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Commission des affaires européennes

mardi 8 mars 2011

17 heures

Compte rendu n° 192

Présidence de M. Gérard Voisin Vice-président

I. Examen du rapport d’information de Mme Annick Girardin sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada

II. Examen du rapport d’information de M. Gérard Voisin sur la libéralisation du transport ferroviaire en Europe

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mardi 8 mars 2011

Présidence de M. Gérard Voisin, Vice-président

La séance est ouverte à 17 heures

I. Examen du rapport d’information de Mme Annick Girardin sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada

Mme Annick Girardin, rapporteure. C’est en tant que députée de Saint Pierre- et- Miquelon que mon attention sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada a, dans un premier temps, été attirée. Par la suite, j’ai tiré les fils d’un écheveau complexe qui m’a conduit à m’interroger, de façon plus générale, sur le bien fondé de la politique menée actuellement par la Commission européenne , la signature tous azimuts d’accords bilatéraux de libre-échange, comme en témoignent la reprise des négociations avec le Mercosur ou l’accord récent avec la Corée du Sud.

Les négociations avec le Canada ont été lancées en 2009, largement portées par le Président Nicolas Sarkozy lors de la présidence française de l’Union européenne. Le rythme des négociations a été dans une première phase rapide. Les sujets irritants l’ont ensuite ralenti. Les deux prochaines rencontres, en avril et juin, seront déterminantes, d’autant qu’a été évoquée la semaine dernière la possibilité d’une action de la Commission européenne auprès de l’Organisation mondiale du commerce contre les importations de carburants issus de sables bitumineux ,qui seraient contraires aux engagements européens pris à Copenhague.

Ce projet d’accord s’inscrit dans la ligne définie depuis quelques années par la Commission européenne qui consiste à signer des accords de libre-échange au lieu et place ou en attendant une hypothétique conclusion du cycle de Doha. Les relations commerciales entre l’Union européenne et le Canada sont anciennes et en relative expansion. Cependant, elles ne sont, pour aucune des parties, prioritaires. De plus, elles s’inscrivent sur fond de contentieux , comme celui de la viande aux hormones de croissance, des OGM ou des produits dérivés du phoque. L’Europe a certes des intérêts offensifs sur certains produits agricoles à forte valeur ajoutée, les indications géographiques et surtout les services. Cependant, une étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales a montré qu’un accord serait plutôt favorable au Canada. Cela s’explique par la différence de taille entre les deux économies , qui constitue une contrainte pour l’Europe sur un marché nettement plus petit que le sien, comme en témoignent les chiffres de 35 millions de consommateurs canadiens contre 500 millions dans l’Union européenne. La reprise des négociations sur un accord qui avait été enterré il y a quelques années est le fait d’un lobbying d’un certain nombre de grandes entreprises canadiennes et européennes, dont la liste figurera en annexe du rapport.

Certains points de la négociation sont particulièrement délicats. J’en citerai quatre. Comme tous les accords de libre-échange actuellement négociés, l’essentiel des négociations ne portent pas sur les aspects tarifaires, dans la mesure où les barrières douanières sont ,en moyenne, faibles. Cependant dans la mesure où des pics tarifaires sont appliqués à des produits sensibles, notamment en matière agricole et de pêche, il conviendra d’y être particulièrement vigilant. Par ailleurs, le régime des règles d’origine est important car les droits applicables dépendent de la provenance des produits importés. Le Canada étant intégré dans une vaste zone de libre-échange, l’Alena, on peut craindre qu’un accord avec le Canada soit un biais pour les produits des Etats-Unis et du Mexique d’accéder au marché européen sans droit de douane. S’agissant des services, la Commission européenne a accédé à une demande des canadiens de négocier sur la base d’une liste négative, c'est-à-dire que tout est en principe libéré, sauf ce qui est expressément exclu. La société civile canadienne est particulièrement préoccupée de la libéralisation de certains services publics comme la poste, l’eau, la santé, l’enseignement et l’opinion européenne la rejoint. Enfin, la négociation sur les marchés publics qui est un des points offensifs pour l’Union européenne est rendue difficile par les réticences des provinces canadiennes qui ont une grande autonomie en matière économique. Dans la mesure où la réciprocité des concessions dépendra pour une large part de leur adhésion, l’Union européenne a demandé à ce qu’elles soient dans la boucle de la négociation. Mais cela ne se fait pas sans difficultés. A ces préoccupations générales, s’ajoute celle, particulière, du territoire européen le plus proche du Canada, Saint-Pierre-et-Miquelon qui, du fait de son statut de pays et territoire d’outre mer (PTOM), ne fait pas partie du mandat de négociation de la commission. Pourtant, cet accord aurait un large impact sur l’archipel. Les PTOM ont en effet un régime commercial spécifique. Saint Pierre a ainsi pu bénéficier d’une dérogation aux règles d’origine grâce à laquelle certains produits de la pêche canadienne peuvent être transformés sur ce territoire. Par ailleurs, y est utilisée la faculté de transbordement qui permet aux produits non originaires des PTOM d’être réexpédiés vers l’Europe sans droits. Si, à la disparition de ces facilités, s’ajoute la libéralisation de certaines lignes tarifaires sur la pêche, c’est tout l’équilibre économique de l’archipel qui sera menacé.

