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N° 1443

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2009.

DÉCLARATION

du Gouvernement sur le changement de statut de Mayotte,

PRÉSENTÉE

PAR Mme Michèle ALLIOT-MARIE,

ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

Monsieur le président,

Mesdames et messieurs les députés,

Depuis 1976, Mayotte, collectivité territoriale à statut particulier, a connu de multiples réformes. Pourtant, elles n’ont pas suffi à répondre à la volonté, exprimée à de multiples reprises par les Mahorais, de se rapprocher de la métropole.

Lors de sa campagne, le Président de la République s’était engagé à consulter les Mahorais pour trancher la question institutionnelle. Le conseil général de Mayotte s’est prononcé le 18 avril 2008 à l’unanimité en faveur de la départementalisation. Dès lors, le Gouvernement a proposé le pacte pour la départementalisation, que le Président de la République a présenté le 16 décembre dernier et qui est en quelque sorte notre feuille de route.

Un échange avec les élus mahorais a conduit à modifier et à améliorer le texte sur un certain nombre de points. La procédure de changement de statut décidée par le Gouvernement a été lancée le 14 janvier. Le décret du 20 janvier 2009 met en œuvre la décision d'organiser la consultation des électeurs. Le 29 mars prochain, par référendum, les Mahorais se prononceront démocratiquement sur leur avenir.

La question posée aux électeurs sera libellée ainsi : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée « Département », régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d'outre-mer ? »

L'organisation de ce scrutin exige que la transparence et l'information des électeurs soient assurées à toutes les étapes de la consultation. La réponse qu’ils donneront, positive ou négative, implique des transformations importantes. Il est donc essentiel pour la démocratie que chacun sache exactement à quoi il s’engage en déposant son bulletin de vote dans l’urne. Lors de la phase préparatoire au scrutin, le pacte pour la départementalisation a été adressé à l'ensemble des foyers mahorais. Il s'accompagne d'un résumé – le document est assez important – traduit dans les deux langues communément parlées à Mayotte en plus du français.

Après le scrutin, dans l'hypothèse où les Mahorais accepteraient l'évolution institutionnelle proposée, un projet de loi organique serait présenté dès cet été à la représentation nationale pour en tirer les conséquences. Une loi ordinaire le compléterait.

La feuille de route, définie par le Gouvernement en concertation avec les élus de Mayotte, permettra de traduire concrètement cette évolution si les Mahorais décident de s’y engager le 29 mars. Elle précise les principes qui guideront la mise en place des nouvelles institutions et elle fixe de nouveaux objectifs à la politique de développement économique, social et culturel de Mayotte.

S’agissant d’abord des institutions, leur évolution doit permettre de réaffirmer les principes et les valeurs de la République.

Ces institutions doivent être en phase avec les aspirations des élus mahorais : c'est le premier objectif du Gouvernement. En cas de réponse positive au referendum, le département de Mayotte sera créé en 2011.

Il s'agira d'une collectivité à statut particulier tel que le prévoit l'article 73 de la Constitution, regroupant les compétences du département et de la région ; on ne saurait en effet superposer ces deux niveaux d’administration sur un territoire aussi réduit. S’agissant du mode de scrutin et du nombre de conseillers, la discussion est en cours avec les élus mahorais pour les fixer en adéquation avec le pacte et avec l’environnement local.

De toute façon, il est important de clarifier les responsabilités de chacun. Une nouvelle répartition des compétences sera donc opérée entre la collectivité unique et les communes actuelles. La mise en place de la taxe foncière donnera de nouveaux moyens aux maires pour exercer leurs responsabilités. La tutelle de fait du conseil général sur les communes disparaîtra.

Ensuite, il conviendra de définir les ressources du département et sa fiscalité. Celle-ci sera progressivement alignée sur le droit commun. Pour garantir les ressources de la future collectivité, des adaptations seront toutefois nécessaires pour la fiscalité professionnelle comme pour celle des particuliers. Un travail en profondeur devra être poursuivi pour la valorisation du plan cadastral.

Enfin, l'évolution institutionnelle entraînera une modification du statut de Mayotte au regard du traité de l'Union européenne. Mayotte est actuellement classé comme "pays et territoire d'outre-mer" et les Mahorais souhaitent l'évolution de son statut vers celui de région ultra-périphérique. Le Gouvernement portera cette demande. Elle aura pour condition la validation des acquis communautaires. L'accès aux fonds structurels européens ne sera de toute façon possible qu'à l'échéance de l'actuel programme, en 2013.

Cela étant la création d'une nouvelle collectivité n'est pas une simple question technique. Elle doit aussi permettre de conforter Mayotte dans la République.

La mise en place d'un état-civil stable est la garantie du respect des droits de chacun. Un travail important a été réalisé par la commission de révision de l'état-civil. Beaucoup reste à faire, je ne le nie pas. A l’évidence, la commission doit mener ses travaux plus rapidement et de façon plus efficace. Son fonctionnement sera donc aménagé et amélioré. Je travaille avec le garde des sceaux pour mettre en place les éléments et les procédures nécessaires.

Conforter Mayotte dans la République, c'est aussi réaffirmer que s’y appliquent les principes qui fondent notre pacte républicain, à commencer par l'égalité entre les hommes et les femmes, qui devra être pleinement respectée. Pour connaître un peu Mayotte, je sais qu’il y a le droit et qu’il y a la pratique. Depuis fort longtemps, les femmes jouent un grand rôle dans la société mahoraise.

