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Commission chargée des affaires européennes

mardi 3 février 2009

16 h 15

Compte rendu n° 87

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Audition de M. Louis Gallois, président exécutif de EADS, sur les enjeux civils et militaires de l’évolution de l’industrie aérospatiale européenne.

COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mardi 3 février 2009

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à seize heures quinze

Audition de M. Louis Gallois, président exécutif de EADS, sur les enjeux civils et militaires de l’évolution de l’industrie aérospatiale européenne.

Le Président Pierre Lequiller. Nous accueillons M. Louis Gallois, président exécutif d’EADS.

Lorsque l’on évoque en Europe les enjeux civils et militaires de l’évolution de l’industrie aérospatiale, le nom d’EADS vient spontanément à l’esprit. EADS se trouve en effet présent sur l’ensemble du secteur aérospatial, tant d’un point de vue civil que militaire, et représente un exemple de coopération industrielle entre plusieurs Etats membres de l’Union européenne, autour du couple franco-allemand.

Nous vous remercions donc, monsieur Gallois, de venir nous faire part de votre point de vue sur l’avenir de l’aéronautique et du spatial européens, en particulier sur l’évolution de l’aéronautique civile, sur l’évolution de la concurrence internationale, notamment avec Boeing, et sur les difficultés résultant du niveau de l’euro.

S’agissant du militaire, nous souhaitons recueillir votre sentiment sur l’état actuel et les évolutions souhaitables de la base industrielle et technologique de défense européenne, la BITD. Au-delà de l’Agence européenne de défense, l’AED, qui existe déjà, et du paquet défense, qui vient d’être adopté, quels instruments européens convient-il de mettre en place ? Quelle est votre opinion, en particulier, sur les coopérations actuelles ? Quel est votre point de vue sur la coopération franco-allemande ? Pour aller au fond des choses, quelle place voyez-vous pour la France en matière d’industrie de défense, entre le Royaume-Uni, avec BAE Systems, et l’Allemagne, qui, selon son ministère de l’économie, semble être le premier exportateur européen d’armements ?

Nous aborderons également des questions précises concernant EADS, notamment son plan de redressement, la réorganisation récente de ses structures et les programmes A400M et A380, ainsi que des questions générales relatives à la politique de recherche, à la politique énergétique et au paquet énergie-climat mais qui ont une incidence sur votre secteur.

M. Louis Gallois. Je vous remercie de votre invitation.

EADS a réalisé une bonne année 2008. Le chiffre d’affaires, en progression de plus de 9 %, excède 42 milliards d’euros. Les prises de commandes au prix « catalogue » ont atteint une centaine de milliards d’euros, soit plus de deux années de chiffre d’affaires. Notre trésorerie nous place parmi les meilleures entreprises européennes, 12 milliards de trésorerie brute et 9 milliards de trésorerie nette. Ce niveau s’explique par les acomptes versés par nos clients civils et militaires.

Nous avons livré beaucoup d’appareils : 483 Airbus et 588 hélicoptères. Dans le domaine spatial, l’année a été exceptionnelle : lancement du cargo ATV – véhicule de transfert automatique –, qui relie la terre à la station spatiale orbitale ; livraison du laboratoire Columbus ; six lancements d’Ariane 5 et neuf lancements de satellites ; enfin et surtout, réalisation du troisième tir d’essai du M51, en fosse, c’est-à-dire dans les conditions réelles d’expulsion sous-marine, qui s’est déroulé de manière optimale.

Notre plan d’économies se déroule comme prévu, avec les performances escomptées et même un peu d’avance. Voyant venir l’orage, nous avons lancé, il y a quelques mois, le plan Power 8 Plus.

Depuis sa création, en 2001, EADS a créé 15 000 emplois directs, performance inégalée dans toute l’industrie lourde européenne. En 2008, nous avons accru nos effectifs de 1 500 personnes. Nous sommes la seule entreprise à faire face aux trois grands maîtres d’œuvre américains, Boeing, Lockheed Martin et Northrop Grumman.

L’entreprise où je travaille réunit une somme de technologies sans équivalent dans le monde en dehors de Boeing. Elle fait donc partie du patrimoine européen. La France y a beaucoup contribué mais elle n’est pas la seule. Nous menons en effet des activités de très haute technologie en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne.

Après les turbulences traversées en 2007, EADS a montré qu’elle est capable de « délivrer », comme nous disons, avec deux défis majeurs à relever pour 2009 : l’A400M et la crise.