Au-delà des problèmes délicats posés par cet accord, ce projet est révélateur des questions plus générales sur la légitimité et la cohérence de la politique commerciale européenne. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement européen doit en principe être informé sur l’état des négociations. Or on constate un refus de la Commission européenne d’aller au-delà de notes générales et brèves. Par ailleurs, peu d’études d’impact préalables ont été réalisées. Or c’est un moyen d’avoir une vision globale des conséquences d’un accord sur l’ensemble des filières dont certaines comme l’agriculture et la pêche seront déstabilisées. Actuellement, des enquêtes ont lieu dans les ports pour estimer les conséquences de l’accord sur les espèces, comme le homard ou les pétoncles sur lesquelles le Canada peut mettre ses quotas sur les marchés. Il me semble fondamental que, sur des problématiques aussi lourdes de conséquences, notre commission inscrive le sujet des accords bilatéraux de libre-échange à l’ordre du jour de leur prochaine rencontre avec les parlementaires européens. C’est d’autant plus important que les Parlements nationaux ne seront pas obligatoirement saisis de cet accord pour ratification si la commission européenne estime qu’il ne s’agit pas d’un accord mixte, c'est-à-dire contenant des dispositions autres que commerciales.

M. Jacques Desallangre. Je m’interroge sur la contradiction qui semble exister entre la réserve émise par la Commission européenne quant à l’importation de produits pétroliers issus de sables bitumineux et l’accord donné par le gouvernement français à la recherche et à l’exploitation de gaz de schistes en France.

Mme Annick Girardin, rapporteure. Ce n’est pas à moi de répondre de la politique énergétique française. Il me semble cependant que la France a actuellement suspendu toute recherche et exploitation des gaz de schistes et va procéder à des analyses et des enquêtes approfondies alors qu’ils font déjà l’objet d’une exploitation intensive au Canada. L’importation de ce type de produits pétroliers serait contradictoire avec les engagements souscrits par l’Union européenne à Copenhague.

M. Michel Diefenbacher. Je félicite la rapporteure pour la qualité et la clarté de son exposé.

J’avoue ma perplexité et mes interrogations sur cet accord.

Il apparaît que l’intérêt de l’Europe pour une négociation de cette nature est relativement faible et qu’elle profitera surtout au Canada. Par ailleurs, vous avez souligné les difficultés d’application de l’accord compte tenu du caractère fédéral du Canada .L’Etat canadien devrait être responsable de l’application d’un traité international. La détermination des règles d’origine est également délicate. La prise en compte de la situation de Saint Pierre et Miquelon est pour la France particulièrement sensible alors que son statut dans la négociation est flou. Enfin, cette négociations bilatérale est une véritable entorse aux principes que s’est fixés l’Union européenne de donner la priorité aux négociations multilatérales . Compte tenu de l’ensemble de ces difficultés et du problème spécifique de Saint-Pierre-et-Miquelon, le contenu de la proposition de résolution déterminera mon vote.

Mme Annick Girardin, rapporteure. Les provinces du Canada ont des compétences économiques propres pour adopter les lois nécessaires à l’application de l’accord  . C’est pourquoi l’Union européenne a tenu à ce qu’elles soient présentes à chaque réunion. Cette situation a donné lieu à des tensions entre le Québec, où se trouvent majoritairement les entreprises françaises, et les autres provinces comme Terre Neuve qui sont plus réticentes. Il est donc nécessaire que les provinces cosignent l’accord pour qu’il soit pleinement appliqué.

Il faut signaler que ce projet d’accord n’a pas fait l’objet, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, d’une étude d’impact. Le peu de chiffres dont on dispose montre que son effet serait plutôt neutre pour l’Europe , la France ayant des intérêts en matière de marchés publics. Mais l’impact de cet accord sur l’ensemble des secteurs n’a pas été évalué. Certains de nos collègues parlementaires européens allemands réagissent d’ailleurs assez vivement sur le volet agricole. L’attention que les parlementaires européens ont portée à cet accord a largement été le fait de la mission que j’ai menée au nom de notre commission des affaires européennes. La Commission européenne ne leur avait en fait donné que peu d’éléments d’information alors qu’il ne reste aujourd’hui que très peu de temps jusqu’à la fin de la négociation fixée pour la fin 2011.

M. Jacques Desallangre. Au point 1 de la proposition de résolution, il est rappelé qu’il est nécessaire « de donner la priorité aux relations multilatérales dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce » alors qu’il est demandé dans le même temps « qu’un débat ait lieu au Parlement européen sur le bien-fondé d’une politique généralisée de signature d’accords bilatéraux de libre-échange ». En attendant ce débat, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de cette logique et exiger la suspension des négociations de ces accords bilatéraux ?

M. Gérard Voisin, président. Notre réunion commune avec des députés européens, le 18 mai, sera l’occasion d’approfondir la question de la politique commerciale européenne.

Mme Annick Girardin, rapporteure. Pour la France comme pour Saint-Pierre-et-Miquelon, il aurait été préférable que cet accord soit enterré et que la machine soit arrêtée ! Toutefois, politiquement, ce serait compliqué. Il s’agit d’une compétence exclusive de l’Union européenne. Les mandats de négociation ont été donnés et les négociations sont lancées. Dans ces conditions, il est difficile d’intégrer votre suggestion.

M. Jacques Desallangre. Je reste sur ma position : je m’abstiendrai donc sur cette proposition de résolution.

Mme Odile Saugues. En matière de qualité des produits alimentaires, la France et l’Europe sont soumises à des normes contraignantes qui sont scrupuleusement respectées. Au point 8, nous demandons que « les importations de viandes bovines [soient] conformes aux normes européennes ». De quels moyens de contrôle disposerons-nous afin de faire respecter ces normes ?

Mme Annick Girardin, rapporteure. Etant voisine du Canada, j’avoue partager vos inquiétudes. Il faut rester ferme et vigilant. Nous n’avons aucune raison d’autoriser l’importation de produits ne respectant pas les critères de qualité, d’hygiène et de sécurité auxquels se soumettent nos producteurs. Cette question sera au cœur des négociations lors des deux prochaines rencontres entre l’Europe et le Canada. Il sera important de sensibiliser nos collègues du Parlement européen afin qu’ils mettent l’accent sur ce point, surtout si l’Assemblée nationale n’était pas appelée à ratifier cet accord. Au demeurant, la problématique de l’accord de libre-échange avec les pays du MERCOSUR est identique.