Il faut cependant aménager les règles en vigueur, en premier lieu celles qui concernent le mariage devront être alignées sur celles qui prévalent sur l’ensemble du territoire. Cela signifie notamment que la polygamie sera désormais interdite. De même, l'âge légal minimum des femmes pour se marier sera relevé de quinze à dix-huit ans. Toute référence au tuteur matrimonial sera supprimée, afin de garantir le libre consentement des époux. Le mariage religieux devra être précédé d’un mariage civil célébré en mairie par un officier d'état-civil. Tous ces aménagements doivent garantir que les règles qui prévalent sur l’ensemble de notre territoire sont respectées à Mayotte.

Des modifications importantes auront lieu également dans le domaine de la justice. À Mayotte, comme sur tous les territoires de la République, tous les citoyens français doivent bénéficier des mêmes droits et garanties devant la justice. La justice cadiale sera donc supprimée. Les cadis pourront continuer à exercer une mission d'expertise et de médiation auprès des magistrats de droit commun, mais ce ne seront plus eux qui rendront la justice.

Enfin, le français est la langue de la République. Sur ce plan, nous savons bien qu’il faut encore faire un certain nombre de progrès. La maîtrise du français est également un élément important pour donner à l’ensemble des Mahorais la possibilité de participer au développement économique et social. Le Gouvernement s'engage à mobiliser l'ensemble des services publics concernés – éducation nationale, culture, audiovisuel – et il travaillera avec le monde associatif qui a un grand rôle à jouer en la matière.

La départementalisation entraîne donc d'importants changements institutionnels. Elle doit aussi s'accompagner d'un nouvel élan pour le développement économique, social et culturel de Mayotte. C'est la deuxième ambition de la feuille de route.

Cela implique de disposer d’instruments adaptés. Ainsi, un fonds de développement économique, social et culturel, contribuera à doter Mayotte des équipements nécessaires au développement de l'île. Dans ce domaine, même si beaucoup de progrès ont déjà été accomplis, nous devons poursuivre nos efforts. Pour des raisons d'efficacité et de rapidité, ce fonds sera créé à partir de l'actuel fonds mahorais de développement dont les ressources seront réévaluées. Par ailleurs, les acteurs socio-économiques seront mieux associés à sa gouvernance.

Il n’en reste pas moins que le développement économique de Mayotte n’a de sens que si les habitants de l’île constatent un progrès pour eux-mêmes. Il doit donc s’accompagner d’un développement social équilibré. Ainsi, à partir de la situation actuelle, il nous faut déterminer selon quel calendrier et avec quels moyens il sera possible d’atteindre l’alignement général que nous visons.

L’égal accès aux prestations sociales constitue l’une des conditions de cette évolution. Il répond à la finalité première du développement économique : le développement et l’épanouissement des personnes. Toutefois, actuellement, compte tenu des spécificités de Mayotte, il n'est ni possible ni souhaitable de verser immédiatement les prestations sociales au même taux que dans les départements de métropole et d'outre-mer. Le risque serait de déstabiliser l'économie de l'île et de créer un nouvel appel d'air qui aggraverait l’immigration irrégulière. L'alignement des prestations sociales sera donc progressif.

Ainsi, nous sommes prêts à revaloriser les allocations familiales dès 2010, et à poursuivre cet effort en 2011. La revalorisation de l'allocation spéciale pour les personnes âgées et de l’allocation pour les adultes handicapés pourra également se faire à la même date. J'ai demandé une expertise sur cette question afin que les montants tendent à se rapprocher de ceux versés en métropole et dans les autres départements d’outre-mer.

Par ailleurs, une mission interministérielle d'audit sur le logement social sera menée, à Mayotte, dans les tout prochains mois. Dès que nous connaîtront ses résultats, la création de l'allocation de logement social pourra être envisagée. Selon les conclusions de la mission, elle devrait être versée en 2010 ou en 2011.

Le revenu de solidarité active et les autres allocations de solidarité seront mis en place en 2012, à un niveau équivalent au quart du niveau national. Elles progresseront ensuite pendant une période d'environ vingt à vingt cinq ans, avant de rejoindre la norme nationale.

Je le soulignais, le problème de l’immigration irrégulière demeure une préoccupation majeure. Au sein de l’archipel des Comores, et même au-delà, les conditions de vie à Mayotte créent, d’ores et déjà, un appel d’air considérable en termes d’immigration. Avec les améliorations en cours, la tentation d’une émigration vers Mayotte, quel qu’en soit le prix, sera encore plus grande pour des populations qui connaissent dans cette zone des situations extrêmement difficiles.

Il est nécessaire que Mayotte puisse se développer, mais il faut également prendre en compte la réalité humaine de ceux qui, aux environs de l’archipel, tentent d’échapper à la misère ou de résoudre par l’exil d’autres problèmes de nature politique. Pour préserver l'équilibre social de Mayotte, il faut donc agir avec humanité, mais aussi avec fermeté, à l'égard de l'immigration irrégulière. Cela nécessite de faire usage d’outils adaptés à la situation mahoraise. En effet la pression de l’immigration irrégulière sur place est infiniment supérieure à celle que connaissent tous les autres territoires de la République. Tout en veillant à ce qu’elles s’appliquent avec humanité, les règles de droit spécifiques à Mayotte, concernant l'entrée, l'éloignement et le séjour des étrangers sur le territoire national, devront donc être maintenues.

Le Gouvernement forme de hautes ambitions pour Mayotte.

Nous faisons le choix de la responsabilité, en confiant l'avenir de Mayotte à la décision souveraine des Mahorais. Nous faisons le choix de l'efficacité, en inscrivant l'évolution institutionnelle de Mayotte dans un calendrier resserré. Nous faisons le choix des valeurs, en réaffirmant les valeurs qui font, aujourd'hui comme hier, l'unité de notre République et la pérennité de notre démocratie.


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