Le problème de l’A400M est simple. Aucun avion aussi sophistiqué au monde n’a jamais été livré en moins de dix ou douze ans à compter de la signature du contrat. Or nous avons promis par contrat que nous le livrerions en six ans et demi. Pourquoi ? Parce que la date de livraison a été fixée non pas en fonction de la capacité des industriels à délivrer l’avion mais en fonction des besoins des armées française et britannique. Ce calendrier initial est intenable. L’A400M sera cependant un excellent avion, opérationnel durant quarante-cinq ou cinquante ans ; je ne pense donc pas qu’il soit trop sophistiqué. Le Transall, conçu dans les années cinquante, vole encore et reste un très bon appareil. Les Américains amortissent leur ravitailleur en vol sur quarante-cinq ans.

Le problème, c’est que nous ne sortirons pas l’A400M en six ans et demi mais trois ans plus tard en fonction de la disponibilité de l’ensemble propulsif. Un tableau comparant les calendriers des principaux programmes d’avions militaires permet de constater que celui de l’A400M était ambitieux, aucun autre appareil n’étant sorti en moins de douze ans. Il y a eu, à l’époque, consensus pour signer un contrat dont chacun savait pourtant qu’il était presque irréalisable. EADS l’a accepté.

Première conséquence, le coût du programme est d’autant plus élevé que le développement dure car il faut payer le personnel chaque mois. Or 6 000 employés d’EADS travaillent actuellement sur ce produit. Cet effectif est même plus près de 10 000 en comptant le personnel des fournisseurs.

Deuxième conséquence, nous ne serons pas au rendez-vous des besoins des armées, notamment de l’armée française et de l’armée britannique. Nous devons donc proposer des solutions transitoires pour la période courant entre la date de livraison qui était prévue, l’automne 2009, et la date de livraison effective, qui sera fixée le jour où l’on connaîtra la date du premier vol. Ce dernier dépend d’un équipement complexe, le calculateur moteur. Nous proposons actuellement aux ministères de la défense français et britannique des solutions intérimaires : des A330 cargo, la prolongation de certains Transall ou la mise à disposition de CASA.

L’A400M fait l’objet d’une mission d’information du Sénat, constituée de M. Jean-Pierre Masseret et M. Jacques Gautier, ainsi que d’une mission d’évaluation de l’OCCAR, l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement. Au terme de cette dernière procédure, j’espère qu’une négociation sera ouverte pour remettre contractuellement sur pied cet avion, qui ne rencontrera pas de concurrence dans le monde et intéressera par conséquent tous les pays, Etats-Unis compris.

La crise financière ne nous a pas « impactés » car nous ne sommes pas emprunteurs nets, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Certains industriels bien connus de la place empruntent à 1 000 points de base, c’est-à-dire 10 % au-dessus du marché monétaire. Dans cette période extrêmement turbulente – et, à mon avis, la crise financière n’est pas terminée –, notre premier objectif doit être de préserver notre trésorerie.

Quel est donc l’impact de la crise économique sur EADS ? Si l’espace, la défense et les activités de services restent, pour le moment, à l’abri, nos activités « commerciales » sont en revanche touchées : les hélicoptères commerciaux et les avions commerciaux, c’est-à-dire 30 % d’Eurocopter et la totalité d’Airbus.

Eurocopter est affecté parce que ses clients renoncent à des acquisitions ou ne disposent pas de la capacité financière pour les conclure. Pour le moment, les désistements concernant l’exercice 2009 sont compensés par la vente d’hélicoptères à d’autres clients mais il ne faudrait pas que cette situation perdure. Eurocopter peut cependant faire face, dans la mesure où les hélicoptères commerciaux ne représentent que 30 % de son chiffre d’affaires.

L’enjeu est supérieur pour Airbus, qui représente 65 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Les clients et les fournisseurs d’Airbus sont « impactés ».

Les fournisseurs – qui ont aussi le secteur automobile pour client – ont une capacité d’amortissement des variations d’emploi plus réduite que la nôtre. Nous sommes prêts à ajuster nos commandes pour aider nos sous-traitants mais, de leur côté, les pouvoirs publics doivent engager une action ayant pour finalité, par exemple, la création d’un fonds stratégique.

Quant à nos clients, ils sont confrontés à deux défis.

D’abord, le trafic aérien n’atteint pas le niveau espéré. Habituellement, sa croissance excède de 2 points celle du PNB. Dès lors que la croissance est négative, l’IATA (International Air Transport Association), organisme qui réunit les compagnies aériennes conventionnelles, table sur une réduction de trafic de 3 à 6 %. A cet égard, l’ORCI (International Civil Aviation Organization), organisme des Nations unies chargé de l’aéronautique, qui couvre également les compagnies à bas coûts, prévoit plutôt une évolution comprise entre 0 et moins 2 %, loin en tout cas des 5 % de croissance antérieurement escomptés. Il existe deux moyens de faire face à la surcapacité : reléguer des avions dans le désert de Mojave ou différer des réceptions.

