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Commission chargée des affaires européennes

mardi 7 octobre 2008

17 heures

Compte rendu no 65

Présidence de M. Daniel Garrigue Vice-président
puis de M. Pierre Lequiller
Président

La séance est ouverte à dix-sept heures

Réunion commune des commissions des affaires européennes du Triangle de Weimar (ouverte à la presse)

I. Le Traité de Lisbonne

Le Président Daniel Garrigue. Nous sommes très heureux d’accueillir nos homologues parlementaires d’Allemagne et de Pologne, pour reprendre une initiative intéressante, celle du Triangle de Weimar. Celui-ci comprend trois pays occupant chacun une place importante au sein de l’Union européenne. Les circonstances ont fait qu’il n’y a pas eu de réunion pendant quatre ans mais nos séances d’aujourd’hui et de demain sont opportunes dans le contexte de crise que nous connaissons.

Je vous prie d’excuser l’absence de notre Président Pierre Lequiller qui accueille le Premier ministre dans sa circonscription. Il nous rejoindra dès que possible.

Depuis la dernière réforme constitutionnelle, notre Délégation pour l’Union européenne a pris, comme celles de vos pays respectifs, le titre de Commission chargée des affaires européennes, traduisant ainsi une implication encore plus forte dans les sujets européens.

M. Andrzej Grzyb, Président (Parti populaire polonais) de la commission des affaires de l’Union européenne de la Diète polonaise (Sejm). Nous nous réjouissons à la fois que la Délégation pour l’Union européenne soit désormais une commission semblable aux nôtres et que le Triangle de Weimar soit réactivé. Notre dernière rencontre remonte à 2004, mais celle qui nous réunit aujourd'hui ne pouvait tomber à un meilleur moment, avec la crise géorgienne et le krach financier aux Etats-Unis et en Europe. Les gouvernements de nos pays doivent réagir et prendre des mesures prudentielles.

Je remercie nos hôtes d’avoir organisé cette rencontre, que nous espérons fructueuse, au nom de l’ensemble de notre commission, qui n’est pas au complet en raison de la discussion budgétaire qui commence aujourd'hui en Pologne. Les membres présents sont : M. Edmund Wittbrodt, Président (Plateforme civique) de la commission des affaires de l'Union européenne du Sénat, M. Tadeusz Iwiński, Vice-président (Gauche) de la commission des affaires de l'Union européenne du Sejm et M. Stanisław Iwan, membre (plateforme civique) de la commission des affaires de l'Union européenne du Sénat.

M. Gunther Krichbaum, Président (CDU/CSU) de la commission des affaires de l’Union européenne du Bundestag. Nous sommes très heureux de vous rejoindre à Paris et nous vous remercions vivement de nous réunir à nouveau. Les parlementaires m’accompagnant sont : Dr Margrit Wetzel (SPD), M. Axel Schäfer (SPD), M. Markus Löning (FPD) et M. Rainder Steenblock (Bündnis90/Die Grünen).

Il est important de se réunir dans ce cadre. Lors de la préparation à Varsovie, la ratification du traité de Lisbonne et le paquet énergie-climat de la Commission européenne étaient déjà à l’ordre du jour. Les responsables politiques étant dotés de talents prophétiques, parmi les points d’actualité figurait l’impact de la crise financière. Notre réunion ne pouvait, hélas ! tomber plus à propos.

La Pologne produit 100 % de son énergie à partir du charbon, si bien que le défi du changement climatique ne se pose pas dans les mêmes termes que dans un pays qui privilégie le nucléaire ; d’où l’intérêt et l’importance d’échanger entre nous.

« Last but not least », je félicite nos collègues français d’avoir donné un format adéquat à leur Commission chargée des affaires européennes. Il s’agit là d’une revalorisation légitime dont nous nous réjouissons.

Le Président Daniel Garrigue. Même si les procédures de ratification du traité de Lisbonne restent en suspens, notamment en Allemagne en raison d’un recours devant la Cour constitutionnelle, en Pologne et en République tchèque, la question essentielle reste la position irlandaise. Peut-on réussir à convaincre l’Irlande de se prononcer avant les élections européennes, ce qui retirerait du pied de l’Union l’épine que constitue la question du nombre de sièges à attribuer au Parlement européen et à la Commission européenne, selon que l’on applique le traité de Nice ou celui de Lisbonne ? M. Berlusconi propose que l’Irlande tienne un référendum en même temps que les élections européennes, qui ne pourraient alors se dérouler que dans le cadre du traité de Nice, l’autre solution étant d’attendre au risque de voir la ratification du traité de Lisbonne repoussée dans un avenir lointain. Quel est le point de vue de chacun sur ce sujet ? Que faire pour convaincre les Irlandais ?

M. Axel Schäfer. Chers collègues, le plus important, dans la situation difficile que nous connaissons, est d’en rester aux décisions du Conseil afin de faire du traité de Lisbonne un succès.

D’une façon générale, on distingue deux types de référendum en Europe ; les premiers présentent une véritable alternative, par exemple pour ou contre l’euro ; les seconds visent à adopter, ou non, un traité en ignorant ce qui se passera dans le second cas surtout avec la règle de la double unanimité. Sur le plan politique, il faut comprendre l’Irlande à laquelle la crise institutionnelle va montrer qu’il est important d’évoluer. La logique de fond, Harold Wilson a été le seul à avoir eu, en 1975, l’audace de la respecter en disant clairement que, soit la Grande-Bretagne acceptait les conditions, soit elle les refusait – auquel cas elle sortirait de la Communauté. Aucun autre Gouvernement n’a eu la même honnêteté, et ce référendum, le seul jamais organisé au Royaume-Uni, a été gagné avec une majorité de deux tiers. En réalité, un référendum n’était pas indispensable, en Irlande, une ratification parlementaire aurait été possible. En tout état de cause, c’est le traité de Nice qui s’appliquera pour les prochaines élections. Je suis moins pessimiste que ceux qui ont parlé avant moi car l’Europe a toujours su faire preuve de créativité pour sortir des crises. A titre tout à fait personnel, je pense que ce n’était pas une bonne chose de ne pas avoir un commissaire par pays.

En ce qui concerne l’Allemagne, un recours avait été déposé contre le traité de Maastricht et elle a été un des derniers pays à le ratifier. Mais 90 % des gens étaient pour. Il y a un accord entre tous les partis sur l’Union européenne et le traité de Lisbonne et il sera ratifié plus rapidement. Certes tant que la Cour constitutionnelle ne s’est pas prononcé, tout est possible puisque nous sommes dans les mains de Dieu, mais j’ai bon espoir.

Le Président Edmund Wittbrodt. Ainsi que mes collègues, je vous remercie de cette rencontre car la réactivation du Triangle de Weimar est une bonne chose. Comme il est soumis aux aléas de notre présidence, travailler à tous les niveaux, exécutif comme législatif, est particulièrement intéressant car les parlementaires que nous sommes représentent la société polonaise pour qui il est important que la France, l’Allemagne et la Pologne coopèrent.

Nous souhaitons que l’on aille au bout du processus de ratification, ne serait-ce que pour connaître la répartition des sièges, même si nous avons – et l’Allemagne aussi – des difficultés. La clef du problème se trouve en Irlande mais exercer des pressions pourrait se révéler contre-productif. Le référendum reste une procédure exceptionnelle. Si cette voie était choisie dans d’autres pays, le résultat serait très aléatoire et il faudrait redire les avantages du traité de Lisbonne dans cette situation de crise financière, diplomatique et sécuritaire. Si un référendum s’était tenu en Pologne, l’issue aurait été incertaine car l’opinion est désormais très partagée. La Diète et le Sénat ont donné leur accord à la ratification mais le Président attend. Si aucun autre obstacle ne surgit, il a promis de signer le traité. La Plateforme civique fait partie de la coalition qui regroupe des partis favorables à une ratification la plus rapide possible.

Le Président Daniel Garrigue. Le Président Kascynski voit-il un autre obstacle que le non irlandais ?

Le Président Edmund Wittbrodt. Officiellement, le Président déclare que la Pologne ne s’opposera pas, mais il voit peut-être un obstacle dans la loi qui règle les rôles respectifs du Président, du Gouvernement et du Parlement en matière européenne et qu’il considère ne pas être encore au point. Nous pensons que cette loi ne gène pas la ratification du traité.

M. Michel Herbillon. Nous sommes très heureux d’accueillir nos collègues allemands et polonais car la coopération entre nos trois pays est utile. Il faudrait d’ailleurs réunir plus fréquemment le Triangle de Weimar, tant nos échanges sont fructueux.

