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Commission chargée des affaires européennes

mercredi 3 décembre 2008

16h15

Compte rendu n° 79

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, sur le bilan de la présidence française dans le domaine des affaires intérieures et le « Passenger name record » (PNR) européen (ouverte à la presse)

COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 3 décembre 2008

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à seize heures quinze.

Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, sur le bilan de la présidence française dans le domaine des affaires intérieures et le « Passenger name record » (PNR) européen (ouverte à la presse)

Le Président Pierre Lequiller. La commission chargée des affaires européennes est heureuse d’accueillir aujourd’hui Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Nous étudions actuellement plusieurs dossiers relevant de vos compétences, madame la ministre : le projet de « Passenger name record » (PNR) européen, dont le suivi est assuré par notre collègue Guy Geoffroy, et le projet de scanner corporel, au sujet duquel nous avons délibéré ce matin et dont les rapporteurs sont Mme Marietta Karamanli et M. Didier Quentin.

Après les attentats tragiques de Bombay, la lutte contre le terrorisme est plus que jamais d’actualité. Pourriez-vous faire le point sur la nécessaire coordination des États membres de l’Union européenne dans ce domaine ?

La semaine prochaine, MM. Thierry Mariani et Christophe Caresche nous informeront des suites à donner au programme de La Haye. Quels ont été les grands axes de vos travaux pour préparer le programme 2010-2014 ?

Le traité de Lisbonne aurait permis de traiter certains sujets à la majorité qualifiée. Quoi qu’il en soit, la coopération en matière de police nous tient beaucoup à cœur.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Je me félicite de la transformation de la Délégation pour l’Union européenne en Commission chargée des affaires européennes et je suis persuadée que l’esprit très constructif de la Délégation se maintiendra sous ce nouveau statut.

A mesure que nous nous approchons de la fin de la présidence française de l’Union européenne, il devient possible d’esquisser un bilan de notre action. Je voudrais tout d’abord décrire l’état d’esprit dans lequel je me suis efforcée de travailler. A mon sens, les citoyens des différents pays de l’Union attendent avant tout une Europe qui les protège, qui ne soit pas une abstraction bruxelloise mais quelque chose de concret, de proche de leurs préoccupations quotidiennes. Ce sont les discours abstraits et les décisions éloignées de la vie de tous les jours qui provoquent les réactions négatives. L’Europe de la sécurité apporte aux citoyens la démonstration du caractère protecteur de l’Europe. Un sondage a déjà montré que 80 % des citoyens européens considèrent que l’Europe de la défense est une bonne chose : je souhaite qu’il en soit de même en matière de sécurité.

Reste à savoir comment on peut faire avancer les choses. Considérant qu’il y a trop de déclarations et de verbiage, je me suis efforcée d’adopter une attitude pragmatique et de privilégier les réalisations concrètes. Annoncer que l’on chamboulerait tout en six mois, c’était se condamner à l’échec. C’est pourquoi ma méthode a visé à rapprocher des dispositifs en place pour accomplir de réels progrès dans la protection des citoyens. J’ai proposé à mes collègues européens de faire converger nos façons de travailler en partant de l’existant, en identifiant les pistes d’amélioration, en promouvant des projets concrets dans chaque domaine, en mettant en œuvre ces projets selon un calendrier précis, et enfin en évaluant nos réalisations.

Cette méthode a prévalu dans les trois domaines principaux qui relèvent de ma compétence : la lutte contre le terrorisme, la lutte contre toutes les formes de criminalité internationale, l’amélioration de nos capacités de protection civile face aux catastrophes naturelles et industrielles.

Les récents attentats de Bombay l’ont rappelé : la menace terroriste est permanente et n’épargne aucun pays. En Allemagne, en Belgique, en France, des attentats ont été déjoués. Nos concitoyens peuvent être frappés lorsqu’ils se rendent à l’étranger pour leur travail ou leurs loisirs. Nous avons donc besoin de nouveaux outils pour détecter les risques le plus tôt possible, pour anticiper la réalisation d’attentats et pour améliorer la coopération avec les Etats tiers. Sans cette coopération, la lutte antiterroriste, même à l’échelle du continent européen, se révélera inefficace.

Nous avons tout d’abord réalisé des progrès en matière de détection des individus susceptibles d’avoir des liens avec les milieux terroristes : désormais, au moment de l’instruction des demandes de visa pour entrer dans les pays de l’Union européenne, les consulats font remonter l’information au niveau central européen à des fins policières, ce qui permet la consultation du système d’information Schengen et la prise de mesures adaptées - surveillance de la personne ou refus du visa, par exemple. En proposant ce système qui ne modifie pas la procédure de délivrance, nous avons pu surmonter les réticences de certains pays qui craignaient d’alourdir la tâche de leurs consulats.

Autre moyen de détection précoce, le PNR permet un contrôle aux frontières aériennes à partir des données des compagnies aériennes sur leurs passagers et un suivi des déplacements des personnes signalées comme susceptibles d’avoir des liens avec le terrorisme – c’est le cas, par exemple, lorsque certaines personnes résidant sur notre territoire effectuent un séjour au Pakistan, en Afghanistan ou en Irak. En sériant les problèmes, la présidence française a permis de lever les blocages de plusieurs pays à ce sujet. Les inquiétudes portaient notamment sur la protection des données personnelles et sur le gigantisme du système ; certains voulaient que les vols intracommunautaires soient exclus, d’autres objectaient que ce serait risquer de perdre la trace de certaines personnes.

