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Commission chargée des affaires européennes

mercredi 8 octobre 2008

9 h 30

Compte rendu no 66

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Réunion commune des commissions des affaires européennes du Triangle de Weimar (ouverte à la presse) (suite)

La séance est ouverte à neuf heures quarante

Réunion commune des commissions des affaires européennes du Triangle de Weimar (ouverte à la presse) (suite)

IV. L’Europe de la défense

Le Président Pierre Lequiller. La France a fait de l’Europe de la défense l’une des priorités de sa présidence. La démarche du Président de la République procède de deux analyses.

D’une part, la France doit infléchir sa politique et entamer un rapprochement avec l’OTAN pour montrer que l'Europe de la défense ne se construit pas en opposition à l’OTAN. Plusieurs déplacements en Europe, notamment en Europe de l’Est, ont convaincu le Président Nicolas Sarkozy que, pour une meilleure compréhension de l’Europe de la défense, les relations avec l’OTAN devaient être apaisées. En outre, comme il l’a souligné devant le Congrès américain, la construction d’une Europe de la défense bénéficiera aux Etats-Unis et à l’OTAN.

D’autre part, les avancées ne se feront pas à coups de grandes déclarations, mais de façon pragmatique, comme le montrent les projets dans le domaine de l’armement et de la formation.

Pour mener une diplomatie active et autonome, l’Europe a besoin d’un bras armé : c’est la conviction de nombre de délégations européennes que nous avons rencontrées à l’occasion de la présidence française de l’Union.

M. Daniel Garrigue. Il s’agit de l’un des enjeux les plus fondamentaux de la construction européenne. Nous sommes sortis de l’OTAN en 1966 parce que nous considérions qu’il ne fallait pas confier à d’autres le soin d’assurer notre propre défense, que le jeu des alliances croisées risquait de nous attirer sur des théâtres d’opérations qui n’étaient pas les nôtres et que la France devait développer les moyens correspondant à une véritable politique de défense.

Il est vrai que l’OTAN a évolué parce que les menaces ont évolué dans le monde. Il reste à savoir si, en son sein, les Européens disposent d’un pouvoir comparable à celui des Etats-Unis. Par ailleurs, la question des théâtres d’opérations continue de se poser, dans la mesure où le champ d’action de l’OTAN s’est considérablement élargi. Quant aux moyens, nous attendons de nos partenaires qu’ils nous disent s’ils souhaitent véritablement une défense européenne et s’ils entendent engager des moyens en conséquence. Sans cette volonté, je ne vois pas pourquoi la France réintègrerait l’OTAN.

M. Axel Schäfer. Trois questions : où en est l’objectif de la politique européenne de sécurité et de défense, à savoir la constitution d’un corps de 60 000 hommes ? Qu’en est-il de la capacité de planification et de commandement de l’Union européenne, notamment dans le cadre des opérations militaro-civiles ? Quelles sont les perspectives européennes en matière de production d’armement – thème sensible et sur lequel les traités communautaires restent muets ?

Nous avons le sentiment que la France reviendra dans le commandement intégré de l’OTAN dans les prochaines années. Est-ce bien là l’objectif du Président de la République ? Le non irlandais a-t-il entraîné une quelconque inflexion de cette volonté ?

Par ailleurs, je voudrais savoir quelle est la réaction de nos collègues polonais à la crise géorgienne et à la conclusion de l’accord sur le bouclier anti-missile qui s’en est suivie. Quel impact cette décision est-elle susceptible d’avoir sur le débat européen ?

Le Président Pierre Lequiller. Le Président de la République souhaite que l’ensemble des pays européens adhèrent à une Europe de la défense, sans que cette démarche soit perçue comme une démarche antiaméricaine, notamment par les pays d’Europe centrale. C’est pourquoi nous estimons aujourd’hui nécessaire que la France réintègre pleinement l’OTAN.

Pour autant, cette réintégration ne se fera qu’à condition que l’OTAN se réforme, que la partie européenne existe pleinement et que la partie américaine en reconnaisse l’importance. La force européenne pourrait alors intervenir avec les Etats-Unis sur certains théâtres d’opérations, et en cas de désaccord, l’Europe mènerait une diplomatie autonome.

A plusieurs reprises, le Président George W. Bush s’est déclaré favorable à une Europe de la défense. Ce sujet évolue de façon positive et c’est la raison pour laquelle il constitue une priorité de la présidence française.

M. Tadeusz Iwiński. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’une Europe de la défense ; celle-ci doit à la fois compléter les actions de l’OTAN et jouer un rôle autonome. La Pologne a participé à cette politique, aussi bien dans le cadre d’Eurocorps que de l’Agence européenne de défense, du projet de gendarmerie européenne ou des missions militaires menées au Kosovo, en Bosnie-et-Herzégovine ou au Tchad.

Je connais bien l’Afghanistan, pour m’y être rendu à de nombreuses reprises avant l’arrivée des talibans au pouvoir et j’avoue ma grande préoccupation : comme l’a dit un commandant britannique, il s’agit d’une guerre que l’on ne peut gagner. Alexandre le Grand, l’Empire britannique et l’Union soviétique – qui y a perdu autant d’hommes que les Américains au Vietnam – n’ont pas réussi à soumettre ce territoire. Si cette opération – qui pèche par une insuffisante coordination de l’action militaire entre les Etats-Unis et les autres intervenants – n’est pas appuyée par une aide économique et sociale d’ampleur, elle n’a aucune chance d’aboutir. Pour autant, la Pologne poursuit son engagement : 400 hommes supplémentaires seront envoyés aux côtés de nos 1 200 soldats déjà sur place. Par ailleurs, ce conflit a un impact sur nos relations avec Moscou, puisque l’OTAN a besoin de la Russie et des pays limitrophes de l’Afghanistan – Tadjikistan, Ouzbékistan – pour approvisionner les forces déployées sur le territoire.

