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No 3608

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 juin 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
la création du Parquet européen,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli,

Députés

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, François Calvet, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Delebarre, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Marc Laffineur, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

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Pages

RESUME DU RAPPORT 7

INTRODUCTION 9

PREMIERE PARTIE : POUR QUELLES RAISONS FAUT-IL INSTITUER UN PARQUET EUROPÉEN ? 11

I. DE LA PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES AU CONCEPT DE PARQUET EUROPÉEN 11

A. LA PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES 11

B. LE CONCEPT DE PARQUET EUROPÉEN 12

II. PROGRÈS ET FAIBLESSES DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE PÉNALE 17

A. LES DÉVELOPPEMENTS DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE PÉNALE 17

1. Des domaines longtemps marqués par une logique de coopération intergouvernementale 17

2. La coopération policière 19

3. La coopération judiciaire pénale 21

a) La convention d’entraide judicaire pénale du 29 mai 2000 21

b) Le mandat d’arrêt européen, mesure phare de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires 22

c) Les autres instruments de reconnaissance mutuelle 29

d) La coopération au sein d’Eurojust 31

B. LA NÉCESSITÉ DE FAIRE UN PAS EN AVANT DÉCISIF AVEC LE PARQUET EUROPÉEN 33

1. La protection des intérêts financiers de l’Union est certes un objectif légitime… 34

a) Le rôle de l’OLAF 34

b) La situation en matière de protection des intérêts financiers demeure insatisfaisante 37

2. …mais la lutte contre la criminalité grave transnationale devra faire partie des compétences du parquet européen. 41

3. Pallier les difficultés liées au morcellement de l’espace pénal européen 47

4. Les positions des Etats membres 48

III. LES AVANCÉES DU TRAITÉ DE LISBONNE 51

A. LE RENFORCEMENT D’EUROJUST TEL QU’IL EST RENDU POSSIBLE PAR L’ARTICLE 85 DU TRAITÉ (TFUE) NE DOIT PAS COMPROMETTRE L’INSTITUTION D’UN PARQUET EUROPÉEN 52

B. LA MISE EN œUVRE DU PARQUET EUROPÉEN, TELLE QU’ELLE RESSORT DE L’ARTICLE 86 DU TRAITÉ (TFUE), LAISSE DE NOMBREUSES QUESTIONS OUVERTES 54

1. Un processus très encadré par la règle de l’unanimité 54

2. Les principales questions ouvertes 58

a) Sous quelle forme le parquet européen serait-il institué et quel serait son statut ? 58

b) L’épineuse question de l’admissibilité des preuves 59

c) Le contrôle juridictionnel de ses actes 61

d) L’harmonisation minimale des incriminations et des sanctions 63

DEUXIEME PARTIE : QUELLES ADAPTATIONS DE LA PROCÉDURE PÉNALE FRANÇAISE ? 65

I. EN AMONT DE L’OUVERTURE D’UNE ENQUÊTE 66

II. LES ENQUÊTES 69

III. LA CLÔTURE DE L’ENQUETE 73

CONCLUSION 77

TRAVAUX DE LA COMMISSION 79

1. Audition de M. Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (réunion du mercredi 8 juin 2011) 79

2. Examen du rapport d’information de M. Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli sur le Parquet européen (réunion du mercredi 29 juin) 91

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE 93

ANNEXES 95

ANNEXE 1 : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 97

ANNEXE 2 : LETTRE DU PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE, M. BERNARD ACCOYER, AU PREMIER MINISTRE, M. FRANCOIS FILLON, DU 1ER AVRIL 2010 98

ANNEXE 3 : REPONSE DU PREMIER MINISTRE, M. FRANCOIS FILLON, AU PRESIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, M. BERNARD ACCOYER, DU 8 MAI 2010 99

ANNEXE 4 : LETTRE DU PRESIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, M. BERNARD ACCOYER, AU PRESIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES, M. PIERRE LEQUILLER 101

RESUME DU RAPPORT

La création d’un parquet européen n’est pas une idée nouvelle. Elle a été formulée dès 1996 par M. Klaus Hänsch, Président du Parlement européen, qui se référait alors à un procureur européen.

L’élaboration du Corpus Juris en 1997, puis le Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un procureur européen en 2001, ont lancé un débat centré sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne.

Toutefois, dans sa résolution du 22 mai 2003, l’Assemblée nationale a soutenu l’institution d’un parquet européen créé à partir d’Eurojust et compétent en matière de criminalité grave transnationale.

Le traité de Lisbonne constitue à cet égard une avancée majeure, en ce qu’il permet, en son article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la création d’un parquet européen compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices d’infractions entrant dans son champ de compétence.

Le présent rapport présente les modalités actuelles de la coopération policière et de la coopération judiciaire en matière pénale et juge que les lacunes constatées nécessitent, aujourd’hui comme hier, la création rapide d’un parquet européen compétent en matière de criminalité grave transnationale, celui-ci devant constituer un pas en avant décisif dans la lutte contre, entre autres, la traite des êtres humains, le trafic de stupéfiants ou le terrorisme, infractions particulièrement graves pour lesquelles les citoyens européens attendent de l’Union une réponse forte, concertée et donc efficace.

Le rapport examine également les principales implications d’une telle création, notamment en termes de forme du parquet européen, de règles procédurales, d’admissibilité des preuves et de contrôle juridictionnel.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

C’est en 1977 que le Président Valéry Giscard d’Estaing a élaboré le concept d’espace judiciaire européen. L’idée d’un parquet européen paraissait être alors une utopie.

Dix ans après la parution du Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un procureur européen, où en est l’idée de la création d’un parquet européen que l’Assemblée nationale appelait de ses vœux dès 2003 ?

Il s’agit d’une question politique majeure qui appelle un débat de société auquel les rapporteurs souhaitent apporter leur contribution.

Tous les arguments qui appuyaient la démonstration du besoin d’un procureur européen il y a une dizaine d’années sont plus que jamais d’actualité aujourd’hui car, malgré les progrès accomplis, beaucoup reste encore à faire.

Reprenons ainsi en introduction un extrait bien connu du Corpus Juris, publié en 1997 sous la direction du Professeur Mireille Delmas-Marty : il est urgent d’apporter « une réponse radicale à l’absurdité, encore tolérée bien que condamnée universellement, qui veut que nos frontières nationales soient grandes ouvertes aux criminels et fermées à ceux chargés de la lutte contre le crime, ce qui risque de transformer nos pays en paradis criminels ».

Le traité de Lisbonne a marqué une étape centrale, en inscrivant dans les traités à la fois le concept de parquet européen, mais aussi la marche à suivre pour sa création « à partir d’Eurojust ».

Pour autant, les incertitudes du traité de Lisbonne, l’importance des enjeux qui s’attachent à la création du parquet européen et le besoin évident d’avancer précisément dans les réflexions sur cette création ont conduit le Président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, sur la suggestion de M. Pierre Lequiller, président de la Commission des affaires européennes, à saisir le Premier ministre d’une demande d’étude du Conseil d’Etat sur cette question. Il s’agit là d’une démarche tout à fait innovante et il faut en souligner le caractère très constructif. Le Premier ministre a, dans un courrier en date du 31 mai 2010, faisant droit à la suggestion de l’Assemblée nationale, souhaité « que le Conseil d’Etat contribue à cette réflexion en déterminant, en fonction du périmètre des attributions qui seraient confiées au Parquet européen, les implications possibles de sa création sur le droit français, et notamment sur la procédure pénale. Il importerait également de faire apparaître les solutions envisageables en termes d’articulation entre un ministère public européen, le ministère public national et la police judiciaire. »

L’étude du Conseil d’Etat, d’une qualité remarquable et très approfondie, permet d’éclairer toutes les questions qui se posent quant à la création d’un parquet européen. Elle a constitué un outil très précieux pour les rapporteurs qui saisissent ici l’occasion de souligner l’aide majeure qu’elle a représenté dans leur réflexion.

Sans prétendre trancher toutes les questions, notamment procédurales, qui doivent être examinées avec la plus grande attention, les rapporteurs souhaitent voir ce débat revenir sur la table des négociations.

PREMIERE PARTIE :
POUR QUELLES RAISONS FAUT-IL INSTITUER UN PARQUET EUROPÉEN ?

I. DE LA PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES AU CONCEPT DE PARQUET EUROPÉEN

La coopération judiciaire pénale cristallise depuis toujours l’opposition entre deux conceptions de l’Union européenne : l’une tendant à aller vers un modèle supranational intégré et l’autre d’essence intergouvernementale.

La coopération judiciaire pénale est, jusqu’à très récemment, demeurée imprégnée d’une vision intergouvernementale. Ainsi, avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, la règle de l’unanimité au Conseil de l’Union européenne s’appliquait et le Parlement européen était uniquement consulté sur les projets d’actes législatifs.

A. La protection des intérêts financiers des Communautés européennes

La protection des intérêts financiers de l’Union européenne est intimement liée à l’idée d’un parquet européen. Le remplacement, en 1970, des contributions financières versées jusque-là par les Etats membres par des ressources propres aux Communautés européennes a, de manière logique, fait émergé la notion d’intérêts financiers propres aux Communautés européennes ainsi que la nécessité de leur protection. Dans son arrêt du 21 septembre 1989, Commission contre Grèce, affaire C-68/88, la Cour de justice des Communautés européennes pose le principe de l’assimilation du niveau de protection des intérêts financiers communautaires à celui des intérêts financiers des Etats membres et exige que les Etats membres mettent en oeuvre des sanctions efficaces, dissuasives et proportionnées, pour réprimer les infractions portant atteinte aux intérêts financiers des communautés. Est également créée, en 1989, auprès de la Commission européenne, l’unité de lutte antifraude chargée des enquêtes administratives sur les atteintes aux intérêts financiers des Communautés européennes.

La convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes du 27 novembre 1995, puis le règlement du 18 décembre 1995 (règlement no 2988/95 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes), imposent aux Etats membres d’ériger en infraction pénale tout acte ou omission intentionnel ayant pour objet ou effet de porter atteinte aux recettes ou aux dépenses des Communautés européennes. Un premier protocole à la Convention, en date du 27 septembre 1996, traite de la corruption et impose aux Etats membres de poursuivre la fraude active et passive. Le blanchiment de capitaux relève du second protocole du 19 juin 1997. Afin de permettre la pleine application de la Convention et de ses protocoles, l’Office de lutte antifraude (OLAF) est créé le 28 avril 1999. Remplaçant l’unité de lutte antifraude, l’Office est intégré à la Commission européenne mais bénéficie d’une autonomie. Un comité de surveillance est chargé de contrôler ses activités. L’OLAF mène des enquêtes administratives puis, si besoin, en transmet les résultats aux autorités judiciaires nationales.

B. Le concept de parquet européen

La proposition de créer un procureur européen a été formulée par M. Klaus Hänsch, alors Président du Parlement européen, en 1996.

Le Corpus Juris, élaboré sous la direction du professeur Mireille Delmas-Marty est publié en 1997 et conceptualise l’idée d’un ministère public européen. Le Corpus Juris est le résultat des travaux d’un groupe d’experts européens en matière pénale mandatés par la Commission européenne, à la demande du Parlement européen. L’article 18 du Corpus Juris propose la création d’un ministère public européen qui serait composé d’un procureur général européen ainsi que de procureurs européens délégués dans chacun des Etats membres. Ceux-ci seraient compétents pour la recherche des infractions, la poursuite, le renvoi en jugement et l’exercice de l’action publique devant la formation de jugement nationale compétente ainsi que pour l’exécution des jugements.

Dès lors, nombre de travaux porteront sur le concept de ministère public européen ou de procureur européen, avant que l’idée d’un parquet européen ne soit consacrée par le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009.

Il convient en premier lieu de citer le Livre vert de la Commission européenne du 11 décembre 2001 relatif à la protection pénale des intérêts financiers communautaires et à la création d’un procureur européen. Afin de surmonter les limites de la coopération judiciaire classique, il est proposé d’instituer un procureur européen pour la seule protection contre la criminalité dirigée contre l’Europe (protection des intérêts financiers communautaires mais aussi contrefaçon de l’euro, protection des marques et brevets communautaires, abus commis par des agents de la fonction publique communautaire). La Commission européenne justifie la création du procureur européen par la nature spécifique des intérêts financiers de l’Union et comme un aboutissement logique de l’intégration communautaire.

Le projet porté par la Commission européenne est donc relativement prudent. Afin de respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité, cette dernière n’envisage qu’une harmonisation partielle, portant sur le minimum de dispositions du droit pénal nécessaire pour assurer le fonctionnement du procureur européen, en laissant la fonction de jugement pénal aux juridictions nationales. En outre, le procureur européen s’appuierait dans les Etats membres sur des procureurs européens délégués afin de garantir l’intégration de son action dans les ordres juridiques nationaux, sans bouleversement pour ces derniers. C’est à ces procureurs délégués que reviendrait l’exercice concret des compétences, bien qu’il soit prévu qu’ils soient subordonnés au procureur européen et tenus de suivre ses instructions.

Le procureur européen serait chargé de rassembler les preuves, à charge et à décharge, afin de permettre, le cas échéant, d’engager des poursuites à l’encontre des auteurs d’atteintes aux intérêts financiers de la Communauté et de diriger et coordonner les poursuites en recourant aux autorités de police existantes. Il aurait à renvoyer en jugement, sous le contrôle du juge, devant les juridictions nationales, les auteurs de faits poursuivis. Lors du procès lui-même, il serait chargé d’exercer l’action publique devant les juridictions nationales, afin de défendre les intérêts financiers communautaires.

Sur le rapport de MM. René André et Jacques Floch (rapport no 445, Un procureur pour l’Europe, 28 novembre 2002), la Délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale a adopté le 28 novembre 2002 une proposition de résolution dans laquelle elle souhaitait que le projet de traité constitutionnel adopté par la Convention sur l’avenir de l’Europe prévoie la création d’un procureur européen. Elle approuvait les principales orientations suggérées par la Commission européenne dans son Livre vert. Elle recommandait que la compétence du procureur européen, limitée dans un premier temps à la criminalité contre l’Europe, puisse être étendue par le Conseil statuant à l’unanimité. Elle avait souligné que le statut du procureur européen devrait garantir son indépendance et sa responsabilité, aussi bien politiques, devant le Parlement européen et les parlements nationaux, que disciplinaires, devant la Cour de justice. Elle avait par ailleurs estimé que la création de ce procureur devrait s’accompagner de la création d’une chambre préliminaire au sein de la Cour de justice, en charge du contrôle de la phase préparatoire du procès et de la décision de renvoi en jugement. Elle jugeait nécessaire d’harmoniser certaines règles en matière de preuve et recommandait que le procureur européen soit membre de droit du collège d’Eurojust.

Dans son rapport sur la création d’un procureur européen, le rapporteur de la Commission des lois à laquelle avait été renvoyée la proposition de résolution, M. Guy Geoffroy, avait souhaité, dans un souci de pragmatisme, que le parquet européen soit créé, non pas ex-nihilo comme le proposait la Commission européenne, mais par étapes à partir d’Eurojust.

La Commission des lois souhaitait aussi que les compétences du parquet européen ne se limitent pas à la seule criminalité contre l’Europe, mais portent également sur les autres formes graves de criminalité transnationale, comme le terrorisme ou la traite des êtres humains. Elle proposait également que la transformation par étapes d’Eurojust soit décidée à la majorité qualifiée, alors que la Délégation pour l’Union européenne envisageait une extension des compétences du procureur européen à l’unanimité.

Au cours des débats sur la proposition de résolution en séance publique à l’Assemblée nationale, le 22 mai 2003, le rapporteur avait rappelé qu’en septembre 2000, la Conférence intergouvernementale de Nice n’avait pas souhaité retenir la proposition de création d’un procureur européen et l’avait écartée au profit d’un organisme de coopération judiciaire d’essence intergouvernementale (ce sera Eurojust, créé en 2002). Il avait également souligné la nécessité d’instituer un procureur européen afin de faire face à l’essor de la criminalité transnationale. Dans les négociations de la future Constitution européenne, qui allait devenir le traité de Lisbonne, la France et l’Allemagne avaient privilégié la création d’un parquet européen à partir d’Eurojust.

M. Dominique Perben, alors Garde des Sceaux, ministre de la justice, avait souligné le manque d’ambition de la proposition de la Commission européenne et avait fermement défendu le projet de création d’un procureur européen ayant un champ de compétence élargi à la criminalité grave transnationale :

« Le procureur européen, tel qu’il est proposé par la Commission, constitue, à mon avis, une fausse bonne idée. D’abord, ce procureur européen serait, nous dit-on - en tout cas c’est ce qui est écrit - limité à la protection des intérêts financiers communautaires. Si nul ne conteste l’importance de la lutte contre la fraude aux intérêts communautaires, admettons ensemble qu’il ne s’agit pas de la première préoccupation des citoyens des Etats européens. Ceux-ci veulent d’abord une Europe qui soit enfin plus efficace dans la lutte contre la criminalité organisée, contre le blanchiment d’argent sale, contre la traite des êtres humains ou, bien sûr, dans la lutte contre le terrorisme. […] Ensuite, créer une structure supplémentaire se juxtaposant à celles qui existent déjà à l’échelon national et au niveau européen, serait continuer à engendrer de la complexité, alors que nos concitoyens attendent une Europe plus lisible et, surtout, plus proche d’eux.

Il faut en effet se fonder sur les véritables besoins en matière de lutte contre la criminalité organisée et de protection des intérêts communautaires, dans le respect des droits de chacun, en s’attachant à rechercher ce qui peut être efficace, praticable, acceptable, assimilable et compris par toutes les cultures judiciaires nationales. Il convient donc, comme cela nous est proposé dans le projet de résolution, d’adopter une démarche pragmatique partant de l’existant, Eurojust, pour aller vers l’avenir : le parquet européen, que je préfère, pour ma part, appeler « collège de procureurs européens. » […]

L’expérience de ces structures (Europol et Eurojust] est utile, mais elle montre que leurs moyens actuels ne sont pas à la hauteur de nos objectifs de lutte contre la criminalité transnationale. Eurojust doit se transformer, dans un délai raisonnable et après une évaluation de son activité, en un véritable parquet européen, capable de déclencher lui-même des poursuites et de les exercer devant les tribunaux nationaux. Cet objectif doit figurer dans le nouveau traité. Ce collège de procureurs européens devrait, à l’instar de ce qui existe dans notre ordre juridique, diriger les enquêtes en matière d’euro-crimes, contrôler les activités d’Europol et de l’office de lutte anti-fraude.

S’agissant des actes accomplis dans le cadre de ces enquêtes, le contrôle de leur légalité devrait demeurer de la compétence des juridictions nationales selon les règles de chaque système judiciaire.

Il convient sans doute d’envisager une étape intermédiaire - que je situe à l’entrée en vigueur du nouveau traité -, durant laquelle Eurojust devra être doté de pouvoirs de coordination contraignants : il pourra décider, pour les affaires de criminalité transnationales impliquant plusieurs juridictions, qui doit être saisi. Il pourra également être doté de pouvoirs de substitution lorsqu’une autorité nationale sera défaillante. Cette étape permettrait d’ancrer véritablement Eurojust dans le paysage judiciaire national et d’assurer que policiers et magistrats collaborent effectivement avec cette instance.

Cette construction réaliste et cohérente du parquet européen à partir d’une montée en puissance d’Eurojust est celle que nous défendons avec l’Allemagne. Nos deux gouvernements l’ont proposée à la Convention européenne

L’encadré suivant reproduit la proposition de résolution de la Commission des lois, adoptée ensuite par l’Assemblée nationale le 22 mai 2003 (texte adopté no 139).

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu le Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un procureur européen (COM [2001] 715 final/no E 1912),

Considérant que le développement des formes graves de criminalité transnationale, telles que le terrorisme, le trafic de stupéfiants ou la traite des êtres humains, portent autant atteinte à la crédibilité de l’Union européenne que la fraude aux intérêts communautaires ;

Considérant que l’intégration prochaine de dix nouveaux Etats membres dans l’Union européenne rend urgents un renforcement de coopération policière et judiciaire entre les membres de l’Union et l’élaboration d’une réponse pénale adaptée à la criminalité transnationale ;

Considérant que l’instauration d’un parquet européen doté de pouvoirs de déclenchement des poursuites, de direction de celles-ci et d’évocation des affaires constitue une réponse pertinente à la montée de cette criminalité ;

Considérant que ce parquet européen doit, dans un souci de pragmatisme et d’efficacité, être mis en place à partir d’une structure existante, Eurojust, afin notamment de tenir compte de l’expérience acquise au sein de cette structure et d’éviter des difficultés de coordination que pourrait susciter la création d’un nouvel organisme ;

1. Demande que le projet de traité constitutionnel qui sera adopté par la Convention sur l’avenir de l’Europe en vue de la prochaine conférence intergouvernementale prévoie la création d’un parquet européen, à partir de la transformation par étapes d’Eurojust.

2. Recommande que cette transformation par étapes d’Eurojust soit décidée par le Conseil à la majorité qualifiée, cette procédure étant la seule à même de garantir la mise en place effective d’un parquet européen.

3. Considère que les compétences de ce parquet européen devraient être strictement définies et limitées aux faits graves de criminalité transnationale, conformément au principe de subsidiarité.

4. Souhaite que les priorités d’action publique au niveau communautaire soient dès à présent définies par le Conseil des ministres de l’Union européenne, afin de donner des orientations à l’action d’Europol et d’Eurojust.

5. Considère que le renforcement de la lutte contre la criminalité transnationale nécessite également la pleine application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, le rapprochement des règles en matière de preuve ainsi qu’une harmonisation des incriminations.

