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Délégation pour l’Union européenne

mercredi 21 novembre 2007

16 h 15

Compte rendu no 19

Présidence de M. Pierre Lequiller Président de la Délégation pour l'Union européenne
et de M. Christophe Guilloteau Secrétaire de la commission de la défense nationale et des forces armées

I. Communication de M. Daniel Garrigue sur le Livre vert « L’espace européen de la recherche : nouvelles perspectives » (E 3501)

M. Daniel Garrigue, rapporteur, a indiqué que le Livre vert était un document important, s’inscrivant dans le cadre de la préparation du prochain cycle de la stratégie de Lisbonne qui doit s’ouvrir en 2008. L’objectif de création d’un espace européen de la recherche approuvé en 2000 lors du Conseil européen de Lisbonne, a trois composantes : créer un « marché commun » de la recherche et de l'innovation, permettant la libre circulation des connaissances, des chercheurs et des technologies ; améliorer la coordination des politiques et des activités nationales de recherche ; mettre en œuvre et financer des initiatives au niveau européen.

Le Livre vert a été publié le 4 avril 2007, en vue de servir de base à un débat institutionnel et public sur les moyens d’approfondir et d’élargir l’espace européen de la recherche. A partir de cette consultation, la Commission souhaite proposer des initiatives pour 2008.

La Commission affirme une réelle volonté de donner une nouvelle impulsion à l’espace européen de la recherche.

Elle propose de développer l’espace européen de la recherche autour de six grands axes.

Elle souligne d’abord la nécessité de réaliser un marché du travail unique pour les chercheurs, avec un niveau élevé de mobilité entre institutions, disciplines, secteurs et pays, cette mobilité étant encore plus importante que pour d’autres professions car elle a des répercussions sur la circulation des connaissances et l’innovation. La Commission rappelle aussi que les conditions de travail et les possibilités de carrière des chercheurs sont bien moins favorables qu’aux Etats-Unis, ce qui conduit de nombreux diplômés à quitter l’Union européenne.

La Commission met ensuite l’accent sur le développement d’infrastructures de recherche d’envergure mondiale, intégrées, mises en réseau et accessibles aux chercheurs de toute l’Europe et du reste du monde. Elle souligne cependant que le budget du 7ème programme-cadre de recherche et développement (PCRD) ne permettra pas de financer la mise en œuvre de la feuille de route des infrastructures prioritaires identifiées en 2006 par le forum stratégique européen sur les infrastructures de recherche (ESFRI), qui coûterait 14 milliards d’euros sur 10 ans. Un cofinancement sera donc nécessaire.

La troisième priorité est l’existence d’excellentes institutions de recherche, engagées dans une coopération et des partenariats public-privé efficaces. La Commission souhaite la constitution de communautés de recherche virtuelles européennes.

La Commission veut favoriser un véritable partage des connaissances, entre la recherche publique et les entreprises, mais aussi avec le public. Elle exprime sa déception sur le blocage du brevet communautaire et sa volonté pragmatique d’avancer sur le brevet européen.

La Commission entend promouvoir des principes communs et l’ouverture réciproque des programmes nationaux et régionaux, développer les réflexions communes sur les grands enjeux et améliorer l’articulation entre la recherche communautaire et les actions des organismes de recherche intergouvernementaux.

Enfin, elle se prononce pour une approche cohérente de la coopération scientifique et technologique internationale, en distinguant les coopérations avec les pays voisins, les pays en développement et les pays industrialisés et émergents.

Si l’on veut que cette volonté aboutisse, il faut aller au-delà des propositions de la Commission, tant du côté des Etats membres que de l’Union européenne.

Le Livre vert contient de nombreux éléments positifs. Parmi les points intéressants on peut citer la référence aux infrastructures de recherche et au programme défini par le forum ESFRI pour la mise en œuvre d’infrastructures de recherche d’envergure mondiale ; l’importance donnée aux infrastructures électroniques (avec l’exemple des banques de données et des réseaux à grande vitesse tels que GEANT et les technologies Grid) ; les efforts de coordination des programmes nationaux de recherche dans le cadre des actions ERA-Net, qui ont beaucoup progressé et s’affirment désormais comme un instrument essentiel de la recherche européenne ; la réflexion sur le système des publications scientifiques, bien qu’il soit nécessaire de rester vigilant sur la question des droits de propriété intellectuelle ; le soutien au brevet européen et à son amélioration ; la nécessité de développer les partenariats public-privé ; la volonté d’ouverture vers l’extérieur avec pour objectif l’excellence en matière de recherche, la coopération avec les pays en voie de développement.

