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Commission des affaires européennes

mardi 22 septembre 2009

17 h 30

Compte rendu n° 116

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Communication de M. Pierre Lequiller sur la comitologie

II. Communication de M. Pierre Lequiller sur la décision de la Cour constitutionnelle allemande relative au traité de Lisbonne

III. Nomination d’un rapporteur

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mardi 22 septembre 2009

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 17 h 30

I. Communication de M. Pierre Lequiller sur la comitologie

Le Président Pierre Lequiller. Il m’a semblé utile de faire le point avec vous aujourd’hui sur cette procédure que le vocabulaire européen, dans sa redoutable prédilection pour le lexique technocratique, désigne sous le terme de « comitologie ». Et de « science des comités », il en faut en effet pour trouver son chemin dans le maquis des 270 comités d’experts qui aident la Commission européenne à prendre quelques 2 022 mesures d’exécution chaque année.

Car trois fois déjà cette année notre Commission a du déplorer l’impéritie politique des projets sortis de la lourde machinerie de l’exécutif européen.

Je pense évidemment à l’autorisation de fabrication du vin rosé par coupage de vins rouges et blancs et au projet de fixation des profils nutritionnels qui menaçaient directement des pans entiers de nos productions traditionnelles. Je pense aussi à la proposition de durcir exagérément, au risque d’écarter brutalement de nos routes de nombreuses personnes âgées, les conditions d’aptitude médicales au permis de conduire.

Ces expériences malheureuses ont nourri le fantasme prospère de l’« Europe des technocrates ». Et il est vrai qu’elles ont en commun d’avoir été soumises à ces fameux comités d’experts avant que le filtre politique n’en identifie, avec retard, les aspérités.

Il ne faudra pas cependant que l’on en tire des conclusions trop rapides. La comitologie demeure en effet une modalité utile d’exercice du pouvoir exécutif européen.

Je veux insister sur ce point. La clarté, la lisibilité et la cohérence du droit européen repose, comme le droit national, sur une nette distinction entre ce qui relève de la loi, les principes et les directions politiques, et ce qui relève de leur application. Il n’est pas souhaitable que le Conseil européen et le Parlement se mettent à rédiger l’équivalent de nos arrêtés ministériels. Que dirions-nous d’une directive qui fixerait la circonférences des ampoules ou détaillerait les spécifications techniques de chaque produit vendu dans le marché commun ?

Le traité de Rome réglait la question en posant un principe simple : aux institutions européennes l’adoption des textes législatifs, aux Etats membres la mission d’en définir les modalités d’application.

Or, chacun conviendra aujourd’hui qu’il n’est pas toujours possible de s’en tenir à cette solution. La cohérence du droit européen impose en effet bien souvent que les conditions d’exécution des directives et des règlements soient harmonisées à l’échelle des 27. Et le Conseil des ministres, engoncé dans les arcanes des négociations diplomatiques, ne peut consacrer tout son temps et toute son énergie aux aspects annexes des politiques européennes. C’est ce qu’a reconnu la Cour de justice des Communautés européennes en 1970 (arrêt Köster) en relevant qu’« on ne saurait exiger que tous les détails des règlements soient établis par le Conseil ».

C’est ainsi que dans le silence des traités la Commission européenne s’est vue confier la mission de plus en plus imposante au fil des années de définir des mesures d’application harmonisées des textes européens. Mais, pour contrôler son action et s’assurer que les Etats membres puissent participer efficacement à l’exercice du pouvoir exécutif, ont été mis en place des comités réunissant des représentants de l’ensemble des Etats membres afin de l’assister dans cette mission.

Depuis l’Acte unique de 1986, qui a formalisé cette pratique dans les traités en introduisant dans le traité instituant les Communautés européennes un nouvel article 202 qui dispose que « le Conseil peut soumettre l’exercice de ces compétences à certaines modalités [selon des] principes et règles [qu’il] aura préalablement établis », les prérogatives de ces comités se sont constamment accrues.

Leur rôle est double. Ils permettent tout d’abord d’éclairer la Commission européenne sur les difficultés que sont susceptibles de poser les mesures d’application projetées. En parallèle, ils doivent efficacement alerter leurs gouvernements sur les questions soulevées par les actes techniques, afin de renvoyer les sujets, lorsque des majorités hostiles se nouent, aux législateurs européens.

