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Commission des affaires européennes

mercredi 20 janvier 2010

16 h 15

Compte rendu n° 135

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes (ouverte à la presse)

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 20 janvier 2010

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 15

Audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes (ouverte à la presse)

Le Président Pierre Lequiller. Merci, Monsieur le ministre, de revenir devant cette commission après le dîner auquel vous nous aviez conviés hier, avec nos collègues de la commission des affaires européennes du Sénat, qui a été l’occasion d’un dialogue très direct. Nous aurons de nombreuses questions à vous poser. Pour ma part, je voudrais savoir où en est l’installation des nouvelles institutions, et notamment l’articulation entre présidence stable et présidence tournante. Je voudrais aussi connaître votre point de vue sur la constitution de la Commission, qui semble être reportée après les auditions des candidats, sur la coordination économique et les initiatives à prendre en matière d’emploi, ce qui semble une priorité de la présidence espagnole, sur l’aide apportée par l’Europe à Haïti et enfin sur la mise en place du service européen pour l’action extérieure.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes. Il est encore temps de vous souhaiter beaucoup de bonheur et d’épanouissement, à vous et à l’Europe, qui en a bien besoin dans l’actuel mouvement de mondialisation. Je voudrais aussi saluer le Président Lequiller qui va dans les prochaines semaines rendre au Premier ministre son rapport sur la consommation des fonds structurels, un travail énorme accompli avec une économie de moyens, que nous étudierons avec la plus grande attention et qui sera largement diffusé.

Nous allons passer en revue aujourd’hui beaucoup de sujets, des réunions en cours aux problèmes de sortie de crise et d’emploi, mais je voudrais pour commencer faire le point sur l’épouvantable catastrophe d’Haïti, qui a détruit la quasi-totalité de Port-au-Prince, causé des dizaines de milliers de victimes et fait un million et demi de sans-abris, soit 15 % de la population alors que le pays compte déjà parmi les plus pauvres des Amériques – le seul du continent à faire partie du groupe des pays les moins avancés, classé 149e sur 182 en termes de développement humain. Plus des deux tiers de la population y vivaient avant le séisme dans l’extrême pauvreté, avec moins de deux dollars par jour, et la moitié connaît aujourd’hui l’indigence absolue avec moins d’un dollar par jour.

Parmi nos 1 400 compatriotes résidant en Haïti, dont 1 200 à Port-au-Prince, l’on déplore à ce jour 17 morts et 16 disparus ; 642 ont pu être rapatriés. L’ONU a été aussi très durement touchée puisque son représentant spécial et chef de mission, le Tunisien M. Hedi Annabi, son adjoint M. Luis Carlos da Costa et le magistrat français M. Marc Plum comptent parmi les victimes. Je leurs rends solennellement hommage.

Nous partageons une longue histoire avec Haïti, et nous avons été parmi les tout premiers pays à réagir. Le Président de la République a immédiatement fait part de son effroi et, en coordination étroite avec d’autres pays, notamment les Etats-Unis, nous avons engagé près de 900 personnes sur le terrain, dont 250 sauveteurs et 100 gendarmes, avec trois avions militaires qui ont acheminé trente tonnes de matériel, deux navires militaires et quatre hélicoptères. Les 24 millions d’aide publique qui ont été dégagés, sans compter l’argent privé, font de nous un des premiers contributeurs européens.

Cette catastrophe est la première à laquelle l’Union soit confrontée depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Alors que l’on entend beaucoup parler du rôle joué par les Etats-Unis, parfois de façon négative, je tiens à rappeler que toute idée de concurrence entre nous est parfaitement grotesque, et malsaine. L’ampleur de la tragédie est telle que chacun peut trouver sa place. La complémentarité des moyens est une nécessité. Il faut les mettre en place rapidement et les coordonner, ce qui est loin d’être facile. La France a salué hier la mobilisation exceptionnelle des Etats-Unis. Nos deux pays ont décidé de joindre leurs efforts pour faire face à l’urgence humanitaire et aux besoins immenses de la reconstruction, avec également le Brésil, le Canada et tous les pays concernés.

L’Europe doit jouer dans cette catastrophe un double rôle. D’abord œuvrer à la coordination des moyens d’urgence. Elle a pris des mesures dès les premières heures : mise en place d’une aide humanitaire de première urgence, recensement des contributions des Etats membres, financement pour moitié du transport humanitaire bilatéral. Nous nous trouvions en pleine réunion des vingt-sept ministres des affaires européennes à Ségovie au moment du tremblement de terre et avons tout de suite lancé un premier appel à la coordination de l’aide. Mais l’Union doit encore davantage, ensuite, prendre toute sa part dans la reconstruction d’Haïti. Le président d’Haïti a rappelé cet après-midi l’importance de cette action à moyen et long terme. Ce sera l’enjeu de la conférence de Montréal du 25 janvier, mais le sujet sera également évoqué le 11 février, sur la suggestion de M. Van Rompuy. L’Union européenne était, bien avant le séisme, l’un des principaux acteurs en Haïti et la Commission l’un des plus importants donateurs humanitaires, avec 90 millions depuis 1993.

Qu’en est-il du comportement des nouvelles institutions européennes ? Certes, tout le monde n’a pas les capacités de réaction de Nicolas Sarkozy mais au total, elles n’ont pas démérité. Il faut bien comprendre que la compétence d’aide d’urgence est partagée, dans le traité, et que l’essentiel des moyens de réaction rapide sont concentrés dans les mains des Etats. La Haute représentante, Mme Catherine Ashton, dont c’est le premier grand dossier, a pris l’initiative d’un conseil des affaires étrangères extraordinaire, le 18 janvier, réunissant les ministres en charge du développement. A cette occasion, l’Europe s’est mobilisée à hauteur de 429 millions, dont 92 d’aides nationales.