Ensuite, les compagnies aériennes ne trouvent pas les financements pour régler le dernier acompte – qui représente 80 % du prix total –, y compris sur des crédits bénéficiant de la garantie de la COFACE, la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur, c’est-à-dire de l’Etat. À cet égard, il est extrêmement utile que, dans le cadre de la recapitalisation des banques par l’Etat, le Gouvernement ait demandé que, sur les financements qu’elles pourront consentir, 7 milliards d’euros soient réservés pour l’exportation, dont 5 milliards d’euros pour Airbus et 700 millions pour ATR. J’espère que cette mesure inspirera l’Allemagne.

Face à cette crise, que faisons-nous ?

Premièrement, nous aidons nous-mêmes nos clients à se financer, d’autant que le niveau de nos engagements envers eux est actuellement très bas, un peu plus d’1 milliard d’euros. Nous proposons cependant ce financement avec beaucoup de précaution car ce n’est pas notre métier. Nous apportons en fait des paquets financiers : dès lors qu’Airbus finance une compagnie aérienne, celle-ci peut bénéficier de financements bancaires associés. Nous avons donc indiqué que nous étions prêts à accroître notre engagement en la matière, dans des proportions raisonnables.

Deuxièmement, nous suivons la conjoncture de très près, compagnie par compagnie, avion par avion, afin d’ajuster notre rythme de production aux livraisons effectives, et en tenant compte des annulations et des reports. Nous ne pouvons pas dire non à toutes les demandes de nos clients car nous voulons demeurer en bons termes avec eux et notre intérêt est de ne pas les acculer. Airbus, qui a traversé d’autres crises, dispose d’une expertise dans ce domaine.

Troisièmement, nous devons poursuivre notre plan d’économies. Si nous n’avons pas procédé à un plan social – à la différence de Boeing, qui a annoncé 10 000 suppressions d’emplois –, c’est parce que nous avons déjà agi en 2007, dans le cadre du plan Power 8. Les réductions d’emplois auxquelles nous avons alors procédé, à cause du cours du dollar, révèlent aujourd’hui leur utilité. Je vous rappelle qu’il n’y a eu aucun licenciement sec mais des mesures comme le non-remplacement de départs en retraite. Le plan a été mené sans choc social, d’autant qu’Airbus embauchait dans le même temps sur des postes de production et EADS en France pour ses autres activités. En 2008, malgré Power 8, EADS a créé environ 1 500 emplois.

Quatrièmement, nous devons préserver notre trésorerie, en évitant le stockage de « queues blanches », (avions en attente dont les clients se sont désistés) en concentrant nos dépenses d’investissement sur nos priorités, c’est-à-dire la recherche et l’A350, et en renonçant temporairement aux acquisitions envisagées. Nous cherchons à faire diminuer le poids d’Airbus au sein d’EADS car nous voyons actuellement combien le transport aérien est cyclique et donc risqué. Airbus représente 65 % de notre activité alors que les avions commerciaux ne comptent que pour moins de la moitié de la production et seulement 25 % des bénéfices chez Boeing, le reste étant presque exclusivement couvert par des contrats militaires gouvernementaux, qui assurent la pérennité du groupe et subventionnent l’activité avions civils.

La visibilité est très faible, la situation est très instable, et il faut la suivre de très près ; il est possible, d’ailleurs, que le budget adopté fin décembre par notre conseil d’administration soit amendé fin mars.

Nous avons livré douze A380 en 2008 et nous avons indiqué que nous en livrerions dix-huit en 2009. La croissance de la production reste tendue car elle requiert beaucoup de ressources mais les choses rentrent progressivement dans l’ordre.

La coopération européenne présente encore beaucoup de défauts. Le Président de la République, dans son intervention devant les forces armées, a dénoncé les limites de la loi du juste retour, en vertu de laquelle les pays exigent de faire ce qu’ils ne savent pas faire. Ce fut le cas par le passé dans le spatial et c’est maintenant le cas dans l’aéronautique. L’OCCAR, qui gère le programme A400M, a accompli des progrès mais n’a encore ni la puissance ni l’expérience de l’Agence spatiale européenne, l’ESA, et ne dispose pas d’autonomie par rapport aux pays qui la composent. Quant au NH90, géré par la NAHEMA
– la Helicopter Management Agency de l’OTAN, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord –, il est produit en vingt-trois versions différentes, à partir de six chaînes d’assemblage. Mais il faut insister sur le fait que les difficultés de l’A400M résident d’abord dans son extrême complexité technique et, seulement et accessoirement, dans les difficultés d’organisation du projet industriel.