L’opinion publique polonaise est également partagée, selon un clivage gauche/droite, sur la question du bouclier antimissile. J’estime que si menace terroriste il y a, la réponse doit être globale ; en conséquence, la France, la Russie et la Chine doivent se joindre au dispositif. Aujourd’hui, seules la Pologne – qui a signé un accord avec Washington le 14 août – et la République tchèque – qui a signé l’accord SOFA le 19 septembre – sont concernées. 40 % de la population polonaise se déclarant contre l’installation du bouclier antimissile et un pourcentage équivalent n’ayant pas d’avis, nous exigeons l’organisation d’un référendum. La victoire, probable, du candidat démocrate à la présidence des Etats-Unis changera-t-elle la donne ? Ce bouclier de dix missiles intercepteurs n’a pas pour cible la Russie, mais insuffisant pour assurer une protection, il a pu être considéré comme une menace pour Moscou. Cependant, nous notons que dès que la Russie est entrée sur le territoire géorgien, le gouvernement a décidé de signer l’accord avec les Etats-Unis.

Pour en revenir à l’Afghanistan, opération beaucoup plus difficile que celle menée en Irak, j’estime que les pays européens de l’OTAN doivent clarifier un certain nombre de points avec les Etats-Unis : les Allemands, par exemple, ne prennent pas part aux interventions militaires, qui sont assumées principalement par les Américains .

M. Jacques Myard. L’OTAN est la première organisation politique américano- européenne et il est illusoire de croire qu’il existe véritablement une concertation sur les options, question préalable posée par De Gaulle aux Américains avant de quitter l’organisation intégrée. En Afghanistan, qui commande si ce n’est les Etats-Unis ? Bien que faisant partie de la majorité parlementaire, je suis en total désaccord sur l’initiative du Président de la République, que j’estime vouée à l’échec. Jacques Chirac ne s’est-il pas cassé les dents en 1996 sur la question du commandement Sud ? La question est de savoir si, autour de cette table, nous voulons vraiment d’une autonomie par rapport à l’OTAN et si nous sommes en capacité d’engager suffisamment de dépenses pour notre défense. En dehors de la France et du Royaume-Uni, les efforts sont insuffisants. Je vous le dis en toute amitié : la plupart de nos partenaires européens ont aliéné leur défense aux Etats-Unis.

Je suis de ceux qui pensent que l’installation du bouclier antimissile est une faute : l’efficacité militaire du dispositif n’est pas prouvée ; le projet est, pour Washington, une façon de peser sur les choix européens ; l’opération jette le trouble sur nos relations avec Moscou. Or notre intérêt est de ramener la Russie dans le camp européen pour en faire un partenaire du développement économique. Prenons garde à ne pas tirer les moustaches de l’ours qui se remet d’une maladie prolongée et rappelons-nous le mot de Kissinger : « il ne faut pas croire que les grandes puissances reculent toujours ». En ce sens, j’estime que la demande d’entrée de la Géorgie et de l’Ukraine au sein de l’OTAN est une faute.

Le conflit afghan est une guerre civile, et nous nous retrouvons à combattre des talibans qui changent de camp au gré des paiements. Résistons aux amalgames qui tendent à en faire des terroristes au même titre qu’Al Qaida. Il faut utiliser des méthodes indirectes contre le terrorisme. Il faut diviser pour régner. Pas plus qu’en Algérie il n’y aura de victoire militaire sur ce territoire. C’est une solution politique qu’il nous faut rechercher. C’est d’ailleurs ce qu’est en train de faire M. Hamid Karzaï.

M. Markus Löning. Que les Français se sentent les bienvenus au commandement intégré de l’OTAN ! Ce serait une erreur d’ériger le pan européen de l’OTAN contre les Etats-Unis et, plutôt que d’envisager une démarche orientée contre les Etats-Unis, il nous faut, dans la mesure du possible, agir en consensus avec les Américains. Il est en tout cas certain que nous ne pourrons pas nous payer le luxe d’un doublon en créant un commandement européen dans le cadre de la PESD et dans celui de l’OTAN.

Ce n’est pas que l’Europe dépense trop peu pour sa défense, mais ces dépenses sont inefficaces. A titre d’exemple, nous avons plus de troupes que les Etats-Unis mais beaucoup de nos soldats ne sont pas opérationnels. Comme les missions communes menées au Kosovo, dans les Balkans ou en Afghanistan l’ont démontré, nous serions très inspirés de rapprocher nos armées, de coopérer dans le domaine de l’armement, et de joindre les commandements militaires. L’opinion publique allemande plébiscite d’ailleurs l’idée d’une armée européenne commune.

S’agissant de l’Afghanistan, je regrette le ton défaitiste des interventions. Si l’alliance militaire la plus puissante du monde n’était pas en mesure de l’emporter sur quelques guérilleros, si nous n’étions pas capables de créer une situation satisfaisante en Afghanistan, que cela signifierait-il aux yeux du monde et quelles en seraient les conséquences pour l’OTAN ? Par ailleurs, des soldats allemands sont morts en Afghanistan et la distinction entre les basses œuvres confiées aux Américains et les nobles tâches – construire des écoles, creuser des puits – dévolues aux Européens me semble dangereuse pour la cohésion de l’alliance.

Je regrette que le projet de bouclier antimissile ait pu donner l’occasion aux Russes et aux Américains de diviser l’Europe en raison de son absence de cohésion sur cette question. La conclusion d’accords bilatéraux par les Polonais et les Tchèques sans concertation avec leurs partenaires européens est une erreur qui affaiblit l’Union, et que Washington ne s’est pas fait faute d’exploiter. De leur côté, les Russes ont saisi ce prétexte pour relancer leur politique d’armement.

J’en viens à l’approche spécifique à l’Allemagne de la question d’une armée commune. La question de l’emploi de soldats pour des missions de sécurité, de sûreté ou de police provoque un débat assez vif puisque la tradition allemande – que la coalition au pouvoir souhaite changer – l’interdit. En outre, aucun soldat ne peut être envoyé à l’étranger sans l’aval préalable du Parlement. Je doute que mes collègues cèdent un jour ce droit, fut-ce au Parlement européen.

M. Christophe Caresche. Le sentiment exprimé par M. Jacques Myard est assez communément partagé par les Français, de droite comme de gauche. Il existe une tradition française de méfiance, voire de défiance à l’égard des Etats-Unis. Au-delà, certaines interrogations se font jour et il faut les entendre.