M. Jacques Desallangre. Cela générera des contentieux car les Canadiens contesteront la justesse de nos normes.

M. Michel Diefenbacher. Je suis prêt à voter la proposition de résolution mais j’ai trois suggestions.

D’abord, j’ai le sentiment qu’il n’y a pas de « politique généralisée de signature d’accords bilatéraux de libre-échange ». Ne donnons pas à la Commission une mauvaise idée et enlevons l’adjectif « généralisé » !

Ensuite, au point 4, j’estime que le verbe « inviter » est trop prudent et pas assez ferme. Nous gagnerions à le remplacer par le verbe « demander ».

M. Gérard Voisin, président. Nous pouvons retenir la rédaction proposée par M. Diefenbacher pour la première partie de ce point 4.

Mme Annick Girardin, rapporteure. Au point 1, par prudence, je propose effectivement que nous supprimions le mot « généralisée ».

M. Philippe Armand Martin. J’approuve totalement la proposition de résolution. Pouvez-vous me préciser quels sont les services auxquels le point 6 fait référence ?

Mme Annick Girardin, rapporteure. Ils s’agit de tous les services, comme Internet, bancaires et commerciaux.

M. Bernard Deflesselles. Il conviendrait de mieux mettre en cohérence les points 4 et 6. Vous commencez en effet par inviter la Commission « à faire en sorte que les accords commerciaux n’aillent pas à l’encontre des politiques agricoles et de la pêche » pour estimer ensuite que son approche, en la matière, est « dangereuse », dans la mesure où elle accorde trop de « concessions ».

Sur proposition de la rapporteure, la Commission a ensuite approuvé la proposition de résolution ainsi modifiée :

« L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 206, 207 et 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la communication de la Commission européenne du 9 novembre 2010 « Commerce, croissance et affaires mondiales – La politique commerciale au cœur de la stratégie Europe 2020 »,

Vu la recommandation du 27 avril 2009 de la Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à engager des négociations en vue d’un accord d’intégration économique avec le Canada,

Considérant la politique de signature d’accords de libre-échange bilatéraux menée par la Commission européenne,

Considérant l’impact des négociations commerciales en matière économique, sociale, sanitaire et environnementale et la nécessité d’un contrôle démocratique sur des enjeux complexes,

1. Rappelle la nécessité de donner la priorité aux relations multilatérales dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et demande qu’un débat ait lieu au Parlement européen sur le bien-fondé d’une politique de signature d’accords bilatéraux de libre-échange ;

2. Insiste sur la nécessité pour la Commission de mener obligatoirement des évaluations d’impact rendues publiques avant le début des négociations et mises à jour compte tenu de l’avancée des négociations afin de vérifier la cohérence avec les autres politiques de l’Union et d’en faire un outil d’aide à la décision pour le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ;

3. Souhaite une information adéquate du Parlement européen à tous les stades de la négociation et la nomination de rapporteurs pour chaque projet d’accord ;

4. Estime dangereuse l’approche de la Commission européenne qui accorde des concessions sur l’agriculture et la pêche en vue d’obtenir un meilleur accès aux marchés pour les produits industriels et les services ;

5. Demande en conséquence à la Commission européenne de veiller à ce que les accords commerciaux n’aillent pas à l’encontre des politiques agricole et de la pêche, industrielle, sociale et sanitaire européennes et à obtenir le respect de la réciprocité des concessions ;

6. Souhaite que tout accord commercial soit conforme aux accords internationaux en matière d’environnement ;

7. Exige, compte tenu des choix européens en faveur de la santé, de l’environnement et du bien-être animal et de leur impact en terme de compétitivité du secteur agricole européen, le respect de standards équivalents pour les produits agricoles en provenance du Canada ;

8. Demande que le règlement du différend sur le bœuf aux hormones permette la suspension de sanctions frappant les produits européens tout en garantissant que les importations de viande bovine seront conformes aux normes européennes ;

9. Invite la Commission européenne à établir la liste des services devant faire l’objet d’une libéralisation selon le principe d’une liste positive et à en exclure les services publics ;

10. Estime indispensable, compte tenu de leurs compétences étendues, la pleine adhésion des provinces canadiennes au projet d’accord ;

11. Demande que soient évalués systématiquement les effets des accords commerciaux sur les pays et territoires d’outre mer (PTOM) et les régions ultrapériphériques (RUP) par des études d’impact et que soit pris en compte de manière appropriée la situation particulière de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

12. Appelle à une réflexion approfondie sur un rapprochement entre le régime des PTOM et des RUP, afin d’intégrer les PTOM dans le mandat de négociation des accords commerciaux, d’inclure une clause de sauvegarde spécifique dans ces accords et de prévoir des modalités de compensation de leurs conséquences. »

Mme Annick Girardin, rapporteure. J’insiste pour que nous soyons nombreux, le 18 mai à seize heures trente, pour débattre de ces questions avec les députés européens.

II. Examen du rapport d’information de M. Gérard Voisin sur la libéralisation du transport ferroviaire en Europe

M. Gérard Voisin, rapporteur. Il n’existe pas de liberté de circulation en Europe sans transports performants et peu coûteux. Aussi, ce secteur stratégique a-t-il connu une libéralisation qui s’est traduite par l’ouverture à la concurrence des secteurs maritimes, aériens et routiers.

Aujourd’hui, la politique des transports constitue une composante fondamentale des politiques de l’Union européenne. Il n’est pas faux de soutenir que l’essentiel des législations nationales dans le domaine des transports provient de la transposition de la législation européenne. La très forte expansion de ce secteur s’est traduite, par exemple, par le développement des compagnies aériennes à bas coûts, ou par l’explosion du transport routier de marchandises.