Je vous épargne la description fastidieuse des diverses procédures aujourd’hui existantes. Je me contenterais d’en résumer les grandes étapes. La Commission européenne doit soumettre toutes les mesures d’application qu’elle projette à des comités réunissant des experts des 27. Ces derniers les approuvent ou les rejettent, à la majorité simple. La portée de leurs avis est ensuite proportionnée à l’importance du sujet concerné, allant d’un simple avertissement sans frais (dans le domaine du marché intérieur) au renvoi de la décision au Conseil et au Parlement européen (pour la PAC, les décisions à forts enjeux financiers ou l’ensemble des mesures touchant à la protection de la santé et de la sécurité des personnes ou à la confidentialité des données personnelles).

Reflétant la montée en puissance du Parlement européen, longtemps totalement exclu de la comitologie, la nouvelle « procédure de réglementation avec contrôle » forme aujourd’hui le droit commun des actes d’application des directives et des règlements. Renvoyant aux législateurs le soin de trancher sur toute mesure rejetée par les comités, elle prévoit de surcroît que le Conseil ou le Parlement dispose de trois mois pour se saisir des actes mêmes approuvés par les experts.

Au total, la procédure n’est guère contestable dans son principe, surtout lorsqu’on examine ses alternatives : des législateurs tatillons empêtrés dans les détails techniques des textes ou, pire, une Commission européenne agissant sans contrôle.

Comme souvent, c’est dans l’application des procédures que se cachent les plus redoutables difficultés. Deux dangers guettent traditionnellement la comitologie.

Le premier tient aux missions mêmes qui lui sont confiées. Trop de directives ou de règlements donnent en quelque sorte blanc seing à la Commission et à ses comités pour régler des questions qui doivent relever de l’autorité politique. Notre collègue Gérard Voisin a ainsi plusieurs fois dénoncé cette fâcheuse tendance du législateur européen à se dérober à une partie de ses responsabilités en s’en remettant à des mesures d’exécution insuffisamment bornées dans leur champ et dans leur contenu.

Le traité de Lisbonne devrait résoudre une partie du problème. Il distingue en effet pour la première fois dans le droit européen l’équivalent de nos ordonnances (les éléments « essentiels » d’un acte de base »), qui ne peut être confié à la Commission que selon des critères stricts et à la condition que le Conseil et le Parlement puissent à tout moment se ressaisir de la question, des mesures d’exécution (qui ne pourront toucher que les éléments « non essentiels » d’un acte).

Il n’en reste pas moins que nous devons être très vigilants sur cette question. J’invite les rapporteurs à examiner avec la plus grande attention les dispositions des règlements et des directives qui délimitent le champ laissé aux mesures d’exécution en consacrant une partie substantielle de leur rapport ou de leur communication à l’appréciation argumentée de leur pertinence et de leur ampleur. Je ne manquerai pas pour ma part d’exercer une veille régulière sur cet aspect important de notre travail.

Le second écueil de la comitologie est encore mieux connu. Il tient au fonctionnement même des comités, souvent enfermés dans une logique exclusivement technique réunissant les spécialistes d’une filière et par conséquent privée d’une impulsion et d’un contrôle proprement politique, qui conduit parfois nos représentants à adopter des positions en contradiction avec les intérêts de nos concitoyens.

Il faut d’abord rétablir quelques vérités. Il est impossible de demander aux ministres, et je ne parle même pas du premier d’entre eux, de donner une instruction formelle à nos représentants pour chacune des 1.000 réunions annuelles. Ce n’est même pas souhaitable. Fort heureusement, dans 99% des cas, les décisions restent étroitement techniques et découlent, presque naturellement, de la directive ou du règlement adopté par le Parlement européen et le Conseil.

Restent les quelques cas qui échappent à cette logique. Et, en la matière, d’importants progrès restent devant nous.

Le circuit politique des comités est en effet perfectible : certaines décisions ne remontent pas, comme elles le devraient, jusqu’aux autorités légitimes ; en sens inverse, la position exprimée par le fonctionnaire français membre d’un comité ne résultent pas toujours d’une instruction politique mûrement réfléchie.

Le Gouvernement est conscient de ces limites. Ainsi, le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) s’est attaché à contrôler de plus près les activités des comités en ce concentrant sur ceux qui traitent des matières les plus sensibles. Les experts français aux divers comités « climat » lui communiquent en effet désormais toutes leurs intentions et leurs actions.

