eh oui, la voilà, la volonté du peuple, Madame Borvo ; elle est assez récente et n’a laissé de doute dans l’esprit d’aucun ! (Exclamations sur de nombreux bancs, applaudissements sur de nombreux autres)

Au nom de quel contre-projet les représentants du peuple français réunis à Versailles, berceau de notre démocratie, creuset de notre histoire, devraient-ils refuser d’ouvrir la voie au devenir européen ? Et cela quand la mondialisation suscite de graves problèmes communs, que notre vitalité économique est en jeu, mais aussi la qualité même de notre civilisation, et la solidarité sociale, si compromise en ces temps de résurgence de la pauvreté. On se le demande, enfin, alors que notre sécurité est affaiblie par le morcellement du vieux continent qui fait le jeu du terrorisme et de la criminalité.

En dépit de nos querelles, nous sommes tous responsables de ce devenir commun, avec ses défis mais aussi ses magnifiques potentialités, parce que nous sommes ici au coude à coude pour répondre à une initiative du Président de la République, dont le rôle doit être salué, et qui n’a voulu rien d’autre que de rendre opérationnelles les dispositions du traité du Maastricht, dont le président Mitterrand fut l’un des auteurs et que les difficultés que l’on sait n’ont pas permis au président Chirac de mettre pleinement en œuvre.

Ce n’est pas, enfin, parce que ce traité est complexe et difficilement compréhensible…

M. Jean-Pierre Brard – Pour vous !

M. Pierre Fauchon (groupe Union centriste-UDF – Sénat) – Parce qu’il ne l’est pas pour vous peut-être ?

Ce n’est pas parce que ce traité est complexe que nous devons ignorer que les réalités de notre temps le sont, et ce n’est pas le moindre mérite du traité de Lisbonne que d’avoir su intégrer des éléments contradictoires dans un mécanisme juridique souple et pragmatique.

L’autre mérite de ce traité est politique : il témoigne que les gouvernements européens sont parvenus à surmonter leurs divergences ainsi que le scepticisme né du fâcheux échec de la Constitution pour donner ensemble un nouvel élan à l’Europe. Cette reprise en main est l’aboutissement normal de l’élargissement des compétences opéré par le traité de Maastricht.

Nous nous réjouissons de l’élargissement des pouvoirs du Parlement européen et des parlements nationaux, qui valent bien tous les comités du monde, Monsieur le Président du Congrès ! (Sourires) Ainsi la gouvernance communautaire se conforme-t-elle désormais au schéma fondamental de la séparation des pouvoirs, avec un exécutif gouvernemental, un pouvoir législatif parlementaire et un pouvoir judiciaire autonome. De sorte que le char européen est désembourbé et reprend sa marche en avant, dégagé – il faut l’espérer – de l’illusion qu’une bonne volonté diffuse et l’éternel « chacun pour soi », qui n’est qu’un repli sur le passé, suffisent à surmonter les problèmes de notre temps.

Ces problèmes ne seront surmontés que si les gouvernements restent en état d’alerte et créatifs, en dépit des fluctuations de l’opinion, comme vous en donnez l’exemple, Monsieur le Premier ministre, que je vois ici comme le justum et tenacem propositi virum d’Horace. Ils ne seront surmontés, enfin, que si les représentants des peuples se montrent aussi vigilants et résolus qu’il nous faut l’être en ce jour.

Je conclurai en rappelant ce que disait déjà le Général de Gaulle en 1947 : il faut refaire la vieille Europe solidaire avec tous ceux qui voudront et qui pourront s’atteler à sa reconstruction et à sa renaissance, et qui demeurent fidèles à cette conception du droit des gens qui fonde notre civilisation ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. François Sauvadet (Groupe Nouveau Centre – Assemblée Nationale) – Jamais l’Europe n’a été aussi nécessaire. L’Europe n’est pas une menace mais une chance. Je fais miens les mots de Jean-Louis Bourlanges, ce passionné d’Europe, qui, au Parlement européen, a eu le sentiment de forger un « outil révolutionnaire » qui permettra aux États de relever ensemble les défis de la mondialisation. Ce n’est qu’unis dans la diversité que nous pourrons faire face aux enjeux du XXIe siècle : notre sécurité collective, le terrorisme, la lutte contre la criminalité, la protection de l’environnement, l’avenir énergétique, la recherche, sans oublier l’enjeu alimentaire et la politique de défense.