Dans cet univers libéral, tel le village d’Astérix, un secteur rechigne à l’ouverture et demeure arc bouté sur ses monopoles historiques, le rail. Dans tous les pays, à l’exception du Royaume Uni, la politique d’ouverture à la concurrence s’accompagne de combats d’arrière-garde, où les compagnies européennes s’accusent mutuellement de velléités protectionnistes, tout en se préparant à une ouverture déjà partiellement réalisée.

Au moment où une réforme des directives relatives au « paquet ferroviaire » est engagée, il est temps de dresser un premier bilan de la politique conduite ces dernières années.

L’accélération de la mobilité affecte tous les modes de transport, qu’il s’agisse de l’aérien, de la route, du ferroviaire, du fluvial ou du maritime, mais un constat s’impose, le secteur ferroviaire n’est pas celui qui a le plus profité du développement des transports.

La Commission européenne dresse, dans sa communication de 2009, un bilan très positif de la politique des transports européenne initiée ces dix dernières années. A ses yeux, les orientations fixées en 2001 ont permis des avancées importantes dans des domaines tels que la sécurité, la tarification, les conditions de concurrence et l’interopérabilité, mais elle admet toutefois un échec relatif en matière de réduction de l’impact environnemental des transports. En effet le mode de transport qui s’est le plus développé, le transport routier, est également le plus polluant.

Cette évolution contredit ainsi la politique de développement durable, que l’Union européenne souhaite promouvoir, et qu’elle a actée par des engagements internationaux, en particulier le protocole de Kyoto, qui impliquent de concilier croissance économique, progrès social et protection de l’environnement.

Il est important de souligner que la diminution importante du prix du transport routier a favorisé et amplifié la délocalisation industrielle qu’a connue notre pays ces dernières années.

Le développement rapide du transport routier s’explique par trois raisons principales : il est plus souple, plus rapide et moins cher que le transport ferroviaire.

En se fixant comme objectif « la mise en place d’un système de transport durable qui réponde aux besoins économiques, sociaux et environnementaux de la société et qui soit propice à l’instauration d’une société ouverte à tous et d’une Europe parfaitement intégrée et compétitive », la Commission européenne conclue sa communication de 2009 en rappelant qu’il s’agit, désormais, d’optimiser le fonctionnement d’un système de transport intégré.

Mais, force est de constater que tous les Etats de l’Union européenne ne sont pas disposés à avancer au même rythme, par exemple en matière de tarification des coûts externes, c'est-à-dire la facturation des dégâts environnementaux ou de l’insécurité routière, leurs réticences conduisent à l’adoption de directives minimalistes, par exemple l’« écotaxe transports ».

Or, si le développement du transport ferroviaire est aujourd’hui un objectif consensuel, le marché unique n’a pas que des avantages, La gestion à flux tendus et la recherche des coûts de production les plus faibles expliquent en partie le développement du transport routier de marchandises et les nuisances qu’il génère. Cette remarque ne signifie pas bien sur qu’il faille remettre en cause le marché unique, le positif l’emporte sur le négatif mais, le sentiment européen ne doit pas conduire à nier les faits.

Il est clair que dans le domaine aérien le développement de la concurrence a eu des vertus indiscutables. S’agissant du transport routier de marchandises l’accroissement du volume des marchandises transportées est plus contestable lorsqu’il s’appuie sur le dumping social.

C’est pourquoi je considère qu’une politique européenne de réorientation du transport de la route vers le rail ne pourra obtenir des résultats que si elle est globale, d’envergure et non limitée à la politique de la concurrence.

Le développement du rail ne pourra pas reposer exclusivement sur les lois du marché et impliquera la mise en œuvre de politiques plus dirigistes, mais l’acceptation d’un zeste de colbertisme constitue un tabou difficile à lever à Bruxelles.

A la différence de la route, que tout véhicule peut emprunter, les chemins de fer européens ont été élaborés, avec des normes distinctes, rendant difficile la circulation entre les réseaux.

La mutation du système ferroviaire est engagée depuis près de deux décennies et cette nouvelle organisation a atteint sa phase de stabilisation. Cela se vérifie avec les directives soumises à notre examen qui apportent des clarifications et des précisions mais ne modifient pas fondamentalement l’architecture du système.

A l’exception du fret, où les opérateurs privés représentent aujourd’hui 20 % du marché, la libéralisation du transport ferroviaire, qui est traduite dans notre droit, a eu peu de conséquences concrètes. Toutefois, la transposition des directives par la France fait l’objet d’une contestation par la Commission européenne.

La gestion des infrastructures a été séparée de celle de l'exploitant ferroviaire, la SNCF, par la création en 1997 de Réseau Ferré de France (RFF), qui est propriétaire d’une partie de l'infrastructure ferroviaire, les voies et les terrains qui entourent les voies et bâtiments. Toutefois deux problèmes n’ont pas été tranchés : la gestion du réseau et celle des gares. La volonté de la SNCF de demeurer une entreprise intégrée le plus possible, a conduit à une réforme a minima, parfois peu lisible ; par exemple la SNCF demeure propriétaire des gares, mais RFF possède les quais.

Cela explique également que RFF ne dispose pas des moyens de gérer l’exploitation des voies qui fait l’objet d’un contrat avec la direction de la circulation ferroviaire, entité indépendante au sein de la SNCF qui regroupe l’essentiel des effectifs affectés au réseau, environ 40 000 personnes, RFF étant une structure légère de moins de 2000 personnes.