Nous pouvons, j’en suis convaincu, participer à cette mission essentielle de veille démocratique.

Là encore, non pas en s’astreignant à un illusoire contrôle de 2.000 décisions annuelles dont la vaste majorité ne justifie en aucune manière notre attention. Je pense, comme toujours dans le droit communautaire, que notre plus value réside beaucoup plus en amont du processus.

Je propose ainsi aux rapporteurs de poursuivre leur travail après la publication des directives et règlements sur lesquels a porté leur mission, en contrôlant aussi les principales mesures d’exécution qui en découlent.

A cette fin, je pense utile, pour les textes les plus importants, qu’ils auditionnent après l’adoption de l’acte législatif les principaux experts français appelés à siéger dans les comités d’exécution, afin d’identifier avec eux les principales difficultés susceptibles d’apparaître et de leur apporter la nécessaire cohérence politique que les contraintes de leurs spécialisations ne leur permettent pas toujours de mesurer. Des communications spécifiques devant notre Commission pourraient utilement boucler ce processus.

Dans le même esprit, j’ai entamé avec le Ministre de l’agriculture des discussions afin de déterminer le ou les comités agricoles qui pourraient faire l’objet d’une veille particulière de notre part.

En conclusion, ce sujet me semble extrêmement important parce qu’il touche des éléments essentiels de la vie quotidienne des citoyens. Mal connu, il prête le flan à des critiques traditionnelles qui, dans 99 % des cas, sont infondées. Mais il reste le 1 % restant, qui exige, du Gouvernement comme de notre part, un effort soutenu pour restaurer, comme il est essentiel, la primauté de la responsabilité politique.

M. Jacques Myard. Ce rapport présente un sujet très important, tout à fait révélateur de l’« usine à gaz » qu’est la construction européenne. Il met le doigt utilement sur des choses qui doivent être corrigés, mais il comporte un aspect utopique.

En pratique, au quotidien, les fonctionnaires des ministères dits « techniques » se rencontrent ainsi au niveau international et font des propositions, allant même parfois jusqu’à vouloir revenir sur des dispositions votées par les parlementaires. C’est le pouvoir de la technocratie ! Il faut rappeler que c’est le politique qui commande. Le problème, c’est que dans la masse annuelle considérable de ces réunions, face à des personnes qui détiennent le pouvoir de l’expertise, nous n’y arriverons pas.

Le phénomène est quantitativement démesuré. Il serait nécessaire de reposer toute la pyramide sur ses bases, mais le combat que vous proposez est perdu d’avance. Il est impossible pour notre commission de contrôler l’ensemble des mesures et décisions prises en comitologie, au mieux on ne fera que dénoncer quelques cas. J’approuve votre rapport dans ses objectifs mais les propositions qu’il comporte ne sont malheureusement pas réalisables.

Le Président Pierre Lequiller. Si le Gouvernement lui-même prend conscience qu’il faut mieux contrôler ses experts, et si nous, parlementaires, attirons l’attention sur ce problème, cela ne suffira certes pas à empêcher tout dérapage, compte tenu des milliers de décisions qui sont prises chaque année selon la procédure de comitologie, mais cela constituera une réelle avancée.

Il convient d’ailleurs de noter qu’un problème similaire existe au niveau national, avec les décrets et arrêtés en France. Ce n’est donc pas la « machine » européenne qui est seule en cause. Les discussions techniques menées à vingt-sept sont utiles. Les solutions que je préconise ne vont pas régler le problème mais vont dans la bonne direction.

M. Michel Piron. Effectivement, il est utile que notre commission se saisisse de ce problème, et il faudra qu’elle en rappelle l’existence par la suite et qu’elle communique sur ce sujet, qui est lié à la question plus vaste des modes de gouvernance. Il n’est pas sûr que ceux-ci puissent être systématiquement identiques à tous les niveaux de gouvernement. La subsidiarité n’est pas qu’une question formelle ou technique, c’est une vraie question de fond : la gouvernance de l’Europe repose-t-elle uniquement sur une uniformisation des règles ou bien sur un partage harmonieux des responsabilités ? Comme le remarquait Spinoza, toute idée perd en compréhension ce qu’elle gagne en extension.