Des progrès sont encore nécessaires mais je ne vois pas comment nous pourrions éviter la coopération européenne. Je vous rappelle que le couple franco-allemand est à l’origine d’Airbus, d’Ariane et d’Eurocopter. En outre, nous savons les budgets et les marchés nationaux européens insuffisants face à la concurrence américaine, qui produit des séries énormes – les Etats-Unis doivent en être au trois millième Black Hawk et le Pentagone a lancé une compétition pour mille appareils supplémentaires.

J’ajoute qu’il n’existe pas de coopération européenne stable et de long terme ne s’appuyant pas sur le couple franco-allemand. En dépit des difficultés qu’il nous arrive de rencontrer, c’est, dans la majorité des cas, avec l’Allemagne que nous avons réalisé les programmes qui fonctionnent.

Il faut progresser dans la gestion intergouvernementale. L’ESA, à cet égard, est un assez bon exemple. Il faut nommer un industriel responsable et non un consortium. C’est d’ailleurs le cas pour l’A400M. Lorsque nous réfléchirons à l’advanced UAVunmanned aerial vehicle –, le drone futur de surveillance de théâtre, il faudra nommer un maître d’œuvre unique. Les Etats commencent à prendre conscience qu’ils doivent se discipliner du point de vue de la spécification des matériels. En tout cas, il n’y a pas d’avenir pour des grands programmes échappant à la coopération européenne, hormis quelques domaines très précis, comme la force de dissuasion, avec une politique purement nationale très efficace, et peut-être le porte-avions, parce qu’il ne s’exporte pas.

La clarification progressive entre l’AED et l’OCCAR est positive.

M. Bernard Deflesselles. Nous voulons exprimer une nouvelle fois notre attachement viscéral et affectif à votre entreprise.

Quelles seront les contreparties de la ligne de 5 milliards d’euros de crédits en faveur de votre secteur ? Il ne faudrait pas, en effet, qu’Airbus ou EADS délocalisent. Des projets existent, notamment avec la Tunisie, mais, par les temps qui courent, il faut se montrer prudent. Quand le dollar était à 1,50 euro, vous n’excluiez pas de délocaliser dans la zone dollar ; aujourd’hui, il est retombé à 1,27 ou 1,28 euro, ce qui milite en faveur de la conservation de notre outil industriel.

Par ailleurs, le retard de l’A400M va poser à nos armées un vrai problème capacitaire. Il faut y prêter attention car cela nuit un peu au concept d’Europe de la défense, vis-à-vis duquel certains pays traînent les pieds. L’Europe de la défense ne peut être construite que sur des projets industriels européens. Or, dans le secteur de la défense, il n’y a guère de projets européens, et les difficultés de l’A400M, projet emblématique, rejaillissent sur l’image que les Vingt-sept se font de l’Europe de la défense.

En outre, même si Eurocopter est un autre fleuron extraordinaire, nous rencontrons quelques difficultés de livraison avec le NH90 et le Tigre. La France vient de vous passer une commande de vingt-deux NH90 et le Brésil vous a commandé cinquante Caracal : pourrez-vous les fournir en respectant les échéances ?

M. Daniel Garrigue. La politique spatiale est désormais pour partie européanisée. Comment souhaitez-vous voir évoluer sa gouvernance, qui se caractérise aujourd’hui par un système à trois étages, avec l’Union européenne, l’ASE et les établissements publics nationaux comme le CNES, le Centre national d’études spatiales ? Cette architecture vous paraît-elle satisfaisante et durable ?

Le problème principal rencontré par les projets européens est évidemment celui du financement. D’autres canaux que celui du budget communautaire peuvent-ils être envisagés, notamment celui du financement des investissements de long terme ? Je crois savoir que les grands établissements concernés – la Banque européenne d’investissement, la Caisse des dépôts et ses homologues allemande, italienne, etc. – cherchent à se rapprocher. Des alliances avec certains fonds souverains ont même été envisagées. Qu’en pensez-vous ?

Les relations franco-allemandes paraissent un peu plus difficiles depuis deux ans. Chez EADS, tout n’a pas été toujours très simple, des divergences d’objectif étant souvent constatées en matière aérospatiale. Une mise à plat n’est-elle pas nécessaire pour redéfinir des objectifs partagés ?