Les autorités françaises considèrent avoir transposé dans les temps le premier paquet ferroviaire. Toutefois, la Commission européenne a estimé qu’elles ont manqué à leurs obligations et le 9 octobre 2009, a émis un avis motivé arguant de la persistance de l’insuffisance des mesures prises pour la mise en œuvre du premier paquet ferroviaire.

Dans cet avis motivé, la Commission a retenu trois griefs : le manquement aux obligations relatives à l’indépendance des facilités essentielles ; le non respect des dispositions relatives à la tarification de l’accès à l’infrastructure ferroviaire ; le non respect des dispositions visant la création d’un organisme de contrôle, ce dernier point étant aujourd’hui réglé.

En outre, l’association qui regroupe les principales entreprises du secteur, en dehors de la SNCF, l’AFRA, conteste l’obligation pour les régions d’attribuer l’exploitation de leurs réseaux ferrés à la SNCF et estime la législation française incompatible avec la réglementation européenne.

Cette question est d’une grande importance car si ce point de vue était suivi par les tribunaux, le monopôle actuel de la SNCF sur le transport régional volerait en éclat, comme cela va être le cas en Allemagne.

Il faut être clair, la France avance prudemment vers la libéralisation ferroviaire, pour deux raisons : le bénéfice de l’ouverture à la concurrence du secteur du rail n’apparaît pas clairement pour l’opinion, faute d’avoir été mis en œuvre, et les conditions d’une concurrence équitable ne sont pas réunies, en particulier en matière sociale.

La Cour des comptes, dans son rapport public pour 2010, souligne que les « ressources humaines de la SNCF conditionnent le succès de la réforme ferroviaire engagée en France en 1997 dans la perspective de l’ouverture à la concurrence des réseaux ferrés en Europe. La gestion de ses personnels constitue en effet pour la SNCF un des principaux leviers de sa transformation interne et une des clés de son adaptation à un environnement de plus en plus concurrentiel. »

Le bilan dressé par la Cour conduit à faire quelques remarques sur la gestion sociale de la SNCF. La mise en oeuvre de la réforme des 35 heures entre 1999 et 2001 a entraîné une hausse des effectifs estimée entre 7 000 et 7 500 agents. Les personnels ont souvent une durée réelle de travail inférieure à leurs obligations statutaires. Le temps de travail des personnels de la SNCF est sensiblement inférieur à celui de leurs homologues européens. Face à une concurrence de plus en plus vive, la SNCF doit améliorer sa productivité, tributaire de la durée et de l’organisation du travail, du volume des effectifs et du coût salarial et social de ses agents.

Les pouvoirs publics ne peuvent pas faire l’économie d’un dialogue social véritable qui sera dynamisé par la mise au point d’un projet de développement de la SNCF, enthousiasmant pour les personnels et soutenu financièrement par les pouvoirs publics, Etat et collectivités locales.

La Cour des comptes présente les termes du débat de manière semble-t-il incontestable : la SNCF ne pourra pas lutter à armes égales avec ses concurrents, en particulier lors de l’ouverture à la concurrence du transport régional, avec un surcoût variant selon les catégories de personnel de 12 à 30 % de la masse salariale.

Conscient du problème, j’ai donc auditionné les principales centrales syndicales dont les contributions seront annexées au rapport. Je partage par exemple le point de vue de la CGT sur le nécessaire respect de la subsidiarité par le projet de directive.

Il me semble qu’un accord de principe existe entre les entreprises ferroviaires et les syndicats pour mettre sur pied une convention collective des « travailleurs du rail », pour reprendre l’expression de Sud.

Dans un rapport particulier du 16 avril 2008, la Cour des Comptes porte le jugement suivant sur l’organisation du système ferroviaire français : « Une réforme inachevée, une stratégie incertaine ». Je partage très largement le jugement de la Cour et une partie de ses recommandations à propos de la loi du 13 février 1997, qui en transférant l’infrastructure ferroviaire à RFF a aussi transféré 20,5 milliards d’euros de dettes à la SNCF.

La loi a créé un dispositif institutionnel unique en Europe, dans lequel RFF est contraint de déléguer la plupart de ses fonctions à la branche infrastructures de la SNCF, dont il est pratiquement le seul client. La confusion des responsabilités qui en résulte crée de sérieux dysfonctionnements, par exemple lorsqu’il s’agit d’établir les horaires, d’attribuer les droits de circulation des trains ou de programmer les travaux.

Le débat sur l’ouverture à la concurrence du système ferroviaire est complexe, car les pays européens ont dans le passé développé des réseaux incompatibles, avec, par exemple, des écartements de voies différents, et disposé d’opérateurs puissants en situation de monopole. D’autre part, à la différence du ciel, de la route ou de la mer, qu’un nouvel opérateur peut emprunter librement, le réseau ferré comporte une limite physique de capacité. Or, en France, ce dernier est souvent saturé ou vieillissant. En outre, l’ouverture à la concurrence, très progressive depuis 2001, a nécessité la mise en œuvre de trois paquets ferroviaires, jugée insatisfaisante par la Commission européenne, qui poursuit treize Etats en manquement.

Il est aujourd’hui trop tôt pour mesurer d’éventuels bienfaits de la concurrence qui, contrairement à ce que nous pourrions penser, concernera peu la « grande vitesse » mais pourrait, si la question sociale est harmonieusement réglée, avoir des conséquences significatives dans le transport régional. Il convient également de ne pas dissimuler l’échec rencontré dans le développement du fret ferroviaire. Ce secteur nécessite des solutions volontaristes qui imposent le transfert « autoritaire » d’une partie du trafic de transit des poids lourds en France ; il y va de la qualité de l’air que nous respirons et de la sécurité routière.

M. Philippe Armand-Martin. Je félicite le rapporteur pour la qualité et la précision de son exposé, et cantonnerai mon intervention à deux questions : quel organisme sera chargé de surveiller la mise en conformité de la gestion et des infrastructures européennes ? quel est le calendrier prévu pour la libéralisation, et sera-t-il le même pour chaque pays ?