Il y avait urgence à donner à l’Europe des vingt-sept les moyens de fonctionner efficacement et démocratiquement. Le traité de Lisbonne sort enfin l’Europe de la crise, et la France de son isolement. À ce titre, l’action du Président de la République a été déterminante. À ceux qui réclament encore un référendum, il a déjà expliqué son choix qu’il avait du reste proposé aux Français lors de la campagne présidentielle.

La voie parlementaire est celle de l’efficacité. Nous nous y sommes engagés auprès de nos partenaires européens. Le Parlement, dont nous sommes si nombreux à vouloir revaloriser le rôle, a toute légitimité pour prendre les décisions de l’avenir, car nous sommes les élus du peuple !

Chacun est aujourd’hui appelé à se prononcer en son âme et conscience sur cette réforme constitutionnelle. Les Français attendent que nous assumions nos responsabilités. L’Europe ne se construira qu’avec des engagements sincères et, à ce titre, je regrette l’attitude ambiguë du Parti socialiste, incompréhensible au fond car ce traité permettra de sortir l’Europe du blocage institutionnel provoqué par le traité de Nice, que nous, centristes, n’avions pas voté.

Refuser aujourd’hui le traité de Lisbonne reviendrait à demeurer dans cette impasse. Au contraire, ce nouveau traité simplifié permettra de mener les politiques concrètes qu’attendent les Européens.

La règle de la majorité est étendue à des domaines clefs de l’action européenne. Le déblocage des procédures au Conseil européen quadruplera les chances d’y obtenir une décision. Les grands États seront mieux représentés et l’exécutif sera stabilisé grâce à une présidence de deux ans. La majorité qualifiée et la codécision seront étendues aux domaines essentiels de la justice, de l’immigration et de la police. Comment, en effet, demander à des États aussi petits que Malte de maîtriser seuls les flux migratoires ?

Enfin, Monsieur le ministre des affaires étrangères, je me félicite que l’action extérieure de l’Union soit enfin représentée par une autorité unique en la personne du haut représentant.

Certes, le chemin est encore long vers l’Europe politique que le Nouveau Centre appelle de ses vœux, mais ce traité permettra aux citoyens, aux Parlements nationaux, au Parlement européen et aux gouvernements d’avancer ensemble sur la route de la liberté qui permettra à l’Europe d’agir ! C’est pourquoi le groupe Nouveau Centre votera ce texte ! (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Alain Bocquet (Groupe de la Gauche démocrate et républicaine – Assemblée nationale) – En février 2005 déjà, le Gouvernement proposait une révision constitutionnelle semblable à celle qui nous est aujourd’hui soumise. Sûrs d’eux, 93 % des parlementaires l’avaient alors adoptée, quelques semaines seulement avant que 55 % des Français ne rejettent le traité constitutionnel.

M. Maxime Gremetz – Ils sont intelligents !

M. Alain Bocquet – Échaudés par cette expérience, vous avez élaboré un scénario pour faire adopter un texte dont M. Valéry Giscard d’Estaing, père du projet de traité constitutionnel, dit lui-même : « Les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils. »

Il faudrait donc aujourd’hui entériner votre refus d’un référendum en encourageant cette manœuvre politicienne. Nous refusons ce coup de force qui prive le peuple de sa souveraineté. Les Français, qui ont déjà rejeté le traité en 2005, veulent se prononcer à nouveau. M. Sarkozy disait d’ailleurs en 2004, devant l’UMP, que la souveraineté, c’est le peuple, et que l’on s’en couperait faute de le consulter à chaque grande étape de l’intégration européenne. Là encore, ses actes ne suivent pas ses paroles : autant en emporte le vent du libéralisme !