M. Louis Gallois. Monsieur Deflesselles, la dotation en capital n’est pas une aide à Airbus mais une aide aux banques qui vise à renforcer leurs fonds propres et, par conséquent, à faciliter les financements, à fluidifier le marché financier compte tenu des ratios prudentiels, 10 milliards de capital supplémentaires permettent aux banques d’emprunter environ 100 milliards d’euros. Le Gouvernement a seulement demandé aux banques de s’engager à assurer des financements, dont certains sont garantis par la COFACE. Bref, l’action du Gouvernement vise à dégeler le financement de l’économie, ce qui est vital. Je tiens à rappeler que personne ne peut dire qu’il s’agit d’une aide, ce qui serait faux et pourrait, en outre, provoquer une réaction infondée de la Commission européenne et de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce.

Actuellement, 97 % des effectifs d’EADS sont répartis dans les quatre pays européens concernés; c’est globalement excessif. Safran, par exemple, n’est pas du tout dans cette situation. Une entreprise qui réalise 60 % de son chiffre d’affaires à l’exportation hors Europe – et même 75 % pour le seul Airbus – ne gagne pas des contrats avec les Chinois si elle ne leur achète rien ; or nous achetons moins en Chine que Boeing. Et si notre part de marché en Chine a progressé de 4 à 40 %, c’est parce que nous y avons installé une chaîne d’assemblage. Si nous voulons vendre notre ravitailleur en vol aux Etats-Unis, nous devrons y créer une ligne d’assemblage.

J’ajoute que nous ne trouvons plus d’ingénieurs en Europe, les carrières scientifiques y ayant perdu de leur lustre, même si c’est un peu moins vrai en France, grâce à nos grandes écoles. Il faut aller chercher ailleurs les 3 000 à 4 000 professionnels manquants. C’est la raison pour laquelle nous nous installons en Inde.

Enfin, il faut trouver des contreparties à l’effet dollar. Si nous nous installons en Tunisie, c’est parce que la vente d’avions conclue par le Président de la République lors de sa visite avec la compagnie nationale tunisienne était conditionnée par la construction d’une usine. En outre, il s’avère que la monnaie tunisienne est beaucoup moins forte que l’euro.

De plus, les marchés sont incroyablement volatiles, et nous ne disposons d’absolument aucune visibilité sur la parité euro/dollar. Nous avons actuellement plus de 60 milliards d’euros de couverture de change. Et les banques qui acceptent de nous couvrir sont de moins en moins nombreuses. Nous ne songeons pas à quitter l’Europe – mon passé peut en témoigner : j’ai tout de même occupé le poste de directeur général de l’industrie –, mais il faut trouver un équilibre, à l’instar de celui qu’a trouvé Safran.

Si les retards de l’A400M peuvent jeter le doute sur l’efficacité des grands programmes européens, je rappelle qu’à ce jour, aucun programme national actuel, aux Etats-Unis ou en Europe, n’est sorti en six ans et demi. Par ailleurs, ces coopérations européennes nous ont permis de proposer à l'Europe une offre alternative aux programmes américains. Peut-être avons-nous projeté des perspectives trop optimistes, mais cet avion va sortir.

Nous avons déjà livré vingt-cinq NH90 dans sa version terrestre ; la France sera servie en 2011 parce qu’elle a été l’une des dernières à passer commande. Quant aux Tigre, nous en avons livrés quinze à la France, dans ses versions Step 1 et Step 2. Nous venons d’en livrer trois au Standard 1 susceptibles d’être déployés en Afghanistan, dès que le chef d’état-major des armées et le Président de la République auront donné le feu vert. Je le répète, Eurocopter a livré 588 hélicoptères l’an dernier.

Monsieur Garrigue, le juste retour existe : c’est une contrainte industrielle inévitable. À l’instar de Mme Thatcher, les dirigeants de tous les pays – y compris les Français – proclament : « I want my money back ! » Les déclarations de certains chefs d’État ou de gouvernement étrangers montrent que la crise favorise le repli national.

Le CNES est un organisme national partie prenante de l’ESA ; cette superposition n’est pas anormale. L’articulation avec l’Union européenne est plus problématique. Je pense que l’ESA a bâti sa compétence sur trente ans d’expérience, que personne ne propose sa disparition et qu’il serait suicidaire d’instituer au niveau de l’Union européenne une structure concurrente suivant des règles différentes. Le financement communautaire peut parfaitement transiter par l’ESA, cet outil mis à la disposition des Etats et de l’Union européenne.

Il existe donc des financements intergouvernementaux, des financements communautaires, des financements nationaux et des financements émanant d’institutions comme celles que vous avez citées. Pour diversifier les financements, nous avons proposé de développer les partenariats public-privé.