L’OTAN a survécu au contexte historique particulier qui l’avait fait naître et a fait la preuve de sa capacité d’évolution. Mais elle suscite beaucoup d’interrogations car elle n’est peut-être pas la plus pertinente en tant qu’organisation du camp occidental. Le problème de l’OTAN pose le problème de l’orientation des Etats-Unis. Autant le fait d’appartenir à une telle organisation peut avoir un sens lorsque l’administration américaine en place partage la vision européenne d’un monde multipolaire et équilibré, autant cela perd de sa légitimité lorsque l’administration américaine – à l’image de celle de George W. Bush – manifeste une volonté d’agir de façon unilatérale.

Qu’il s’agisse de l’Irak ou de l’Afghanistan, il paraît difficile de faire confiance à l’organisation alors même que des divergences fortes existent sur les orientations, le mode opératoire ou les objectifs. Le processus électoral américain est en cours : il est à souhaiter que la prochaine équipe soit animée de conceptions plus proches des nôtres. Dans ce contexte, les Européens ont tout intérêt à affirmer leur autonomie et à éviter une dépendance à l’égard de stratégies qu’ils n’approuveraient pas.

Le calcul qui consiste pour la France à réintégrer l’OTAN et, dans le même temps, à promouvoir la construction d’un pilier européen de la défense, est assez risqué. Sur le principe, demander aux Etats-Unis l’autorisation, en quelque sorte, de construire une autonomie européenne me semble contradictoire. L’Europe puissance doit se donner l’autonomie qui lui permette de défendre sa vision du monde avec ses propres outils.

M. Rainder Steenblock. Bien que nous bénéficiions d’un large soutien populaire – les enquêtes d’opinion publique démontrent que les citoyens européens font de la politique étrangère une priorité – nous éprouvons de grandes difficultés à construire une politique de défense.

Il est inexact de dire que les dépenses consacrées à la défense sont insuffisantes. Les Européens dépensent plus pour leur défense que les Américains. Mais nous continuons d’agir selon des schémas nationaux, comme si des forces se massaient à nos frontières, prêtes à occuper nos territoires. Nous devons modifier notre politique de sécurité nationale dans laquelle ne se reflètent pas les menaces réelles, en nous inspirant des succès remportés aussi bien dans les Balkans que dans les pays touchés par le Tsunami et augmenter le potentiel de coopération.

La critique des Etats-Unis est exacte. Pour autant, la réponse n’est pas de créer une alternative européenne dans une branche isolée au sein de l’OTAN mais de faire entrer les Américains dans une politique commune, avec une participation européenne plus importante, pour renforcer globalement l’OTAN. Malgré une histoire différente, les Etats-Unis et l’Union européenne partagent et défendent les mêmes valeurs. C’est la raison pour laquelle je souhaite que la France sorte de son isolement partiel et revienne dans la « famille ».

Le bouclier antimissile a donné lieu à une crise où l’Union est apparue divisée. J’y vois la preuve que nous devons désormais agir en commun. De leur côté, les Etats-Unis sont revenus de l’unilatéralisme inconditionnel et de nouveaux débats émergent sur le rôle de l’OTAN et sur la coopération avec l’Europe.

Ma position sur la Russie n’a pas changé du fait du conflit en Géorgie. Contrairement au droit international, la Russie a reconnu des territoires pour des raisons stratégiques et a fondé, avec l’Abkhazie et l’Ossétie du sud, une alliance militaro-politique qui n’est ni plus ni moins qu’une annexion. Si cette initiative est motivée par des raisons de politique intérieure – la situation économique est désastreuse à l’exception de l’exportation des matières premières, le PNB est équivalent à celui du Danemark – il n’en demeure pas moins que la Russie a rétabli sa sphère d’influence en Asie centrale et qu’elle représente un potentiel de conflit important en tant que structure néo-impériale, ce qui oblige l’Europe à trouver une réponse. Ouvrir la perspective d’une intégration à l’OTAN, pas maintenant mais plus tard, pour un pays comme la Géorgie, envers lequel nous avons un devoir de solidarité, me semble tout à fait nécessaire.

Le Président Edmund Wittbrodt. Je veux dire à M. Christophe Caresche que tous les pays ont une tradition. Si la Pologne entretient de tels liens avec les Etats-Unis, c’est qu’elle a fait l’expérience de l’ex-Union soviétique.

Face aux nouvelles menaces mondiales, nous devons réagir de façon coordonnée. Mais notre action ne sera pas efficace sans une bonne coopération avec l’OTAN – je pense ici au bouclier antimissile, qui, contrairement à ce que d’aucuns ont pu dire, n’a pas pour but de diviser l’Europe. Le problème de l’Union est qu’elle ne parvient pas à se mettre d’accord sur sa politique étrangère. La lettre des Huit n’a existé que parce qu’il n’y avait pas de position commune sur l’Irak. Qui plus est, malgré le fait que l’Union européenne dispose d’institutions ad hoc, les chefs d’Etat et de gouvernement français et allemand de l’époque ont pu rencontrer Poutine et court-circuiter ainsi l’Union. En ce sens, j’aurais préféré que le bouclier antimissile procède d’une décision commune et fasse partie d’une solution à l’échelle européenne.

Il faut être prudent lorsque l’on soulève la question de l’organisation d’un référendum en Pologne sur le bouclier antimissile. Pourquoi ne pas avoir organisé de référendum lorsque des soldats polonais ont été envoyés en Irak ?

M. Pierre Forgues. Trois questions simples : une défense européenne est-elle nécessaire ? Les Etats membres ont-ils la volonté de construire une défense européenne autonome ? Une telle politique est-elle compatible au sein de l’OTAN ? Certes, les Américains sont nos amis et alliés et nous partageons les mêmes valeurs. Mais cela n’est pas le fond du problème. L’OTAN est un outil de la politique étrangère de Washington et celle-ci est par trop militarisée.