On peut tirer trois enseignements immédiats de cette crise. D’abord, la réponse européenne a été un peu tardive. Outre que les Etats sont concernés au premier chef, les nouvelles institutions sont en période de rodage. Ensuite, l’Europe doit être sinon plus présente sur le terrain, car elle l’est, du moins plus visible. La reconstruction d’Haïti doit montrer qu’elle est capable d’être un acteur de premier plan sur la scène internationale. L’Europe dispose enfin, avec le Traité de Lisbonne, des moyens de ses ambitions. Reste à le mettre en œuvre. Le nouvel article 214 du traité souligne la spécificité de l’aide humanitaire et en fait une compétence partagée entre l’Union et les Etats membres. Il crée également un corps de volontaires européens pour l’aide humanitaire, dont nous souhaitons qu’il soit disponible rapidement. La nouvelle Commission devra donc proposer très vite des mesures d’application au Conseil. M. Van Rompuy a également suggéré hier, à l’issue de son entretien avec M. Gordon Brown, la création d’une force de réaction rapide, qui pourrait être un complément utile à la capacité des Etats. Mais c’est dans la reconstruction à moyen et long terme que L’Europe sera la plus utile. Elle a montré, notamment dans les Balkans ou en Afrique, qu’elle maîtrise bien les éléments d’une reconstruction civile et militaire. A nous de nous assurer que ce travail est fait.

Enfin, la France a demandé une mobilisation majeure de la force de gendarmerie européenne, jusqu’à un millier d’hommes. Il faut avancer sur ce sujet, qui permettra de montrer le drapeau européen dans la sécurisation d’Haïti. Mais je répète que cette mauvaise querelle concernant la concurrence avec les Etats-Unis est absurde. La distance entre Port-au-Prince et Miami, c’est Paris-Marseille : il est plus que normal que les Etats-Unis se mobilisent massivement !

Venons-en aux questions institutionnelles, et d’abord à la réunion informelle des ministres des affaires européennes de la semaine dernière à Ségovie – la première de la présidence espagnole en format « affaires générales », qui se tenait à quelques semaines d’échéances majeures : conseil affaires générales et conseil affaires étrangères du 25 janvier, conférence de Montréal sur la reconstruction d’Haïti du même jour, conférence de Londres du 28 janvier sur l’Afghanistan et conseils européens des 11 février et 25 mars. Cette réunion devait notamment donner des indications claires sur le rôle que l’Espagne compte donner au conseil affaires générales. A terme, quelques ajustements semblent encore nécessaires.

La présidence espagnole a annoncé que le premier conseil affaires générales se tiendrait le 25 janvier, pendant une heure, pour une « présentation » des priorités de la présidence – ce qui revient à refaire la réunion informelle de Ségovie. Cet ordre du jour ne permet pas au conseil affaires générales de s’installer dans son nouveau rôle. En outre, Mme Ashton n’était pas présente à Ségovie, ce qui a contribué à affaiblir la portée des débats sur le service européen pour l’action extérieure. La Haute représentante aurait dû entendre de la voix même des Etats ce que le Conseil attendait d’elle – car je rappelle qu’elle se situe à équidistance de la Commission et du Conseil. Elle n’est pas seulement vice-présidente de la Commission : elle est aussi chargée, avec M. Van Rompuy, d’élaborer des consensus sur la politique étrangère entre les Etats, et de les représenter. J’ai donc insisté à Ségovie sur le rôle spécifique dévolu au conseil affaires générales et sur nos attentes vis-à-vis des futures institutions, en particulier du service européen pour l’action extérieure. J’ai rappelé que les questions institutionnelles étaient dans une large mesure derrière nous et que les peuples ne nous accorderaient plus beaucoup de temps pour prendre des décisions sur les grands dossiers : sortie de crise, immigration, énergie, sécurité, défense, élargissement. La crise, puis la conférence de Copenhague sur le climat ayant montré la rapide transformation de la hiérarchie des puissances, l’Europe doit très vite faire preuve de sa capacité d’agir et oublier définitivement ses querelles institutionnelles.

Les prochaines semaines seront vitales pour la crédibilité du nouveau système institutionnel. Pour l’instant, chaque élément teste le terrain et essaye de s’imposer par rapport aux autres. Mais le traité de Lisbonne est très clair : le système des présidences tournantes, qui a un rôle pédagogique puisqu’il pousse à organiser dans chaque pays des événements qui donnent à l’Europe une coloration que Bruxelles seule ne saurait avoir, est retenu pour les conseils à caractère technique. En revanche, il revient aux nouvelles institutions issues du traité, c’est-à-dire en premier lieu au Conseil européen et à son président, qui a le privilège d’inscrire son action dans la durée, mais en étroite collaboration avec la Haute représentante, la Commission, le Conseil et le Parlement européen, de délivrer le message politique que les citoyens sont en droit d’attendre. Nous devons jouer le jeu des nouvelles institutions, mais ce jeu seulement.

Dans cette nouvelle Europe, le conseil affaires générales est appelé à jouer un rôle politique, et transversal. Il est le dernier filtre avant le Conseil européen, et ses réunions doivent en particulier aider le président de ce dernier à préparer son ordre du jour. Le conseil affaires générales doit être un lieu de débat politique qui prépare les discussions au niveau des chefs d’Etat, et non l’endroit où les ministres des affaires européennes ânonnent des pages d’amendements qui auraient dû être négociés en COREPER. C’est une instance politique.

Dans ce contexte, la construction d’une relation de travail étroite entre le président Van Rompuy et le conseil affaires générales, dans le respect des prérogatives de chacun, est indispensable. La France n’est pas le seul Etat à avoir fait valoir ce point de vue. Le rôle politique du conseil doit trouver une traduction opérationnelle immédiate dans la mise en place du service européen pour l’action extérieure. Nous en attendons beaucoup, car il est nécessaire de renforcer le contrôle politique et stratégique sur l’action extérieure de l’Union. Nous souhaitons en particulier que le service ait une compétence large sur la programmation stratégique des instruments financiers, y compris liés à la politique de développement de l’Union.

Le recrutement des personnels est aussi un sujet stratégique. Nous serons très attentifs à l’égalité de traitement entre fonctionnaires nationaux et européens. Les Etats membres doivent envoyer leurs meilleurs éléments : la compétence doit être le premier critère de recrutement. Il faut enfin clarifier la représentation extérieure de l’Union. Ainsi, la transformation des 57 délégations de la Commission en délégations de l’Union ne doit pas s’accompagner du maintien automatique de leurs chefs, issus par définition de la Commission. Ces nouveaux ambassadeurs nommés par la Commission avant Noël ne le sont, de notre point de vue, qu’à titre transitoire.

Il eût donc été légitime que la mise en place du service européen pour l’action extérieure figure à l’ordre du jour du conseil affaires générales du 25 janvier. Il aurait également été appréciable de pouvoir annoncer, trois jours avant la conférence de Londres, l’institution d’une représentation unique de l’Union à Kaboul : la situation actuelle, avec deux représentations, presque trois, est pathétique.

