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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 11 février 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Déclaration du Gouvernement sur le changement de statut de Mayotte et débat sur cette déclaration

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales

M. René Dosière

Présidence de M. Alain Néri

M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Didier Quentin

M. Abdoulatifou Aly

M. Patrick Lebreton

M. Philippe Gosselin

M. Christian Paul

Mme Sylvia Pinel

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Déclaration du Gouvernement
sur le changement de statut de Mayotte
et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, en application de l'article 72-4 de la Constitution, sur la consultation des électeurs de Mayotte sur le changement de statut de cette collectivité et le débat sur cette déclaration.

La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, depuis 1976, Mayotte, collectivité territoriale à statut particulier, a connu de multiples réformes. Pourtant, elles n’ont pas suffi à répondre à la volonté, exprimée à de multiples reprises par les Mahorais, de se rapprocher de la métropole.

Lors de sa campagne, le Président de la République s’était engagé à consulter les Mahorais pour trancher la question institutionnelle. Le conseil général de Mayotte s’est prononcé le 18 avril 2008 à l’unanimité en faveur de la départementalisation. Dès lors, le Gouvernement a proposé le pacte pour la départementalisation, que le Président de la République a présenté le 16 décembre dernier et qui est en quelque sorte notre feuille de route.

Un échange avec les élus mahorais a conduit à modifier et à améliorer le texte sur un certain nombre de points. La procédure de changement de statut décidée par le Gouvernement a été lancée le 14 janvier. Le décret du 20 janvier 2009 met en œuvre la décision d'organiser la consultation des électeurs. Le 29 mars prochain, par référendum, les Mahorais se prononceront démocratiquement sur leur avenir.

La question posée aux électeurs sera libellée ainsi : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée « Département », régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d'outre-mer ? »

L'organisation de ce scrutin exige que la transparence et l'information des électeurs soient assurées à toutes les étapes de la consultation. La réponse qu’ils donneront, positive ou négative, implique des transformations importantes. Il est donc essentiel pour la démocratie que chacun sache exactement à quoi il s’engage en déposant son bulletin de vote dans l’urne. Lors de la phase préparatoire au scrutin, le pacte pour la départementalisation a été adressé à l'ensemble des foyers mahorais. Il s'accompagne d'un résumé – le document est assez important – traduit dans les deux langues communément parlées à Mayotte en plus du français.

Après le scrutin, dans l'hypothèse où les Mahorais accepteraient l'évolution institutionnelle proposée, un projet de loi organique serait présenté dès cet été à la représentation nationale pour en tirer les conséquences. Une loi ordinaire le compléterait.

La feuille de route, définie par le Gouvernement en concertation avec les élus de Mayotte, permettra de traduire concrètement cette évolution si les Mahorais décident de s’y engager le 29 mars. Elle précise les principes qui guideront la mise en place des nouvelles institutions et elle fixe de nouveaux objectifs à la politique de développement économique, social et culturel de Mayotte.

S’agissant d’abord des institutions, leur évolution doit permettre de réaffirmer les principes et les valeurs de la République.

Ces institutions doivent être en phase avec les aspirations des élus mahorais : c'est le premier objectif du Gouvernement. En cas de réponse positive au referendum, le département de Mayotte sera créé en 2011.

Il s'agira d'une collectivité à statut particulier tel que le prévoit l'article 73 de la Constitution, regroupant les compétences du département et de la région ; on ne saurait en effet superposer ces deux niveaux d’administration sur un territoire aussi réduit. S’agissant du mode de scrutin et du nombre de conseillers, la discussion est en cours avec les élus mahorais pour les fixer en adéquation avec le pacte et avec l’environnement local.

De toute façon, il est important de clarifier les responsabilités de chacun. Une nouvelle répartition des compétences sera donc opérée entre la collectivité unique et les communes actuelles. La mise en place de la taxe foncière donnera de nouveaux moyens aux maires pour exercer leur responsabilités. La tutelle de fait du conseil général sur les communes disparaîtra.

Ensuite, il conviendra de définir les ressources du département et sa fiscalité. Celle-ci sera progressivement alignée sur le droit commun. Pour garantir les ressources de la future collectivité, des adaptations seront toutefois nécessaires pour la fiscalité professionnelle comme pour celle des particuliers. Un travail en profondeur devra être poursuivi pour la valorisation du plan cadastral.

Enfin, l'évolution institutionnelle entraînera une modification du statut de Mayotte au regard du traité de l'Union européenne. Mayotte est actuellement classé comme "pays et territoire d'outre-mer" et les Mahorais souhaitent l'évolution de son statut vers celui de région ultra-périphérique. Le Gouvernement portera cette demande. Elle aura pour condition la validation des acquis communautaires. L'accès aux fonds structurels européens ne sera de toute façon possible qu'à l'échéance de l'actuel programme, en 2013.

Cela étant la création d'une nouvelle collectivité n'est pas une simple question technique.

M. René Dosière. Ah !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Elle doit aussi permettre de conforter Mayotte dans la République.

La mise en place d'un état-civil stable est la garantie du respect des droits de chacun.

M. René Dosière. Parfaitement !

M. Didier Quentin. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Un travail important a été réalisé par la commission de révision de l'état-civil. 

M. René Dosière. Si l’on veut !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Beaucoup reste à faire, je ne le nie pas.

M. René Dosière. Oh oui !

M. Didier Quentin. Certes !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. A l’évidence, la commission doit mener ses travaux plus rapidement et de façon plus efficace. Son fonctionnement sera donc aménagé et amélioré. Je travaille avec le garde des sceaux pour mettre en place les éléments et les procédures nécessaires.

Conforter Mayotte dans la République, c'est aussi réaffirmer que s’y appliquent les principes qui fondent notre pacte républicain, à commencer par l'égalité entre les hommes et les femmes, qui devra être pleinement respectée. Pour connaître un peu Mayotte, je sais qu’il y a le droit et qu’il y a la pratique. Depuis fort longtemps, les femmes jouent un grand rôle dans la société mahoraise.

Il faut cependant aménager les règles en vigueur, en premier lieu celles qui concernent le mariage devront être alignées sur celles qui prévalent sur l’ensemble du territoire. Cela signifie notamment que la polygamie sera désormais interdite. De même, l'âge légal minimum des femmes pour se marier sera relevé de quinze à dix-huit ans. Toute référence au tuteur matrimonial sera supprimée, afin de garantir le libre consentement des époux. Le mariage religieux devra être précédé d’un mariage civil célébré en mairie par un officier d'état-civil. Tous ces aménagements doivent garantir que les règles qui prévalent sur l’ensemble de notre territoire sont respectées à Mayotte.

Des modifications importantes auront lieu également dans le domaine de la justice. À Mayotte, comme sur tous les territoires de la République, tous les citoyens français doivent bénéficier des mêmes droits et garanties devant la justice. La justice cadiale sera donc supprimée. Les cadis pourront continuer à exercer une mission d'expertise et de médiation auprès des magistrats de droit commun, mais ce ne seront plus eux qui rendront la justice.

Enfin, le français est la langue de la République. Sur ce plan, nous savons bien qu’il faut encore faire un certain nombre de progrès. La maîtrise du français est également un élément important pour donner à l’ensemble des Mahorais la possibilité de participer au développement économique et social. Le Gouvernement s'engage à mobiliser l'ensemble des services publics concernés – éducation nationale, culture, audiovisuel – et il travaillera avec le monde associatif qui a un grand rôle à jouer en la matière.

La départementalisation entraîne donc d'importants changements institutionnels. Elle doit aussi s'accompagner d'un nouvel élan pour le développement économique, social et culturel de Mayotte. C'est la deuxième ambition de la feuille de route.

Cela implique de disposer d’instruments adaptés. Ainsi, un fonds de développement économique, social et culturel, contribuera à doter Mayotte des équipements nécessaires au développement de l'île. Dans ce domaine, même si beaucoup de progrès ont déjà été accomplis, nous devons poursuivre nos efforts. Pour des raisons d'efficacité et de rapidité, ce fonds sera créé à partir de l'actuel fonds mahorais de développement dont les ressources seront réévaluées. Par ailleurs, les acteurs socio-économiques seront mieux associés à sa gouvernance.

Il n’en reste pas moins que le développement économique de Mayotte n’a de sens que si les habitants de l’île constatent un progrès pour eux-mêmes. Il doit donc s’accompagner d’un développement social équilibré. Ainsi, à partir de la situation actuelle, il nous faut déterminer selon quel calendrier et avec quels moyens il sera possible d’atteindre l’alignement général que nous visons.

L’égal accès aux prestations sociales constitue l’une des conditions de cette évolution. Il répond à la finalité première du développement économique : le développement et l’épanouissement des personnes. Toutefois, actuellement, compte tenu des spécificités de Mayotte, il n'est ni possible ni souhaitable de verser immédiatement les prestations sociales au même taux que dans les départements de métropole et d'outre-mer. Le risque serait de déstabiliser l'économie de l'île et de créer un nouvel appel d'air qui aggraverait l’immigration irrégulière. L'alignement des prestations sociales sera donc progressif.

Ainsi, nous sommes prêts à revaloriser les allocations familiales dès 2010, et à poursuivre cet effort en 2011. La revalorisation de l'allocation spéciale pour les personnes âgées et de l’allocation pour les adultes handicapés pourra également se faire à la même date. J'ai demandé une expertise sur cette question afin que les montants tendent à se rapprocher de ceux versés en métropole et dans les autres départements d’outre-mer.

Par ailleurs, une mission interministérielle d'audit sur le logement social sera menée, à Mayotte, dans les tout prochains mois. Dès que nous connaîtront ses résultats, la création de l'allocation de logement social pourra être envisagée. Selon les conclusions de la mission, elle devrait être versée en 2010 ou en 2011.

Le revenu de solidarité active et les autres allocations de solidarité seront mis en place en 2012, à un niveau équivalent au quart du niveau national. Elles progresseront ensuite pendant une période d'environ vingt à vingt cinq ans, avant de rejoindre la norme nationale.

Je le soulignais, le problème de l’immigration irrégulière demeure une préoccupation majeure.

M. Didier Quentin. C’est essentiel !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Au sein de l’archipel des Comores, et même au-delà, les conditions de vie à Mayotte créent, d’ores et déjà, un appel d’air considérable en termes d’immigration. Avec les améliorations en cours, la tentation d’une émigration vers Mayotte, quel qu’en soit le prix, sera encore plus grande pour des populations qui connaissent dans cette zone des situations extrêmement difficiles.

Il est nécessaire que Mayotte puisse se développer, mais il faut également prendre en compte la réalité humaine de ceux qui, aux environs de l’archipel, tentent d’échapper à la misère ou de résoudre par l’exil d’autres problèmes de nature politique. Pour préserver l'équilibre social de Mayotte, il faut donc agir avec humanité, mais aussi avec fermeté, à l'égard de l'immigration irrégulière. Cela nécessite de faire usage d’outils adaptés à la situation mahoraise. En effet la pression de l’immigration irrégulière sur place est infiniment supérieure à celle que connaissent tous les autres territoires de la République. Tout en veillant à ce qu’elles s’appliquent avec humanité, les règles de droit spécifiques à Mayotte, concernant l'entrée, l'éloignement et le séjour des étrangers sur le territoire national, devront donc être maintenues.

Le Gouvernement forme de hautes ambitions pour Mayotte.

Nous faisons le choix de la responsabilité, en confiant l'avenir de Mayotte à la décision souveraine des Mahorais. Nous faisons le choix de l'efficacité, en inscrivant l'évolution institutionnelle de Mayotte dans un calendrier resserré. Nous faisons le choix des valeurs, en réaffirmant les valeurs qui font, aujourd'hui comme hier, l'unité de notre République et la pérennité de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. René Dosière. Très bien !

M. le président. Dans le débat, la parole est à M. René Dosière, premier orateur inscrit.

M. René Dosière. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant de vous parler d’un territoire éloigné et peu connu de la métropole, je citerai Charles Péguy, auteur qui m’est particulièrement cher. Dans le premier de ses Cahiers de la Quinzaine, traitant de l’affaire Liebknecht, il écrit : « Il n’est pas immoral d’être ignorant et inintelligent d’un sujet, quand on n’a pas pu en avoir la connaissance et l’intelligence… Mais il est immoral de traiter les sujets que l’on ne connaît pas. » Pour ma part, je me suis efforcé, depuis déjà un certain temps, de connaître le sujet dont je vais traiter devant vous.

Les socialistes de métropole, en plein accord avec leurs camarades mahorais, approuvent la démarche consistant à faire de Mayotte le cent unième département français. Cette position ne saurait surprendre. En effet, en 2000, l’accord sur l’avenir de Mayotte a été négocié, avec les forces politiques mahoraises, à l’initiative du Gouvernement de Lionel Jospin, dans lequel notre collègue Jean-Jack Queyranne était secrétaire d’État à l’outre-mer. Cet accord, signé par le responsable de la fédération mahoraise du parti socialiste, Ibrahim Aboubacar, traçait le chemin conduisant à la départementalisation et fut, ensuite, massivement approuvé par 73 % de la population mahoraise.

Quelques mois plus tard, notre collègue Christian Paul, devenu secrétaire d’État à l’outre-mer, présentait au Parlement le projet de loi donnant à Mayotte le statut de collectivité départementale encore en vigueur aujourd’hui. Il s’agissait d’un nouveau pas vers la départementalisation, qui a permis aux institutions mahoraises de se rapprocher du fonctionnement départemental, au point que, dans le cadre de la loi de février 2007 relative à l’outre-mer, le précédent Gouvernement a avancé de deux ans la date prévue pour la consultation de la population. Une fois élu Président de la République, Nicolas Sarkozy, a donc respecté le calendrier fixé par son prédécesseur, Jacques Chirac.

Compte tenu des spécificités de la société et de l’économie mahoraise, il convient cependant d’avancer avec prudence, en n’oubliant jamais que l’on ne change pas la société par la loi. Les mentalités n’évoluent pas au même rythme que les changements institutionnels ; il faut souvent leur laisser davantage de temps. Le Gouvernement en a bien conscience puisque la feuille de route qui accompagne la question posée aux Mahorais souligne, à plusieurs reprises, comme vous le rappeliez, madame la ministre, que l’établissement réel de la départementalisation nécessitera certains délais ; je parlerais même de délais certains.

J’ai d’ailleurs le sentiment que les échéances prévues sont parfois optimistes. Ainsi le communiqué rédigé par l’Élysée, le 16 décembre 2008, à l’issue de la rencontre avec les élus mahorais, indique que les textes législatifs et réglementaires, nécessaires à la traduction de la feuille de route dans tous les domaines, seront mis en vigueur entre l’été 2009 et le début 2011. Il me semble qu’il sera assez difficile de respecter ce calendrier.

N’oublions pas qu’il a fallu de nombreuses années pour mettre en place l’égalité sociale dans les autres départements d’outre mer. Il est d’autant plus nécessaire de disposer de temps qu’il sera indispensable, durant tout ce processus, d’associer à la réflexion l’ensemble des responsables mahorais du monde politique, économique et associatif. J’insiste d’autant plus sur ce point que le processus ne s’engage pas dans les meilleures conditions. Ainsi, aucun Mahorais n’a été associé aux groupes de travail qui, durant l’année 2008, ont préparé la note intitulée : « Pacte pour la départementalisation de Mayotte ». Elle n’a été communiquée aux élus mahorais que le 16 décembre dernier, à l’Élysée, ne leur laissant que trois semaines, Noël compris, pour formuler des propositions, finalement prises en compte.

(M. Alain Néri remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Alain Néri,
vice-président

M. René Dosière. Il faut avoir conscience que la départementalisation ne peut pas être octroyée ; elle doit être négociée. Toute autre démarche ne ferait que conduire à des désillusions.

Toute la société mahoraise doit s’approprier la décentralisation. Elle ne doit pas venir d’en haut, mais du peuple lui-même. Cela demande écoute, dialogue, compromis ; autant de qualités qui, aujourd’hui, ne sont pas toujours de mise au sein de l’exécutif.