Nous disposons pourtant de plusieurs précédents démontrant l’utilité d’un PNR. Ainsi, en octobre 2007, les services britanniques sont parvenus à démanteler un réseau en recherchant avec qui les deux personnes qu’ils avaient identifiées voyageaient régulièrement.

Par ailleurs, les principales données qui nous intéressent sont le nom du voyageur, son pays d’origine, le lieu de l’achat du billet et le moyen de paiement utilisé. Ces deux derniers éléments étant particulièrement importants en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants : on sait par exemple que l’on doit plus particulièrement surveiller les personnes qui ont acheté leur billet dans la région de Bogota et qui ont payé en liquide ou dans une certaine agence. En revanche, d’autres informations, telles que le régime alimentaire suivi par le passager, ne nous intéressent nullement.

Nous sommes également parvenus à la conclusion qu’il était impossible de gérer toutes les informations relatives aux voyageurs intracommunautaires et qu’il valait mieux se concentrer sur les vols de transit qui sont en connexion avec l’extérieur.

C’est de cette manière que nous avons progressé et que j’ai pu mettre d’accord les Vingt-sept sur le cadre général du PNR.

Nous avons en outre proposé des actions contre la radicalisation et le recrutement, notamment en milieu carcéral. Nous avons élaboré et distribué un guide de bonnes pratiques à l’intention des policiers et du personnel pénitentiaire, dans le but de leur indiquer les attitudes et les comportements qui doivent attirer leur attention et de les sensibiliser à un comportement respectueux vis-à-vis des personnes incarcérées : si la prison est un lieu de radicalisation, elle peut être aussi un moyen de lutter contre celle-ci moyennant une certaine compréhension culturelle.

Nous avons enfin fait progresser le plan d’action de l’Union contre les réseaux de recrutement, en facilitant par exemple le repérage des imams radicaux sur l’ensemble du territoire européen, en déterminant quelles sont les pratiques radicales et en favorisant le dialogue interculturel, y compris sur internet.

Deuxième composante de la lutte antiterroriste : l’anticipation. Dans ce domaine, nous avons concentré nos efforts sur la menace nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), qui est assurément la menace de demain – il est même étonnant que, à l’exception de l’attentat perpétré par la secte Aoun dans le métro de Tokyo et de la diffusion de l’anthrax par courrier aux États-Unis, on ait eu essentiellement affaire à des attentats à l’explosif alors que plusieurs sites internet expliquent la fabrication de certaines armes chimiques et bactériologiques. Une base de données européenne sera prochainement mise en place auprès d’Europol. Elle permettra de centraliser les informations sur les produits à risque et sur les événements relatifs au terrorisme NRBC. On sait par exemple qu’il est possible d’utiliser certains engrais agricoles pour fabriquer des explosifs. En nous appuyant sur cette base de données, nous pourrons faire pression sur les producteurs pour qu’ils modifient la composition de leurs produits.

Au début du mois de novembre, sur la base militaire de Canjuers, un exercice NRBC a rassemblé neuf États européens pendant trois jours. C’est la démonstration que l’Union européenne peut renforcer sa capacité de réponse coordonnée en cas d’acte terroriste majeur.

Troisième composante : la coopération avec les Etats tiers. La présidence française a tenu à nourrir les relations avec nos partenaires stratégiques. A cet égard, la troïka Union européenne-Russie qui s’est tenue à Paris le 15 octobre dernier s’est révélée particulièrement positive et concrète. Nous avons également engagé des échanges avec les États-Unis pour arrêter une position politique commune sur les échanges d’informations et sur la cybercriminalité. Pour la première fois, j’ai trouvé les Américains prêts à intervenir sur internet, notamment en matière de fabrication d’armements et d’explosifs.

J’en viens à la lutte contre la criminalité. Sur ce sujet, mon action a été guidée par trois idées forces : le rapprochement des pratiques, la modernisation des techniques et la maîtrise des itinéraires.

La criminalité organisée, on le sait, ne connaît pas de frontière. En conséquence, l’efficacité exige que l’action des polices européennes ne soit pas entravée par d’autres frontières, celles qu’engendrent des législations ou des pratiques policières différentes. Voilà pourquoi nous engageons des actions qui permettent aux policiers de divers pays d’agir ensemble, de se connaître et d’échanger leurs pratiques.

La coopération policière et douanière est de ce point de vue un atout majeur. Les centres de coopération policière et douanière bilatéraux que nous avons mis en place avec l’Espagne et l’Allemagne permettent d’arrêter de nombreux trafiquants ou auteurs de hold-up. Il faut maintenant obtenir que davantage de pays s’engagent dans cette démarche. C’est dans ce but que nous avons élaboré un guide des bonnes pratiques consacré aux centres de coopération policière et douanière : il s’agit d’expliquer aux nouveaux pays les règles de fonctionnement et d’évaluation de ces centres et les possibilités qui existent pour les adapter au terrain. Le centre de coopération associant pour la première fois quatre pays
– l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et la France –, que nous avons créé le 24 octobre dernier, préfigure ce que pourrait être une police européenne.