L’actualité institutionnelle est également marquée par les auditions des futurs commissaires. La démission de Mme Jeleva, remplacée par Mme Georgieva, vice-présidente de la Banque mondiale, repousse de nouveau le vote d’approbation de la Commission, sans doute au 9 février. Mais je me réjouis que ce vote d’investiture, qui a failli avoir lieu à Bruxelles, se tienne à Strasbourg. Sans commentaire sur le fond, je crois qu’il est essentiel pour le bon fonctionnement de l’Europe que ce débat s’apaise rapidement, afin que la Commission puisse se mettre au travail le plus vite possible. Les Commissaires désignés ont tous eu à faire la démonstration de leurs compétences techniques, et leurs auditions ont été très suivies par la presse. A mon sens, celui qui s’en est de loin le mieux tiré est M. Michel Barnier, par sa connaissance approfondie de la machine européenne. Je vous ferai parvenir un tableau résumant qui s’est plus ou moins bien comporté durant ces auditions des futurs commissaires.

J’en viens à la situation économique et financière. L’activité économique reprend en France. On parlait de récession en 2008, on y est entré en 2009 mais en ce début 2010, nos prévisions de croissance ont été relevées à 1,4 % pour l’année, au lieu de 0,7 %. Elles sont au même niveau en Allemagne, après une récession de près de 5 % en 2009 – contre 2 % pour la France. Cela montre que le Président de la République et le gouvernement ont pris les bonnes mesures. Il n’y a pas eu d’erreur. Nous pouvons espérer une consolidation dans les mois qui viennent, grâce notamment au grand emprunt, qui va permettre d’introduire 70 milliards dans des domaines de pointe de l’économie, et à la modification de la taxe professionnelle qui va injecter 12 milliards dans les entreprises. Les conditions d’un retour durable à la croissance ne sont toutefois pas réunies et, ainsi que l’a souligné le Conseil européen de décembre, les politiques de soutien ne devraient cesser que lorsque la reprise sera pleinement assurée.

Les travaux sur la sortie de crise doivent néanmoins être engagés, et c’est l’objet de la réunion informelle de février. L’exemple grec montre combien il est important de préserver la crédibilité des finances publiques de la zone euro. Nous sommes d’autant moins à l’abri d’autres crises financières que, du côté américain, les mauvaises habitudes, mélange de cécité et d’avidité, semblent perdurer. Des mesures de régulation supplémentaires sont prises au niveau français et européen. J’espère que les Etats-Unis seront à la hauteur de l’enjeu.

Le Président de la République a exprimé nos attentes concernant la nouvelle stratégie UE 2020. Les conclusions du Conseil européen de décembre y font écho. L’accroissement du potentiel de croissance de l’Union, la coordination des politiques économiques, la réciprocité dans les relations avec les grands partenaires extérieurs, notamment en matière d’accès aux marchés publics, le renforcement de la base industrielle, une idée également soutenue par la Chancelière Angela Merkel et qui rencontre un fort écho en Italie par exemple, et la prise en compte de la dimension sociale sont les cinq variables-clés de la nouvelle stratégie économique européenne pour la croissance et l’emploi.

Cette vision stratégique est cohérente avec notre politique nationale. Le 11 février, les chefs d’Etat et de gouvernement devront mettre en place les instruments de la coordination. Pour la première fois, ce sont eux qui prendront en mains la stratégie de croissance : les recommandations économiques n’iront pas du bas vers le haut. La vraie question, que le président Barroso, le président du Conseil européen et le président Zapatero se sont posée au cours de la première semaine de janvier, est de mettre cette stratégie en œuvre. Ils ont retenu quatre axes de travail : promouvoir cette approche par le haut, qui vient de la volonté politique des chefs d’Etat, élaborer une stratégie commune, déclinée ensuite en fonction des réalités nationales, éviter de donner l’impression qu’on attend 2020 pour obtenir les premiers résultats concrets – ce serait même désastreux en termes d’opinion publique – et enfin restreindre l’objet des Conseils européens successifs : il ne s’agit pas de faire le point systématiquement sur tous les thèmes mais d’accepter de consacrer les premières années à certains thèmes bien précis. En pratique, la Commission préparera, après la réunion informelle du 11 février, une communication qui sera examinée par le conseil affaires générales puis par le Conseil européen des 25 et 26 mars. La nouvelle stratégie sera définitivement adoptée par le Conseil européen de juin et mise en œuvre dès le printemps.

Voyons maintenant ce qui ne va pas : nous sommes à un tournant de l’histoire européenne, et il n’est pas inutile d’affirmer certaines convictions. A ce propos, je ne peux pas ne pas parler des aides accordées à Renault. Le Président de la République et le Gouvernement sont très attachés au maintien d’un tissu industriel important en France et en Europe, en particulier dans le secteur automobile, dont dépendent 10 % de la population active. On ne peut que se réjouir de l’engagement de M. Carlos Ghosn, PDG de Renault et de Nissan, de maintenir l’activité du site de Flins pour la production d’une partie de la Clio IV et la mise en place d’une grande plate-forme européenne du véhicule électrique.

Je me suis publiquement étonné d’avoir appris par voie de presse, jeudi soir, que la commissaire européenne à la concurrence sortante, Mme Neelie Kroes, remettait une nouvelle fois en cause la légalité des prêts accordés à Renault en 2009. Je lui ai rappelé que les aides accordées par le gouvernement français aux constructeurs automobiles dans le cadre du plan de relance sont parfaitement compatibles avec le droit communautaire, comme la Commission l’a elle-même reconnu. Ces aides ne sont nullement remises en cause par les prises de parole de ces derniers jours. Aucun engagement n’interdit à l’Etat actionnaire de discuter avec Renault de la stratégie de l’entreprise et de marquer son souhait qu’un véhicule destiné au marché européen soit produit dans l’Union. Nous aurons un représentant de l’Etat compétent pour contribuer au pilotage stratégique de l’entreprise. Le code de bonnes pratiques et de performances accepté par les constructeurs exclut toute fermeture de sites en France et Renault s’est engagé à tout faire pour éviter des licenciements. Le gouvernement français répondra naturellement à une éventuelle demande de précisions de la Commission dans les plus brefs délais. À l’heure où la priorité est, en France comme ailleurs, à la lutte contre le chômage et à la défense de l’emploi, où le taux de chômage dans l’Union atteint 10 %, où celle-ci est confrontée à un risque majeur de désindustrialisation, il est loin d’être absurde de s’autoriser à parler d’emploi en Europe. Que ne dirait-on si l’on ne le faisait pas !