Il conviendra également que la société métropolitaine soit préparée à accueillir le cent unième département de la République, en particulier grâce aux travaux qui se dérouleront au Parlement, particulièrement dans notre assemblée. Je regrette, à ce sujet, que la mission d’information de l’Assemblée nationale à laquelle je participais avec Didier Quentin et Philippe Gosselin n’ait pas été en mesure de publier son rapport pour informer la représentation nationale à l’occasion du débat de ce matin. Il est vrai que nous sommes rentrés de Mayotte samedi dernier. C’est pourquoi je suggère à M. le président de l’Assemblée nationale d’organiser, lorsque ce rapport sera disponible, une journée de réflexion sur les principales questions posées par la départementalisation de Mayotte.

À ce sujet, trois points importants méritent une attention particulière.

Le premier problème est celui de l’état civil.

En raison de la coexistence d’un état civil musulman avec l’état civil de droit commun, mais aussi du désintérêt avec lequel ce sujet a été traité durant la période coloniale, un nombre considérable de Mahorais – il est décemment impossible de fournir une estimation – ne disposent pas d’un état civil fiable.

Vous le reconnaissez, madame la ministre, puisque le « Pacte pour la départementalisation de Mayotte » souligne, fort justement, que « les insuffisances de l’état civil à Mayotte sont, en l’état actuel, sources, d’une part, d’incertitude sur les droits auxquels les Mahorais peuvent prétendre, d’autre part, de fraudes de personnes en situation irrégulière et, enfin, d’erreurs de la part des services publics qui verseront les futures allocations ».

Le texte précise : « Nous ne voulons pas que la mise en œuvre de nouvelles prestations soit un nouvel appel d’air qui aggraverait l’immigration irrégulière. » Le document affirme ensuite : « Nous voulons donc disposer d’un état civil fiable et complet avant – et j’insiste sur ce terme – de mettre en place les nouvelles prestations sociales. » Je partage cette conclusion, mais si le Gouvernement continue à traiter cette question comme il le fait depuis 2002, l’état civil fiable n’est pas prêt d’exister.

En mars 2006, la mission d’information que je présidais, et dont Didier Quentin était le rapporteur, relevait déjà, avec vigueur et insistance, les insuffisances relatives au traitement de l’état civil. Nous formulions alors quelques propositions pour sortir d’une situation que je qualifierais sobrement d’ubuesque. Aucune d’entre elles – je parle de celles qui concernent l’état civil – n’a été prise en considération. Trois ans plus tard, nous venons de constater sur place que cette situation ne s’est pas améliorée ; en fait, malgré les moyens supplémentaires, elle s’est même dégradée.

Nous nous sommes même aperçus que les efforts réalisés en matière d’informatisation compliquent la remise en ordre de cet état civil, puisque les différents logiciels des services qui s’en occupent ne pas compatibles entre eux et que la maintenance des ordinateurs fait défaut.

Le sujet est trop sérieux pour que l’on puisse rire de ces situations ubuesques. Il est vrai que, de Paris, la vision que l’on peut avoir des problèmes de l’état civil à Mayotte est tout à fait différente. Il est d’ailleurs regrettable que, malgré nos alertes, les deux gardes des sceaux qui se sont succédé pendant cette période n’aient pas éprouvé le besoin ou trouvé le temps d’aller sur le terrain pour se rendre compte très concrètement de la situation. Songez, madame la ministre, qu’actuellement, 10 % des naissances ne sont pas déclarées en mairie. Fort heureusement, le centre hospitalier de Mayotte, qui dispose par ailleurs de la plus grande maternité de France – plus de vingt naissances par jour – les recense exactement.

L’absence d’un état civil fiable, et par ailleurs souvent fraudé, permet de mieux comprendre l’ampleur considérable de la population clandestine – je n’ose dire sans papiers –, qui compterait plus de 60 000 personnes, soit un habitant sur trois. Aussi est-il difficile de parler de population légale ; parlons plutôt de population totale. Par ailleurs, l’INSEE nous signale que cette population étrangère augmente désormais de plus en plus par croissance naturelle : le taux de fécondité des femmes comoriennes est de 6,4 enfants et 70 % des naissances enregistrées au centre hospitalier sont le fait de femmes comoriennes.

On ne mettra pas fin à l’immigration clandestine massive à Mayotte par la seule politique répressive, même si celle-ci est nécessaire et s’est améliorée. Il faut impérativement doter les Mahorais français d’un vrai titre d’identité, opération complexe qui exige une approche nouvelle. En effet, toute personne qui est doté d’un état civil doit le faire reconnaître au niveau de la liste électorale et par diverses autres administrations. Si elles ne se font pas connaître, que de complications supplémentaires, puisque ces personnes vont maintenant disposer de deux états civils !

Le Gouvernement n’a pas pris conscience de la complexité, de la gravité et de l’ampleur de cette question. Certes, des moyens supplémentaires sont nécessaires, mais il faut également développer une approche différente et plus globale : on ne peut pas traiter l’état civil à Mayotte en décalquant les procédures en vigueur en métropole. À situation spécifique, réponse spécifique. C’est pourquoi, madame la ministre, je vous suggère de mettre en place une agence publique et autonome, qui aura la responsabilité entière de l’état civil et des listes électorales. Cette agence pourrait regrouper des fonctionnaires expérimentés de l’État et de la fonction publique territoriale, tout en associant les officiers d’état civil mahorais, qui se plaignent d’être tenus à l’écart. À l’instar de ce qui se fait dans un certain nombre de pays nordiques ou au Québec, cette agence publique aurait les moyens de traiter l’ensemble des questions qui se posent.

Deuxième question : quel développement économique voulons-nous pour Mayotte ?

L’explosion démographique – dans moins de quinze ans, Mayotte comptera plus de 300 000 habitants – conduit naturellement à s’interroger sur la nature du développement économique. Actuellement, 4 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail, qui leur offre 1 000 emplois. Quel avenir réserve-t-on à cette jeunesse, qui sera de plus en plus diplômée ? Déjà, le secteur public contribue pour près de la moitié à la richesse produite à Mayotte. L’agriculture, qui représentait 65 % des emplois en 1978, n’en occupe plus qu’à peine 10 %.

Va-t-on poursuivre ce schéma de développement, qui conduit à une véritable ségrégation, les Mahorais occupant les emplois publics, bien rémunérés, les Comoriens la plus grande partie des emplois du secteur privé, faiblement rémunérés ? Que veut-on pour les jeunes Mahorais : une société de consommation financée par les transferts financiers de la métropole ou une société qui s’organise autour de la création d’emplois endogènes ? La première voie ne peut que conduire à une forme de néocolonialisme version Jules Ferry ; la seconde permettrait de mobiliser l’ensemble de la population en faveur d’un développement durable et en partie autonome, à l’instar de ce qui se passe à l’Île Maurice.

Dans le pacte que vous proposez, on peut lire notamment : « Nous devons favoriser un développement économique fondé sur les atouts propres du territoire, encourager les revenus du travail personnel, préserver l’environnement. Le modèle de départementalisation à Mayotte est à inventer. Ne plaquons pas à Mayotte des modèles qui correspondent à d’autres époques ou d’autres situations. » J’approuve ces principes, mais je souhaiterais qu’ils soient précisés, car, lorsque je lis les observations du Comité mahorais sur la décentralisation sur cette formulation – « Un modèle propre à inventer se traduit le plus souvent par des lenteurs ou inactions. […] Notre priorité est d’intégrer le droit commun de la République » –, je me dis qu’il existe des divergences quant au modèle de développement économique et que nous aurons besoin de le préciser.

Mayotte ne pourra pas rester un îlot de prospérité artificielle dans l’océan Indien. Vous l’avez dit, madame la ministre, je n’y insiste donc pas, mais il s’agit d’un point fondamental : le développement de Mayotte doit être pensé dans un cadre plus vaste, en particulier celui des politiques de co-développement avec ses voisins étrangers : les Comores, évidemment, Madagascar, Maurice et le département voisin de La Réunion. Sur ce point, je dois dire que les réflexions du comité de départementalisation m’ont paru assez imprécises et insuffisantes.

Dernière question : les rapports entre l’islam et la République.

Oui, je le crois, la départementalisation de Mayotte représente une chance pour la France, car elle permet de démontrer que l’islam a toute sa place dans la République française. Les Mahorais doivent savoir que la République reconnaît la liberté de conscience, donc de culte et que l’islam continuera donc d’avoir toute sa place dans le département de Mayotte. Quant à la laïcité, elle protège les religions, puisqu’elle implique qu’aucune d’entre elles ne puisse inspirer la vie publique. Néanmoins, il sera nécessaire de prendre des dispositions pour mettre un terme à certaines pratiques et attitudes traditionnelles peu compatibles avec les valeurs républicaines.

M. le président. Monsieur Dosière, veuillez vous acheminer vers votre conclusion.

M. René Dosière. Je pense en particulier à la justice ou à l’égalité des sexes. C’est une évolution possible ; les Mahorais y sont prêts.

Madame la ministre, mes chers collègues, le processus de départementalisation ne sera pas terminé avec le scrutin du 29 mars. Dans le courant de l’année 2009, la discussion de la loi organique sur la départementalisation permettra de préciser les choses. Je souhaite vivement que, à cette occasion, la population mahoraise soit étroitement associée à cette évolution. Les Mahorais aiment la France ; qu’ils sachent que la France les aime également. Mais, pour reprendre une formule d’actualité, sachons aussi leur donner des preuves d’amour. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la lecture du compte rendu du conseil des ministres du 14 janvier 2009, on pourrait croire que le référendum sur la départementalisation de Mayotte, organisé par le Gouvernement le 29 mars prochain, n’est qu’une simple formalité :

« Depuis 1976, les Mahorais ont manifesté, de façon constante, leur souhait de renforcer l’ancrage de leur collectivité au sein de la République. À la suite de l’accord sur l’avenir de Mayotte, conclu le 27 janvier 2000 entre le Gouvernement et les élus de Mayotte, puis approuvé par la population mahoraise le 2 juillet 2000, plusieurs lois, intervenues en 2001, 2003 et 2007 ont engagé une évolution de la collectivité vers le statut départemental. [...] Conformément à l’engagement du Président de la République, le Gouvernement a donc lancé le processus de départementalisation en préparant une feuille de route intitulée : “Pacte pour la départementalisation de Mayotte”. [...] C’est dans ce cadre qu’aujourd’hui, le Gouvernement a proposé au Président de la République de consulter les électeurs mahorais le 29 mars 2009 sur le changement de statut de la collectivité, ainsi que le prévoit la Constitution. Les Mahorais seront ainsi interrogés sur l’institution à Mayotte d’une collectivité unique exerçant à la fois les compétences du département et de la région. »

Ce qu’oublie délibérément de rappeler le Gouvernement, c’est que le « cas mahorais » empoisonne les relations franco-comoriennes depuis 1975, l’accession à l’indépendance de l’État comorien restant inachevée, partielle. Aussi convient-il de faire un rappel historique, afin de cerner tous les enjeux de cette prochaine consultation des électeurs de Mayotte.

Au regard du droit interne français, depuis que les îles de la Grande Comore, d’Anjouan et de Mohéli ont été érigées en protectorat français, elles ont été réunies avec l’île de Mayotte pour former un territoire unique. Le premier texte intervenu dans ce domaine précis est le décret de septembre 1889. Depuis cette date, l’unité politique et administrative de l’archipel des Comores n’a jamais été remise en cause par aucun texte, malgré la multiplicité des dispositions intervenues au sujet des Comores. Je cite, par exemple, la loi du 9 mai 1946, la loi du 17 avril 1952, le décret du 22 juillet 1957, la loi du 22 décembre 1961 et la loi du 3 janvier 1968.

Ainsi, chaque fois que le législateur ou le pouvoir réglementaire français est intervenu, il l’a toujours fait en considérant que l’archipel des Comores constituait un territoire unique. Eu égard à ce qui précède, il apparaît clairement que la République française n’a jamais remis en cause l’unité territoriale de l’archipel des Comores, tandis que l’opinion publique internationale a constamment considéré que les quatre îles des Comores forment un territoire unique dépendant de la République française et administré, en dernier lieu, dans les conditions prévues par les articles 72 et suivants de la Constitution française.

C’est dans cet esprit qu’a été mise en œuvre, à la fin de l’année 1974, la procédure prévue par l’article 53 de la Constitution française et qui visait à recueillir le consentement des populations intéressées pour l’accession de l’archipel des Comores à l’indépendance. En vertu de la loi du 23 novembre 1974, les populations de l’archipel des Comores ont été invitées à se prononcer sur la question de savoir si elles souhaitaient que le territoire accède à l’indépendance.

Le 28 août 1974, le secrétaire d’État aux DOM-TOM, M. Stirn, déclarait : « Il convient qu’un territoire conserve les frontières qu’il a eues en tant que colonie. On ne peut concevoir une pluralité de statuts pour les îles de l’archipel. Il n’est pas dans la vocation de la France de dresser les Comoriens les uns contre les autres ; elle doit, au contraire, faciliter un rapprochement entre eux en trouvant un statut juridique approprié. […] C’est notre mission actuelle aux Comores que d’affirmer cette unité et de la renforcer. »

Le 17 octobre 1974, alors qu’il s’agissait de savoir comment allait être organisé le référendum des quatre îles qui composent l’archipel des Comores, M. Stirn persistait. Sur l’éventualité d’organiser un vote île par île, il affirmait ainsi : « [...] Ce serait là, en fait, engager les Comores dans l’aventure... Les Comores seront un État fragile, ne les rendons pas plus fragiles encore en les amputant d’une partie de leur territoire. On ne peut se déclarer par avance indifférent à ce que seraient sans doute les réactions internationales si la France décidait de morceler un territoire qui accéderait à une indépendance inachevée puisque partielle. Le Gouvernement pense, pour sa part, et on me fera l’honneur de me croire sincère, que l’avenir des Mahorais serait mieux assuré au sein d’un État comorien, ami de la France et disposé par là même à garantir à chacun les libertés qu’il souhaite et auxquelles, en effet, il a droit. C’est le fond du problème. »

Il ajoutait : « Comment imaginer la rupture avec les Comoriens des trois îles, mais aussi avec ceux qui, à Mayotte ont voté l’indépendance, soit le tiers des votants, et le maintien de liens différents avec une seule île ? »

Néanmoins, après le référendum du 22 décembre 1974, le Gouvernement adopta une attitude diamétralement opposée. Que s’était-il donc passé ? Ce 22 décembre, dans l’ensemble des îles, à savoir Anjouan, Mohéli, Mayotte et la Grande Comore, une majorité écrasante du peuple comorien, plus de 94 %, s’était prononcée en faveur de l’indépendance de l’archipel. Mais les Mahorais, soit moins de 8 % des votants, l’avaient refusée à 65 %.

Que signifiait ce vote à Mayotte ? Je rappelle que, selon une déclaration de l’un des responsables du mouvement mahorais, citée dans le rapport d’information rédigé par la délégation de la commission des lois qui s’est rendue aux Comores, après le référendum, du 10 au 23 mars 1975 : « Les brimades et répressions de toutes sortes ont poussé les Mahorais à refuser une évolution vers l’indépendance qui, dans d’autres conditions, aurait pu être considérée comme normale. » Le délégué général de la France affirmait lui aussi : « L’opposition des Mahorais à l’indépendance ne serait pas irréductible s’ils étaient assurés que le nouvel État respectera leur personnalité. »

Peu importait au gouvernement français de l’époque, qui décida unilatéralement de séparer Mayotte du reste des Comores et de la conserver sous souveraineté française. Au lieu de reconnaître purement et simplement l’indépendance de l’archipel des Comores, la France décida donc de reconnaître l’indépendance de trois îles seulement. La position du gouvernement était claire : l’indépendance qui se révélait inéluctable devait se faire sous conditions.

Nous le déplorions avec force en 1975, lors de la discussion du projet de loi relatif aux conséquences de l’autodétermination des îles des Comores, par la voix de notre collègue Maxime Kalinsky, qui déclarait dans cet hémicycle : « Que le peuple comorien sache que le parti communiste français, fidèle à sa tradition de lutte pour la liberté et l’indépendance des peuples, condamne ce projet de la façon la plus catégorique. Nous rejetons ce projet de loi qui tend à diviser un peuple au détriment de son intérêt. Aujourd’hui, l’État indépendant de l’archipel des Comores appartient à l’Organisation de l’unité africaine – l’OUA – et est soutenu par celle-ci.