Les propos de M. Tadeusz Iwiński me laissent inquiet. Selon lui, la défense européenne doit être un complément de l’action de l’OTAN. Si nous sommes intervenus en Afghanistan, c’est que les Américains étaient en situation de légitime défense et qu’il s’agissait de détruire Al Qaida. Depuis, la situation a changé : l’OTAN entend mettre en place un gouvernement afghan, qui n’existe pas davantage aujourd’hui qu’il y a sept ans. Nous pouvons y jeter toutes nos forces, nous ne gagnerons pas la guerre car il ne nous appartient pas de pacifier l’Afghanistan où sévit une guerre civile. Désormais, nous sommes perçus comme une armée d’occupation. Je me rappelle que quelques années après que les Américains sont venus libérer l’Europe – en laissant des milliers de morts sur les plages de Normandie – on pouvait lire sur les murs « US go home ! ». Il faut compter avec les logiques nationales.

Le monde ne peut pas se passer d’une défense européenne autonome. Je veux une Europe qui pèse. Ce n’est pas en suivant le sillage des Américains que nous réussirons à l’imposer. On peut avoir les mêmes valeurs sans avoir les mêmes visions.

M. Daniel Garrigue. La question du bouclier antimissile était jusqu’ici taboue
– un casus belli avec nos amis Polonais et Tchèques – et je remercie nos collègues du Sejm d’avoir bien voulu ouvrir ce débat.

M. Tadeusz Iwiński et le Président Edmund Wittbrodt ne semblent pas hostiles à l’idée d’une défense antimissile européenne. Je regrette que la question n’ait jamais été posée entre Européens. Cela nous permettrait d’examiner la contradiction entre la défense anti-missile et le concept de suffisance de la dissuasion nucléaire, mais aussi de préciser notre conception des menaces et de dialoguer avec les Russes sur ce sujet. D’autre part, les retombées technologiques pourraient être l’occasion d’une grande mobilisation à l’échelle européenne.

Mais, alors que l’on parle d’un rééquilibrage à l’intérieur de l’OTAN, les Américains négocient – en dehors de l’organisation – des accords bilatéraux avec certains pays européens, portant sur l’installation de nouveaux systèmes d’armement. Ne s’agit-il pas là de propositions de dupes ?

Le Président Andrzej Grzyb. La Pologne promeut depuis longtemps l’idée d’un système de défense antimissile commun, mais l’Europe ne s’est pas toujours montrée unie. A l’époque du conflit dans les Balkans, elle s’est même révélée incapable de prévenir un génocide. Je tiens à souligner ici que la Pologne est cofondateur de deux groupements tactiques, l’un réunissant déjà l’Allemagne, la Lettonie, la Lituanie et la Slovaquie, l’autre, en projet, les pays du triangle de Weimar.

Quelques petites nuances, que les mots peinent à refléter, séparent notre conception du pilier de défense. Pour les Français, il doit s’agir d’une coopération avec l’OTAN tandis que pour nous, cette politique ne doit pas faire concurrence à l’organisation. C’est le cas du bouclier antimissile. La Pologne ne s’est pas opposée à la reprise par la France de ses essais nucléaires à Mururoa car il s’agissait alors de pallier l’insuffisance du bouclier antimissile américain. Aujourd’hui, les députés français nous disent que le nouveau projet de bouclier pourrait devenir commun à l’ensemble de l’Europe. Je crois que c’est dans cette voie qu’il nous faut travailler et rechercher la coopération plutôt que la confrontation.

L’opinion publique polonaise a changé lorsque les tanks russes sont entrés en Géorgie. Il est logique que nous allions chercher du soutien là où nous pouvons trouver de l’aide. Notre collègue a parlé de l’état d’esprit vis-à-vis de l’armée américaine après la libération, mais lorsque les Français pouvaient protester et lancer « Us go home ! », les Polonais eux, risquaient leur vie en se soulevant contre l’occupation soviétique avec un « Soviet go home ! ». Ces différences historiques font que nous avons une autre vision du monde. Si nous comprenons les raisons pour lesquelles les Français ont quitté le commandement intégré, nous nous réjouissons aujourd’hui que le processus de leur retour soit enclenché.

Il ne fait pas de doute pour la Pologne que la construction du pilier de la défense permettra aux Européens d’être mieux perçus et mieux traités dans leurs relations avec leurs partenaires.

Le Président Pierre Lequiller. La position de la France est en train d’évoluer, le Président de la République l’a clairement dit : l’Europe de la défense ne saurait se construire avec les pays d’Europe centrale, et même avec l’Allemagne, sans changer la position de la France sur l’OTAN. Les nouveaux pays membres de l’Union ont en effet, et c’est le fruit de leur histoire, tendance à se tourner vers les Etats-Unis dès qu’il est question de défense.

Vu la richesse de ce débat et le nombre de ceux d’entre vous souhaitant intervenir, je crains que nous n’ayons pas le temps d’aborder aujourd’hui le thème de la politique agricole commune. Quelqu’un y tient-il particulièrement ?

Le Président Gunther Krichbaum. Je pense, pour ma part, qu’il est important de traiter tous les points inscrits à l’ordre du jour, y compris la politique agricole commune, qui est un sujet essentiel. Pour cela, le seul moyen est que chacun accepte de limiter le temps de ses interventions, comme nous l’avions fait à Varsovie lors de la réunion préparatoire à celle d’aujourd’hui.

M. Axel Schäfer. S’agissant de la politique européenne de sécurité et de défense, il existe une position commune entre l’Allemagne, la France et la Pologne, alors que sur d’autres sujets, les accords se font plutôt sur la base des orientations politiques de chacun. Pour autant, il existe des positions nationales, dues à la différence de nos histoires, et qui doivent être acceptées en tant que telles.

Cela étant, les positions de chaque pays peuvent évoluer, et chacun peut être amené à reconnaître ses erreurs. Kohl et Genscher avaient raison concernant l’unité allemande, de même Fischer et Kohl s’agissant de l’Irak. La lettre des Huit, elle, n’était pas une bonne manière de procéder en Europe : lorsqu’on n’est pas du même avis, on commence par discuter, on ne se divise pas d’emblée. Nous avons notablement progressé en matière de PESD grâce à certaines actions et projets concrets, je suis sur ce point moins pessimiste que le Président Edmund Wittbrodt.