En ce qui concerne le traité de Lisbonne, on ne peut pas refaire le match et passer la réponse du peuple irlandais, pour désolante qu’elle soit, par pertes et profits. En même temps, il serait bon que les autres pays adoptent une position unanime pour trouver avec les Irlandais une sortie de crise car les difficultés institutionnelles n’ont que trop duré. Les Européens attendent que l’on s’occupe des vrais problèmes – de l’énergie, de la défense, de la croissance – et qu’on fasse une Europe des projets susceptibles d’améliorer leur quotidien. Il est indispensable que le traité de Lisbonne soit ratifié rapidement et je me permets d’exprimer notre souhait que le Président polonais le fasse aussi car, vis-à-vis de l’Irlande, il est préférable que le plus grand nombre possible de pays ait ratifié ce traité. Nous n’avons pas compris les difficultés qui retardaient la ratification de la Pologne.

Il faut parvenir à une sorte de position commune européenne vis-à-vis de l’Irlande pour trouver une issue. Après tout, la France n’a-t-elle pas donné l’exemple en ce domaine ? Une fois la ratification obtenue, il sera temps de montrer ce que ce nouveau traité apporte en matière d’organisation et de prise de décision. Il faudra faire vivre le traité de Lisbonne et montrer en quoi l’Union européenne sera différente. C’est ce qu’attendent nos compatriotes. Si l’Europe ne cesse pas de fonctionner comme un microcosme incompréhensible et replié sur lui-même, le fossé qui la sépare des citoyens risque de s’élargir.

En conclusion, et ma remarque est indépendante de la présidence française, si nous avions encore des doutes sur la nécessité de changer le système, la crise géorgienne et la crise financière illustrent à quel point une présidence stable et réactive est nécessaire pour exprimer une position européenne commune d’une voix forte.

M. Markus Löning. Je conviens avec M. Michel Herbillon que l’Europe doit se consacrer aux projets. Les gens ne s’intéressent pas au débat institutionnel, c’est vrai. Ils veulent savoir ce que l’Europe fait pour eux et il faut être très concret. La crise en Géorgie a montré que, sans volonté politique commune, le cadre institutionnel ne joue aucun rôle. C’est la volonté politique commune qui a été décisive et c’est parce que nous avons parlé d’une seule voix que le Président Sarkozy a pu se rendre à Moscou. Si chacun dit ou fait ce qui lui convient aujourd’hui face à la crise financière, ce n’est pas à cause des institutions, c’est faute d’une volonté politique commune en ce domaine. Cette crise nous offre pourtant l’occasion de combler les déficits de coopération dans le domaine financier.

Il serait mauvais d’exercer des pressions sur l’Irlande. Nous avons attendu si longtemps que nous n’en sommes plus à six mois, ou même à dix-huit mois près. Essuyer un nouvel échec serait autrement plus grave.

En ce qui concerne les procédures de ratification, il faut les repenser. Comme l’a proposé notre collègue Schäfer, l’alternative doit être soit la ratification et le maintien dans l’Union, soit le rejet et le statut de membre de l’AELE, comme la Suisse ou la Norvège qui participent à certaines politiques sans prendre part à la décision. Il faudrait réfléchir à un mécanisme de ce type. Par ailleurs, la règle butoir des vingt-sept commissaires constituait une erreur.

Globalement, dans les mois qui viennent, nous devons expliquer très clairement sur quels points l’Europe peut s’unir. Nous avons fait l’erreur de bâtir une politique commune sur la résolution préalable des questions institutionnelles alors qu’il aurait mieux valu commencer par se mettre d’accord sur une politique commune et adapter ensuite les institutions.

M. Tadeusz Iwiński. Je m’associe à l’enthousiasme exprimé à propos du Triangle de Weimar. Les membres des commissions des affaires européennes ont des idées beaucoup plus audacieuses que leurs gouvernements. Il faut donc nous réunir et rattraper le temps perdu. Demain, notre délégation se rendra à Prague pour rencontrer de même ses homologues tchèque et slovaque. Heureuse coïncidence puisque, dans trois mois, la République tchèque prendra la présidence de l’Union européenne. Nous allons donc discuter de la ratification par ce pays du traité de Lisbonne, qui pourrait se révéler également problématique.

Comme l’ont dit mes collègues, la volonté politique et une présidence stable sont indispensables. Nous avons une chance dans notre malheur, c’est que les trois crises, institutionnelle avec la question de la ratification, diplomatique avec les événements du Caucase, et économique avec le krach financier, aient eu lieu sous présidence française, un pays qui a une forte tradition diplomatique et qui avait les moyens de réagir. La situation aurait été plus difficile pour un pays plus petit.

A mon avis, des fautes ont été commises avant la ratification en Irlande. Tant le gouvernement irlandais que la Commission européenne ont sous-estimé la difficulté. Nous aurions tout intérêt à tirer les leçons du scrutin. Il faudrait comprendre pourquoi, et à quel moment, le groupe qui a mené campagne en faveur du non a pris de l’importance pour finir par l’emporter. Il s’agissait de jeunes gens, entre trente et trente-cinq ans. Aux élections de juin prochain, le camp du non et ses sponsors anti-Union américains et européens vont essayer de monter une liste qui pourrait nous causer de graves soucis.

L’exemple polonais montre aussi que les questions européennes sont des enjeux de politique intérieure. Sans vouloir créer une polémique polono-polonaise, je pense qu’un référendum aurait donné le oui gagnant à 70 %. Mais la Constitution impose une participation de 50 %. En 2003, ce taux a été largement dépassé avec l’aide de l’Eglise et du Pape, mais c’était il y a longtemps. Le Président polonais, en ne ratifiant pas le traité de Lisbonne pourtant approuvé par la Diète et le Sénat va, selon moi, contre la Constitution. Mais le vrai problème demeure l’Irlande, loin devant la Pologne ou la République tchèque.

M. Jacques Desallangre. L’échec des négociations financières menées récemment au niveau européen nous invite à nous interroger. En la circonstance, l’Europe n’a pas su jeter les bases nécessaires pour aboutir à des mesures coordonnées, susceptibles de guérir ou prévenir de semblables crises financières. L’Union européenne reste sans leadership et le volontarisme fait encore défaut. Si certains en appellent au Pape, ne faudrait-il pas, pour convaincre les Irlandais, s’en remettre à la main de Dieu ?

Le Président Gunther Krichbaum. Le « problème » créé par le vote des citoyens sera résolu par les citoyens. Autrement dit, il faut attendre que les Irlandais communiquent les résultats de leurs analyses au Conseil européen. Les électeurs ont dit non essentiellement parce qu’ils ne savaient pas ce que contenait le traité de Lisbonne. C’est le manque de transparence qui a été sanctionné. Pour en rester aux causes, il faut parler aussi de la date des élections et du bulletin de vote lui-même. Il était rebutant tant la question posée était longue et technique. Sans doute aurais-je voté non, moi aussi, car un des slogans de campagne du non était : « If you don’t know, say no ». C’est exactement ce qui est arrivé et le non est passé de 25 % des intentions de vote à 53 % des suffrages exprimés. Ce qui m’inquiète, c’est le pourcentage du non dans les jeunes générations où il a fait 66 % ! Ce qui compte, ce n’est pas tant la date que le résultat. Il faut réussir. L’Irlande a déjà changé d’avis dans le passé. Mais il vaut mieux attendre avant de faire une nouvelle tentative.

Les raisons du non avaient très peu de rapport avec le traité. Il a été affirmé que le traité de Lisbonne voulait libéraliser la loi relativement sévère qui réglemente l’avortement en Irlande. Or le traité n’en dit absolument rien. Pourquoi l’Union européenne ne ferait-elle pas une déclaration d’accompagnement, comme elle l’a fait au Danemark ? Cela ne coûterait rien et permettrait de dissiper certains malentendus.

Vis-à-vis de la jeunesse, il faut non pas exercer des pressions, mais déterminer sur quels leviers nous pouvons agir. Après tout, nos adversaires en font autant. Ne pourrions-nous pas organiser au moment de l’élection un festival de la jeunesse pro-européen avec les grands groupes de rock qui plaisent aux jeunes, pour faire la publicité de l’Europe ? Les jeunes n’ont pas connu l’ancienne Irlande pauvre et rurale ; ils ont la chance aussi de ne pas avoir connu les guerres qui ont déchiré l’Europe. Pour eux, la liberté et la paix sont une évidence. Il faut donc agir de manière énergique.