Il est cependant nécessaire d’aller au-delà des propositions de la Commission, tant du côté des Etats membres que de celui de l’Union européenne.

Il convient d’abord que les Etats membres se sentent plus fortement impliqués. Plusieurs aspects développés dans le Livre vert relèvent en effet des politiques nationales : l’autonomie des institutions de recherche et notamment des universités, la mobilité des chercheurs.

Si les récentes réformes de l’université intervenues en France vont dans le bon sens, les conditions pour permettre une mobilité élevée des chercheurs, et notamment pour attirer les chercheurs étrangers doivent encore être améliorées, notamment en ce qui concerne les possibilités de contractualisation.

Il serait nécessaire de faire un diagnostic critique de la stratégie de Lisbonne, dont l’espace européen de la recherche est une composante importante. La part proprement européenne de la stratégie de Lisbonne devrait être renforcée car cette stratégie repose actuellement trop sur les Etats membres, et elle devrait être plus volontariste.

L’Union européenne devrait mieux définir les contours de certains outils. Ainsi, les rôles respectifs des réseaux d’excellence du PCRD, des communautés de recherche virtuelles et des centres d’excellence proposés dans le Livre vert, ou encore des communautés de la connaissance et de l’innovation du futur Institut européen de technologie, devraient être précisés.

L’intérêt du recours à l’article 169 du traité CE (relatif à la participation de l'Union européenne à des programmes de R&D entrepris par plusieurs Etats membres) devrait aussi faire l’objet de précisions. Cette procédure n’a été pour l’instant appliquée qu’une seule fois.

Au-delà du PCRD, il convient d’assurer une meilleure articulation entre instruments européens et instruments nationaux.

Le principal instrument de la politique européenne de recherche est le PCRD. Actuellement le 7ème PCRD représente un budget de 50,5 milliards d’euros pour la période 2006-2013. La France participe activement au PCRD, qui fonctionne à partir d’appels à projets dans différentes thématiques de recherche et différents instruments de coopération.

Au-delà de cette coopération, le rôle de la coordination des politiques nationales est fondamental, l’essentiel de l’effort de recherche européen relevant des Etats membres. La recherche est actuellement une compétence d’appui de l’Union, appelée à devenir une compétence partagée dans le traité modificatif.

Une meilleure articulation entre instruments de recherche nationale et instruments européens est donc nécessaire, par exemple entre le Conseil européen de la recherche, créé dans le 7ème PCRD afin de financer la recherche fondamentale, et l’Agence nationale de la recherche en France, qui fonctionne également sur le principe de l’appel à projet.

L’affirmation de priorités de recherche au niveau européen est nécessaire. En effet, l’un des faits importants résidera dans l’affirmation de vraies priorités communes à l’échelle de l’Europe. On a déjà souligné, et les rapports de la Cour des comptes s’en sont fait l’écho sur les sciences du vivant et sur les STIC (technologies de l’information et de la communication), la difficulté d’affirmer et de tenir désormais de véritables priorités dans un cadre purement national. Le champ de plus en plus illimité de la recherche et le cadre nécessairement plus étroit des moyens budgétaires y entrent inévitablement en conflit.

Ce n’est qu’à l’échelle de l’Europe, et autour d’un nombre plus ouvert de priorités que cette contradiction pourrait être surmontée. Les discussions actuellement en cours sur Galileo – et qui mettent en jeu financement communautaire, transfert de ressources inutilisées sur d’autres budgets, et principe intergouvernemental du juste retour – sont bien au cœur de cette problématique. On doit souhaiter qu’elles aboutissent positivement et ouvrent ainsi de nouveaux champs d’action.

Dans le domaine de l’énergie, l’initiative pour élaborer un plan stratégique européen pour la technologie énergétique est un exemple intéressant. L’Europe de la défense, qui sera évoquée tout à l’heure, est également un enjeu important car elle peut contribuer à augmenter l’effort de recherche.

Enfin, le Livre vert ne fait pas référence au programme pour l’innovation et la compétitivité, qui relève du commissaire aux entreprises M. Günter Verheugen, ce qui pose la question de la cohérence des différents projets au sein de la Commission.