« Quelle image donnez-vous de la France dans le monde avec votre projet de loi tendant à diviser un peuple ? Vous avez toujours manifesté une grande lenteur pour accorder l’indépendance à un peuple. Aujourd’hui, vous agissez avec célérité pour diviser le peuple comorien au lieu d’utiliser tout le temps nécessaire pour aider à son unification. Cette précipitation vise à trancher dans un sens contraire à l’intérêt des Comoriens et de la France le problème de l’indépendance d’un peuple. »

M. René Dosière. Et le mur de Berlin ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. C’est exactement ce à quoi je pensais !

M. Jean-Paul Lecoq. Ne me parlez pas du mur de Berlin, alors que Mme la ministre a quasiment proposé, tout à l’heure, de dresser un mur autour de Mayotte ! Quant au mur qui se construit actuellement autour de Jérusalem et des États palestiniens, il ne semble pas déranger grand monde !

M. Jean-Christophe Lagarde. La réécriture de l’histoire, c’est votre spécialité !

M. Jean-Paul Lecoq. Je continue à citer Maxime Kalinsky : « Le parti communiste désapprouve totalement ce projet de loi, car il est contraire aux intérêts du peuple comorien, qu’il vive dans l’île de la Grande Comore, à Anjouan, à Mohéli ou à Mayotte. Nous lui exprimons toute notre sympathie pour son désir de vivre libre et d’être indépendant. »

L’indépendance de l’État comorien composé des quatre îles a été reconnue par toutes les organisations internationales : l’Union Africaine – ex-OUA –, la Ligue Arabe et les Nations unies, qui ont admis les Comores en leur sein par la résolution du 12 novembre 1975.

Un second référendum eut lieu en 1976 à Mayotte. Bien que décrié par la communauté internationale, en particulier par l’Assemblée générale des Nations unies, il fut validé par la France. Rappelons que ce scrutin fut, pour le moins, inédit : 79 % des bulletins étaient blancs ou nuls, 2,53 % des électeurs se sont prononcés pour le maintien du statut de territoire d’outre-mer et 22,6 % pour l’abandon. En fait, un dirigeant de la droite ultra de Mayotte avait décidé de la présence d’un troisième bulletin dans les bureaux de vote, celui du « oui au statut de département d’outre-mer ». La France interprétera cela comme une volonté de rester sous domination française, malgré ce bulletin parasite qui aurait normalement dû annuler le scrutin.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ah ! Il faut oser !

M. Jean-Paul Lecoq. Vous avez raison, il faut oser !

M. Jean-Christophe Lagarde. Oui, il faut oser dire ce que vous dites !

M. Jean-Paul Lecoq. Pour dissimuler cette mascarade, le Figaro s’empressa de titrer : « Consultation électorale à Mayotte : 79 % de bulletins nuls… pour s’affirmer français à part entière. » Résultat : Mayotte devint une collectivité territoriale à caractère départemental. Le référendum organisé en 1976 illustre à la fois une indépendance octroyée sous condition, mais également la mise en œuvre d’une politique néocoloniale qui faisait fi de la volonté exprimée par une grande majorité des Comoriens. En effet, il était aisé, à l’époque, de prévoir que la petite île de Mayotte, avec son Mouvement mahorais disposant de solides appuis à Paris, rejetterait le projet de constitution unitaire autant de fois qu’il lui serait proposé. C’était la porte ouverte à la partition de l’archipel.

C’est donc au regard de ces événements de l’histoire de Mayotte qu’il convient de juger de l’opportunité d’organiser une consultation des électeurs de Mayotte sur le changement de statut de cette collectivité.

Non, il ne s’agit pas d’une simple formalité. La séparation arbitraire de Mayotte, décidée unilatéralement par la France, viole en effet l’intégrité territoriale de l’archipel et suscite, à juste titre, les condamnations internationales. Au regard du droit international, Mayotte n’est pas un territoire français d’outremer, mais un territoire comorien illégalement occupé par une puissance étrangère. Les Comores sont devenues le cent trente-quatrième État membre de l’ONU en vertu de la résolution 3385 du 12 novembre 1975, qui réaffirme « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande-Comore, de Mayotte et de Mohéli, comme le souligne la résolution 3291 du 13 décembre 1974 et d’autres résolutions de l’Assemblée générale ». L’histoire ne commence pas en 1976, madame la ministre ! Précisons que, bien évidemment, le représentant de la France ne participa pas à ce vote.

Puisque vous semblez considérer que l’histoire commence en 1976, rappelons qu’en cette année, l’ONU fut encore plus sévère. À l’occasion du référendum de 11 avril 1976, l’assemblée générale des Nations unies, dans sa résolution n° 31-4 du 21 octobre 1976, a condamné « énergiquement la présence de la France à Mayotte, qui constitue une violation de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la République indépendante des Comores ». Elle a également condamné et rejeté tous les référendums à venir organisés par la France à Mayotte, les considérant « nuls et non avenus ».

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Puis-je vous interrompre, monsieur Lecoq ?

M. Jean-Paul Lecoq. Je vous en prie, madame la ministre.

M. le président. La parole est à Mme la ministre avec l’autorisation de l’orateur.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Je veux simplement préciser à M. Lecoq qu’il n’est pas justifié de me reprocher de considérer que l’histoire commence en 1976.

C’est en 1971 que je me suis rendue pour la première fois aux Comores, à titre privé. J’ai participé à la rédaction de l’acte d’indépendance des Comores et j’ai même été l’un des auteurs de la constitution de la République islamique des Comores. C’est donc une histoire que je connais depuis longtemps et dans tous ses aspects, monsieur le député. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Merci de cette précision, madame la ministre.

Poursuivez, monsieur Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Je vous remercie également de cette précision, madame la ministre. Ce qui m’a induit en erreur est sans doute de vous avoir entendue dire à plusieurs reprises que les Comores étaient composées de trois îles, alors qu’à cette époque elles en comptaient quatre.

Dans la résolution que j’évoquais précédemment, l’Organisation des Nations unies rejette « toute forme de référendums ou consultations qui pourraient être organisés ultérieurement en territoire comorien de Mayotte par la France ». Elle demande également au Gouvernement français de se retirer immédiatement de l’île comorienne de Mayotte, partie intégrante de la République indépendante des Comores, et de respecter sa souveraineté ; enfin, elle demande au gouvernement français « d’entamer immédiatement des négociations avec le gouvernement comorien pour la mise en application des dispositions de la présente résolution. »

Madame la ministre, combien de fois, depuis 1976, la France a-t-elle demandé à des États le respect des résolutions des Nations unies ? Si l’on veut faire la leçon aux autres, il faut être soi-même irréprochable ! À la veille de la consultation des électeurs de Mayotte pour le morcellement définitif des Comores, il apparaît pour le moins utile de rappeler que le droit international condamne régulièrement la présence de la France dans l’île comorienne de Mayotte, notamment l’ONU, qui l’a condamnée plus de vingt fois. Aujourd’hui, cette situation reste illégale et demeure un facteur important de déstabilisation de l’archipel comorien, qui subit une crise politique et institutionnelle.

Comment expliquer que la France ait, malgré ces condamnations, persisté sur le dossier mahorais ? Dans son ouvrage Comores-Mayotte, une histoire néocoloniale, Pierre Caminade expose les motivations françaises : les matières premières comme la vanille et l’ylang-ylang, certes, mais surtout une présence militaire dans cette région – le canal du Mozambique – où passent deux tiers du pétrole exporté du Moyen-Orient. Il analyse le processus de « domtomisation » puis ses conséquences, notamment pour le reste de l’archipel devenu chasse gardée d’une clique de mercenaires, Bob Denard en tête.

Le malheur des Comores, nous dit-il, est d’être situées en un lieu hautement stratégique : non seulement les deux tiers des tankers pétroliers provenant du Moyen-Orient circulent dans les eaux du canal du Mozambique, mais le positionnement de l’archipel permet à son pays de tutelle d’avoir une prise sur tout l’ouest de l’océan Indien. En pleine guerre froide, la France a tenu à garder, lors de la décolonisation des Comores en 1975, un bout de cet archipel, Mayotte, avec le projet d’y implanter une base militaire navale dotée d’un port en eau profonde.

Notre collègue Maxime Kalinsky le dénonçait dans cet hémicycle en 1975 en rappelant que, selon les termes mêmes du secrétaire d’État, le Gouvernement envisageait la construction à Mayotte d’une base navale susceptible de remplacer celle de Diego-Suarez et que l’objectif de la France était d’établir une base militaire à Dzaoudzi sur l’île de Mayotte, ce pour quoi elle avait besoin de poursuivre sa politique néocolonialiste. Que de souvenirs, madame la ministre, puisque vous y étiez !

On sait que ce projet ne verra pas le jour, mais sera compensé en 2000 et 2001 par l’implantation d’une station d’écoute du réseau satellitaire français d’espionnage des communications, en violation de la vie privée des citoyens et de la souveraineté des États d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie.

Les conséquences de la politique française à Mayotte sont nombreuses. On ne peut ignorer, au premier chef, la tragique question de l’immigration, à tel point que l’île de Mayotte est qualifiée aujourd’hui de zone de non-droit. Rappelez-vous du documentaire qui, en décembre 2008, révélait les conditions indignes et humiliantes de détention des Comoriens qualifiés par la France de « clandestins ». Déjà, en 1975, la France avait recours à des pratiques similaires pour écarter de l’île aux parfums les partisans de l’indépendance.

C’est encore Maxime Kalinsky qui le dénonçait avec force, en ces termes : « Les forces armées stationnées à Mayotte ont aidé à expulser de cette île les personnes favorables à l’indépendance et à l’unité de l’archipel. Entassées dans des boutres au mépris de toutes les règles d’hygiène et de sécurité, elles ont été envoyées sur les autres îles de l’archipel. Cela s’est fait avec la complicité et la participation des autorités françaises. ».

Ce sont ces mêmes autorités qui ont aggravé la crise née de la partition, avec un visa qui sépare administrativement de Mayotte les familles comoriennes. Ce visa, dit « visa Balladur », imposé par Charles Pasqua en 1994, a mis fin à la liberté de circulation entre les différentes îles ; j’avoue que cette situation n’est pas sans rappeler celle des Allemands séparés par le mur de Berlin. L’obtention de ce visa étant quasiment impossible, les Comoriens des autres îles sont très nombreux à tenter la traversée sans visa, parfois sur des embarcations de fortune. Cette situation est à l’origine de plus de 4 500 morts dans le bras de mer qui sépare Anjouan de Mayotte.

Ceux qui arrivent vivants sont immédiatement expulsés, ce qui a permis à notre ancien ministre de l’intérieur, M. Sarkozy, de dépasser son objectif de 12 000 expulsions en 2006. En effet, les autorités françaises effectuent à Mayotte en moyenne 50 expulsions par jour sur une population de 200 000 habitants, ce qui, rapporté à l’échelle de la France, représente l’équivalent de 4 millions d’expulsions en une année !

Des rafles gigantesques sont régulièrement organisées pour expulser ces indésirables, dans des conditions de violence inouïe. Selon l’association Survie, les maisons de ces « clandestins » sont régulièrement incendiées avec la bénédiction des maires, du préfet et sous la protection de la gendarmerie. Les victimes sont entassées dans des centres de rétention en attendant leur déportation vers les autres îles.

M. Philippe Gosselin. Quel sens de la mesure !

M. Didier Quentin. Le pire est toujours vrai, avec vous !

M. Jean-Paul Lecoq. Je voudrais aujourd’hui prévenir que Mayotte étant, au regard du droit international, un territoire des Comores illégalement occupé par une puissance étrangère, la France se rend coupable de « déplacements forcés de populations », qui constituent un crime contre l’humanité passible de la Cour pénale internationale.

M. Jean-Christophe Lagarde. Aïe aïe aïe !

M. Jean-Paul Lecoq. Tant que les contrôles de police institués par les autorités françaises continueront à empêcher la libre circulation des Comoriens sur leurs quatre îles, et que l’énorme différence de développement économique entre Mayotte et les autres entités de la région sera maintenue artificiellement par la France néocolonialiste, nous aurons à déplorer d’autres drames humains.

Gageons, malheureusement, qu’ils perdureront, car le projet de départementalisation de Mayotte nécessite la coupure définitive du cordon ombilical avec le reste des Comores. Pourtant, vous ne pouvez ignorer que la communauté internationale a déjà prévenu qu’elle considère comme étant nulle et non avenue toute consultation qui serait organisée dans le cadre de cette départementalisation de l’île comorienne de Mayotte.

Comment pouvez-vous décider d’organiser un référendum pour la départementalisation de Mayotte, sachant qu’il est exclu que l’État comorien, un État exigu d’à peine 1 862 kilomètres carrés de terres émergées, mais déjà très peuplé – plus de 610 000 habitants – abandonne un territoire qu’il considère comme vital pour sa survie et qu’il a toujours ouvertement revendiqué depuis son accession à la souveraineté, le 6 juillet 1975 ?


Je vous rappelle les propos du président de l’Union des Comores, à l’occasion de la 63e assemblée générale des Nations unies : « [Les] déclarations officielles de la France sur la départementalisation de l’île comorienne de Mayotte [...] ne cadrent pas avec les principes de justice, d’équité et du respect du droit international qui font la renommée de ce grand pays, la France. Mon pays considère d’ores et déjà comme étant nulle et non avenue toute consultation qui serait organisée dans le cadre de la départementalisation de l’île comorienne de Mayotte. [Je lance] un appel solennel aux autorités françaises, afin qu’elles œuvrent dans le sens de préserver un climat favorable au dialogue engagé et auquel nous croyons, pour parvenir à une solution négociée, laquelle prendra en compte la préoccupation comorienne, à savoir le respect de son unité nationale et de son intégrité territoriale. »

On sait par ailleurs que, malgré la campagne menée pour défendre la position française sur l’appartenance de Mayotte à la France, les ministres africains des affaires étrangères ont condamné à l’unanimité l’organisation du référendum et exigé l’arrêt immédiat de ce processus. Dans cette décision, l’Union africaine demande l’instauration « immédiate » d’un dialogue entre l’Union des Comores et la France, en vue de définir ensemble les modalités du retour de l’île de Mayotte dans l’Union des Comores.

M. René Dosière. Vous parlez au nom de l’UA ?

M. Jean-Paul Lecoq. Je parle au nom du droit des peuples.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. À disposer d’eux-mêmes !

M. Jean-Paul Lecoq. Suggérez-vous, madame la ministre, que le peuple corse pourrait disposer de lui-même et que vous seriez prête à organiser un référendum ? Si vous voulez que les peuples puissent disposer d’eux-mêmes, menez avec moi la bataille pour l’autodétermination du peuple sahraoui.

M. Philippe Gosselin. Le sujet, c’est Mayotte !

M. René Dosière. C’est la voix de l’étranger !

M. le président. Monsieur Lecoq, veuillez reprendre votre exposé.

M. Jean-Paul Lecoq. Aussi nous semble-t-il difficile, dans ces conditions, d’opérer un passage en force vers la départementalisation de Mayotte. En organisant ce référendum, la France croit mettre le monde entier devant le fait accompli. Ce n’est pas acceptable, ce n’est pas comme cela que nous envisageons les relations internationales.

Nous n’accepterons pas ce processus colonial rejeté par l’ONU et l’Union africaine. La France s’honorerait si elle assumait son passé colonial français en reconnaissant l’unité des quatre îles. La France pourrait s’engager dans des partenariats et des coopérations aidant au développement de Mayotte et des trois autres îles. Cela permettrait de construire les conditions sociales et économiques d’une unité comorienne et d’une souveraineté nationale avec un statut unique pour un seul peuple. Aller dans ce sens permettrait à la France de s’engager résolument dans le respect des résolutions de l’ONU, du droit international et du droit des peuples à l’indépendance.