II. PROGRÈS ET FAIBLESSES DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE PÉNALE

A. Les développements de la coopération policière et de la coopération judiciaire pénale

1. Des domaines longtemps marqués par une logique de coopération intergouvernementale

C’est dans un cadre strictement intergouvernemental qu’ont débuté, dans les années 1970, les premiers travaux sur la justice et les affaires intérieures. Le groupe de TREVI, créé le 1er décembre 1975, réunit les chefs de police des Etats membres. Il jettera les premières bases de la coopération en matière de terrorisme (TREVI I), de formation et d’échange d’informations (TREVI II) de criminalité organisée (TREVI III) et d’ouverture des frontières (TREVI 92).

Le traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, a créé l’Union européenne et, avec son troisième pilier, le cadre institutionnel de la « JAI » (Justice et affaires intérieures). Seule la politique en matière de visas relève alors du premier pilier.

Le traité d’Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999, a ensuite communautarisé une partie du troisième pilier. Ainsi, les politiques en matière de visas, d’asile, d’immigration ainsi que les autres politiques liées à la libre circulation des personnes, la coopération administrative et la coopération judiciaire civile sont transférées au titre IV de la partie III du traité instituant la Communauté européenne. Par ailleurs, le traité d’Amsterdam fixe l’objectif de la mise en place de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, quel que soit le pilier dans le cadre duquel les actions sont menées. L’article 2 prévoit ainsi que l’Union se donne pour objectif « de maintenir et de développer l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène » (article 2 du traité sur l’Union européenne).

Le traité d’Amsterdam a également procédé à la communautarisation de l’acquis de Schengen. L’accord de Schengen du 14 juin 1985, conclu entre la France, l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, visait à permettre le libre franchissement des frontières intérieures par tous les ressortissants des Etats parties à l’accord et la libre circulation des marchandises et des services. Afin de mettre en oeuvre cet objectif, la convention d’application de l’accord de Schengen du 19 juin 1990 compensait la levée progressive des contrôles aux frontières par un renforcement des contrôles aux frontières extérieures et de la coopération policière et judiciaire. L’espace Schengen s’est peu à peu étendu aux nouveaux Etats membres de l’Union ainsi qu’à trois Etats tiers, devenus Etats associés : la Norvège, l’Islande et la Suisse. A l’heure actuelle, Malte n’est pas membre de l’espace Schengen et la Roumanie et la Bulgarie sont en cours de préparation pour entrer dans cet espace. Le Royaume-Uni et l’Irlande ne participent que partiellement à Schengen. Ainsi, avec le traité d’Amsterdam, une nouvelle base juridique dans les traités a été attribuée à chacune des mesures de l’acquis de Schengen. La réalisation de l’espace Schengen, d’abord à la marge des Communautés européennes puis de manière totalement intégrée à l’Union, a constitué un élément fondamental de la construction européenne. A l’image de l’euro, cet espace est sans doute la réalisation qui incarne le mieux l’Europe.

Le traité d’Amsterdam fixe une série de mesures qui devraient être prises, pour certaines dans un délai de cinq ans. En décembre 1998, un plan d’action sur la meilleure façon de mettre en oeuvre les dispositions du traité d’Amsterdam relatives à l’établissement d’un espace de liberté, de sécurité et de justice était adopté par le Conseil européen. Viendra ensuite Conseil européen de Tampere, en Finlande, les 15 et 16 octobre 1999. Le sommet de Tampere a fixé la démarche de l’Union pour atteindre ses objectifs dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Il marque une étape centrale dans la constitution de cet espace, faisant notamment de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires la pierre angulaire de la coopération judiciaire. Quatre grandes orientations devant présider à la construction de l’espace judiciaire pénal européen sont définies :

- le développement du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires ;

- l’harmonisation progressive des législations pénales des Etats membres ;

- la création d’agences de coopération européennes, dans le domaine policier et dans le domaine judiciaire ;

- l’intensification des relations de l’Union européenne avec les pays tiers et les organisations internationales ayant compétence en matière pénale.

Après le Conseil européen de Tampere, des progrès importants ont été faits, à la fois avec la création d’Eurojust, et avec la création d’instruments de coopération très efficaces, tels que la convention d’entraide judiciaire en matière pénale du 29 mai 2000 ou la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen du 13 juin 2002, cette dernière constituant jusqu’ici une des avancées les plus spectaculaires en matière de reconnaissance mutuelle.

En mars 2005, le programme dit de La Haye a été adopté par le Conseil européen, prenant la suite du programme de Tampere. Le programme de Stockholm, adopté le 11 décembre 2009 pour la période 2010-2014, a succédé au programme de La Haye. Enfin, le 1er décembre 2009 entrait en vigueur le traité de Lisbonne qui consacre la notion de parquet européen et dote l’Union d’outils à la mesure des défis à relever pour bâtir l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

2. La coopération policière

Comme le souligne Emmanuel Barbe dans son livre consacré à l’espace judiciaire européen(2), « la coopération policière issue de la convention d’application de l’accord de Schengen du 19 juin 1990 contient les principales mesures de coopération policière opérationnelle en vigueur entre tous les Etats membres ». La convention de Schengen a permis la mise en place de mesures innovantes « voire spectaculaires ». Ainsi, l’observation transfrontalière permet aux policiers d’un Etat membre, dans le cadre d’une enquête judiciaire, de continuer sur le territoire d’un autre Etat membre de l’espace Schengen la surveillance et la filature d’une personne. Un droit de poursuite existe également dans le cadre d’un flagrant délit ou d’une évasion, sans autorisation préalable. Les Etats membres ont toutefois à encadrer ce droit de poursuite. La coopération policière bilatérale a été encouragée avec la création de commissariats communs et des centres de coopération policière et douanière. Enfin, la création du système d’information Schengen (SIS) constitue sans nul doute une étape majeure en matière de coopération policière et judiciaire. Le système d’information Schengen est une base de données commune relative à des personnes (par exemple disparues ou recherchées) ou à des objets (par exemple des objets volés).

L’adoption de la convention Europol le 26 juillet 1995 (qui entrera en vigueur en juillet 1999) est un autre point clé de la coopération policière. Europol reçoit de la part des Etats membres les informations policières pour les infractions entrant dans son champ de compétence. Europol a pour objectif d’améliorer l’efficacité des services compétents des Etats membres et leur coopération en ce qui concerne la prévention et la lutte contre le terrorisme, le trafic illicite de stupéfiants et d’autres formes graves de la criminalité internationale, « pour autant que des indices concrets révèlent l’existence d’une structure ou d’une organisation criminelle et que deux Etats membres ou plus sont affectés par ces formes de criminalité d’une manière telle qu’au vu de l’ampleur, de la gravité et des conséquences des infractions une action commune des Etats membres s’impose » (article 2 de la convention). Europol a eu, dans un premier temps, pour tâche la prévention et la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants, de matières nucléaires et radioactives, les filières d’immigration clandestine, la traite des êtres humains et le trafic de véhicules volés. Europol a ensuite vu son champ de compétence nettement élargi pour couvrir un domaine large (lutte contre le terrorisme, blanchiment, faux monnayage, etc.).

L’information disponible peut ensuite être diffusée d’Europol vers un ou plusieurs Etats membres et analysée par Europol qui crée des fichiers d’analyse pour certaines affaires. Europol est une agence stratégique. Ses agents ne disposent pas de pouvoirs opérationnels mais peuvent participer, en appui, aux équipes communes d’enquête.

La décision 2009/371/JAI du 6 avril 2009 portant création de l’Office européen de police (Europol) a conféré à Europol le statut d’agence de l’Union européenne, financée par une subvention provenant du budget de l’Union, et a étendu ses missions (de la lutte contre la seule criminalité organisée à celle contre les formes graves de criminalité) tout en renforçant ses pouvoirs opérationnels, notamment dans le cadre des équipes communes d’enquête. Europol ne dispose cependant pas d’un pouvoir d’enquête autonome ni de pouvoirs coercitifs propres (ce qui d’ailleurs est expressément exclu par l’article 88 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

Le programme de La Haye a défini le principe de disponibilité selon lequel, à partir du 1er janvier 2008, tout agent des services répressifs qui a besoin d’informations dans l’exercice de ses fonctions peut les obtenir de la part d’un autre Etat membre qui détient ces informations. Il appartenait à la Commission européenne de déposer une proposition de mise en œuvre du principe de disponibilité.

Peu avant le dépôt de la proposition de la Commission européenne, le traité du Prüm, issu d’une initiative de sept Etats membres (Allemagne, Belgique et Luxembourg, rapidement rejoints par l’Autriche, les Pays-Bas, la France et l’Espagne), a été signé le 27 mai 2005. Il tend à approfondir la coopération transfrontalière policière dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée et la migration illégale. Le traité permet notamment les échanges d’information en matière de profils ADN, de données dactyloscopiques (empreintes digitales), sur la base d’une interrogation des autres fichiers nationaux par un point de contact national avec une réponse de type « hit/no hit »(3) (concordance/non-concordance) et de registres d’immatriculation des véhicules (l’accès direct aux bases de ces registres étant permis). Le traité a également prévu un cadre de protection des données.

En matière opérationnelle, le traité prévoit notamment la possibilité de constituer des patrouilles communes (contrairement aux dispositions de Schengen, ces formes de coopération ne doivent plus se limiter aux régions frontalières), la possibilité de travaux communs en matière de lutte contre l’immigration illégale et dispose que, dans une situation d’urgence, les fonctionnaires d’un Etat partie peuvent franchir sans autorisation préalable la frontière commune en vue de prendre, dans le respect du droit national de l’autre partie, les mesures provisoires nécessaires afin d’écarter tout danger menaçant la vie ou l’intégrité physique des personnes.

Dès le Conseil informel de Dresde, le 10 janvier 2007, il a été décidé d’intégrer les dispositions du traité dans le droit de l’Union. Une nouvelle fois, une coopération intergouvernementale sera répliquée au sein de l’Union.

Cette intégration a pris la forme d’une décision (décision 2008/615/JAI du Conseil du 23 juin 2008 relative à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière), d’une décision de mise en œuvre (décision 2008/616/JAI du Conseil concernant la mise en oeuvre de la décision 2008/615/JAI du Conseil du 23 juin 2008 relative à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière) et d’une annexe adoptées en juin 2008.

La reprise de « l’acquis de Prüm » dans les décisions qui relevaient à l’époque du troisième pilier de l’Union exclut la disposition autorisant le franchissement des frontières par des policiers étrangers en cas d’urgence.

A l’heure actuelle, selon les informations transmises aux rapporteurs, onze Etats membres, dont la France, ont débuté les accès aux fichiers de données ADN d’au moins un autre Etat membre (les Etats étant à des stades différenciés de leurs travaux), sept Etats membres, dont la France, sont opérationnels pour l’accès aux données dactyloscopiques d’au moins un autre Etat membre et sept Etats membres, dont la France, le sont pour l’accès aux fichiers d’immatriculation des véhicules d’au moins un autre Etat membre.

3. La coopération judiciaire pénale

a) La convention d’entraide judicaire pénale du 29 mai 2000

La coopération judiciaire pénale entre les Etats membres a longtemps reposé sur la convention du conseil de l’Europe de 1959 sur l’entraide judiciaire en matière pénale et son protocole de 1978. Est ensuite intervenue la convention d’application de l’accord de Schengen de 1990.

La convention européenne d’entraide en matière pénale du 29 mai 2000 et son protocole additionnel du 16 octobre 2001(4), est devenue au fil des années 2000 un dispositif central en matière d’entraide judiciaire pénale entre les Etats membres que les praticiens se sont rapidement approprié.

Elle repose sur le principe de la transmission directe des procédures entre les autorités judiciaires, sans passage préalable par une autorité diplomatique ou centrale, ce qui a considérablement fluidifié les échanges.

La convention a prévu de nouveaux modes d’entraide, tels que l’utilisation de la vidéoconférence pour procéder à des auditions sur le territoire d’un autre Etat membre, les livraisons surveillées et les enquêtes discrètes, la création des équipes communes d’enquête ou encore la communication d’informations bancaires.

Il n’existe pas de statistiques sur le volume des demandes d’entraide échangées au sein de l’Union européenne en raison du principe de transmission directe des demandes d’entraide d’autorité judiciaire à autorité judiciaire posé par la convention du 29 mai 2000.

Les équipes communes d’enquête, prévues par l’article 13 de la convention, permettent l’implication commune de plusieurs Etats membres. Ces équipes associent des magistrats et des enquêteurs de deux ou plusieurs pays au sein d’une même entité dans une affaire présentant un intérêt pénal commun. Il s’agit d’un dispositif très souple qui permet aux autorités des Etats membres impliqués d’échanger des informations, de mener des opérations d’investigation conjointement et de coordonner les poursuites. La France est l’Etat membre ayant eu le plus recours aux équipes communes d’enquête (37 réalisées depuis 2004, notamment avec l’Espagne) et les ministres de l’intérieur auditionnés par la Commission des affaires européennes ont tous souligné la qualité de cet instrument et l’usage régulier qu’en font les autorités françaises.

b) Le mandat d’arrêt européen, mesure phare de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires

L’adoption du mandat d’arrêt européen (décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres) a constitué une avancée majeure dans la coopération judiciaire pénale(5). Le projet, alors débattu depuis des années, a connu une accélération décisive suite aux attentats du 11 septembre 2001. La nécessité de répondre aux besoins des services d’enquête et des magistrats face au développement des réseaux criminels est apparue de manière criante.

Le mandat d’arrêt européen est défini comme toute décision judiciaire adoptée par un Etat membre en vue de l’arrestation ou de la remise par un autre Etat membre d’une personne aux fins de l’exercice de poursuites pénales, de l’exécution d’une peine ou de l’exécution d’une mesure de sûreté privative de liberté.

Le mandat est applicable en présence d’une condamnation définitive à une peine d’emprisonnement ou une mesure de sûreté d’une durée d’au moins quatre mois ou d’une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement ou une mesure de sûreté d’un maximum supérieur à un an est prévue.

A condition qu’elles soient punies dans l’Etat membre d’émission par une peine d’au moins trois ans, les infractions pouvant donner lieu à la remise sans contrôle de la double incrimination du fait sont, entre autres, le terrorisme, la traite des êtres humains, la corruption, la participation à une organisation criminelle, le faux monnayage, l’homicide, le racisme et la xénophobie, le viol, le trafic de véhicules volés et la fraude, y compris la fraude aux intérêts financiers de l’Union(6).

Pour les autres infractions, la remise peut être subordonnée à la condition que l’infraction pour laquelle la remise est demandée constitue aussi une infraction en application du droit de l’Etat membre d’exécution (contrôle de la double incrimination).

Un Etat membre ne donne pas exécution au mandat d’arrêt européen si un jugement définitif a déjà été rendu par un Etat membre pour la même infraction contre la même personne (principe du « non bis in idem »), l’infraction est couverte par une amnistie dans l’Etat membre d’exécution ou si la personne concernée ne peut pas être considérée responsable par l’Etat membre d’exécution en raison de son âge.

En présence d’autres conditions (prescription de l’action pénale ou de la peine en application des dispositions de l’Etat membre d’exécution, jugement définitif pour le même fait émis par un pays tiers, etc.), l’Etat membre d’exécution peut refuser de donner exécution au mandat. Le refus doit être motivé.

D’après le dernier rapport de la Commission européenne du 11 avril 2011 sur la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen, 54 689 mandats d’arrêt européens ont été émis depuis 2007 et 11 630 exécutés. Au cours de cette période, entre 51 et 62 % des personnes recherchées ont consenti à leur remise, en moyenne dans un délai de 14 à 17 jours. Il convient de rappeler le progrès accompli puisque, avant l’entrée en vigueur du mandat d’arrêt européen, la remise prenait en moyenne une année ! « Le mandat d’arrêt européen a notamment permis l’extradition de l’auteur d’un attentat à la bombe manqué à Londres, interpellé en Italie, d’un tueur en série allemand retrouvé en Espagne, d’un trafiquant de drogue présumé, originaire de Malte et extradé par le Royaume-Uni, des membres d’une bande ayant commis des vols à main armée, recherchés par l’Italie et arrêtés dans six pays de l’Union européenne, de même que, tout récemment, le démantèlement, dans cinq pays, d’un vaste réseau spécialisé dans le vol de marchandises sur les parkings d’autoroutes », rappelle la Commission européenne dans son communiqué de presse.

Entre 2004 et début 2011, 1 890 personnes ont été remises à la France, dont 601 nationaux des autres Etats membres remis par leur pays d’origine, la France ayant, elle, remis 2 581 personnes, dont 470 Français (statistiques du ministère de la justice, bureau de l’entraide pénale internationale).

Le tableau suivant présente la répartition des mandats d’arrêt européens concernant la France (total des mandats émis et reçus), par type d’infraction en 2010 :

Répartition des mandats d’arrêt européens par type d’infraction

08/03/2011

INFRACTIONS

2010

Infraction à la législation sur les stupéfiants

220

Vols commis en Bande

235

Escroqueries

120

Homicide volontaire, coups et blessures graves

102

Divers (Pension alimentaire, évasion, mae non transmis…)

55

Traite des êtres humains

44

Terrorisme

35

Viol

33

Falsification de document

35

Fraude portant atteinte aux intérêts financiers…

35

Enlèvement séquestration

14

Aide à l’entrée et au séjour irréguliers

16

Falsification de moyens de paiement

12

Extorsion de fonds

16

Blanchiment du produit du crime

11

Trafic de véhicules volés

2

Contrefaçon et piratage

10

Exploitation sexuelle des enfants

8

Faux monnayage

8

Trafic d’armes

5

Incendie volontaire

2

Corruption

0

Cybercriminalité

0

Trafic illicite de biens culturels

2

Sabotage

0

TOTAL

1020

Source : ministère de la justice.

Les personnes auditionnées par les rapporteurs ont toutes confirmé le rôle très important joué par le mandat d’arrêt européen et émis un avis très favorable sur cet instrument.

Toutefois, tout en soulignant la réussite opérationnelle de cet outil, la Commission européenne rappelle les préoccupations quant au respect des droits fondamentaux et à la manière dont certains Etats membres appliquent le mandat d’arrêt. Elle rappelle que, depuis le 1er décembre 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux a valeur contraignante.

En outre, pour garantir la confiance mutuelle et le fonctionnement durable du mandat d’arrêt européen, la Commission européenne recommande une plus grande vigilance au regard de la proportionnalité de la demande de remise.

Mandats d’arrêt européens dans les Etats membres

Nombre de mandats d’arrêt européens émis («émis»)

et nombre de mandats d’arrêt européens ayant conduit à la remise effective de la personne recherchée («exécutés») en 2009

Source : Commission européenne.

c) Les autres instruments de reconnaissance mutuelle

La déclinaison du principe de reconnaissance mutuelle, pierre angulaire de la coopération judiciaire pénale selon les conclusions du Conseil européen de Tampere, a donné lieu à l’adoption de plusieurs textes qui n’ont pas tous connu le succès du mandat d’arrêt européen. L’article 82, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que « la coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires ». La reconnaissance mutuelle implique qu’une décision judiciaire rendue dans un Etat membre soit reconnue et appliquée par un autre Etat membre comme une décision judiciaire nationale.

Plusieurs textes ont été adoptés au cours des dernières années, ayant trait à la reconnaissance mutuelle des décisions de condamnation pénale(7) (sanctions pécuniaires, confiscation), mais également aux peines d’emprisonnement et aux peines de substitution ainsi qu’aux mesures de contrôle(8). L’application de principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès a fait l’objet d’une décision-cadre spécifique(9).

En matière d’obtention de preuves, deux textes ont été adoptés en 2003 (décision-cadre 2003/577/JAI du conseil du 22 juillet 2003 relative à l’exécution dans l’Union européenne des décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve) et 2008 (décision-cadre 2008/978/JAI du Conseil du 18 décembre 2008 relative au mandat européen d’obtention de preuves). Il convient de noter que ce dernier texte doit être transposé au plus tard en janvier 2011 et que seul le Danemark a procédé à la transposition.

La décision-cadre sur le gel des biens vise à empêcher toute opération de destruction, transformation, déplacement, transfert ou aliénation d’éléments de preuve. Mais elle se limite à la phase de gel et ne concerne pas les demandes de transfert de preuves qui doivent dans un second temps être effectuées par le biais de l’entraide judicaire classique.

La décision-cadre sur le mandat européen d’obtention de preuves a été adoptée, à la suite de négociations difficiles, afin d’appliquer le principe de la reconnaissance mutuelle à l’obtention d’objets, de documents et de données destinés à être utilisés dans le cadre de procédures pénales. Cependant, le mandat européen d’obtention de preuves n’est applicable qu’aux éléments de preuve qui existent déjà et exclut notamment d’être utilisé pour procéder à des interrogatoires de suspects, pour collecter des dépositions de témoins ou de victimes, pour réaliser des prélèvements sur une personne (ADN), ou encore pour obtenir des preuves en temps réel (écoutes téléphoniques, surveillance de comptes bancaires). A l’heure actuelle, le mandat européen d’obtention de preuve n’est pas utilisé, les autorités judiciaires recourant à la coopération judiciaire antérieure. Un nouvel instrument est d’ores et déjà en voie d’adoption.

Le programme de Stockholm adopté le 11 décembre 2009 prévoit, vu le cadre juridique existant trop fragmenté, la mise en œuvre d’un système global d’obtention de preuves dans les affaires revêtant une dimension transfrontalière. Le nouvel instrument devrait, dans la mesure du possible, couvrir tous types d’éléments de preuves et limiterait autant que possible les motifs de refus.

Une proposition de directive sur la décision d’enquête européenne en matière pénale a été déposée (document E 5288) en vue de répondre à cet objectif. Il s’agirait de créer une « décision d’instruction européenne » devant être émise pour faire réaliser une ou plusieurs mesures d’instruction spécifiques dans l’Etat d’exécution en vue de recueillir des preuves. Le projet de texte, actuellement en négociation, a posé de sérieux problèmes, notamment s’agissant des motifs de refus et de la volonté de certains Etats membres d’introduire un contrôle de la double incrimination.