S’agissant de la Géorgie, la présidence française a remporté un remarquable succès, en réussissant à obtenir l’accord des 27, tout en sachant que demeurent et demeureront des divergences sur des points de détail. Mais l’essentiel est que nous ayons pu, dans le respect des spécificités de chacun de nos pays, liées à notre histoire, agir en commun. Il faudra viser à faire de même à l’avenir.

V. La crise en Géorgie et les relations de l'Union européenne avec la Russie

M. Tadeusz Iwiński. Dois-je comprendre que nous sommes déjà passés au débat sur la Géorgie et les relations avec la Russie ?

Le Président Pierre Lequiller. Nous allons en effet traiter maintenant de la Géorgie. Pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne, tous les pays membres ont été d’accord sur un sujet aussi grave, alors que les Etats-Unis étaient plus que réservés, ne souhaitant pas qu’on entame de négociations avec la Russie ni avec la Géorgie. La présidence française a marqué là un point important en matière de politique étrangère européenne, l’Union peut en être fière.

M. Markus Löning. C’est assurément un succès de la politique étrangère européenne qui appelle des prolongements. Nous avons réussi à nous mettre d’accord entre, d’un côté, certains pays demeurés dans la logique de la guerre froide, comme l’Estonie, et d’un autre côté, certains pays plus conciliants avec la Russie, qu’ils tiennent pour un pays ami. L’une comme l’autre de ces approches sont excessives. Ce qu’il faut, c’est, avec pragmatisme, s’attacher à trouver une voie médiane. Nous n’avons certes pas de communauté de valeurs avec MM. Poutine et Medvedev, mais nous ne pouvons pas agir contre la Russie. Nous devons composer avec elle car nous en avons besoin dans divers domaines -sécurité, énergie, commerce… En Allemagne, des milliers d’emplois en dépendent, et sans doute en va-t-il de même en France et en Pologne.

Pour autant, pour m’être rendu en Pologne et dans les pays baltes lors de la crise géorgienne, j’y ai vu une population nombreuse agiter des drapeaux géorgiens. Ayons toujours présente à l’esprit la peur que les événements de Géorgie ont suscitée dans les pays baltes. Nous sommes totalement solidaires de ces pays, cela ne doit pas faire l’ombre d’un doute.

La catégorie de « l’étranger voisin » n’est pas un concept politique. La Russie n’a pas le droit de décider de la politique de l’Ukraine ou de la Géorgie, ni d’émettre de veto sur leur adhésion à l’OTAN. Nous devons soutenir l’engagement de ces pays vers l’Ouest. Il est de notre intérêt par exemple que l’Ukraine évolue vers nos valeurs. La Géorgie, elle, s’en est quelque peu écartée.

Nous avons besoin aussi de voies nouvelles avec l’Iran et la Turquie. J’aimerais, à cet égard, que nos amis français nous fassent part de leur position sur la Turquie, membre de l’OTAN, qui joue un rôle important dans le Caucase et dont nous avons besoin pour l’énergie. Quid de son avenir en Europe ? Je ne dis pas, pour ma part, que ce pays doit à tout prix devenir membre de l’Union mais que l’amitié avec lui est capitale.

Le Président Pierre Lequiller. Sur la Turquie, la position de la France est claire : nous considérons que l’Europe à 27 est déjà difficile à pratiquer, alors même qu’elle va encore s’élargir aux Balkans, et que l’entrée de la Turquie poserait un problème majeur pour le fonctionnement de l’Union. Il n’y a aucune autre raison – notamment religieuse, comme parfois avancé – à cette position. Mais nous sommes bien entendu favorables à un partenariat privilégié, et la France a d’ailleurs accepté l’ouverture de négociations sur certains chapitres, dès lors que cela ne débouchait pas sur une adhésion automatique. Telle est en tout cas la position du Président de la République et d’une large majorité de l’UMP.

M. Jacques Myard. Je crains fort que l’Europe n’ait commis une faute au Kosovo et que les Russes, qui n’ont jamais admis son indépendance, ne cessent d’invoquer ce précédent. Il faut certes nouer un partenariat avec la Russie, mais sans jamais perdre de vue qu’elle a, tout comme les Etats-Unis, ses propres volontés impériales. Il faut trouver un équilibre. Et je ne suis pas certain que la paix et la sécurité au Caucase soient mieux garanties par une entrée de la Géorgie dans l’OTAN que par un modus vivendi, fût-il bancal.

S’agissant de la Turquie, je suis de ceux qui pensent que ce pays participe de l’équilibre européen mais aussi de ceux qui pensent que l’Union européenne ne pourra pas continuer telle qu’elle existe aujourd’hui. Une remise à plat sera nécessaire pour faire prévaloir le principe de subsidiarité et ne conserver la gestion au niveau communautaire que de ce qui doit être géré à ce niveau, sans doute la défense, la politique étrangère, l’environnement, les règles du marché intérieur et de la concurrence.

Sur l’Iran, il convient de raison garder et ne pas oublier la situation géographique de ce pays, qui a une frontière commune avec le Pakistan, est donc proche de l’Inde, n’est séparé de la Russie que par les républiques du Caucase, n’est pas non plus très éloigné d’Israël, toutes puissances dotées de l’arme nucléaire, et se trouve à portée de tir de la flotte américaine, elle aussi équipée d’armes nucléaires. Nul doute que ce pays cherche à fabriquer une bombe atomique : s’il n’y parvient pas, c’est par défaut de consensus sur le plan intérieur. Mais toute frappe d’Israël à son encontre déstabiliserait totalement le Proche et le Moyen-Orient. D’accord donc pour faire pression sur l’Iran, lui dire clairement ce que nous pensons -d’autant que M. Ahmadinejad ne sera pas toujours au pouvoir- mais, de grâce, pas de frappe militaire. Ce serait une faute sans précédent.

M. Tadeusz Iwiński. Les récents événements du Caucase nous renvoient à la fois à la question de l’intégrité territoriale, du respect du droit des minorités et de l’unité de l’Union européenne. Nous avons débattu deux journées entières la semaine dernière au Conseil de l’Europe sur ce thème.