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, madame le ministre, chers collègues, le 29 mars prochain, nos concitoyens de Mayotte seront invités à se prononcer sur l’avenir institutionnel de leur île au sein de la République, notamment sur son accession au statut de département d’outre-mer, après l’adoption à l’unanimité, le 18 avril dernier, d’une résolution en ce sens par le conseil général de Mayotte, démocratiquement élu.

Poursuivant la route tracée par l’accord sur l’avenir de Mayotte de 2000, la consultation de la population qui s’en est suivie, ainsi que la loi du 11 juillet 2001 instaurant pour Mayotte un statut de collectivité départementale au sens de l’article 74 de notre Constitution, les élus mahorais ont ainsi réaffirmé la force et la prégnance de leur attachement à la République ainsi que leur volonté, constamment répétée depuis plus de cinquante ans, de voir leur île devenir un département. En 1958 déjà, le congrès de Tsoundzou avait été l’occasion pour nombre de Mahorais de revendiquer la départementalisation de Mayotte. Aujourd’hui, leurs héritiers auront ainsi l’occasion de prendre part à un référendum historique pour l’avenir de leur île.

Placée sous protectorat français afin de se soustraire aux troubles et aux guerres qui ravageaient alors continuellement l’archipel des Comores, Mayotte est devenue française à la faveur du traité de cession de 1841, bien avant Nice et la Savoie. Cinq ans plus tard, en 1846, la France y abolissait l’esclavage.

Le 22 décembre 1974, la consultation d’autodétermination de l’ensemble des populations de l’archipel des Comores, qui dispose depuis 1946 du statut de territoire d’outre-mer, voit les populations de la Grande Comore, d’Anjouan et de Mohéli se prononcer à la quasi-unanimité pour l’indépendance, alors qu’à Mayotte la population fait à plus de 65 % le choix du maintien dans la République. Ce choix des Mahorais se trouve par la suite confirmé et renouvelé en 1976, à l’occasion des deux nouvelles consultations organisées suite à la déclaration unilatérale d’indépendance de l’archipel des Comores ; une majorité d’électeurs choisit de plus – même si vous trouvez cela indécent – de manifester son attachement à la France en revendiquant pour Mayotte le statut de département d’outre-mer.

Je ne doute pas de votre sincérité, monsieur Lecoq, mais j’avoue avoir été surpris que le groupe communiste considère le regroupement des îles des Comores comme un fait colonial sur lequel il ne pouvait être question de revenir et qui devait donc déterminer l’avenir de Mayotte.

M. Jean-Paul Lecoq. Voyez la quatrième commission des Nations unies !

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous vous êtes par ailleurs fait le porte-parole de l’UA, dont chacun sait qu’elle est composée de chefs d’État africains tous démocratiquement élus et respectant parfaitement le droit à l’autodétermination de leurs peuples… (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. Jean-Paul Lecoq. Des amis de la France, pour nombre d’entre eux !

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est après tout pas la première fois que le groupe communiste se retrouve du côté de ceux qui oppriment la population !

J’avoue enfin avoir trouvé très surprenant de vous entendre dire que les Mahorais qui souhaitaient être Français doivent être déclarés Comoriens malgré eux. C’est là une conception assez particulière du droit à l’autodétermination.

Pour avoir participé avec René Dosière et Didier Quentin à une mission d’information sur les Comores, j’avoue avoir été gêné face aux Mahorais de ce que c’est en réalité la France qui, après le référendum, a retardé l’intégration de Mayotte à la République. C’est la France qui était embarrassée dans cette affaire, et il est plus que temps qu’elle reconnaisse enfin aux Mahorais les droits qu’ils revendiquent depuis des décennies ! (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. François Bayrou. Tout à fait !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pour faire plaisir à René Dosière, je vous citerai Charles Péguy : « Il est immoral de parler des choses que l’on ne connaît pas. »

Sans doute troublé par la force de cet attachement répété à la République, le pouvoir d’alors offre à Mayotte un statut hybride où se trouvent combinés des dispositions de DOM et d’autres de TOM. D’après les termes mêmes de l’accord sur l’avenir de Mayotte de 2000, c’est à l’issue d’une trop longue période d’incertitudes liées à la dimension provisoire de son statut que Mayotte est devenue, en 2001, une collectivité départementale.

Après que la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a inscrit dans la Constitution, en son article 74, l’appartenance de Mayotte à la République, le pouvoir exécutif de la collectivité départementale de Mayotte a été transféré en 2004 du préfet au président du conseil général.

Sans cesse renouvelé par les citoyens de Mayotte, le choix de rester français et de demeurer ainsi dans la République, appelle désormais une nouvelle évolution institutionnelle. Le 29 mars prochain, les Mahorais auront la possibilité de se prononcer sur la départementalisation et de choisir pour leur collectivité un statut à la fois plus stable et plus durable, mais aussi un ancrage plus fort dans la République ; et si c’est un choix contraint, il pourront toujours le refuser.

Je salue ici, au nom des parlementaires centristes, la tenue de cette consultation qui répond à une revendication ancienne de nos concitoyens mahorais. Il est cependant nécessaire que les électeurs de Mayotte puissent se prononcer en toute connaissance de cause sur cet éventuel changement de statut, lourd de conséquences à court et moyen termes. Aussi tiens-je à saluer l’effort d’information de la population de Mayotte entrepris tant par les élus locaux et les parlementaires de Mayotte que par le secrétariat d’État à l’outre-mer, le ministère de l’intérieur et la préfecture de Mayotte, qui ont diffusé aux Mahorais un « Pacte pour la départementalisation de Mayotte » et organisé des réunions publiques dans l’ensemble des communes de l’archipel. Cet effort d’information est d’autant plus nécessaire que la départementalisation constitue un chantier qui nécessitera le concours de l’ensemble des composantes de la société mahoraise.

L’accession de Mayotte au statut de département d’outre-mer, dans le cas où les électeurs mahorais se prononceraient en sa faveur, leur offrirait certes de nouveaux droits mais les astreindrait également à de nouveaux devoirs. Je pense notamment aux nécessaires évolutions du statut civil de droit local, afin de le mettre en conformité avec l’ensemble des principes fondamentaux de la République ainsi qu’avec nos engagements internationaux. Je pense également à la mise en place d’une véritable fiscalité locale, entreprise ô combien complexe.

M. René Dosière. En effet !

M. Jean-Christophe Lagarde. La départementalisation éventuelle de Mayotte ne pourra de plus, ainsi que le Gouvernement l’a souligné dans le Pacte pour la départementalisation envoyé aux Mahorais, se faire que de manière graduelle et progressive, tant la réalité de Mayotte reste façonnée par des enjeux locaux ou des archaïsmes imputables à la France.

À ce titre, chacun aura à l’esprit le phénomène de l’immigration irrégulière à Mayotte, d’une ampleur telle qu’on y estime à l’heure actuelle le nombre de clandestins à un tiers de la population de l’archipel.

M. René Dosière. Soixante mille !

M. Jean-Christophe Lagarde. La question avait fait l’objet, sous la précédente législature, d’une mission d’information, présidée par M. René Dosière et à laquelle j’avais participé.

M. René Dosière. Il y avait aussi Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Christophe Lagarde. À l’occasion de cette mission, nous avions tous pu mesurer l’extrême complexité que revêt sur place la question de l’état civil et l’urgence à y apporter des solutions. Cette question demeure aujourd’hui centrale et conditionne encore largement l’effectivité et la réussite de la départementalisation éventuelle de Mayotte. L’état civil n’est en effet pas seulement le garant de notre identité ; il est également celui de nos droits et de notre égalité républicaine. Sans ce préalable, il sera impossible à nombre de Mahorais de bénéficier des avantages de la départementalisation, notamment dans le domaine des droits sociaux et sanitaires, comme il sera impossible à l’État de faire respecter l’ordre et les lois de la République.

Jusqu’à la création, en 2000, d’un service d’état civil de droit commun dans les mairies de l’archipel, les Français nés à Mayotte étaient simplement identifiés par des vocables, et il est sans doute très difficile pour un citoyen de l’hexagone de mesurer la véritable révolution qu’a impliqué pour eux la fixation de leur état civil, avec noms et prénoms.

Afin de reconstituer les actes d’état civil antérieurs à cette date, une commission de révision de l’état civil a parallèlement été mise en place. Son mandat devait initialement se terminer en avril 2006 mais, compte tenu de l’ampleur de la tâche, il a été prorogé en 2005 jusqu’à 2011.

Lors de notre déplacement à Mayotte, nous avions également pu mesurer toute la gravité de la situation lorsque nous voyions figurer sur les registres d’état civil des enfants plus âgés que leur mère ou encore des actes portant la mention « né vers ». Si cette situation est lourde de conséquences pour la constitution de listes électorales fiables, elle est également extrêmement préoccupante en ce qui concerne la lutte contre l’immigration illégale et l’attribution de droits aux populations vivant à Mayotte. Je rappelle à ce titre que les conclusions de la mission d’information sur l’immigration irrégulière à Mayotte avaient particulièrement mis l’accent sur la nécessité d’aboutir rapidement à un état civil fiable, plaçant cette nécessité en tête de ses préconisations.

Cependant la situation de l’état civil à Mayotte, l’attitude de nos administrations qui exigent désormais de nos concitoyens mahorais qu’ils puissent justifier de leur identité par des titres délivrés par la commission de révision de l’état civil, ainsi que l’extrême lenteur de ses travaux – puisque son délai de réponse varie entre deux ans et demi pour les cas les plus simples et plus de six ans pour les cas les plus complexes – ont abouti à faire de nombre de Mahorais de véritables « Français sans-papiers » à Mayotte ou à La Réunion. Cette situation n’est pas acceptable et empêche une départementalisation complète.

Notre mission avait identifié environ 10 000 dossiers restant à traiter. Aujourd’hui, leur nombre est estimé à plus de 14 000. Nous ne cessons de prendre du retard, car le nombre de personnes susceptibles de demander la régularisation de leur état civil ne cesse de croître.

M. René Dosière. C’est comme l’horizon : plus on avance, plus il recule !

M. Jean-Christophe Lagarde. Aux yeux du Nouveau Centre, la priorité est donc que des moyens conséquents, notamment des moyens informatiques, soient consacrés à achever l’établissement de cet état civil, même si celui-ci, dans un premier temps, comporte quelques inexactitudes.

En tout état de cause, il nous faut un état civil de base pour faire ensuite bénéficier tous nos concitoyens mahorais des droits apportés par la départementalisation à laquelle ils aspirent.

Une telle situation laisse planer un doute sur la citoyenneté d’un certain nombre de nos compatriotes dans l’ensemble du pays, à Mayotte, à La Réunion et parfois même en métropole. J’ai eu, dans ma circonscription, l’occasion d’essayer d’aider des Français, indubitablement français, mais dont l’état civil – tel que nous le concevons – était difficilement accepté par les préfectures de métropole.

Le problème de l’état civil est évidemment lié à celui de l’immigration.

Mayotte est confrontée à une très forte immigration en provenance des autre îles de l’archipel des Comores, tout particulièrement de l’île d’Anjouan, séparée de Mayotte par quelque soixante-dix kilomètres de mer seulement. Pour gagner Mayotte, où le niveau de vie est environ dix fois plus élevé, nombre de Comoriens, notamment Anjouanais, s’engagent ainsi au péril de leur vie sur des bateaux de pêche, les kwassa-kwassa, à la ligne de flottaison très basse et de surcroît extrêmement surchargés puisqu’il leur arrive de faire cette traversée, qui dure plus de quatre heures, avec plus de cinquante personnes à bord.

Malgré le caractère extrêmement périlleux de cette traversée, la population en situation irrégulière à Mayotte serait aujourd’hui supérieure à 60 000 personnes. Je tiens toutefois à souligner – car il y a parfois dans la société mahoraise une forme d’hypocrisie – que cette population offre une main-d’œuvre bon marché, exploitable, taillable et corvéable à merci. Je me souviens de l’entretien que nous avions eu avec l’inspecteur départemental du travail, qui évaluait à plus de 6 000 Comoriens le nombre de personnes qui travaillaient au domicile de Mahorais, voire au domicile de fonctionnaires français implantés à Mayotte.

Cette situation constitue un enjeu majeur pour le développement économique de l’île et pour le maintien sur place de l’ordre public ainsi que des équilibres sociaux. La surcharge tant des écoles que des hôpitaux, l’augmentation du nombre de délits constatés – puisque certains ne peuvent subvenir à leurs besoins dans des conditions normales – ainsi que la crainte sous-jacente d’une déstabilisation politique de l’île ont en effet progressivement fait naître chez les mahorais un sentiment d’exaspération, voire de rejet vis-à-vis de l’immigration clandestine. Tant que nous ne parviendrons pas à rétablir la situation, je conserverai une crainte pour la paix civile à Mayotte.

Afin de répondre plus efficacement à cette pression migratoire, l’État a consenti d’importants efforts : il a augmenté le nombre de fonctionnaires de la police aux frontières et modernisé leurs moyens, notamment par la livraison de vedettes adaptées et par l’implantation de radars sur les différentes côtes. Il y a évidemment tout lieu de saluer ces efforts ; l’amélioration des capacités de détection semble en particulier avoir porté des fruits : la multiplication par trois depuis 2002 du nombre d’étrangers en situation irrégulière éloignés de Mayotte et, surtout, l’augmentation du nombre de personnes interceptées pendant ce périlleux trajet, en témoignent.

Il faut pourtant également évoquer la question du centre de rétention administrative. Nous l’avons visité, et peu d’entre nous en auront l’occasion. La comparaison avec la métropole est souvent difficile, et je veux donc dire ici, que ce centre, s’il n’est pas acceptable – je le reconnais bien volontiers – offrait des conditions d’accueil bien meilleures que celles de celui de Bobigny, dans ma propre circonscription, il y a deux ans : c’est dire où l’on en était ! Pour une fois, Mayotte n’était pas le plus mal traité de nos territoires.

Ce centre a fait l’objet en avril dernier d’un avis particulièrement clair de la part de la commission nationale de déontologie de la sécurité. Il a été jugé indigne de la République, les conditions d’accueil portant gravement atteinte à la dignité des mineurs.

Mme George Pau-Langevin. Absolument !

M. Jean-Christophe Lagarde. Il faut absolument porter remède à cette situation. Ce centre est nécessaire, l’éloignement est nécessaire, mais il doit se faire dans les meilleures conditions, dans des conditions respectant la dignité humaine.

Nous craignons que la départementalisation de Mayotte, qui créera de nouveaux droits sociaux, ne provoque un véritable appel d’air. La pression migratoire doit donc pouvoir être mieux contrôlée. Afin de permettre l’émergence d’un équilibre pérenne dans cette partie de l’océan Indien, la départementalisation se doit d’être accompagnée d’une politique ambitieuse de coopération avec l’Union des Comores, toujours classée au 137rang mondial en termes de développement humain.

Mme Catherine Quéré. Tout à fait !

M. Jean-Christophe Lagarde. L’écart de niveau de vie est si important que nous n’apporterons pas de solution aux problèmes de Mayotte sans redressement de la situation aux Comores, et donc pas sans contribuer à ce redressement.

Si le Gouvernement comorien persiste à contester la souveraineté française sur Mayotte – voulue par les Mahorais eux-mêmes – une normalisation de nos relations bilatérales semble aujourd’hui possible. Au mois de septembre 2007, le Président de la République et son homologue comorien ont mis en place un groupe de travail à haut niveau sur les relations entre Mayotte et les Comores. Cette perspective de normalisation, jointe à celle de la départementalisation, appelle désormais de notre part un effort accru en direction des Comores, dans la mesure où le regain de pression migratoire qui accompagnerait certainement la départementalisation ne pourra être effectivement maîtrisé que si les population demeurées aux Comores disposent sur place de services plus comparables à ceux qu’elle viennent chercher au péril de leur vie à Mayotte. À terme, la normalisation des relations entre la France et les Comores devra également permettre à Mayotte d’opérer son développement économique en s’inscrivant pleinement dans son environnement régional.

Je vais, madame la ministre, vous soumettre trois propositions qui paraissaient évidentes lorsque nous étions sur place.