Je dois aussi parler du projet de directive sur le droit des consommateurs, un texte emblématique de ce dont nous ne voulons pas : un nivellement par le bas des droits des citoyens européens. En effet, les prescriptions de cette directive « d’harmonisation maximale », qui se substituera à son entrée en vigueur aux droits nationaux, sont dans de nombreux domaines – information précontractuelle, droit de rétractation, garanties, clauses abusives – très en deçà de nos dispositions nationales. Ce que nous attendons de l’Europe, c’est qu’elle harmonise, crée de la valeur ajoutée et améliore la protection du consommateur, pas qu’elle privilégie le moins-disant et, sous couvert de communautarisation, saccage les législations et éloigne encore plus les citoyens de l’idée européenne.

Je félicite donc très sincèrement le président Lequiller d’avoir organisé pour le 26 janvier une visioconférence avec la commission IMCO du Parlement européen. Si tous les parlements nationaux se mobilisent, cette directive deviendra peut-être le premier exemple d’un contrôle de subsidiarité bien compris de l’action de l’Union européenne. Ce qui se joue est un moment très important pour la mise en place des nouvelles institutions.

Un mot sur le post-Copenhague. La présidence espagnole a fixé trois objectifs dans sa feuille de route, auxquels nous pouvons souscrire. Le premier est de travailler sur la base de l’accord de Copenhague à un accord global et contraignant. Il s’agit d’éviter la défection de pays ou l’abaissement des engagements. Nous devons obtenir que le plus d’Etats possible renseignent d’ici la fin du mois les deux annexes concernant les engagements des pays développés et les actions des pays en voie de développement. L’Union européenne doit naturellement présenter une offre conforme au niveau d’ambition qu’elle a exprimé à Copenhague – où, contrairement à ce qui a été dit, la position européenne était unifiée. Nous souhaitons donc la reprise de ce qui a été agréé par le Conseil européen : 20 % de réduction, avec la volonté de passer à 30 % si les critères correspondants sont retenus. Nous sommes opposés à une option qui consisterait à inscrire uniquement l’engagement unilatéral de 20 %.

Le deuxième objectif est de maintenir le rôle de leader de l’Union sur la scène internationale et de renforcer sa crédibilité, ce qui passe certainement par une réflexion sur la représentation de l’Europe dans les négociations internationales : nous manquons de visibilité par rapport aux autres grands pôles de puissance, et cela quel que soit l’engagement personnel du Président de la République, de la Chancelière et du Premier ministre britannique.

Enfin, il faut préparer les grandes échéances de 2010, et notamment la session de négociations à Bonn du 31 mai au 11 juin, étape intermédiaire avant la conférence de Mexico de novembre et décembre. Cela impose de se mettre au travail sur les mesures de solidarité, s’agissant par exemple du financement des pays les plus vulnérables, sur la mise en œuvre rapide de l’accord concernant la lutte contre la déforestation ou sur le panel de haut niveau chargé de travailler aux possibilités nouvelles de financement – en particulier les mécanismes de financement innovants pour les pays en développement.

A Copenhague, la justesse des objectifs, le fait d’avoir raison sur le fond, le fait d’être vertueux, ou exemplaire, ou ambitieux ne suffisaient pas : tout cela s’est heurté au mur des intérêts nationaux de très grands pôles de puissance. Il faut donc être capables de les amener à accepter des limitations. Pour cela, il faut mettre sur la table dès maintenant la question de la taxe carbone aux frontières de l’Union. Si l’on est Européen, si l’on veut la survie de la planète, l’on doit être en faveur de la taxe carbone. Il n’y a pas d’autre solution. Mais même si le pôle le plus vertueux accepte cette discipline, cela ne peut pas fonctionner sans réciprocité – ni sans mécanisme de contrôle, d’où l’idée également française d’une organisation mondiale de l’environnement, comparable à l’AIEA. La taxe carbone sera donc au menu des discussions européennes dès la semaine prochaine. Je sais que certains pays hésitent, mais il faut une explication de fond sur le sujet.

Un mot sur la lutte contre le terrorisme et sur le programme de Stockholm sur l’espace de liberté, de sécurité et de justice, qui marqueront également les prochains mois. La Commission européenne devrait présenter ses propositions d’ici fin février, que j’espère très ambitieuses. Le programme de Stockholm inclut une stratégie de sécurité intérieure qui devrait être approuvée durant le semestre – les ministres de l’intérieur en débattent à Tolède. Nous souhaitons mettre un accent particulier sur le renforcement de la lutte contre le terrorisme et sur la sûreté aérienne, notamment après la tentative d’attentat contre le vol Amsterdam-Detroit du 25 décembre. A ce titre, nous demandons l’accélération des travaux sur le PNR européen – le Passenger Name Record – c’est-à-dire un système d’utilisation à des fins répressives des données commerciales détenues par les compagnies aériennes. Seuls les Etats-Unis disposent aujourd’hui d’un tel système. Il conviendrait que l’Europe dispose de ses propres données.

Un autre axe majeur de travail, côté français en tout cas, dans le domaine de la sécurité concerne la lutte contre le trafic de cocaïne, qui passe par le golfe de Guinée et remonte par le Sahel, empruntant les mêmes routes qu’Al Qaïda. M. Brice Hortefeux et moi avons commencé à travailler sur ce dossier, qui sera un sujet important des mois à venir.

Pour finir, en matière de relations extérieures et de défense, je veux souligner la nécessité de parler davantage entre Européens de l’Afghanistan. A l’approche de la conférence de Londres, il serait utile d’examiner dans quelles conditions est dépensé l’argent que nous y consacrons. L’un des problèmes majeurs en Afghanistan n’est pas militaire : il s’agit de la coordination de l’aide. Nous devons aussi faire en sorte que les militaires parlent davantage entre eux.

