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Commission chargée des affaires européennes

mercredi 1er octobre 2008

9 h 30

Compte rendu n° 64

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Rencontre avec la commission des affaires européennes de l’ancienne République yougoslave de Macédoine

COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRE EUROPEENNES

Mercredi 1er octobre 2008

Présidence M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à neuf heures trente

Rencontre avec la commission des affaires européennes de l’ancienne République yougoslave de Macédoine

Le Président Pierre Lequiller : nous sommes heureux d’accueillir une délégation de la Commission des Affaires européennes de l’ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) conduite par son Président, M. Petar Pop Arsov, à un moment clé de sa marche vers l’Union européenne puisque, reconnue candidate à l’adhésion depuis le Conseil européen de décembre 2005, l’ARYM souhaite obtenir à la fin de l’année 2008, sous Présidence française de l’Union européenne, une date pour l’ouverture des négociations d’adhésion en 2009. Cette réunion se déroule au moment où a lieu à l’Assemblée nationale une grande cérémonie avec tous les députés pour commémorer les cinquante années de la Constitution de la Ve République, mais Mme Odile Saugues, rapporteure de la Commission chargée des affaires européennes sur le processus d’adhésion de l’ARYM, vous interrogera sur les questions qui influenceront la décision de l’Union européenne pour la fixation d’une date d’ouverture des négociations d’adhésion, que ce soit la question du nom de votre pays ou celle des conditions politiques de l’adhésion et de la mise en œuvre des critères fixés pour l’ouverture des négociations.

M. Petar Pop Arsov, Président de la Commission des affaires européennes de l’ARYM : je voudrais vous remercier de la possibilité exceptionnelle offerte à notre Commission des affaires européennes de rencontrer son homologue française, au moment où la France préside l’Union européenne et est le moteur principal de tout le processus européen.

Notre délégation se compose de son Président, député du parti démocratique pour l’Unité nationale macédonienne, de Mme Silvana Boneva, du parti démocratique pour l’unité nationale macédonienne, de M. Andrej Petrov, du groupe de l’Union sociale-démocrate de Macédoine et de Son Excellence M. Jon Ivanoski, ambassadeur de l’ARYM en France. M. Blerim Bedzeti, député du groupe de l’Union démocratique pour l’intégration, n’a pu se déplacer pour des raisons de santé.

La France a une très grande influence sur l’ARYM depuis son indépendance en 1991, en raison notamment de l’application des recommandations de M. Robert Badinter sur la reconnaissance de la nouvelle république et son organisation. L’adoption des réformes est influencée par les règles de majorité définies à la suite de ces recommandations et nécessite la prise en compte du vote des représentants des minorités ethniques pour l’adoption d’une loi.

Notre pays s’est fixé deux objectifs pour cette fin d’année : obtenir une date pour l’ouverture des négociations d’adhésion et obtenir une libéralisation du régime des visas.

En mars dernier, la Commission européenne a fixé huit priorités clés à notre pays dont le statut de candidat a été reconnu il y a trois ans, afin qu’il obtienne une date pour le début des négociations. Le Conseil européen a confirmé que l’ARYM devait remplir ces critères et notre pays travaille encore plus intensément à leur réalisation.

Je vous donnerai quelques exemples. L’ARYM a adopté plus de 140 lois pour la réalisation des conditions clés. Après les élections, le Parlement a créé toutes les commissions parlementaires nécessaires et le Conseil national de l’intégration européenne est présidé par un député de l’opposition, membre du parti social-démocrate SDSM. Un dialogue constructif s’est instauré entre les partis politiques du parlement macédonien et entre Macédoniens slaves et Macédoniens albanais, pour aboutir à un consensus sur l’application des accords d’Ohrid de 2001 et sur les réformes. Le Parlement tient en permanence des réunions régulières sur les questions importantes.

La loi sur la police a été réformée, est déjà mise en œuvre et le sera complètement grâce à un règlement d’application en cours d’adoption. La coopération avec les communes a été renforcée dans le cadre de la décentralisation, de manière à assurer une représentation équitable des minorités ethniques au sein de la police comme convenu dans les accords d’Ohrid. Le Conseil juridique a été complété avec quinze membres.

La réforme des tribunaux est entrée dans sa phase finale.