Pour les satellites de télécommunication militaires, par exemple, nous sommes prêts à prendre à notre charge les investissements considérables requis puis à louer le service, comme nous le faisons au Royaume-Uni. Si nous sommes capables de le faire au niveau européen, en associant les Italiens, les Français et les Britanniques, nous économiserons un voire deux satellites.

Je n’ai pas à juger les relations interétatiques entre la France et l’Allemagne. Les contacts sont nombreux et divers ; il ne faut pas en avoir une vision cauchemardesque. En tout cas, à l’intérieur de l’entreprise, les relations se sont considérablement améliorées, sans qu’un pays ne l’emporte sur l’autre – certains éléments prouvent même que les Français ne sont pas défavorisés. Je discute autant avec nos amis espagnols qu’avec les Allemands. Il est de l’intérêt de tout le monde que l’entreprise réussisse et ne soit pas un champ de bataille franco-allemand ou entre nationalités ; elle ne l’est plus, et je m’attacherai à ce qu’elle ne le redevienne pas.

M. Jérôme Lambert. Comment les résultats d’EADS seront-ils employés ? Quel signal donnerez-vous ? Distribuerez-vous des dividendes plus ou moins élevés à vos actionnaires ou privilégierez-vous une relance de l’investissement ? La question concerne toutes les grandes entreprises, et c’est un sujet auquel les Français sont très sensibles.

Quelles technologies de rupture permettraient à l’industrie aéronautique et spatiale européenne de poursuivre la course en tête ? Les efforts de recherche européens sont-ils à la hauteur ?

M. Jacques Myard. Iriez-vous jusqu’à prendre des participations dans le capital de vos sous-traitants ?

Comment envisagez-vous d’aider vos clients à se financer ?

En matière de coopération, le tropisme européen est parfois trop étroit. N’existe-t-il pas des projets industriels dépassant les frontières étroites de l’Europe, en particulier avec les Etats-Unis ?

Dassault n’a pas développé le Falcon 7X en suivant un concept de coopération égalitaire : tout part d’un maître d’œuvre, sur lequel les autres opérateurs viennent s’agréger en apportant leur savoir faire. C’est tout le contraire de ce qui s’est passé pour le NH90 : il a fallu donner des cours du soir aux Allemands pour qu’ils apprennent à fabriquer des hélicoptères… Au passage, l’arrangement administratif concernant le programme du NH90 est intervenu en 1984 ou 1985.

L’idée de politique industrielle européenne, à laquelle certains d’entre nous sont très attachés, progresse-t-elle en Allemagne ? La notion de Standort Deutschland, connue depuis longtemps, revient en réalité à une politique industrielle tacite, secrète et efficace.

Enfin, je vous recommande la dernière publication du Conseil d’analyse économique du Premier ministre, relatif aux politiques de change. En page 73, il est indiqué qu’une augmentation de 10 % de l’euro par rapport aux autres monnaies se traduit par 1,1 point de croissance économique en moins dans toute la zone euro.

M. Louis Gallois. Monsieur Lambert, ne connaissant pas le montant de nos résultats de 2008, je ne puis vous indiquer ce que le conseil d’administration décidera. Mais nous avons versé de dividendes extrêmement faibles à nos actionnaires en 2007 et en 2008. Si nous avons des résultats corrects en 2008, il faudra bien tenir compte des attentes de nos actionnaires, qu’il nous arrive de mettre à contribution lorsqu’il s’agit de financer l’entreprise. Il est clair que les bonus, paquets de départ et autres dividendes n’ont plus bonne réputation, sans parler des stock-options que le conseil d’administration a supprimées sur ma proposition et remplacées par des distributions d’actions gratuites.

En matière de recherche, Boeing est allé plus vite qu’Airbus pour les matériaux composites. Nous sommes en train de rattraper notre retard. Les problèmes rencontrés par le B787 nous confirment néanmoins qu’une certaine prudence est de mise dans le tout-composite. Par ailleurs, notre métier, aujourd’hui, consiste à intégrer des systèmes déjà extrêmement sophistiqués eux-mêmes. Il importe de rester à l’avant-garde de la recherche systémique et informatique. Enfin, Airbus, qui n’est pas motoriste, consacre 80 % de ses efforts de recherche et technologie à la lutte contre l’impact environnemental des avions, qu’il s’agisse du bruit, de la consommation d’énergie ou des émissions, non par philanthropie mais parce que nous savons que nos produits ne seront plus acceptés si nous ne prenons pas en considération la protection de l’environnement.

Mme Chantal Brunel. La crise vous a-t-elle contraints à réviser votre budget de recherche ?