Au niveau national, ces problèmes peuvent déjà avoir des conséquences catastrophiques ; à l’échelle européenne, c’est encore plus grave. Trop souvent le champ de la règle s’étend exagérément tandis que son esprit n’est pas toujours servi par l’existence d’une règle unique. On fabrique ainsi du droit, mais quels droits ? L’interrogation politique doit reprendre toute sa place. Quand on veut être éclairé sur des expertises, on en est souvent réduit à faire appel à d’autres experts, à des contre-expertises. Le rôle du politique est alors d’arbitrer.

Le questionnement soulevé par ce rapport est légitime et mérite d’être décliné dans d’autres domaines.

M. Daniel Garrigue. Comme l’avait relevé M. Michel Barnier devant notre Commission, à Bruxelles les choses ne se décident pas, elles se négocient. On a tendance à appréhender la comitologie selon notre système de hiérarchie des normes, alors que dans ce processus la négociation se poursuit en permanence, à chaque niveau. La seule solution consiste, d’une part, à ce que les exécutifs nationaux rendent compte clairement à leurs parlements nationaux, et d’autre part, à ce que l’intervention des parlements nationaux ait lieu le plus en amont et le plus en aval possible dans le processus communautaire, ce qui pourrait même aller jusqu’à une forme de codécision.

M. Pierre Bourguignon. Quelle que soit la procédure d’élaboration de la règle, le contrôle est un élément essentiel de l’activité parlementaire, qui n’est d’ailleurs pas une spécificité des institutions européennes. Ainsi depuis une décennie, notre Commission des finances met en œuvre ce contrôle dans le cadre des pouvoirs dévolus aux rapporteurs spéciaux par l’article 164-IV de l’ordonnance de 1958 portant loi de finances pour 1959. J’ai eu l’occasion de l’exercer en exigeant des informations sur place à la Direction du Trésor. La base de notre contrôle est de faire dire aux experts pourquoi ils ont pris telle ou telle décision ou de quelle façon la négociation a abouti. Nos parlements nationaux doivent appliquer cette dimension du contrôle dans le cadre européen. Nous devons renforcer ce travail de contrôle selon les principes établis par la loi organique relative aux lois de finances, en demandant des explications et en procédant à des vérifications, sans d’ailleurs que cela implique un jugement.

M. Gérard Voisin. Contrairement à ce que pense M. Jacques Myard, ce contrôle n’est pas utopique mais est relativement aisé à mettre en œuvre. En fait, chacun de nous fait de la comitologie sans le savoir, par exemple dans nos mairies. Les effets négatifs de la comitologie sont faciles à renverser. Pour cela , les parlements nationaux doivent travailler en amont. S’il est compliqué, voire inopportun, de supprimer la comitologie, on peut la contrôler. Notre Parlement a en mains cette mission. Je l’ai expérimenté en matière d’ « intelligence transports systems » avec l’aide des Allemands et du ministère des transports. Il nous revient d’expliquer tant les effets bénéfiques de la comitologie que ses effets néfastes.

Le Président Pierre Lequiller. Je suis tout à fait d’accord avec ces derniers propos. Il ne s’agit pas de contrer la comitologie mais d’assurer une plus grande transparence et de la contrôler. Cette démarche peut être et doit être entreprise par le Gouvernement et par le Parlement. Quels sont les outils dont nous disposons à cet effet ? Comme l’a souligné M. Daniel Garrigue , en matière européenne, la codécision est nécessaire. Mais il est nécessaire que les parlements soient informés le plus en amont possible des textes en préparation. J’ai d’ailleurs donné des instructions en ce sens à l’antenne de notre commission à Bruxelles afin que soit assurée une veille permanente. Il serait également utile de travailler de façon plus régulière avec les députés européens. Ils sont certes invités à toutes nos réunions mais ne viennent pas , nos emplois du texte respectifs étant difficilement compatibles. Aussi allons nous allons faciliter le dialogue avec nos collègues européens en développant la visioconférence. Par ailleurs, nous les auditionnerons. L’audition de M. Alain Lamassoure est d’ores et déjà prévue et nous envisageons celles de Mmes Pervenche Berés et Eva Joly, ainsi que celle des coordonnateurs des groupes.

Cependant il est évident que le Parlement ne peut pas savoir tout ce qui se prépare dans le secret des couloirs européens ni dans celui des bureaux des ministères.