Il est vrai que l’hôpital de Mamoudzou est le premier de France en termes de naissance, mais, très franchement, ces femmes enceintes qui traversent les soixante-dix kilomètres de mer ne le feraient pas si la France, au titre de la politique de coopération – et à bien moindre coût que nous ne le faisons aujourd’hui à Mamoudzou – construisait un hôpital aux Comores. Tout le monde serait gagnant, l’équilibre social serait gagnant : ces femmes ne traversent la mer que pour pouvoir accoucher dans des conditions sanitaires satisfaisantes ; une fois présentes, elles ne peuvent plus repartir faute de possibilité de faire des allers et retours entre les îles.

Mme George Pau-Langevin. Très bien !

Mme Catherine Quéré. Excellente idée !

M. Jean-Christophe Lagarde. Ensuite, il faut noter qu’environ mille bacheliers sortent chaque année des écoles comoriennes. Là encore, nous devons construire un lycée, un collège, deux à trois écoles primaires chaque année pour accueillir les enfants de la population clandestine comorienne qui s’installe à Mayotte, alors que nous pourrions, au titre de la politique de coopération, construire nous-mêmes les écoles et même rémunérer – moins cher qu’un enseignant français expatrié – les Comoriens qui enseigneraient à leur population.

Ces deux propositions me semblent indispensables à la réussite même de la départementalisation, sinon Mayotte périra de l’afflux progressif de la misère comorienne sur l’île.

Je crois enfin, madame la ministre, que la France, comme Mayotte, ont tout intérêt à l’institution d’un permis de libre circulation à l’intérieur de l’archipel géographique des Comores, c’est-à-dire entre les quatre îles. Ce permis autoriserait les allers et retours. Là-bas, on nous a expliqué qu’un certain nombre de Comoriens voudraient simplement venir commercer, sans s’installer sur l’île de Mayotte. Or ce serait sain. Le raidissement de la position française sur la circulation interne a abouti à une situation où chaque traversée devient une installation définitive, au détriment même des Mahorais.

La départementalisation, telle que le Gouvernement la propose aujourd’hui, est un processus progressif et adapté : il ne saurait en être autrement étant donné les spécificités locales, que j’ai déjà pu évoquer pour certaines d’entre elles, et la nécessité de ne pas dynamiter les équilibres socio-économiques de l’île. Il s’agit, de plus, d’un processus empreint de réalisme qui devra laisser toute sa place à l’évaluation, au fur et à mesure du temps, comme l’atteste d’ailleurs la décision de reporter de 2008 à 2014 la mise en place à Mayotte d’une fiscalité identique à celle des autres départements français, faute d’évaluation suffisante des implications pratiques d’une telle mesure au moment de la première décision.

La départementalisation s’accompagnera ainsi de la mise en place de nouvelles institutions locales. Si le comité pour la départementalisation de Mayotte a exprimé sa préférence pour la création de deux assemblées, l’une départementale, l’autre régionale, les députés du Nouveau Centre estiment préférable de constituer une seule assemblée délibérante, comme nous l’avons déjà fait pour d’autres collectivités d’outre mer. Celle-ci, sans doute plus nombreuse que celle de l’actuel conseil général, exercerait simultanément les compétences d’un département et d’une région. En ce sens, la proposition faite par le Gouvernement aux Mahorais procède d’une démarche visant à plus d’efficacité ; mais, à l’heure où se trouve de surcroît menée une réflexion sur la nécessaire clarification des moyens comme des compétences de nos différents échelons de collectivités locales, il aurait été très paradoxal de créer deux assemblées autonomes l’une de l’autre pour administrer un territoire vaste seulement de quelque 380 kilomètres carrés.

Avec la perspective de la création d’une fiscalité locale, les dix-sept communes de Mayotte auront enfin – même si je crains que cela ne prenne quelque temps – les moyens d’exercer véritablement leurs compétences, et de ne plus se trouver, comme c’est le cas aujourd’hui, confrontées à une insuffisance chronique de ressources de fonctionnement ainsi qu’à des problèmes récurrents de trésorerie. Ainsi la départementalisation sera également porteuse d’un nouvel équilibre entre les différents échelons des collectivités territoriales à Mayotte, comme cela existe d’ailleurs en métropole.

La départementalisation doit également être l’occasion d’accentuer les efforts entrepris par l’État pour pallier les retards qu’accuse Mayotte par rapport aux autres départements français, en termes de niveau de vie mais aussi en termes de prise en charge de certaines catégories de personnes.

Il s’agit ainsi, dans le domaine de la santé, de poursuivre les efforts consentis par l’État, notamment dans la modernisation de l’hôpital de Mamoudzou. S’il appartient aux collectivités ainsi qu’aux professionnels de la santé eux-mêmes de s’associer à cet effort, l’État devra, à nos yeux, continuer de piloter à Mayotte une politique de santé ambitieuse devant permettre à nos concitoyens mahorais de bénéficier à terme d’un tissu sanitaire comparable à celui qui peut exister dans l’hexagone.

Dans un contexte de très forte croissance démographique largement liée à l’immigration clandestine, il appartiendra également à l’éducation nationale de fournir un effort à la mesure du défi. Je préférerais, je l’ai dit, que celui-ci se fasse dans le cadre de la coopération plutôt que dans celui de l’immigration clandestine.

Plus largement, il importe, afin de satisfaire aux exigences de l’article 2 de la Constitution, selon lequel : « la langue de la République est le français », que soient dégagés des moyens nécessaires, conséquents, indispensables, afin de permettre à chaque Mahorais de maîtriser effectivement la langue française. Ce n’est qu’un rattrapage que nous devons à cette population ; je rappelle que c’est seulement au cours des années soixante que l’école primaire a finalement été accordée à l’ensemble de nos concitoyens mahorais.

M. René Dosière. Ce sont les erreurs de la colonisation !

M. Jean-Christophe Lagarde. Il faut donc, aujourd’hui, un rattrapage pour les adultes.

Ce chantier dépasse pourtant largement le cadre des missions de la seule éducation nationale et nécessitera le concours de l’ensemble des composantes de la société mahoraise ainsi que de ses structures aussi bien culturelles que cultuelles et associatives.

La départementalisation doit également amener Mayotte à une égalité sociale effective avec le reste des départements français. Elle impliquera à ce titre la mise en place des mécanismes de transfert, prestations sociales et minima sociaux actuellement à l’œuvre dans l’hexagone ainsi que dans les départements d’outre-mer. Toutefois, une généralisation brutale des prestations sociales à Mayotte aurait pour seul effet de déstabiliser profondément les équilibres socio-économiques d’un territoire encore marqué par un faible taux d’activité salariée ainsi que par la faiblesse relative du secteur privé.

Les prestations sociales, dont le bénéfice est lié aux cotisations prélevées sur les salaires, sont actuellement d’un niveau très inférieur à celui que l’on peut observer sur la majeure partie de notre territoire. Leur revalorisation se doit ainsi d’être opérée en lien direct avec celle des cotisations, dans l’esprit d’un alignement sur le niveau de droit commun. Le Gouvernement annonce un effort particulier dans le domaine de l’allocation de logement social qui, parce ce qu’elle constitue la véritable porte d’accès au logement, doit à nos yeux devenir l’un des leviers privilégiés de l’amélioration du niveau de vie de nos concitoyens mahorais.

Les minima sociaux, dont deux sur huit sont pour l’heure mis en œuvre à Mayotte, sont aussi d’un niveau très inférieur à celui de l’hexagone et des départements d’outre-mer. Leur revalorisation progressive ainsi que le déploiement des minima non encore appliqués à Mayotte constitue sans doute, outre un devoir pour l’État, l’un des bénéfices les plus attendus par les Mahorais de la départementalisation.

Toutefois, celle-ci se traduirait par nombre d’effets pervers si elle s’opérait sans l’assise économique qu’elle présuppose. Aussi cette revalorisation doit-elle avoir lieu au rythme du développement de l’économie mahoraise, lequel devra désormais intervenir à un rythme accéléré. Ainsi le fonds mahorais de développement économique sera-t-il notamment transformé en un fonds de développement économique, social et culturel chargé de contribuer au financement des équipements et des chantiers retenus.

Mayotte ne se trouve de surcroît nullement condamnée à centrer son développement économique autour des activités de rentes que peuvent constituer la culture et l’exportation de la vanille ou de l’ylang-ylang, même si l’augmentation continue des revenus tirés de ce dernier indique une piste prometteuse pour le développement de l’économie mahoraise. En effet, Mayotte présente notamment des opportunités de développement dans le secteur touristique ; le fait que les croisiéristes y fassent désormais régulièrement escale plaide incontestablement pour un effort significatif en direction de cette filière.

Plus largement, je remarque que, bien souvent, les débats consacrés dans cet hémicycle à nos départements et collectivités d’outre-mer se focalisent sur les seuls handicaps entravant structurellement leur développement : leur éloignement géographique de l’hexagone, leur insularité souvent, l’étroitesse de leur marché intérieur et le fait d’être, pour la plupart, à proximité immédiate de producteurs disposant d’une main d’œuvre à faible coût.

-Il est trop rare d'entendre décliner ici les avantages et atouts indéniables dont ceux-ci disposent : la formidable jeunesse de leur population, la richesse de leur patrimoine naturel et culturel ainsi que, bien souvent, l'exceptionnel dynamisme dont font preuve la plupart de leurs entreprises. C'est à ce titre également qu'il importe de ne pas les déstabiliser en revalorisant brutalement le niveau de prestations, telles que le SMIC, qui ont un impact direct sur leurs marges de manœuvre.

La départementalisation de Mayotte conduira également à de profondes modifications de sa fiscalité – je l’ai déjà évoqué – et favorisera la libre administration des collectivités territoriales.

La départementalisation impliquera enfin de reposer la question du nouvel équilibre à définir entre le respect au sein de cette nouvelle collectivité de l'identité et de la culture propre aux Mahorais et celui des principes intangibles de la République comme de ses engagements européens et internationaux.

Les Mahorais qui n'y ont pas expressément renoncé, musulmans en majorité, continuent en effet à bénéficier d'un statut personnel de droit local, explicitement reconnu dans notre ordre juridique depuis 1939. Ce statut procède d'un droit coutumier hérité du droit musulman ainsi que de coutumes africaines et malgaches. Il concerne essentiellement les droits de la personne et de la famille ainsi que les droits patrimoniaux.

Si des réformes ont été entreprises pour rapprocher ce statut du droit commun, particulièrement par l'interdiction de la polygamie, de la répudiation unilatérale ainsi que de la discrimination entre enfants devant l'héritage, la départementalisation doit marquer une nouvelle étape dans ce rapprochement, notamment en ce qui concerne l'égalité des droits entre hommes et femmes, par exemple pour l'âge légal du mariage.

Le système de la justice cadiale devra également être réformé en ce qu'il pose, à l'heure actuelle, nombre de difficultés, au regard du droit à un procès équitable comme du droit au respect de la vie privée et familiale ou encore de l'interdiction de discriminations fondées sur le sexe.

Je note par ailleurs que nombre de Mahorais se tournent désormais plus spontanément vers les juridictions de droit commun pour trancher leurs litiges, exprimant par là-même un malaise réel vis-à-vis d'une justice perçue comme trop aléatoire.

S'il importe de préserver les éléments du statut personnel de droit local compatibles avec notre pacte républicain, il est également nécessaire de garantir une unité de l'institution judiciaire dans l'ensemble de nos départements et du département de Mayotte s’il choisit de devenir un département, une seule justice pouvant appliquer des droits découlant de plusieurs statuts.

Après la disparition en 2008 de l'activité des cadis en ce qui concerne les biens immobiliers, il conviendra donc de poursuivre dans la voie tracée en 2000 du recentrage du rôle des cadis sur leurs seules, et réellement utiles, fonctions de médiateurs sociaux.

C'est à la lumière de l'ensemble des modalités d'une éventuelle départementalisation que les Mahorais devront se prononcer le 29 mars prochain. Il nous appartiendra pour notre part de respecter les résultats de cette consultation quels qu'ils soient, même s’ils n'appellaient pas à la création d'un cent unième département. Je rappelle toutefois que la départementalisation si elle est, en tant que telle, sans effets sur le statut de Mayotte vis-à-vis de l'Union européenne, appellera une nouvelle batterie de réformes, notamment fiscales, tendant à faire accéder ce territoire, au sein de l’Europe, au statut de région ultrapériphérique et, par là-même, aux financements communautaires.

Au nom des parlementaires du groupe Nouveau Centre, je tiens à saluer le projet de départementalisation tel que le Gouvernement le propose aujourd'hui à nos concitoyens de Mayotte après la demande du conseil général à l’unanimité. Nous apporterons également notre contribution aux textes législatifs qui viendront, je pense, tirer les conséquences de la consultation de nos concitoyens de Mayotte.

Je conclurai enfin en réaffirmant la richesse et la chance pour la France de disposer de départements et collectivités d'outre-mer qui sont attachés à la République et qui, pourtant, sont trop rarement qualifiés d’atouts pour notre communauté ; ils sont même parfois considérés, y compris dans cet hémicycle, comme des poids à tirer pour notre pays. C’est une chance : Mayotte souhaite intégrer la République française, et la République française va enfin accomplir son devoir vis-à-vis des Mahorais. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. René Dosière. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin.

M. Didier Quentin. Madame la ministre, la population de Mayotte sera en effet consultée dans quelques semaines sur un projet très attendu, mais longtemps différé, la départementalisation de son statut, demandée une nouvelle fois par le conseil général de Mayotte dans une résolution adoptée, le 18 avril 2008, à l’unanimité, comme vous l’avez souligné.

Ce sera le couronnement d'une relation établie dès 1841, monsieur Lecocq, par le petit peuple mahorais, qui se plaçait sous la protection de la France pour échapper aux « sultans batailleurs » comme l’a excellemment rappelé M. Lagarde, mais une relation longtemps distendue. Mayotte avait été oubliée par la France coloniale : peu ou pas de dispensaires, d'écoles, de routes, d'eau, d'électricité.

Et puis vinrent les années soixante-dix, où la population mahoraise, si attachante, exprima sa volonté de demeurer au sein de la République, contre, il faut bien le reconnaître, l’avis de la diplomatie française, contre ce que l'on appelait alors « le sens de l’histoire », c'est-à-dire l’indépendance, ses risques, ses convulsions. Ces hommes et ces femmes refusaient l’inéluctable et donnaient toute sa portée à la belle formule de Jean Paulhan : « La France est partout où l’on ne renonce pas. »

M. René Dosière. C’est une belle formule, en effet.

M. Didier Quentin. Il s’agit là d’un enjeu déterminant pour l’avenir de cette collectivité qui sera désormais régie, si les électeurs de Mayotte répondent favorablement à la question qui leur sera posée le 29 mars, non plus par l’article 74 de la Constitution, relatif aux collectivités d’outre-mer, mais par l’article 73, relatif aux départements et régions d’outre-mer.

Cette transformation statutaire entraînera des conséquences juridiques importantes, dont le remplacement du principe de spécialité législative par celui de l'assimilation législative. Cela signifie que l'ensemble de nos lois et règlements deviendront, de plein droit, applicables à Mayotte, sauf lorsqu'il en sera disposé autrement de façon expresse. Le droit commun sera la norme et l'adaptation l'exception.

Conformément aux engagements pris par le Président Sarkozy en 2007, nous pouvons nous réjouir que la représentation nationale débatte aujourd'hui de cet enjeu, sur lequel cinq d'entre nous, qui se sont rendus dans l'archipel la semaine dernière à l'initiative de la commission des lois, vont pouvoir faire part, s’ils ne l’ont déjà fait, de leurs impressions. Comment, en effet, bien parler de Mayotte sans y être allé, sans avoir mesuré sur place les attentes de la population, les grands progrès déjà accomplis et ceux qui devront rapidement l'être pour réussir la départementalisation ?

Quelques jours après notre retour de Mayotte et l'adoption par l'Union africaine d'un texte scandaleux, condamnant l'organisation d'un référendum à Mayotte – qui serait « occupée par une puissance étrangère »…

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce sont des États qui n’ont pas l’habitude, c’est pour ça !