Pour connaître personnellement Mikhaïl Saakachvili depuis dix ans, je n’en pense pas moins qu’il a commis une erreur historique en attaquant Tskhinvali. Cela ne signifie pas que les Russes, qui étaient parfaitement prêts à cette attaque, ne l’ont pas utilisée comme prétexte pour « interpréter » à leur façon le droit international. Il faut toutefois constater qu’ils auraient à tout moment pu occuper Tbilissi, mais ne l’ont pas fait. Bien entendu, s’il n’y avait pas eu le précédent du Kosovo, jamais l’indépendance de l’Ossétie du sud ni de l’Abkhazie n’aurait été reconnue.

Il faut s’incliner devant la présidence française, le Président Sarkozy ayant réagi avec réalisme de manière très rapide et efficace. La Russie, qui mise sur la division entre les anciens et les nouveaux pays membres de l’Union européenne, préfère des relations bilatérales à des relations avec l’Union. Le projet corrigé du Président Sarkozy doit impérativement être mis en œuvre et des observateurs de l’Union européenne se déployer sur le territoire géorgien.

Quelle est l’incidence de cette crise sur notre sécurité ? Il existe aujourd’hui quatre grandes puissances dans le monde, les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et la Chine -l’Inde se classant sans doute au cinquième rang et un jour le monde arabe au sixième. Il ne peut y avoir de sécurité possible en Europe sans dialogue avec la Russie. La priorité pour nous est la coopération transatlantique, mais si nous ne dialoguions pas avec la Russie, à plus ou moins brève échéance, le sort du monde ne se discuterait plus qu’entre Washington et Pékin. Il faut se féliciter de l’excellente initiative polono-suédoise, acceptée par l’Union européenne. L’Ukraine et la Biélorussie ne doivent en effet pas être oubliées. Il ne faut notamment pas isoler la Biélorussie, du fait de son président, mais au contraire maintenir le dialogue avec elle -pour ma part, je ne vois pas de grande différence entre les régimes azerbaïdjanais et biélorusse.

Le Président Gunther Krichbaum. Nous ne pouvons avaliser ni la réaction totalement disproportionnée de la Russie ni l’action de la Géorgie. En effet, dans un contexte aussi sensible, recourir aux moyens militaires revient à craquer une allumette près d’un bidon d’essence ouvert !

Nous savons que M. Solana et M. Saakachvili se sont entretenus au téléphone juste cinq heures avant le déploiement des troupes géorgiennes en Ossétie du sud. Or, M. Saakachvili n’a pas soufflé mot de ce qui se tramait. Il nous faut analyser cela de plus près au niveau européen.

Ce conflit a par ailleurs eu un important retentissement dans d’autres régions. Ainsi la semaine dernière, je me trouvais dans la République de Moldavie et dans la région séparatiste de Transnistrie où prévaut un fort sentiment d’insécurité. Il est très important que la présidence française parvienne à obtenir la stabilisation de toute cette région du monde : son initiative en Géorgie ne pouvait connaître de meilleur succès puisque les armes se sont tues au bout de six jours.

Mais il ne faut pas se laisser entraîner là où la Russie le souhaiterait en comparant ce qui s’est passé au Kosovo et ce qui vient de se passer en Ossétie du sud et en Abkhazie. En effet, c’est au moment de la guerre, et non le 17 février 2008, que la Serbie a perdu le Kosovo. Peut-être une erreur a-t-elle été commise à l’époque mais aucune comparaison n’est possible entre les deux situations, d’autant que, pour le Kosovo, nous pouvons nous fonder sur la résolution 1244 des Nations unies. Quoi qu’il en soit, pour ce pays, il faut toujours se demander quelles eussent été les solutions alternatives.

M. Rainder Steenblock. Je rejoins tous ceux qui pensent que pour notre sécurité en Europe, nous avons besoin de coopérer avec la Russie. Mais c’est aussi vrai pour notre sécurité énergétique. Il est de notre intérêt bien compris que les ressources naturelles, considérables, de la Russie soient exploitées de manière raisonnable et dans des conditions respectueuses de l’environnement. Pour me rendre souvent en Russie, je sais combien, à l’est de l’Oural, sont importants les gaspillages, la pollution… Il est très important, notamment pour relever le défi du changement climatique, d’aider à l’application en Russie des normes d’efficacité énergétique que nous estimons nécessaires.

Pouvons-nous obtenir le partenariat que nous appelons de nos vœux avec la Russie en lui indiquant très clairement les limites qu’elle ne doit pas dépasser ? Elle a indiqué être intervenue en Ossétie du sud pour protéger ses ressortissants, qu’elle avait « fabriqués » de toutes pièces sur place par le biais de la délivrance de passeports russes. Il en va de même en Crimée où elle délivre actuellement beaucoup de passeports, et où elle invoquera peut-être un jour la même nécessité de protéger ses ressortissants. Les propos du Président Medvedev selon lequel la Russie a « des sphères d’intérêt dans son voisinage » ne sont pas acceptables. L’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination des anciennes républiques soviétiques doivent être garanties : il faut le dire clairement à la Russie et le lui faire accepter. C’est à ces conditions-là seulement que nous pourrons développer avec elle un partenariat économique, profitable à chacune des parties. Il est extrêmement important d’y parvenir.

M. Stanisław Iwan. Je m’étonne qu’on n’ait pas parlé jusqu’à présent du renouveau de l’impérialisme russe par le truchement du développement économique. L’Union européenne doit prêter la plus grande attention à une coopération économique équilibrée avec la Russie, vu les ressources énergétiques de celle-ci, mais aussi à l’occupation militaire d’un pays indépendant. Il faut regarder sur quels points nous pouvons l’aider et sur quels points nous devons contrôler son action pour éviter ce néo-impérialisme.

M. Jacques Myard. Un démocrate américain qui dirige un think tank aux Etats-Unis m’a montré un organigramme de toutes les associations qui prétendument oeuvrent au développement de la démocratie dans ces pays. Toutes sont truffées de membres du Pentagone et de la CIA, et les Russes le savent pertinemment. Si, nous, Français, voyions des Arabes prendre Monaco, laisserions-nous faire ? Nul ne peut nier l’existence de zones d’influence. Les Russes se sont certes, comme à leur habitude, comportés comme des brutes, mais en Géorgie, les Etats-Unis ont clairement joué la provocation.