M. Gérard Voisin, rapporteur. L’Agence ferroviaire européenne, implantée à Valenciennes, sera chargée de cette mission. Le calendrier quant à lui n’est pas encore figé et demeure l’objet de négociations. J’espère évidemment qu’il vaudra pour tous les Etats sans exception.

M. Yves Bur. Merci pour ce rapport, qui jette un éclairage éloquent sur les atouts et les faiblesses de notre système ferroviaire. Je crois cependant utile d’assumer un diagnostic clair : je pense que cette situation difficile est moins due à la libéralisation qu’à ses lenteurs et ses insuffisances. Après tout, les Etats les plus courageux sur ce front, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Autriche ou l’Estonie, ont vu leur trafic, en particulier de fret, augmenter au rythme de la libéralisation, pendant qu’il s’effondrait chez nous. Dans un même esprit, abandonnons de vieilles lunes, comme ce postulat totalement contredit par les faits que la libéralisation entame la sécurité ferroviaire, puisque nous constatons l’inverse dans des pays comme le Royaume-Uni.

S’ajoutent les traditionnelles faiblesses françaises. Je pense évidemment à la confusion des missions et des prérogatives entre la SNCF et RFF, de la dette colossale qui obère les investissements aux ambiguïtés du financement, au moment où l’Allemagne flèche directement 3,5 milliards d’euros par an aux infrastructures, sans oublier les injonctions contradictoires des pouvoirs publics, qui un jour demande au second de valoriser son patrimoine immobilier pour le lendemain rappeler son rôle éminent dans l’aménagement du territoire. Et, évidemment, la dimension sociale, mise en exergue dans la proposition de résolution, pourrait constituer un frein très puissant au progrès sur ces questions décisives.

Enfin, il ne faut pas oublier les enjeux de la coordination européenne. On débat aujourd’hui de grands chantiers européens susceptibles de conforter notre croissance. Or, quel meilleur candidat que le ferroviaire, et la construction de grands axes transnationaux aujourd’hui au point mort, comme l’illustre par exemple le projet de liaison Paris-Budapest ?

M. Gérard Voisin, rapporteur. Si je met en avant la problématique sociale, c’est par souci de réalisme. Nous n’avons pas le choix, soit on avance vers l’harmonisation, soit on rencontre le blocage. Il demeure indéniable que la lourde masse salariale, d’ailleurs moins due aux rémunérations des cheminots qu’au dérapage des recrutements, en particulier au moment des 35 heures, obère la compétitivité de la SNCF. A cette question s’ajoute la vétusté de notre réseau. Même notre fleuron, le réseau à grande vitesse, est désormais dépassé en taille par l’Espagne.

Cette lucidité commande aussi de discerner les progrès. Certes l’Allemagne consacre grâce à l’impôt désormais près de 20 milliards d’euros au système ferroviaire, dont 4 en provenance de l’«écotaxe », mais cela résulte aussi d’une politique entamée bien avant nous. Dès aujourd’hui, notre pays mobilise 1,2 milliard d’euros, ce qui est pour le moins un début encourageant.

Mme Odile Saugues. Nous abordons là un point extrêmement sensible, qui touche à l’identité même de la SNCF, si légitimement fière de sa « conscience cheminote ». Je ne saurai trop vous prévenir contre les assauts maladroits, qui, à chaque fois, ont généré plus de problèmes qu’ils ne voulaient en résoudre. Je ne nie pas la nécessité d’avancer, pour enfin promouvoir le fret dans notre pays ; et la route est longue quand on voit, par exemple, que la SNCF fait transiter l’armature de ses voies par… camions. Il faut avancer vers un « rail unique » européen sans doute aussi nécessaire que le « ciel unique », et peut être inéluctable, dès lors que notre opérateur historique lui-même s’est désormais solidement implanté chez nos voisins par une acquisition ambitieuse de filiales, et pour moderniser notre réseau, qui donne de sérieux signes d’essoufflement. Mais doit-on le faire au détriment du social ? Je suis convaincu du contraire. D’abord, parce que l’alignement des coûts vers les moins-disants socialement est une aberration, et nous serions inévitablement les victimes expiatoires d’une harmonisation sociale qui ne se ferait pas par le haut. Ensuite, parce qu’à la SNCF plus qu’ailleurs, le dialogue social est l’unique voie du progrès, hors de laquelle nous risquons forts de nous condamner à l’immobilisme et à l’impuissance.

M. Gérard Voisin, rapporteur. C’est bien pourquoi je vous propose de citer cette exigence sociale dans la proposition de résolution que je vous soumet. Mais n’en oublions pas pour autant quelques constats solidement établis. Le nombre de cheminots en France est très supérieur à celui de nos voisins, par exemple par rapport à l’Allemagne où, à ma connaissance, le système ferroviaire ne fonctionne guère plus mal, c’est un euphémisme. Ensuite, comme vous le relevez, la SNCF s’est d’ores et déjà diversifiée dans de nombreux pays de l’Union, et a donc pris le train de la libéralisation en marche, si j’ose dire. Enfin, les blocages dépassent largement le monde ferroviaire. Je pense en particulier à la situation de nos ports, comme celui de Marseille, dont les fermetures incessantes font désormais qu’il est plus sûr de faire transiter les marchandises d’Anvers à Lyon que de passer par la porte naturelle de la vallée du Rhône. Et reste un constat, qui appelle l’action. Le trafic fret a augmenté de 36 % en Allemagne, pendant qu’il s’effondrait de 40 % en France, où la vitesse moyenne ne dépasse pas les 18 km/h.