Un accord a été trouvé lors du dernier Conseil Justice et affaires intérieures du 9 juin 2011 selon lequel il n’y aurait pas de retour en arrière par rapport aux instruments existants(10).

d) La coopération au sein d’Eurojust

Eurojust a été créée par la décision du Conseil no 2002/187/JAI du 28 février 2002 afin de renforcer la lutte contre les formes graves de la criminalité organisée. Eurojust intervient dans le cadre d’enquêtes et de poursuites concernant au moins deux Etats membres afin de promouvoir et améliorer la coordination entre les autorités compétentes des Etats membres et de les soutenir.

L’unité Eurojust, d’essence intergouvernementale, est un organe de l’Union européenne doté de la personnalité juridique qui agit en tant que collège ou par l’intermédiaire des membres nationaux. Eurojust est composée de vingt-sept membres nationaux (un par Etat membre) qui doivent avoir la qualité de juge, de procureur ou d’officier de police ayant des prérogatives équivalentes. Ce sont les Etats membres qui établissent la nature et l’étendue des pouvoirs de leur représentant national.

Les pouvoirs d’Eurojust sont limités. Eurojust est une unité de coordination des enquêtes et des poursuites mais ne peut pas effectuer d’actes d’investigation. Elle ne peut que demander aux autorités judiciaires des Etats membres d’engager une enquête ou des poursuites, de se dessaisir au profit d’une autre autorité judiciaire ou de mettre en place des équipes communes d’enquête.

Le réseau judiciaire européen en matière pénale est un partenaire d’Eurojust dans la coopération judiciaire et a été créé par une action conjointe du 29 juin 1998 afin d’améliorer l’entraide judiciaire entre les Etats membres. Il se compose de points de contact judiciaires établis dans chaque Etat membre de l’Union européenne et au sein de la Commission européenne. Son but est d’aider les juges et les procureurs nationaux à mener des enquêtes et poursuites transfrontalières.

La décision du Conseil 2009/426/JAI du 16 décembre 2008 est venue consolider l’unité dans la lutte contre les formes graves de criminalité. Auditionnée par la commission des affaires européennes le 4 juin 2008, Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux présentait la proposition de renforcement, alors encore au stade des négociations : « Eurojust est le pilier de la coopération pénale et permet, avec ses vingt-sept magistrats, de suivre les procédures très lourdes. La France, avec treize autres Etats membres, souhaite lui donner des pouvoirs autonomes et permettre à cette agence de prendre des initiatives. Puisque le mandat d’arrêt européen existe, il est nécessaire qu’Eurojust puisse disposer d’un pouvoir approprié. Idéalement, Eurojust devrait devenir un Parquet européen. A l’heure actuelle, la Grande-Bretagne y est opposée car elle craint une immixtion dans une compétence régalienne. Une proposition pour le renforcement d’Eurojust a été déposée et un accord politique partiel devrait pouvoir être atteint prochainement. Le texte vise à accroître la remontée de l’information des juridictions vers Eurojust, donner plus de pouvoir aux membres nationaux qui pourraient par exemple ordonner des livraisons surveillées ou participer à des équipes communes d’enquête, afin de lutter efficacement contre le blanchiment d’argent et le trafic de drogue et, enfin, créer une cellule d’urgence de coordination. »

La décision du 16 décembre 2008 prévoit:

- d’harmoniser le statut des membres nationaux : leur mandat doit être au minimum de quatre ans et ils doivent obligatoirement bénéficier de l’assistance d’un adjoint et d’un membre assistant. Ils devraient être établis de manière habituelle au siège d’Eurojust à La Haye ;

- que pour faire face aux situations d’urgence, une cellule de coordination d’urgence sera mise en place grâce à laquelle un système de permanence est accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ;

- d’élargir les compétences des membres nationaux : ils peuvent demander la mise en oeuvre de techniques d’enquête spéciales, d’une équipe commune d’enquête ou de toute autre mesure justifiée. Les membres nationaux peuvent participer aux équipes communes d’enquête. Ils ont un accès renforcé aux informations contenues dans les fichiers nationaux mis en œuvre dans leur Etat (le casier judiciaire, les registres des personnes arrêtées, les registres d’enquête et les registres ADN). En accord avec l’autorité nationale compétente, les membres nationaux peuvent bénéficier de pouvoirs plus étendus et avoir un pouvoir décisionnel propre: ils peuvent émettre et exécuter dans leur Etat membre des demandes de coopération judiciaire, ordonner dans leur Etat membre des mesures d’enquête jugées nécessaires ainsi qu’autoriser et coordonner des livraisons contrôlées. Des pouvoirs plus étendus leurs sont conférés en cas d’urgence (coordination des livraisons contrôlées, exécution d’une demande de coopération judiciaire) ;

- de permettre au collège d’Eurojust d’émettre des avis non contraignants, notamment en cas de conflit de compétence. L’article 7 de la décision prévoit que lorsque deux membres nationaux ou plus ne peuvent s’accorder sur un conflit de compétence concernant l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites, « le collège est invité à rendre par écrit un avis non contraignant sur le conflit, pour autant qu celui-ci ne puisse être résolu par accord mutuel entre les autorités concernées ». Bien que l’avis revête un caractère non contraignant, le texte confère une légitimité à Eurojust pour trancher ces questions ;

- de favoriser la transmission d’informations à Eurojust ;

- de renforcer la complémentarité avec le réseau judiciaire européen.

Il est encore trop tôt pour déterminer quels seront les résultats de la mise en œuvre de cette réforme, cet instrument devant être transposé avant le 4 juin 2011. Le bureau français d’Eurojust comprend, outre le membre national, deux adjoints depuis 2008 et un assistant en prévision de la mise en œuvre de la décision du 16 décembre 2008. La transposition de la décision renforçant Eurojust devrait intervenir au plan législatif dans un projet de loi qui serait déposé à l’automne 2011 par le gouvernement français.

Il convient de souligner que la France a été le premier Etat membre à saisir le collège d’Eurojust pour avis sur le règlement d’un conflit de compétence et à s’y conformer(11). Suite au naufrage du pétrolier Prestige, le 19 novembre 2002, deux informations judiciaires ont été ouvertes en France et en Espagne. De nombreux échanges ont eu lieu entre les autorités françaises et espagnoles, accompagnées par Eurojust. Dans une décision du 10 novembre 2005, Eurojust a recommandé à la France de dénoncer les faits aux autorités espagnoles, ce qui a été fait le 7 mars 2007.

L’encadré suivant, extrait du rapport d’information de M. Guy Geoffroy déposé le 13 avril 2011 en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la prostitution en France (rapport no 3334 présenté par M. Guy Geoffroy, rapporteur, page 274), expose un exemple de procédure facilitée par Eurojust.

En 2004, quatre personnes prostituées bulgares portent plainte à Nîmes pour un vol commis dans leur appartement. Les policiers décident de mener une enquête pour proxénétisme et traite des êtres humains et parviennent à identifier le réseau auquel elles appartiennent, qui compte cent treize personnes prostituées dans toutes les grandes villes françaises, provenant d’un même village bulgare.

Des mandats d’arrêt européens sont délivrés pour que les têtes de réseau (douze Bulgares) soient arrêtées.

Eurojust est saisie en 2007 par le juge d’instruction français qui s’inquiète que trois des douze personnes visées par ses mandats ne lui soient pas remis, pour insuffisance de charges. En effet, cela traduisait une mauvaise volonté des autorités bulgares. Grâce à l’intervention du bureau français d’Eurojust auprès de son homologue bulgare, deux des trois mandats d’arrêt sont exécutés. Pour ce qui est de la troisième personne, le mandat d’arrêt se heurtait à la règle non bis in idem, dans la mesure où elle était poursuivie pour les mêmes faits en Bulgarie. Il a alors été proposé d’émettre un nouveau mandat d’arrêt qui ne mentionne pas les victimes communes aux dossiers français et bulgare. Malgré un refus initial, une remise temporaire est accordée grâce à l’intervention en urgence d’Eurojust, pour que ce suspect puisse être présent à l’audience.

En août 2010, Eurojust est saisi pour faciliter le transfert en Bulgarie de l’un des individus remis, après une condamnation définitive à huit ans d’emprisonnement.

Source : déplacement à La Haye, rencontre avec M. Mahrez Abassi, adjoint du membre national représentant à la France à Eurojust, le 13 janvier 2011.

B. La nécessité de faire un pas en avant décisif avec le parquet européen

Les instruments existants demeurent, malgré les avancées réalisées, insuffisants, que ce soit en matière de protection des intérêts financiers ou, de manière plus marquée, de criminalité grave transnationale. C’est pourquoi la mise en œuvre du parquet européen constituerait un progrès décisif.

A la lecture de l’article 86 TFUE créé par le traité de Lisbonne, une des principales questions soulevées a trait au champ de compétence du parquet européen.

1. La protection des intérêts financiers de l’Union est certes un objectif légitime…

a) Le rôle de l’OLAF

La Commission européenne a créé l’OLAF par sa décision du 28 avril 1999 instituant l’Office européen de lutte antifraude (OLAF)(12). L’Office exerce les compétences de la Commission en matière d’enquêtes administratives externes en vue de renforcer la lutte contre la fraude, contre la corruption et contre toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, ainsi qu’aux fins de la lutte antifraude concernant tout autre fait ou activité d’opérateurs en violation de dispositions communautaires. L’OLAF est également chargé des enquêtes administratives internes destinées à lutter contre la fraude et la corruption et à rechercher les faits graves, liés à l’exercice d’activités professionnelles, pouvant constituer un manquement aux obligations des fonctionnaires et agents des Communautés ou un manquement aux obligations analogues des membres des institutions et organes de l’Union. L’OLAF organise également une collaboration étroite et régulière entre les autorités nationales compétentes en matière de lutte contre la fraude aux intérêts communautaires.

Tout en ayant un statut particulier d’indépendance pour la fonction d’enquête, l’OLAF fait toujours partie de la Commission européenne. Il est placé sous la compétence de M. Algirdas Šemeta, commissaire en charge de la fiscalité et de l’union douanière, de l’audit et de la lutte antifraude.

L’OLAF est indépendant dans sa fonction d’enquête. Le directeur de l’Office, M. Giovanni Kessler depuis le 14 février 2011, ne sollicite ni n’accepte d’instructions de la Commission, d’aucun gouvernement ni d’aucune autre institution, organe ou organisme. Le directeur est nommé pour une durée de cinq ans par la Commission, après concertation avec le Parlement européen et le Conseil.

L’OLAF est soumis, sans ses fonctions d’enquête, au contrôle du Comité de surveillance, composé de cinq personnalités extérieures aux institutions communautaires, indépendantes et particulièrement qualifiées.

En 2009, l’OLAF a reçu 969 dossiers d’informations, a ouvert 220 dossiers d’enquête et a concentré ses efforts sur les cas les plus sérieux (approche de minimis) et relevant le plus clairement de son mandat (13). Dans environ un tiers des 220 cas ouverts, l’OLAF assistait les autorités d’un Etat membre. 60 % des dossiers ouverts sont clôturés par l’OLAF en moins de deux ans. La durée des enquêtes fait partie des reproches adressés à l’Office. En 2009, les secteurs ayant représenté les cas les importants de fraude étaient l’agriculture et les fonds structurels (la répartition étant très variable d’une année à l’autre). D’une manière générale, l’Office a identifié un besoin de surveillance approfondie dans les agences européennes nouvellement créées.

Dans son dernier rapport de février 2011, portant sur la période de juin 2009 à décembre 2010, le comité de surveillance a souligné la nécessité de raccourcir la durée des enquêtes de l’OLAF et de mieux concentrer ses ressources sur les cas les plus sérieux. Un suivi spécifique de meilleure qualité doit être effectué pour les enquêtes d’une durée supérieure à neuf mois. Les recours portés devant la Cour de justice des Communautés européennes en 2006, 2007 et 2008 ont démontré des erreurs et des faiblesses dans le respect des droits fondamentaux des personnes mises en cause et dans le respect des garanties procédurales(14). Si les enquêtes internes relèvent de règles protégeant les personnes bien établies, les enquêtes externes ne relèvent pas de règles spécifiques et sont soumises à des pratiques variables au sein de l’OLAF. Le comité de surveillance, tout en estimant que l’OLAF respecte les droits fondamentaux et les garanties procédurales d’une manière générale, a émis des recommandations pour la conduite des investigations tendant à un meilleur respect des droits des personnes en termes d’impartialité, de confidentialité et de durée des enquêtes.

La Cour des comptes européenne, dans son rapport spécial no 2 de l’année 2011, relatif au suivi du rapport spécial 1/2005 relatif à la gestion de l’OLAF, a, de nouveau, recommandé à l’Office de recentrer ses activités sur la fonction d’enquête et d’accélérer le rythme des enquêtes (la Commission européenne considérant l’OLAF comme un service en charge de la lutte antifraude dans son ensemble et non uniquement dédié à la fonction d’enquête). Bien que des progrès notables aient été réalisés depuis 2005, la Cour estime que l’OLAF devrait renforcer l’efficacité des enquêtes (notamment par l’amélioration de la coopération avec les services compétents des Etats membres, du partenariat avec Eurojust ainsi que par la fixation d’objectifs clairs en termes de délais).

La Commission européenne a présenté le 25 mars 2011 une proposition de règlement relative à l’OLAf (COM [2011] 135 final)(15) (document E 6139). Cette proposition fait suite à l’échec d’une procédure engagée en 2006 avec la proposition d’une première modification du règlement (COM [2006] 244). La proposition vise à :

- renforcer l’efficacité des enquêtes de l’OLAF : le comité de surveillance serait tenu d’étudier la durée des enquêtes avec un suivi des enquêtes d’une durée supérieure à 12 mois ; les institutions et organes dont les membres ou membres du personnel font l’objet d’une enquête seraient informés par l’OLAF pour qu’ils puissent prendre des mesures conservatoires ; l’approche de minimis serait clarifiée, l’Office devant tenir compte des priorités de la politique en matière d’enquête et de l’utilisation efficiente de ses ressources ; pour les enquêtes internes, l’OLAF devrait déterminer si l’organisme concerné est mieux à même de mener l’enquête ; chaque Etat membre devrait désigner une autorité chargée d’assister l’OLAF dans sa collaboration avec les autorités compétentes ; les Etats devraient rendre compte à l’office, à sa demande, des mesures prises après transmission des informations ; les arrangements administratifs avec Eurojust, Europol, les pays tiers et les organisations internationales pour faciliter l’échange d’informations seraient encouragés ; le mandat du directeur général ne serait pas renouvelable ;

- le rôle du comité de surveillance serait clarifié et assurerait le suivi des échanges d’information et des évolutions relatives aux règles de procédure. Il serait consulté pour la nomination du directeur général et des directeurs suppléants. Un échange de vues entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne, avec la participation de l’Office et du comité de surveillance, devrait favoriser les échanges d’informations et d’opinions pour accroître l’efficacité des activités de l’OLAF et serait organisé de manière flexible ;

- les droits procéduraux des personnes concernées seraient renforcés(16) avec institution d’une procédure de contrôle interne. Le cadre de la protection des données serait amélioré avec la nomination d’un délégué à la protection des données. Les communications au public devraient préserver la confidentialité des enquêtes, la présomption d’innocence et être impartiales.

Les évolutions proposées sont positives, notamment en matière de protection des droits des personnes impliquées. Les autorités françaises soutiennent la proposition, tout en souhaitant avoir des éclaircissements sur le rôle exact du service national de coopération antifraude que la Commission européenne souhaite voir institué dans chaque Etat membre.

b) La situation en matière de protection des intérêts financiers demeure insatisfaisante

Il n’est pas ici question de mésestimer l’enjeu de la protection des intérêts financiers de l’Union européenne qui, il faut le rappeler, concerne bien chaque contribuable européen. En outre, toute fraude pénalise la mise en œuvre des politiques de l’Union et est, tout particulièrement en cette période de crise financière, inacceptable.

La définition des atteintes aux intérêts financiers de l’Union devra être précisée. La convention du 26 juillet 1995 relative à la protection des intérêts financiers de l’Union a retenu une acception stricte de la notion en ne visant que les fraudes qui sont directement rattachées, soit à des dépenses, soit à des recettes de l’Union. Deux protocoles additionnels ont ajouté la corruption active et passive impliquant des fonctionnaires nationaux ou communautaires ainsi que les actes de blanchiment. Dans son Livre vert de 2001, la Commission européenne recommandait d’étendre la compétence du procureur européen aux fraudes en matière de TVA lors des échanges intracommunautaires (phénomènes de type « carrousel TVA ») : « en outre, le procureur devrait être compétent en ce qui concerne les recettes provenant de l’application d’un taux uniforme à l’assiette de la TVA des Etats membres, dans les cas transnationaux dont le traitement au niveau communautaire apparaît particulièrement pertinent ». En effet, si ce type de phénomène ne constitue pas une atteinte directe aux recettes de l’Union, il existe un réel intérêt à engager des enquêtes et des poursuites au niveau de l’Union(17). Les montants en jeu ne sont pas négligeables puisque, à titre d’exemple, l’impact financier d’une fraude majeure sur les crédits carbone a été estimée, par Europol, à 5 milliards d’euros pour la période comprise entre juin 2008 et juin 2009(18).

La question de l’atteinte aux intérêts financiers de l’Union appellera donc des clarifications si ce champ de compétence devait être retenu. Le Corpus Juris avait dressé une liste de huit infractions comprenant notamment, outre la définition de la convention relative à la protection des intérêts financiers de l’Union, la fraude en matière de passation de marché publics, la corruption de fonctionnaire européen et l’abus de fonction.

Dans son étude(19), le Conseil d’Etat relève qu’ « il pourrait être justifié de faire prévaloir, d’une part, une conception stricte quant au caractère direct de l’atteinte portée à ces intérêts et, d’autre part, une conception large, s’agissant des faits et des comportements susceptibles de constituer l’élément matériel de ces mêmes infractions. »

L’estimation des atteintes aux intérêts financiers de l’Union n’est pas aisée. Dans sa résolution du 6 mai 2010 relative à la protection des intérêts financiers des Communautés et à la lutte contre la fraude, le Parlement européen invitait la Commission européenne à engager avec les parties concernées, y compris la société civile, des discussions et des consultations préliminaires sur tous les aspects liés à la création d’un parquet européen chargé de combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

Dans son rapport annuel 2009 au Parlement européen et au Conseil sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne et la lutte contre la fraude (COM [2011] 382 final), la Commission européenne présente les statistiques relatives aux irrégularités communiquées par les Etats membres dans les domaines où ils exécutent le budget (politique agricole, politique de cohésion et fonds de préadhésion, soit environ 80 % du budget) et pour la collecte des ressources propres traditionnelles de l’Union européenne. Elle estime les irrégularités survenues dans le domaine des dépenses gérées directement par la Commission.

Ces statistiques doivent être lues et utilisées avec beaucoup de précautions car une irrégularité communiquée ne constitue généralement pas une fraude (qui est un acte intentionnel). De même, une fraude présumée communiquée n’est pas nécessairement une fraude confirmée par décision d’un tribunal. L’impact financier des soupçons de fraudes pour 2009 était évalué à 279,8 millions d’euros (contre 152,2 millions d’euros en 2008, la hausse ayant essentiellement concerné la politique de cohésion et les fonds de préadhésion). S’agissant des dépenses gérées par la Commission européenne, le montant des soupçons de fraude s’élevait à 1,5 million d’euros. L’impact financier des irrégularités, y compris les soupçons de fraude, atteignait 1,86 milliard d’euros.

La Commission européenne a dressé un bilan très mitigé des résultats obtenus jusqu’à présent dans sa communication du 26 mai 2011 intitulée : « la protection des intérêts financiers de l’Union par le droit pénal et les enquêtes administratives. Une politique intégrée pour protéger l’argent des contribuables» (COM [2011] 293 final).

En 2009, les Etats membres ont signalé des cas de fraude présumée sur des fonds de l’Union européenne gérés nationalement pour un montant de près de 280 millions d’euros. Interrogée par les rapporteurs, Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, a souligné que, selon certains Etats membres, il n’existait aucune fraude aux intérêts financiers de l’Union sur leur territoire. Cela démontre le peu de sérieux avec lequel ces affaires sont parfois suivies. Les Etats membres affichant des cas de fraude plus nombreux n’y sont pas plus exposés par nature mais y accordent une plus grande attention. Le niveau de protection des intérêts financiers par le droit pénal varie donc toujours considérablement d’un Etat membre à l’autre.

La Commission européenne souligne le morcellement du cadre juridique et procédural en matière de fraude aux intérêts financiers de l’Union. Elle juge que seuls cinq Etats membres ont parfaitement mis en œuvre les instruments établissant les normes minimales (convention de 1995 relative aux intérêts financiers de l’Union et ses actes liés). Dans son rapport de 2008 sur la mise en œuvre des instruments relatifs à la protection des intérêts financiers (COM [2008] 77), la Commission européenne soulignait que la France n’avait pas transposé la mesure tendant à punir la fraude lorsqu’elle prend la forme de non-communication d’informations et n’avait pas transmis suffisamment d’informations sur d’autres points.

60 % des procureurs nationaux spécialisés dans la protection des intérêts financiers interrogés dans une étude récente mandatée par la Commission européenne(20) considèrent la dimension européenne comme un facteur handicapant, et 54 % limitent donc parfois leurs enquêtes aux éléments nationaux. 40 % estiment que la législation nationale les dissuade d’engager des poursuites dans des affaires européennes et 37 % ont déjà renoncé à contacter une institution européenne dans des cas pertinents, essentiellement parce que cela prend beaucoup de temps.

Les Etats membres ont l’obligation juridique (article 325 TFUE) de combattre les activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Toutefois, la définition des infractions, la nature des sanctions et leur niveau ou encore les délais de prescription ne sont pas harmonisés, ce qui empêche une protection uniforme par le droit pénal.