M. Jacques Myard, après avoir rappelé que la recherche diffuse au niveau mondial, s’est déclaré en désaccord avec le fait de définir la politique européenne de la recherche au travers du budget européen. Cela risque d’entraîner des revendications de chaque Etat d’en disposer d’une part, alors qu’à l’exception de pays comme la Finlande, en pointe sur les télécommunications, seuls les « grands » pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France ont une recherche importante.

Il faut certes avoir dans ce domaine une approche commune et l’Europe doit engager un effort très important dans un certain nombre de domaines, et notamment dans les sciences du vivant. Mais il faut laisser les pays agir pour éviter le saupoudrage et la stratégie européenne ne doit pas passer par le budget. Il est nécessaire d’avoir dans chacun des domaines un chef de file incontesté, qui sera issu de quatre ou cinq pays, et de mobiliser l’argent le plus près possible de la dépense.

Après avoir souligné que sur les vingt-trois secteurs déterminés comme étant ceux du XXIe siècle par une étude parue récemment aux Etats-Unis, la France était leader dans dix-sept, il a noté que la recherche était financée aux Etats-Unis non seulement par le Pentagone mais aussi par les Etats.

M. Daniel Garrigue a répondu que la recherche est, plus que jamais, transnationale et ne peut plus être appréhendée au niveau national.

Il importe donc d’être présent là où il y a des enjeux très forts et si l’Europe veut exister en tant que telle, il lui faut la maîtrise d’un certain nombre de techniques et la volonté d’affirmer des priorités.

Il est donc nécessaire d’échapper au cadre national à l’intérieur duquel on ne peut arriver à la masse critique : définir des priorités au niveau européen avec des masses de financement cohérentes s’impose donc.

Il a conclu son intervention en soulignant que l’élément moteur de la recherche aux Etats-Unis était les financements du Pentagone et des grandes agences.

Puis la Délégation a pris acte de ce Livre vert.

II. Audition, commune avec la commission de la défense nationale et des forces armées, de M. Nick Witney, ancien directeur de l’Agence européenne de défense, sur l'Europe de la défense

Le Président Pierre Lequiller, après avoir accueilli M. Nick Witney, ancien directeur de l’Agence européenne de défense – poste auquel vient de lui succéder, le 1er octobre, M. Alexander Weis –, lui a demandé de dresser un premier bilan de sa mission et de décrire les perspectives de renforcement de l’Europe de la défense dont le Président de la République a fait l’une des priorités de la future présidence française.

À cet égard, quelles adaptations doit-on apporter à la stratégie européenne de sécurité, qui date de 2003, afin que l’Union devienne un véritable acteur politique sur la scène internationale ? Comment envisager, pour un avenir proche, la coopération structurée permanente prévue par le Traité de Lisbonne ? Faut-il prévoir une réversibilité afin de faciliter la coopération de certains Etat membres ? Plus généralement, quelles sont les priorités pour l’Europe en matière de défense ?

Le Président Christophe Guilloteau, après avoir excusé M. Guy Teissier, Président de la commission de la défense nationale, a rappelé combien la liberté de ton et d’esprit de M. Nick Witney avait déjà été appréciée lors d’une précédente audition devant la commission de la défense. Il a souligné l’importance de cette réunion, chacun étant conscient du caractère indispensable de l’Europe de la défense, comme le ministre de la défense l’a encore rappelé le matin même, au cours d’un colloque à l’IHEDN.

M. Nick Witney, après avoir indiqué que, nécessité faisant loi, sa prochaine fonction au sein d’un think tank sur les relations internationales à Paris lui permettra d’apprendre le français, a estimé, en qualité de premier responsable de l’Agence européenne de défense, que celle-ci a connu quelques succès en tant que structure, ne serait-ce que par la composition de son personnel, où plus de vingt nationalités sont représentées, ou même par le fait qu’elle ne soit pas devenue une « usine à gaz ». Au contraire, ses résultats sont conformes aux grands objectifs qui ont présidé à sa fondation, qu’il s’agisse de travailler avec les Etats membres pour s’assurer que les budgets de la défense en Europe sont dépensés à bon escient, de créer les capacités de défense nécessaires au XXIe siècle ou d’encourager une meilleure mise en commun des moyens et des ressources.

Il s’est agi, à la fois, de s’inscrire dans des perspectives de long terme et d’aboutir, sur le plan pratique, à des résultats à court terme.