Au fond, c’est la démocratie que redoutent la Commission européenne et le Président de la République, soumis aux exigences des milieux d’affaires. C’est leur Europe que vous voulez imposer, et non celle des peuples ! En prônant la concurrence libre et non faussée, la libre circulation des capitaux, la liquidation des services publics et l’indépendance de la Banque centrale européenne, vous liez la France aux quatre volontés d’une Europe supercapitaliste où souffrent 65 millions de pauvres, vingt millions de chômeurs et des dizaines de millions de mal logés, dont trois en France ! Comment l’Europe de l’argent-roi – et même de l’argent fou, comme l’illustre le scandale de la Société générale – pourrait-elle répondre à leurs attentes ?

La France s’est prononcée, au premier tour de l’élection présidentielle, pour un référendum dont tous les candidats, sauf Nicolas Sarkozy, étaient partisans. Les peuples européens réclament majoritairement, comme 59 % des Français, une concertation référendaire. La refuser, c’est bâillonner la démocratie ! Le dernier mot doit revenir au peuple. Il faut s’opposer à cette manœuvre politique qui vise à le lui confisquer !

Deux parlementaires déterminés sur cinq suffiraient à imposer cette consultation populaire. Voter la réforme constitutionnelle ou la laisser passer en s’abstenant reviendra au même et je demande fraternellement à nos collègues socialistes : pourquoi remettre à demain ce qui peut être fait aujourd’hui ? Une motion référendaire au Parlement connaîtrait un échec certain. Pourquoi jouer la béquille d’une Europe ultralibérale cautionnée par Nicolas Sarkozy, que vous combattez par ailleurs avec les mots les plus durs ? Puisque vous êtes favorables à un référendum, c’est le moment d’agir ! Hic Rhodus, hic salta ! (Exclamations sur certains bancs) Voici Rhodes, c’est ici qu’il faut sauter ! Montrez-nous ce dont vous êtes capables, ici et maintenant ! (Sourires sur de nombreux bancs)

Alors que ce traité menace d’être irréversible, il faut préserver l’espoir d’une Europe des peuples et consulter les Français. Nous voterons contre cette réforme constitutionnelle et pour le respect de la démocratie ! (Applaudissements sur quelques bancs)

M. Pierre Moscovici (Groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche – Assemblée nationale) – Bien qu’elle concentre beaucoup d’attention, la réforme constitutionnelle entamée il y a deux semaines et que nous achevons aujourd’hui est une étape surtout technique (Murmures sur certains bancs). En effet, elle nous est imposée par la Constitution elle-même ainsi que par une décision rendue le 20 décembre dernier par le Conseil constitutionnel.

L’essentiel est ailleurs. Le contexte, d’abord : ce projet de loi constitutionnelle n’est qu’un texte intermédiaire, un moyen et non une fin. L’objectif réel est la ratification du traité de Lisbonne, véritable raison de notre présence ici.

Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche estime que ce traité constitue un progrès utile, quoique limité. Un progrès, parce qu’il rénove les institutions de sorte que l’Union pourra repartir. Il apporte même quelques avancées démocratiques : stabilité de la présidence du Conseil européen, affirmation du rôle des parlements nationaux, présidence de la Commission reflétant la majorité issue des élections européennes, haut représentant pour les affaires étrangères ou encore référence à la Charte des droits fondamentaux.

Ce traité sort donc l’Europe des vingt-sept de l’ornière en lui fournissant les outils nécessaires à sa relance. Pour autant, c’est un progrès limité qui ne fait pas avancer l’Europe économique et sociale, qui ne modifie pas le système de vote pour les questions fiscales et sociales, qui ne rééquilibre pas le pouvoir de la Banque centrale européenne et qui n’ouvre aucun champ de compétences nouveau, sauf en matière énergétique et environnementale. En somme, ce n’est pas le traité que nous aurions voulu.