M. Michel Piron a tout à fait raison quand il dit que des progrès doivent être réalisés en matière de contrôle de subsidiarité. Nous avons déjà mis au point un tel contrôle à travers notre équipe « subsidiarité » constituée par MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin. Nous allons nous orienter vers un système encore plus approprié dans lequel le député spécialiste du fond du sujet concerné sera chargé d’examiner le texte sous l’angle de la subsidiarité, en lien avec les rapporteurs subsidiarité. Nous avons mis en place cette procédure par anticipation du traité de Lisbonne qui, s’il entre en vigueur, mettra en place un système contraignant, permettant de prendre en compte le point de vue des parlements nationaux. M. Manuel Barroso a d’ores et déjà décidé de transmettre les textes législatifs via les parlements nationaux et de répercuter leur avis à la Commission européenne. Si un certain nombre de parlements nationaux émettent un même avis négatif sur la subsidiarité d’un texte, la Commission européenne sera obligée de revoir sa copie. A travers la COSAC, un système Intranet permet de suivre l’avis des différents parlements.

Comme l’indiquait M. Pierre Bourguignon, il est également indispensable d’exercer un contrôle a posteriori. Dans cette optique, l’amendement « Lambert » à notre nouveau règlement permet, lors des semaines de contrôle à l’Assemblée, de consacrer une journée aux questions européennes.

M. Jacques Myard. S’agissant du contrôle de subsidiarité, l’avis négatif de dix Etats est nécessaire. L’Europe s’est élargie mais elle doit maintenant rétrécir son champ d’action pour s’en tenir à l’essentiel.

II. Communication de M. Pierre Lequiller sur la décision de la Cour constitutionnelle allemande relative au traité de Lisbonne

Le Président Pierre Lequiller. Le Bundestag, le 8 septembre dernier, suivi du Bundesrat le 18 septembre ont approuvé à de très vastes majorités les quatre lois d’accompagnement dont la Cour constitutionnelle allemande, dans sa décision du 30 juin 2009, avait jugé nécessaire la promulgation en préalable à la ratification du traité de Lisbonne.

Ces votes ont clos en Allemagne un débat de grande qualité sur l’Union européenne. La décision de la Cour fédérale avait en effet soulevé des questions fondamentales sur la nature de la construction européenne. Je ne suis pas de ceux qui entendent en elle un tir de semonce. Ses motivations, certes sévères à l’égard de l’état actuel de la démocratie européenne, ne s’inscrivent pas moins dans la jurisprudence traditionnelle des juges de Karlsruhe. Ses prescriptions consolident utilement les prérogatives du Parlement allemand. Surtout, ses conclusions ouvrent la voie au traité de Lisbonne en attestant de sa conformité à la Loi fondamentale.

Le raisonnement tenu par la Cour ne tranche guère avec celui qui avait inspiré ses précédentes décisions.

L’appréciation de la Cour sur l’Union européenne s’inscrit dans sa jurisprudence traditionnelle, qu’il s’agisse des décisions « Solange I » de mai 1974, qui posait le principe que l’Europe n’est pas un Etat mais une « communauté particulière », « Solange II » d’octobre 1986 qui en inférait le droit de la Cour à juger de la compatibilité du droit européen avec la Loi fondamentale ou « Maastricht » d’octobre 1993, qui déduisait de l’intensité de l’intégration européenne la nécessité de consolider son attache démocratique au sein même de chacun des Etats membres.

Les juges considèrent ainsi qu’en dépit de formes empruntées aux institutions fédérales, l’Union ne constitue pas un Etat pour la raison qu’il n’existe pas, à leurs yeux, de « peuple européen » en état d’exprimer une volonté politique majoritaire, fondée sur le principe d’égalité de représentation des citoyens.

Le Parlement européen, par sa composition inégale selon les Etats, son mode de fonctionnement encore loin du jeu traditionnel entre une majorité et une opposition, et ses pouvoirs encore limités ne peut en effet, selon la Cour, prétendre « constituer le fondement d’un gouvernement parlementaire ».

Par conséquent, la souveraineté réside exclusivement dans chacun des peuples des Etats membres de l’Union. La Cour en déduit deux principes essentiels.

En premier lieu, pour la Cour, la construction européenne requiert, à chacune des grandes étapes de son évolution, une sanction démocratique légalement exprimée par les organes représentatifs des peuples, c’est-à-dire principalement les Parlements nationaux.