S’agissant du long terme, deux documents importants ont permis de rassembler les différents points de vue : le rapport « Long term vision », publié en 2006, et l’été dernier, le Plan d’action européen sur les capacités, qui doit être finalisé pour l’été prochain.

Pour ce qui est des résultats plus tangibles, la mise en place d’un marché de l’équipement de la défense plus européen a été encouragée afin de parvenir à un meilleur rapport entre l’offre et la demande. La plupart des ministres de la défense se sont ainsi mis d’accord sur un code de conduite en matière de marchés publics auquel les industriels du secteur devront se conformer. Le site Internet de l’Agence publie à cet égard des appels d’offres à hauteur de dix milliards d’euros qui s’adressent aux entreprises dans toute l’Europe.

De même, un premier effort a été lancé en matière de recherche et technologie avec la création, pour l’élaboration de projets communs, d’un fonds spécialisé, abondé en fonction des efforts de recherche de chacun des contributeurs. Ce premier fonds, qui tend à mettre en commun les ressources intellectuelles, semble rencontrer un grand succès. Pour ce qui est de sujets plus spécifiques, tels que l’équipement de l’infanterie ou les drones aériens (« Unmanned Air Vehicle » - UAV), de plus petits groupes se rassemblent pour coopérer. Cela étant, les projets communs ne sont pas assez nombreux.

Finalement, et contrairement à ce que l’on aurait pu croire au départ, l’accord de vingt-six ministères de la défense a été plus facile à obtenir pour ce qui est de la vision stratégique que le versement de quelques sous par les budgets nationaux. On sent comme une force d’inertie : outre le fait que les différents ministères sont engagés dans des projets à long terme, ces mêmes structures sont très conservatrices. Or, sans détermination politique bien affirmée, la machine qu’est la défense a tendance à se mouvoir très lentement. Tel est du moins l’enseignement que l’on peut tirer d’une expérience de trois ans à la tête de l’Agence.

Avec l’arrivée du Président Sarkozy, de nouvelles idées sont apparues, qu’il s’agisse de la publication du Livre blanc, de la relance de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ou de la possibilité d’un rapprochement avec l’OTAN. C'est là une dynamique qui peut permettre d’aller de l’avant. Les personnels de l’Agence attendent d’ailleurs avec grande impatience la présidence française du second semestre 2008.

M. Daniel Garrigue, revenant sur la remarque selon laquelle il était plus facile de progresser sur le terrain conceptuel que de rassembler des moyens financiers, a demandé sur quels concepts il avait été possible d’avancer le plus. Si l’on veut aller de l’avant de façon significative, il faut, plutôt que le rassemblement de tous les acteurs, une mise en œuvre de coopérations renforcées.

En matière de défense antimissile, par ailleurs, une réflexion a-t-elle été engagée entre les différents Etats afin de concevoir un système strictement européen ?

Enfin, la Commission européenne ayant lancé, dans le cadre du programme-cadre de recherche et développement (PCRD), des initiatives à vocation civile, est-il possible d’envisager une forme de recherche duale ?

M. Jacques Myard s’est demandé si les vingt-sept Etats de l’Union ont vraiment la volonté de disposer d’une défense européenne et s’il ne revient pas plutôt aux quelques grands en la matière, c’est-à-dire la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France et, sans doute, l’Italie et l’Espagne s’agissant de certains enjeux méditerranéens, de lancer des coopérations à deux ou plus, sachant que les autres pourront toujours les rejoindre.

Pour ce qui est, par ailleurs, des projets industriels, s’il n’y a pas de pilote dans l’avion, c’est-à-dire de maître d’œuvre, les coopérations à 50-50 sont vouées à l’échec.

M. Nick Witney a d’abord indiqué que si l’Agence ne s’est pas occupée de la défense antimissiles de l’Europe, c'est parce qu’elle est tournée, de par sa création, vers les actions en dehors de l’Europe dans le cadre de la PESD, plusieurs Etats membres estimant que la défense territoriale de l’Europe ne relève pas de son domaine mais de celui de l’OTAN.

S’agissant de la recherche et de la technologie, il est nécessaire de renforcer les synergies entre les États. C'est ainsi que six d’entre eux, intéressés par l’utilisation tant militaire que civile des technologies nouvelles en matière de radio et d’informatique, se sont joints pour investir dans le domaine des logiciels. Tel a été aussi le cas pour les drones et pour les avions de contrôle et de supervision.