Il nous reste une chance et il est important que nous la saisissions en réfléchissant à la manière de réussir. S’agissant de l’Eglise, elle n’est pas intervenue dans la campagne du premier référendum, mais il n’est pas interdit qu’elle le fasse. Je rappelle qu’il suffirait de retourner 3 % des votants pour inverser le résultat et faire gagner l’Europe. Il serait préférable que, d’ici là, tous les autres pays aient ratifié. Le contexte serait alors plus propice à un succès du oui.

Le Président Daniel Garrigue. Il ressort de notre débat, d’une part, un consensus fort en faveur de la ratification du traité de Lisbonne, car les crises récentes ont montré l’importance et l’intérêt de certaines de ses dispositions, surtout celles concernant la présidence de l’Union, d’autre part, la volonté de tout faire pour convaincre les Irlandais, notamment en faisant une déclaration particulière et en laissant passer un peu de temps. Une dépêche m’apprend que l’Irlande attendra le mois de décembre pour faire des propositions. Ce délai reste raisonnable.

II. La crise financière

Le Président Daniel Garrigue. Le deuxième point à l’ordre du jour est la crise financière. Celle-ci, d’une ampleur considérable, exige des réactions très fortes pour sauver les établissements en difficulté, en leur assurant la liquidité et les financements nécessaires. Il faudra ensuite envisager des mesures de régulation.

L’Europe a réagi de façon globalement cohérente, les différents Etats décidant de reprendre les établissements en difficulté. Le sommet du week-end dernier a affirmé une volonté commune et levé plusieurs obstacles concernant la concurrence et les normes comptables, avec en particulier l’abandon de la fair value, du juste prix, dont on sait qu’il a joué un rôle d’accélérateur dans la crise.

Pour autant, certaines questions restent en suspens. Un débat se dessine pour savoir s’il faut privilégier le soutien aux banques en difficulté ou la garantie plus ou moins généralisée des dépôts. Peut-on élaborer une réponse commune selon des modalités intergouvernementales ou bien au sein de l’Union ? Et, à plus long terme, peut-on s’entendre sur l’ampleur de la régulation et arrêter des règles communes pour mieux maîtriser les marchés monétaires et financiers ?

M. Markus Löning. Personne n’a de recette toute faite, d’autant que notre niveau d’information est encore insuffisant. Chronologiquement, la première cause de la crise réside dans la volonté politique de faire accéder le maximum de gens à la propriété de leur logement, quitte à négliger toute prudence. Viennent s’y ajouter les effets de nouveaux instruments bancaires et financiers destinés à se soustraire aux règles prudentielles, et qui s’apparentaient surtout au jeu de hasard et à la roulette. Les acteurs ont sacrifié leur bon sens pour gagner le plus possible et le plus vite possible.

Monsieur le Président, sans vouloir vous contredire, je n’observe aucune réaction cohérente de la part de l’Union européenne. Au contraire, je trouve catastrophique que les gouvernements commencent par donner des garanties à titre individuel. Peut-on parler de succès si, dès le lendemain du sommet, un gouvernement promulgue une garantie des déposants sans s’être mis d’accord avec ses collègues ? Ce n’est d’ailleurs pas une excellente idée que quelques membres de l’Union se réunissent pour décider de la conduite à suivre. Le cadre approprié aurait été le Conseil européen, l’« Ecofin », ou l’Eurogroupe. Il aurait fallu agir de concert.

Le débat qui tourne autour de l’application des normes du traité de Maastricht et des règles de concurrence est confus. Nous avons besoin d’une volonté politique pour définir des règles comptables moins optimistes et une régulation coordonnée. Il faudra que les Britanniques bougent sur ce point et, ensuite, que nous nous demandions s’il ne faut pas une supervision bancaire commune. Un marché unique ne peut s’accommoder de dix-sept ou dix-huit supervisions bancaires différentes.

Enfin, si des garanties sont données, elles doivent être les mêmes partout. Aujourd’hui, la situation est mortelle car les épargnants commencent à placer leur argent en Irlande, puis en Allemagne, puis en Grèce. Nous sommes en train de nous détruire les uns les autres et il faut immédiatement mettre un coup d’arrêt à cette politique contre-productive.

Le Président Andrzej Grzyb. Il y a quelque temps, on attendait bouche bée le diagnostic du Président de la FED. Il faisait la pluie et le beau temps ! Les choses ont bien changé. La FED n’est plus digne de confiance aux yeux des marchés, et c’est la principale leçon de la crise. Les mécanismes actuels sont insuffisants.

En Pologne, cependant, quand la FED baissait les taux, notre banque centrale les augmentait, et le public s’étonnait. C’est que nous avons aussi connu un boom immobilier, et le conseil de politique monétaire s’efforçait de contenir l’inflation, en vertu du traité de Maastricht. Nous avons aussi constaté une augmentation des prix des produits alimentaires, puis de ceux de l’énergie. Mais en Pologne, les marchés financiers ne sont pas aussi développés qu’ailleurs, et c’est peut-être une bonne chose, puisque certains des instruments proposés ailleurs n’ont servi que la spéculation. Nous n’avions pas non plus ce système d’assurance des crédits immobiliers qui a conduit ailleurs à la faillite de banques, de compagnies d’assurance et de réassurance, tandis qu’en Pologne, nous ne percevons pas de conséquence particulière sur le marché financier. Certaines banques connaissent des difficultés, mais les discours du gouverneur de la banque centrale, du ministre de l’économie et des finances et des responsables de la surveillance des marchés sont rassurants.

Nous avons créé une institution unique pour surveiller les banques et le marché financier, ce qui a suscité beaucoup de critiques. Aujourd’hui, nous nous en félicitons car certains établissements ont plusieurs activités. De même, un comité de stabilité financière a été instauré, comprenant le Président de l’autorité de surveillance, le Président du conseil de politique monétaire et le ministre de l’économie et des finances. Pour le moment, rien ne semble menacer notre système bancaire qui ne propose aucun des produits à l’origine de la crise aux Etats-Unis.

Nous sommes arrivés néanmoins à la conclusion que la surveillance était insuffisante car si une banque est une filiale d’une banque étrangère, il faut vérifier la solvabilité de la maison mère et les règles qui lui sont appliquées. De même, si une banque est propriété d’investisseurs étrangers, elle est à leur merci et ils peuvent décider des opérations qui sont préjudiciables à la stabilité du système bancaire polonais. Cela montre qu’il faut des mécanismes qui ne s’arrêtent pas aux frontières.

Nous avons accueilli avec un certain scepticisme les annonces de nationalisation aux Pays-Bas et en Belgique, qui heurtent les règles sur la lutte contre les monopoles. La commissaire Kroes refuse toute aide de notre gouvernement aux chantiers navals polonais, mais le gouvernement des Pays-Bas peut nationaliser du jour au lendemain. La population a du mal à comprendre quelles sont les règles de concurrence applicables dans l’Union européenne.

La crise financière est liée au marché de l’énergie que de gros investisseurs, en se positionnant sur les marchés à terme, ont déséquilibré. Le marché des droits à émettre des gaz à effet de serre risque de subir les mêmes aléas si nous ne créons pas une régulation adaptée. Il faudrait que les leçons du passé servent pour l’avenir.

M. Jérôme Lambert. Pour le socialiste français que je suis, la crise financière prouve que nous marchions sur la tête. Le surendettement des Américains est peut-être l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, mais c’est l’évolution du système tout entier qui nous a conduits à la situation actuelle, à force de privilégier toujours davantage les revenus du capital sur ceux du travail et de nourrir une spéculation galopante.

Cette crise systémique doit nous amener à nous interroger sur la politique européenne. Pour faire face à la crise, les dirigeants de l’Union prônent l’assouplissement provisoire de certaines règles européennes, notamment en matière de concurrence, de régulation, de coordination et de contrôle des circuits financiers ; or, ce ne sont pas des mesures conjoncturelles qui s’imposent, mais une réorientation de la politique économique conduite depuis des décennies.

En France, l’un des principaux points de débat sur le traité constitutionnel européen portait précisément sur les politiques de l’Union ; ce que contestaient les principaux opposants au traité, ce n’était pas les institutions, mais cette politique économique et sociale que nous sommes aujourd’hui obligés de reconsidérer à cause de la crise. Dans les prochaines semaines, nous devrons en revoir plusieurs principes, dont certains sont inscrits dans nos traités. Peut-être aurions-nous pu l’éviter.