Notre gouvernement a amélioré la situation économique et les possibilités d’investir, en particulier en baissant les impôts pour les investissements étrangers et en diminuant la TVA.

La lutte contre la corruption et le crime organisé est une grande priorité comme le montre la liste parue la semaine dernière dans laquelle notre pays se situe au 72e rang et a progressé de douze places par rapport à l’an dernier et plus encore par rapport à 2005 où il se situait au 105e rang. Il peut sur ce plan se comparer avantageusement avec ses voisins ou même avec certains pays de l’Union européenne ou de l’OTAN.

Les réformes sont un processus continu dont dépend notre marche vers l’Union européenne. Si nous obtenons une date pour l’ouverture des négociations, ce sera un signe très important pour nous et nos voisins. Il n’y a pas d’euro-scepticisme chez nous. Par conséquent, nous attendons d’obtenir une date pendant la Présidence française, en considération du travail effectué jusqu’à maintenant.

Le conflit sur le nom ne relève pas des critères de Copenhague prévus pour l’adhésion à l’Union européenne. Ce débat n’est pas formel et la République de Macédoine en discute depuis son indépendance, sous l’égide des Nations unies. Nous avons montré beaucoup de compréhension et avons accepté les propositions du médiateur de l’ONU, M. Matthew Nimetz, afin de trouver une solution commune avec la Grèce. Mais la République de Macédoine ne pourra pas accepter une solution mauvaise pour son identité nationale qui ignorerait sa langue. Le droit à l’autodétermination est un droit démocratique fondamental pour chaque pays. L’Union européenne ne devrait pas permettre que le nom du pays devienne un problème crucial pour son adhésion et elle devrait se comporter comme avec tous les autres candidats, en appliquant à notre pays les mêmes critères.

La libéralisation du régime des visas est un grand problème pour les hommes d’affaires, les étudiants et les citoyens. Les critères à remplir ont été fixés par l’Union européenne et notre pays travaille activement dans ce domaine, avec des résultats concernant les documents électroniques, les passeports, le système fonctionnel de gestion des frontières, la lutte contre l’immigration illégale et le trafic d’êtres humains ainsi que contre la corruption et le crime organisé. Nous avons harmonisé notre régime et notre système informatique pour les visas avec l’Union européenne. Nous espérons donc une ouverture des négociations sur ce sujet pour la fin de l’année afin de résoudre totalement la question des visas entre l’Union européenne et notre pays.

Mme Odile Saugues : Comment peut être réglé le choix du nom de votre pays ? Un nom composé avait été accepté puis rejeté par le gouvernement grec. A cela s’ajoute la question complexe des minorités macédoniennes en Grèce. Comment pouvons-nous arriver à lever ce préalable ?

Le Président Pierre Lequiller : Certes, la question du nom ne fait pas partie des critères de Copenhague, mais l’ouverture des négociations d’adhésion est soumise à la règle de l’unanimité, d’où la nécessité de régler ce problème.

Le Président Petar Pop Arsov : Je répondrai brièvement. Cette difficulté a été rendue majeure par les Grecs. Ils ont également opposé pour ce motif leur veto à l’adhésion de l’ARYM à l’OTAN. Des négociations intenses sont engagées, sous l’égide de l’ONU, entre Athènes et Skopje pour résoudre ce différend, aggravé par la situation politique intérieure grecque. La majorité parlementaire du Premier ministre grec est insuffisante et cela se reflète sur les négociations relatives au nom.

Mme Silvana Boneva : Nous nous situons dans une période clé pour la sécurité de ce pays, situé au cœur des Balkans. Les tensions actuelles peuvent atteindre la région, d’où l’importance d’obtenir une date pour l’ouverture des négociations avec l’Union européenne. L’ARYM a réalisé de nombreux efforts pour satisfaire aux critères d’adhésion. Nous avons été très déçus que la Grèce ait opposé son veto à notre intégration à l’OTAN car, sur ce point, comme sur l’adhésion à l’Union européenne, il existe une unanimité des citoyens macédoniens.