Les enquêtes que doivent mener les autorités judiciaires en ces matières recouvrent souvent une dimension transfrontalière. Or, elles ne disposent pas toujours des moyens appropriés pour faire face à de telles enquêtes. La coopération judiciaire pénale prend encore souvent trop de temps et demeure trop complexe, ce qui peut rendre les autorités judiciaires réticentes à employer les instruments existants (gel des avoirs, confiscation).

La Commission européenne souligne également un taux de classement sans suite pour des motifs discrétionnaires très élevé s’agissant des dossiers transmis par l’OLAF aux autorités nationales.

En conséquence, la Commission européenne, constatant que la situation évolue peu, compte s’appuyer sur le traité de Lisbonne qui offre à l’Union un cadre clair pour renforcer son action en matière de droit pénal. Elle annonce son intention de réfléchir à de nouveaux instruments de protection des intérêts financiers de l’Union ainsi qu’au rôle des organes européens (OLAF, Eurojust et un éventuel parquet européen).

La Commission européenne prépare une proposition législative sur le recouvrement et la confiscation des avoirs et une proposition sur les échanges transversaux d’informations entre la police, les douanes, les autorités fiscales, les autorités judiciaires et les autres services compétents. La Commission envisage une initiative législative visant à assurer la force probante des rapports d’enquête de l’OLAF et réfléchit aussi à d’autres mesures à même de faciliter la réunion transnationale de preuves. La Commission va par ailleurs préparer une initiative sur la protection des intérêts financiers de l’Union.

Enfin, la Commission européenne souhaite moderniser Eurojust et lui donner le pouvoir de déclencher des enquêtes pénales en cette matière. En outre « un ministère public européen spécialisé, comme le Parquet européen, pourrait contribuer à la création d’un espace cohérent et homogène en prévoyant l’application de règles communes à la fraude et aux autres infractions affectant les intérêts financiers européens, et en recherchant, poursuivant et renvoyant en jugement les auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ».

La plus-value du parquet européen pour la protection des intérêts financiers de l’Union est certaine et peut être démontrée aux citoyens européens, notamment dans une période crise financière telle que celle que nous traversons. Cet objectif ne doit pas être considéré comme secondaire, voire technocratique et éloigné des réalités concrètes, en ce qu’il touche in fine tout contribuable et tout bénéficiaire des politiques européennes.

Auditionné par la Commission des affaires européennes le 8 juin 2011, M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, indiquait, s’agissant du parquet européen :

« Avant toute chose, il sera indispensable de définir clairement le champ de compétences du parquet européen, ce qui revient à se poser la question des motifs qui doivent, ou pas, conduire à l’instituer. Le traité mentionne à cet égard deux possibilités : atteintes aux intérêts financiers de l’Union et criminalité organisée. J’ai tendance à penser qu’au moins dans un premier temps, si le parquet européen devait être mis en place, il faudrait limiter sa compétence à la protection des intérêts financiers de l’Union. Cela éviterait que le parquet européen ne se trouve en concurrence avec les parquets nationaux. »

2. …mais la lutte contre la criminalité grave transnationale devra faire partie des compétences du parquet européen.

Les rapporteurs ont toutefois, par leurs travaux, acquis la conviction profonde que l’apport majeur du parquet européen résiderait dans la lutte contre la criminalité grave transnationale.

En premier lieu, les rapporteurs sont d’avis qu’il est aujourd’hui artificiel de vouloir séparer hermétiquement la fraude aux intérêts financiers de l’Union de la grande criminalité transfrontière car les réseaux criminels ne limitent, en règle générale, pas leurs activités à une seule branche. Cela a été confirmé par M. Giovanni Kessler, directeur général de l’OLAF, qui s’appuyait d’ailleurs sur cet argument pour transmettre sa conviction que si le parquet européen devait voir ses compétences limitées dans un premier temps à la protection des intérêts financiers de l’Union, la nécessité d’un élargissement de son champ de compétence serait rapidement démontrée par les liens que son action ne manquerait pas de révéler entre les différentes formes de criminalité.

L’OLAF a déjà à traiter d’affaires impliquant des réseaux criminels dont les activités ne se limitent pas à la fraude aux intérêts financiers de l’Union.

Faut-il limiter le rôle du parquet européen à la protection des intérêts financiers de l’Union ? Les rapporteurs jugent qu’il faut permettre, dès sa création, au parquet européen de poursuivre les infractions en matière de criminalité grave transnationale.

La protection des intérêts financiers était probablement ce qui était le plus acceptable pour les Etats membres en termes de souveraineté nationale il y a dix ans de cela.

Mais le cœur de l’activité d’un parquet européen doit être de lutter contre la criminalité grave transnationale qui touche les citoyens européens et contre laquelle ils attendent des actions efficaces de la part de l’Union européenne. La traite des êtres humains, le terrorisme, le trafic de drogues sont autant de préoccupations très concrètes pour les citoyens européens auxquelles l’Europe doit apporter une réponse plus satisfaisante.

Le parquet européen n’est pas la seule réponse possible mais les limites de la coopération judiciaire pénale sont évidentes. Il s’agit bien là d’un choix éminemment politique, qui aura des incidences certaines sur les systèmes judiciaires pénaux des Etats membres et sur leur politique pénale. Les rapporteurs ont bien conscience de tous les obstacles, à la fois politiques et juridiques, qui ne manqueront pas de se dresser sur la voie de l’édification d’un parquet européen.

Il ne s’agit pas de rêver à une utopie mais bien de soutenir de manière constructive un projet vieux de vingt ans et qui voit, avec le traité de Lisbonne, ses possibilités de réalisation concrétisées – quelles que soient les difficultés soulevées par le traité. L’Assemblée nationale et le gouvernement français avaient adopté une position volontariste dès 2003 et l’évolution de la criminalité transnationale rend cette position d’autant plus pertinente.

Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet, en son article 86, sous réserve d’un vote à l’unanimité au Conseil après approbation du Parlement européen, la création d’un parquet européen pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et, simultanément ou ultérieurement, selon une procédure spéciale requérant également l’unanimité au Conseil, aux fins de la lutte contre la criminalité grave transnationale.

Article 86 TFUE

1. Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust. Le Conseil statue à l’unanimité, après approbation du Parlement européen.

En l’absence d’unanimité, un groupe composé d’au moins neuf Etats membres peut demander que le Conseil européen soit saisi du projet de règlement. Dans ce cas, la procédure au Conseil est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil pour adoption.

Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf Etats membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de règlement concerné, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l’autorisation de procéder à une coopération renforcée, qui est visée à l’article 20, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne et à l’article 329, paragraphe 1, du présent traité, est réputée accordée et les dispositions sur la coopération renforcée s’appliquent.

2. Le Parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, tels que déterminés par le règlement prévu au paragraphe 1. Il exerce devant les juridictions compétentes des Etats membres l’action publique relative à ces infractions.

3. Les règlements visés au paragraphe 1 fixent le statut du Parquet européen, les conditions d’exercice de ses fonctions, les règles de procédure applicables à ses activités, ainsi que celles gouvernant l’admissibilité des preuves, et les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure qu’il arrête dans l’exercice de ses fonctions.

4. Le Conseil européen peut, simultanément ou ultérieurement, adopter une décision modifiant le paragraphe 1 afin d’étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et modifiant en conséquence le paragraphe 2 en ce qui concerne les auteurs et les complices de crimes graves affectant plusieurs Etats membres. Le Conseil européen statue à l’unanimité, après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission.

Par prudence et par souci de réalisme, nombre des interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs ont indiqué que s’en tenir à la protection des intérêts financiers de l’Union était préférable dans un premier temps, au vu des grandes réticences de principe existant à l’encontre du parquet européen. La protection des intérêts financiers mènerait, à terme, à la criminalité grave transnationale. Il ne faudrait donc pas craindre de viser la protection des intérêts financiers dans un premier temps. Toutefois, les rapporteurs estiment que se limiter à la protection des intérêts financiers est dangereux en ce que cela risque de retarder voire de rendre impossible la création d’un parquet européen tel qu’ils le soutiennent. En outre, même si les Etats membres décidaient de s’en tenir à la protection des intérêts financiers, l’ensemble des obstacles procéduraux et de contrôle juridictionnel devraient tout autant être résolus – pour un résultat qui apparaît trop modeste aux rapporteurs.

Auditionnée par la Commission des affaires européennes le 3 février 2010, Mme Alliot-Marie, alors garde des Sceaux, ministre de la justice, avait indiqué : « Il faut aussi veiller à la cohérence de nos politiques pénales. La stratégie de sécurité intérieure doit intégrer les priorités de politiques pénales. Les autorités nationales en charge de leur définition peuvent travailler ensemble aux bases d’une politique pénale européenne. Eurojust est un interlocuteur reconnu dans le domaine de la coopération judiciaire. Il doit évoluer vers un parquet européen, sur décision unanime du Conseil. A notre demande, le programme [de Stockholm] intègre une référence explicite à cet objectif inclus dans le traité de Lisbonne. Pour autant, je ne sous-estime pas les difficultés de sa mise en œuvre. Eurojust doit encore gagner en légitimité au sein des institutions. »

En second lieu, les rapporteurs estiment que la traite des êtres humains, sur laquelle une nouvelle directive vient d’être adoptée, doit être au cœur des réflexions. Elle révèle, avec le terrorisme et le trafic de drogue, à quel point la lutte contre criminalité transnationale nécessite des réponses nouvelles pour des enjeux très concrets.

La directive adoptée le 21 mars 2011(21) permettra de mieux lutter contre cette criminalité, par essence transnationale.

La définition commune de l’infraction élargie (elle comprendra la mendicité forcée, l’exploitation d’activités criminelles et le prélèvement d’organes) ainsi que des circonstances aggravantes, l’application de peines plus sévères et le principe d’immunité des victimes pour les activités illégales dans lesquelles elles ont été entraînées constituent autant d’éléments de rapprochement des législations des Etats membres.

La compétence territoriale des Etats membres a été étendue afin de pouvoir, le choix étant laissé aux Etats membres, poursuivre les résidents de l’Etat pour des infractions commises dans d’autres pays et de pouvoir poursuivre lorsque les infractions ont été commises à l’étranger contre un ressortissant ou un résident. L’utilisation des moyens d’enquête caractéristiques de la lutte contre la criminalité organisée, comme les écoutes téléphoniques et le dépistage des produits du crime, est prévue.

Un traitement spécifique devra être accordé aux victimes particulièrement vulnérables, en vue de prévenir la victimisation secondaire. La directive prévoit également la protection policière des victimes et une assistance juridique pour leur permettre de réclamer une indemnisation. Des mesures de protection spécifiques sont prévues pour les enfants. Les mesures de soutien aux victimes sont renforcées. Des mesures de prévention tendent à décourager la demande qui favorise la traite, à alerter les victimes potentielles et à sensibiliser et former le personnel des autorités publiques susceptible d’être en contact avec les victimes.

Le contrôle de la mise en œuvre des mesures prévues par la directive devra être assuré par les rapporteurs nationaux ou les mécanismes équivalents. La directive devra être transposée dans un délai de deux ans, soit avant le 6 avril 2013.

La Commission européenne s’est, à raison, félicitée de l’adoption de cette directive. Toutefois, à quoi bon affirmer la priorité accordée à la lutte contre la traite des êtres humains si l’Union n’envisage pas de se doter de l’outil le mieux à même de lutter contre ce fléau : le parquet européen ? Les instruments d’harmonisation permettront de renforcer la confiance mutuelle dans la sécurité et les garanties apportées par les systèmes judiciaires pénaux des autres Etats membres. Mais le parquet européen serait le mieux à même de lutter contre cette criminalité, du fait de son caractère transnational, de l’hétérogénéité des trafics menés par un même réseau et de la déréliction des poursuites. Les interlocuteurs rencontrés ont souligné qu’il manque parfois des autorités judiciaires pour engager les poursuites dans certaines affaires de traite des êtres humains, les victimes étant souvent originaires de pays où on ignore qu’elles sont parties ou où elles se trouvent.

Seul un parquet européen pourrait disposer des instruments juridiques permettant de lutter à armes égales, et pourquoi pas avec un coup d’avance, contre des réseaux internationaux et multiformes. Il est impossible de saisir l’étendue des trafics lorsque l’on s’en tient au plan national, chaque Etat membre traitant de la partie de l’enquête qui le concerne, mais aucun ne pouvant l’appréhender dans sa globalité - sans même mentionner les conflits de compétence qui peuvent retarder voire rendre impossibles les poursuites.

Il a été souvent objecté, et il ne faut pas négliger ce point, que certains des trafics en question, s’ils prennent place sur le territoire de l’Union, n’en ont pas moins aussi des racines à l’extérieur de l’Union. Ceci est tout à fait exact. Dans ce cas là, le parquet européen ne serait alors qu’une réponse partielle.

Est-ce une raison suffisante pour ne pas avancer ? Les rapporteurs ne le pensent pas. Le fait de ne pas pouvoir résoudre l’intégralité des trafics touchant l’Union ne doit pas décourager l’institution du parquet européen et n’est pas un motif suffisant pour préférer le statu quo.

Le saut réalisé justifie très largement d’entreprendre cette édification.

Les rapporteurs souhaitent en troisième lieu aborder la question de la définition de la criminalité grave transnationale. Le 4 de l’article 86 TFUE dispose que « le Conseil européen peut, simultanément ou ultérieurement, adopter une décision modifiant le paragraphe 1 afin d’étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière ». La liste des trente-deux infractions énumérées pour le parquet européen constitue un précédent important. Néanmoins, selon les personnes auditionnées par les rapporteurs, la définition de la criminalité grave transfrontière de l’article 83 TFUE portant sur les règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions serait en toute logique retenue : « ces domaines de criminalité sont les suivants: le terrorisme, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée ». Cette liste peut être étendue : « En fonction des développements de la criminalité, le Conseil peut adopter une décision identifiant d’autres domaines de criminalité qui remplissent les critères visés au présent paragraphe. Il statue à l’unanimité, après approbation du Parlement européen. »

Le service juridique du Conseil a toutefois souligné que, s’agissant de la lutte contre le terrorisme, l’article 73 limite les possibilités d’intervention de l’Union. L’article 73 dispose en effet que « il est loisible aux Etats membres d’organiser entre eux et sous leur responsabilité des formes de coopération et de coordination qu’ils jugent appropriées entre les services compétents de leurs administrations chargées d’assurer la sécurité nationale. » Faut-il en conclure que la répression du terrorisme relève uniquement des Etats membres ? Sans prétendre trancher cette question, les rapporteurs ne le pensent pas, s’appuyant sur l’article 83 TFUE ainsi que sur le fait que les travaux au sein de l’Union en matière de lutte contre le terrorisme continuent (voir les projets d’accords avec les Etats-Unis et l’Australie en matière d’utilisation des données des dossiers passagers (données PNR) à des fins répressives, l’accord dit « SWIFT » d’utilisation des données des transactions interbancaires à des fins répressives ou encore le projet de directive relative à la création d’un système européen d’utilisation des données PNR à des fins répressives). Un débat devra toutefois certainement être mené sur cette question.

S’agissant des échanges de données à caractère personnel à des fins répressives, il convient de noter que la Commission des affaires européennes a, elle-même, souhaité que les questions relatives aux échanges d’information, à la mise en place de dispositifs de sécurité dans les lieux sensibles et au respect des droits fondamentaux des individus soient étroitement liées. Elle est très attentive à la préservation des droits des personnes et à ce que les dispositifs mis en place soient à la fois nécessaires et proportionnés.

Article 83

1. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d’un besoin particulier de les combattre sur des bases communes.

Ces domaines de criminalité sont les suivants: le terrorisme, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée.

En fonction des développements de la criminalité, le Conseil peut adopter une décision identifiant d’autres domaines de criminalité qui remplissent les critères visés au présent paragraphe. Il statue à l’unanimité, après approbation du Parlement européen.

2. Lorsque le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres en matière pénale s’avère indispensable pour assurer la mise en oeuvre efficace d’une politique de l’Union dans un domaine ayant fait l’objet de mesures d’harmonisation, des directives peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine concerné. Ces directives sont adoptées selon une procédure législative ordinaire ou spéciale identique à celle utilisée pour l’adoption des mesures d’harmonisation en question, sans préjudice de l’article 76.
3. Lorsqu’un membre du Conseil estime qu’un projet de directive visée au paragraphe 1 ou 2 porterait atteinte aux aspects fondamentaux de son système de justice pénale, il peut demander que le Conseil européen soit saisi. Dans ce cas, la procédure législative ordinaire est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil, ce qui met fin à la suspension de la procédure législative ordinaire.


Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf Etats membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de directive concerné, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l’autorisation de procéder à une coopération renforcée, qui est visée à l’article 20, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne et à l’article 329, paragraphe 1, du présent traité est réputée accordée et les dispositions relatives à la coopération renforcée s’appliquent.

3. Pallier les difficultés liées au morcellement de l’espace pénal européen

Les limites de la coopération judiciaire pénale et notamment son caractère encore aléatoire et parfois contraignant pour les praticiens, les ralentissements constatés malgré la mise en œuvre du traité de Lisbonne dans les négociations des projets relatifs à la reconnaissance mutuelle (décision d’instruction européenne par exemple), le manque de suivi dénoncé par la Commission européenne s’agissant des enquêtes transmises par l’OLAF aux autorités nationales aux fins de poursuites sont autant d’arguments qui plaident en faveur de la mise en œuvre d’un parquet européen.

Les limites de la coopération judiciaire pénale peuvent nuire au service public de la justice. L’édification d’un système plus encadré et plus puissant constituerait un apport majeur.

En outre, le parquet européen, au-delà du seul fait qu’il permettrait d’éviter la mise en œuvre de poursuites concurrentes, qu’il permettrait des poursuites aujourd’hui incomplètes voire inexistantes et aurait donc une place centrale quant au droit d’accès à la justice, dans un délai raisonnable, et au droit à un recours effectif, jouerait un rôle majeur dans le renforcement des droits des justiciables.

L’indépendance du parquet européen devrait être absolue et, à ce titre, il constituerait une grande avancée par rapport aux institutions d’essence intergouvernementale telles qu’Eurojust ou Europol.

Si le parquet européen était institué, il conviendrait de le soumettre à un contrôle juridictionnel très étendu. Ainsi, à l’heure actuelle, lorsque Eurojust décide de soutenir le renvoi d’une affaire devant une juridiction nationale plutôt qu’une autre, et que les Etats membres s’accordent sur la solution préconisée, la décision des Etats membres ne peut pas être directement contestée devant un juge par les victimes ou les personnes mises en cause, alors même que cela peut avoir des conséquences majeures pour elles quant à l’issue du procès. Il va de soi que la décision de renvoi devant une juridiction nationale qui serait prise par le parquet européen devrait pouvoir faire l’objet d’un recours, tant des Etats membres concernés, que des victimes ou des accusés.

Par nature, l’OLAF est un organe d’enquêtes administratives, ce qui emporte des conséquences sur les droits des personnes, bien que des progrès importants aient été faits et aient été récemment proposés.

A chaque étape de la procédure, une transparence serait instituée avec des règles de procédure définies et l’ouverture de voies de recours.

S’agissant de la grande hétérogénéité des incriminations et des sanctions régulièrement dénoncée, qui permet aux criminels de se livrer à un « forum shopping » dans l’établissement de leurs activités, le parquet européen serait également une source d’amélioration tendant, non pas à harmoniser les systèmes pénaux des Etats membres, ce qui n’est ni nécessaire ni même souhaitable, mais à permettre, malgré ces différences, l’exercice de poursuites et un jugement avec la définition de règles minimales communes en matière d’incriminations et de sanctions, tel que cela est d’ailleurs prévu par l’article 83, paragraphe 1 TFUE ( «Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière ».) Ces règles minimales permettraient de garantir une protection plus homogène des droits fondamentaux des citoyens européens.

4. Les positions des Etats membres

Dans la mesure où il n’existe pas de proposition législative en cours de négociation, peu d’Etats membres ont pris des positions fermes sur le sujet du parquet européen. Toutefois, certaines tendances peuvent être dessinées selon les informations recueillies par les rapporteurs, étant entendu qu’elles peuvent évoluer.

La Belgique et le Luxembourg seraient les plus fervents partisans d’un parquet européen (voir notamment le séminaire organisé à Bruges par la présidence belge de l’Union du 20 au 22 septembre 2010)(22).

L’Espagne a beaucoup travaillé sur le sujet au cours de sa présidence de l’Union et y serait plutôt favorable, tout comme le Portugal. Elle avait déposé un avant projet tendant à la création d’un parquet européen dont le champ de compétence serait limité, dans un premier temps, à la protection des intérêts financiers.

La Slovénie et l’Estonie pourraient être assez favorables.

La France, malgré ses contributions majeures dans l’élaboration du Corpus Juris puis dans la promotion de l’idée du parquet européen au sein du couple franco-allemand lors de la Convention, est considérée au sein des instances européennes comme étant encore réservée sur la question. L’Italie apparaît aussi hésitante.

L’Allemagne serait aujourd’hui très réservée sur l’idée du parquet européen, tout comme l’Autriche, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque.

La Suède, la Finlande, les Pays-Bas, y sont très opposés.

Le Royaume-Uni, où le procureur au sens continental du terme n’existe pas puisqu’il ne dirige pas les enquêtes menées par les services de police, et l’Irlande sont par principe opposés au projet. Le Danemark, également en marge de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, est tout autant défavorable à l’idée.

III. LES AVANCÉES DU TRAITÉ DE LISBONNE

Comme le souligne M. Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de Cassation, dans son propos introductif au séminaire consacré aux perspectives pour un ministère public européen sous l’égide de la Cour de Cassation, « si ce bilan n’a pas été négligeable, il faut bien convenir que la structure du troisième pilier, fondée sur un fonctionnement intergouvernemental, comportait des carences structurelles originelles :

- règle de l’unanimité qui ralentit considérablement la négociation ;

- absence d’instruments juridiques efficaces puisque les décisions-cadres et les décisions sont dépourvues d’effet direct ;

- absence de possibilités pour la Commission européenne de déposer un recours en manquement ;

- rôle limité exercé par le Parlement européen ;

- compétence réduite de la Cour de justice(23)».