Personne ne souhaite tirer avantage d’une situation si dramatique, mais il convient d’en tirer les conclusions en appelant à davantage de cohérence. Une politique européenne ne se fera pas à quatre, mais à vingt-sept, voire davantage, car cette question concerne le monde entier.

Le Président Andrzej Grzyb a raison : la politique de l’énergie constitue un enjeu considérable, qu’il faut relier à la situation actuelle. Il y a aujourd’hui une crise économique et financière, mais aussi, en filigrane, une crise de l’énergie et du climat, à propos desquels nous devons prendre de graves décisions. Ce n’est pas une mince affaire, car cela engage l’avenir du monde.

Dr Margrit Wetzel. Je suis préoccupée, parce que nous discutons comme si nous n’étions pas au cœur d’un brasier. Or nous sommes confrontés à un incendie traduisant une crise de confiance sans précédent, et je ne vois pas comment nous allons pouvoir l’éteindre, car les foyers en sont multiples.

Il s’agit en premier lieu d’une crise financière, les banques voyant des sommes énormes partir en fumée. Mais c’est aussi une crise politique : rien qu’à voir combien d’Etats membres ont agi isolément et pris des mesures particulières, on imagine mal comment on pourra trouver des solutions et des règles communes, ce qui est pourtant indispensable. C’est aussi une crise médiatique : en Allemagne, l’Etat agit pour restaurer la confiance, mais les médias font exactement le contraire et renvoient une image épouvantable des réactions gouvernementales.

Finalement, personne ne sait quoi faire pour circonscrire efficacement et durablement l’incendie. On a de bonnes intentions, mais les médias influencent les citoyens, qui croient ce que disent les journaux parce qu’ils ont bien du mal à comprendre ce qui se passe dans le monde politique et dans le monde financier. C’est le quatrième foyer de crise : car si les citoyens commencent à réagir, l’incendie ne pourra plus être éteint. Ce n’est pas encore le cas en Allemagne et en Pologne, et cela est plutôt rassurant. Mais si le vent venait à tourner, que se passerait-il ? S’il est bon de réfléchir à une définition communautaire des critères d’intervention, encore faut-il le faire sur un terrain apaisé, sinon les mesures prises demeureront sans effet.

Enfin, comment mettre en place un contrôle bancaire communautaire efficace sachant la disparité des systèmes de surveillance nationaux ? Dans certains Etats membres, le niveau d’endettement est comparable à celui des Etats-Unis. Pour assurer la sécurité des entreprises et des citoyens, et restaurer durablement la confiance, il faut garantir les liquidités.

M. Stanisław Iwan. J’appelle votre attention sur un point : nous parlons de créer des mécanismes communs pour vaincre la crise, mais il faudrait auparavant évaluer correctement la situation actuelle, ce que nous n’avons toujours pas fait. Cela devient urgent !

Peut-être pourrait-on proposer des solutions différentes suivant les pays. En particulier, il paraît nécessaire de différencier les pays qui sont dans la zone euro, qui peuvent trouver des solutions communes, et ceux qui n’y sont pas encore.

Du point de vue polonais, ce qui va se passer en France et en Allemagne sera essentiel, car ce sont nos deux principaux partenaires commerciaux : cela aura des répercussions directes sur la situation économique de notre pays.

Aujourd’hui, en Pologne, la situation semble assez stable, mais il n’y a pas si longtemps, les experts européens prévoyaient que la crise américaine aurait de faibles répercussions sur l’Europe. Or certains pays proposent d’ores et déjà des garanties spécifiques à leurs établissements bancaires.

M. Axel Schäfer. Je commencerai par deux remarques personnelles.

Lorsque, il y a près de quarante ans, j’ai opéré mes choix politiques, je me suis dit que je ne voulais pas du communisme, et qu’il devait y avoir quelque chose de mieux que le capitalisme ; je suis donc devenu social-démocrate.

A la même époque, je me suis rendu pour la première fois dans ce qui était à l’époque la RDA, où j’ai découvert un document très intéressant : à la libération du camp de concentration de Buchenwald, en avril 1945, des sociaux-démocrates issus de treize pays différents ont rédigé un manifeste affirmant que l’avenir de l’Allemagne ne pouvait être qu’européen, et que l’amitié avec ses voisins français et polonais était la chose la plus importante pour garantir cet avenir.

S’agissant de la crise financière, ce qui est important, c’est que nous autres élus puissions incarner une certaine confiance dans la démocratie européenne, mais que, dans le même temps, nous fassions preuve d’un peu d’autocritique. Par exemple, dans mon parti, le SPD, nous avons été un peu trop favorables aux idées des années 1990 sur la déréglementation et le libéralisme. Du coup, l’Etat a été méprisé, bafoué ; on a laissé dire que ses fonctions régaliennes n’intéressaient que les veilleurs de nuit et la police. Aujourd’hui, nous sommes en droit d’attendre un peu plus d’humilité de la part de ces banquiers de 25 ans qui se sont moqués des hommes politiques en nous expliquant que deux plus deux ne font pas quatre mais quatre cents. Il faut que l’Europe tire les conséquences de ses lois ; et celles-ci affirment qu’un responsable l’est au plein sens du terme. D’ailleurs, en allemand, on dit « haftbar », c’est-à-dire que ceux qui manipulent de grosses sommes d’argent ont une responsabilité pécuniaire et doivent, le cas échéant, les restituer ; quand on est légalement responsable, on doit pouvoir être sujet à des poursuites pénales. Pourquoi les petits fraudeurs seraient-ils envoyés en prison quand millionnaires et milliardaires se trouveraient à l’abri ?

S’agissant de l’Europe, j’ajouterai deux questions.

Notre collègue polonais, qui n’a pas la même orientation politique que moi, a raison : il n’est pas juste que la commissaire à la concurrence détienne tant de pouvoir. En Allemagne, ce n’est pas le Gouvernement qui décide des règles de la concurrence, mais une instance indépendante. Ne faudrait-il pas doter l’Europe d’une autorité indépendante en matière de concurrence ?

Peut-être faudrait-il également déployer un peu plus d’énergie pour mettre fin aux paradis fiscaux. Les politiques sont des êtres humains comme les autres : dans une crise comme celle que nous traversons, nous apprenons des choses, et il faut savoir tirer rapidement les leçons des expériences douloureuses. C’est ainsi que nous obtiendrons ce dont nous avons besoin : la confiance dans l’action, synonyme de confiance dans les institutions démocratiques.

Le Président Pierre Lequiller, remplaçant M. Daniel Garrigue. Je vous prie d’excuser mon retard, mais le Premier ministre étant en visite dans ma circonscription, il était impensable que je ne sois pas présent pour l’accueillir.

M. Daniel Garrigue. Je voudrais faire trois séries d’observations.

Tout d’abord, il faudra analyser les origines de cette crise, mais il convient de distinguer ce qui s’est passé aux Etats-Unis, d’une part, et en Europe, d’autre part. Depuis longtemps, la politique économique américaine consiste à privilégier la croissance et la relance de l’activité au détriment d’une certaine discipline, notamment en matière de budget et de commerce extérieur. L’une des conséquences en est le recyclage permanent des capitaux vers les Etats-Unis. Parmi les éléments qui ont pesé dans cette crise, il y a donc, du côté américain, une trop grande abondance de liquidités, une politique de taux d’intérêts faibles et la croyance, qui s’est développée sous l’influence des thèses monétaristes, que les banques centrales suffiraient à réguler le système. Dès lors, on a vu se développer des instruments et des comportements extrêmement dangereux, comme la titrisation qui, à l’origine, était une bonne idée mais a été dévoyée. À l’inverse, les pays de la zone euro, s’ils subissent les contrecoups de la crise américaine, ont, du fait du pacte de stabilité, davantage respecté les disciplines budgétaire et monétaire, bien qu’ils n’aient pas tous fait montre de la même rigueur. Sans la zone euro, les pays européens auraient été emportés en quelques jours. C’est l’un des enseignements à tirer de la situation actuelle. Certes, comme Mme Margrit Wetzel l’a dit, il s’agit en partie d’un phénomène de confiance, mais il y a aussi des éléments objectifs : les actifs toxiques qui se révèlent au fil des mois sont une réalité !