Mme Marie-Louise Fort. J’aimerais demander au rapporteur comment il envisage, au point 1 de la proposition de résolution, une harmonisation préalable des statuts des personnels du rail, compte tenu des difficultés actuelles, et, au point 2, ce qu’il adviendrait de la suspension de la procédure d’infraction contre la France devant la Cour de justice de l’Union européenne, après la réussite ou l’échec des négociations en cours.

M. Gérard Voisin, rapporteur. Treize pays sont en infraction sur la séparation des fonctions d’exploitation et d’utilisation du réseau et les négociations en cours devraient permettre d’aboutir à une harmonisation européenne.

M. Michel Diefenbacher. Nous avons tous reçu, il y a quelques jours, une note de RFF indiquant que les nouveaux opérateurs sont passés en un an de 10 % à 18 % du fret ferroviaire en France, mais que la baisse globale du fret ferroviaire n’est pas enrayée et que c’est une situation unique en Europe. Le trafic des voyageurs et du fret progresse partout en Europe sauf en France. Est-ce une fatalité française ? Si le marché continue à se rétrécir et que la concurrence des opérateurs privés augmente, il n’y aura bientôt plus de fret SNCF. La SNCF doit trouver une solution. Le rapporteur dit qu’il faut constater cette évolution, mais faut-il s’y résigner ?

M. Gérard Voisin, rapporteur. Il ne s’agit nullement de se résigner. Ce rapport fait d’abord un constat sur un sujet brûlant pour trouver ensuite des solutions. Par exemple, intégrer toute la chaîne logistique pour développer le fret est une orientation qui mériterait d’être approfondie dans l’avenir.

Mme Anne Grommerch. La Cour des comptes dit que la SNCF est moins compétitive que ses concurrents de l’intérieur et des pays voisins notamment parce qu’elle a un coût supérieur de 12 % à 30 % et que la durée réelle du travail est inférieure aux obligations du statut. J’aimerais connaître la position des syndicats sur ce point.

M. Gérard Voisin, rapporteur. J’ai rencontré tous les syndicats qui se sont montrés d’une grande prudence en raison de la proximité des élections internes fin mars et je ne suis pas prêt à répondre aujourd’hui précisément à la question de notre collègue Grommerch. Mais il y a des variantes de point de vue entre les syndicats.

L’Allemagne s’est redressée au niveau ferroviaire, mais l’Etat a appuré la dette de l’opérateur, contrairement à la France. Un haut responsable de la SNCF m’a dit qu’il n’était pas possible en France de faire du ferroviaire sans un apport financier de l’Etat, donc du contribuable.

M. Jacques Desallangre. Il faut d’abord rappeler que la SNCF a abandonné le fret diffus au bénéfice des opérateurs privés pour se concentrer sur les trains longs et massifs. Dans la proposition de résolution du rapporteur, il manque l’objectif de la sécurité dans ses souhaits et demandes. Or le Président Guillaume Pepy, qui est pourtant un chaud partisan de la libéralisation, a exprimé la crainte que la multiplication des opérateurs ne mette en cause les conditions de sécurité. Je souhaiterais donc un paragraphe supplémentaire sur la nécessité de porter plus d’attention à la sécurité.

M. Gérard Voisin, rapporteur. le point 6 souhaitant que la Commission européenne propose une procédure de certification unique du matériel ferroviaire, alors qu’actuellement chaque pays a ses règles de certification des matériels, répond à cette préoccupation de sécurité.

M. Jacques Desallangre. La sécurité ferroviaire ne dépend pas seulement de la certification des matériels, mais elle est mise en cause par la baisse des effectifs de cheminots passés en France de 240 000 à 180 000. Les cheminots disent aussi qu’il n’y a bien souvent plus qu’un cheminot au lieu de trois sur les postes de travail et que la sécurité est aussi une question de « matériel humain ».

M. Gérard Voisin, rapporteur. Le paragraphe 4 de la proposition de résolution répond à votre préoccupation lorsqu’il considère que la proposition de directive doit comporter un volet social plus affirmé.

Mme Anne Grommerch. Le déclin du fret ferroviaire pose plus une question d’organisation que de sécurité, quand la SNCF a deux cheminots par kilomètre pour un cheminot par kilomètre partout ailleurs en Europe.

Mme Odile Saugues. Je propose d’ajouter un paragraphe supplémentaire demandant que la libéralisation du fret ferroviaire ne se fasse pas au détriment de la sécurité.

M. Gérard Voisin, rapporteur. Je propose un paragraphe nouveau soulignant que « l’ouverture à la concurrence ne doit pas se faire au détriment de la sécurité ».

M. Bernard Deflesselles. Il ne faut pas tourner autour du pot. Le fret ferroviaire est au service des entreprises. Pourquoi y renoncent-elles ? Parce que les délais sont trop longs et les coûts trop lourds par rapport à la route, pour des entreprises qui doivent elles-mêmes servir vite et bien leurs clients et être approvisionnées vite et bien par leurs fournisseurs.

Mais je voudrais surtout évoquer un point très important pour réussir l’ouverture à la concurrence du fret : l’état de l’infrastructure. Je souhaite que le rapport développe cet aspect fondamental. Ainsi, dans la région PACA, l’infrastructure, qui date de 150 ans, est dans un état lamentable. Il faudrait cinq milliards d’euros pour la remettre à niveau, soit bien plus que les crédits de l’AFIFT ou de RFF. Si l’on veut résister et ouvrir à la concurrence et être compétitif, il faut, dans le cadre de cette résolution sur un renforcement de la libéralisation européenne, faire un peu de franco-français et peser dans le débat sur les infrastructures qui est un vrai problème de fond. La résolution incite le Gouvernement à engager le plus rapidement possible une réflexion sur les compétences entre RFF et SNCF et, plus loin, à renforcer les moyens de fonctionnement de l’autorité de régulation ferroviaire. C’est très bien, mais il faudrait aussi demander des moyens pour que RFF puisse réinvestir dans le réseau.