« L’espace de liberté, de sécurité et de justice est la meilleure nouvelle du traité de Lisbonne », a indiqué M. Juan Fernando Lopez Aguilar, interrogé par les rapporteurs sur la position de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen sur la question du parquet européen.

Il s’agit bien là de la meilleure expression de la dimension politique de l’Union européenne.

Il convient également de souligner que la mise en œuvre d’un paquet européen impliquera la définition de priorités pour l’action publique commune s’agissant de la criminalité transfrontalière. D’une certaine manière, l’Union européenne a déjà commencé à dresser ses priorités, par l’élaboration de normes de droit pénal spécial et avec le programme de Stockholm.

La création d’un parquet européen revêtira une tout autre dimension politique. La définition d’une « feuille de route » apparaît nécessaire mais l’indépendance du parquet devra être pleine et entière.

A. Le renforcement d’Eurojust tel qu’il est rendu possible par l’article 85 du Traité (TFUE) ne doit pas compromettre l’institution d’un parquet européen

Il convient en premier lieu de traiter de l’article 85 TFUE relatif au renforcement d’Eurojust, ses tâches pouvant dorénavant comprendre:

« a) le déclenchement d’enquêtes pénales ainsi que la proposition de déclenchement de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes, en particulier celles relatives à des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union;

b) la coordination des enquêtes et poursuites visées au point a) ».

L’article 85 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est reproduit dans l’encadré suivant.

Article 85 TFUE

1. La mission d’Eurojust est d’appuyer et de renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs Etats membres ou exigeant une poursuite sur des bases communes, sur la base des opérations effectuées et des informations fournies par les autorités des Etats membres et par Europol.

A cet égard, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, déterminent la structure, le fonctionnement, le domaine d’action et les tâches d’Eurojust. Ces tâches peuvent comprendre:

a) le déclenchement d’enquêtes pénales ainsi que la proposition de déclenchement de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes, en particulier celles relatives à des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union;

b) la coordination des enquêtes et poursuites visées au point a);

c) le renforcement de la coopération judiciaire, y compris par la résolution de conflits de compétences et par une coopération étroite avec le Réseau judiciaire européen. Ces règlements fixent également les modalités de l’association du Parlement européen et des parlements nationaux à l’évaluation des activités d’Eurojust.

2. Dans le cadre des poursuites visées au paragraphe 1, et sans préjudice de l’article 86, les actes officiels de procédure judiciaire sont accomplis par les agents nationaux compétents.

L’article 85 ne vise qu’à renforcer, il est vrai substantiellement, les pouvoirs d’Eurojust, sans être pour autant un préalable nécessaire à la mise en œuvre du parquet européen « à partir d’Eurojust ». Cependant, au cours des auditions menées, aussi bien au Conseil de l’Union européenne qu’à la Commission européenne, il est apparu que les Etats membres souhaiteraient vraisemblablement procéder par étape et mettre en œuvre un renforcement d’Eurojust sur la base de l’article 85 TFUE avant d’envisager le parquet européen. Les Etats membres attendront d’avoir la preuve de la plus-value d’un parquet européen avant d’envisager sa création. Si Eurojust se voyait confier la résolution des conflits de compétence, les critères mis en application pourraient être utiles pour le parquet européen s’agissant du renvoi devant les juridictions nationales. Tels sont quelques arguments plaidant en faveur d’une application de l’article 85 TFUE avant, éventuellement, celle de l’article 86 TFUE.

Les rapporteurs considèrent cependant que le pouvoir de déclenchement d’enquêtes pénales et de proposition de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes, en particulier celles relatives aux infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, tout en constituant un progrès réel, ne doit pas retarder indûment l’examen de la question d’un parquet européen. Les deux questions sont bien de nature différente. La mise en œuvre de l’article 86 TFUE n’est pas, et ne doit pas être, subordonnée à celle de l’article 85 TFUE au préalable.

Par ailleurs, les rapporteurs notent que l’article 85 TFUE, à l’instar de l’article 86 TFUE, n’est pas d’une totale limpidité dans la mesure où la notion de « déclenchement d’enquêtes pénales » ne fait pas l’objet d’une interprétation unanime : s’agirait-il d’un pouvoir de demander ou d’ordonner les enquêtes ou du pouvoir de prendre la décision de déclencher l’enquête (24?

Il a été indiqué aux rapporteurs que la mise en œuvre de l’article 85 TFUE, du fait du pouvoir de déclencher des enquêtes et de résoudre des conflits de compétence, impliquerait très certainement des réformes constitutionnelles dans plusieurs Etats membres.

Le programme de Stockholm prévoit à cet égard : « Dans le domaine de la coopération judiciaire, le Conseil européen souligne qu’il faut que les Etats membres et Eurojust mettent soigneusement en œuvre la décision 2009/426/JAI du Conseil du 16 décembre 2008 sur le renforcement d’Eurojust qui, avec le traité de Lisbonne, offre la possibilité de poursuivre le développement d’Eurojust au cours des prochaines années, notamment en ce qui concerne le déclenchement d’enquêtes et la résolution des conflits de compétence. Sur la base d’une évaluation de la mise en œuvre de cet instrument, de nouvelles possibilités pourraient être envisagées conformément aux dispositions pertinentes du traité, notamment l’octroi de nouvelles compétences aux membres nationaux d’Eurojust, le renforcement des compétences du collège d’Eurojust ou la création d’un procureur européen. »

Ce n’est donc qu’après l’évaluation de la mise en œuvre de la décision de 2009 que les travaux devraient se poursuivre. Les nouvelles possibilités offertes par le traité sont bien présentées comme des alternatives. Il convient de noter que ce passage est le seul faisant référence au parquet européen, ce qui pourrait sembler bien modeste. Pour autant, il ne faut pas mésestimer le pas que représente le simple fait de mentionner un procureur européen dans un tel document.

La Commission européenne devrait rendre un rapport sur le renforcement d’Eurojust par la décision de 2009 en 2012.

B. La mise en œuvre du parquet européen, telle qu’elle ressort de l’article 86 du Traité (TFUE), laisse de nombreuses questions ouvertes

1. Un processus très encadré par la règle de l’unanimité

Il convient en premier lieu de rappeler qu’Eurojust est né, dans le traité de Nice, du refus de l’idée d’un parquet européen, comme permettant de garantir la permanence d’une logique intergouvernementale ne portant pas atteinte à la souveraineté des Etats membres en matière pénale.

Le traité de Lisbonne a réalisé une synthèse entre le refus d’un parquet européen (position du Royaume-Uni et de l’Irlande), une mise en œuvre progressive défendue par la France et l’Allemagne et la reprise des propositions de la Commission européenne dans son Livre vert.

La lecture de l’article 86 TFUE peut laisser perplexe, tant le traité porte la marque évidente de compromis et tant les procédures choisies s’avèrent délicates. Est-il bien un point de départ pour la mise en œuvre du parquet européen ou davantage un point final ?

Pour les rapporteurs, le traité, aussi complexe qu’il soit, doit être mis en œuvre et doit bien être considéré comme un progrès majeur sur la voie de l’édification du parquet européen. Ce point ne devrait pas être perdu de vue.

La création du parquet européen est une option :

« Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust. Le Conseil statue à l’unanimité, après approbation du Parlement européen. »

Un des premiers éléments à souligner réside dans le lien fait entre Eurojust et le parquet européen qui devrait être créé « à partir d’Eurojust ». La formulation reprend le souhait exprimé dès 2003 par l’Assemblée nationale et par le couple franco-allemand dans les négociations relatives à la Convention de créer le parquet européen sur la base d’un organe déjà existant.

On peut souligner que l’OLAF, bien qu’ayant des pouvoirs d’enquête et réunissant au sein de ses équipes des procureurs et des policiers spécialisés dans les matières financières, n’a pas été retenu comme organe à partir duquel instituer le parquet européen, du fait de son rattachement à la Commission européenne, des risques d’atteinte aux droits individuels qui s’étaient fait jour et du manque de contrôle juridictionnel, qui s’exerce a posteriori et se limite aux investigations internes.

La formulation « à partir d’Eurojust » a visiblement été retenue pour être ambiguë et souple. Elle n’impose pas la transformation d’Eurojust en parquet européen, ne serait-ce que parce que Eurojust doit continuer à exister pour ses missions qui ne sont pas celles du parquet européen et, en tout état de cause, pour les Etats membres qui ne participeraient pas à la mise en œuvre du parquet (Royaume-Uni, Irlande ou Danemark ou pays ne participant pas à l’éventuelle coopération renforcée). Toutefois, la structure administrative d’Eurojust, sa base de travail, sa connaissance fine des systèmes judiciaires des différents Etats membres et son habitude à travailler en commun seront nécessaires au parquet européen. La manière exacte dont celui-ci s’appuiera sur Eurojust reste à définir. La présidence espagnole proposait dans son projet que, tout en utilisant l’expérience d’Eurojust, le parquet européen s’en émancipe ensuite.

Son champ de compétence est ciblé sur la protection des intérêts financiers de l’Union, qui, si elle ne doit pas être méprisée, n’en demeure pas moins très en deçà des potentialités d’un procureur européen tel que les rapporteurs le soutiennent.

La procédure législative spéciale prévoit l’unanimité, après approbation du Parlement européen - unanimité sur laquelle tous s’accordent à dire qu’elle sera très difficile à réunir.

Une seconde option est alors offerte aux deuxième et troisième paragraphe du 1 de l’article 86 :

« En l’absence d’unanimité, un groupe composé d’au moins neuf Etats membres peut demander que le Conseil européen soit saisi du projet de règlement. Dans ce cas, la procédure au Conseil est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil pour adoption.

Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf Etats membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de règlement concerné, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l’autorisation de procéder à une coopération renforcée, qui est visée à l’article 20, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne et à l’article 329, paragraphe 1, du présent traité, est réputée



accordée et les dispositions sur la coopération renforcée s’appliquent
 »(
25).

La coopération renforcée ne serait applicable qu’à un parquet européen dont le champ de compétence serait limité à la protection des intérêts financiers de l’Union. En outre, la coopération renforcée ne peut s’envisager qu’en dernier ressort, lorsqu’il est admis qu’aucun accord ne peut intervenir. Elle est, dans son principe, considérée avec beaucoup de prudence par la Commission européenne, étant un facteur de complexité et de division entre les Etats membres.

La lecture de ces dispositions est encore compliquée par la position du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark, obtenue suite à l’abandon de la règle de l’unanimité pour les votes au Conseil en matière de coopération judiciaire pénale. Le protocole (no 21) au traité de Lisbonne sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice dispose que : « le Royaume-Uni et l’Irlande ne participent pas à l’adoption par le Conseil des mesures proposées relevant de la troisième partie, titre V, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (espace de liberté, de sécurité et de justice). Il convient de noter que lorsque l’unanimité est requise, elle s’entend hors Royaume-Uni et Irlande si les deux Etats ne participent pas à la mesure.

Les deux Etats bénéficient d’une faculté « d’opt in » : « Le Royaume-Uni ou l’Irlande peut notifier par écrit au président du Conseil, dans un délai de trois mois à compter de la présentation au Conseil d’une proposition ou d’une initiative en application de la troisième partie, titre V, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, son souhait de participer à l’adoption et à l’application de la mesure proposée, à la suite de quoi cet Etat y est habilité. »

Le Danemark a également obtenu de bénéficier de cet opt-out (protocole no 22).

Une difficulté posée par la position de ces trois Etats membres, compte tenu de leur opposition ferme à l’idée d’un parquet européen, est qu’ils puissent exercer leur opt-in, pour ensuite mettre leur veto à l’adoption d’un texte.

Le paragraphe 2 de l’article 86 TFUE pose les grands principes de l’action du parquet européen et prévoit que le parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d’infractions entrant dans son domaine de compétence. Il exerce devant les juridictions compétentes des Etats membres l’action publique relative à ces infractions. La recherche des auteurs et complices correspondrait à la phase de l’enquête préliminaire pour identifier et appréhender les auteurs. Le terme poursuivre renverrait au déclenchement de l’enquête pénale. Le Conseil d’Etat relève que le concept de poursuites correspond dans d’autres Etats membres à la phase de l’enquête au cours de laquelle un suspect s’est vu notifier un chef d’accusation. Interviendrait ensuite le renvoi en jugement. Enfin, le parquet européen représenterait le ministère public devant la juridiction nationale.

Il appartiendra aux règlements visés au paragraphe 1 de l’article 86 TFUE de fixer :

- le statut du parquet européen ;

- les conditions d’exercice de ses fonctions ;

- les règles de procédure applicables à ses activités ;

- les règles de procédure gouvernant l’admissibilité des preuves et

- les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure qu’il arrête dans l’exercice de ses fonctions.

Vient ensuite au paragraphe 4 la possibilité d’étendre le champ des compétences du parquet européen à « la criminalité grave ayant une dimension transfrontière ». Cette extension peut être réalisée « simultanément ou ultérieurement ».

L’extension du champ de compétence devrait être adoptée à l’unanimité au Conseil (hors Royaume-Uni, Irlande et Danemark, à moins qu’ils ne décident de participer à cette création), après accord du Parlement européen et consultation de la Commission européenne.

Comme ils l’ont déjà souligné, les rapporteurs souhaitent que le parquet européen puisse être institué sur la base d’un champ de compétence large répondant aux attentes des citoyens européens et aux besoins des enquêtes.

2. Les principales questions ouvertes

En préambule, il convient de rappeler la valeur juridique désormais contraignante de la charte européenne des droits fondamentaux ainsi que le nécessaire respect des dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme s’agissant notamment de la légalité des délits et des peines, du droit à un procès équitable, du droit à la liberté et à la sûreté, du droit à un recours effectif, et du droit au respect de la vie privée et familiale.

a) Sous quelle forme le parquet européen serait-il institué et quel serait son statut ?

Du statut du parquet européen dépendront en grande partie son efficacité et sa capacité d’action ainsi que son acceptation par les Etats membres.

Il conviendra en premier lieu de décider si le parquet européen (il convient de noter une nouvelle fois qu’il n’est plus question ici d’un procureur européen) devra être une structure collégiale. A cet égard, les avis sont partagés. Le caractère collégial d’Eurojust est souvent avancé comme un des principaux freins à son action, entravant sa capacité de réaction.

Toutefois, une structure dans laquelle un procureur européen prendrait seul les décisions se heurtera à de fortes réticences des Etats membres, craignant la figure d’un « super procureur ».

Certaines personnes auditionnées ont clairement indiqué la nécessité qu’une hiérarchie existe au sein de la structure collégiale afin d’assurer la réactivité et l’efficacité nécessaire à la nouvelle institution.

Les rapporteurs sont donc d’avis qu’il serait préférable, pour l’acceptabilité du projet, de s’en tenir à une structure collégiale comprenant un membre par Etat membre (outre les délégués nationaux, bras armés du parquet dans les Etats membres). Toutefois, afin de garantir le bon fonctionnement du parquet européen, ses membres éliraient leur Président en leur sein, lequel disposerait d’une autorité hiérarchique.

Si aucune hiérarchie ne devait exister, alors il conviendrait de décider quelle procédure devrait être suivie pour prendre les décisions d’engager des enquêtes ou l’action publique (majorité simple, majorité qualifiée ou unanimité). Un tel mécanisme recèle des risques de blocages.

Les rapporteurs estiment aussi que le parquet devrait être décentralisé, c’est-à-dire comporter des procureurs délégués (délégués nationaux) dans les Etats membres qui donneraient les instructions aux services compétents des Etats membres. La proximité et la connaissance précise des autorités sur lesquelles le procureur serait amené à s’appuyer dans les enquêtes apparaissent en effet centrales.

L’autonomie budgétaire et financière du parquet devrait être la plus aboutie possible. Il ne devrait être rattaché à aucune institution de l’Union européenne.

L’étude du conseil d’Etat relève que les membres du parquet européen devraient bénéficier d’un statut spécifique, afin de conserver leur qualité de magistrat dans leur ordre juridictionnel national. Les modalités de leur nomination et de leur éventuelle révocation devront leur assurer une grande indépendance, vis-à-vis des institutions européennes comme vis-à-vis de leur Etat d’origine. Les membres du parquet européen ne devraient en aucun cas être un correspondant de leur Etat membre auprès du parquet européen. A cet égard, les modes de nomination des juges de la CJUE sont importants(26). La question de l’implication du Parlement européen et des parlements nationaux dans le processus de nomination sera posée. Un examen des candidatures par les parlements nationaux apparaît crucial.

b) L’épineuse question de l’admissibilité des preuves

L’admissibilité des preuves constituera probablement un dossier central dans la mise en œuvre du parquet européen.

Quelques exemples démontrent les difficultés auxquelles se heurtera la parquet européen : les seuils de peines encourues exigés pour pouvoir procéder à des interceptions des télécommunications sont différents selon les Etats membres ; les conditions exigées pour pratiquer une perquisition peuvent varier considérablement d’un Etat membre à l’autre, rendant parfois impossible (c’est par exemple le cas pour obtenir un tel acte au Royaume-Uni) la perquisition qui serait possible dans un autre Etat membre ; dans certains Etats, il est possible d’obtenir un prélèvement biologique sans le consentement de la personne, ce qui n’est pas le cas dans d’autres ; dans certains Etats, il est possible d’utiliser au cours de la procédure une pièce obtenue par le moyen d’une infraction (qui n’a pas été commise par un représentant de la justice ou de la police) comme moyen de preuve, ce qui est impossible dans d’autres.

L’entraide judiciaire traditionnelle pose plusieurs difficultés en matière de recueil de preuves : la procédure peut être très longue, ne pas aboutir si l’obtention des preuves demandées n’est pas possible au regard de la législation de l’Etat requis et les preuves obtenues peuvent ne pas être utilisables dans l’Etat demandeur si, par exemple, les conditions procédurales gouvernant la recherche et l’utilisation des preuves dans l’Etat d’émission de la demande n’ont pas été respectées(27). En effet, en matière d’entraide judiciaire pénale, l’Etat requis exécute la requête, lorsqu’il le peut, conformément à son droit national. En France, des difficultés peuvent exister lorsque l’Etat requis ne peut pas fournir de document répondant aux conditions formelles du procès-verbal car il n’y existe pas d’acte de ce type (28). C’est la raison pour laquelle la convention d’entraide du 29 mai 2000 prévoit que l’Etat requis exécute la demande, dans la mesure du possible, selon les procédures indiquées par l’Etat requérant (article 4). Néanmoins, là encore, le respect des procédures de l’Etat requérant peut s’avérer impossible.

Le principe de reconnaissance mutuelle a tout son rôle à jouer en matière de recueil de preuve. Aujourd’hui, le principe s’applique à la demande d’entraide elle-même et non à la preuve elle-même (il ne s’agit pas de créer des preuves recevables dans tous les Etats membres), ce qui constitue déjà un progrès significatif.

La recherche des preuves obéit dans les Etats membres à des règles fondamentales pour le système pénal, notamment en termes de garantie des droits de la défense et de procès équitable. Les difficultés autour du mandat européen d’obtention de preuves et des négociations actuelles sur la décision d’enquête européenne démontrent bien tous les enjeux qui s’attachent à ce sujet et les difficultés à progresser (voir notamment les demandes de réintroduction de motifs de rejet des demandes et de contrôle de la double incrimination détaillées plus haut).

La variété des preuves admises, allant de l’identification par l’ADN au témoignage par ouï-dire (en principe non admis dans les pays de common law)(29) ainsi que des règles de procédure est telle qu’un rapprochement des législations sera très certainement nécessaire. Il pourrait également être décidé de limiter les preuves admises par le parquet européen à celles recevables dans tous les Etats membres, ce qui limiterait la portée de ses enquêtes.

En tout état de cause, les preuves devront avoir été recueillies dans le respect des droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme et la Charte européenne des droits fondamentaux. Il ne parait ni réaliste ni souhaitable d’aller jusqu’à l’édification d’un code de procédure pénale européen.

L’étude du Conseil d’Etat pose la question de la création éventuelle d’un nouvel ensemble de règles procédurales propres au parquet européen. Le Corpus Juris avait conclu à la création de règles spécifiques afin d’assurer une égalité de traitement entre les personnes poursuivies. On imagine cependant bien la difficulté de cette tâche qui pourrait sembler insurmontable. Le Conseil d’Etat suggère une solution intermédiaire qui « consisterait à proposer la définition, uniquement pour les actes coercitifs majeurs, d’un nombre restreint de règles procédurales communes ».

L’article 82 TFUE prévoit d’ailleurs l’édification de règles minimales portant sur l’admissibilité mutuelle des preuves entre les Etats membres pour faciliter la reconnaissance mutuelle et la coopération judiciaire pénale transfrontalière (ces règles minimales devront tenir compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres). Cet objectif se pose donc aussi indépendamment du parquet européen.

Il convient enfin de relever qu’une situation relativement complexe pourrait émerger si le parquet européen devait réunir des preuves dans un Etat membre ne participant pas au parquet européen (Royaume-Uni, Irlande, Danemark).

c) Le contrôle juridictionnel de ses actes

Le paragraphe 3 de l’article 86 prévoit un contrôle juridictionnel des actes pris par le parquet européen. Du caractère complet de ce contrôle découlera une grande partie de la légitimité du parquet européen du fait d’un double risque d’atteinte à l’égalité et d’absence d’un contrôle uniforme.

En effet n’y aurait-il pas un risque de déséquilibre et d’atteinte à l’égalité entre les justiciables au niveau européen si le parquet avait, sans possibilité de recours, le pouvoir de renvoyer l’affaire devant les tribunaux de l’Etat où celle-ci a le plus ou le moins de chance d’aboutir à une condamnation? Des règles régissant le renvoi devant les juridictions nationales devront être établies et des voies de recours devront pouvoir être mises en œuvre pour une éventuelle contestation de ces décisions.