M. Louis Gallois. Non. Nous préservons la recherche et nous continuerons aussi longtemps que possible.

Mme Chantal Brunel. Hormis l’impact environnemental, travaillez-vous sur les différentes caractéristiques de l’avion prévu pour dans quinze ans ?

M. Louis Gallois. Dans quinze ans, les avions consommeront moins, feront moins de bruit et pollueront moins. Voilà ce qui nous est demandé. Mais d’autres éléments sont étudiés : le confort, les automatismes, la sécurité.

Monsieur Myard, nous n’envisageons pas de prendre des participations chez nos sous-traitants car ce n’est pas notre métier. Toutefois, pour aider le tissu de sous-traitants à se réorganiser, nous avons créé, avec la Caisse des dépôts et Safran, un fonds baptisé Aerofund. Si nous interférions dans la gestion de nos sous-traitants, nous risquerions de devenir juge et partie. Aider nos clients signifie simplement leur prêter de l’argent quand ils n’ont pas le choix et cela leur permet parfois d’accéder au financement bancaire.

Nous vendons des Airbus équipés de moteurs General Electric ou IAE, structure qui associe Rolls-Royce, MTU et Pratt & Whitney ; ce sont nos clients qui choisissent leurs moteurs. Même si, pour plus de commodité, EADS souhaitait acheter un Pratt & Whitney, je comprends parfaitement que le Gouvernement ait choisi de développer un moteur européen pour l’A400M. Il faut seulement tirer les conséquences de ce choix industriel : cela coûte plus cher et cela prend davantage de temps. Au demeurant, je ne suis pas certain que Pratt & Whitney aurait conçu si facilement un moteur de 11 000 chevaux, le plus gros jamais fabriqué, à l’exception d’un moteur russe des années soixante-dix.

Le 7X est certainement un très bon avion. Le concept de Dassault est très proche de celui d’Airbus : un maître d’œuvre associe des partenaires à son travail. Dassault ne traite pas ces problèmes avec une originalité particulière mais a su très vite appliquer le concept d’entreprise étendue, qui consiste à insérer tous les partenaires dans un environnement informatique commun. Tout le monde est maintenant à ce niveau d’intégration mais Dassault a montré la voie.

Je n’accepte pas que l’on prétende que les Allemands sont venus prendre des cours du soir pour le NH90. Si vous allez visiter le site de Donauworth, vous verrez qu’ils savent gérer leurs usines. Nous étions certes en avance dans le secteur aéronautique car nous n’avons pas subi quarante ans d’interdiction de maîtrise d’œuvre. Plus généralement, les Allemands sont des partenaires industriels solides ; leur production industrielle est d’ailleurs deux fois supérieure à la nôtre. En matière d’hélicoptères, nous sommes alliés avec eux depuis 1989 ou 1990. Ils ont beaucoup appris et se situent à un niveau technique comparable au nôtre. Par ailleurs, ils ont apporté une forte contribution financière essentielle au développement d’Airbus, d’Eurocopter et, aujourd'hui, d’EADS.

La semaine dernière, le ministre président de Bavière m’a invité à une réunion avec tous les industriels régionaux, à commencer par Siemens et BMW, pour réfléchir à la crise et aux solutions à lui apporter. C’est un type de réunion que je ne vois pas souvent en France, paradis de la politique industrielle… Lorsqu’il faut choisir la localisation d’une technologie, chaque pays – l’Espagne, l’Allemagne, la France et surtout le Royaume-Uni – mais aussi les Länder avancent chacun leurs cartes maîtresses.

Mme Odile Saugues. L’Atelier industriel de l’aéronautique, l’AIA, situé à Clermont-Ferrand, qui assure l’entretien des aéronefs militaires, se trouve en grande difficulté à cause du retard pris par l’A400M. Le tiers du personnel devrait disparaître d’ici à 2012. Est-il réaliste de chercher des solutions de compensation pour cinq ans en attendant l’A400M ? Le savoir faire clermontois risque d’être complètement perdu.

M. Hervé Gaymard. Les financiers, souvent aidés par les politiques voire les industriels, adorent faire du meccano industriel en recomposant la carte européenne des localisations. Quels regroupements et coopérations renforcées jugeriez-vous pertinents pour rendre plus active l’Europe industrielle de la défense ?

M. Louis Gallois. Madame Saugues, je n’ai jamais évoqué un délai de cinq ans. L’avion sera en retard ; j’espère que ce retard sera contenu mais je ne peux pas donner de délai. Trois ans seront encore nécessaires à compter du premier vol, qui devrait avoir lieu à l’automne 2009 ; nous aurons donc trois ans de retard, dès lors que le premier vol aurait lieu à l’automne 2009.