Nous avons également mis en place des « commissariats européens », c'est-à-dire des commissariats où sont accueillis des policiers d’autres pays pour mener un travail commun. C’est une manière de répondre aux difficultés des citoyens lorsqu’ils sont victimes d’un vol ou sont mis en cause dans un autre pays de l’Union : le fait de pouvoir s’adresser à des policiers de son pays d’origine facilite les choses. Nous avons choisi d’installer ces structures dans des lieux très touristiques ou accueillant des événements importants. L’opération, décidée à la fin de juin, a été lancée dès le mois d’août à Paris, Versailles, Lourdes et Nice, ainsi qu’en Italie et en Hongrie. Le retour d’expérience s’étant avéré très positif, on peut s’attendre à ce que de nombreux pays s’engagent dans cette voie en 2009.

Deuxième axe de l’action contre la grande criminalité : la modernisation des techniques. Les grands délinquants sont extrêmement réactifs et ne tardent jamais à utiliser toutes les possibilités qu’ouvrent les nouvelles technologies. Pour les combattre, nous devons au moins être au même niveau qu’eux, et si possible nous ménager une marge d’avance. Voilà pourquoi j’ai fait de la lutte contre la cybercriminalité une des priorités de la présidence française. La pédopornographie et l’apologie du terrorisme et de l’antisémitisme, qui sont les principales menaces au plan européen, sont les premières cibles. Le programme d’action adopté par le Conseil – à l’initiative de la présidence française – comprend notamment la création d’une plate-forme européenne de signalement des infractions relevées sur internet, dont la Commission a accepté d’assurer le financement. C’est Europol qui hébergera cette structure qui devrait commencer à fonctionner dans les prochaines semaines et qui collectera en temps réel les signalements enregistrés par les dispositifs nationaux.

Nous développons également des partenariats public-privé afin d’agir en concertation avec les hébergeurs. Enfin, nous renforçons la formation des acteurs de la lutte contre la cybercriminalité : ce qui se fait actuellement au niveau européen est en quelque sorte la transposition de ce que j’avais lancé en France en créant les cyberpatrouilles. En matière de pédopornographie, un accord général s’est dégagé pour consacrer nos efforts à la fermeture de tous les sites.

Il nous faut aussi moderniser les techniques d’identification. Les criminels utilisent l’anonymat qu’assurent les communications passées avec une carte de téléphone portable acquise sur le territoire d’un autre pays. Nous venons d’adopter un projet qui permettra l’identification et le suivi des puces téléphoniques acquises dans n’importe quel pays de l’Union.

Troisième axe : la lutte contre les grands trafics. Le centre européen de coordination de la lutte antidrogue en Méditerranée, que j’ai créé, collectera les informations et les transmettra aux marines nationales, qui pourront ainsi intercepter les navires acheminant la drogue en provenance d’Afrique. Semblable à la structure créée à Lisbonne pour l’océan Atlantique, ce centre est « armé » par les pays du sud de l’Union européenne – France, Italie, Espagne, Grèce, Portugal, Chypre, Malte – et par les États du sud de la Méditerranée - Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, mais aussi Mauritanie.

Les circuits de la drogue ont connu un transfert de l’Atlantique vers l’Afrique pour échapper au dispositif mis en place à Lisbonne. Tout ce que nous pourrons arrêter grâce aux pays nord-africains, c’est autant que nous n’aurons pas à intercepter en Méditerranée.

En outre, nous soutenons matériellement et financièrement les services de répression des pays d’Afrique par où transite la drogue, en particulier au Sénégal, au Mali, au Niger et en Mauritanie. Nous les aiderons à établir des plateformes opérationnelles, à former des officiers, bref, à se donner les moyens d’intervenir, la prise en charge financière étant très largement assumée par l’Europe.

Pour ces pays, c’est à la fois un enjeu de santé publique et une condition de la stabilité politique. L’Afrique est déjà très déstabilisée par les luttes interethniques. Si l’on ajoute à cela les trafics de drogue, qui génèrent une corruption généralisée, c’est l’Etat lui-même qui disparaît, avec pour conséquences des drames terribles et une pression migratoire considérable sur l’Europe. Si nous n’aidons pas ces pays à reconstruire leur Etat et leur économie, nous aurons un jour des millions de personnes qui arriveront en force en Europe et nous n’y pourrons rien. Ce qui est arrivé au Maroc il y a quelque temps n’est rien à côté de ce qui nous attend en cas de déstabilisation totale.

Le trafic d’armes est également préoccupant. Sur notre territoire, on constate la présence de Kalachnikovs et d’autres armes qui, de toute évidence, proviennent des pays de l’ancienne Yougoslavie. Certaines sont le reliquat des conflits qui se sont produits dans cette région, d’autres sont des approvisionnements nouveaux en provenance, probablement, de Biélorussie, d’Ukraine, etc.

Le Président Pierre Lequiller. Les pays de l’ex-Yougoslavie sont-ils aussi producteurs ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Pas directement. Ils peuvent utiliser des pièces détachées. Lors du forum Union européenne-Balkans, qui s’est tenu récemment à Zagreb, j’ai bien précisé que la résolution de ces problèmes était une condition à l’entrée dans l’Union. Il a été convenu que les services de police des Etats de la région prennent part à des opérations communes avec les pays de l’Union contre les armes et les explosifs encore présents dans la région. Au début de la semaine dernière, une opération coup de poing a permis de tester la capacité des Vingt-sept à se coordonner et à travailler conjointement sur ces problèmes. Nous avons prévu la création d’une plateforme destinée à améliorer les échanges entre les officiers de liaison des Etats membres et ceux des Balkans.