Ensuite, M. Markus Löning estime que les Européens ont été incapables de réagir et que la réunion du week-end dernier n’a pas été couronnée de succès. Cependant, l’Europe et les Etats-Unis n’ont pas du tout géré la crise de la même manière. Du côté américain, on a réagi de manière variable aux difficultés des établissements, et l’un des accélérateurs de la crise fut l’abandon de Lehman Brothers. Du côté européen, au contraire, l’ensemble des Etats membres a eu la volonté de venir en aide à tous les établissements en difficulté, sans exception, ce qui a permis d’atténuer l’impact de la crise. Certes, il n’y a pas eu de réunion au niveau global ni même au niveau de l’Eurogroupe, mais il fallait réagir dans l’urgence : quand Fortis et Dexia se sont trouvées en difficulté, cela s’est produit en quelques heures et en pleine nuit ; ce n’est pas à quinze ou à vingt-sept qu’on peut prendre rapidement des mesures salvatrices ! Je comprends la position du Président Andrzej Grzyb sur le respect des règles de concurrence et sur les chantiers navals – la France a d’ailleurs été confrontée au même problème –, mais la situation actuelle est très différente : il s’agit d’une violente bourrasque face à laquelle il convient de prendre des mesures d’urgence ; les établissements nationalisés seront reprivatisés dès que possible, comme c’est déjà le cas pour Fortis.

Certes, les Européens ont du mal à agir de manière cohérente : certains choisissent de garantir – chacun à sa manière – les dépôts ; d’autres privilégient l’intervention directe auprès des établissements. Il faut éviter que les Etats membres empruntent des voies trop divergentes. En définitive se pose la question d’une supervision fondée sur des règles communes et d’une régulation des marchés financiers à l’échelle européenne. Aujourd’hui, nos institutions manquent crucialement de capacité de réaction, à commencer par la Banque centrale, en raison notamment de l’impossibilité de recourir à l’emprunt.

Le Président Gunther Krichbaum. Vous avez raison, Mme Wetzel, l’incendie se déploie, mais l’important, c’est que nous contrôlions les liquidités. Si celles-ci devaient se restreindre parce que les banques ne se prêteraient plus rien, cela signifierait que l’argent, marchandise dont le prix est déterminé par la loi de l’offre et de la demande, deviendrait plus cher, et cela aurait des conséquences fatales sur nos économies. Pour le moment, les tentatives d’extinction n’ont pas été couronnées de succès, mais gardons confiance et espérons que la situation se rétablira d’elle-même. Fort heureusement, le prix du pétrole est à la baisse, ce qui est un élément positif.

Ce qui me préoccupe davantage, c’est qu’un autre foyer se déclare. Or, après l’éclatement de la bulle immobilière, je crains l’éclatement de la bulle de la consommation. L’endettement par la carte de crédit représente aux Etats-Unis des sommes considérables. Si par malheur survenait une récession, beaucoup de gens ne pourraient pas rembourser, et ce serait la prochaine catastrophe. Des mesures de régulation – par ailleurs sans doute contestables – sont donc aujourd’hui nécessaires, parce qu’elles atténuent le risque d’une récession dont les conséquences seraient catastrophiques.

Vous déplorez ensuite un manque de transparence et une information déficiente. En Allemagne, nous n’avons pas à nous plaindre du manque de surveillance, puisque nous disposons des conseils de surveillance, des experts comptables, de la Bundesbank, de la Bafin, et de la surveillance de la Bourse. Le problème, c’est que ces différents rouages ne jouent pas ensemble. Il est indispensable de rétablir la confiance sur les marchés. Les propos de Mme Angela Merkel visant à garantir les dépôts des épargnants sont critiquables, mais ils contribuent à rassurer le marché ; sans cette garantie, les liquidités risqueraient de disparaître.

Enfin, cette crise, qui a coûté à la Banque mondiale 1,4 milliard de dollars, a des répercussions très importantes sur le plan social. Nous avons besoin de l’économie et il ne faut pas la diffamer. Je viens de Pforzheim, dans le sud de l’Allemagne : c’est une région de petites sociétés familiales où le patron, présent du matin au soir dans l’entreprise, est personnellement responsable, sur ses biens propres. Voilà ce qui constitue la base de notre économie. M. Axel Schäfer a raison : il n’est pas normal que ceux qui, dans les sociétés par actions, encaissent les bénéfices, courent se cacher dès qu’un incendie éclate. A cause de ce manque d’équité, nos concitoyens perdent confiance dans l’économie. Pour restaurer le consensus social, nous avons besoin de renforcer la responsabilité personnelle des managers qui ont provoqué cette crise. Apprendre aujourd’hui par la presse que le directeur de la HVB, qui est à l’origine d’une situation très grave, perçoit des indemnités d’un tel niveau est incompréhensible. C’est à nous, politiques, d’empêcher cela.

M. Markus Löning. Je n’ai pas critiqué le fait que le gouvernement fédéral ait garanti les dépôts des épargnants : il est évident qu’il doit veiller à ce que les liquidités ne disparaissent pas des banques. Ce que j’ai critiqué, en revanche, ce sont les décisions prises isolément dans les différents Etats membres, dans des conditions et à des moments différents : cela risque de provoquer des afflux d’argent dans certains pays, ce qui aurait des effets contre-productifs. Il aurait fallu prendre une décision unique applicable par tous au même moment. Je regrette que cela n’ait pas été fait lors du sommet du week-end dernier.

Au cours d’une réunion précédente avait été évoquée la création d’un fonds européen pour garantir les instituts de crédit. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée : il faut des règles, des principes et des actions communs et une action nationale sur le terrain, car le législateur national sera plus prudent s’il s’agit de ses propres fonds et non d’un pot commun européen.

Par ailleurs, il convient d’agir de manière différenciée suivant les institutions financières. Il n’est pas judicieux d’oublier complètement les règles du marché en accordant un crédit général et en promettant aux banquiers une aide, quoi qu’il advienne. En Allemagne, par exemple, il est impensable que le contribuable mette à la disposition de la Hypo Real Estate quelque 50 milliards d’euros et que la société conserve le même directeur et le même conseil de surveillance ! Comme l’a confirmé notre ministre des finances, le contribuable paiera, mais les avoirs de la banque devront être valorisés et l’argent reviendra au contribuable. De telles erreurs ne peuvent rester sans conséquences !

Quand on parle de nationalisation, ce doit être avec la plus grande prudence. Etait-ce la bonne décision pour Fortis ? Je ne le pense pas, comme je ne crois pas utile que l’Union européenne possède un système bancaire nationalisé. Les parts que les Etats sont amenés à prendre dans les banques devraient par la suite être revendues.

Nous ne serons jamais d’accord sur le rôle des banques centrales. A mon sens, elles ne doivent pas s’occuper du marché du travail. La tâche de la Banque centrale européenne est d’assurer la stabilité de l’argent et de contrer l’inflation pour éviter d’avoir à prendre des mesures de ce type. L’erreur de la FED a précisément été d’avoir favorisé le développement de crédits faciles à des emprunteurs qui ne pouvaient pas rembourser.

Quant à la politique économique américaine, il est difficile de la critiquer globalement. Sur le plan budgétaire, la politique du gouvernement Bush a été une catastrophe ; en revanche, il a obtenu un beau succès en matière de croissance et d’emploi. On ne peut pas dire que tout fut mauvais, même si de très graves erreurs ont été commises. Ne l’oublions pas, la prospérité a été plus grande ces dernières années aux Etats-Unis qu’en Europe, et il y a beaucoup moins de chômeurs.

Le Président Edmund Wittbrodt. Je suis d’accord sur beaucoup de points avec M. Markus Löning. Une coopération et une harmonisation européennes sont nécessaires. Je crains que le scénario du Président Gunther Krichbaum, selon lequel la crise se résorbera d’elle-même avec le retour de la confiance, ne soit pas très réaliste. Nous déplorons que l’on accorde trop facilement des crédits, mais dès qu’on allume le poste de télévision, en Pologne comme en France, on voit une publicité qui promet des prêts sans garanties ! On a l’impression de vivre dans un monde sans risque, totalement ignorant de ce qui vient de se passer ! Il faudrait des réunions européennes régulières afin, non seulement de prendre des décisions, mais de suivre l’évolution de la situation et de réagir de façon appropriée.

Le Président Pierre Lequiller. N’ayant pas assisté à la totalité du débat, je me contenterai d’exprimer quelques réflexions.

Tout d’abord, je pense que les positions qui ont été exposées sont compatibles. J’espère que nous tirerons les leçons de cette crise en admettant que nous avons, aujourd’hui plus que jamais, besoin de l’Europe. J’ignore si l’on parle beaucoup des élections européennes dans vos pays respectifs, mais ce n’est pas le cas en France, alors qu’elles auront lieu en juin prochain. Malgré tous les efforts des membres de la Commission, de gauche comme de droite, il est difficile de parler de l’Europe en France. Or, la crise géorgienne comme la crise financière démontrent que nous en avons grandement besoin.