La majorité des membres de mon groupe le soutiendra par pragmatisme, même s’il ne fait qu’ouvrir la voie à d’autres progrès plus significatifs. Ce soutien sans ambiguïté n’est pas pour autant une approbation sans réserve. Je le répète, ce traité ne mérite ni excès d’honneur, ni excès d’indignité.

De ce constat découle notre position, que je veux expliciter. La majorité du groupe SRC de l'Assemblée nationale s’abstiendra. Tout d’abord – et nous l’assumons –, nous ne voulons pas faire obstacle à un traité que nous soutenons, tout en ayant conscience de ses insuffisances. Mais nous voulons marquer fermement notre désaccord avec la procédure de ratification choisie par le Président de la République. Certes, le recours au référendum n’est pas une obligation : il ne s’agit plus tout à fait du même traité, et notre Constitution fait de la représentation parlementaire une voie d’expression tout aussi légitime. Mais les Français, qui ont été consultés par référendum en 2005, n’acceptent pas d’être dessaisis cette fois-ci de l’exercice direct de la souveraineté populaire. C’est pourquoi la majorité des socialistes affirmera, en s’abstenant sur le projet de loi constitutionnelle, son regret que le Président de la République se soit dérobé à la voie référendaire. Nous déposerons aussi une motion référendaire lorsque le traité de Lisbonne sera soumis pour ratification aux députés (Applaudissements sur quelques bancs ; protestations sur d’autres).

Notre démarche est à la fois constructive et cohérente : nous ne faisons pas obstacle à la ratification, mais nous tenons à exprimer notre désaccord sur la voie choisie.

D’autres rendez-vous nous attendent. Le traité ouvre des potentialités, il ne les réalise pas. Il ouvre une porte, il ne trace pas le chemin. Il n’est pas en soi l’enfer libéral, ni le paradis protecteur. Il ne condamne pas l’Europe, il ne la sauve pas non plus. Cela revient aux autorités politiques des États membres, qui doivent se saisir des avancées du traité – je pense par exemple au protocole sur les services publics. Ce sera la tâche de la présidence française au deuxième semestre. Nous attendons qu’elle mette l’accent sur les vrais besoins des Européens, qu’elle fasse avancer le modèle social européen. C’est sur ce résultat-là que nous la jugerons.

Cette semaine marquera la fin d’une querelle institutionnelle qui a commencé il y a plus de dix ans. Demain doit s’ouvrir un débat autrement plus essentiel – sur l’Europe que nous voulons pour le XXIe siècle. Au-delà de notre abstention d’aujourd’hui, tous les membres de mon groupe y participeront en socialistes et en Européens, en Européens et en socialistes ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. Jean-François Copé (groupe Union pour un mouvement populaire – Assemblée nationale) – En écoutant M. Moscovici, je mesure combien l’équilibrisme reste un sport difficile (Protestations sur quelques bancs) et comme cela rend heureux de parler au nom de l’UMP ! (Applaudissements sur quelques bancs)

Nous avons deux raisons d’être particulièrement heureux aujourd’hui. La première, c’est que nous allons franchir une étape décisive dans la relance institutionnelle de l’Europe. Qui aurait pu penser il y a encore quelques mois que nous serions aujourd’hui ici pour contribuer à remettre l’Union européenne sur les rails, alors que tout semblait bloqué ? Qui aurait pu imaginer la France à la tête de cette nouvelle dynamique alors qu’elle était en retrait depuis le référendum de 2005 ?

Si nous sommes sortis du blocage, c’est parce que Nicolas Sarkozy a signé le retour de la volonté politique en Europe (Applaudissements sur plusieurs bancs).

La deuxième, c’est que, près de trois ans après le douloureux référendum sur la Constitution européenne, nous avons peut-être l’occasion historique de prendre acte de la réconciliation entre la France du oui et celle du non.

Et, m’adressant à ceux qui veulent voter non ou s’abstenir comme à ceux qui réclament un référendum – ce sont d’ailleurs souvent les mêmes –, je leur demande : en conscience, êtes-vous certains que tous les Français qui ont voté non en 2005 l’ont fait par attachement au désastreux traité de Nice ? Pensez-vous vraiment qu’en votant non, ils voulaient la paralysie éternelle de l’Europe ?