Par ailleurs, avoir une vision à long terme, c’est comme élaborer un Livre blanc : il faut tenter de définir quels seront les défis dans les décennies à venir pour essayer de trouver les équipements ou les forces qui pourront correspondre à cet environnement futur. En matière de stratégie industrielle, par exemple, un cadre d’action a été approuvé par le dernier comité directeur, lundi dernier.

Pour ce qui est des capacités militaires et de l’identification des priorités, les progrès sont un peu plus lents, mais la démarche du plan de développement des capacités doit aboutir à l’été prochain. Cependant, si les débats entre vingt-quatre pays sont toujours intéressants, peut-être convient-il, si l’on veut réaliser des progrès, d’adopter une action à géométrie variable. C'est ce qu’a connu l’Agence avec le code de conduite, qui a été approuvé par vingt-deux pays, de même qu’avec le programme d’investissements conjoints en matière de recherche et de technologie, qui a été signé par dix-neuf pays, ou encore avec les logiciels, domaine qui a réuni six pays, tandis que d’autres équipements regroupaient cinq voire trois pays. La coopération entre des structures permanentes au sein d’un noyau dur de pionniers, si elle n'est pas forcément nécessaire, permet d’aller plus vite et plus loin.

Il est cependant difficile de fixer des critères de participation à un tel noyau dur. Doit-il s’agir des pays – la France, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg – du sommet de la Défense à Bruxelles en 2003 ? De ceux de la Lettre d’intention ? Mais les Pays-Bas pourraient très bien estimer qu’en raison de leur potentiel industriel, ils doivent également faire partie de ce noyau dur. Faut-il plutôt une approche par rapport au pourcentage du PIB consacré à la défense ? La Grèce se retrouverait, dans ces conditions, en haut de la liste. Quant au critère du déploiement le plus important de troupes, l’Irlande serait le pays le plus concerné.

L’Europe élargie n’est plus, en tout cas, une Europe à deux, mais à plusieurs vitesses. Qu’il s’agisse des pays de l’espace Schengen ou d’autres, des groupes peuvent coopérer en matière de recherche et de technologie ou encore d’industrie, même si de tels regroupements sont plus complexes à mettre en œuvre que ce que l’on imagine.

M. Jacques Myard s’étant étonné que l’Irlande ait le plus gros déploiement de troupes, M. Nick Witney, a indiqué que les Irlandais interviennent, par exemple, depuis plusieurs années avec les Suédois au Liberia sous le drapeau des Nations unies. De même, les soldats irlandais sont présents au Sud Liban dans le cadre de la PESD.

Le Président Christophe Guilloteau a indiqué que les grands programmes d’armement en coopération étaient déjà largement engagés, qu’il s’agisse par exemple des frégates ou des avions de transport militaire. Quelles sont désormais les possibilités de coopération structurantes dans le domaine des matériels de défense ?

L’effort du R&T est particulièrement concentré entre quelques États membres. Comment l’AED peut-elle inciter les autres pays à s’impliquer davantage dans ce domaine ?

Enfin, après avoir souligné l’avance technologique acquise par Israël en matière de drones, il a demandé ce que pouvait faire l’Agence pour combler le retard pris par l’Europe.

M. Pierre Lellouche a estimé spécieuse l’argumentation en matière de ballistic missile defense ou BMD. Il n'est pas possible, après trois années passées à la tête de l’Agence, d’expliquer que la PESD n’étant pas en charge de la défense des Européens, mais uniquement d’interventions éventuelles à l’extérieur, la défense antimissiles est hors du champ de compétences de l’AED. Ce n'est pas en parlant ainsi de défense européenne que l’on obtiendra un soutien populaire.

La Grande-Bretagne et la France représentent à elles seules plus de la moitié du budget total des dépenses militaires des pays concernés et 80 % de l’effort de recherche et développement. Tout le système repose donc sur la volonté de ces deux pays d’avancer ensemble. Or, depuis le départ de M. Tony Blair, tous les signaux que nous recevons de Londres sont négatifs. Un éclairage de la position britannique aujourd’hui peut-il être donné ?

La sécurité étant, par ailleurs, un objectif clé de l’Europe, pourquoi – à l’exemple des critères de convergence en matière de politiques économiques – ne pas fixer comme objectif à tous les pays membres de dépenser autour de 2 % du PIB en matière de défense, ce qui permettrait à l’Agence d’aller au-delà de ses objectifs, qui sont modestes, pour ne pas dire médiocres, et qui traduisent une absence totale de volonté ?