Par ailleurs, s’agissant d’affaires transnationales, le soin de contrôler ou d’autoriser les actes d’enquête, le cas échéant coercitifs, pris par le parquet européen par les seuls juges nationaux n’est-il pas de nature rendre le contrôle juridictionnel plus aléatoire ? Autant de questions qui nécessiteront un débat approfondi.

Dans l’hypothèse d’une structure décentralisée comprenant le procureur européen et les procureurs délégués, le contrôle des actes du parquet européen avant le renvoi devant la juridiction nationale pourrait relever d’une juridiction de l’Union européenne pouvant être instituée sur la base de l’article 257 TFUE. Des procédures rapides d’urgence et de référé devraient exister compte tenu de la spécificité de la matière pénale et des implications possibles (privation de liberté notamment). S’agissant de la procédure devant la juridiction nationale, les actes relèveraient de la juridiction nationale compétente. Toutefois, pour certaines mesures d’enquête coercitives telles que les perquisitions, un contrôle par le juge nationale apparaît également nécessaire.

Article 257 TFUE

Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent créer des tribunaux spécialisés adjoints au Tribunal chargés de connaître en première instance de certaines catégories de recours formés dans des matières spécifiques. Le Parlement européen et le Conseil statuent par voie de règlements soit sur proposition de la Commission et après consultation de la Cour de justice, soit sur demande de la Cour de justice et après consultation de la Commission.

Le règlement portant création d’un tribunal spécialisé fixe les règles relatives à la composition de ce tribunal et précise l’étendue des compétences qui lui sont conférées.

Les décisions des tribunaux spécialisés peuvent faire l’objet d’un pourvoi limité aux questions de droit ou, lorsque le règlement portant création du tribunal spécialisé le prévoit, d’un appel portant également sur les questions de fait, devant le Tribunal. Les membres des tribunaux spécialisés sont choisis parmi des personnes offrant toutes les garanties d’indépendance et possédant la capacité requise pour l’exercice de fonctions juridictionnelles. Ils sont nommés par le Conseil, statuant à l’unanimité. Les tribunaux spécialisés établissent leur règlement de procédure en accord avec la Cour de justice. Ce règlement est soumis à l’approbation du Conseil. A moins que le règlement portant création du tribunal spécialisé n’en dispose autrement, les dispositions des traités relatives à la Cour de justice de l’Union européenne et les dispositions du statut de la Cour de justice de l’Union européenne s’appliquent aux tribunaux spécialisés. Le titre I du statut et son article 64 s’appliquent en tout état de cause aux tribunaux spécialisés.

La solution constituée par la création d’une juridiction spécialisée fondée sur l’article 257 TFUE serait peut être idéale mais elle est complexe. Le Conseil d’Etat souligne dans son étude que l’article 263 TFUE confère le monopole du contrôle de la légalité des actes des organes et organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers à la CJUE. Un contrôle exclusivement dévolu aux juridictions nationales serait donc exclu. Par ailleurs, la CJUE ne dispose pas d’une structure adaptée au contentieux pénal, notamment en termes de célérité. C’est pourquoi la création d’une juridiction spécialisée apparaît opportune.

Bien que l’article 257 TFUE fournisse déjà un certain nombre d’éléments (procédure législative ordinaire, tribunaux spécialisés adjoints au tribunal de première instance, statut, nomination des membres), il conviendra de bien peser si un contrôle renvoyé, dans la mesure du possible, aux juridictions nationales et à la CJUE n’est pas, au moins dans un premier temps, préférable.

La CJUE serait compétente en matière de recours en annulation contre les règlements relatifs au parquet européens et de questions préjudicielles.

Il conviendra également de déterminer à quel moment de la procédure les recours devront être examinés.

d) L’harmonisation minimale des incriminations et des sanctions

Plusieurs éléments du droit pénal devraient faire l’objet d’un rapprochement selon le Conseil d’Etat. Tel est notamment le cas des règles des prescriptions de l’action publique, ou encore des règles relatives à la responsabilité (le Corpus Juris avait établi un régime de responsabilité).

Les incriminations et les sanctions devraient également connaître un rapprochement pour éviter le « forum shopping », c’est-à-dire le choix de la juridiction de renvoi en fonction, par exemple, du quantum des peines encourues.

Il convient cependant de relever la nature extrêmement grave des infractions en cause, si le parquet européen était compétent en matière de criminalité grave transnationale, qui sont d’ores et déjà réprimées dans l’ensemble des Etats membres.

La définition de règles minimales communes relatives aux infractions et aux sanctions en matière de criminalité grave transnationale est également prévue par l’article 83 TFUE. Les travaux en ces matières ont déjà commencé (à travers les instruments de droit pénal spécial tels que les décisions-cadres et directives adoptées en matière de lutte contre la traite des êtres humains, de lutte contre le terrorisme ou de lutte contre la pédopornographie, ou encore la proposition de directive en cours de négociation en matière de cybercriminalité).

Le Conseil d’Etat rappelle que, « s’il n’est pas envisageable, à court ou moyen terme, de parvenir à une véritable harmonisation du droit pénal », le traité recèle plusieurs incitations à travailler dans cette direction. Une harmonisation minimale des incriminations et des sanctions devrait être mise en œuvre. La résolution adoptée par l’Assemblée nationale le 22 mai 2003 le soulignait déjà.

DEUXIEME PARTIE :
QUELLES ADAPTATIONS DE LA PROCÉDURE PÉNALE FRANÇAISE ?

Bien entendu, les implications de la création d’un parquet européen en droit pénal français sont intimement dépendantes de son statut et de l’étendue de ses pouvoirs. Par ailleurs, les questions en jeu ici sont d’une grande complexité. C’est notamment pour cette raison que l’Assemblée nationale avait souhaité solliciter l’avis du Conseil d’Etat qui, par son expertise, a pu, en la troisième partie de son rapport, dresser un panorama complet des implications sur notre droit national, étudiant une à une toutes les étapes de la procédure. Un tel travail, jamais réalisé auparavant, enrichit considérablement le débat, et démontre, du point de vue des rapporteurs, que les problèmes à traiter ne sont pas insolubles. Ils ne doivent en aucun cas justifier une dérobade devant la nécessité de l’institution du parquet. Il ne s’agit pas de nier d’évidentes difficultés mais bien d’affirmer que la volonté politique peut les surmonter.

Il convient en préambule de se reporter à l’analyse du Conseil d’Etat(30) relative à la révision constitutionnelle du 4 février 2008 (loi constitutionnelle no 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution), ayant modifié la rédaction de l’article 88-1(31) de la Constitution et faisant suite à la décision du Conseil constitutionnel no 2007-560 DC du 20 décembre 2007 relative au traité de Lisbonne(32). La question se pose de savoir si la réforme constitutionnelle a une portée limitée à la seule faculté ouverte par l’article 86 TFUE et si la mise en œuvre de ses dispositions nécessiterait une nouvelle réforme. « Il semble toutefois raisonnable d’estimer que les conséquences inhérentes à l’institution effective du parquet européen, pour ce qui est de l’atteinte excessive à la souveraineté nationale, ont été nécessairement acceptées par la loi constitutionnelle du 4 février 2008, toutes les virtualités comprises dans l’article 86 TFUE étant purgées de leurs éventuels vices d’inconstitutionnalité ». Cette analyse ne vaut qu’en l’absence de modification de l’article 86 TFUE et que si les règlements d’application respectent les principes constitutionnels. « Il y a lieu de conférer la portée la plus large à la révision de 2008 ».

I. EN AMONT DE L’OUVERTURE D’UNE ENQUÊTE

Si la compétence du parquet devait être limitée aux infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, plusieurs types de saisine peuvent être envisagés selon le Conseil d’Etat : saisine par la Commission européenne et ses services (l’on pense ici notamment à l’OLAF), par la Cour des comptes européenne, par toute autorité judiciaire d’un Etat membre et une saisine d’office en connaissance d’informations portées par d’autres sources.

Si la compétence du parquet recouvrait la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, ainsi que les rapporteurs le souhaitent, le Conseil d’Etat relève que d’autres acteurs devraient pouvoir saisir le parquet, tels Eurojust, voire toute personne morale ou physique (avec un mode de filtrage spécifique).

Le Conseil d’Etat relève que le parquet devrait, en vue de disposer d’informations, avoir un droit d’accès et de consultation des procédures d’enquête et des dossiers judiciaires ouverts nationaux assez large. L’accès aux bases de données et aux fichiers nationaux constitue une question clé. L’accès aux bulletins du casier judiciaire et aux fichiers de police nationaux devrait être prévu (à cet égard, en application de l’article 695-9 du code de procédure pénale, le représentant national d’Eurojust a accès à ces fichiers).

L’interconnexion des casiers judiciaires est déjà opérationnelle entre plusieurs Etats membres.

Le projet pilote d’interconnexion des casiers a été initié par la France et l’Allemagne en 2003. L’Espagne et la Belgique ont ensuite rejoint le projet. La République Tchèque et le Grand Duché du Luxembourg ont ensuite ouvert leur connexion aux quatre pays fondateurs. Six nouveaux pays ont choisi de participer au projet pilote : la Slovénie, le Royaume-Uni, la Bulgarie, la Pologne, l’Italie, la Slovaquie, le Portugal et les Pays Bas. L’interconnexion compte donc désormais quatorze Etats membres de l’Union. La Suède, l’Autriche et la Roumanie sont également admises en tant que pays observateurs.

Grâce à cette interconnexion, les autorités judiciaires bénéficient d’une information rapide, complète et immédiatement compréhensible de l’ensemble des antécédents judiciaires d’une personne.

L’extension à l’ensemble des membres de l’Union européenne résultera de la décision-cadre 2009/315/JAI du Conseil du 26 février 2009(33) concernant l’organisation et le contenu des échanges d’informations extraites du casier judiciaire entre les Etats membres, qui devrait voir ses dispositions transposées en droit français dans un projet de loi déposé au second semestre 2011. L’élaboration du logiciel d’interconnexion ECRIS est en cours, les experts français y contribuant. La version finale est annoncée pour le premier semestre 2012.

Le Conseil d’Etat pose, dans son étude, la question de la modification de l’article 40 du code de procédure pénale selon lequel toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République. Le parquet européen devrait-il être informé de manière directe ? Dans la mesure où il serait complexe de déterminer si les infractions relèvent ou non du parquet européen et où elles peuvent être connexes à des infractions relevant du parquet national, il semble préférable au Conseil d’Etat, pour une « bonne administration de la justice, de ne pas modifier cette norme, à charge pour le ministère public national d’apprécier si les faits relèvent de la compétence du parquet européen et, le cas échéant, de l’aviser de la commission de ces infractions. »

Il convient à cet égard de souligner que l’article 4, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne, pose le principe d’une coopération loyale entre l’Union et les Etats membres(34).

II. LES ENQUÊTES

Le Conseil d’Etat reprend, point par point, toutes les questions relatives aux compétences du parquet européen en matière d’enquête. En premier lieu, il paraîtrait nécessaire que le parquet informe les Etats membres d’une décision d’ouvrir une enquête et de la décision prise à son issue.

Une voie de recours pour contester la décision du parquet européen devrait-elle être ouverte ? La CJUE juge que seul un acte définitif peut faire l’objet d’un contrôle de légalité. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime qu’une juridiction spécialisée pourrait s’assurer que l’infraction relève du champ de compétence du parquet européen. Il est en effet nécessaire qu’un Etat membre estimant que le parquet européen outrepasse sa compétence puisse disposer d’une voie de recours.

La saisine des services d’enquête fait partie des questions fréquemment évoquées au cours des auditions, à la fois pour indiquer que l’idée d’une police supranationale, sorte de « FBI européen », reçoit très peu de soutien, tant sur le fond que par pragmatisme, et pour souligner la nécessaire proximité qui doit exister entre la personne saisissant les services d’enquête et les services, ce qui plaide pour un fonctionnement collégial du parquet européen, avec des procureurs délégués nationaux.

La place de l’OLAF, qui est un service d’enquête administrative déjà existant, ainsi que celle d’Europol seraient à redéfinir. Europol est d’ailleurs le seul à être cité dans l’article 86 TFUE pour venir en appui « le cas échéant » pour la recherche, la poursuite et le renvoi en jugement. Nul doute que l’expérience d’Europol ainsi que ses données seront précieuses pour l’action du parquet européen.

Comme le souligne le rapport du Conseil d’Etat, la saisine des services d’enquête par le procureur européen se poserait principalement si l’option des procureurs délégués était écartée. Selon les rapporteurs, un atout important dans la création d’un parquet européen comprenant des délégués nationaux réside dans la facilitation des enquêtes, du fait d’une meilleure connaissance de leurs services d’enquête nationaux (forces de police et de gendarmerie, service des douanes) et d’une plus grande proximité. En l’absence de procureurs délégués, le parquet européen pourrait saisir, directement ou par l’intermédiaire du ministère public national, les services d’enquête. Ces deux dernières options présenteraient des inconvénients majeurs : la première poserait vraisemblablement des questions d’information du ministère public national et de mise en œuvre pratique, la seconde risquant de limiter les pouvoir du parquet européen. Enfin, l’existence de délégués nationaux présenterait l’avantage de permettre que les enquêtes soient gérées de manière déconcentrée et qu’un Etat soit désigné, à l’étape de l’enquête, comme « juridiction de rattachement » même si, par nature, les investigations devraient se dérouler dans plusieurs Etats membres.

Le droit pénal français impose le respect du secret de l’enquête, sauf exception (article 11 du code de procédure pénale), à la fois pour respecter la présomption d’innocence et pour préserver l’enquête, par exemple contre une altération des éléments de preuve. Il semble au Conseil d’Etat qu’il serait utile « d’affirmer le principe du caractère secret des enquêtes, ceci sans préjudice de l’accès par la personne poursuivie aux pièces de l’enquête et de la possibilité, pour le parquet européen, d’office ou à la demande d’une partie, de lever ce secret ».

Les pouvoirs d’enquête du parquet européen devront être définis, soit en se limitant à indiquer que le parquet européen dispose des mêmes pouvoirs d’enquête dans chaque Etat membre que le ministère public national, soit, plus vraisemblablement, en énumérant ses pouvoirs, qui seraient bien entendu fonction de son champ de compétence (recueil des preuves, convocation et interrogation des suspects, victimes et témoins, perquisitions, saisies). Il conviendra également de déterminer si les délégués nationaux pourraient procéder aux actes d’enquête eux-mêmes. Le parquet pourrait aussi être amené à prendre des mesures de sûreté, telles que la délivrance de mandats d’arrêt ou de recherche, le placement sous contrôle judiciaire, ou sous mandat de dépôt pour les suspects, ou encore la confiscation de biens. Dans ce cas, quelles devraient être les règles procédurales applicables ? L’application des règles nationales par les juges des Etats membres serait, selon les rapporteurs, préférable.

L’autorisation d’un juge serait nécessaire au parquet pour pouvoir mener des actes d’enquête coercitifs. Comme le souligne le Conseil d’Etat, « l’article 66 de la Constitution, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 décembre 1993, implique que les actes d’enquête portant atteinte à la liberté individuelle soient soumis à l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire. » Le recours à une juridiction nationale unique, ou à quelques-unes des principales juridictions de l’Etat membre, compétentes pour connaître de l’ensemble des demandes présentées par le parquet européen serait sans doute plus simple.

Le contrôle de la régularité des actes d’enquête effectués par le parquet européen relèvera du règlement relatif au contrôle juridictionnel (article 86, paragraphe 3, TFUE). Trois pistes sont identifiées par le Conseil d’Etat :

- un contrôle « au fil de l’eau », avec éventuellement un mécanisme de forclusion, tel que celui prévu par l’article 173-1 du code de procédure pénale français s’agissant de la nullité des actes de la procédure d’instruction préparatoire, qui permet de purger la question de la nullité après la clôture de l’instruction ;

- un contrôle effectué en fin de procédure, ce qui éviterait des requêtes en annulation en cours de procédure et sécuriserait cette dernière, mais risquerait de permettre à une procédure d’enquête d’être menée sur un temps assez long avant d’être invalidée ;

- un contrôle par la juridiction nationale de renvoi en même temps que l’examen des preuves.

III. LA CLÔTURE DE L’ENQUETE

Un choix devra être fait entre le principe de l’opportunité des poursuites et celui de la légalité des poursuites.

La France applique le principe de l’opportunité, qui laisse au procureur de la République le choix d’engager des poursuites, de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites ou de classer l’affaire sans suite.

Les Etats membres appliquent à cet égard des règles très diverses.

Le principe de légalité des poursuites, assoupli par des conditions permettant de classer les affaires, permettrait une application homogène du droit au sein de l’Union et renforcerait la transparence et la sécurité juridique des poursuites, comme le soutenait la commission européenne dans son Livre vert de 2001. La Commission européenne relevait en outre : « La mixité entre les systèmes de légalité, d’une part, et d’opportunité, d’autre part caractérise désormais la situation dans les Etats membres. Les systèmes d’opportunité n’existent qu’encadrés, par exemple par l’exigence d’une motivation des décisions de classement et par l’organisation de recours contre les décisions. De même, les systèmes de légalité sont assouplis par diverses possibilités de classement sous condition. »

Les rapporteurs n’ignorent pas les avantages qui découleraient de l’adoption du principe de la légalité des poursuites, en termes de légitimité notamment. Cette solution, avec des aménagements, était préconisée en 2003 (rapport no 565 du 22 janvier 2003 sur la création d’un procureur européen présenté M. Guy Geoffroy, rapporteur), et demeure préférable. L’importance de cette question peut toutefois être relativisée, compte tenu de la gravité des infractions que le parquet européen aura à poursuivre, notamment si sa compétence est étendue aux formes graves de criminalité transnationale.

Une autre question connexe devrait également être tranchée : la décision de ne pas poursuivre devrait-elle être motivée et pouvoir faire l’objet d’un recours ? Le Conseil d’Etat souligne qu’en application du droit à un recours effectif, une obligation de motivation et l’existence de voies de recours parait préférable. Il rapporte également qu’en France, la décision de classement ne revêt pas l’autorité de la chose jugée et peut être révisée lorsque de nouveaux éléments sont à prendre en considération. Ce principe a d’ailleurs été retenu pour la Cour pénale internationale (article 53, paragraphe 4, du statut de la Cour pénale internationale).

En France, le recours est hiérarchique auprès du procureur général près la Cour d’appel. Pour le parquet européen, le recours pourrait se faire devant la formation plénière du parquet ou plutôt devant la CJUE ou une juridiction spécialisée.

Le paragraphe 2 de l’article 86 confie la responsabilité de la décision de poursuivre au parquet européen alors que, pour la Cour pénale internationale, la décision de poursuivre ne relève pas de l’autorité de poursuite. La décision de poursuivre devrait également pouvoir faire l’objet d’un recours.

Le choix de la juridiction de renvoi constituera sans nul doute une question cruciale qui se pose de manière inédite, le parquet européen tel qu’il est défini dans le TFUE n’étant adossé à aucune cour. Les critères devant présider au choix d’une juridiction de renvoi n’ont jamais été clairement établis(35). Il existe de multiples causes de conflits de compétence positifs (plusieurs Etats sont compétents) ou négatifs (aucun Etat n’est compétent ou aucun Etat ne poursuit par manque d’intérêt pour la répression).

Beaucoup d’Etats membres ont en effet des compétences territoriales larges (infractions graves commises par leurs ressortissants, voire leurs résidents, à l’étranger ; infractions commises à l’encontre de leurs ressortissants à l’étranger – comme dans le cas des attentats ; compétences réelles(36) ou universelles(37)).

Un conflit de compétence positif emporte des conséquences très négatives, telles que l’absence de prise en compte globale des infractions et la création de conflits entre autorités judiciaires. L’Italie a ainsi mis en œuvre une direction nationale antimafia afin de pouvoir « lier entre eux des faits épars, pour faire émerger des phénomènes criminels qui, autrement, resteraient dissimulés ». Le risque d’atteinte à la règle « non bis in idem », selon laquelle nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement deux fois à raison des mêmes faits, est également réel. La CJCE a notamment jugé que le trafic illicite de stupéfiant d’un Etat membre à un autre ne pouvait pas faire l’objet de poursuites pour exportation dans le pays d’origine et pour importation dans le pays d’arrivée, comme cela se pratiquait, car constituait le même fait criminel(38).

Un conflit négatif de compétence, tel qu’on le constate parfois dans les affaires de traite des êtres humains, est tout autant inacceptable.

Comment le choix de la juridiction de renvoi pourrait-il s’opérer ? Et selon quels critères ? Les garanties offertes à la personne poursuivie peuvent différer très sensiblement d’un Etat membre à l’autre (les textes tendant à fixer un certain nombre de règles minimales n’ont été adoptées que très récemment au niveau européen et ne sont pas transposées), tout comme les moyens répressifs ou encore les niveaux de sanctions. La protection et l’indemnisation des victimes peuvent être très différentes.

A ce jour, il n’y a pas de hiérarchisation établie des critères permettant de résoudre les conflits de compétences qui pourrait servir de base au choix de la juridiction de renvoi pour le procureur européen.

Les critères de compétence « territoriaux » restent les plus souvent évoqués et présentent l’avantage de l’objectivité.

Une fois le choix effectué, se posera en outre la question de la juridiction territorialement compétente au sein de l’Etat membre. Il semblerait possible de désigner une juridiction spécialisée au sein de chaque Etat membre, vu la complexité des affaires que le parquet européen aura à renvoyer devant les juridictions nationales. Cela existe déjà dans plusieurs Etats membres en matière de terrorisme.

Le choix de la juridiction de renvoi devrait pouvoir faire l’objet d’un recours.