Le Président Pierre Lequiller. Il faut comprendre que la Pologne perçoive la Russie comme une menace permanente. Sur la Géorgie, l’Union européenne a bien réagi, de manière autonome, en concertation avec l’ensemble de ses pays membres qui ont tous soutenu l’initiative de la présidence française.

VI. La politique agricole commune (PAC)

M. Robert Lecou. L’Europe est née d’un désir de paix et de reconstruction, et s’est d’abord construite autour de sujets concrets comme le charbon et l’acier, avec la CECA, et l’agriculture, avec la PAC, laquelle a été structurante pour la construction européenne. Nous l’avons dit hier, il convient, au-delà de la question institutionnelle aujourd’hui au cœur du débat en Europe, de revenir à de tels enjeux concrets et à des projets perceptibles au quotidien. La sécurité et la qualité de notre alimentation, auxquelles nous sommes habitués mais qui ne sont pourtant pas naturellement garantis, sont au cœur de ces réflexions au quotidien.

La Commission chargée des affaires européennes s’est récemment, conjointement avec la commission des affaires économiques, penchée sur le bilan de santé de la PAC et elle a ouvert plusieurs pistes pour l’après 2013. Devant les défis pour l’Europe de l’autonomie et de la sécurité alimentaire, force est de reconnaître la pertinence de nos standards européens de qualité. Le secteur agricole ne peut être livré aux seules lois de l’offre et de la demande. La vie agricole est soumis à différents aléas. Présent avant-hier à l’assemblée générale du syndicat des éleveurs de l’Hérault, dans ma circonscription, j’y ai vu des femmes et des hommes inquiets, préoccupés de leur avenir si venaient à ne plus jouer que les seules lois du marché qui ne peuvent pas répondre à leurs attentes : on leur demande de produire mais aussi d’occuper et entretenir l’espace rural. Nous devons donc défendre la PAC, d’autant que des pays comme les Etats-Unis n’hésitent pas à subventionner leurs exportations agricoles et à soutenir le revenu de leurs agriculteurs par des aides directes à travers leur « farm bill ». La France plaide clairement pour la défense du modèle agricole européen qui garantit la sécurité alimentaire, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, pour le maintien d’une PAC intégrée – alors que d’aucuns souhaiteraient la voir démantelée – et d’instruments de régulation. Cela pose évidemment le problème du budget européen mais ce qui est dépensé pour la PAC n’est d’ailleurs pas démesuré.

Le Président Pierre Lequiller. Une évolution a incontestablement eu lieu. Alors que la PAC a été un moment très critiquée, la nécessité de garantir notre autosuffisance alimentaire face à l’envol du prix des denrées alimentaires, le souci de la qualité des produits consommés, le spectacle d’émeutes de la faim de par le monde lui ont donné plus de légitimité.

Dr Margrit Wetzel. Nous aimerions savoir comment le bilan de santé de la PAC est perçu en Pologne. Toute la question porte sur la diminution des aides directes. En Allemagne, notre position est claire. Nos agriculteurs souffrent de la bureaucratie liée à l’Europe et veulent décider eux-mêmes de ce qu’ils produisent et en quelle quantité, en résumé, disposer de plus d’autonomie. S’agissant de l’entretien de l’espace rural, ils estiment qu’il leur appartient d’en décider alors qu’en Allemagne, nous associons également le monde de l’industrie et de l’artisanat à la mise en valeur du milieu rural. Nous pensons que les Etats membres doivent avoir la maîtrise des moyens de modulation et, ce, notamment pour obtenir l’adhésion des agriculteurs.

Il serait également important de prévoir des mesures efficaces accompagnant la disparition des quotas laitiers.

Le Président Andrzej Grzyb. Nous souhaitons le maintien, tant des instruments que du budget de la PAC. Nous plaidons pour une vision moderne d’une agriculture respectueuse de l’environnement comme de la santé animale et humaine - or, j’ai parfois l’impression qu’on traite d’agriculture comme on traiterait d’industrie automobile ! Les rendements et les gains de productivité ne peuvent pourtant y être de même nature, car ils peuvent aller à l’encontre des préoccupations sanitaires. Ces aspects pourraient être pris en compte à travers la modulation des aides.

La PAC devrait aussi être plus lisible. Les rapports de la Cour des comptes européennes montre que le niveau des aides directes est beaucoup moins élevé dans les nouveaux pays membres. Nous souhaiterions des aides à la fois plus simples et plus stables.

Enfin, la PAC devrait contribuer à réduire les inégalités de développement entre pays européens. Elle pourrait ainsi renforcer la solidarité et la cohésion au sein de chacun des pays, comme au sein de l’Union.

Nous souhaiterions aussi discuter du rythme de suppression de certains outils de régulation : un rythme d’augmentation de 1 % ou 2 % par an des quotas laitiers serait tout à fait correct.

M. Markus Löning. Député de Berlin, je dois à ce titre défendre les intérêts de mes électeurs, à la fois en tant que contribuables et en tant qu’amateurs de nourriture saine et de qualité. Nous ne sommes plus, et depuis longtemps, en Allemagne, favorables aux aides directes aux productions et considérons que l’argent de la PAC doit plutôt être consacré à l’aménagement et l’entretien de l’espace rural. Comment expliquer aux contribuables qu’il faille subventionner à un tel niveau une industrie agro-alimentaire moderne et efficace de la France et de l’Allemagne ? Dès lors que la transparence sera totale, ce qui sera le cas dès l’an prochain avec la publication des listes de bénéficiaires des aides, le débat sera vif, car on s’apercevra que l’argent ne va pas majoritairement aux petits exploitants. La PAC devra impérativement être réformée après 2013. Il n’est pas concevable que nous continuions à terme à dépenser autant d’argent pour ce secteur, alors que nous en disposons de si peu pour d’autres. Les règles du marché doivent y prévaloir comme ailleurs. L’industrie automobile se doit aussi de fabriquer des véhicules propres et respecter des normes environnementales strictes : ce n’est pas pour autant que n’y jouent pas les règles du marché.