En outre, ces dépenses militaires étant des dépenses d’investissement en matière de sécurité, elles ne doivent plus entrer dans les critères du déficit budgétaire tel que définis par le traité de Maastricht.

Enfin, on n’avancera pas en matière de marché commun de l’armement en Europe si on ne touche pas à l’article 296 du traité, à moins de vouloir faire le lit des industries américaines. Telles sont les conditions élémentaires à réunir si l’on veut briser toutes les résistances de nature politique en matière de défense européenne.

Le Président Pierre Lequiller, revenant sur la question de la position britannique actuelle, a rappelé que M. David Milliband, secrétaire d’Etat britannique aux affaires étrangères et européennes, vient de déclarer que si d’autres superpuissances, telles que la Chine ou l’Inde, émergeaient à côté des Etats-Unis, l’Union européenne ne pourrait aspirer qu’à être une puissance régionale modèle, et non une superpuissance. Or telle ne peut être notre ambition.

M. Jérôme Lambert a d’abord demandé si la coopération dans le domaine de l’information et du renseignement fonctionne correctement.

Il s’est interrogé, ensuite, sur les moyens de mettre en œuvre la politique de défense et de sécurité commune, sachant que, selon le traité de Lisbonne, l’OTAN reste le fondement de la défense collective, pour les Etats qui en sont membres. Pour le moment, la politique de sécurité n’entraîne qu’une coopération industrielle. Si cet aspect n'est pas négligeable, le résultat se situe encore loin de nos ambitions.

M. Nick Witney a répondu que, s’il n’est évidemment pas possible d’avoir une politique de défense cohérente sur les plans industriel et technologique sans les grands programmes déjà engagés – tel Thalès –, il est néanmoins essentiel d’aider les pays comme la Pologne ou la Slovénie qui disposent d’ailleurs de personnels compétents dans des créneaux technologiques spécifiques dont la France ou le Royaume-Uni ne sauraient se priver.

Le successeur de M. Nick Witney devra quant à lui organiser le développement des nouveaux projets, notamment, celui des hélicoptères lourds et des satellites d’observation de nouvelle génération.

La défense européenne repose encore sur l’accord de Saint-Malo, conclu en 1998, entre le Premier ministre britannique et le Président de la République française. La PESD ne concerne pas réellement la défense territoriale mais la gestion de crises telles celles qui ont affecté le Congo, les Balkans ou l’Indonésie. L’Agence de défense européenne doit aider les États membres à accroître leurs moyens pour gérer ce type de situations. Le traité réformé ne change pas grand-chose à cela. Il n’est pas question d’assurer une défense antimissiles sur le territoire européen même si ce problème doit être évoqué sur le plan politique tant les populations s’interrogent sur leur sécurité.

M. Nick Witney est d’accord avec M. Pierre Lellouche pour considérer que la France et le Royaume-Uni doivent travailler ensemble. L’accord de Saint-Malo a d’ailleurs été un jalon important, tout comme la politique en matière de missiles. Sans doute est-il possible de songer, pour l’avenir, à une coopération sur les porte-avions. M. Gordon Brown, semble-t-il, tient à faire approuver d’abord le traité modificatif à la Chambre des Communes afin d’éviter un référendum.

Selon M. David Milliband, la puissance et l’influence de l’Europe ne reposent pas tant sur ses forces armées que sur ses valeurs et son exemplarité. L’Europe ne sera pas une superpuissance au sens où les Etats-unis le sont, dans le cadre d’un gouvernement fédéral par exemple. Il ne s’agit pas pour lui de prétendre que l’Europe doit moins s’affirmer : l’Europe doit parler d’une voix et agir en fonction de ses propres moyens.

S’agissant du renseignement, le partage des informations ne participe pas de la politique européenne de défense, malgré les nécessaires coopérations entre les différents pays. Même si la sécurité constitue légitimement une préoccupation majeure pour les Européens, l’Europe ne saurait être repliée sur elle-même. Les événements en Afrique ou à ses frontières la concernent au premier chef.