Troisième grande priorité de la présidence française dans mon champ de compétences : le renforcement des capacités de protection civile, qui est l’exemple type de ce qu’attendent les citoyens européens. Lorsque quatre pays de l’Union envoient des Canadairs pour combattre les incendies meurtriers qui touchent la Grèce, les gens comprennent ce que c’est que l’Europe. C’est l’esprit même de l’Europe que de se montrer solidaire lorsqu’un Etat membre ou un pays tiers n’a pas les moyens de faire face à une catastrophe de grande ampleur. A cet égard, j’ai gardé un très mauvais souvenir de notre action après le tsunami : les pays européens sont arrivés en ordre dispersé quinze jours après la catastrophe ! Il en a été de même après le tremblement de terre qui a frappé le Pakistan, et ce malgré la décision européenne.

J’ai donc proposé d’améliorer notre organisation en dotant l’Union de capacités opérationnelles rapides et efficaces. De même, j’ai fait adopter le 27 novembre à Bruxelles l’assistance mutuelle européenne, aux termes de laquelle les Etats membres mettent à disposition des capacités sur une base totalement volontaire et en regroupant les moyens selon les types d’intervention – incendies, inondations, séismes, etc. L’idée est de mettre en place des modules nationaux que les pays indiquent pouvoir mettre à disposition pendant une durée donnée. Mais ce ne seront pas toujours les mêmes pays qui feront tout : chacun doit s’équiper pour lui-même car le dispositif n’est mis en œuvre que lorsque la catastrophe est majeure. Il est également prévu un droit de retrait en cas de survenue d’un besoin local.

Afin d’améliorer les capacités de réaction, d’interopérabilité et de préparation, j’ai demandé que l’on recense les moyens dont chaque pays dispose. Au moment des incendies en Grèce, les Canadairs ne pouvaient agir en même temps car leurs moyens de communication n’étaient pas interopérables ! Il faut renforcer le centre de suivi et d’information de la Commission européenne afin qu’il soit en mesure de vérifier que les équipes peuvent travailler ensemble et de coordonner les moyens apportés par chaque pays. Le 8 décembre, le Conseil des affaires générales et des relations extérieures adoptera une feuille de route qui permettra de disposer rapidement d’un dispositif global, ajustable, efficace et réactif, couvrant toute la chaîne concernée, aussi bien au niveau national qu’au niveau communautaire.

Parallèlement, nous devons mettre en place des formations adaptées au travail en commun. J’ai proposé la création d’un véritable réseau européen de formation pour rapprocher les méthodes et les pratiques de tous les professionnels de la sécurité civile. L’objectif est de faire converger les modules d’enseignement, de procéder à des échanges d’étudiants et de mettre en place des entraînements communs.

Certains pays étaient au départ réticents car tous n’ont pas le processus décisionnel relativement centralisé auquel nous nous conformons lorsqu’il s’agit d’intervenir dans un autre pays. Par exemple, il est très difficile aux ministres fédéraux allemands de prendre des décisions à la place des Länder.

Au total, il aurait sans doute été difficile d’en faire davantage compte tenu des blocages habituels. Si nous pouvons être satisfaits de ce qui a été réalisé, nous devons aussi rester modestes : une présidence n’est qu’un maillon dans une longue chaîne. J’espère avoir convaincu mon collègue tchèque de poursuivre les actions engagées. Quoi qu’il en soit, je me suis gardée des grandes déclarations et je me suis efforcée de suivre la démarche très concrète qui correspond, j’en suis persuadée, aux attentes réelles des citoyens.

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie pour cet exposé où vous avez mis autant de passion que de précision.

La création de commissariats européens dans les aéroports et les gares est-elle envisageable ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Tout à fait. D’ailleurs, plusieurs éléments sont déjà en place.

Le Président Pierre Lequiller. Je suis très favorable à l’action européenne en matière de sécurité civile. C’est un symbole fort. Les forces d’intervention pourront-elles enfin apposer un sigle européen sur leurs véhicules et leurs uniformes ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Je pense que cela pourra se faire facilement. Le seul point de crispation, c’est que les pays veulent conserver le choix d’envoyer ou non des forces.

Le Président Pierre Lequiller. La proposition avait été formulée, en son temps, par Michel Barnier et elle avait rencontré bon nombre de réticences.

Mme Michèle Alliot-Marie. Au départ, j’ai constaté les mêmes réticences car les responsables craignaient la création d’une structure purement européenne qui aurait été composée de personnels mis à disposition et attendant, l’arme au pied, que quelque chose se passe !

M. Jacques Desallangre. Vous placez vos propositions sous le signe du concret, Madame la ministre. Espérons qu’elles seront adoptées et appliquées tout aussi concrètement.

En matière de détection précoce des menaces liées au terrorisme et à la criminalité organisée, le Conseil « JAI » a conclu à « la nécessité d’évaluer si des modifications des instruments juridiques existants sont nécessaires afin de rendre juridiquement contraignante l'application de ce mécanisme ». L’intention est louable mais comment mesurer l’effort – ou, le cas échéant, le laxisme – de tel ou tel pays membre ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Je précise que toutes les mesures sont déjà adoptées, à l’exception de celles qui le seront le 8 décembre. Je me suis efforcée qu’elles soient applicables. Quant à leur application, c’est un autre point.