Si jamais ce n’était pas le cas – ce dont je suis persuadé –, cela voudrait dire qu’il est grand temps de crever l’abcès, en prenant enfin acte que le non de 2005 avait plusieurs significations. Il était pour partie motivé par des raisons qui n’avaient rien à voir avec la question posée. Celles, strictement politiciennes, qu’avançait une partie de la gauche, voulant faire du référendum une sanction du gouvernement de l’époque. Celles nées de l’illusion et du mensonge de ceux qui ont osé promettre un « plan B » tout en sachant parfaitement qu’il n’existait pas (Applaudissements sur de nombreux bancs).

Je voudrais aussi m’adresser à ceux dont le non était fondé sur des peurs et des incompréhensions tenant à la vocation de l’Europe. Nous avons reçu leur message « 5 sur 5 » sans sacrifier notre idéal politique, ni l’exigence d’efficacité de l’Union européenne.

Les Français voulaient la France et l’Europe ? Message reçu ! Avec ce traité, toute ambiguïté est levée : il n’est pas une Constitution, mais un mode d’emploi européen.

Les Français ne voulaient pas d’une Europe ouverte à tous les vents, sans autre projet que la libre concurrence ? Message reçu ! La référence à la concurrence libre et non faussée a disparu du traité, et les services publics ont été mieux pris en considération.

Les Français ne voulaient plus d’une Europe au « regard vide », où le renoncement politique aurait laissé toute la place au laisser-faire ou à la technocratie ? Message reçu ! Nous appuyons le retour en force du politique, avec une présidence du Conseil européen plus stable et des pouvoirs accrus pour les parlements nationaux. Rien que pour cela, ce traité est essentiel ! Voilà pourquoi l’heure est venue de la réconciliation entre la France du oui et la France du non.

Pour en porter témoignage, je voudrais – une fois n’est pas coutume – rendre hommage à M. Moscovici, non pour les propos inutilement techniques qu’il vient de tenir, mais pour ce qu’il écrivait le 13 février 2007 sur son blog. Il s’opposait fermement à l’idée d’un référendum sur l’Europe, qu’il considérait comme « une entreprise masochiste ».

Je pense que ces propos courageux s’adressaient, non pas aux parlementaires UMP, mais aux trois principaux adversaires de Nicolas Sarkozy à la dernière élection présidentielle, qui promettaient un référendum sans craindre la démagogie : Jean-Marie Le Pen, François Bayrou et Ségolène Royal.

Pour nous, les choses sont claires : nous voterons oui à la modification constitutionnelle et oui au traité de Lisbonne, parce que c’est notre responsabilité de parlementaires dans une démocratie représentative et parce qu’avec Nicolas Sarkozy, c’est sans la moindre ambiguïté que nous nous étions engagés dans cette voie devant les Français, lors des dernières élections présidentielle et législatives.

M. Maxime Gremetz – Et le peuple ?

M. Jean-François Copé – Il nous faudra ensuite passer à l’essentiel : le contenu des politiques européennes. Sécurité et défense, immigration, environnement et énergie, indépendance alimentaire, autant de sujets sur lesquels les Français nous attendent !

Dans cette perspective, la présidence française sera un moment historique qui doit nous permettre de réconcilier les Français et les Européens avec les mots magiques de paix, de prospérité et de fraternité.

Vive la France, vive la République et vive l’Europe ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. Jean-Michel Baylet (Groupe du Rassemblement démocratique et social européen – Sénat) – Le Conseil constitutionnel ayant estimé que certaines dispositions du traité de Lisbonne touchaient aux conditions d’exercice de la souveraineté nationale, et que les nouvelles prérogatives dévolues aux Parlements nationaux ne pouvaient être mises en œuvre dans le cadre actuel de la Constitution, nous voici réunis en Congrès afin de lever les obstacles à sa ratification.