Nous avons aussi lancé une politique européenne commune de formation de l’armée somalienne, dans la suite de l’opération Atalante, et de formation des garde-côtes des pays de la corne de l’Afrique. A la suite de notre initiative, l’Espagne a accepté d’être le pays cadre. C’est un sujet sur lequel nous allons beaucoup travailler dans les mois qui viennent. Cela se sait peu, mais l’action militaire des Européens à Djibouti et dans la région fonctionne très bien. Voilà qui doit nous ôter des complexes et nourrir notre volontarisme en la matière.

Mme Marietta Karamanli. Plusieurs de ces sujets sont d’une actualité brûlante. Pour ce qui est de la sortie de crise tout d’abord, ai-je bien compris qu’un sommet doit être organisé sur la question de l’emploi ? Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, créé en 2006 pour aider les travailleurs licenciés par des démarches de qualification ou d’insertion sur le marché du travail, va-t-il être renforcé ? Les moyens du Fonds social européen en faveur de la formation tout au long de la vie vont-ils augmenter ? Et je rappelle que le nombre des travailleurs pauvres est encore en augmentation en Europe.

Je me réjouis que le Gouvernement partage la position du Parlement à propos de la directive sur la protection des consommateurs. Nous avons déjà rappelé deux fois, en 2008 et 2009, que les consommateurs doivent se voir accorder une protection maximale – ce qui est bien différent d’une harmonisation maximale : la France n’a pas forcément les mêmes intérêts que l’Allemagne, notamment en matière automobile : garanties, vices cachés… Elle devra se montrer très ferme et pourra s’appuyer sur notre commission, qui est unanime sur ce sujet.

Enfin, quel est votre sentiment sur le rôle que devrait jouer le Parlement européen dans le domaine de la défense ? Où en sont l’UEO et la politique européenne de sécurité et de défense ?

M. Pierre Bourguignon. Le président Van Rompuy veut faire porter le sommet du 11 février sur la coordination des politiques économiques. M. Jean-Claude Juncker, lui, a été réélu à l’unanimité président de l’Eurogroupe, dont le traité de Lisbonne a fait désormais une institution. L’une des priorités qu’il a désignées est une gestion collective solidaire de la monnaie unique – ce qui pose de nombreuses questions : comment assurer la discipline budgétaire des Etats membres, gérer les tensions de la zone euro, tolérer les déficits grecs ? La crise que nous traversons n’est-elle pas l’occasion d’instaurer une véritable gouvernance économique au sein de la zone euro ?

M. Juncker souhaite également créer des procédures d’analyse et de surveillance des politiques économiques, analogues à ce qui existe pour les politiques budgétaires. Comment améliorer la coordination des politiques économiques ? Tous les Etats pourront il se soumettre à un mécanisme aussi contraignant que le pacte de stabilité ?

Enfin, comment surmonter les obstacles à la représentation internationale de la monnaie unique ? C’est une question fondamentale. La Chine n’est pas prête à grand-chose pour la libération du cours du yuan, pas plus que les Etats-Unis ne sont prêts à renoncer à leurs déficits publics colossaux à moindres frais. Comment la France peut-elle peser sur les objectifs de l’Union en la matière ? M. Jean-Claude Juncker envisage un siège unique de la zone euro au sein du G 20. Pourrait-il en être de même au FMI ? Enfin, que va défendre la France en matière de taxation bancaire ?

M. Michel Herbillon. La stratégie UE 2020 concerne des domaines aussi importants que l’emploi, l’innovation, la stratégie de croissance. Elle  remplace la stratégie de Lisbonne, qui n’a pas connu grand succès. Quelles en sont les raisons : une ambition démesurée, des moyens inadaptés, une mauvaise stratégie ? Et quels sont en conséquence les facteurs de succès pour UE 2020 ? Y croyez-vous, ou n’est-ce qu’un titre cosmétique ? En tout cas, la France a eu raison d’insister sur la nécessité d’une politique industrielle européenne et d’un volet social de chaque politique publique.

Pour ce qui est de nos relations avec l’Allemagne, quelles sont les grandes orientations des propositions communes que votre collègue et vous avez soumises à la présidence et à la chancellerie en vue du conseil des ministres franco-allemands du 4 février ?

Enfin, la mise en place des nouvelles institutions donne l’impression d’être un peu chaotique. Comment faire pour que ça marche ? Estimez-vous que le conseil affaires générales devrait être présidé par M. Van Rompuy ?

Le secrétaire d’Etat. La phase de rodage que nous vivons est stratégique, et nous devons nous montrer très vigilants. C’est pour cela que la nomination des chefs de délégation, devenus ambassadeurs de l’Union sans passer devant les Etats et avant même la mise en place du service pour l’action extérieure, ne peut pas être définitive. Pour la France, tout le dispositif repose désormais sur le président du Conseil et le haut représentant. Certes, la présidence tournante demeure. Elle a l’avantage de faire parler de l’Europe tour à tour dans toutes ses régions pendant six mois, mais c’est le président stable qui compte. Nous sommes en période de transition, mais un accord a été passé entre MM. Van Rompuy et Zapatero et les choses sont relativement claires.

Le conseil affaires générales sert à coordonner les résultats des conseils techniques et à parler politique en vue des réunions à l’échelon supérieur. Il est présidé aujourd’hui par M. Moratinos. Le conseil relations extérieures est présidé par Mme Ashton – il est composé des ministres des affaires étrangères, qui sont désormais exclus la plupart du temps des réunions des chefs d’Etat. La présidence du conseil affaires générales pourra continuer à être exercée ou non par M. Moratinos : rien n’est prévu dans le traité. Mais surtout, il ne faut plus que le conseil affaires générales soit le lieu où des ministres ânonnent des mesures techniques : on doit y parler politique. La stratégie UE 2020, il ne faut pas attendre 2020 pour en parler ! Ce n’est pas tant la présidence du conseil affaires générales qui compte que le fait que M. Van Rompuy puisse s’y exprimer, ne serait-ce que pour cadrer les réunions des chefs d’Etat. C’est ce que mes collègues allemand et britannique et moi avons demandé. Nous avons également protesté vis-à-vis de la présidence espagnole contre l’absence de Mme Ashton, qui devait nous exposer la mise en place du service diplomatique.