En second lieu, l’intégration européenne, dans l’attente de la fondation d’un Etat fédéral démocratique, a deux frontières. D’abord, la « compétence de la compétence », c’est-à-dire le droit de déterminer le champ d’action de l’Union, appartient aux seuls Etats membres. Ensuite, la construction européenne ne peut mettre en cause l’« identité constitutionnelle » des Etats membres.

L’originalité de la décision est de préciser les contours du noyau dur des compétences nationales que les juges estiment impossibles de transférer aux institutions communautaires. Aux traditionnels fondements de l’ordre étatique (Etat fédéral, droit de résistance, principe de représentativité, ordre constitutionnel), s’ajoute désormais explicitement la « capacité de façonner les rapports économiques, culturels et sociaux », en particulier dans les domaines de la loi pénale, de la police, des décisions budgétaires et fiscales « fondamentales », des prestations sociales, de l’éducation, de la religion et des médias.

De ces principes, la Cour dégage plusieurs prescriptions.

Elle réaffirme d’abord la compétence qu’elle s’est arrogée dès 1974 de contrôler la compatibilité du droit communautaire, même dérivé, avec la Loi fondamentale.

Ensuite, et réside ici la singularité de la décision du 30 juin, la Cour juge nécessaire de renforcer substantiellement les pouvoirs de l’organe représentatif du peuple allemand, le Parlement, à chacune des étapes des procédures européennes.

C’est sur ce fondement qu’elle a conditionné la ratification du nouveau traité à l’adoption de lois d’accompagnement relatives aux droits et devoirs du Bundestag et du Bundesrat, guidant avec précision la plume du législateur.

Sous ces réserves, qui concernent exclusivement l’ordre interne allemand, la Cour considère que le traité de Lisbonne est pleinement compatible avec la Loi fondamentale.

Elle souligne en effet qu’il préserve utilement le monopole des Etats de la « compétence de la compétence » et assortit ses principales avancées d’un net renforcement des contrepoids démocratiques (affirmation du Parlement européen, reconnaissance institutionnelle des parlements nationaux efficacement associés à la marche de l’Union…).

Quatre lois « d’accompagnement » ont par suite été soumises au Parlement. Le Bundestag les a adoptées le 8 septembre, par une majorité de 446 voix contre 46 et deux abstentions (seule Die Linke s’y opposant), avant que le Bundesrat n’achève la procédure le 18 septembre.

La plus importante, relative à la responsabilité de l’intégration, répond aux exigences de la Cour constitutionnelle.

En quelques mots, je dirais que son objet est de s’assurer non plus du consentement passif du Parlement mais bien de sa participation active, préalable et systématique aux décisions engageant l’avenir de l’Union.

Ainsi, le Gouvernement fédéral ne pourra désormais approuver aucun projet modifiant l’étendue des compétences européennes ou amendant leurs modalités d’exercice sans que le Bundestag et, dans les matières relevant des Etats fédérés allemands, le Bundesrat ne l’ai expressément autorisé.

L’adoption d’une loi sera ainsi nécessaire avant que le représentant allemand au Conseil ne donne son assentiment à toute modification des « règles du jeu » européens faisant passer un domaine régi par l’unanimité à la majorité qualifiée ou toutes mesures touchant les domaines essentiels de la souveraineté parlementaire identifiés par la Cour constitutionnelle. Seront concernées toutes les mesures fiscales ou sociales ou l’essentiel des interventions de l’Union dans le droit pénal ou civil.

La portée de la décision de la Cour, comme celle des lois d’accompagnement, est encore incertaine.

Je laisse de côté le débat, fécond, mais à mes yeux de faible intérêt pratique aujourd’hui, sur la nature fédérale de l’Europe. L’idée de fédération d’Etats nations me paraît beaucoup plus pertinente, et moins exposée aux vaines polémiques.

La position de la Cour sur la primauté du droit européen me paraît plus contestable. La situation serait en effet confuse si, d’aventure, la Cour de Karlsruhe entrait en contradiction ouverte avec la Cour de Justice de Luxembourg sur un acte dérivé spécifique. Mais il faut rappeler que cette probabilité demeure faible. L’Europe garantit les droits fondamentaux au moins aussi bien que les constitutions nationales.

J’en termine sur les droits accordés aux parlementaires allemands.