Certes, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer un référendum – en vain, puisque le chef de l’État en a décidé autrement. N’oublions cependant pas que, dans l’esprit de notre Constitution, l’expression de la souveraineté nationale a la même valeur qu’elle soit issue du peuple ou de ses représentants. Mais le débat n’est plus là : ce qui compte désormais, c’est de sortir l’Europe de la catalepsie institutionnelle dans laquelle elle est plongée depuis deux ans. Nous devons refermer les plaies ouvertes par le « non » de 2005, qui exprimait des craintes plus qu’un rejet et s’alimentait au désarroi social de citoyens rendus fragiles par des facteurs hexagonaux.

Les Français demandaient une protection : nous ne savions leur parler qu’institutions !

Le traité de Lisbonne comblera-t-il leurs attentes et celles des ressortissants des autres États ? La pratique le dira, mais nombre de ses dispositions semblent aller dans la bonne direction.

Les éléments les plus contestés, qui figuraient dans l’ex-partie III, ont été supprimés. La concurrence n’est plus un objectif en soi. Les services publics sont soutenus par un protocole. Le devoir de protection face à la mondialisation est évoqué pour la première fois. Le dialogue social est reconnu. La Charte des droits fondamentaux devient opposable.

Les institutions sont plus démocratiques et mieux adaptées à l’Europe élargie. La règle de l’unanimité recule. L’élection du président de la Commission par le Parlement européen, le droit d’initiative citoyen, l’accroissement du rôle des Parlements nationaux ou encore la révision du poids des États constituent de vraies avancées.

Négocié dans le cadre de l’Europe à 27, le traité est cependant un compromis. Il peut donc décevoir. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’il s’agit de satisfaire des intérêts de Dublin à Athènes, en passant par Helsinki ?

Nous, radicaux de gauche, souhaitons une Europe beaucoup plus intégrée sur le plan économique. Nous militons pour une Europe du volontarisme face aux partisans d’une Europe du libéralisme. Nous demandons l’accélération de la conscience européenne.

Nous voulons enfin que le principe de laïcité soit mieux affirmé au sein de l’Union, surtout lorsque l’on entend le Président de la République – qui en est pourtant le garant – exalter les « racines chrétiennes de l’Europe ». L’histoire religieuse de l’Europe est un fait, pas un étendard à brandir à des fins de politique intérieure.

Même s’il nous faudra travailler encore pour forger une vision commune de l’Europe, c’est sans états d’âme que les membres du groupe RDSE et les radicaux de gauche approuveront le traité de Lisbonne.

La défense de l’idée européenne est pour nous impérieuse. Depuis ses origines, la Communauté européenne est un magnifique outil au service de la paix, un formidable ensemble démocratique qui a su dépasser de vieilles passions nationales pour forger un destin commun à près de 500 millions d’Européens. Cet espace pacifié, qui semble aujourd’hui être une évidence, s’affaiblit lorsque l’Union européenne est en panne : il est plus sûr et plus fort dans une Europe en marche.

Lors d’une visite à La Haye en 1984, François Mitterrand déclarait : « Nous attendons désormais de l’Europe qu’elle nous aide à donner un sens à ce monde ». De grands défis nous attendent : l’émergence de nouvelles puissances mondiales, la sauvegarde de notre planète, la montée des intégrismes… Ils nous conduisent à dire oui aujourd’hui et demain.

Fidèles à leurs idéaux, européens de la première heure, les radicaux de gauche et les membres du RDSE seront de tous les combats pour que l’Europe soit synonyme d’espoir dans l’esprit de nos concitoyens (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. le Président – Nous en avons terminé avec les explications de vote. Je vais mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.

Le scrutin est ouvert.

La séance, suspendue à 17 heures 15, est reprise à 17 heures 58.

M. le Président – Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :

Nombre de votants : 893

Nombre de suffrages exprimés : 741

Majorité requise pour l’adoption du projet de loi constitutionnelle :

(soit les trois cinquièmes des suffrages exprimés) : 445

Pour l’adoption : 560

Contre : 181

Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés (Applaudissements sur de très nombreux bancs). Le texte sera transmis à M. le Président de la République.

La séance est levée à 18 heures.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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