M. Didier Quentin. Bien sûr !

M. Jean-Paul Lecoq. À l’ONU, ce sont des États qui n’ont pas l’habitude ?

M. Didier Quentin. Allez le dire à Muguabé !

M. le président. Vous avez largement eu le temps de vous exprimer, messieurs. Laissez M. Quentin poursuivre.

M. Didier Quentin. Quelques jours après donc, il me semble nécessaire de rappeler d’abord une évidence : la question posée concerne l'organisation administrative interne de la France, et non pas le maintien de Mayotte au sein de la République. Quel que soit le résultat du scrutin, Mayotte restera française, conformément au vœu exprimé par sa population, à 64 % puis à 99 % lors des référendums de 1974 et 1976. Et la France continuera à défendre ce droit légitime dans les instances internationales.

Si le projet de départementalisation nous a semblé faire, a priori, l’objet d'un grand consensus politique – ses habitants l'attendent depuis plus de cinquante ans – il reste en revanche nécessaire de s'interroger sur le calendrier, les modalités et les conséquences d'un tel changement.

Il est clair que Mayotte n'est pas encore parvenue au niveau de développement qui caractérise nos départements d'outre-mer : l'habitat et la voirie y sont souvent très dégradés, les projets économiques trop dépendants du soutien des pouvoirs publics, le niveau d'instruction et la maîtrise de la langue française insuffisants, ne serait-ce que parce que l'école n'est devenue obligatoire qu'au début des années quatre-vingts.

M. René Dosière. Que fait le Gouvernement !

M. Didier Quentin. Ajoutons à cette situation le poids de l'immigration clandestine, qui représenterait plus du tiers de la population insulaire, la jeunesse de la population – 54 % des habitants sont âgés de moins de vingt ans –, la quasi-absence de médecine libérale, de notaires, de cadastre à jour et, surtout, d'état civil fiable, et l'on mesure la longueur du chemin qui reste à parcourir.

À cet égard, procéder dès 2011 à une départementalisation peut paraître bien ambitieux, mais n'est-ce pas précisément cette ambition qui peut provoquer une prise de conscience collective sur l'urgence de la situation ? N’est-ce pas en s'appuyant sur ce projet que l'on pourra accélérer les efforts entrepris pour remédier au retard de développement et aux dysfonctionnements administratifs ? Attendre la réunion de toutes les conditions avant de procéder à la départementalisation reviendrait à la différer continuellement. Or la différence du droit a trop souvent conduit, à Mayotte, à l'indifférence de l'administration, tandis que le fatalisme et la résignation l'emportaient sur la volonté et l'ardeur réformatrices.

En dépit des lacunes constatées, il faut reconnaître que certains signes sont déjà encourageants. Les indicateurs économiques et sociaux sont mieux orientés : le nombre d'enfants par femme mahoraise a été réduit de 8,1 à 3,4 en trente ans et le chômage est passé de 41 % à 22 % de la population active en dix ans, tandis que l'île était progressivement désenclavée ; la circulation aérienne a été multipliée par quatre depuis 1996, même si l’on attend toujours la liaison directe avec la métropole.

Mayotte dispose aujourd'hui d'un centre hospitalier ultramoderne et performant.

M. René Dosière. En effet !

M. Didier Quentin. L’établissement a réalisé environ 7 700 accouchements en 2008, chiffre stabilisé depuis 2004. L'instruction s'étend avec une efficacité croissante : grâce au doublement des moyens alloués par l'État depuis 2003, elle concerne désormais 73 000 élèves sur une population estimée à 186 000 habitants. Les revenus augmentent, comme en attestent la forte hausse du salaire minimum, la modernisation de certains bâtiments ou le développement de l'automobile depuis trois ans.

Surtout, la modernisation juridique entreprise en 2003 et en 2006, à l'initiative du député Mansour Kamardine, que je salue dans les tribunes, porte aujourd'hui ses fruits. Les femmes disposent des moyens de s'émanciper du droit coutumier qui ne concerne plus que 10 % des naissances et de se dégager du poids de traditions incompatibles avec les principes républicains. La polygamie a reculé. Le rôle juridictionnel des cadis, ces magistrats de droit musulman, s'est amoindri. L'égalité entre les hommes et les femmes est mieux assurée.

Enfin, grâce à la réforme de la législation des étrangers adoptée dans la loi du 24 juillet 2006 et au renforcement des moyens des forces de l'ordre, la lutte contre l’immigration irrégulière a gagné en efficacité. Sa stabilisation constitue déjà une performance remarquable : au cours des trois dernières années, près de 50 000 clandestins ont été éloignés et le nombre d'embarcations interceptées en mer, les tristement célèbres « kwasa-kwasa », a presque triplé.

Ces constats sont bien sûr encourageants, mais la départementalisation de Mayotte nous obligera à franchir de nouvelles étapes. Comme nous le leur avons dit au cours de notre récente mission, les cadis ne pourront plus rendre la justice, mais ils pourront jouer un rôle de médiation sociale, et les nouvelles unions polygames devront être proscrites pour tous et toutes.

Par ailleurs, je suis convaincu que la départementalisation ne pourra réussir que si une forte volonté politique et des moyens exceptionnels sont mis au service de trois priorités.

Premièrement, stabiliser la démographie insulaire, grâce à la planification des naissances et au renforcement de la lutte contre l'immigration clandestine, car la densité de population dépasse déjà 500 habitants au kilomètre carré et ne pourra s'élever indéfiniment.

Deuxièmement, construire les infrastructures nécessaires au développement de l'économie productive, en particulier dans les secteurs de l'aquaculture et du tourisme, car Mayotte peut s'appuyer sur un patrimoine naturel exceptionnel.

Troisièmement, mettre en place, comme nous l'avions déjà demandé en 2006, avec René Dosière et Jean-Christophe Lagarde, dans le cadre d'une mission d'information sur l'immigration clandestine à Mayotte, un état civil fiable. À cet égard, il est inadmissible que la commission de révision de l'état civil, la CREC, mise en place en 2001, ait été privée de présidence pendant six mois en 2006 et le soit à nouveau depuis le mois d'août 2008, ou encore qu'elle n'ait rendu l'an dernier que 746 décisions, alors que le « stock » s'élève à plus de 16 000 dossiers ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Il nous faudra également faire preuve de souplesse et de discernement dans l'application du droit commun à Mayotte en 2011 : des adaptations législatives demeureront évidemment nécessaires en matière d'entrée et de séjour des étrangers, ainsi que de protection sociale mais vous nous avez apporté des assurances à ce sujet, madame la ministre.

L'élévation du niveau de vie qui résultera du processus de départementalisation et, je l'espère, de l'obtention du statut communautaire de région ultrapériphérique réduira le différentiel entre Mayotte et La Réunion où résident déjà 30 000 à 50 000 Mahorais, pas toujours bien acceptés.

À l'inverse, les différences de niveau de vie augmenteront encore entre Mayotte et les Comores, où le revenu par habitant est déjà dix fois moindre, ce qui pourrait accroître les flux migratoires vers ce petit Eldorado. Le développement de Mayotte implique donc d'offrir aux Comores, et en particulier à l'île autonome d'Anjouan, distante de 70 kilomètres seulement, une aide au développement nettement supérieure, notamment par le biais de la coopération décentralisée, mais ce n'est pas facile tellement les dirigeants de la fédération sont l'objet d'un zapping permanent.

Mes chers collègues, au vu de ce que nous avons observé ces derniers jours à Mayotte, on peut s'attendre à un oui franc et massif conçu comme une assurance tous risques pour rester des Français à part entière. Ce référendum suscite une immense espérance. Il faudra surtout ne pas la décevoir. II y aura certainement des tensions, des difficultés, notamment dans le domaine social où les retards sont les plus flagrants, avec des risques pour la sécurité publique et la sécurité sanitaire.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le député !

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est dommage ; il est excellent !

M. René Dosière. Oui ! Ses propos sont intéressants !

M. Didier Quentin. Il importera de se donner les moyens de juguler ces dérives, car, au-delà du mieux vivre de nos compatriotes mahorais, une départementalisation adaptée à l'identité originale de Mayotte viendra enrichir l'unité républicaine de toutes les différences mahoraises, notamment d’une relation harmonieuse avec l’islam. Mayotte, cent unième département français, sera ainsi non pas une charge, mais une chance pour la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC, et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Abdoulatifou Aly.

M. Abdoulatifou Aly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si un territoire d’outre-mer ne peut accéder au cadre départemental qu’à la suite d’une consultation des électeurs concernés, l’organisation du présent débat préalable au référendum sur la départementalisation de Mayotte est purement facultative. Je sais donc gré au Président de la République et au Gouvernement d’avoir tenu, sur ma demande insistante, à l’organiser.

Mes remerciements vont également à M. le président de l’Assemblée nationale et à la conférence des présidents des groupes politiques, qui ont bien voulu accorder au député non inscrit que je suis un temps de parole pour faire entendre la voix des électeurs de Mayotte.

M. René Dosière. C’est la moindre des choses !

M. Abdoulatifou Aly. Mon propos sera donc centré, d’abord, sur l’opportunité du nouveau choix institutionnel offert aux Mahorais et, ensuite, sur les raisons de notre attachement au statut départemental.

Le changement de statut institutionnel d’un territoire est certes possible dans notre pays, mais il est laissé à la libre appréciation du Gouvernement, qui met en œuvre à sa guise l’exercice de ce droit d’option statutaire.

Mayotte compose la France depuis le traité du 25 avril 1841, soit bien avant le comté de Nice et la Savoie. Cependant les Mahorais n’ont pu exprimer leur volonté inébranlable de faire accéder leur île au statut de département français d’outre-mer qu’à leur congrès des notables du 2 novembre 1958 à l’avènement de la Constitution de la Vè République. Face à cette demande mahoraise, les gouvernements successifs ont cependant longuement tergiversé.

M. François Bayrou. C’est tout à fait vrai !

M. Abdoulatifou Aly. Certains ont estimé qu’il n’était pas dans la vocation de notre pays de balkaniser les Comores. D’autres ont soutenu que la question de Mayotte était si « dérisoire » qu’elle ne justifiait pas une remise en cause de la diplomatie française dans le monde. Pourtant, la Constitution prévoit expressément le droit à la libre disposition des populations d’outre-mer.

M. François Bayrou. Bien sûr !

M. Abdoulatifou Aly. De plus, le pragmatisme dans les relations internationales a fini par faire reconnaître toute la force juridique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui a acquis valeurs de jus cogens, alors que l’intangibilité des frontières coloniales reste un principe applicable seulement en Afrique, et surtout de manière aléatoire, ou en tout cas erratique.

Pour l’avoir bien compris, mon ami, ici présent, François Bayrou, le président du MODEM, par fidélité à la vision du regretté Alain Poher, ancien président centriste du Sénat, s’est placé depuis longtemps aux côtés des Mahorais. Désormais, nous pouvons compter en plus sur le soutien déterminant de l’actuel Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, initiateur du Pacte pour la départementalisation de Mayotte.

Ainsi, un demi-siècle après la formulation de son inlassable aspiration au statut départemental, Mayotte voit enfin sa volonté prise en considération. Au nom de l’ensemble des Mahorais, je vous adresse solennellement, monsieur le président, madame la ministre, les assurances de notre profonde reconnaissance et de notre réelle fierté d’appartenir à un grand pays démocratique comme le nôtre.

Après la justification de l’organisation du référendum, il importe maintenant de motiver notre approbation sans réserve du processus de départementalisation engagé.

Hier à contre-courant des indépendances, aujourd’hui à l’opposé de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy qui ont quitté le cadre départemental, Mayotte mise encore et toujours sur la départementalisation à l’heure où les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane sont tentés par une certaine forme de dépassement du régime départemental actuel.

Nul doute que ces départements n’ont pas la même expérience douloureuse de l’autonomie que celle vécue par Mayotte de 1946 à 1975 dans le cadre du territoire d’outre-mer des Comores.

M. François Bayrou. Très juste !

M. Abdoulatifou Aly. Plus que jamais, les Mahorais savent que le statut départemental est le meilleur rempart contre toute velléité d’invasion de leur territoire toujours revendiqué par un pays tiers. La solidarité européenne constatée lors des événements des Malouines ou de Ceuta et Melilla ne peut que renforcer cette profonde conviction.

Outre cette garantie en matière de sécurité, la probable transformation de Mayotte en département français et région ultra-périphérique de l’Union européenne constitue un formidable élan pour un développement économique, social et culturel de Mayotte. En effet, l’expérience des quatre DOM actuels témoigne que ce cadre institutionnel est non pas une fin en soi, mais plutôt l’outil indispensable pour réaliser rapidement des progrès tangibles dans tous les domaines.

C’est pourquoi, à ceux qui appréhendent les évolutions inhérentes au régime départemental, je ne peux m’empêcher de dire : « N’ayez pas peur ! L’égalité républicaine arrive ! » (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. François Bayrou et M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Abdoulatifou Aly. Pour une collectivité ultramarine si spécifique et si marquée par les inégalités en tous genres que Mayotte, construire ensemble et durant le présent quinquennat présidentiel le cinquième département français d’outre-mer constitue une vraie gageure pour l’État et les élus mahorais.

M. René Dosière. Ensemble tout est possible !

M. Abdoulatifou Aly. Mais chacun sait pertinemment qu’impossible n’est pas français.

M. François Bayrou. Très bien !

M. Abdoulatifou Aly. Les multiples défis à relever le seront dans le temps imparti. Encore faut-il noter que les considérables efforts prévus par l’État sont conditionnés par une contribution, aussi symbolique soit-elle, de l’ensemble de la population de Mayotte.

Je ne doute pas que nous serons à la hauteur des exigences de cet ambitieux projet. L’État doit tout faire pour instaurer sans délai un état civil fiable des terres et des personnes. Parallèlement, les élus de Mayotte ont à réaliser rapidement l’extension du droit commun fiscal et douanier dans l’île pour faciliter la départementalisation, puis demain l’intégration dans l’Union européenne.

Pour terminer, force est de rappeler que le Pacte pour la départementalisation de Mayotte n’aura de sens et de valeur que si les électeurs de Mayotte votent, le 29 mars prochain, en majorité en faveur du oui. Dans le cas contraire, rien ne nous garantit qu’un jour un Président de la République se risquerait de nous offrir à nouveau la faculté d’opter pour le statut départemental. C’est pourquoi il ne faut pas rater ce rendez-vous historique avec les urnes prévu pour le 29 mars prochain. Mayotte compte sur nous tous, et surtout sur chacun des électeurs mahorais. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, NC et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Lebreton.

M. Patrick Lebreton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà le territoire de Mayotte enfin engagé sur le chemin de la départementalisation. C'est donc au peuple mahorais, le 29 mars prochain, de prendre son destin en main.

Il s'agit d'un rendez vous historique non seulement pour Mayotte, mais aussi pour l'ensemble des territoires de cette aire géographique, et en particulier pour La Réunion que j'ai l'honneur de représenter dans ce débat.

Dès 1976, également par référendum, Mayotte avait revendiqué son appartenance à la communauté nationale, mais, depuis lors, force est de déplorer que son statut ne lui a pas permis de bénéficier réellement les mêmes avancées économiques, sociales ou sociétales que les autres territoires français, et singulièrement que les autres départements d'outre-mer.

M. Jean-Paul Lecoq. La France n’osait pas !

M. Patrick Lebreton. Au fil du temps, Mayotte a peu à peu été considérée comme une collectivité de seconde classe. Il en a résulté un développement entravé de cette île, qui a conduit à des mouvements importants de la population mahoraise vers La Réunion voisine qui, elle, bénéficiait de plus d'avantages.

Toutefois, il ne faut pas le nier, le décalage culturel entre les deux sociétés, mahoraise et réunionnaise, a provoqué de réelles difficultés d'intégration et de cohabitation entre les différentes communautés à La Réunion. La départementalisation à venir peut donc constituer une chance pour tous.

En effet, une seconde collectivité forte dans l'océan Indien constitue autant d'opportunités d'ouverture et de développement pour une zone fortement touchée par les difficultés économiques et sociales. Les relations bilatérales entre La Réunion et Mayotte s'en trouveront d'autant plus renforcées. La cohabitation entre Réunionnais et Mahorais sera assurément plus apaisée. Nous pourrions alors nous limiter à cette simple vision positive, mais les interrogations demeurent nombreuses, les craintes également.