Sur le fond, la véritable injonction au Parlement à participer plus étroitement aux décisions européennes qu’exprime la décision doit être méditée. Je ne partage pas le pessimisme des juges sur le Parlement européen. Son fonctionnement et ses compétences le rapprochent chacun jour un peu plus des normes parlementaires traditionnelles. Pour autant, la Cour a raison d’insister sur notre responsabilité particulière, nous, parlementaires nationaux, pour contribuer à combler progressivement le fossé démocratique de l’Europe.

Sur la forme, il importe d’apprécier les nouvelles prérogatives du Bundestag à l’aune des traditions constitutionnelles allemandes.

Je rappelle en effet que les mandats donnés par le Parlement allemand à son Gouvernement ont toujours été impératifs. Cette logique explique l’intensité de l’intervention dans les affaires européennes que lui aménagent les nouvelles lois. Telle n’est pas notre tradition nationale.

Pour autant, je rappelle que nous jouirons bientôt – à condition que le référendum irlandais soit positif – de droits comparables, précisément accordés par le traité de Lisbonne, nous permettant de nous opposer aux révisions simplifiées ou à l’élargissement de la majorité qualifiée. Certes, nous ne pourrons le faire qu’au lendemain et non la veille de la décision du Conseil européen. Mais j’imagine mal un Gouvernement français consentir à une révision des traités dont il aurait la certitude ou même la crainte qu’elle ne se heurte bientôt au veto de son Parlement.

Au total, la décision m’apparaît moins spectaculaire qu’on l’a parfois dit. Conforme à sa jurisprudence traditionnelle, elle ouvre la voie au traité de Lisbonne et renforce utilement le Parlement allemand.

M. Lionnel Luca. Merci de présenter cette analyse qui nous interpelle. Je reste toutefois perplexe lorsque vous mentionnez l’absence d’intention fédérale. Il s’agit d’une bataille sémantique dont je ne suis pas certain que nous soyons sortis, car le terme même de fédération d’Etats nations intègre des éléments contradictoires. Nous nous situons dans un débat équivalent à celui sur le caractère parlementaire ou présidentiel de la Constitution française. Il est significatif que la Cour affirme le caractère non fédéral de l’Union européenne.

Je ferai une deuxième observation : le traité de Lisbonne établit la primauté du droit européen sur le droit national. La position de la Cour constitutionnelle me laisse dubitatif car elle affirme le contraire. Nous n’avons pas fini de débattre de cette question : cet arrêt constitue-t-il un poison pour la construction européenne ou les bases d’un consensus ? L’avenir le dira.

M. Daniel Garrigue. Cet arrêt pose fondamentalement la question de la souveraineté. Il en existe deux qui reposent sur le suffrage universel, l’une s’opère dans le cadre national, qui motive les électeurs, l’autre dans un cadre européen. Néanmoins la primauté du droit européen est réaffirmé dans le traité de Lisbonne et l’élection du Parlement européen au suffrage universel lui confère une légitimité. Un jour viendra où il y aura de réels enjeux lors des élections européennes et où nous serons confrontés à cette contradiction entre les souverainetés. Les Allemands se posent la même question que nous, par exemple en matière de fiscalité, et l’arrêt traduit ces préoccupations.

Cette situation rejoint ce qui s’est passé depuis deux ans où la place des affaires européennes dans les débats nationaux s’est accrue, de même que la place des parlements nationaux. D’où l’idée d’élargir la co-décision pour arriver à une certaine osmose entre les institutions nationales et européennes.

M. Christophe Caresche. Cet arrêt est cohérent dans la mesure où il tire l’échec de la révision constitutionnelle. La réalité étatique s’est imposée à tous ceux qui sont attachés à une perspective fédéraliste dont j’ai le sentiment qu’elle est en train de se clore.

En effet, cette perspective fédéraliste est aujourd’hui entre parenthèses et je constate que l’Allemagne s’est adaptée à cette nouvelle donne. Elle se situe aujourd’hui dans une phase où elle a tendance, me semble-t-il, à faire primer ses intérêts nationaux. Cette nouvelle donne n’est pas forcément enthousiasmante mais ne faut-il pas tirer toutes les conclusions de l’achèvement de ce processus afin de définir une nouvelle stratégie pour la construction européenne ?

Le Président Pierre Lequiller. Il existe dans cet arrêt des choses fortes qui peuvent surprendre : ce n’est pas l’Allemagne qui s’est prononcée mais une juridiction ; des politiques ont émis des réserves sur cette décision. S’agissant des perspectives fédérales, il n’y a pas de rupture par rapport à la situation antérieure.