Le seul drone européen actuellement opérationnel est produit par Safran ; le ministère britannique de la défense a conclu un accord avec Thalès ; des entretiens sont en cours entre la France et l’Allemagne et les Espagnols ont un projet. La manière d’agir, en la matière, est assez typique de l’Europe puisqu’elle se caractérise par un morcellement des politiques et des duplications – c’est même un cas d’école – alors qu’il faudrait au contraire faire montre d’un peu plus de cohérence. L’Agence peut jouer un rôle sur ce plan-là. Enfin, le défi qui se pose actuellement est de parvenir à faire voler les drones dans des zones très strictes : surveillance des frontières, inspections d’infrastructures critiques etc.

M. Jacques Myard a exprimé son désaccord avec M. Pierre Lellouche sur l’article 296. La libéralisation totale du marché de l’armement en Europe reviendrait à faire un beau cadeau aux Américains quand il faut plutôt une politique industrielle forte appuyée sur des moyens régaliens. Qu’en pense M. Nick Witney ?

M. Daniel Garrigue s’est étonné d’un discours consistant à dire que l’Europe pourrait fort bien travailler avec Israël sur les drones, mais qu’il ne saurait y avoir de défense européenne antimissiles. Or l’Europe doit précisément agir sur ce terrain-là ! Cela concerne aussi les pays voisins de l’Europe, dont la Russie, avec laquelle il faut certes dialoguer, mais aussi faire preuve de fermeté.

M. Nick Witney a répondu que, selon les ministres de la défense européens, l’article 296 doit être utilisé avec parcimonie tant il a accru le morcellement de l’industrie de défense. A cela s’ajoute le fait que les budgets nationaux de défense sont insuffisants et que l’Europe a besoin de nouveaux équipements. Il n’y a pas le choix : il faut bâtir une structure industrielle de défense plus européenne et plus interdépendante.

M. Jacques Myard a répété que ce sont les Américains qui profiteront de la disparition de l’article 296. Le point de vue de M. Nick Witney ne peut prévaloir que s’il y a une volonté politique forte de privilégier les industriels européens.

M. Nick Witney a rappelé qu’il ne s’agit pas de défendre une concurrence tous azimuts. La concurrence est seulement nécessaire pour créer des opportunités transfrontalières et favoriser l’intégration de la base industrielle. En outre, si deux ou trois pays décident de construire un nouveau système coopératif de défense, ils le feront.

Les ministres de la défense, par ailleurs, vont définir une perspective plus ambitieuse, les investissements dans les projets coopératifs devant représenter 35 % de leur budget. Entre les Américains et l’Europe, les conditions du marché d’équipement de la défense doivent être réciproques. Les Britanniques, les Polonais et bien d’autres encore se sont parfois fournis auprès des Américains et, s’ils veulent le faire encore, ils le pourront, tout comme d’autres pourront continuer à ne pas le faire. L’obligation de concurrence concerne uniquement d’autres entreprises européennes. Tout gouvernement demeure libre d’exercer le principe de la préférence européenne.

S’agissant de la protection antimissiles, M. Nick Witney a rappelé que sur les quatre Etats – l’Irak, la Libye, La Corée du Nord, l’Iran – qui constituaient des menaces directes pour l’Europe il y a cinq ans, lorsque les Américains ont installé au Royaume-Uni un certain nombre d’armes, seul ce dernier pays continue de poser un problème.

Le Président Pierre Lequiller a demandé à M. Nick Witney quelles initiatives la présidence française de l’Union européenne devrait-elle impulser en matière de défense.

M. Nick Witney a considéré que, même si cela dépendra beaucoup de la Commission européenne et de l’ensemble des Etats membres, la présidence française devrait s’intéresser aux projets de coopération et à la stratégie européenne de sécurité. Ce document, ambitieux, a été publié en 2003. S’il traite du renforcement des investissements, des problèmes militaires, des politiques énergétiques, des relations avec les États-unis, il y manque une doctrine générale sur l’utilisation de la force : comment et pourquoi avoir recours à la force en Europe ? Faut-il renforcer la politique de sécurité ? Faut-il mieux prendre en compte les pays voisins ? Quelles sont les responsabilités de l’Europe vis-à-vis du reste du monde ? Quelles technologies doivent-elles être développées ? Comment mieux articuler le droit et l’utilisation de la force ?

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Nick Witney et s’est félicité de cette réunion commune avec la commission de la défense.

Le Président Christophe Guilloteau a également remercié M. Nick Witney au nom de la commission de la défense pour la franchise de ses réponses et le Président Lequiller pour son accueil.