M. Michel Herbillon.  Tout cela ne semble pas bien clair.

Le secrétaire d’Etat. Nous sommes dans une phase où chacune des institutions teste les autres pour trouver sa place. Nous devons nous montrer très vigilants sur la définition des compétences de chacun. Par exemple, la France a tranché en faveur d’un véritable service diplomatique européen. Mais il n’est pas question qu’il soit placé entre les mains de la Commission et contrôlé par le Parlement européen. Ce service a d’abord pour objet de représenter les Etats, afin de coordonner leur action et de renforcer la position des Vingt-sept – c’est très clair. Le but est de rassembler des morceaux de souveraineté pour faire exister l’Europe dans la mondialisation, pas de faire exister simplement la Commission. Celle-ci a une force de proposition. La légitimité est dans les nations, qui se retrouvent dans le Conseil. Son président M. Van Rompuy a été choisi par les chefs d’Etat. Il représente l’Union à l’extérieur, assisté par la Haute représentante. Il est donc normal que le conseil affaires générales soit une instance politique.

Quel est le rôle du Parlement européen là-dedans ? Il vote une partie du budget de l’action extérieure, bien sûr, mais beaucoup de ses membres souhaitent prendre le contrôle de l’aide au développement, de l’aide d’urgence, voire d’opérations de force… Sauf que l’engagement de forces ne peut relever que de la souveraineté des Etats ! Nul autre que le Président de la République ne peut engager les soldats français. Le procédé n’est pas aussi simple que lors de la fondation par George Washington des Etats-Unis d’Amérique… Notre travail est de mettre sur pied une équipe de France capable de démultiplier l’influence de notre pays et de l’Europe dans le monde.

Enfin, que faire de l’UEO ? Sa grande vertu, la clause de sécurité commune automatique, n’ayant été retenue ni à l’OTAN ni dans le traité de Lisbonne, il n’en subsiste pas grand-chose. L’institut de l’UEO est devenu un institut de l’Union. L’assemblée subsiste : elle se présente quelque peu abusivement comme le Parlement de la défense de l’Union, ce qui créera des tensions avec le Parlement européen. Les Etats devront avoir le courage de tirer les conséquences de la situation. La clause de sécurité commune restera une référence, et peut-être même une possibilité.

Pour ce qui est du Fonds européen d’ajustement, nous voulons en ouvrir l’accès au maximum. Le sommet du 11 février ne concerne pas que l’emploi, mais la sortie de crise. Je suis en train de recevoir les syndicats, pour travailler à mieux défendre nos travailleurs dans la machine européenne. Certaines de leurs idées méritent d’être reprises, comme celle de la traçabilité sociale. Reste à la concrétiser afin que l’Europe ne puisse plus être inondée de produits fabriqués par des enfants ou des détenus.

Enfin, les chefs d’Etat se sont emparés de la question de la politique monétaire. C’est la grande différence avec la stratégie de Lisbonne : il ne s’agit pas d’une mécanique bureaucratique interne mais d’un véritable volontarisme politique. Si cette idée atteint une masse critique au Conseil, la coordination des politiques économiques existera. Au plan monétaire, les problèmes concernent les menaces de crise avec la Grèce, qu’il n’est pas question d’abandonner, et la nécessité d’en finir avec la sous-évaluation du yuan et du dollar, qui nous pénalise énormément. Le Président de la République a été le premier à mettre le dossier sur la table. Sur les modifications des taux de change, vous pourriez interroger la ministre des finances. Il me semble que c’est une question de rapports de force. Au moins avons-nous le mérite de poser la question, comme nous l’avions fait pour la désindustrialisation de l’Europe. La libre concurrence, le marché unique ne sont pas une fin en soi. Ce qui est important, ce que les gens puissent y travailler, et selon nos normes sociales.

M. Daniel Garrigue. L’un des points délicats du traité de Lisbonne est le conseil affaires générales, sur lequel vous semblez avoir un point de vue spécifique. Le risque est soit qu’il devienne une sorte de super COREPER, soit qu’il essaie de jouer un rôle majeur par rapport au Conseil européen. Ce sera sans doute lié à la personnalité de ses présidents, mais il faudra bien un jour formaliser les rôles du conseil affaires générales, du Conseil européen et du conseil affaires étrangères.

Les difficultés de la stratégie de Lisbonne tiennent à ce qu’elle a en réalité été confiée aux Etats, sans coordination ni direction au niveau européen. Pour la relancer, il faut réactiver les politiques communes dans les domaines qu’elle couvre.

Enfin, vous vous réjouissez que les chefs d’Etat s’emparent de la politique monétaire et économique. Certes il est important qu’ils s’engagent, qu’ils établissent un consensus, mais que devient la Commission de Bruxelles dans votre schéma ? On a le sentiment que l’intergouvernemental reprend le pas, au détriment de l’Union. Où va la construction européenne si la Commission n’est plus qu’un super secrétariat du Conseil européen – si l’on donne la prééminence aux Etats sans que leurs dirigeants aient une forte volonté en la matière ? Je suis inquiet que vous dépouilliez la Commission de tout rôle.

M. Guy Geoffroy. Vous avez évoqué la question d’un Passenger Name Record européen, qui est loin d’être anecdotique. Je regrette nos insuffisances sur ce point, et notre faiblesse dans le dialogue avec les Etats-Unis. La volonté qui se fait jour d’aller vers une présidence de l’Union à plus long cours est-elle prise en compte par le président du Conseil européen ? Ce serait particulièrement bénéfique pour ce type de sujets, qui peut souffrir d’être un temps la priorité d’une présidence et pas celle de la suivante. La tentative d’attentat sur un vol en provenance d’Amsterdam va donner aux Etats-Unis des arguments supplémentaires pour durcir le contrôle des données personnelles pour tous les vols à destination de leur territoire. Nous devons donc absolument nous doter d’un PNR propre afin de reconquérir un peu d’indépendance, car le prétendu accord qui nous lie actuellement aux Etats-Unis n’est en fait qu’une sujétion. Il faut absolument régler cette question, qui présente un intérêt concret pour tous les citoyens européens.

M. Michel Piron. Vous avez parlé d’un corps d’intervention humanitaire. Sait-on déjà comment il s’articulerait avec l’ONU ? Quant à la taxe carbone, l’idéal serait qu’elle devienne une véritable politique européenne. Cela lui donnerait la dimension nécessaire pour peser à l’échelle mondiale. Quels pays adhèrent à cette idée, et lesquels sont réticents ?