Après avoir rempli les conditions posées par l’OTAN, la population a été choquée du veto grec, d’autant que le nom de « ancienne République yougoslave de Macédoine » était considéré comme provisoire, et qu’il était stipulé qu’il ferait l’objet de négociations sans mentionner que la Grèce avait le droit de bloquer l’adhésion de ce pays à des organisations internationales. Je réagis de manière sentimentale car je redoute le réveil des fantômes. L’ARYM fait des progrès constants mais, si elle n’obtient pas une date pour l’ouverture des négociations d’adhésion, nous assisterons à un réveil des nationalismes. Je vous rappelle qu’en Serbie il existe une frange rétrograde qui souhaite annexer l’ARYM ; il est symptomatique que l’Eglise orthodoxe serbe prétende exercer son autorité sur celle de l’ARYM et ne reconnaisse pas son autonomie. Il existe en outre des aspirations nationalistes albanaises qui pourraient resurgir en manipulant des forces nationalistes autour du rêve d’une grande Albanie. Si l’ARYM était laissée sur les marches de l’Union européenne, il existe un risque réel de renaissance de ces pulsions, d’où l’appel que je formule pour que mon pays multiethnique intègre la grande famille européenne.

Je voudrais ajouter que l’ARYM n’a que deux millions d’habitants. Il n’est pas concevable qu’elle puisse menacer l’intégrité territoriale grecque. Aujourd’hui, son développement économique est entravé par le blocus grec. Il ne faut pas oublier qu’elle est sortie pacifiquement de l’ex-Yougoslavie et qu’elle a accueilli 500 000 réfugiés en provenance du Kosovo, fuyant les combats avec les Serbes. Cela représente 25 % de la population, a posé beaucoup de problèmes et de nombreux réfugiés sont demeurés sur place.

Durant 45 ans, lorsque la Macédoine appartenait à la République yougoslave, son nom n’était pas objet de débat, cette question n’a été soulevée qu’avec son indépendance. Nous avons fait de nombreuses concessions sur ce point : nous avons été jusqu’à modifier notre Constitution pour faire disparaître la référence aux minorités macédoniennes vivant dans d’autres pays, nous avons également changé de drapeau. Ces efforts n’ont pas satisfait les Grecs et le problème devient de plus en plus grave.

J’espère que l’Union européenne comprendra que l’on ne peut pas s’en prendre à l’intégrité culturelle et linguistique de ce pays. Ce débat est contraire au droit international et au respect des droits de l’Homme. Aucun pays ne peut dicter à un autre son identité.

La solution, pour résoudre ce problème, devrait conduire à trouver un nom réservé à la communication bilatérale entre la Grèce et l’ARYM. Il faut que l’Union européenne fasse pression sur la Grèce pour que les négociations d’adhésion s’ouvrent le plus rapidement possible.

M. Jon Ivanovski, ambassadeur de l’ARYM en France : Je souhaite apporter une précision technique sur la manière de résoudre les problèmes qui se posent en matière de négociations avec l’Union européenne. L’adhésion de l’ARYM n’est pas à l’ordre du jour et nous n’en sommes qu’au stade de l’ouverture des négociations. La question de la dénomination de l’ARYM ne se pose pas encore. L’ouverture des négociations en est, en effet, déconnectée.

Le Président Pierre Lequiller : Néanmoins, en cette matière, l’unanimité est requise. Il est tout à fait possible que la Grèce s’oppose à l’ouverture des négociations et fasse obstruction. Dans ce cas, nous ne pourrons pas avancer. J’ai moi-même eu l’occasion d’en discuter avec les parlementaires grecs mais il est difficile de les convaincre.

M. Jon Ivanovski : C’est exact mais la règle de l’unanimité s’appliquait déjà lorsque la candidature de l’ARYM a été décidée. Le problème se posera peut-être le jour de l’adhésion mais l’on peut éviter de le poser cette année.

Mme Odile Saugues : L’Union européenne a salué la sagesse avec laquelle l’ARYM a pu dominer ses tensions intérieures et se tenir à l’écart de celles déchirant ses voisins. Néanmoins, les élections du 1er juin 2008 et les problèmes qui ont éclaté alors ont donné l’impression d’une réelle régression politique. Or cette question est fondamentale pour l’ouverture des négociations. Comment l’ARYM pourra-t-elle la résoudre ?