Parmi les solutions de transition pour assurer le transport logistique longue distance des armées, il est envisageable d’acquérir des A330, plus tôt en version cargo pour les transformer plus tard en version ravitailleur (MRTT).

Monsieur Gaymard, je n’ai pas d’idée formidable sur la question que vous soulevez. On observe actuellement une tendance assez naturelle au repli national. Croire possible de constituer une base solide en France puis de passer des alliances européennes est assez illusoire.

La stratégie de Thales au Royaume-Uni a été intéressante ; la nature d’EADS est différente puisque nous procédons d’une construction politique. Il doit être possible de mener au niveau européen des opérations de rapprochements nous permettant d’affronter la concurrence. Le problème de l’Europe n’est pas tellement l’insuffisance de grands groupes
– on compte d’assez nombreuses entreprises françaises parmi les cent plus grandes mondiales – mais la faiblesse de son tissu d’entreprises de 5 000 à 8 000 salariés, qui peuvent être très exportatrices et très bien spécialisées internationalement.

Dans le secteur nucléaire, des considérations liées à la souveraineté peuvent justifier des alliances européennes. Ce n’est pas vrai dans tous les secteurs.

Le Président Pierre Lequiller. Et en matière d’industrie de défense ?

M. Louis Gallois. Dans ce domaine, il ne reste plus grand-chose à faire, si ce n’est pour les chantiers navals et les véhicules terrestres.

Dans l’électronique, il reste trois grosses entreprises : EADS, Thales et Finmeccanica. L’entreprise espagnole Indra Sistemas, de taille moyenne, qui bénéficie pratiquement de l’exclusivité sur son marché national, constitue vraisemblablement le seul enjeu européen. Les trois acteurs européens cherchent à nouer des alliances aux Etats-Unis pour accéder au marché américain.

Dans le domaine du matériel terrestre, nous avons un tissu d’entreprises qui ne se portent pas très bien.

Quant au secteur des chantiers navals, les Américains en sont absents car ils n’exportent pas de matériel naval. La compétition y est donc totalement différente de celle que nous connaissons dans les autres industries, où les Américains se comportent en « bulldozer ». Ceci, pourtant, justifierait un regroupement des chantiers navals français, allemands et espagnols.

Le Président Pierre Lequiller. La présidence française a poussé l’idée d’une industrie de défense européenne. En dehors de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Espagne, quels pays pourraient participer à des coopérations structurées ?

M. Louis Gallois. L’Italie et la Suède. En dehors de ces six pays, dits « de la LOI » – letter of intent –, qui dépensent de l’argent en faveur de la défense, à des degrés d’ailleurs très divers, et qui sont animés par une préoccupation industrielle, c’est le désert. En Suède, Saab est plutôt lié à BaAE Systems. L’Italien Finmeccanica a opéré un mouvement de première importance aux Etats-Unis, avec une stratégie offensive de pénétration, en rachetant DRS.

M. Bernard Deflesselles. Je pense, tout comme vous, que l’Europe de la défense ne pourra se faire que si elle s’appuie sur des projets industriels communs entre les six pays consentant un effort budgétaire en faveur de la défense.

M. Louis Gallois. EADS, qui procède d’une alliance entre quatre pays, est un peu en avance.

M. Bernard Deflesselles. Le budget de l’AED – laquelle a été créée en 2004 –, est insuffisant ; les Britanniques ne veulent pas y mettre de l’argent. Elle a tout de même pour rôle, en parallèle avec l’OCCAR, de faire émerger des programmes européens, mais, avec des moyens aussi réduits, elle n’y parvient pas.

Je rappelle qu’à une époque, il fut question d’un « EADS naval » entre la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, mais ce projet n’a pas abouti.

De même, l’industrie terrestre est un peu morcelée.

Il est crucial que l’A400M, destiné à répondre au problème capacitaire du transport de troupes, réussisse, car c’est ce qui tirera les autres projets européens.

M. Louis Gallois. Trois projets européens sont en cours : le MUSIS, Multinational Space-Based Imaging System, dans le domaine de l’observation ; le drone advanced UAV ; l’alerte avancée, dans le domaine de la protection contre les missiles balistiques. Pour que la France joue son rôle au sein du commandement intégré de l’OTAN, dans lequel elle s’apprête à entrer, il faut être présent dans ce dernier secteur, qui est décisif. La France possède un atout formidable : c’est le seul pays européen qui maîtrise le missile balistique.

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie pour ces réponses précises et éclairantes.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq