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Commission chargée des affaires européennes

mercredi 3 juin 2009

10 heures

Compte rendu n° 108

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Audition de M. Philippe Maystadt, président de la Banque Européenne d’Investissement (ouverte à la presse)

COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 3 juin 2009

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à dix heures cinq.

Audition de M. Philippe Maystadt, président de la Banque Européenne d’Investissement (ouverte à la presse)

Le Président Pierre Lequiller. Je remercie M. Maystadt, président de la Banque européenne d’investissement, d’avoir répondu aujourd’hui à notre invitation, à un moment où dans le contexte de la crise économique et financière actuelle, l’Union européenne compte beaucoup sur l’institution qu’il préside pour soutenir ses projets d’investissement en matière de transports, d’énergie, d’environnement, d’éducation, de santé.

Pourtant, la BEI demeure une institution européenne très mal connue. Cela tient-il au fait que l’essentiel de ses prêts s’effectue par l’intermédiaire des banques nationales et locales ? Ne faudrait-il pas rendre l’activité de la BEI plus visible pour les citoyens européens et mieux faire connaître cette institution qui permet la réalisation de projets très divers et très concrets ?

La BEI, très sollicitée au cours des derniers mois du fait de la crise, est-elle en mesure de répondre à toutes les demandes qui lui sont adressées ? De quels moyens financiers dispose-t-elle exactement ? Et si elle est amenée à intervenir autant qu’on l’annonce aujourd’hui, pourquoi ne le faisait-elle pas avant ? Qu’est-ce qui a changé ?

Comment répartit-elle ses crédits entre pays, entre secteurs d’activité, entre grandes et petites entreprises ?

M. Philippe Maystadt, président de la Banque européenne d’investissement. Je vous remercie de votre invitation. S’il est excessif de soutenir que 80 % des lois nationales sont dictées par les directives européennes, les interactions entre l’échelon national et l’échelon européen sont de plus en plus nombreuses. Il est important pour la démocratie elle-même que les Parlements nationaux suivent de plus près l’action des institutions européennes, parmi lesquelles la Banque européenne d’investissement, créée par le Traité de Rome pour soutenir financièrement les objectifs de ce qui était alors la Communauté économique européenne – aujourd’hui l’Union européenne.

Alors qu’elle est, et de loin, la plus importante institution financière mondiale, la BEI est paradoxalement la moins connue. Ainsi a-t-elle prêté l’an dernier plus de 57 milliards d’euros, soit deux fois plus que la Banque mondiale et dix fois plus que la BERD. Sur ces 57 milliards, 51 ont été consacrés à des projets au sein de l’Union européenne, qui demeure son champ principal d’intervention. Elle peut intervenir hors de l’Union, mais seulement sur la base de mandats confiés par le Conseil européen, définissant précisément la région et le type de projets visés ainsi que le montant maximal des prêts pouvant être alloués. Sur les 51 milliards prêtés dans l’Union, 4,6 l’ont été en France, soit quelque 9 % du total de nos financements intra-européens. L’encours total de la BEI s’élevait fin 2008 à 350 milliards d’euros. Son capital, détenu par les 27 Etats membres, a été porté au 1er avril 2009 de 164 à 232 milliards d’euros.

Après ces quelques données chiffrées, venons-en aux priorités de la BEI. Elle n’a pas de quotas de crédits par pays mais des priorités opérationnelles qu’elle définit préalablement dans un corporate operational plan à horizon de trois ans.

La première de ces priorités, la plus ancienne, est le soutien aux régions en retard de développement, autrefois appelées régions de l’objectif I et désormais régions de convergence. Il faut se souvenir que la BEI avait été créée à l’initiative de l’Italie, alors très préoccupée par la situation du Mezzogiorno. En France, il n’y a quasiment plus, fort heureusement, de régions considérées comme prioritaires à ce titre, du moins en métropole. Sur les 51 milliards d’euros prêtés l’an passé dans l’Union, 21 sont allés à des projets situés dans ces régions dites de convergence.

La seconde priorité de la BEI est de financer les réseaux trans-européens de transport et d’énergie, dont le concept avait été lancé par Jacques Delors lorsqu’il présidait la Commission européenne. Pour parachever le marché intérieur, il convenait, avait-il estimé, de constituer des réseaux trans-européens efficaces, dont la BEI est aujourd’hui le principal financeur. Ainsi a-t-elle prêté l’an passé 12 milliards pour financer certaines sections de ces réseaux, notamment en France le TGV Est européen par le biais des régions. La BEI travaille actuellement au financement des lignes à grande vitesse Rhin-Rhône et Sud-Europe-Atlantique.

Troisième priorité : la préservation et l’amélioration de l’environnement naturel et urbain, auxquelles nous avons consacré 18 milliards l’an passé. Cet objectif représente une part croissante de nos interventions, notamment pour les transports collectifs urbains qui améliorent la qualité de vie en ville et contribuent à la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi avons-nous participé en 2008 au financement des tramways de Marseille, Reims, Orléans et Le Mans. Dans la même logique, nous avons financé à hauteur de 200 millions d’euros le centre de traitement et de valorisation des déchets ménagers d’Issy-les-Moulineaux.

La quatrième priorité est plus récente puisqu’elle ne date que de 2000 et du lancement de la stratégie de Lisbonne visant à renforcer la capacité d’innovation de l’économie : la formation et la recherche. Pour la première fois, on a demandé à la BEI qui jusque là n’avait financé que des investissements matériels, de financer des programmes de recherche. Et l’an dernier, elle a consacré 13 milliards d’euros à des investissements immatériels, en matière de recherche-développement ou d’enseignement supérieur. Ainsi avons-nous financé en France certains programmes de recherche de Sanofi-Aventis.

Cinquième priorité : l’énergie, domaine clé dans lequel n’existe, hélas, quasiment pas de politique européenne. La BEI s’est fondée sur les orientations définies par le Conseil européen pour définir quatre axes d’intervention. Tout d’abord, l’amélioration de l’efficacité énergétique. Le potentiel d’économies d’énergie est considérable dans l’Union, et la BEI travaille déjà, en partenariat avec plusieurs grandes villes européennes, à divers projets visant à renforcer l’efficacité énergétique de bâtiments publics comme des hôpitaux ou des écoles. Des financements devraient pouvoir être octroyés dès cette année. Ensuite, les énergies renouvelables. Dans plusieurs pays de l’Union, nous travaillons à des projets dans ce domaine, notamment en France sur de petits projets avec deux filiales du Crédit agricole, Unifergie et Oxer. Nous finançons ainsi en Poitou-Charentes un projet d’équipement en photovoltaïque représentant un montant de 400 millions d’euros, financés à parité par la BEI et le Crédit agricole.

Sixième priorité : les petites et moyennes entreprises. Nous ne pouvons bien sûr pas traiter directement avec la myriade de PME que comptent les pays de l’Union. Pour ce type d’interventions, nous passons nécessairement par l’intermédiaire des banques commerciales – d’où sans doute votre remarque liminaire, Monsieur le Président –, alors que pour les autres projets, nous prêtons directement à leurs promoteurs. Nous disposions d’un produit traditionnel, relativement simple, dit de « prêts globaux », qui nous permettait de fournir à des banques traditionnelles des fonds meilleur marché que ceux qu’elles auraient pu se procurer par elles-mêmes, dans la mesure où, bénéficiant d’une notation AAA, nous pouvons emprunter à d’excellentes conditions. La seule condition que nous posions était que ces banques utilisent bien les fonds pour améliorer leurs conditions de crédit aux PME.

Après une consultation engagée en 2007 auprès des banques mais aussi des organisations représentatives des PME dans l’ensemble des Etats membres, nous avions à l’été 2008 décidé de moderniser ce produit, ce qui s’est révélé particulièrement opportun après l’éclatement de la crise. Le Conseil Ecofin nous a en effet demandé en septembre dernier de renforcer notre soutien aux PME-PMI. Nous proposons aujourd’hui un produit rénové et simplifié, répondant mieux aux attentes des banques intermédiaires qui reprochaient notamment à la BEI d’être trop exigeante en matière de reporting. Nous ne demandons plus aujourd’hui que le nom de la PME bénéficiaire de l’aide, son secteur d’activité, le nombre de personnes qu’elle emploie et le montant du prêt qu’elle sollicite.

Le champ d’application de notre outil a également été étendu. Alors que jusqu’à l’année dernière, il ne pouvait permettre de financer pour les PME que des investissements matériels, il peut aujourd’hui y être fait appel pour des investissements immatériels
– programmes de recherche, constitution de réseaux de distribution, transmission d’entreprises… – et du working capital, à condition que le contrat de financement soit conclu pour au moins deux ans.

Autre nouveauté, alors qu’auparavant les banques intermédiaires assumaient seules le risque pris auprès des PME emprunteuses, dans la nouvelle formule le risque est partagé entre elles et nous.

Enfin, nous avons amélioré la transparence du dispositif. En effet, ces prêts aux banques n’ont de sens que si au final, les PME voient effectivement leurs conditions de crédit améliorées. Nous exigeons désormais de nos partenaires qu’ils fassent connaître expressément à chacune des PME bénéficiaires l’avantage consenti, que celui-ci réside dans le taux ou dans la durée du prêt, grâce à l’intervention de la BEI.

Dans le cadre du plan de relance européen, qui consiste d’ailleurs en une juxtaposition de plans nationaux peu coordonnés, l’intervention de l’Union se limite à 30 milliards d’euros, dont 15 milliards provenant de la BEI. Il nous a été demandé de passer d’un volume normal de prêts de 45 milliards par an, déjà porté à 51 milliards en fin d’année dernière, à 60 milliards en 2009, et très vraisemblablement, notre conseil des gouverneurs, constitué des ministres des finances des 27 Etats membres, qui se réunit la semaine prochaine nous demandera-t-il de porter l’effort à 70 milliards, en privilégiant trois axes. Tout d’abord, accélérer les déboursements en faveur des pays plus sévèrement touchés par la crise, comme la Lituanie, la Lettonie ou la Hongrie. Ensuite, renforcer le financement des projets contribuant à la lutte contre le changement climatique, notamment ceux de l’industrie automobile pour produire des véhicules propres répondant aux nouvelles normes européennes en matière d’émission de CO2. Enfin, soutenir davantage les PME-PMI : ainsi allons-nous prêter cette année plus de 10 milliards d’euros aux banques pour qu’elles aident les PME.

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie de cet exposé et donne maintenant la parole à nos collègues.

M. Daniel Garrigue. Nous sommes très heureux, Monsieur le président de la BEI, que vous soyez venu devant notre commission car la BEI, dont la création remonte pourtant au Traité de Rome, demeure très mal connue. On décrie souvent les marges de manœuvre limitées de l’Union européenne, à laquelle la faiblesse de son budget interdit d’emprunter, alors qu’au travers de la BEI, elle dispose d’un outil efficace.

La souscription au capital de la BEI a été très progressive. Où en est-on aujourd’hui ? Pour prêter, la BEI emprunte-t-elle elle-même de manière importante et dans le contexte actuel de la crise économique et financière, qui impose de réagir rapidement, la BEI a-t-elle mobilisé toutes ses capacités d’emprunt ? En un mot, pourrait-elle faire davantage ?

Par ailleurs, les financements de la BEI semblent rarement dépasser 300 000 à 400 000 euros par opération. Est-ce un choix délibéré ? La BEI intervient-elle parfois de manière plus significative, ce qui serait peut-être plus efficace ?

Enfin, quel est le rôle de la BEI dans la mobilisation de ressources et de financements à long terme ? Où en est le projet Marguerite qui visait à un rapprochement entre la BEI et diverses institutions nationales, comme la Caisse des dépôts et consignations en France, la KfW en Allemagne et la Cassa dei depositi en Italie ?

Mme Elisabeth Guigou. Je suis heureuse, Monsieur le président, que la BEI surveille l’utilisation des fonds qu’elle prête aux banques.  Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce point ?

Par ailleurs, que peut faire la BEI pour les pays d’Europe centrale et orientale et d’une manière plus générale, pour les pays de l’Union européenne aujourd’hui menacés de faillite ? Les traités n’autorisent pas en effet la Commission à emprunter elle-même sur les marchés et si le traité de Lisbonne est ratifié, ce que, pour ma part, je souhaite ardemment, il m’étonnerait qu’il puisse être modifié à brève échéance. Comment aider ces pays à sortir de leurs très graves difficultés qui, pour certaines d’entre elles, pourraient aller jusqu’à menacer la zone euro ?

M. Thierry Mariani. La BEI peut intervenir hors de l’Union européenne, sur mandat explicite du Conseil européen. Pourriez-vous nous donner quelques exemples de ces interventions et quelle part de l’activité de la banque cela représente-t-il ? La BEI a-t-elle été sollicitée dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée et du partenariat oriental et si oui, qu’a-t-elle fait ?

Vous avez déploré l’absence de véritable plan de relance européen et le manque de coordination des différents plans de relance nationaux dans l’Union. D’après vous, qu’aurait-on pu faire de mieux ? Jusqu’où aurait-on pu aller en matière de coordination ?

M. Philippe Cochet. Vous sembliez presque regretter, Monsieur le président, que le montant total de l’encours des prêts de la BEI soit porté à 70 milliards d’euros. Cela vous chagrine-t-il ? Vous semblez de même quelque peu sans voix sur les évolutions en cours. Quels sont, à votre avis, les manques actuels de la Banque et que pouvez-vous proposer ?

M. Philippe Maystadt. Monsieur Garrigue, le capital de la BEI a été, comme je l’ai dit, porté le 1er avril 2009 de 164 à 232 milliards d’euros. Aux termes mêmes de notre statut, ce capital doit augmenter régulièrement dans la mesure où le total de notre encours ne peut dépasser 250 % de notre capital. Mais de façon que cela ne coûte pas un centime aux budgets nationaux, nous sommes tenus de réaliser des profits chaque année, de façon à constituer les réserves qui nous permettront d’autofinancer ces augmentations de capital. Avec celle intervenue le 1er avril dernier, nous devrions disposer des marges de manœuvre suffisantes jusqu’à l’horizon 2013, encore que cela dépende de ce que l’on nous demandera.

Pour pouvoir accroître le volume de nos prêts, il faut bien entendu que nous empruntions davantage, puisque nous ne disposons pas de ressources budgétaires. Nous empruntons chaque jour sur les places financières du monde entier. Je vais prochainement me rendre en Chine, qui est l’un des principaux souscripteurs d’obligations de la BEI.

Je ne suis pas du tout chagriné, Monsieur Cochet, que l’on demande à la BEI d’accroître son encours de prêts. Les banques commerciales étant, pour de multiples raisons, plus réticentes à prêter, je trouve normal et même souhaitable que, pour une fois, le principe de subsidiarité joue en sens inverse. Mais pour prêter davantage, nous devons emprunter davantage. Sur les 80 milliards d’euros à emprunter cette année, nous avons déjà levé 50 milliards dans des conditions relativement satisfaisantes. Mais il est évident qu’il existe une limite, surtout dans un contexte où la demande devient extrêmement forte sur les marchés obligataires. On s’attend qu’au second semestre 2009 les Etats empruntent beaucoup plus, ce qui renchérira le coût des emprunts. Cela risque en conséquence de rendre nos propres prêts beaucoup moins attractifs, en particulier pour les PME. Je ne suis pas chagrin, Monsieur Cochet, mais prudent.

Pour ce qui est du montant des prêts accordés, Monsieur Garrigue, il est souvent beaucoup plus élevé que ce que vous avez dit. Les chiffres que vous avez cités concernent le montant moyen de nos prêts aux PME. Nous prêtons souvent des sommes beaucoup plus élevées -200 millions d’euros pour l’usine de traitement des déchets ménagers d’Issy-les-Moulineaux et même un milliard et demi d’euros l’an passé pour la liaison Perpignan-Figueras-Barcelone. Notre règle est de financer jusqu’à 50 % du coût total des projets, voire 75 % dans le domaine des énergies renouvelables ou de l’efficacité énergétique.

La mobilisation de financements à long terme, Monsieur Garrigue, est l’une des spécialités de la BEI, qui prête à beaucoup plus long terme que les banques commerciales. Pour certaines grandes infrastructures, nous travaillons en partenariat avec ces banques qui accordent des prêts à sept ou huit ans, ce qui correspond à la durée de construction de l’infrastructure, tandis que nous prêtons, nous, à trente ans avec report des premières échéances, ce qui permet aux promoteurs de ne commencer à nous rembourser qu’après avoir fini de rembourser la banque commerciale.

Enfin, le projet Marguerite, actuellement développé par la Caisse des dépôts et consignations en France, la Cassa dei depositi en Italie, la KfW en Allemagne et la BEI, et sans doute bientôt élargi à l’ICO en Espagne, vise à constituer un fonds pour le financement de grandes infrastructures, l’expérience ayant montré avec Eurotunnel que celles-ci ne pouvaient pas être financées exclusivement par l’emprunt. L’idée est que ce fonds puisse être effectivement mis en place avant la fin de l’année.

Quel contrôle pouvons-nous exercer sur l’utilisation par les banques des fonds que nous leur prêtons au profit des PME, a demandé Mme Guigou. L’un des défauts du dispositif antérieur était précisément que nous n’étions pas absolument certains que les PME obtiennent effectivement des conditions plus avantageuses. C’est pourquoi nous avons modifié notre produit et nos contrats de financement, lesquels mentionnent désormais expressément le montant minimal de l’avantage financier qui doit être octroyé aux PME. Avec les banques françaises, nous négocions des contrats prévoyant une réduction minimale de 25 points de base par rapport au taux ordinairement proposé. La PME bénéficiaire doit en être individuellement informée. Enfin, ces nouveaux contrats prévoient que nous pouvons commanditer un audit pour vérifier que toutes les clauses sont bien respectées. Nous espérons que cette plus grande transparence et ces conditions plus strictes permettront aux PME de mieux profiter des interventions de la BEI.

Dans les pays d’Europe centrale et orientale, la Commission européenne peut jouer un rôle par le biais de la macro-assistance, seul motif pour lequel la Commission est autorisée à emprunter. Le Conseil vient d’ailleurs de majorer les possibilités d’emprunt à ce titre. La Hongrie, en sus de l’intervention du FMI, a ainsi bénéficié d’une aide de l’Union, accordée après concertation entre la Commission, la BERD, la BEI et la Banque mondiale, chacune utilisant ses propres instruments. La BEI ne peut pas faire de soutien budgétaire et ne peut financer que des projets d’investissement – même si la teneur en a été élargie. Ainsi en Hongrie, avons-nous financé des projets éducatifs, qui auraient normalement dû être financés par le budget national, ce qui était impossible dans les circonstances actuelles. De même, aux termes de son statut, la BEI ne peut pas aider des entreprises en difficulté .

Monsieur Mariani, nous n’intervenons en-dehors de l’Union que sur la base d’un mandat qui nous est confié soit par un traité international, comme celui de Cotonou pour les pays ACP, soit par le Conseil européen. Ainsi avons-nous reçu en décembre 2006 un mandat du Conseil pour la période 2007-2013 définissant certaines régions prioritaires, fixant les montants maximaux pouvant être alloués pour quels projets. Il s’agit des pays candidats à l’adhésion à l’Union, des Balkans occidentaux, des pays de la Méditerranée, des pays voisins de l’Est, ainsi que de l’Asie et de l’Amérique du Sud. Chacun de ces mandats est très précis, certaines interventions étant possibles dans certaines régions du monde, et pas dans d’autres. Ainsi pouvons-nous financer des sociétés françaises en Asie et en Amérique latine, mais pas en Russie. L’ensemble de ces mandats est actuellement en cours de révision par un « groupe de sages » présidé par Michel Camdessus. J’attends avec impatience les recommandations de ce groupe de travail qui devrait prôner une rationalisation et une plus grande cohérence de nos interventions extérieures, en liaison plus étroite d’ailleurs avec les orientations politiques de l’Union. Car l’action de la BEI n’a de sens que si elle vient en soutien de celle de l’Union.