Cela dit, il est normal qu’en Pologne et dans les autres nouveaux pays membres, les agriculteurs soient aidés afin de leur permettre de moderniser leurs exploitations. Mais cette situation est très différente de celle de la France et de l’Allemagne.

Défendre le modèle agricole européen est dépassé. L’interventionnisme, voulu autrefois par de Gaulle et Adenauer pour garantir la sécurité alimentaire de l’Europe, et qui a été une réussite, n’est plus de mise. Entre temps, notre agriculture et notre industrie agro-alimentaire se sont fortement modernisées. Il n’y a plus aucune raison de privilégier ces secteurs par rapport à d’autres.

M. Robert Lecou. Le contribuable a effectivement le droit de savoir comment est utilisé l’argent public, mais, vous l’avez dit vous-même, il aime aussi bien manger et être assuré de la qualité sanitaire de ce qu’il consomme. Nul ne peut nier, qu’au-delà du défi environnemental, il existe aujourd’hui un défi alimentaire au niveau mondial.

Il n’y a pas en France que de gros agriculteurs pratiquant de grandes cultures. Il y a aussi des zones de montagne qui ont besoin d’un accompagnement spécifique. Une adéquation entre la contribution à la production et la difficulté de cette production doit être trouvée. Plutôt que de dépenser moins pour la PAC, comme vous le préconisez, il faudrait surtout dépenser mieux. Certaines procédures gagneraient à être revues, j’en suis d’accord, mais il ne faut pas réduire notre effort global en faveur de l’agriculture car c’est un défi majeur aujourd’hui que de nourrir la population avec des produits de qualité sanitaire irréprochable et d’entretenir l’espace rural dans nos pays.

Les agriculteurs seraient les premiers à souhaiter pouvoir vivre de leurs productions. Mais les bénéfices de leur production, bien inférieur au prix que le consommateur paie dans les grandes surfaces – après que les distributeurs ont pris leur marge – ne le leur permet pas.

M. Stanisław Iwan. Nous avons actuellement en Pologne un débat sur les OGM. Les limitations sont bien plus importantes que celles préconisées au niveau européen. Or, il ne s’agit pas seulement de sécurité alimentaire mais également d’aspects économiques. Dans ma circonscription où les exploitations sont plus vastes que dans d’autres zones du pays, on a, par exemple, demandé que les OGM soient autorisés pour l’alimentation animale. En revanche, il existe un consensus sur la nécessité d’absence d’OGM dans les produits destinés à l’alimentation humaine.

Le Président Edmund Wittbrodt. La Pologne est favorable à la PAC mais certains milieux, notamment celui de la recherche, et tout particulièrement de la recherche-développement, s’interrogent sur la répartition du budget européen. Traduit-il vraiment l’effort que nous appelons tous de nos vœux en faveur de la recherche et des nouvelles technologies ?

En réalité, l’Union européenne dépense de l’argent non pour augmenter le niveau et la qualité des productions agricoles, mais pour réduire la production. Est-il légitime que ce soit la reine d’Angleterre qui touche les plus importantes subventions car elle qui possède le plus de terres agricoles ? Cet aspect des choses est en contradiction avec les défis qui se posent à nous.

Le Président Andrzej Grzyb. Il existe, en fait, deux politiques agricoles au sein de l’Union, l’une destinée aux nouveaux pays membres, l’autre aux plus anciens. Je parlais des règles appliquées dans les nouveaux pays membres. Je suis favorable au plafonnement des aides directes versées par exploitation : en effet, les propriétaires de plusieurs milliers d’hectares peuvent empocher des sommes colossales, sur lesquelles il est normal que les contribuables s’interrogent.

Mais nous, Européens, pourrions-nous acheter nos produits alimentaires ailleurs qu’en Europe ? En théorie, oui. Nous aurions ainsi pu acheter du lait chinois, contaminé à la mélanine, ou du ketchup Heinz, qui contenait des colorants interdits dans l’alimentation. Mais le voulons-nous ? Je ne le crois pas. Les normes appliquées en Europe nous garantissent une certaine sécurité. Le dilemme est le suivant : voulons-nous une agriculture à l’américaine ou une agriculture compatible avec des normes de qualité sanitaire indispensables ?

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie de ces échanges très intéressants.

Le Président Gunther Krichbaum. Merci à tous pour ce débat d’excellente qualité qui montre, si besoin était, combien cette réunion était justifiée. Je remercie les interprètes ainsi que les services de la Commission chargée des affaires européennes. La prochaine rencontre aura lieu en Pologne, à une date restant à convenir. Je forme tous mes vœux de succès pour la présidence française de l’Union.

Le Président Andrzej Grzyb. Je remercie également au nom de la délégation polonaise tous ceux qui ont organisé cette rencontre, qui s’est déroulée dans un excellent climat. Je suis particulièrement heureux que nous ayons réussi ainsi à réactiver le Triangle de Weimar, et c’est de tout cœur que nous vous invitons en Pologne.

Le Président Pierre Lequiller. L’Europe a toujours reposé sur l’amitié franco-allemande et repose bien sûr aujourd’hui sur ses 27 pays membres, mais depuis qu’elle s’est ouverte à de nouveaux pays, le Triangle de Weimar en est devenu un pilier essentiel. Cette réunion, organisée au niveau parlementaire, devrait être suivie d’autres, au niveau gouvernemental.

Ce type de rencontre permet de dépasser les approches strictement nationales et, partant, de faire avancer l’Europe. Comme je ne cesse de le dire, l’Europe, c’est d’abord écouter les autres et essayer de les comprendre. Si on ne comprend pas combien le sentiment de la menace russe pèse sur les pays d’Europe centrale et orientale, si l’on ne saisit pas les ressorts profonds de la politique de défense allemande, on ne peut avancer. Je me félicite donc que nous ayons pu, durant deux jours, débattre ensemble de la sorte. Et je remercie moi aussi les interprètes et les services.

La séance est levée à douze heures cinq