M. Jacques Desallangre. Ce point est absolument essentiel.

M. Gérard Voisin, rapporteur. Le rapport consacre déjà trois pages à l’état du réseau et j’y ajouterai les conclusions du rapport Rivet et de l’école polytechnique de Lausanne de 2006, ainsi que le rapport du sénateur Haenel de 2008.

M. Bernard Deflesselles. La situation ne s’est pas arrangée depuis la publication de ces rapports.

M. Gérard Voisin, rapporteur. Une raison majeure de la lenteur de circulation du fret ferroviaire est liée à la priorité donnée aux trains de voyageurs ; les trains de marchandises sont garés systématiquement sur des voies de garage pour les laisser passer.

M. Jacques Desallangre. On privilégie les trains et les lignes à grande vitesse au détriment des trains de fret parce qu’on n’a pas assez de lignes et qu’on est obligé de faire des choix, alors que les deux devraient pouvoir circuler en même temps.

Pour réduire son déficit, la SNCF a abandonné le fret diffus qui n’est pas repris en charge correctement par les opérateurs privés de proximité. On ne peut pas lui reprocher. Les entreprises à qui l’on propose de leur enlever un wagon chaque semaine au lieu d’un par jour, se sont tournées naturellement vers la route.

M. Gérard Voisin, rapporteur. Il ne faut pas oublier que la SNCF a une filiale qui est un très gros transporteur routier et que cette situation influe sur sa stratégie globale de transport.

Mme Odile Saugues. La mise en place de la libéralisation ne marchera que si l’on mobilise tous les acteurs sur une remise en question totale. Or cette culture, nous ne l’avons pas.

M. Jacques Desallangre. Je rappelle quand même que les cheminots sont passés de 300 000 à 140 000 actifs et qu’ils ont payé leur tribut.

M. Gérard Voisin, rapporteur. Les choses ont changé aussi, mais le rapport n’est nullement une attaque en règle contre le statut du cheminot.

Pour répondre au point intéressant soulevé par Bernard Deflesselles, on pourrait rajouter au septième paragraphe : « et à donner au secteur ferroviaire les moyens d’investissement nécessaires pour la remise en état du réseau ».

M. Bernard Deflesselles. Certes, mais c’est à l’exécutif d’être à la manœuvre et pas à nous. Je dis que, pour que l’ouverture du réseau soit effective et profitable à nos entreprises, il faut en passer pour la remise à niveau des infrastructures par une mise en connexion générale entre RFF, la SNCF, l’Etat et les régions. Or on est loin du but.

M. Gérard Voisin, rapporteur. Le rapport rappelle que le Gouvernement a rendu public, le 27 janvier 2010 après le Grenelle de l’environnement, le schéma national des infrastructures de transport, par lequel l’Etat s’engage à investir 166 milliards d’euros au cours des vingt-trente prochaines années, dont deux tiers seront consacrés au réseau ferré.

Mme Odile Saugues. Je précise qu’une remise en question doit concerner tous les partenaires, notamment RFF pour l’infrastructure et les sillons, la SNCF pour le matériel roulant et les personnels, les régions pour le matériel voyageurs et l’Etat pour les investissements d’infrastructure et le cadre général en vue de l’adaptation à cette vision de l’Europe.

La Commission a ensuite approuvé la proposition de résolution à l’unanimité :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un espace ferroviaire unique européen, COM (2010) 475 final/no E 5642

1. Prend acte et se félicite de la proposition de la Commission européenne visant à préciser les modalités de séparation de la gestion et de l’utilisation des réseaux ferrés ;

2. Souhaite que la procédure d’infraction diligentée contre la France devant la Cour de justice de l’Union européenne, au titre d’une insuffisante séparation entre les fonctions d’exploitation et d’utilisation du réseau, soit suspendue durant la procédure de ratification de la directive précitée, afin de faciliter la négociation en cours ;

3. Demande que la proposition de directive précise que les Etats n’ont pour l’instant aucune obligation de libéraliser le transport ferroviaire à courte distance, afin que soit prévenu tout contentieux ultérieur ;

4. Considère que la proposition de directive doit comporter un volet social plus affirmé, précisant que la poursuite de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire sera favorisée par une harmonisation préalable des conditions sociales des personnels du rail ;

5. Demande que les obligations d’indemnisation mises à la charge des transporteurs et des exploitants excluent expressément les motifs liés aux cas de force majeure et que, conformément au principe de subsidiarité, l’appréciation de ces situations relève des autorités nationales ;

6. Demande que l’ouverture à la concurrence ne se fasse pas au détriment de la sécurité ;

7. Souhaite que la Commission européenne propose une procédure visant à une certification unique du matériel ferroviaire, au sein de l’Union européenne, s’agissant des règles de sécurité ;

8. Invite le Gouvernement à engager le plus rapidement possible une réflexion sur la répartition des compétences et des moyens entre la SNCF et RFF et à assurer au secteur ferroviaire les moyens d’investissements nécessaires pour la remise en état du réseau ;

9. Demande au Gouvernement de renforcer les moyens de fonctionnement de l’Autorité de régulation ferroviaire et d’étudier un éventuel élargissement de ses compétences. »

La séance est levée à 18 h 45

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 8 mars 2011 à 17 heures

Présents. - M. Yves Bur, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Jacques Desallangre, M. Michel Diefenbacher, Mme Marie-Louise Fort, Mme Annick Girardin, Mme Anne Grommerch, M. Régis Juanico, M. Philippe Armand Martin, M. Jean-Claude Mignon, Mme Odile Saugues, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Pierre Bourguignon, Mme Marietta Karamanli