Aujourd’hui, le mandat pour lequel nous avons la plus grande latitude, tant en nature de projets qu’en montants, concerne la Méditerranée avec plus de deux milliards d’euros par an. Nous pouvons de même apporter du capital-risque et prendre directement des participations, alors que dans l’Union européenne, nous ne pouvons le faire que par le biais de notre filiale, le Fonds européen d’investissement. Ainsi avons-nous été amenés à collaborer dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée à deux grands projets concernant l’un la dépollution de la Méditerranée, l’autre le développement de l’utilisation de l’énergie solaire dans l’aire méditerranéenne.

M. Thierry Mariani. Quel volume de votre activité totale représentent les interventions extérieures ?

M. Philippe Maystadt. Sur les 57 milliards que nous avons prêtés l’an dernier, six ont été affectés à des pays extérieurs à l’Union européenne. En outre, plus du tiers de nos interventions extérieures concernent globalement les pays méditerranéens, ce qui ne va d’ailleurs pas sans soulever parfois des problèmes politiques, certains de nos actionnaires considérant que nous devrions investir plus massivement dans les pays d’Europe de l’est. Quoi qu’il en soit, il ne me semble pas opportun de marcher sur les brisées de la BERD, sinon dans le cadre d’une coopération étroite et de cofinancements. En tout cas, nous réfléchissons ensemble afin d’introduire un peu plus de souplesse dans l’interprétation du mandat qui nous lie à nos voisins est-européens.

S’agissant, enfin, des plans de relance, l’absence de coordination européenne est patente. S’ils diffèrent considérablement entre eux – que l’on songe par exemple aux situations contrastées de l’Italie et de l’Espagne en ce qui concerne l’investissement public –, la Commission européenne est néanmoins parvenue à empêcher, et c’est heureux, que certains aient des impacts négatifs sur d’autres Etats membres. De la même manière, alors qu’il aurait été par exemple préférable de lancer un grand plan européen pour l’efficacité énergétique
– qui aurait eu le mérite de conjuguer des effets immédiats, ne serait-ce que dans le secteur de la construction, avec une vision à long terme –, la Commission a finalement choisi de saupoudrer 5 milliards entre divers Etats membres.

M. Michel Herbillon. La situation exceptionnelle que nous connaissons a-t-elle ou non changé la nature des missions de la BEI ? Sera-ce ou non le cas lorsque nous serons sortis de la crise ?

Comment pouvez-vous par ailleurs intervenir dans certains pays d’Europe centrale et orientale dont la situation économique et financière est structurellement catastrophique ?

Enfin, que pensez-vous du fonds européen d’ajustement à la mondialisation ? Pourquoi a-t-il été si peu opérationnel ? Sa réforme permettra-t-elle d’améliorer sensiblement la situation ?

M. Gérard Voisin. En région Poitou-Charentes, la BEI s’est associée au seul Crédit agricole afin de financer la filière photovoltaïque. Est-ce de sa part une orientation stratégique systématique afin de remédier à une atomisation bancaire sujette à caution ?

M. Robert Lecou. Compte tenu de la frilosité des banques commerciales,  comment intervenez-vous précisément en faveur des PME et des TPE ?

Par ailleurs, comment s’organise la coordination entre la BEI et d’autres institutions financières telles que la BERD ou la Banque mondiale ?

Mme Valérie Rosso-Debord. Quelles seront les modalités du dispositif de micro-crédit destiné aux TPE que la BEI s’apprête à mettre en oeuvre avec la Commission ?

M. Philippe Maystadt. A votre première question, Monsieur Herbillon, je répondrai : oui et non. Non, en ceci que notre mission première demeure le financement de projets d’investissement et non le soutien budgétaire ou l’aide ponctuelle à des entreprises en difficulté ; oui, en ceci que nos actionnaires – les Etats membres de l’Union – nous demandent d’accroître le volume de nos prêts ainsi que notre prise de risques. Néanmoins, outre que nous disposons d’un portefeuille d’excellente qualité – à l’exception d’Eurotunnel, nous avons toujours été remboursés – nous avons mis en place avec la Commission un certain nombre de dispositifs de sécurité dont, pour la recherche, la Risk Sharing Finance Facility : ainsi, un milliard provenant du programme européen de recherche et un milliard issu des ressources propres de la BEI nous permettent-ils d’aider des entreprises qui, à défaut, ne pourraient bénéficier d’aucun financement bancaire. Cet instrument est très sollicité actuellement.