M. Markus Löning a raison, l’Europe a réagi plus rapidement que les Etats-Unis, mais elle l’a fait au début de manière sélective et sans coordination : par exemple, la décision irlandaise a provoqué un afflux de capitaux britanniques. Le traité de Lisbonne est plus indispensable que jamais. Personne n’a de leçons à donner aux Irlandais – et la France moins que quiconque –, mais l’Irlande est le pays le plus atteint par la crise financière, et elle va avoir besoin de l’Europe. La situation présente suffit à démontrer que nous avons besoin d’une présidence stable : sur des sujets aussi graves, on ne peut se satisfaire de présidences tournantes.

Certes, il convient d’éteindre le feu, mais il faudra ensuite tirer les leçons de la crise et mettre en place des mécanismes de régulation aux niveaux européen et international afin de ne pas retomber dans les errements passés. Au cours d’une précédente réunion, nous avions déjà parlé de la crise financière : on la voyait venir. Pour l’instant, l’Europe résiste mieux que les Etats-Unis, mais on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. Il ne faudrait pas que le système continue à fonctionner comme avant.

III. Paquet énergie-climat

M. Jérôme Lambert. La Commission chargée des affaires européennes est très attentive à la politique européenne en matière d’énergie et de climat, laquelle fait l’objet de plusieurs propositions de directive qui viendront en discussion au Parlement européen à la mi-décembre. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une menace sans précédent, qui remet pour partie en cause l’organisation sociale mondiale. Si nous n’agissons pas pour réduire les gaz à effet de serre, appliquer les engagements du protocole de Kyoto et prendre des mesures pour les prolonger, les répercussions seront très lourdes sur l’environnement, l’économie, l’être humain et la vie en général.

La lutte contre le changement climatique est étroitement liée à la nécessité de réduire la dépendance énergétique de l’Europe en matière de carburants fossiles. Nous devons élaborer des stratégies intelligentes dans le domaine du changement climatique et de l’énergie qui nous permettront de réaliser cet objectif. Les Européens doivent montrer l’exemple et insuffler des dynamiques mondiales à l’occasion des conférences de Poznan, dans deux mois, et de Copenhague, dans un an.

Dans cette optique, chacun de nous doit intensifier ses efforts afin de réduire ses propres émissions. La Commission approuve les objectifs du paquet énergie-climat. Avec nos partenaires polonais et allemands, nous ne partons pas de la même situation, nous n’utilisons pas les mêmes énergies et nous ne préconisons pas nécessairement les mêmes solutions, mais nous devons obtenir le même résultat. Bien qu’en la matière, le principe de subsidiarité puisse jouer, nous devons parvenir à des positions communes.

M. Stanisław Iwan. Ce qui va se passer dans les prochaines années préfigurera ce que sera la vie sur notre planète dans cinquante ou cent ans. Nous voulons laisser aux générations futures les meilleures conditions de vie possibles, malgré les destructions survenues au cours des siècles passés.

Afin de satisfaire aux besoins de la vie sur Terre, nous tenons à mettre en œuvre l’idée de développement durable. Le principal projet de l’Union européenne dans ce domaine consiste à élaborer et mettre en œuvre le paquet énergie-climat.

La crise financière ne risque-t-elle pas d’en contrarier l’application dans l’Union européenne et dans le monde entier ? Le défi est de taille. Nous aimerions être suivis par d’autres grandes économies mondiales, qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre et utilisent des sources d’énergie fossiles. Si nous ne les gagnons pas à notre cause, nos efforts, si louables soient-ils, n’auront que des effets limités ; à long terme, on pourra même se demander si les résultats obtenus auront été à la hauteur des efforts consentis.

La Pologne tire son énergie électrique à 90 % du charbon. Produire un mégawatt d’électricité dégage une tonne de carbone, ce qui pose problème. Notre secteur énergétique doit donc être radicalement transformé. Si les technologies pilotes fondées sur la capture du carbone ne passent au stade industriel qu’en 2050, comment allons-nous faire pour survivre jusque-là et disposer de l’énergie à un prix raisonnable sans que l’économie polonaise ne s’écroule du fait de la compétitivité supérieure de ses voisins ?

Plus précisément, le problème essentiel réside dans le système d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre. Le paquet législatif de la Commission prévoit la mise aux enchères de l’intégralité des quotas attribués à la production électrique à compter de 2013, ce qui représente une très grande menace pour les entreprises polonaises, qui ne seront pas à même de concurrencer les entreprises occidentales. La remise en cause de la gratuité des quotas se fera, en outre, au détriment de la sécurité énergétique de la Pologne, qui pourrait être amenée à substituer le charbon par du gaz importé de Russie, et cela aura des conséquences néfastes sur tous les pays de l’Union européenne.

En outre, comment les fonds versés en contrepartie de ces quotas pourront-ils être utilisés pour renouveler le potentiel de production et de transport de l’énergie et financer la mise en place de nouvelles technologies dans des pays comme le nôtre ? En Pologne, l’énergie sera produite pendant encore très longtemps à partir de ressources fossiles, car ce sont les seules dont nous disposons. Selon l’Union, le droit d’émission s’élèvera à environ 40 euros la tonne, alors que des institutions internationales indépendantes estiment que si nous ne plafonnons pas les prix et que des éléments spéculatifs apparaissent, son prix pourra grimper jusqu’à 50, 60 euros, voire davantage. Peut-être s’agit-il d’un scénario noir, mais il est prévu par des analystes sérieux.

Quand bien même on déciderait d’importer l’énergie nécessaire, nos capacités de transport seraient insuffisantes, puisqu’elles ne couvrent que 10 % de nos besoins. Si l’un des premiers effets de notre adhésion à l’Union européenne devait être l’effondrement de notre économie, les Polonais risqueraient de se retourner contre elle. C’est pourquoi il faut prévoir un mécanisme de stabilisation des prix pour les enchères de quotas d’énergie, de façon qu’ils ne dépassent pas les cent euros par tonne, soit le montant de la pénalité. Nous souhaiterions en outre qu’au moment où seront accordés les quotas d’émission, on tienne compte des efforts réalisés ces dernières années pour se conformer rapidement aux engagements du protocole de Kyoto.

Autre risque : la délocalisation de la production. S’ils trouvent les quotas pénalisants, nos cimentiers quitteront le territoire national pour se réfugier de l’autre côté de la frontière. D’aucuns suggèrent de s’entendre dès maintenant avec l’Ukraine pour construire sur son territoire des centrales au charbon. Quel sera le bénéfice pour l’environnement ? Nul !

N’oublions donc pas de concevoir des solutions transitoires adaptées pour les pays utilisant des sources fossiles, comme les Etats-Unis ou la Chine. Il est essentiel de les entraîner à notre suite. On estime à 12 % des émissions mondiales, les émissions dues au fonctionnement de l’économie communautaire. La Chine ne cesse d’augmenter les siennes. Malgré l’effort financier consenti, une réduction de 20 % de notre seule part ne représenterait, globalement, qu’une réduction de 2,5 %. Je suis père et grand-père, je tiens à ce que mes enfants et petits-enfants vivent dans de bonnes conditions.

M. Rainder Steenblock. Tous les espoirs reposent aujourd’hui sur l’Europe, région du monde qui a répondu de la manière la plus décisive au grand défi du changement climatique, en définissant des objectifs précis, sur lesquels nous nous accordons tous : davantage d’énergie renouvelable, moins d’énergie fossile ; plus d’économies, plus d’efficacité, donc plus de recherche. L’Europe doit jouer un rôle précurseur en ce qui concerne non seulement de nouveaux potentiels économiques, mais aussi de nouvelles technologies qui pourront être utilisées dans le monde entier, notamment en Chine et aux Etats-Unis.

Les quotas d’émission sont certainement un moyen d’atteindre ces objectifs ; il nous faut aussi légiférer. Il n’y a pas que la production d’électricité : dans les transports aussi, les taux d’émission sont extrêmement importants et une intervention au niveau européen paraît nécessaire. Des valeurs limites sont fixées par une proposition de règlement sur les émissions des automobiles qui suscite des divergences entre la France et l’Allemagne ; je suis quant à moi du côté français, car je pense que les efforts qui ont été réalisés dans votre pays, notamment en ce qui concerne l’industrie automobile, vont dans la bonne direction.