Certaines des modifications juridiques que vous évoquez sont obligatoires. La mesure de l’effort fourni par les pays membres est de la responsabilité de la Commission européenne. Elle dépendra aussi de la pression que chaque pays exercera sur cette dernière. C’est donc une question de volonté politique. Je n’ai aucun souci pour ce qui concerne la Commission, même s’il faut parfois la pousser un peu.

M. Guy Geoffroy. Ne pourrait-on tout d’abord, pour le PNR, proposer un sigle français ? Par exemple CD2P, pour « collecte des données personnelles des passagers »…

Mme Michèle Alliot-Marie. J’ai de toute façon horreur des sigles. (Sourires.)

M. Guy Geoffroy. Je crains que nous ne devions conserver « PNR », tant l’Europe nous pousse aux anglicismes.

Toujours est-il que la question de la transmission de ces données se situe à l’intersection de deux principes qui peuvent paraître inconciliables et qui revêtent une importance égale : la sécurité due à nos concitoyens dans leurs déplacements et les libertés fondamentales. Nous sommes partis d’assez loin, tant nous avons été échaudés par l’accord PNR qui nous a fait passer sous les fourches caudines des États-Unis – il est vrai que nous n’avions pas le choix puisqu’un refus aurait impliqué le refus d’accueillir sur le sol américain les personnes ne satisfaisant pas aux exigences posées. Il me semble toutefois que nous arrivons à un point d’équilibre qui devrait nous permettre de progresser, étant entendu que la future présidence tchèque a déjà manifesté l’intention de ne pas relâcher la pression à ce sujet.

Pourriez-vous, Madame la ministre, apporter à la Commission des précisions sur la durée de conservation et sur la volatilité des informations recueillies ? Les pays de l’Union s’accordent sur ce qu’il est nécessaire et suffisant de collecter. Encore faut-il savoir quelle est la destination de ces informations. La multiplicité des canaux peut faire craindre qu’on ne puisse plus les tracer.

Enfin, nos collègues du Parlement européen, très attachés à la défense des libertés fondamentales et ayant peu apprécié d’être mis devant le fait accompli en ce qui concerne le PNR américain, se montrent rétifs à l’adoption du dispositif européen. Comment les convaincre ? Peut-on envisager une mise en place en 2009 ?

Mme Michèle Alliot-Marie. La durée de conservation des informations est déterminée par deux types d’usage : d’une part, le suivi des personnes qui feraient peser un risque terroriste ; d’autre part, la possibilité de mettre hors de cause des personnes soupçonnées. Ces données permettent d’établir l’endroit où elles se trouvaient à tel ou tel moment. Le délai de trois ans nous est apparu à la fois normal et gérable, sachant qu’il sera possible de le porter à sept ans pour les individus très dangereux et pour les problèmes particulièrement sensibles. Malgré les réticences des États-Unis et des Anglo-saxons en général, je crois qu’il s’agit d’une base solide.

Pour ce qui est de la volatilité, je ne puis que rappeler notre grand attachement à la préservation des données personnelles. Nous travaillons d’ailleurs en concertation avec plusieurs organismes dédiés à cette préservation. Mais la traçabilité implique des contraintes qui ont créé, il est vrai, des difficultés dans notre négociation avec les États-Unis.

Enfin, c’est en parlant et en travaillant avec lui que l’on parviendra à convaincre le Parlement européen. J’y étais avant-hier et j’ai constaté des évolutions considérables par rapport au mois de juin. J’ai communiqué les nouveaux éléments à la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, dont le président m’est apparu beaucoup plus ouvert qu’auparavant. A l’exception d’une parlementaire libérale qui a fait, autant qu’il m’en a semblé, une intervention purement idéologique, je crois que la commission a beaucoup évolué.

Le Président Pierre Lequiller. Cette députée a-t-elle pour nom Sarah Ludford ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Votre Commission tiendrait-elle un fichier, monsieur le Président ? (Rires.)

Pour le reste, je ne sais si 2009 sera l’année de la mise en place du dispositif. Au vu des données politiques – la présidence tchèque – et techniques – le renouvellement du Parlement –, je considère qu’une mise en place en 2010 serait déjà une bonne chose.

M. Jérôme Lambert. Je partage les préoccupations de Guy Geoffroy. En novembre dernier, j’ai eu connaissance d’une note relative au projet de résolution de la commission des libertés publiques du Parlement européen : j’ai été frappé par son contenu !

Mme Michèle Alliot-Marie. La résolution s’appuyait sur un premier rapport, établi avant l’été. Depuis, les choses ont évolué, parce que j’ai voulu les aborder concrètement et les sérier.

M. Jérôme Lambert. Si tel est le cas, je suis rassuré. J’étais préoccupé par les relations difficiles entre nos collègues du Parlement européen et le Conseil.

S’agissant des visas, les expérimentations que vous avez évoquées sont-elles systématiques ou ciblées sur certains pays ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Elles sont naturellement ciblées, mais le système, d’une manière générale, est de plus en plus automatisé.

M. Jérôme Lambert. L’allongement des délais pour l’obtention des visas est-il lié à cette automatisation ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Non, car la procédure est exactement la même : le consul transmet les données à la base centrale du système d’information sur les visas. Elles peuvent ensuite être examinées à des fins policières. Et si des décisions doivent être prises, elles le sont au niveau central et non dans les consulats.