Ce nouveau statut ne doit pas se transformer en un piège politique dans lequel tout le monde s'égarerait. Ce processus doit s'accompagner, certes progressivement, des dotations nécessaires pour permettre à Mayotte de faire face à ce nouveau statut.

Au delà des questions matérielles, c'est également une réelle ambition sociétale qui doit se mettre en place. Les défis sont nombreux : l'état civil, la justice cadiale, la fiscalité, le droit de la famille. Autant de sujets qui nécessiteront une réelle politique d'accompagnement pour permettre l'émergence d'une nouvelle collectivité française dans l'océan Indien : un deuxième département dans l'océan Indien.

Toutes les institutions et les infrastructures doivent être mises à niveau, car, pour ne prendre qu'un exemple, l'INSEE avoue lui-même ne pas être en mesure de nous livrer des données statistiques actualisées fiables. Le processus sera long, mais devra offrir à tous la reconnaissance de la France. A La Réunion, ce nouveau statut prendra aussi son sens pour tous ceux qui ont quitté Mayotte pour une vie meilleure.

Un nouveau statut impose non seulement de nouveaux droits, mais aussi une responsabilité partagée. La Réunion ne saurait ignorer cette évolution. Dans notre île, les Mahorais sont de plus en plus nombreux à venir chercher une vie meilleure pour eux et leurs enfants. Ils y viennent parce que notre île est le territoire français le plus proche, parce que les conditions de logements sont meilleures que chez eux, parce que, disons le franchement, sans hypocrisie, les prestations sociales y sont plus avantageuses, parce que l'on peut mieux s'y former.

Répondre à leurs attentes, c’est répondre aux besoins d’une population qui a toujours marqué son attachement à la France. Il faut clarifier sa situation et lui offrir de vraies perspectives à Mayotte, à La Réunion et en métropole.

Par ailleurs, cette évolution politique ne saurait ignorer l’environnement régional de Mayotte. Eu égard à la réalité historique, la France ne peut pas s’affranchir d’une vraie politique de co-développement dans l’archipel des Comores, voire dans la zone sud de l’océan Indien. Elle doit faire face à ses responsabilités. Rien ne devra se faire dans la précipitation ni dans l’improvisation.

C’est pour cela que je prends la parole dans cet hémicycle afin de vous rappeler que au-delà du statut, c’est une politique ambitieuse de développement qu’il faut engager, pour une zone qui en a réellement besoin, et qui est pleine de potentialités. Ensemble et par ce biais, nous pourrons voir émerger des économies insulaires stables et efficaces, pour le profit de tous. Ce sera, madame la ministre, l’une des conditions de la réussite de votre et, je l’espère, de notre projet de départementalisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je reviendrai en quelques mots sur les données historiques qui ont été rappelées.

Sans doute n’avons-nous pas tous la même vision dans ce domaine.

M. Jean-Paul Lecoq. C’est sûr !

M. Philippe Gosselin. Des sultans batailleurs du XIXsiècle, de 1841, de cette volonté, déjà, de se rapprocher de la France à la consultation du 29 mars 2009, près de 170 ans d’histoire commune ont lié Mayotte à la métropole. Certes, monsieur Lecoq, cette histoire ne fut pas toujours linéaire. Elle comprend, j’en conviens, des périodes d’amour, de désamour et d’interrogations. La France n’a pas toujours été aussi protectrice ni aussi proche qu’elle l’aurait dû. Néanmoins n’ayez aucun doute, amis mahorais : Mayotte, c’est la France et les Mahorais sont Français. Mayotte est un coin de France de 374 kilomètres carrés, situé à 8 000 kilomètres de la métropole. Pour ma part, je suis épaté de l’attachement à notre pays, que les Mahorais ont rappelé à deux reprises, librement, dans le cadre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, loin de l’État colonial que certains ont dénoncé.

Il est vrai que, depuis quelques années, plusieurs rapprochements ont été opérés sur le plan législatif ou réglementaire. Depuis 2000, l’identité législative de Mayotte a progressé. Aujourd’hui, au lendemain de la délibération de 2008, les élus de Mayotte ont souhaité aller plus loin en proclamant clairement et librement leur attachement complet, définitif à notre pays.

Oui, Mayotte, c’est la France. Pourtant, quand on revient de ce territoire, on demeure étonné par la justice cadiale, qui a beaucoup évolué cependant, ces dernières années, par la polygamie, par certains aspects du droit de succession, par la justice, par les rapports entre les hommes et les femmes. Sans doute la départementalisation sera-t-elle l’occasion de remettre certains sujets à plat.

L’article 75 de la Constitution reconnaît par exemple un droit local, en partie coutumier. Cela étant, sans qu’il soit question de tout confondre ni de tout supprimer, il faut rattacher certains modes de fonctionnement aux valeurs de la République : liberté, égalité – notamment entre hommes et femmes –, fraternité. Entre autres sujets d’étonnement, je note qu’il y a trop peu de francophones sur la belle île de Mayotte.

Celle-ci a par conséquent des défis à relever, mais de quels atouts elle dispose !

Le premier défi est démographique. Sur 374 kilomètres carrés, il y a pratiquement 200 000 habitants, et la population doublera dans les seize ou dix-sept prochaines années. C’est dire que les enjeux sont très forts. La population a été multipliée par huit depuis 1950.

Ces problèmes démographiques rejoignent ceux de l’immigration, très forte et venue essentiellement d’Anjouan. Peut-être doit-on l’attribuer à une forme de duplicité ou de laisser-faire de la part de certaines autorités. Quoi qu’il en soit, on peut regretter de ne pas avoir d’interlocuteurs qui auraient une politique fiable et durable. Pour résoudre ce problème d’immigration, une politique de co-développement, plus encore que de coopération, est sans doute à inventer, en direction des Comores et des autres territoires limitrophes.

Du fait de la jeunesse de la population de Mayotte, la scolarisation constitue un autre défi. Pour 190 000 habitants, on compte 74 000 élèves scolarisés. Il faut ouvrir un lycée et un collège par an. Combien de territoires métropolitains seraient heureux d’avoir à gérer une telle difficulté ! Qu’en dites-vous, monsieur Descœur, vous qui connaissez la pénurie et la diminution du nombre d’élèves, qui frappe les territoires ruraux ? Avoir autant de jeunes sur leur territoire constitue à la fois une chance et un atout pour les Mahorais.

D’autres défis concernent l’économie : pour intégrer les 4 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire, les uns diplômés, les autres, non, le beau nombre de 1 500 créations d’emplois demeure insuffisant. Malgré les efforts du Gouvernement, le chômage est important, et, même si le taux de croissance de 9 %, que la métropole envie, est loin d’être celui d’un territoire en déshérence, un rééquilibrage s’impose entre les différentes activités de l’île.

L’état-civil constitue lui aussi un défi. C’est une base nécessaire, car il y a aujourd’hui trop de fraudes et d’incertitudes, qui risquent de miner le développement de l’île. J’ajoute que la fiscalité et le foncier doivent être privilégiés, mais beaucoup a été dit sur ce sujet.

Face aux défis que doit relever Mayotte, que d’atouts sur le plan du tourisme, de l’agriculture, de l’aquaculture ! Chers amis de Mayotte, votre île est magnifique. Pour autant, elle n’est pas suffisamment mise en valeur et demeure encore une belle endormie attendant son prince charmant.

M. Christian Paul. Ne nous faites pas un discours de Dakar !

M. Philippe Gosselin. Sans doute seront-ils plusieurs à se présenter. Le lagon, la faune et la flore sont autant d’atouts de développement économique, que d’autres État, comme Maurice, ont su faire fructifier. L’agriculture, trop vivrière, peut se développer. L’aquaculture, encore balbutiante, est prometteuse.

M. Jean-Paul Lecoq. Quelle nostalgie de la Françafrique !

M. Philippe Gosselin. Ils seront autant d’atouts si l’on dote le territoire d’infrastructures devenues nécessaires. Le développement du numérique, du port et de l’aéroport est cher aux élus et à la population. Beaucoup a déjà été fait. Dans le cadre de notre mission, j’ai visité avec M. Dosière et M. Quentin plusieurs établissements, dont le magnifique hôpital, particulièrement performant, que beaucoup de territoires de la métropole peuvent envier à Mayotte.

M. René Dosière. On aimerait y être hospitalisé ! (Sourires.)

M. Philippe Gosselin. Nous aussi, en métropole, nous connaissons des difficultés, et nous devons régler des problèmes, mais Mayotte dispose d’atouts réels.

Le 16 décembre, un pacte a été signé en vue de la départementalisation. Faisons en sorte qu’il soit synallagmatique. Qu’il s’agisse d’un contrat gagnant-gagnant – sinon d’un win-win –, car nous avons tous à gagner à la départementalisation choisie par les habitants de Mayotte. Oui, cette île peut être le cent unième département. La France est belle quand elle est plurielle. Elle est belle et forte de sa diversité, dont l’outre-mer est un élément.

Mayotte est une fleur au milieu de l’océan Indien. Cette fleur méconnue gagnera à être intégrée à l’environnement plus large du cadre régional rénové. Elle bénéficiera d’une politique de co-développement, qui s’appuiera sur la complémentarité des îles de l’océan Indien, comme La Réunion. Les régions ultrapériphériques doivent être pensées dans un cadre européen.

L’État a le droit et le devoir d’assurer l’état-civil, de s’occuper de l’immigration, d’assurer le développement du foncier et de la fiscalité, qui constituent autant d’enjeux forts, mais les élus, les responsables de Mayotte et les associations, comme tous ceux qui peuvent peser d’une manière ou d’une autre, ont aussi un devoir de pédagogie et de vérité envers la population, qui doit se mobiliser et se responsabiliser. C’est ainsi que s’entend le gagnant-gagnant.

Méfions-nous du lyrisme : il faudra aussi du temps. Si la mission est réalisable, le processus doit être progressif. L’échéance de 2011 est amitieuse. Peut-être faut-il envisager aussi un contrat d’objectifs ou un pacte, qui permette, en prévoyant des étapes successives, de donner un peu de temps au temps, pour reprendre une formule du Président Mitterrand.

M. René Dosière. Eh oui !

M. Philippe Gosselin. Vous voyez que je puise aux meilleures sources.

M. le président. Certes, mais veuillez conclure, monsieur Gosselin, vous avez déjà dépassé votre temps de parole.

M. Philippe Gosselin. S’il faut envisager de la progressivité, il faut aussi donner confiance et, sans prévoir des délais trop longs, ne pas confondre vitesse et précipitation. La consultation du 29 mars n’est pas une fin en soi. C’est plutôt un début. Je conclurai en disant aux Mahorais : bienvenue à la maison ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le choix que nous avons à faire ce matin avec et pour Mayotte s’inscrit dans une longue histoire. Il y a plus de trente ans, les Mahorais ont exprimé le désir de voir leur île maintenue dans la République française. Depuis, chaque génération a confirmé cet attachement et cet ancrage, dans un monde postcolonial où l’émancipation et l’égalité doivent être nos valeurs cardinales.

À chaque étape, des hommes et des femmes de bonne volonté, qui étaient aussi des visionnaires, des élus de Mayotte et des dirigeants politiques de notre pays ont agi pour sortir cet ensemble d’îles du provisoire. M. Dosière l’a rappelé : si nous sommes aujourd’hui dans cette enceinte, c’est parce que, le 27 janvier 2000, les forces politiques de Mayotte et le gouvernement de Lionel Jospin ont conclu un accord sur l’avenir de l’île, qui a permis de fixer le cap de la départementalisation. Lors de la consultation du 2 juillet 2000, ce processus a été approuvé à près de 73 %. La loi de juin 2001, que j’ai eu l’honneur de présenter dans cet hémicycle, a tenu ses engagements, puisque nous sommes réunis ce matin.

La départementalisation pour les Mahorais d’aujourd’hui, comme pour Aimé Césaire qui la défendit ici même, c’est d’abord l’aspiration à l’égalité sociale dans notre République, c’est l’alignement des droits.

En vous écoutant tout à l’heure, madame la ministre, je me disais qu’il fallait que cet alignement des droits obéisse à un calendrier précis et s’accompagne dès aujourd’hui d’engagements très clairs. La départementalisation doit être la conquête de l’égalité réelle, en particulier dans les domaines essentiels que sont l’éducation et la santé.

Je veux ce matin d’abord m’adresser au Gouvernement en lui demandant de trouver, par le dialogue avec toutes les forces politiques de Mayotte, sans exception, le chemin d’un consensus sur l’évolution institutionnelle de l’archipel. Je vous demande, madame la ministre, de vous attacher à favoriser énergiquement le développement économique et social de Mayotte, à renforcer la lutte contre la pauvreté, mais aussi à soutenir l’émancipation des femmes mahoraises.

Je veux m’adresser également aux citoyens français habitant à Mayotte pour leur dire que nous soutenons leurs projets et leurs revendications statutaires car elles sont conformes à l’idée que nous nous faisons de la République. Je veux leur dire également, puisant ma réflexion dans l’actualité des outre-mer, que l’accès au statut départemental ne règlera pas tous les problèmes du quotidien ; nous le voyons bien ces jours-ci en Guadeloupe, en Martinique et ailleurs. L’égalité des droits est toujours fragile. Partout, il faut la défendre et la reconquérir quand elle est oubliée. Il en ira de même pour Mayotte.

C’est notre responsabilité, mes chers collègues, d’aider Mayotte à construire cette égalité dans la République, avant et après la consultation prévue. Mes collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen et moi-même serons très présents à chacune des étapes de ce processus.

Que Mayotte trouve dans notre République le chemin de l’égalité sociale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvia Pinel, dernier orateur inscrit.

Mme Sylvia Pinel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au risque d’étonner, je dirai très directement que les radicaux de gauche sont d’accord avec le Pacte pour la départementalisation de Mayotte que le Président de la République et le Gouvernement ont décidé de soumettre, le 29 mars prochain, au vote de la population mahoraise.

Si vous nous aviez parlé de votre action en Guadeloupe, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou en Guyane, j’aurais laissé des collègues beaucoup plus qualifiés que moi vous exprimer notre ferme désaccord, mais dans le cas précis de Mayotte, française depuis 1841, c’est-à-dire avant Nice et la Savoie, qui réclame depuis 1958 le statut de département d’outre-mer, la vérité oblige à dire que, pour la première fois, l’exécutif tient les engagements que les candidats successifs n’ont cessé de prendre devant les Mahorais, les oubliant sitôt les élections passées.

M. Abdoulatifou Aly. Très juste !

Mme Sylvia Pinel. Enfin, cette île dont les habitants ont voulu rester français contre les pressions de leurs voisins comoriens, de l’Organisation africaine, de l’ONU, contre le trop fameux sens de l’histoire et quelquefois, disons-le, contre l’avis de la France, cette île si attachante va pouvoir choisir son destin et c’est une excellente chose.

M. Philippe Gosselin. Très bien !

Mme Sylvia Pinel. Il faut toutefois avoir à l’esprit que la décision des Mahorais, si elle est parfaitement prévisible, n’ira pas sans soulever des difficultés, dont les élus de Mayotte ont du reste pleinement conscience.

La première difficulté est d’ordre diplomatique.

Un dogme tenace veut que l’on décolonise dans les frontières de la colonisation, même si cette doctrine a été oubliée au Cameroun, en Tanzanie, en Erythrée ou aux Antilles britanniques. Alors que la dernière province de l'ex-Yougoslavie a droit à un statut d'État, les Mahorais n'auraient pas le droit de choisir d'être décolonisés au sein de la République. Finissons-en avec cette idée dont les faits ont démontré l'inanité.

M. Jean-Paul Lecoq. Alors il faut changer le droit international !

Mme Sylvia Pinel. Qui se soucie vraiment de l'intégrité territoriale de l'ex-Congo belge ? Personne !