En France, pour la poursuite devant la juridiction nationale, le délégué du parquet européen devrait tenir le siège du ministère public. Le parquet pourrait exercer un droit de recours et interjeter appel contre toute décision qui ne serait pas conforme à ses réquisitions. Une question spécifique sera posée en cas de pourvoi en cassation. Le Conseil d’Etat rappelle dans son étude que le rôle de l’avocat général près la Cour de cassation « n’est pas de soutenir l’accusation, mais de veiller, en toute indépendance, à l’exacte application de la loi pénale ». Seule une intervention limitée à la production d’un mémoire apparaîtrait justifiée.

CONCLUSION

La Commission européenne a prévu d’effectuer des propositions sur la création d’un parquet européen avant l’issue de son mandat en 2014.

En conclusion, les rapporteurs souhaitent rappeler un certain nombre d’idées fortes : sans ignorer les difficultés liées à cette ambition, le parquet européen devrait dès sa création être compétent en matière de criminalité grave transnationale ; il devrait être une structure collégiale dotée d’une autorité hiérarchique, s’appuyant sur les systèmes judiciaires pénaux, sur les droits et les procédures nationaux et être soumis à un contrôle juridictionnel étendu.

Sans prétendre répondre aux nombreuses questions qui se posent, notamment en termes de statut, de rapprochement des incriminations et des sanctions ou encore de recueil des preuves, les rapporteurs jugent que la volonté politique peut surmonter les obstacles qui ne manqueront pas d’advenir.

Le parquet européen répond, non seulement aux intérêts de l’Union européenne, mais également aux intérêts des Etats membres et de leur population. Mais le parquet européen ne doit pas « tomber du ciel », comme le souligne Mme Viviane Reding. La construction de l’espace judiciaire européen ne se décrète pas.

Le débat doit donc être réengagé afin de progresser sur la voie de l’Europe politique, de l’Europe au service des citoyens. Les avantages attendus en termes de justice imposent aux autorités politiques de se saisir de cette question.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

1. Audition de M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (réunion du mercredi 8 juin 2011)

« Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’être venu évoquer avec nous plusieurs thèmes relatifs à la coopération judiciaire en matières pénale et civile, sujets qui touchent à la souveraineté des Etats membres. Les négociations européennes sont souvent complexes, lentes et difficiles mais les attentes des citoyens sont grandes dans ce domaine.

Mme Marietta Karamanli et M. Guy Geoffroy, rapporteurs de la mission d’information sur la création d’un Parquet européen – une possibilité prévue par le traité de Lisbonne – souhaiteront certainement vous interroger. A l’initiative de notre commission, ce qui est une première, le Conseil d’Etat vient de faire paraître une étude juridique détaillée à ce propos. Quelle est la position du Gouvernement sur cette question centrale pour l’espace de liberté, de sécurité et de justice européen ?

Par ailleurs, quel est l’état des négociations au sein du Conseil européen en matière de coopération judiciaire pénale ? Les propositions relatives à la décision d’enquête européenne d’une part, à la lutte contre la pédopornographie d’autre part, ont fait l’objet d’une communication de notre collègue Guy Geoffroy.

Enfin, la Commission européenne a publié aujourd’hui, 8 juin, une proposition de directive relative au droit d’accès à l’avocat dans le cadre des procédures pénales ; quelles difficultés soulève-t-elle ?

M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés. Je suis heureux d’avoir l’occasion de discuter avec vous de textes qui, outre qu’ils ont un impact de plus en plus marqué sur notre législation, deviennent une source de notre droit en dehors du Parlement. C’est une évolution majeure, puisque, depuis la Révolution, il appartenait au Parlement de fixer les incriminations pénales, les peines et la procédure.

Plusieurs textes sont actuellement en négociation : les directives sur les garanties procédurales, les directives de droit pénal spécial relatives à la lutte contre la pédopornographie et la cybercriminalité, ou encore le projet de règlement sur les successions, inscrit à l’ordre du jour du Conseil « Justice et affaires intérieures » qui se tiendra ce vendredi 9 juin.

Ces textes, qui paraissent extrêmement techniques, concernent directement nos concitoyens comme tous les citoyens européens. C’est notamment le cas du projet de règlement sur les successions qui vise à simplifier le règlement des successions transfrontalières. Après trois années de travaux préparatoires dans lesquels la France s’est beaucoup investie, nous approchons d’un compromis sur plusieurs points. Nous pouvons considérer avec satisfaction qu’en dehors de la question de la limitation du champ de la loi successorale, la France est parvenue à sauvegarder l’essentiel : le critère de détermination de la loi applicable, qui sera celui de la résidence habituelle, et le principe de la circulation de l’acte authentique. Je poursuivrai la défense de ces deux avancées, vendredi, lors de la réunion du Conseil. En outre, malgré l’arrêt récent de la Cour de justice de l’Union européenne sur la condition de nationalité pour l’accès à la profession de notaire en France, nous sommes parvenus à faire valoir notre position ; notre système est reconnu comme pertinent au niveau européen.

D’autres projets en discussion concernent plus directement les acteurs de la chaîne pénale. C’est le cas du projet de directive sur la décision d’enquête européenne, qui vise à établir au sein de l’Union européenne un régime unique et cohérent en matière de collecte des éléments de preuve dans le domaine pénal. Je souhaite que cet instrument apporte une réelle valeur ajoutée aux praticiens du droit. Pour cela, il est indispensable que les négociations en cours n’aboutissent pas à un compromis qui se situerait en deçà des standards actuels de l’entraide judiciaire, notamment par la multiplication de motifs permettant de refuser les demandes de coopération.

Je souhaite évoquer plus longuement la proposition de directive sur l’accès à l’avocat, publiée aujourd’hui, ainsi que le projet de Parquet européen qui intéresse particulièrement votre commission. Ces deux projets ont une dimension politique d’autant plus évidente qu’ils font écho aux discussions qui animent la scène politique intérieure.

Le projet de directive sur l’accès à l’avocat vient parachever la feuille de route relative aux garanties procédurales décidée par le Conseil en 2009. Deux mesures ont déjà été prises ; le droit à l’interprétation et à la traduction des pièces de procédure, dont la négociation est achevée, et l’information des accusés et des suspects, actuellement en discussion au Parlement européen.

La troisième mesure, qui porte sur la garde à vue, entraîne de réelles difficultés car elle n’assure pas l’équilibre nécessaire entre la protection des droits de la défense et les nécessités de l’enquête. Si, il y a quelques semaines, nous sommes parvenus à une loi nationale équilibrée, cette proposition me semble préjudiciable à l’efficacité des enquêtes.

Le texte prévoit en effet l’intervention systématique de l’avocat, dont il étend la présence à d’autres actes, tels les perquisitions et les prélèvements sur la personne gardée à vue. Il impose aux enquêteurs d’attendre l’arrivée de l’avocat pour tout acte d’audition ou d’enquête qui demande la présence du gardé à vue. De plus, le texte permet à l’avocat de poser des questions à tout moment : son intervention pendant les auditions n’est pas encadrée comme le prévoit la loi française, et le renvoi au droit national est limité à la consignation de ses observations dans la procédure. Enfin, l’entretien du gardé à vue avec l’avocat n’est pas limité dans le temps : il dure autant qu’il est nécessaire pour assurer les droits de la défense. Cette conception floue crée une forte insécurité juridique, et donc un risque de nullité.

Toutes ces mesures contraignent les enquêteurs à suivre le rythme imposé par l’avocat du gardé à vue : il décide de la durée des entretiens, il peut bloquer une perquisition ou un prélèvement d’ADN, il peut monopoliser une audition. Le renforcement des droits de la défense est un des objectifs centraux de notre action, mais ce dispositif très contraignant pour les enquêteurs risque de freiner la manifestation de la vérité et de compromettre la réussite des enquêtes, au préjudice de la société et des victimes.

En outre, la proposition de directive ne reconnaît pas de régime dérogatoire de garde à vue pour le terrorisme et la criminalité organisée. Ne prévoyant aucun cadre de garde à vue adapté à cette forme de criminalité, elle ne permet donc aucun report de l’arrivée de l’avocat, comme le prévoit notre droit. C’est toute la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée qui sera affectée par ces dispositions. Afin de tenir compte de la complexité des enquêtes, notre législation permet des dérogations à la présence de l’avocat plus flexibles et plus longues pour ces formes de criminalité particulièrement graves. Mais elle exige pour ces dérogations, conformément à la jurisprudence européenne, une motivation in concreto.

Par ailleurs, le projet de directive entraîne un dévoiement du rôle de l’avocat.

En effet, il prévoit que l’avocat du gardé à vue aura le droit d’inspecter les locaux de garde à vue au sein des commissariats et des brigades de gendarmerie. Cette mission relève en France des autorités publiques : procureur de la République, magistrat instructeur, parlementaires et contrôleur général des lieux privations de liberté. Ce contrôle fonctionne, et l’instauration d’un contrôle de nature privée n’aurait aucun sens. Ce ne peut être la mission des avocats.

Par ailleurs, le texte impose aux Etats membres de contrôler la qualité des conseils juridiques délivrés et donc celle du travail des avocats, une compétence qui relève en France des ordres professionnels. Ce n’est pas acceptable, et pour une raison de principe et parce qu’en pratique le contrôle systématique de la qualité des prestations délivrées est irréalisable.

Les conséquences pratiques du projet de directive sont loin d’être négligeables. Le dispositif retenu, qui impose la présence de l’avocat à toutes les auditions des personnes suspectées d’avoir commis une infraction pénale, conduira à l’augmentation mécanique du nombre de gardes à vue, compromettant ainsi les efforts que nous avons accomplis au cours des derniers mois pour remédier à une situation qui n’était plus tenable.

Ce dispositif a des conséquences budgétaires considérables, notamment en matière d’aide juridictionnelle. Or la Commission ne traite pas la question du financement, en renvoyant la responsabilité à chaque Etat. Mais si l’on reproche souvent à la France sa place dans le classement du fonctionnement de la justice, on oublie de dire qu’elle occupe le premier rang pour la gratuité de l’accès à la justice. Ce projet d’inspiration individualiste avantagera les personnes qui pourront financer leur défense ; ce n’est ni notre tradition ni notre façon de voir les choses.

La négociation doit donc porter aussi sur la question du financement : il en va de la validité même de cette réforme. Imposer un standard européen qu’aucun pays ne sera capable de supporter financièrement n’a pas de sens. Il me semble donc opportun de définir un tarif européen de l’aide juridictionnelle et le champ du financement public de l’avocat, harmonisé au sein des Etats membres. En l’absence de financement des nouveaux droits, nous nous orienterons vers une justice inégalitaire. Les deux questions ne peuvent donc être dissociées.

La politique pénale qui se dessine derrière cette proposition est une politique ultralibérale qui limite les capacités opérationnelles des Etats en matière de lutte contre la délinquance et témoigne d’une défiance à l’égard des Etats membres. La Commission européenne ne se préoccupe que des droits de la défense, au détriment de ceux des victimes et surtout au détriment des moyens d’investigation et de poursuite des policiers et du Parquet.

Nous devons être vigilants car ce projet de directive s’inscrit dans une démarche plus globale qui peut faire craindre un certain recul au niveau judiciaire. En effet, la Commission européenne montre peu d’entrain à développer l’entraide judiciaire, et elle a récemment émis des critiques à l’égard des instruments d’extradition dans sa communication sur le mandat d’arrêt européen, alors que cet instrument améliore considérablement l’efficacité des investigations et donc de la lutte contre la criminalité.

Je suis persuadé que nous pouvons construire une autre politique pénale, plus équilibrée, qui permette de renforcer les instruments d’entraide et qui propose des cadres adaptés aux attentes de tous les citoyens.

Les citoyens n’attendent pas des Etats qu’ils se désengagent dans ce domaine, tant s’en faut, mais qu’ils se fassent les promoteurs d’une politique européenne responsable reposant sur des mesures qui peuvent être financées par les Etats, d’une politique pénale équilibrée, protectrice des libertés mais permettant une justice efficace, garantissant la sécurité de tous les citoyens de l’Union et au sein de laquelle les victimes auront toute leur place.

Notre engagement pour la construction d’une Europe de la justice doit se forger autour de ces axes forts, car c’est grâce à une position cohérente et structurée que nous pourrons mener efficacement la négociation. La politique pénale européenne doit être ambitieuse, et reposer sur une coopération toujours croissante entre les Etats membres.

J’en viens au projet de création d’un Parquet européen.

Depuis le traité de Lisbonne, qui a concrétisé des réflexions nées une dizaine d’années plus tôt, les Etats membres ont la possibilité de créer un Parquet européen qui serait compétent pour poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, voire pour lutter contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière. C’est une possibilité et non une obligation.

Aux termes de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union, le Parquet européen, créé « à partir d’Eurojust », serait compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices de ces infractions, et exercer en la matière l’action publique devant les juridictions compétentes des Etats membres. Le traité renvoie à des actes de droit dérivé le soin de définir l’admissibilité des preuves et les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure.

Le traité a ainsi fixé un cadre souple, offrant une large gamme de possibilités. Mais avant de passer à l’étape de la définition et des choix, il est indispensable de tracer les contours de ce que devrait être véritablement ce Parquet européen et surtout de déterminer en quoi son efficacité serait supérieure à celle des Parquets nationaux.

A l’évidence, la réflexion ne peut être considérée comme aboutie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle votre assemblée avait suggéré au Premier ministre de demander au Conseil d’Etat une étude sur la question. Cette étude éclaire les enjeux multiples, et délicats, de la question. Je ne prétends pas apporter aujourd’hui de réponses définitives, mais vous faire part de quelques réflexions.

Avant toute chose, il sera indispensable de définir clairement le champ de compétences du Parquet européen, ce qui revient à se poser la question des motifs qui doivent, ou pas, conduire à l’instituer. Le traité mentionne à cet égard deux possibilités : atteintes aux intérêts financiers de l’Union et criminalité organisée. J’ai tendance à penser qu’au moins dans un premier temps, si le Parquet européen devait être mis en place, il faudrait limiter sa compétence à la protection des intérêts financiers de l’Union. Cela éviterait que le Parquet européen ne se trouve en concurrence avec les Parquets nationaux.

Pour l’organisation du Parquet européen, deux modèles sont envisageables : un collège de procureurs nationaux, sur le modèle d’Eurojust, ou un Parquet européen intégré, dont les membres ne représentent plus les Etats membres mais un véritable ministère public européen.

Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer aujourd’hui qu’un modèle est préférable à l’autre. Le Parquet européen intégré permettrait, selon ses promoteurs, de gagner en réactivité, surtout si il devait disposer d’un service d’enquête propre ; le Parquet européen rassemblant un collège de procureurs nationaux permettrait de conserver les spécificités nationales.

Il me paraît toutefois important que les attributions du Parquet ne se limitent pas, comme dans le modèle anglo-saxon, à soutenir l’accusation à l’audience. Dans la conception française que je défends, il doit également diriger les investigations, poursuivre et soutenir l’action publique tout au long de la procédure. Un procureur européen doit avant tout, à l’instar d’un procureur français, être un magistrat.

Construire un Parquet européen, c’est aussi se poser la question de son articulation avec les justices nationales et sur ce point la réflexion est inaboutie. Comment les juridictions nationales pourront-elles autoriser les perquisitions, les écoutes, la détention provisoire ou le contrôle judiciaire des personnes poursuivies ? De même, pour le jugement des infractions relevant du Parquet européen, quelles juridictions doivent être compétentes, en quelle langue doivent se dérouler les débats, et qui doit les financer ?

Par ailleurs, la mise en œuvre d’un Parquet européen ne suppose-t-elle pas l’uniformisation des incriminations qui relèveraient de sa compétence ? Les législations pénales nationales relatives à la protection des intérêts financiers de l’Union sont très variables. Pour éviter que le « forum shopping » autrement dit le choix de l’Etat membre dans lequel se fera la poursuite, ne porte atteinte à l’égalité de traitement des justiciables, une telle harmonisation est sans doute nécessaire. Mais le Parlement français acceptera-t-il une modification des incriminations signifiant le cas échéant l’abaissement de l’échelle des peines, au risque d’incohérence avec le droit pénal national ?

L’institution d’un Parquet européen, parce qu’elle traduit une certaine forme d’abandon de la souveraineté nationale, est un choix politique important qui doit être débattu par les citoyens, pour qu’ils décident si un procureur installé à Bruxelles ou à Luxembourg protégera mieux les intérêts de la société qu’un procureur en fonction à quelques kilomètres de chez eux.

Construire l’Europe, c’est s’impliquer dans des choix communs et définir ces choix ensemble. Défendre l’Europe, ce n’est pas laisser la Commission et même le Parlement européen seuls pour décider des règles qui s’imposent aux Etats et aux citoyens : c’est investir l’espace politique européen dans lequel la droite, le centre et la gauche expriment leurs positions sur les sujets qui concernent directement les citoyens.

Le débat politique sur les instruments juridiques soumis à la négociation est nécessaire, et même indispensable. C’est le signe de la maturité de la construction européenne. Si nous ne nous saisissons pas de ces sujets d’intérêt commun, si nous laissons se faire, hors de tout débat, une politique pénale déséquilibrée, les citoyens voteront pour des partis anti-européens, non par hostilité envers la construction européenne mais par hostilité envers la politique menée par l’Union européenne, ce qui est tout autre chose. Derrière la nécessaire politisation du débat européen, c’est le consensus autour du projet européen qui est en jeu.

Depuis le traité de Lisbonne, l’Union européenne peut traiter de sujets qui touchent directement à la vie quotidienne des citoyens ; c’est le cas de la justice pénale. Il ne faut pas laisser penser que le débat sur ces questions est technique et qu’il ne vise qu’à transposer une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agit de débats politiques, de débats de société comme nous en avons eus lors des débats sur la loi portant réforme de la garde à vue. A l’issue de ces débats, nous sommes parvenus à un texte garantissant l’équilibre entre les libertés individuelles constitutionnellement garanties, le maintien de l’ordre public et la sécurité de nos concitoyens. C’est cet équilibre, qui me semble être une conception largement partagée de la justice, que je m’attacherai à défendre au niveau européen.

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie, Monsieur le garde des Sceaux, pour cet exposé très précis. J’appelle les questions.

M. André Schneider. Monsieur le garde des Sceaux, vous avez anticipé de nombreuses questions, en soulignant la complexité de l’installation d’un Parquet européen. Vous avez évoqué l’éventuel renforcement d’Eurojust ; quelle est la position de la France en la matière ?

En tant qu’élu du Bas-Rhin, circonscription voisine de l’Allemagne, je peux témoigner des difficultés que suscitent les différences procédurales entre la France et l’Allemagne, qu’il s’agisse de dossiers de divorce ou de lutte contre la traite des êtres humains. Il y a beaucoup à faire. Aussi, ne serait-il pas plus raisonnable de commencer par harmoniser quelques éléments de base de nos systèmes judiciaires respectifs ? Que pouvez-vous faire pour que la justice des pays européens devienne enfin une justice européenne, ce que nos concitoyens attendent avec impatience ?

Mme Marietta Karamanli. Vous avez répondu, Monsieur le garde des Sceaux, à certaines des questions que M. Guy Geoffroy et moi-même nous posions, et vous avez partiellement dévoilé votre position, même si elle n’est pas définitivement arrêtée. Je rappelle qu’en 2002 déjà, dans le cadre de la délégation pour l’Union européenne, MM. Jacques Floch et René André avaient présenté un rapport d’information sur la création d’un procureur européen et qu’en mai 2003, l’Assemblée nationale adoptait une résolution sur le même thème, présentée par M. Geoffroy au nom de la commission des lois.

S’agissant de l’utilité d’un Parquet européen, vous vous êtes montré très prudent. Plusieurs d’entre nous considèrent qu’il faut être ambitieux pour l’Europe. La criminalité est devenue transfrontalière ; nos insuffisances nationales nous imposent de la traiter au niveau européen. Face au développement des formes graves de criminalité que sont, par exemple, la traite des êtres humains et le trafic de stupéfiants, nous devons, si nous voulons que l’Union européenne soit crédible, doter le Parquet européen de compétences plus larges que la seule défense des intérêts économiques et financiers de l’Europe prévue par le traité de Lisbonne, et lui permettre aussi de poursuivre les auteurs de ces crimes graves.

S’agissant de la forme que pourrait prendre le Parquet européen, certaines des personnalités que nous avons auditionnées estiment la collégialité difficilement compatible avec la réactivité qu’exigent les poursuites, mais d’autres jugent que, par souci d’équilibre, elle ne doit pas être écartée par principe. Quelle forme privilégieriez-vous, aussi lointaine soit la perspective d’un éventuel Parquet européen ?

L’instauration d’un ministère public européen suscite des réticences et une certaine méfiance qui rendent improbable l’unanimité des Etats membres sur cette question. Ne peut-on alors envisager, une coopération renforcée entre plusieurs pays différents par la taille, l’histoire et la géographie ? Il en va de la crédibilité de l’Union européenne, dont les citoyens attendent des réponses à leurs problèmes quotidiens, qui ne sont pas seulement financiers. Pouvez-vous préciser la position du Gouvernement et nous dire comment il envisage la suite des travaux ?

M. Guy Geoffroy. Mme Marietta Karamanli et moi-même présenterons le 29 juin prochain les conclusions de nos travaux relatifs à la création d’un Parquet européen. Dans l’intervalle, je souhaite donner quelques indications permettant d’appréhender les enjeux. Depuis bientôt quinze ans, les pays européens s’interrogent sur les moyens de lutter contre la criminalité organisée transnationale qui, chacun le sait, se joue des frontières. C’est ainsi qu’a été envisagé le déclenchement de poursuites par une instance européenne. En 2002, la Commission européenne a proposé, dans son Livre vert, la création ex nihilo d’un Parquet européen chargé de protéger les intérêts financiers de l’Union européenne. La proposition de résolution relative à la création d’un procureur européen contenue dans le rapport d’information rédigé par MM. René André et Jacques Floch au nom de la délégation pour l’Union européenne allait en ce sens.