M. Andrej Petrov : S’agissant des dernières élections, il convient de souligner que les incidents n’ont concerné qu’une petite partie du territoire. Les citoyens de l’ARYM, tout comme l’Union européenne, ne souhaitaient pas que ces problèmes éclatent. Nous sommes néanmoins en train de régler toutes les questions qui se sont posées pendant les élections mais qui n’ont aucunement influencé le résultat. Beaucoup a été fait à la suite des remarques des observateurs. Sur 34 cas devant être jugés, 3 ont été réglés. 149 personnes sont d’ores et déjà condamnées et 18 personnes sont en prison. 103 personnes demeurent en liberté et 28 sont en fuite. L’ensemble du processus dans nos tribunaux indépendants sera terminé fin octobre 2008.

Le Président Petar Pop Arsov : J’ajoute que les incidents n’ont eu lieu qu’au nord-ouest du pays et que le processus électoral s’est passé de manière tout à fait démocratique dans le reste du pays. Suite aux incidents, le Gouvernement et les autorités ont immédiatement réorganisé des élections ayant abouti à des résultats tout à fait légaux. Nous avons donc aujourd’hui une image réelle et fidèle des forces politiques dans l’ARYM. Quant aux personnes qui ont altéré notre image à l’extérieur, tout est fait pour mettre en œuvre les procédures de jugement.

Mme Odile Saugues : Je souhaite vous poser une question précise sur un accord bilatéral d’immunité signé avec les Etats-Unis comprenant une clause d’exemption de la juridiction de la Cour pénale internationale de La Haye. Ceci est tout à fait contraire aux normes et aux politiques de l’Union européenne. Quelles solutions sont donc envisagées ?

M. Andrej Petrov : Nous sommes bien conscients des critiques du rapport de l’Union européenne à ce sujet. L’ARYM est tout à fait prête à résoudre ce problème dans un futur proche. Toutes les recommandations de l’Union vont être mises en œuvre mais il est vrai que c’est une question complexe, compte tenu de la taille et de l’environnement de notre pays. Le début des négociations avec l’Union européenne tout comme les travaux menés avec l’OTAN constituent des priorités pour l’ARYM et pour la stabilité du pays.

Mme Odile Saugues : En matière de coopération régionale, de quelle manière pouvez-vous améliorer les relations malgré les tensions qui persistent ? Un meilleur développement passe en effet par la coopération en matière d’énergie, de transport et de protection civile.

Mme Silvana Boneva : L’ARYM a mis en œuvre une très bonne coopération avec l’ensemble de ses voisins, notamment sur le plan économique. Les échanges sont ainsi intenses avec la Grèce malgré les différends qui nous opposent. La plupart des importations dans l’ARYM viennent de Grèce, du Kosovo, de Serbie et d’Albanie. Il n’existe donc aucun frein à nos échanges et l’économie ne connaît pas les frontières politiques dans les Balkans. Nous avons fait de très grands progrès au sortir du conflit de 2001. Les accords d’Ohrid de 2001 sont bien respectés. Le principe de Badinter pour les règles de vote à la majorité a été précisément établi et l’utilisation de la langue albanaise au sein de nos institutions est clairement codifiée. Les questions qui provoquaient des tensions entre les partis macédoniens et albanais ont été closes. Les nombreux efforts et progrès qui ont été accomplis doivent être valorisés.

Le Président Pierre Lequiller : je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation et d’avoir fourni des explications très claires à nos interrogations. Nous, parlementaires français, souhaitons l’adhésion de votre pays à l’Union européenne le plus vite possible. Certes, il y a encore des progrès à faire, et il vous faut poursuivre vos efforts. Et la question du nom de votre pays paraît essentielle même si c’est un problème bilatéral. Y a-t-il concrètement une solution qui est proposée, ou bien les négociations avec la Grèce sont-elles dans une impasse ?

Le Président Petar Pop Arsov : il est difficile de donner une réponse à cette question. Je peux toutefois affirmer l’existence de la forte volonté de l’ARYM de trouver une solution qui soit acceptable par les deux pays. Nous n’accepterons pas un nom qui porterait atteinte à notre intégrité territoriale ou à notre identité. Nous espérons que le travail du médiateur de l’ONU, M. Matthew Nimetz, aura des résultats positifs, tout en soulignant que ses propositions éventuelles devront être soumises à référendum pour obtenir l’accord de la population de notre pays. Monsieur le président, je vous remercie pour l’opportunité que vous nous avez donnée de vous rencontrer et de répondre à vos questions.