Qui peut ignorer à quel point la volonté des Mahorais d'un ancrage ferme dans la République protège leur île des convulsions que connaît actuellement, à 250 kilomètres de leurs frontières, la grande île de Madagascar ? Personne !

Qui peut méconnaître ce paradoxe étonnant, qui veut que la République fédérale islamique des Comores, pays pratiquement sans État, a connu près de trente coups d'État en trente-trois ans d'indépendance ? Personne !

M. Philippe Gosselin. Eh oui !

Mme Sylvia Pinel. En vérité, l'évolution de tous les pays de la région – qui comprend également le Mozambique, le Zimbabwe ou le Kenya – n'a cessé de donner raison aux Mahorais dont le mot d'ordre est : « Nous voulons rester français pour être libres ».

La deuxième difficulté est d'ordre juridique et institutionnel.

Vous vous proposez de créer une collectivité unique dénommée « département », exerçant à la fois des compétences départementales et régionales. Notons au passage que ce pourrait être, compte tenu de l'échec en 1983 du projet d'assemblée unique dans les DOM, un laboratoire pour la réforme de l'organisation territoriale qui occupe aujourd'hui tous les esprits. Vous aurez donc à inventer un type d'assemblée, un mode de scrutin et des modalités d'exercice des compétences nouvelles. Nous en reparlerons lorsque nous débattrons de la loi organique prévue par votre dispositif.

Toutefois vous devrez d'ores et déjà réfléchir au financement de ces compétences dévolues à ce cent unième département. Vous envisagez d'aligner la fiscalité de Mayotte sur le droit commun. Or l'essentiel des ressources de l'actuelle collectivité provient des droits de douane, des droits si élevés qu’ils mettent nos compatriotes mahorais dans une situation paradoxale : eux qui ont le niveau de vie le plus bas de France sont, en proportion, les contribuables les plus imposés.

M. Abdoulatifou Aly. Très juste !

Mme Sylvia Pinel. L'application du tarif extérieur commun à l'Union européenne et des accords avec les pays ACP de la région réduira à néant les recettes douanières. Il faudra donc bien que l'État invente un outil spécifique de solidarité financière avec Mayotte.

La troisième difficulté est d'ordre social.

Même si nous voyons bien que le Gouvernement a le souci de ne pas déséquilibrer l'économie mahoraise, on ne peut envisager, comme vous le faites dans votre feuille de route, un rattrapage des droits sociaux étalé sur une génération, c'est-à-dire vingt à vingt-cinq ans, alors que les Mahorais attendent depuis plus de cinquante ans d'être considérés comme des citoyens à part entière.

On ne peut tolérer, madame la ministre, que les femmes mahoraises s'expatrient à La Réunion ou en métropole pour percevoir leurs droits les plus élémentaires alors que, dans le même temps, Mayotte est submergée par une immigration clandestine dont la maîtrise est de la compétence de l'État, qu’il s’agisse de police comme de coopération régionale.

Nous croyons, pour notre part, que la départementalisation portera en elle-même une dynamique politique et sociale qui permettra un rattrapage rapide des droits sociaux et nous accompagnons ce vœu des Mahorais et de leurs élus.

Je sais que l'on souligne, ici et là, qu'il serait difficile de faire d'un territoire éloigné, à la population afro-arabe, islamique de surcroît et parlant essentiellement deux langues locales, un vrai département français. Je dis que cette conception de la nationalité fondée sur le territoire, la race, la langue, la religion, cette conception dite romantique qui a mis l'Europe à feu et à sang au XIX e et au XXe siècles, est à l'opposé de la conception française si bien exposée par Renan selon laquelle notre nationalité repose sur la volonté libre d'un avenir commun.

Le parti radical de gauche est fier d'avoir apporté, depuis plus de vingt-cinq ans, son soutien à la volonté des Mahorais de rester français dans le cadre départemental. Nous sommes donc fiers de soutenir aujourd'hui votre projet, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Mesdames, messieurs les députés, je serai brève, rassurez-vous, mais la courtoisie impose que je réponde aux différents orateurs.

Je remercie MM. Lagarde, Quentin et Gosselin des rappels qu’ils ont faits de l’histoire de l’archipel des Parfums, appelé aussi archipel des sultans batailleurs ; il ne faut pas l’oublier. L’idée d’une fédération des Comores évoquée par M. Lecoq s’oppose aux réalités les plus anciennes.

Mayotte a pratiquement toujours réclamé le respect de son identité, y compris d’un point de vue statutaire. Certains hauts responsables masculins se souviennent sans doute de manière cuisante de l’accueil que les femmes mahoraises leur ont réservé lors du transfert de la capitale de Dzaoudzi à Moroni.

M. René Dosière. Les fameuses chatouilleuses !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Les chatouilles sont en effet de pratique courante ! Cela en a d’ailleurs effrayé plus d’un ; je pense en particulier à ce responsable qui, pendant des années, n’a même plus osé revenir à Mayotte. (Sourires.)

Les femmes mahoraises ont toujours su imposer leurs idées au cours de l’histoire de Mayotte et savent encore imposer leur présence, comme on peut le voir dans les villages.

M. Christian Paul. Dans les villages basques aussi ! (Sourires.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Mayotte a toujours voulu avoir un statut particulier, proche de la France. C’est donc tout naturellement que ses habitants se sont exprimés à plusieurs reprises en ce sens. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes trouve sa traduction dans le referendum, monsieur Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Vous irez l’expliquer devant l’ONU !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Lorsque l’on est respectueux des personnes comme des institutions, il convient de le prendre en compte. La nostalgie de l’Union soviétique, qui n’a, que je sache, respecté ni le droit des peuples ni la liberté individuelle, l’emporte peut-être chez vous sur l’objectivité de l’analyse, monsieur Lecoq ?

M. Jean-Paul Lecoq. On va finir par croire que c’est vous qui regrettez l’Union soviétique !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Quant à la décision de l’Union africaine, elle a été prise sans aucune consultation préalable des chefs d’État et n’a servi qu’à dissimuler certaines situations qui la gênaient plus particulièrement. Il faut cesser d’invoquer des motivations aussi caricaturales. Les données géostratégiques, que j’ai quelques raisons de connaître, ont beaucoup évolué : le canal du Mozambique peut désormais être surveillé par satellite beaucoup plus aisément qu’à partir de navires ou même de radars.

Venons-en à la consultation elle-même. Elle ne constitue pas une pure formalité : un vote ne peut jamais être considéré comme acquis. La démocratie impose de prendre en compte certaines réalités. C’est la raison pour laquelle nous avons veillé à ce que les Mahorais soient informés de toutes les conséquences que pourrait avoir leur vote : un vote négatif les laisserait dans la situation actuelle ; un vote en faveur de la départementalisation aboutirait à renforcer certaines responsabilités et à faire évoluer de manière très marquée des habitudes et des règles. Nous avons donc envoyé des documents à chaque électeur et il a été demandé au préfet de veiller à ce que chacun ait parfaitement connaissance des enjeux de cette consultation. C’est ainsi que nous cherchons le consensus, monsieur Paul.

Le calendrier est précis mais il est aussi serré, je le reconnais, monsieur Dosière. S’il en est ainsi, c’est que nous devons répondre à une attente de la population mahoraise et montrer que nous ne laissons rien dans le flou. Comme M. Quentin l’a souligné, c’est aussi parce que nous voulons avancer de façon raisonnable.

Vous regrettez, madame Pinel, que certaines mesures soient étalées dans le temps.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est nécessaire !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà rendue à Mayotte, mais il faut bien avoir conscience de la réalité quotidienne des Mahorais et de leur niveau de vie. Passer à un système de prestations ou de salaires équivalent à celui de la France serait irresponsable.

M. Jean-Christophe Lagarde. En effet !


Mme Michèle Alliot-Marie,
ministre de l’intérieur. Tout le système économique et social éclaterait, sans parler de l’immigration qui s’ensuivrait. Prévoir un étalement dans la durée est dans l’intérêt de chacun et les élus mahorais le comprennent.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ils le demandent !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Pour autant, nous essayons de faire les choses objectivement et raisonnablement. À cet égard, monsieur Dosière, je ne crois pas que nous allions trop vite car tout cela a fait l’objet de préparations.

Par ailleurs je ne peux pas vous laisser dire que nous n’aurions pas pris en compte les problèmes soulevés par la mission parlementaire que vous avez effectuée avec M. Quentin et M. Lagarde. En effet, nous avons pris en compte les dysfonctionnements que vous avez constatés pour essayer d’apporter des réponses. C’est ainsi que l’État a réalisé un audit de la situation, mairie par mairie, et que nous avons renforcé les contrôles des crédits versés aux communes.

Nous n’aurions pas suffisamment écouté les Mahorais, et notamment les élus mahorais, avez-vous dit également. Ce n’est pas vrai, puisque nous avons établi la feuille de route à partir des travaux du comité pour la décentralisation qui avait été mis en place par le conseil général. Tous les points ont été abordés et nous avons pris en compte les réactions des uns et des autres.

J’en viens maintenant à l’état civil, sujet qui a été évoqué par Mme Pinel, MM. Dosière, Lagarde, Lecoq, Quentin, Aly et Gosselin.

C’est une priorité et un préalable que d’avoir un état civil crédible. Pour ce faire, nous avons besoin de moyens conséquents. Des mesures de réorganisation interne ont été prises qui visent à améliorer le rendement, l’efficacité et la rapidité de la commission. Une opération entre les services sera organisée en 2009 pour inciter les Mahorais qui le souhaitent à saisir la commission de recensement, de façon que nous puissions voir individuellement tout ce qui manque et accélérer les choses.

Monsieur Dosière, vous proposez la création d’une agence publique de l’état civil. Pour ma part, je suis prête à étudier toutes les propositions, mais il faut se souvenir que l’état civil est de la responsabilité essentielle des communes.

M. Christian Paul. Mais dans le terme « état civil », il y a le mot « état » !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Il n’est pas question de leur retirer cette compétence, d’une part parce qu’elles ne le comprendraient pas, d’autre part parce que cela va à l’inverse de ce que nous essayons de faire.

Cela dit, monsieur Dosière, il est nécessaire de mieux renforcer le lien entre les préfets, les parquets, c’est-à-dire d’une façon générale les services de l’État, et les communautés, sous une forme qui reste à définir. Comme vous, je pense qu’il faut inventer des modalités de transmission informatique entre les gouvernements et les collectivités.

M. Christian Paul. Il faut étudier la proposition de M. Dosière !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. C’est de cette manière que nous pourrons rendre plus fiable l’état civil. Il s’agit donc de problèmes techniques et juridiques et non de problèmes politiques.

S’agissant de l’immigration, un problème très concret se pose aujourd’hui, celui du centre de rétention administrative de Mayotte.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué sa situation, notamment M. Lagarde et M. Lecoq. Des travaux importants y ont été réalisés pour un montant de 260 000 euros, mais, compte tenu de la pression, nous avons conscience que cela est insuffisant. C'est la raison pour laquelle il a été décidé, en 2008, de construire un nouveau centre de rétention administrative de 140 places pour un montant de 20 millions d’euros. Les travaux débuteront cette année pour s’achever au mois de juin 2011. Il s’agit donc bien là d’une réponse au souci que vous exprimiez.

M. Jean-Paul Lecoq. Vingt millions d’euros ! C’est Guantanamo ! Il aurait mieux valu construire des écoles !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. MM. Quentin, Lagarde et Ali ont rappelé que les moyens avaient été renforcés pour essayer de lutter contre l’immigration clandestine. À cet égard, les effectifs de la police de l’air et des frontières ont été augmentés et les moyens de surveillance maritime accrus grâce à l’installation de trois radars.

Cela étant je suis persuadée que l’on ne parviendra pas à empêcher totalement une immigration clandestine sans agir en amont. Comme je l’ai déjà souligné, si les gens cherchent à venir, c’est parce qu’ils sont confrontés, chez eux, à d’énormes problèmes.

M. Jean-Paul Lecoq. C’est souvent une question de survie !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. C’est la raison pour laquelle la coopération avec les Comores est indispensable. De ce point de vue, il faut rappeler qu’un groupe de travail a été mis en place entre le Gouvernement français et celui des Comores, mais cette coopération n’est pas toujours facile du fait de l’instabilité politique des Comores qui ont connu plusieurs coups d’État au cours des années passées.

M. Jean-Paul Lecoq. Avec parfois l’aide de la France !

Jean-Christophe Lagarde. Ce qui s’est passé à Anjouan n’a pas été le fait de la France !

M. Jean-Paul Lecoq. Dois-je vous rappeler certains coups d’État ?

M. le président. Pas de dialogue, mes chers collègues, vous avez eu tout le loisir de vous exprimer !

Poursuivez, madame la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. J’ajoute qu’il existe des tensions très fortes au sein même de la fédération des Comores entre les îles, et ce qui s’est passé il y a quelques mois à Anjouan le prouve.

Le comité à haut niveau a inscrit le projet de création d’un hôpital moderne à Anjouan.

De la même façon, la libre circulation entre les îles des Comores est l’un des sujets de ce groupe de travail. M. Lebreton a rappelé, à juste titre, la nécessité d’envisager ces types de rapport, non seulement entre les Comores et Mayotte, mais dans le cadre plus général de l’ensemble de l’océan Indien. Cet élément est important quand on sait le nombre de Mahorais et de Comoriens qui vivent à La Réunion, à Madagascar, à Mahajanga et Nossi-Be notamment.

Qui dit immigration irrégulière, dit souvent travail illégal. En la matière, j’ai donné des instructions très fermes au préfet pour lutter contre cette pratique, car il s’agit d’un élément de déstabilisation à court mais aussi à long terme. Il faut savoir que des liens serrés existent entre les différentes îles de l’archipel, la polygamie en constituant l’un des éléments ; nombre de Comoriens ont des femmes dans presque toutes les îles.

En tout état de cause, nous ne pouvons pas admettre le travail illégal sur le territoire de la République. Voilà pourquoi j’ai donné des instructions pour que ces mesures s’adressent à tout le monde car j’ai entendu des suspicions qui porteraient sur certaines personnalités. Je le dis très clairement : personne ne sera protégé. J’ai d’ailleurs demandé à Yves Jégo, secrétaire d’État chargé de l’outre-mer, de le rappeler aux élus mahorais pour qu’ils diffusent l’information autour d’eux. Je crois savoir qu’il l’a fait lors de son dernier déplacement à Mayotte, au mois de janvier.

M. Jean-Paul Lecoq. Des noms !

M. René Dosière. Des têtes vont tomber ! (Sourires.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. J’en viens maintenant au développement économique qui doit être un souci majeur parce que la départementalisation doit être l’occasion de révéler, de développer les atouts de Mayotte tenant à sa localisation, à son environnement, à la beauté de son lagon, à ses capacités productrices.

Tout cela doit permettre de donner des perspectives aux Mahorais qui ne soient pas des perspectives d’assistance mais bien de développement économique et social. De ce point de vue, le contrat de projet 2008-2014 prévoit des investissements importants permettant le développement économique de Mayotte, à commencer par la création d’une piste longue sur l’aéroport. Cette réalisation est une priorité pour développer le tourisme.

M. Didier Quentin. Bien sûr !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Il ne servira à rien en effet de construire des infrastructures si les gros-porteurs ne peuvent pas atterrir à Mayotte.

Le contrat de projet prévoit également la création d’un nouveau quai au port de Longoni qui doit offrir de nouvelles possibilités dans le domaine de la pêche.

J’ajoute que le plan de relance qui a été présenté il y a quelques jours intègre un certain nombre de travaux pour Mayotte, notamment dans les établissements scolaires.

Enfin, monsieur Gosselin, je vous précise que le désenclavement du numérique est essentiel pour le développement de Mayotte, et qu’il est envisagé à une échéance 2010-2011, dans le cadre de l’effort engagé par France Télécoms pour installer le haut débit dans tous nos départements de l’océan Indien, et même en coopération au-delà de nos départements. Ce sont là des bases indispensables à un développement économique et social, mais nous savons aussi les uns et les autres que la construction de l’avenir repose d’abord sur une richesse essentielle : celle des hommes et des femmes. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Le débat est clos.

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite du projet de loi sur la réforme de l'hôpital.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures quinze.)