Il est vrai, par ailleurs, que de nombreux pays d’Europe centrale et orientale connaissent de grandes difficultés en raison de trois phénomènes : un délabrement des finances publiques – préexistant à la crise, comme c’est le cas en Hongrie dont la politique budgétaire a été beaucoup trop laxiste – ; une colossale prise de risque de change – les entreprises et les particuliers ayant emprunté en euros sont surendettés et subissent de plein fouet la dévaluation de leur monnaie nationale ; et enfin la situation du système bancaire
– plus de 80 % des actifs sont détenus par des banques d’Europe de l’ouest, lesquelles se recentrent de plus en plus sur leur pays d’origine en réduisant ainsi un peu plus l’offre de crédit. Plus généralement, je me permets de vous renvoyer à une enquête réalisée par la Banque centrale européenne démontrant qu’au premier trimestre de cette année, la majorité des banques ont continué à restreindre l’octroi de crédits partout en Europe. Sur ce plan-là, l’action de la BEI est très limitée : si nous ne pouvons apporter aucun soutien budgétaire
– ceci relevant des prérogatives du FMI ou de la Commission – notre action est nulle quant au risque de change mais nous avons néanmoins augmenté nos prêts aux banques de ces pays en débloquant 5 milliards de crédits, hélas très peu utilisés en raison de la politique des sièges bancaires.

S’agissant du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, je n’ai pas été déçu faute d’en avoir jamais attendu grand-chose.

M. Michel Herbillon. Etes-vous dans les mêmes dispositions s’agissant du futur dispositif ?

M. Philippe Maystadt. Sans doute permettra-t-il d’accélérer les processus et, en ce sens, il constitue un incontestable progrès.

Nous travaillons en l’occurrence avec le Crédit agricole, Monsieur Voisin, parce que nous ne pouvons traiter directement avec une multitude de promoteurs de petits projets et que nous avons besoin d’intervenants bénéficiant d’une bonne expertise et d’une solide connaissance du terrain. En Belgique, en revanche – mais également dans le domaine des énergies – nous travaillons avec Dexia, notre approche étant comme vous le voyez très pragmatique.

La coordination de notre action avec les autres institutions financières internationales, Monsieur Lecou, est en effet fondamentale et sans doute devrait-elle être plus systématique. Avec la BERD, par exemple, elle s’organise différemment selon les régions : un accord avec la Russie et les ex-républiques de l’URSS prévoit ainsi que nous ne pouvons co-financer que des projets présentés par la BERD ; dans les Balkans, en revanche, nous pouvons nous-mêmes présenter des projets et suggérer à la BERD des co-financements. Quoi qu’il en soit, le président de la BERD Thomas Mirow et moi-même sommes absolument convaincus que notre efficacité dépend étroitement de notre coopération.

Par ailleurs, nous cofinançons en Afrique un certain nombre de projets avec la Banque mondiale.

Lors de la dernière réunion avec les dirigeants des banques multilatérales de développement, j’ai proposé d’établir ce que j’ai appelé une « mutual reliance », relation de confiance permettant de gagner du temps : jusqu’ici, avant tout cofinancement, chaque institution se livrait à sa propre analyse puis organisait ensuite le déroulement de l’opération ; nous devons tendre désormais vers une division du travail beaucoup plus efficace.

S’agissant du micro-crédit, vous êtes bien informée, Madame Rosso-Debord : une proposition en ce sens a bien été faite par la Commission mais les instances de la BEI n’en ont pas encore discuté. A titre personnel, j’y suis favorable. C’est notre filiale, le Fonds européen d’investissement, qui se chargerait de leur mise en place, 100 millions provenant dans un premier temps du budget de la Commission et l’ensemble des crédits se montant in fine à 500 millions.

Le Président Pierre Lequiller. Même si je ne partage pas totalement votre appréciation sur le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation ou sur la coordination des plans de relance, je vous remercie beaucoup, Monsieur le Président, pour vos analyses et votre intervention.

La séance est levée à onze heures quinze.