M. Didier Quentin. Ce matin même, notre Commission a examiné la communication sur les scanners corporels, que Mme Karamanli et moi-même avons présentée. Nous sommes parvenus à la conclusion suivante : « Le scanner corporel constitue certainement un outil intéressant pour procéder à la fouille d’un passager, car il épargne à la personne l’obligation d’être palpée ou de se déshabiller devant un tiers. Cependant, au vu des atteintes à l’intimité de la personne liées à l’utilisation du scanner corporel, il n’est pas possible que celui-ci puisse être mis en œuvre, fût-ce à titre expérimental – je rappelle que quelques scanners ont été installés dans la zone « abonnés » de l’aéroport de Nice-Côte d’Azur – sur le territoire français... Ce type d’appareil ne peut être utilisé que si la réglementation l’autorise expressément. Dans un domaine touchant aux libertés publiques, l’intervention du législateur est nécessaire, conformément à l’article 34 de la Constitution ». Cela dit, nous nous félicitons du rôle joué par le Parlement européen, auquel nous nous sommes volontiers associés.

Au terme du débat, la Commission chargée des affaires européennes a adopté les conclusions suivantes : « La Commission s’oppose à la mise en place des scanners corporels, tant que des garanties encadrant leur usage n’auront pas été fixées par la loi. A titre d’exemples, les garanties suivantes pourraient être retenues : examen par une personne seule dans un local isolé, floutage des parties sensibles, interdiction du stockage des données et, surtout, volontariat des passagers.

« Il appartient au seul législateur, et non à l’administration, de fixer ces garanties, de nature à concilier les impératifs de sécurité et le respect des libertés publiques ».

Je vous indique que l’expérience de l’aéroport de Nice a été suspendue. Cela dit, je suis toujours surpris quand je compare les précautions que l’on prend dans les aéronefs et l’absence de précautions dans les trains internationaux et les ferries.

Mme Michèle Alliot-Marie. Dans les trains internationaux, il y a des patrouilles.

M. Didier Quentin. Certes, mais il serait très facile pour un terroriste d’embarquer dans un ferry et de mettre en péril plusieurs centaines de passagers.

Mme Michèle Alliot-Marie. En matière de lutte contre le terrorisme, il faut trouver un équilibre entre des impératifs de sécurité et le respect des libertés. Obliger chaque passager à passer un scanner provoquerait de longues files d’attente, que personne ne supporterait. Cela dit, le terrorisme a beaucoup évolué ces dernières années. Ce qui intéresse essentiellement les terroristes, c’est la communication : ce qu’ils recherchent à travers leurs actions, c’est moins de tuer des gens que d’obtenir le maximum d’impact psychologique pour déstabiliser les sociétés par le biais des médias, lesquels leur sont indispensables. Ils visent donc des moments ou des lieux particulièrement symboliques. A ce titre, il me semble que la Tour Eiffel est plus menacée qu’un ferry.

M. Didier Quentin. Mais dans un ferry, l’été, plus d’une dizaine de nationalités sont représentées.

Mme Michèle Alliot-Marie. Vous ne m’entendrez jamais dire qu’il existe un endroit où l’on est à l’abri d’un acte terroriste.

M. Didier Quentin. Autre sujet d’étonnement, les contrôles. L’aéroport d’Amsterdam dispose d’un scanner, mais on peut acheter des sabres au Duty Free et, dans l’avion, on nous propose des couverts en métal.

Vous considérez, Madame la ministre, que votre action au cours des six derniers mois est le maillon d’une longue chaîne. Dès lors, quelles doivent être, selon vous, les priorités de la présidence tchèque ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Outre le PNR, les Tchèques proposent de poursuivre notre action en matière de protection civile et de lutte contre le terrorisme.

Nous avons récemment signé des accords pour établir des centres de contrôle aux frontières avec quatre pays. Outre la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la présidence tchèque semble vouloir faire un effort particulier en direction des nouvelles technologies, mais il ne lui est pas facile d’aborder de tels enjeux. Quant à la présidence suédoise, elle sera axée sur la lutte contre le trafic des êtres humains.

Ce que je peux vous dire, c’est que mon collègue tchèque a compris ce que nous essayons de faire et qu’il nous a apporté son soutien. J’espère qu’il restera en fonction encore quelque temps.

M. Christophe Caresche. Nous avons abordé la question des données sous l’angle de la lutte contre le terrorisme et réaffirmé notre volonté de nous en donner les moyens. Mais nous assistons depuis plusieurs années au développement d’une nouvelle criminalité liée au transfert des données, comme le piratage de comptes bancaires – même celui du Président de la République ! Cette forme de criminalité, en forte progression, doit être combattue à la fois le plan national et sur le plan européen.

S’agissant du PNR, je rappelle que le dispositif américain a été mis en place sous la pression des événements dramatiques du 11 septembre 2001. Nous avons négocié ce PNR à deux reprises avec les Américains, mais nous avons cédé sur tous les points. La durée de conservation des données de quinze ans, mais également la transmission à des autorités non identifiées en font un dispositif très déséquilibré.

Il y a environ un an, j’ai participé à une rencontre interparlementaire sur ces questions : j’ai été surpris de la sensibilité des parlementaires européens et des parlementaires nationaux allemands à ces thèmes. Je suppose que le Parlement européen sera très attentif à tout ce qui sera fait dans ce domaine et je compte sur l’Europe pour réaliser un PNR acceptable. Mais pourrons-nous concilier un PNR américain, totalement déséquilibré, et un PNR européen reposant sur une durée de conservation des données de trois ans et sur des garanties beaucoup plus importantes ? Les autorités européennes ne seront-elles pas amenées à engager une négociation sur le PNR américain ? Il serait paradoxal que l’Europe adopte une disposition conservatoire en matière de libertés, tout en acceptant que le PNR américain les bafoue !

Mme Michèle Alliot-Marie. Je suis d’accord avec vous, la criminalité liée à la falsification des données et à leur utilisation fallacieuse se développe. C’est pourquoi je m’apprête à lancer, dans quelques semaines, un grand plan de lutte contre les escroqueries, notamment celles liées à internet, en pleine extension dans notre pays. Nous allons répondre en partie à ce problème avec le titre d’identité sécurisé, dont l’objectif est d’empêcher les captations d’identité, ce qui devrait permettre de bloquer une partie de ces escroqueries.

En matière de protection des données personnelles, nous mettons en place un système assurant la traçabilité. Au-delà de la sécurisation du dispositif, la traçabilité permet de vérifier que personne ne peut utiliser sa fonction pour vendre des données. J’ajoute que les sanctions qui s’appliquent à un tel délit sont exemplaires.

S’agissant du PNR européen, je peux vous dire que nos propositions ont été très bien reçues. Quant aux Américains, il est clair qu’ils recherchent le dialogue, mais j’ai indiqué à mon homologue américain qu’il ne pourrait y avoir de dialogue entre nous tant que son pays ne prévoira pas de garanties équivalentes aux garanties européennes. Je reconnais que c’est un point de blocage, auquel je ne désespère pas de trouver une issue. Quoi qu’il en soit, rien ne sera fait avant l’entrée en fonction de la nouvelle administration américaine.

Mme Marietta Karamanli. Je partage les préoccupations de mes collègues sur l’utilisation et la protection des données. Cela étant, je voudrais souligner l’importance des évaluations périodiques du PNR européen.

S’agissant des scanners corporels, nous avons en effet insisté, ce matin même, sur la nécessité d’être vigilants et de fixer dans la loi française un cadre juridique à ce dispositif, qui, s’il touche aux libertés publiques, pose peut-être également un problème de santé publique et d’efficacité financière.

Le Président Pierre Lequiller. Le Gouvernement envisage-t-il de déposer un texte sur cette question ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Le Parlement aura à légiférer sur tout ce qui a trait aux titres sécurisés. Sur la mise en place du scanner corporel, j’avoue être réticente, et je pense qu’il est urgent de ne pas se presser… D’ailleurs, je ne suis pas certaine que cette question relève du domaine législatif – même si le Parlement a un droit de regard sur tout ce qui relève du domaine réglementaire.

M. Christophe Caresche. J’ai cru comprendre que la France appliquait avec une rigueur particulière les dispositions européennes en matière de contrôle dans les aéroports, au risque de perturber les transports par des mesures trop contraignantes.

Mme Michèle Alliot-Marie. Je ne peux vous répondre pour l’ensemble des pays européens, mais je sais que, dans nombre d’entre eux, l’application des règles européennes est au moins aussi rigoureuse que dans notre pays. Il est vrai que certains systèmes sont aberrants, et je reconnais, s’agissant des règles appliquées en France, qu’il est difficile de commettre un attentat avec une pince à épiler.

J’ai par ailleurs l’intention d’engager une réflexion sur la confiscation automatique d’objets personnels, étant entendu que les contrôles sont souvent confiés à des sociétés privées.

Mme Marietta Karamanli. Ce contrôle a été mis en place à partir d’un unique incident et il devrait être supprimé en 2010. Nous savons qu’il mobilise d’énormes moyens humains, mais son efficacité n’est pas démontrée.

Le Président Pierre Lequiller. De plus, il ternit l’image de l’Europe.

Mme Michèle Alliot-Marie. C’est encore pire aux États-Unis et en Chine – sans parler d’Israël ! Certaines personnes sont tétanisées par un tel contrôle. Nous devons certes être vigilants, mais en évitant d’en faire trop.

Mme Marietta Karamanli. Vous dites que nous vivons sous la menace constante d’un terrorisme qui joue sur la peur : faisons en sorte de ne pas alimenter cette peur.

J’ai été très sensible à vos propos sur la protection, mais cela ne suffit pas. Les lois sociales contribuent à la protection des personnes ; or les lois sociales européennes font cruellement défaut – mais je sais bien que vous ne pouvez agir sur l’ensemble des États de l’Union européenne.

Mme Michèle Alliot-Marie. Je suis tout à fait favorable aux lois sociales. Il y a longtemps que je plaide pour l’Europe sociale – j’ai même fait mes débuts en politique sur ce thème –, d’autant que notre pays y gagnerait sur le plan économique. J’avais même fait une proposition en ce sens à Jacques Delors – qui l’avait refusée –, selon laquelle l’Europe devait demander à l’Espagne, en contrepartie de fonds structurels, de faire des efforts en matière de protection sociale. Cela aurait eu pour effet d’augmenter les prix de revient espagnols, qui faussaient la concurrence au détriment de ma région, le Pays Basque. Si cela avait été fait, il est probable que les entreprises françaises en auraient bénéficié.

Mme Marietta Karamanli. En effet, les présidences européennes se succèdent et aucune ne fait sienne cette priorité.

Mme Michèle Alliot-Marie. Pour une raison simple : les pays qui ont peu de protection sociale ne souhaitent pas procéder à des améliorations. Sur ce point, la Commission, quel que soit son président, n’a guère avancé.

M. Gérard Voisin. En tant qu’élu d’un territoire voisin de la Suisse, je suis très heureux d’apprendre que l’Union européenne a donné son feu vert à l’entrée de ce pays dans l’espace Schengen. En vertu du principe de libre circulation, tous les ressortissants de l’Union auront la possibilité de s’installer en Suisse pour travailler, et inversement. Mais est-ce véritablement une avancée, dans la mesure où la Suisse est déjà une passoire ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Cet accord porte surtout sur les transports. Après les frontières terrestres, l’ouverture des frontières aériennes est prévue en mars 2009. Cela supprimera certaines choses et entraînera une coopération.

M. Gérard Voisin. Justement, cela ne supprime pas grand-chose…

Mme Michèle Alliot-Marie. Si, au niveau des frontières.

M. Gérard Voisin. Notre président m’a chargé de réfléchir à une proposition de directive visant à faciliter l’application transfrontalière de la législation en matière de sécurité routière. Je sais déjà ce qu’en pensent les Français, mais quel est votre sentiment personnel, Madame la ministre ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Il est absolument indispensable d’appliquer de façon similaire les règles de sécurité routière dans tous les pays européens. Actuellement, les Belges, les Britanniques et les Néerlandais viennent faire du rodéo sur les routes françaises, protégés par le fait que leur permis de conduire a été délivré dans un autre pays. Je suis tout à fait favorable à un système qui nous permettrait de retenir le permis de conduire de ceux qui enfreignent les règles de sécurité sur notre territoire.

D’autres harmonisations sont envisageables et nous avons intérêt à rapprocher les réglementations en la matière – je pense aux limitations de vitesse, qui diffèrent selon les pays. Il faudra régler ces questions, qui relèvent du domaine réglementaire. Il serait intéressant, monsieur Voisin, que vous évoquiez dans votre rapport la nécessité d’une plus grande homogénéité des règles de circulation.

Je regarde ce qui se passe à l’étranger : pour lutter contre l’alcool au volant, les juges, en Allemagne et aux Pays-Bas, peuvent prononcer en tant que peine complémentaire l’installation d’éthylotests obligatoires. Je vous proposerai donc une mesure similaire dans la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.

M. Robert Lecou. Je tiens tout d’abord à vous remercier, madame la ministre, d’avoir maintenu la présence d’un escadron de gendarmerie dans une commune de ma circonscription.

La réforme de la gendarmerie va-t-elle entraîner des modifications au niveau des unités d’élite françaises chargées de lutter contre le terrorisme ?

M. Jacques Desallangre. Allez-vous, Madame la ministre, revoir l’harmonisation sur le terrain – par exemple, dans un bassin d’emploi de 70 000 habitants où cohabitent la gendarmerie et la police ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Naturellement !

Il n’est pas question de fusionner les unités d’élite, car j’ai besoin des savoir-faire des uns et des autres. Le GIGN et le RAID existeront comme tels. En revanche, j’ai souhaité qu’ils participent à des entraînements communs. Nous avons organisé une simulation de prise d’otages au Stade de France. Pour la première fois, ces unités ont travaillé ensemble, et cette opération fut extrêmement instructive.

Il paraît logique de mutualiser les formations de plongeurs ou les formations cynophiles, mais il n’est nullement question de toucher aux spécificités des uns et des autres.

Je reviens sur la sécurité routière, pour vous indiquer que j’envisage d’affecter des effectifs de la gendarmerie des autoroutes à la surveillance des routes secondaires, où le nombre d’accidents est très supérieur.

Depuis six ans, la gendarmerie nationale est mise à la disposition du ministre de l’intérieur pour les actions de sécurité. Au reste, nous avons lancé une réforme des structures pour donner plus de cohérence au dispositif : les zones urbaines étant réservées à la police ; les zones rurales étant réservées à la gendarmerie. Il est à noter que certaines brigades de gendarmerie qui se trouvaient auparavant en zone rurale se retrouvent aujourd’hui en zone péri-urbaine, voire en zone urbaine. Il est important d’utiliser les spécificités de la gendarmerie. Or, ce qui la différencie de la police, c’est essentiellement sa capacité de renseignement. Son rôle repose sur les contacts qu’elle noue avec la population. Les renseignements qu’elle a fournis ont souvent été très utiles, notamment dans la lutte contre l’ETA. Lorsqu’ils se retrouvent dans une cité-dortoir, les gendarmes ne peuvent plus jouer ce rôle. Dans cette logique, il y aura des ajustements, mais ils seront marginaux – une vingtaine seulement – alors que nous avions procédé, il y quelques années, à environ 450 modifications dont le coût, en termes de logements, s’élevait à plus de 15 millions d’euros.

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie, Madame la ministre, d’avoir répondu à toutes nos questions.

La séance est levée à dix-huit heures.