Le secrétaire d’Etat. Pour répondre à M. Daniel Garrigue, le conseil affaires générales n’est pas un outil absolu. L’organe fondamental est le Conseil des chefs d’Etat, dorénavant reconnu par le traité. C’est le lieu de la souveraineté. Les conseils techniques mettent en musique le travail communautaire, le conseil affaires générales rapporte le tout aux objectifs et rend compte aux chefs d’Etat. Ce n’est pas un schéma intergouvernemental – c’est beaucoup plus compliqué : le Conseil se tourne d’un côté vers la Commission pour obtenir des impulsions et des solutions et de l’autre vers le Parlement européen pour les procédures de codécision. Si les chefs d’Etat veulent un PNR, par exemple, ils demanderont des propositions à la Commission et chaque Etat étudiera les possibilités communes dans les conseils techniques. C’est ce qui nous permettra ensuite de parler d’égal à égal avec les Etats-Unis.

Pourquoi la stratégie de Lisbonne n’a-t-elle pas fonctionné ? Parce qu’elle n’était qu’un document émanant d’une bureaucratie. De notre point de vue, la grande leçon de la crise est que la stratégie doit venir des élus. La libre concurrence dans un marché unique, par exemple, n’est pas une fin en soi : la question n’est pas d’assurer la perfection de la concurrence entre la France et l’Italie en tant que telle, mais de faire en sorte qu’il reste des ouvriers en France et en Italie. L’enjeu est de maintenir de l’activité sur notre territoire. Il y a quelques mois encore, ce discours était considéré comme étatiste, franco-français, protectionniste. Depuis que tous les Etats connaissent des problèmes de désindustrialisation, il est largement repris. La France n’acceptera aucune dérive idéologique : la priorité, c’est de sortir de nos 10 % de chômeurs. Ce n’est pas un discours anti-Commission.

La création de la force d’intervention humanitaire évoquée par M. Piron ne doit soulever aucun problème par rapport à l’ONU. À chaque crise, le secrétaire général de l’ONU confie des missions à l’instance qui lui paraît la mieux appropriée : OTAN, Union européenne ou africaine… Quant aux positions des Etats sur la taxe carbone, je vous les ferai connaître dès que nous aurons mis le sujet sur la table – la semaine prochaine à condition que la présidence espagnole veuille bien tenir un véritable conseil affaires générales, qui dure plus d’une heure ! J’espère que la presse relaiera cette demande.

Pour ce qui est des relations franco-allemandes, mon collègue allemand et moi travaillons depuis octobre à une lettre commune contenant une cinquantaine de propositions dans tous les domaines, de la vie quotidienne à la politique économique. Ce sera une sorte de boîte à idées pour les deux chefs d’Etat. Nous verrons ce qu’ils retiendront dans le communiqué final du conseil des ministres franco-allemand du 4 février. C’est une date très attendue, et des deux côtés du Rhin, contrairement à ce que j’entends dire. C’est l’occasion de montrer que la relation franco-allemande est un axe fort de l’impulsion européenne. Certes, il y a une concurrence entre les deux nations, et surtout des différences de fonctionnement, mais elles ont une très grande conscience de l’indispensable intimité qu’elles doivent avoir pour que l’Europe avance. La relation franco-allemande est historiquement à la base de la réconciliation de l’Europe et de la construction du premier marché commun, et aujourd’hui de l’Europe élargie. Nous avons un devoir particulier à assumer.

Le Président Pierre Lequiller. Dans ce contexte, nous allons faire des propositions d’action pour renforcer les relations parlementaires, en particulier avec la commission des affaires européennes du Bundestag. Nous pourrions ainsi élaborer des avis communs concernant le principe de subsidiarité. Les rapporteurs pourraient se consulter sur des dossiers importants ou effectuer des déplacements communs, par exemple dans le cadre de demandes d’adhésion.

Le secrétaire d’Etat. Il ne m’appartient pas de dire au Parlement ce qu’il doit faire, mais je l’invite à en faire le plus possible ! Je remercie le Président Pierre Lequiller de son travail, qui permettra d’avancer sur ce sujet.

M. Christophe Caresche. L’Europe a déjà refusé le principe de la taxe carbone, pour se lancer plutôt dans un marché européen des quotas d’émissions susceptible d’être ensuite mondialisé. La France préfère l’idée de la taxe. La difficulté est de faire cohabiter les deux systèmes, et c’est justement pourquoi le Conseil constitutionnel a censuré la taxe au niveau national. Mais la presse a récemment parlé d’une fraude massive sur le marché des quotas d’émissions, liée aux différences de TVA et qui pourrait se monter à 5 milliards. Pouvez-vous nous en dire plus ? La France va-t-elle continuer à aller dans le sens du marché de quotas, qui doit devenir opérationnel en 2013 – et cela bien que Michel Rocard l’ait dénoncé depuis longtemps comme un mécanisme spéculatif – ou plaider pour que l’Europe adopte une autre solution ?

Par ailleurs, M. de Kerchove semble vouloir engager l’Europe, sous la forte pression des Américains, dans un dispositif de scanners corporels. Mais l’accord signé avec les Etats-Unis à propos du PNR est totalement honteux. Ils veulent nous imposer un système extrêmement onéreux, qui se ressentira dans le prix du billet. Des discussions sont-elles en cours ? Quelle est la position de la France ?

M. Gérard Voisin. Les Français n’ont jamais été les champions de la récupération des fonds structurels. Ils connaissent mal le système et ceux qui savent mieux y faire en profitent largement. Il faut donc faire preuve de pédagogie dans ce domaine.

Par ailleurs, pouvez-vous faire un tour d’horizon de la situation dans la zone du Kosovo, de la Serbie, de la Bosnie, des Balkans ?

Enfin, avec le Grenelle 2, la commission des affaires européennes pourra porter ses observations auprès de l’Assemblée, en application du nouveau règlement. Elle pourra faire œuvre de diplomatie constructive en abordant les questions du post-Copenhague, de la taxe carbone, des péages, de l’eurovignette ou de l’éco-redevance.

M. Jean-Claude Mignon. Je suis président de la délégation française à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et donc aussi à l’UEO. Les Vingt-sept peuvent certes se poser des questions sur l’avenir de cette instance, mais je rappelle que les Russes, les Turcs et les autres pays qui ont un statut particulier de partenaires verront d’un très mauvais oeil qu’elle passe par pertes et profits, ainsi que vient de me le confirmer l’ambassadeur russe M. Orlov. Aujourd’hui, le Parlement espagnol refuse de payer les frais de déplacement de ses membres à l’UEO et de nombreux pays, comme la Grande-Bretagne, se posent des questions sur son avenir. Il faut agir avec la plus grande prudence. Certes, l’OSCE subsiste. Les Russes considéreront-ils que c’est suffisant, ou faut-il créer quelque chose au sein du Conseil de l’Europe pour que le forum qui existe aujourd’hui ne disparaisse pas ?