La crise des marchés financiers touche en effet d’autres secteurs : ainsi, en Allemagne, la crise du secteur automobile est étroitement liée à celle du système bancaire, non seulement parce qu’on achète les voitures à crédit, mais aussi parce que l’augmentation du prix de l’essence réduit les ressources des ménages. Que peut faire l’Etat pour que, face à l’augmentation du prix de l’énergie, les besoins de base des citoyens soient garantis, sans pour autant perdre de vue le principal objectif de notre politique énergétique, c’est-à-dire réduire la consommation ? Voilà le problème que nous devons résoudre. Les prix doivent être justes tant sur le plan écologique que sur le plan social. Cela ne signifie pas que l’Etat doit distribuer des bons d’essence, mais qu’il doit favoriser le développement de voitures qui consomment moins, ce qui est de sa responsabilité.

Ces dernières années, grâce à la restructuration du marché de l’énergie et au développement des énergies renouvelables, la production d’électricité en Allemagne s’est accrue. Aujourd’hui nous sommes devenus exportateurs d’électricité ; l’Allemagne exporte désormais davantage d’électricité vers la France qu’elle n’en importe, et cela, bien qu’elle sorte du nucléaire.

Bien sûr, la situation n’est pas la même en Pologne, mais cela lui ouvre des perspectives pour sortir du charbon, même si cela ne se fera pas du jour au lendemain. Le principe des quotas et de la mise aux enchères est bon, mais on en demande trop à la Pologne, qui se trouve actuellement dans une situation difficile. Nous devons trouver une solution transitoire.

Il est également nécessaire de développer le réseau d’électricité européen, car les interconnexions entre les pays sont insuffisantes ; les réseaux de transport entre l’Allemagne et la Pologne sont ridicules au vu des besoins. De même, il existe en matière d’énergies renouvelables nombre de projets extrêmement intéressants dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée ; le problème est qu’il n’existe pas de réseaux de transport pour les acheminer ailleurs en Europe.

L’autre défi est celui de la compétitivité. Quel niveau de compétitivité désirons-nous pour à la fois maintenir les potentiels existants et développer l’innovation ? En Allemagne, un débat très intéressant s’est engagé sur le monopole régional de l’électricité : faut-il l’ouvrir à la concurrence ? Au niveau européen, il existe une très nette tendance à séparer le transport et la distribution, ce qui me paraît judicieux, car cela favorisera une concurrence dont les effets seront bénéfiques sur le prix à la consommation. Actuellement, les grandes entreprises allemandes d’électricité font des bénéfices considérables, pas vraiment justifiés.

Nous pouvons faire beaucoup de choses en commun. Il suffit de parcourir un peu le monde pour réaliser que, de l’extérieur, l’Union européenne existe et qu’elle représente un espoir pour de nombreuses régions. Nous avons une grande responsabilité en ce domaine. Nous devons dès que possible développer de nouveaux modèles énergétiques. Cela ne sera pas simple, et nous occupera bien plus longtemps que le règlement de la crise financière. Il faut intensifier nos efforts dans le domaine de la recherche, afin de nous montrer à la hauteur des défis et de gagner des positions sur les marchés internationaux. Souvent, ce sont des PME qui ont les idées nouvelles ; elles ont pour les développer besoin de financements et de la garantie que l’Etat soutiendra le marché des énergies renouvelables. C’est la voie que nous privilégions en Allemagne ; nous sommes tous d’accord pour la suivre, car elle nous mènera au succès.

Le traité de Lisbonne nous permettra de faire progresser le marché de l’énergie européen. La politique climatique internationale a besoin de ce nouvel élan européen.

Le Président Edmund Wittbrodt. La Pologne est très intéressée par la mise en œuvre du paquet énergie-climat. Il me semble aussi important que l’Europe constitue un modèle pour le reste du monde.

M. Rainder Steenblock a parlé du transport de l’électricité, mais il ne faut pas oublier les sources d’énergie primaire et la sécurité énergétique. En la matière, le paquet énergie-climat doit être plus réaliste. Ce que nous demandons, c’est l’équité, et la prise en compte des différences économiques, technologiques et sociales entre les Etats membres. En Pologne, nous achevons la conception de projets de recherche et développement consacrés aux énergies propres et à la stratégie « trois fois vingt » ; un programme gouvernemental spécifique vise à réduire les émissions de CO2 ; le débat sur l’énergie nucléaire a été lancé, dont nous espérons qu’il débouchera sur des technologies plus propres et plus sûres. Nous disposons donc déjà de projets de grande envergure ; il reste à décider les moyens qui leur seront alloués.

Dr Margrit Wetzel. M. Rainder Steenblock a parfaitement exprimé la position de l’Allemagne. Je voudrais pour ma part revenir sur deux points abordés par nos amis polonais.

S’agissant de la tarification du CO2, vous avez dit craindre une spéculation s’il n’y avait pas de prix plafond. Or en Allemagne, les industries de base, qui consomment beaucoup d’énergie, ont dû fermer des sites en raison d’une spéculation passée sur le CO2. Je peux donc comprendre votre crainte.

L’important, c’est de répondre de manière appropriée à ce défi gigantesque qu’est le réchauffement climatique. Il ne faut pas accepter des délocalisations simplement parce que nous souhaitons apparaître comme des précurseurs et que nous voulons diminuer nos émissions de CO2. Si certains de nos secteurs industriels, gros consommateurs d’énergie, bénéficient d’excellentes technologies, il faut éviter leur délocalisation, leur accorder une sécurité de planification et réfléchir en amont à ce que pourraient être d’éventuelles remises.

S’agissant de l’avenir des centrales à charbon en Pologne et en Allemagne, et des technologies, très coûteuses, de capture et de stockage du CO2, les Européens sont là encore des précurseurs, mais je crains que ces centrales pilotes ne puissent pas venir à maturité commerciale à temps. Ces ressources en recherche et développement ne seraient-elle pas mieux employées dans le secteur des énergies renouvelables ?

Le Président Edmund Wittbrodt. Vous dites que les aspects techniques devraient être pris en considération : c’est précisément ce que nous demandons.

Le Président Andrzej Grzyb. Nous sommes d’accord sur les objectifs du paquet énergie-climat. Cependant, nous désirons aussi mettre en avant tout ce que nous avons réalisé depuis la signature du protocole de Kyoto, et rappeler que ce sont surtout les douze nouveaux pays membres de l’Union européenne qui en ont réalisé les objectifs, tandis que la plupart des autres membres de l’Union augmentaient leurs émissions de gaz à effet de serre. Certes, les causes en sont variées ; parfois, cela est dû à la disparition de certains secteurs industriels. Nous sommes cependant satisfaits que la Silésie soit devenue plus propre, et nous voulons que cela continue.

Rappelons que l’énergie la moins coûteuse est celle qui n’est pas utilisée, et que le CO2 meilleur marché est celui qui n’est pas produit. Dans cette optique, la rationalisation de l’utilisation de l’énergie est le premier objectif que nous recherchons.

S’agissant du système européen d’échange de droits d’émission, si l’objectif est bien de parvenir à une mise aux enchères, nous proposons d’y arriver au fur et à mesure. Par exemple, en 2013, la première année, 10 % des droits à l’émission seraient achetés aux enchères, et cette proportion augmenterait progressivement, suivant les négociations.

Il faut aussi que la fourchette des tarifs soit régulée. Au sein de l’« Ecofin », la Pologne a proposé de moduler les prix prévisibles des droits d’émission du CO2 afin qu’ils ne dépassent pas un niveau acceptable. Je rappelle à titre d’exemple que les droits d’émission du dioxyde de soufre aux Etats-Unis sont passés, entre 1996 et 2006, de 66 à 860 dollars. Nous ne pouvons donc pas avoir la certitude que le prix se maintiendra au-dessous de 30 euros – ce que confirment d’ailleurs les institutions financières allemandes. Or, dans le cas contraire, les efforts menés pour introduire ce processus en Pologne seraient voués à l’échec, car les citoyens ne supporteraient pas une telle augmentation des prix et nous ne disposons pas du capital nécessaire pour moderniser rapidement nos entreprises de production d’énergie.

En ce qui concerne le réseau électrique, nous disposons de plusieurs projets, dont un pont énergétique avec la centrale d’Ignalina, en Lituanie, un grand réseau électrique avec l’Ukraine, l’introduction de l’Ukraine dans de grands projets européens, et l’importation d’électricité en provenance des centrales nucléaires ukrainiennes – mais tout cela demande du temps. En outre, à l’initiative du ministre polonais, les ministres de l’économie se rencontreront avant le sommet de Poznań afin d’examiner les technologies industrielles à faible émission de gaz à effet de serre, de manière à créer de nouveaux standards à l’échelle européenne – voire mondiale, puisque nous avons reçu des échos favorables en provenance d’Inde : il existe hors d’Europe des pays qui veulent eux aussi accroître leur efficacité énergétique.