En réponse à Lionnel Luca, je suis d’accord sur l’existence d’une contradiction sémantique entre les termes de fédération et ceux d’Etats nations, mais je rappellerai que dans le traité de Lisbonne le mot fédéralisme n’existe pas et que les termes « d’Union de plus en plus étroite » figurent dans le traité, depuis d’ailleurs l’origine de la construction européenne.

Sur la souveraineté, l’Union européenne existe parce qu’elle dispose d’une délégation de souveraineté résultant d’une décision des Etats membres.

M. Daniel Garrigue. Le suffrage universel applicable aux élections au Parlement européen lui confère aussi la souveraineté.

Le Président Pierre Lequiller. L’application du traité de Lisbonne entraînera de grands changements pour la désignation du Président de la Commission européenne. Les deux grands camps politiques présenteront avant les élections européennes leur candidat à la présidence de la Commission et cette règle changera la nature du fonctionnement du Parlement européen. En effet, le clivage qui se sera creusé pendant la campagne électorale autour des candidats respectifs de chaque camp se poursuivra au sein du Parlement européen, après les élections européennes, lors de l’élection du Président de la Commission.

Les critiques adressées au Président Barroso m’ont semblé vraiment excessives, alors même qu’il a été le premier Président de la Commission européenne à se présenter devant l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, la fiscalité relève toujours de la compétence nationale, y compris dans le traité de Lisbonne. C’est un domaine qui est resté régi par la règle de l’unanimité.

Enfin, les discussions que j’ai eues avec des interlocuteurs allemands m’ont montré que la décision de la Cour de Karlshruhe avait répété sur beaucoup de points, comme le fédéralisme ou le peuple, ce qu’elle avait déjà dit auparavant. On ne peut pas dire que l’Allemagne est en train de reculer sur l’Europe.

M. Daniel Garrigue. Je veux simplement affirmer que la primauté du suffrage universel confère la souveraineté à partir du moment où l’on a introduit l’élection du Parlement européen au suffrage universel. Par le fait même, on a introduit la souveraineté au niveau européen et le jour où il y aura un véritable enjeu au niveau des élections au Parlement européen, la souveraineté jaillira.

M. Christophe Caresche. Tout d’abord, la Cour s’est appuyée sur les reculs entérinés dans le traité de Lisbonne par rapport au Traité constitutionnel pour prendre sa décision et elle n’aurait pas pu dire les mêmes choses si le Traité constitutionnel avait été adopté. Un processus politique s’est donc bien achevé avec le rejet du Traité constitutionnel.

Sur le plan économique, l’Allemagne est sur le reculoir parce que, après avoir fait d’énormes efforts de compétitivité, assaini ses finances publiques avec un coût social important et porté financièrement la réunification, elle n’a plus envie de faire des efforts pour les autres. Les réticences d’Angela Merkel sur le plan de relance le montrent et l’on peut présager des difficultés à venir sur les déficits.

La Cour est donc naturellement revenue à une problématique plus liée aux intérêts nationaux.

Le Président Pierre Lequiller. Je n’ai pas la même interprétation que vous de la décision de la Cour de Karlshruhe. Je considère qu’il n’y a pas de recul de l’Allemagne sur l’Europe et rappelle que, d’abord, c’est une décision des juges et non des politiques allemands et qu’ensuite, cet arrêt est conforme à ce que la Cour avait déjà dit antérieurement. L’Allemagne est aussi européenne qu’auparavant.

III. Nomination d’un rapporteur

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Commission a nommé rapporteur d’information :

M. Gérard Voisin sur le projet de loi portant engagement national pour l’environnement (sous réserve de son dépôt).

M. Pierre Lequiller. Il s’agit de la première mise en œuvre du nouvel article 151-1-1 du Règlement de l’Assemblée qui prévoit que « la Commission des affaires européennes peut, de sa propre initiative ou à la demande d’une commission permanente ou spéciale saisie au fond d’un projet ou d’une proposition de loi portant sur un domaine couvert par l’activité de l’Union européenne, formuler des observations sur toute disposition de ce projet ou de cette proposition. Ces observations peuvent être présentées devant la commission permanente ou spéciale saisie au fond du projet ou de la proposition de loi. La Conférence des présidents peut autoriser la Commission des affaires européennes à présenter ses observations en séance publique. »

La séance est levée à 18 h 45.