M. Jérôme Lambert. A l’heure où l’Union doit fixer ses engagements post-Copenhague à 20 ou 30 %, le gain d’un siège de sénateur aux Etats-Unis par les républicains, dans un contexte de contestation de la politique du Président Barack Obama, va-t-il changer la donne ? Le président américain avait déjà des difficultés, avant de perdre sa majorité, pour convaincre le Sénat de réduire les émissions. La position américaine risque d’être encore plus difficile à déterminer dans les prochains mois, ce qui pourrait conforter les doutes de certains pays européens.

Le secrétaire d’Etat. Vous vous adressez au secrétaire d’Etat aux affaires européennes, auprès du ministre Bernard Kouchner, mais je peux vous dire que nous souhaitons le succès de l’administration Obama. L’an dernier, nous avons assisté à un emballement médiatique incroyable : une seule personne était chargée de résoudre tous les problèmes de la planète. Aujourd’hui, le retour de pendule est tout aussi démesuré. Un an, c’est un peu court pour dresser un bilan politique, surtout en pleine crise. La dernière élection partielle peut effectivement avoir un effet sur l’emblématique programme de santé du président et sur ses autres politiques. Nous avons besoin des Etats-Unis dans les négociations sur le climat. Il faut donc continuer le travail de persuasion à leur égard – mais je vous rappelle que les Américains ont déjà voté la taxe carbone aux frontières ! L’Europe doit être capable d’assumer ses responsabilités en la matière.

M. Jérôme Lambert. Seule la chambre des représentants a voté à ce sujet. Le Sénat n’a pas été saisi.

Le secrétaire d’Etat. Mais c’est l’orientation retenue. Quoi qu’il en soit, l’Europe et les Etats-Unis ont un besoin mutuel de partenaires. Nous ne serons pas trop de toutes les démocraties ensemble pour traiter du sujet !

Monsieur Mignon, je comprends que l’ambassadeur de Russie soit opposé à la suppression du versant parlementaire d’une organisation elle-même disparue, mais est-il vraiment raisonnable de conserver une structure de ce type dans notre système institutionnel si complexe ? Les parlementaires qui s’occupent de la PESD ne pourraient-ils être tous rattachés au Parlement européen ? Le travail sur les droits de l’homme ne pourrait-il se faire entièrement au Conseil de l’Europe ? Tout cela sans compter le travail des parlements nationaux… Enormément de gens, y compris dans les élites, ne savent même pas la différence entre le Conseil de l’Europe et le Conseil européen. Et maintenant, il faut leur expliquer que la présidence tournante n’a pas disparu et l’UEO non plus… J’en parlerai volontiers avec l’ambassadeur Orlov lors de notre prochaine rencontre.

Ainsi que l’a fait remarquer M. Voisin, il est indispensable d’apporter un peu de lumière sur la question des fonds structurels, y compris aux collectivités territoriales.

Quant aux Balkans, il y a beaucoup à dire. Le processus de paix et de stabilisation du continent ne sera pas achevé tant que nous n’aurons pas stabilisé cette zone. Pour cela, la perspective européenne est indispensable. La France a des contacts réguliers pour encourager les Croates, les Serbes et les autres pays concernés à se rapprocher – mais pas à n’importe quelle condition dans le domaine économique ou des droits de l’homme. Le conseil affaires générales travaille en liaison avec le procureur du tribunal pénal de l’ex-Yougoslavie pour s’assurer du respect des droits de l’homme dans cette zone.

M. Caresche a soulevé deux questions difficiles. Pour ce qui est des fraudes sur le marché des quotas d’émissions, nous avons demandé des vérifications et je vous communiquerai les détails dès que j’en aurai – mais il y a certainement eu fraude, puisqu’on a créé de la monnaie à partir d’un produit virtuel. Etait-ce le bon mécanisme ? Posez la question à Mme Chantal Jouanneau et à M. Jean-Louis Borloo. Mais une chose est sûre, c’est que la taxation du CO2 ne doit pas donner lieu à une bulle financière. Le but est de changer le comportement des consommateurs et des producteurs. Cela peut se faire par une taxe directe ou par un marché d’échange. Certes, il y a eu censure du Conseil constitutionnel, mais pour des raisons techniques. Nous allons continuer à réfléchir à la solution qu’il faut adopter.

Quant aux scanners corporels, de nombreux Etats européens veulent s’engager dans cette voie – et pas seulement pour faire plaisir aux Etats-Unis. Cette intrusion dans l’intimité, en tant que citoyen, ne me met pas à l’aise. La question mérite au moins discussion, y compris à l’Assemblée nationale, d’autant que les derniers attentats, dont celui d’Arabie Saoudite, ont été commis au moyen d’une poudre introduite dans l’anus du terroriste, que le scanner n’aurait donc pas pu détecter. Dans leur course contre l’imagination des terroristes, les Etats-Unis privilégient le réflexe technologique, avec les dollars qui vont avec. Mais d’autres méthodes existent, en Israël par exemple, qui font intervenir différents modules d’entretien ou d’observation par exemple. La technologie seule ne suffit pas, elle doit être couplée avec le renseignement. Je pense que dévoiler entièrement les corps n’est pas une solution, parce qu’il y aura toujours des possibilités de cacher des produits, mais c’est une opinion personnelle et il faut que vous en débattiez.

Le Président Pierre Lequiller. Merci d’avoir répondu si complètement à toutes nos questions.

La séance est levée à 18 heures

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 20 janvier 2010 à 16 h 15

Présents. – Mme Monique Boulestin, M. Pierre Bourguignon, M. Yves Bur, M. Christophe Caresche, M. Lucien Degauchy, M. Michel Diefenbacher, M. Guy Geoffroy, M. Michel Herbillon, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Robert Lecou, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Claude Mignon, M. Michel Piron, M. Didier Quentin, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Michel Delebarre, Mme Arlette Franco, Mme Anne Grommerch, Mme Danièle Hoffman-Rispal, Mme Odile Saugues, M. Francis Vercamer

Assistait également à la réunion. - M. Daniel Garrigue