S’agissant enfin de la sécurité énergétique, l’introduction radicale du système d’enchères des droits d’émission nous obligerait à changer très rapidement de méthode pour obtenir l’énergie primaire. La solution la plus rapide consisterait à utiliser le gaz naturel, ce qui provoquerait une très grande dépendance de la Pologne vis-à-vis de notre principal fournisseur, la Russie. Une solution alternative reste le développement de technologies propres, à base de charbon. Il serait donc bon que nous bénéficiions d’une période transitoire.

M. Rainder Steenblock. Si je suis d’accord, sur le principe, avec le Président Andrzej Grzyb, je reste dubitatif quant au plafonnement des prix.

S’agissant de l’Ukraine, l’énergie y a toujours été très bon marché. Du coup, on la gaspille, notamment dans le chauffage des logements. Résultat : c’est un des pays où la consommation d’énergie par habitant est la plus forte. Cela montre bien que des subventions élevées peuvent inhiber les innovations. Il est nécessaire d’arriver au plus vite à la vérité des prix.

Dans ce domaine du chauffage, qui représente une part très importante de la consommation d’énergie, l’Etat peut cependant jouer un rôle actif en accordant des prêts bonifiés ou en concevant des programmes d’aide à l’isolation thermique des bâtiments, afin de réduire la consommation dans les foyers. Cela est particulièrement nécessaire en Europe centrale et orientale, où l’on gaspille de l’énergie du fait d’une isolation thermique insuffisante.

Nous avons nous aussi pu réduire les émissions de CO2 en puisant dans des « gisements » d’économie, notamment grâce à la désindustrialisation de l’Allemagne de l’est. Cependant, en matière de chauffage, de ventilation et de réfrigération, c’était une véritable gabegie énergétique ! Il est nécessaire que l’Etat favorise la modernisation du parc de logements. On ne pourra pas introduire du jour au lendemain des certifications énergétiques pour ceux-ci, mais la valeur d’une habitation dépendra de plus en plus de sa consommation énergétique. Les prix de l’énergie augmentant, cela fait désormais partie des missions fondamentales de l’Etat.

Le Président Edmund Wittbrodt. Le Président Andrzej Grzyb a préalablement signalé qu’il existait de tels programmes de thermorégulation, visant à faire baisser de 40 à 50 % la consommation d’énergie. C’est précisément la voie qui évitera de générer de nouvelles émissions de gaz à effet de serre.

M. Stanisław Iwan. Tous nos moyens devraient être concentrés sur les énergies renouvelables, car il sera difficile d’arriver aux 20 % prévus en 2020 !

Le Président Pierre Lequiller. Sur ce sujet, je ne parlerai pas du nucléaire afin de ne pas froisser nos amis allemands !

M. Robert Lecou. A l’issue de cette réunion, je me livrerai à une profession de foi politique, plutôt qu’à un diagnostic d’expert – bien qu’on en ait aussi besoin.

Tout d’abord, la crise financière a prouvé qu’il fallait remettre l’homme au cœur du débat et, à travers lui, le politique plutôt que l’expert, car il est celui qui assume la responsabilité et doit, à ce titre, bénéficier de l’autorité, c’est-à-dire du pouvoir de décision.

Ensuite, nous venons d’horizons différents et sommes riches d’histoires plurielles. Ce matin, le ministre français des affaires étrangères, de retour d’Israël, nous a rapporté qu’Allemands et Français expliquaient aux Israéliens et aux Palestiniens la nécessité de s’entendre. Quel chemin parcouru ! Cela ne peut qu’inciter à davantage de rencontres comme celle-ci, à davantage d’Europe et à davantage de relations à travers les organisations internationales, qui sont les lieux d’interconnexion, de régulation et d’harmonisation dont nous avons besoin.

Nous devons aussi nous fixer des objectifs. Bien que les « trois fois vingt » paraissent complexes, c’en est un, que, pour ma part, je trouve satisfaisant. Peut-être faudrait-il les remettre dans l’ordre : d’abord les 20 % d’économie d’énergie, puis les 20 % d’énergies renouvelables, qui déboucheront plus facilement sur la réduction de 20 % des émissions de CO2. Il reste que cet objectif est nécessaire : il suffit de regarder une photographie aérienne du pôle Nord en été ou d’observer qu’on peut aujourd’hui se rendre par bateau au Japon via le nord de la Russie ou du Canada pour prendre conscience du problème.

J’entends bien les préoccupations de nos amis polonais et je sais qu’il est nécessaire de tenir compte des impératifs de la vie quotidienne, de l’économie et de la cohésion sociale. Cependant, nous nous sommes fixé un objectif ; et si nous avons la volonté politique, nous trouverons toujours un moyen de l’atteindre. Nous devons pour cela discuter autant que nécessaire.

Dans cette perspective, il faut investir davantage dans les technologies nouvelles, car l’intelligence humaine est toujours capable de trouver des solutions. Prenons le problème de l’élimination des déchets. Récemment, j’ai effectué pour le compte de l’Assemblée une mission au Canada afin d’étudier une usine de gazéification et de vitrification par torche à plasma, nouvelle technologie susceptible de transformer les déchets en source d’énergie : il s’agit d’une espèce de cocotte-minute qui, sans émission de gaz à effet de serre ou de dioxine, c’est-à-dire sans risque pour l’air, produit des stériles qui sont, par un procédé de vitrification, complètement neutralisés, sans aucun risque pour le milieu naturel ; on est capable de produire de l’électricité avec cette technologie nouvelle ! C’est pourquoi l’Europe doit mettre l’accent sur la recherche et le développement.

Nous devons aussi organiser d’autres rencontres comme celle-ci. L’Europe est utile, c’est évident. Pour ma part, j’estime que la réunion à quatre de dimanche dernier sur la crise financière n’a pas été inutile pour les Vingt-sept, même si elle n’a pas atteint tous ses objectifs. C’est toujours mieux que ce qui s’est produit aux Etats-Unis, où l’on n’a pas réussi à sauver Lehman Brothers et où l’on a mis tant de temps à adopter le plan Paulson, maintenant plus complexe que ce qu’il était à l’origine. Quant à nos traités, peut-être sont-ils trop compliqués pour nos concitoyens, qui sont, de surcroît, mal informés par les médias. Ce qui importe avant tout, c’est la volonté politique. L’Europe doit exister de manière plus forte, pour que nous soyons davantage pris au sérieux au sein des organisations internationales, et que nous puissions assurer l’avenir de nos petits-enfants.

Le Président Gunther Krichbaum. Une position européenne commune est toujours délicate à élaborer, dans la mesure où il est déjà difficile de s’accorder au sein d’un même pays. Ainsi, dans la coalition allemande actuelle, les sociaux-démocrates sont favorables à une sortie du nucléaire alors que, vu les objectifs climatiques à atteindre, la CDU y est opposée.

La réduction des émissions de CO2 est un objectif essentiel. Il faut le prendre au sérieux. On a évoqué à juste titre le changement climatique : il serait catastrophique que l’Angleterre ait des vignobles de meilleure qualité que la France !

Certes, globalement les émissions de CO2 au niveau mondial sont telles que la contribution européenne paraît très faible, et celle de l’Allemagne quasi inexistante. Cependant, si nous parvenions à développer des technologies de pointe, nous pourrions les exporter. Il ne faut pas lâcher prise ! C’est en Europe que la Chine et les Etats-Unis doivent acheter les filtres pour leurs centrales thermiques.

Nous ne pouvons pas trop demander aux autres pays. Nous prenons très au sérieux les réserves de la Pologne, et, si nous ne croyons pas au mécanisme du plafonnement qui nous a été proposé, nous pensons qu’il est nécessaire de trouver une solution qui lui permette de trouver sa place dans le nouveau système.

Le Président Pierre Lequiller. Merci à tous pour ce débat très intéressant qui a mis en lumière la diversité de nos situations. Toutefois, il paraît nécessaire que, sur ces questions d’énergie et de climat, l’Europe joue un rôle pilote.

Nous n’avons fait qu’effleurer la question de la sécurité énergétique, qui est une question fondamentale, en particulier pour la Pologne. Nous y reviendrons demain, en parlant de l’Europe de la défense et de la Géorgie.

La séance est levée à vingt heures vingt.