Rapporteur du texte pour la commission des lois, j’ai suggéré, en accord avec M. Dominique Perben, alors garde des Sceaux, que l’on aille plus loin. La proposition de la commission des lois a été adoptée par la commission, puis par l’Assemblée nationale, sans opposition, le 22 mai 2003. A la différence de la délégation, la commission des lois proposait de créer un Parquet européen à partir de l’outil existant, Eurojust. Ainsi pouvait-on dépasser le cadre strict de la lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union – une question dont on voit encore qu’elle n’intéresse pas les dix nouveaux entrants car ils y voient, à tort, un problème technique sans conséquence pour les Etats et les citoyens. Pour notre part, nous avions considéré qu’il convenait de prêter également attention à ce qui est devenu par la suite le programme de Stockholm.

Comme Mme Karamanli, je me félicite donc que le traité de Lisbonne dispose, au paragraphe 1 de l’article 86, que « pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (…) le Conseil (…) peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust ». Le traité est le point de départ qui permet de traiter cette question. Le paragraphe 4 du même article dispose quant à lui que « le Conseil européen peut, simultanément ou ultérieurement, adopter une décision modifiant le paragraphe 1 afin d’étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière (…) » A-t-on, par ce paragraphe, voulu enterrer la dynamique engagée en 1997, ou signifier que nous posions les bases d’une politique pénale européenne du possible et du nécessaire pour permettre de mieux lutter contre la criminalité transfrontalière ? Là est l’enjeu, et c’est dire l’importance des discussions à venir à ce sujet au sein du Conseil « Justice et affaires intérieures » de l’Union.

Nous avons rencontré Mme Vivian Reding, commissaire européenne à la justice – dont on sait qu’elle entend proposer en 2013 des orientations décisives en matière de création du Parquet européen -, ainsi que M. Juan Fernando López Aguilar, président de la commission des libertés civiles du Parlement européen, qui s’est montré très allant et qui nous a rappelé avoir porté le sujet à l’avant-scène, lors de la présidence espagnole, et lorsqu’il était ministre de la justice d’Espagne. Mais tous nos interlocuteurs ont insisté sur le fait que le dossier n’avancerait que si le Conseil européen en manifeste la volonté.

Ambition, prudence, lucidité et pragmatisme s’imposent donc pour renforcer la crédibilité de l’Union européenne aux yeux de nos concitoyens. Pour cela, il faut mettre au point un dispositif qui, sans créer une subordination de la justice française à une justice européenne qui lui serait supérieure, permettra de répondre à armes égales à la criminalité transnationale – si possible, avec un coup d’avance. Alors qu’une directive relative à la lutte contre la traite des êtres humains vient d’être finalisée, il serait paradoxal de ne pas se donner les moyens de l’appliquer. Beaucoup avait été dit sur le mandat d’arrêt européen, considéré par certains comme une atteinte portée à la souveraineté des Etats en matière de justice ; démonstration a plutôt été faite du contraire, même si l’analyse requiert de la prudence. De même, je pense qu’il n’y pas lieu de redouter la création d’un Parquet européen au terme d’une démarche prudente, qui pourrait peut-être permettre d’éviter une coopération renforcée. Ce qui est proposé est plus une chance qu’une contrainte, c’est un avantage plus qu’un risque. Cela ressort d’ailleurs de l’étude du Conseil d’Etat : elle dit la complexité de la mesure et la nécessité de définir le champ de compétences de l’éventuel Parquet européen, mais elle préconise aussi de pousser le plus loin possible la coopération. Très nombreux, Monsieur le Garde des Sceaux, sont ceux qui espèrent voir les gouvernements bouger, et la position que prendra la France est très attendue.

M. Jacques Myard. Dans une tension perpétuelle entre réalité et utopie, la fuite en avant me paraît à nouveau tenir lieu de politique européenne. La criminalité transnationale trouvant pour une très large part sa source hors les frontières de l’Union, un Parquet européen ne résoudrait rien. Il existe une série de conventions internationales réprimant le trafic des êtres humains et le trafic de stupéfiants ; que chaque Etat commence donc par les appliquer ! De plus, point n’est besoin d’un Parquet européen pour poursuivre ! Il suffit, si la Commission européenne soupçonne une fraude, qu’elle fasse une enquête et, si elle la constate, qu’elle transmette le dossier au Parquet de l’Etat concerné pour poursuites. Pourquoi tenir à construire une usine à gaz ? Voyez ce qu’il en est aux Etats-Unis : pour trois crimes jugés à l’échelon fédéral, tout le reste est jugé au niveau des Etats ! Pourquoi imaginer un dispositif qui sera source de conflits de juridictions et de contentieux inextricables ?

Quant au projet de directive sur l’accès à l’avocat, il est inacceptable. Un avocat est un avocat au moment du procès, il n’est pas dans l’enquête. Un lobby est a l’œuvre et l’on progresserait grandement si, avant toute chose, on prenait la mesure de salubrité publique consistant à rendre incompatibles, tant au Parlement français qu’au Parlement européen, la qualité d’avocat et l’exercice de la députation… Il faut en revenir aux sujets primordiaux que sont l’intérêt des Etats et la sécurité publique : c’est cela que demandent les citoyens, et non pas que l’on démantèle la sécurité juridique comme le fait ce projet. Tout cela est inadmissible, et vous devez le dire, Monsieur le garde des Sceaux.

Le Président Pierre Lequiller. Voilà une opinion quelque peu dissemblable de celle des co-rapporteurs et du Conseil d’Etat…

M. Jacques Myard. Lequel n’est pas infaillible.

M. Robert Lecou. Une gouvernance mondiale est indispensable en bien des domaines. Les accords bilatéraux ne suffisent pas, une démarche transfrontalière plus globale est nécessaire. Si l’Europe, actuellement en crise, veut retrouver son rang et continuer d’influer sur la marche du monde, elle doit avancer plus unie. S’agissant du Parquet européen, sans négliger les instruments existants ni compliquer les choses, nous avons intérêt à aller de l’avant pour contrecarrer les officines criminelles. Quelle est la position des autres Etats membres ? Où s’expriment les réticences et les appuis à ce projet ?

M. Didier Quentin. Pour donner suite à cette question, pensez-vous, Monsieur le ministre, que la procédure d’installation d’un Parquet européen, qui est actuellement une perspective lointaine, soit susceptible d’être accélérée ? Quant au projet de directive sur l’accès à l’avocat, il frappe de stupeur. Qu’en est-il du Livre vert sur la détention ? Enfin, la lutte contre la cybercriminalité est-elle à l’ordre du jour des prochains travaux des ministres européens de la justice ?

M. Pierre Forgues. Monsieur le ministre, la manière très mesurée avec laquelle vous avez présenté le projet de Parquet européen peut paraître curieuse au regard de l’engagement de nos deux rapporteurs, mais je n’en suis pas étonné. Le principe d’un Parquet européen est louable : il est bon de vouloir réaliser l’Europe pénale, mais bien d’autres politiques européennes restent à faire. Une politique européenne de la fiscalité – de la fiscalité des entreprises en particulier – serait intéressante, comme le serait une politique industrielle européenne ; quant à la politique environnementale européenne qui se fait petit à petit, elle est tout à fait nécessaire, et réaliste. Il reste donc tant à faire que l’achèvement de l’Europe pénale est sans doute chose lointaine, d’autant plus lointaine que l’unanimité me semble improbable. Au mieux, le Parquet européen se ferait dans le cadre d’une coopération renforcée entre quelques Etats, ce qui rendrait son efficacité aléatoire. De plus, la criminalité organisée transfrontalière dépasse largement les frontières de l’Union. Quelle action concrète pourrait avoir un Parquet européen chargé de protéger les intérêts financiers de l’Union, en cas d’attaque contre l’euro déclenchée depuis Hong-Kong, New York ou ailleurs ? En quoi un Parquet européen, dont on ne sait où il serait établi, serait-il plus efficace que ne le sont les Parquets nationaux ? Ce projet demande une réflexion approfondie. D’une manière générale, la criminalité organisée sait parfaitement s’adapter aux législations nationales, et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Je comprends donc la prudence du ministre : le principe est sans doute louable, mais l’on ne peut se limiter à énoncer beau principe après beau principe sans aboutir à rien. Je préférerais que l’on s’attache à quelques politiques et qu’on les mène à leur terme avant de lancer des chantiers ultérieurs.

Le Président Pierre Lequiller. Permettez-moi d’observer que si, depuis le fondement de l’Union, on s’était contenté de l’existant sans pousser les feux, l’Europe ne se serait jamais faite. Lors de la création de l’euro, beaucoup étaient sceptiques…

M. Jacques Myard. Certains le sont toujours…

Le Président Pierre Lequiller. Il n’empêche que l’Allemagne, pour le bien commun, a accepté de sacrifier le Deutsche Mark. De même, le projet de Parquet européen a un impact direct sur les citoyens, et je soutiens la position de nos deux rapporteurs.

M. Michel Mercier. Cet intéressant débat a mis en lumière des positions sans doute moins antagonistes qu’on peut le penser. L’une des manières d’être européen, c’est de s’en tenir aux grands principes et d’occulter les questions pratiques ; mais, selon moi, la seule façon de progresser consiste à tout mettre sur la table sans rien se cacher. Du projet de Parquet européen, le Conseil d’Etat dit : « L’impression de relative retenue qui pourrait (…) résulter [de l’étude] ne doit pas masquer la conviction que le Conseil d’Etat s’est forgée, à l’occasion de ses travaux, de la nécessité qu’il y a de progresser dans la voie du renforcement d’un espace judiciaire européen par la création d’un véritable organe commun de poursuites pénales. » On ne peut que partager ce point de vue. Mais il reste à définir la forme que l’on souhaite donner au Parquet européen – Parquet intégré ou Eurojust renforcé – et à trancher les questions de fond qui demeurent irrésolues.

Un procureur poursuit des infractions légalement déterminées ; dans le cas d’un Parquet européen, qui déterminera les incriminations ? Que fera-t-on en cas de « concours » d’incriminations entre les Etats et le Parquet européen ? D’autre part, comment réglera-t-on les relations entre le Parquet européen et les Parquets nationaux ? Comment dessaisira-t-on, qui contrôlera, qui décidera ? Il est vrai, aussi, que décider d’instituer un procureur européen, c’est aller vers une forme de fédéralisme.

Il est légitime de se poser ses questions, mais cela n’empêche pas de construire l’espace judiciaire européen en renforçant Eurojust et ainsi la coopération entre les Etats membres. Définir des incriminations pénales européennes, c’est un abandon de compétence marquant pour un Parlement national, et comme cette définition ne peut relever que d’un Parlement, c’est reconnaître ce pouvoir au Parlement européen. Régler les questions pratiques – car je comprends le propos de M. Schneider, qui s’agace de ce que les procédures quotidiennes continuent de différer dans des pays frontaliers – n’empêche pas que l’on puisse créer un espace judiciaire européen ; on peut avancer sur les deux fronts en même temps.

Je n’ai pas l’intention de soutenir le texte de la proposition de directive sur l’accès à l’avocat qui, dans sa forme actuelle, est dangereusement déséquilibré. Les droits de la défense doivent évidemment être respectés, mais ceux de la société et des victimes doivent l’être aussi ; je le dirai à Mme Reding. Je suis favorable à ce qu’en France la justice reste accessible à tous. Si, dans notre pays, 60 % du contentieux est d’ordre familial, c’est que chacun peut accéder à la justice ; dans les autres pays, il faut payer pour cela. La manière dont la justice est organisée traduit notre culture, et l’on peut avoir de fortes convictions européennes sans pour autant consentir à l’abandon de sa culture. Je suis très attaché à notre droit, qui fut un temps à la base du droit de nombreux pays européens et qui continue de l’être dans certains Etats et je considère ce projet de directive comme inacceptable en l’état. Je compte sur les membres de votre commission pour participer à la réflexion sur ces sujets.

Le Président Pierre Lequiller. Nous sommes heureux, Monsieur le garde des Sceaux, d’avoir eu avec vous cette discussion qu’il sera très intéressant de reprendre après que nos deux rapporteurs auront poursuivi leurs consultations. »

2. Examen du rapport d’information de M. Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli sur le Parquet européen (réunion du mercredi 29 juin)

La Commission s’est réunie le 29 juin 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

Un échange de vues a suivi l’exposé des rapporteurs.

« Le Président Pierre Lequiller. Je tiens à remercier les rapporteurs pour leurs travaux et souhaite insister sur le fait que, pour la première fois, le Président de l’Assemblée nationale a demandé au Gouvernement que le Conseil d’Etat soit saisi sur ce sujet, son étude ayant été adoptée au cours de son assemblée générale du 24 février dernier. Comme cela a été souligné, cette étude a permis d’étayer de manière précieuse la position des rapporteurs.

Nous avions également, le 8 juin dernier, auditionné M. Michel Mercier, garde des Sceaux, qui avait une position sensiblement différente de celle des rapporteurs. J’avais à l’époque défendu la position des rapporteurs et je continue à le faire. Il serait sans doute utile que les rapporteurs puissent directement expliciter la position adoptée par notre Commission.

Mme Marie-Louise Fort. Ma collègue Pascale Gruny et moi souhaiterions savoir quels seront les rapports qu’entretiendra le parquet européen avec la Cour de justice de l’Union européenne et avec la Cour européenne des droits de l’homme.

M. Guy Geoffroy, co-rapporteur. C’est un vrai sujet ! C’est pour cela qu’il faut être à la fois déterminés et prudents. La matière pénale est caractérisée par l’extrême diversité des systèmes nationaux, ce qui en fait un sujet très sensible. Si l’on ne parvient pas à réunir l’unanimité, qui est requise dans ce domaine, il faudra probablement envisager une coopération renforcée. La question du rattachement, ou non, du parquet européen à une instance juridictionnelle européenne se pose. Faudrait-il créer une juridiction pénale européenne ? Le lien avec les Cours européennes est une question importante.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteur. La CJUE n’est pas une cour pénale. »

Puis la Commission a approuvé la proposition de résolution européenne dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 3 du traité sur l’Union européenne,

Vu les articles 82 à 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne par le droit pénal et les enquêtes administratives (COM (2011) 293 final) du 26 mai 2011,

1. Juge que la lutte contre la criminalité grave transnationale appelle une réponse forte et commune de l’Union européenne qui permette de pallier les insuffisances de la coopération judiciaire pénale et le morcellement de l’espace judiciaire européen ;

2. Rappelle qu’en application de l’article 67 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres ;

3. Soutient la création d’un parquet européen, conformément aux dispositions de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

4. Souhaite la création d’un parquet européen compétent, dès l’origine, en matière de lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, en application du 4 de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;



5. Estime que le parquet européen devrait être de forme collégiale, comprenant en son sein un Président, et devrait s’appuyer sur des délégués nationaux dans chaque Etat membre ;

6. Rappelle que le parquet européen serait compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer ensuite en jugement devant les juridictions nationales compétentes les auteurs et complices d’infractions relevant de son domaine de compétence, les actes de procédure qu’il serait amené à arrêter devant être soumis à un contrôle juridictionnel étendu, et souhaite qu’une réflexion soit engagée sur les modalités de contrôle de ses actes au niveau européen afin d’assurer à la fois l’efficacité des procédures et du contrôle et la garantie uniforme des droits des justiciables ;

7. Recommande que des règles minimales sur l’admissibilité mutuelle des preuves entre les Etats membres soient rapidement adoptées et qu’une harmonisation minimale des législations pénales en matière d’incriminations et de sanctions soit dès à présent mise en
œuvre.

ANNEXES

ANNEXE 1 :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

- M. Jean-Marc Césari, colonel, chef du bureau de la police judiciaire à la direction générale de la gendarmerie nationale, ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration ;

- M. Jérôme Bonet, commissaire divisionnaire, chef du cabinet politique pénale et police judiciaire et chef de la mission lutte anti-drogue, direction de la police nationale, ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration ;

- M. Emmanuel Barbe, secrétaire général adjoint, chef de secteur coopération judiciaire, secrétariat général des affaires européennes ;

- Mme Maryvonne Caillibotte, directrice des affaires criminelles et des grâces, ministère de la justice et des libertés ;

- M. Jacques Biancarelli, conseiller d’Etat, délégué au droit européen, président du groupe de travail du Conseil d’Etat sur le parquet européen ;

- M. Christian Raysseguier, premier avocat général près la Cour de cassation ;

- M. Giovanni Kessler, directeur général de l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), Commission européenne ;

- MM. Ivan Bizjak et Hans Nilsson, respectivement directeur, direction justice et affaires intérieures, et chef de l’unité coopération judiciaire pénale, Conseil de l’Union européenne ;

- M. Jérôme Deroulez, conseiller justice auprès de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

- Mme Françoise Le Bail, directrice générale, direction générale justice, Commission européenne ;

- Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, commissaire en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté ;

- M. Juan Fernando Lopez Aguilar, président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen.

ANNEXE 2 :
LETTRE DU PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE, M. BERNARD ACCOYER, AU PREMIER MINISTRE, M. FRANCOIS FILLON, DU 1ER AVRIL 2010

ANNEXE 3 :
REPONSE DU PREMIER MINISTRE, M. FRANCOIS FILLON, AU PRESIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, M. BERNARD ACCOYER, DU 8 MAI 2010

ANNEXE 4 :
LETTRE DU PRESIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, M. BERNARD ACCOYER, AU PRESIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES,
M. PIERRE LEQUILLER

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () Emmanuel Barbe, L'espace judiciaire européen, collection réflexe Europe, La documentation Française, novembre 2007, page 95.

3 () L'Etat membre qui effectue une consultation peut demander, dans un second temps, des données à caractère personnel bien précises à l'Etat membre gestionnaire du dossier et, le cas échéant, demander des informations complémentaires par le biais des procédures d'entraide judiciaire.

4 () La convention et son protocole ont été mis en œuvre par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

5 () La décision-cadre du 13 juin 2002 a été transposée en France par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, complétée par la loi no 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures.

6 () La liste des trente-deux infractions devant donner lieu à la remise sans contrôle de la double incrimination : participation à une organisation criminelle, terrorisme, traite des êtres humains, exploitation sexuelle des enfants et pédopornographie, trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, trafic illicite d'armes, de munitions et d'explosifs, corruption, fraude, y compris la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes, blanchiment du produit du crime, faux monnayage, y compris la contrefaçon de l'euro, cybercriminalité, crimes contre l'environnement, y compris le trafic illicite d'espèces animales menacées et le trafic illicite d'espèces et d'essences végétales menacées, aide à l'entrée et au séjour irréguliers, homicide volontaire, coups et blessures graves, trafic illicite d'organes et de tissus humains, enlèvement, séquestration et prise d'otage, racisme et xénophobie, vols organisés ou avec arme, trafic illicite de biens culturels, y compris antiquités et oeuvres d'art, escroquerie, racket et extorsion de fonds, contrefaçon et piratage de produits, falsification de documents administratifs et trafic de faux, falsification de moyens de paiement, trafic illicite de substances hormonales et autres facteurs de croissance, trafic illicite de matières nucléaires et radioactives, trafic de véhicules volés, viol, incendie volontaire, crimes relevant de la juridiction de la Cour pénale internationale, détournement d'avion/navire, sabotage.

7 () Décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil du 24 février 2005 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires ; décision-cadre 2006/783/JAI du Conseil, du 6 octobre 2006, relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation.

8 () Décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil de l'Union européenne concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne ; décision-cadre 2008/947/JAI de l'Union européenne concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements et aux décisions de probation aux fins de la surveillance des mesures de probation et des peines de substitution ; décision-cadre 2009/829/JAI de l'Union européenne concernant l’application, entre les Etats membres de l’Union européenne, du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu’alternative à la détention provisoire.

9 () Décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009 portant modification des décisions-cadres 2002/584/JAI, 2005/214/JAI, 2006/783/JAI, 2008/909/JAI et 2008/947/JAI, renforçant les droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès.

10 () Des motifs généraux de non exécution de la mesure requise sont prévus (notamment immunité, règles relatives à la responsabilité pénale, intérêts nationaux essentiels, exécution contraire au principe non bis in idem). Les mesures d’enquête les plus communes, y compris les perquisitions et les saisies lorsque l’infraction figure sur la liste des trente-deux infractions graves du mandat d’arrêt européen, ne pourront être refusées que sur la base de ces motifs. En revanche, pour les mesures plus coercitives, les possibilités de refus seraient plus larges (contrôle de la double incrimination hors la liste des trente-deux infractions graves ; le recours à la mesure est limité à certaines infractions en droit interne).

11 () Jean-Marie Huet, L’expérience française in Quelles perspectives pour un ministère public européen ?, Dalloz, 2010.

12 () Décision de la Commission 1999/352/CE, CECA, Euratom : Décision de la Commission, du 28 avril 1999, instituant l'Office européen de lutte antifraude (OLAF).

13 () OLAF, Rapport annuel 2010.

14 () Affaire T-309/03 Camos Grau c/ Commission, arrêt du tribunal de première instance du 6 avril 2006, affaire T-259/03 Nikolaou c/ Commission, arrêt du TPI du 12 septembre 2007, affaire T-48/05 Franchet et Byk c/ Commission, arrêt du TPI du 8 juillet 2008.

15 () Proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 1073/1999 relatif aux enquêtes effectuées par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) et abrogeant le règlement (Euratom) no 1074/1999.

16 () La proposition prévoit des droits procéduraux communs aux enquêtes internes et aux enquêtes externes (droit, pour la personne concernée par une enquête, de présenter ses observations avant que des conclusions la visant nominativement ne soient tirées; droit d'obtenir un résumé des faits sous enquête et d'être invitée à les commenter; droit d'être assistée par la personne de son choix lors d'une audition; droit d'utiliser la langue de l'Union européenne de son choix; principe selon lequel toute personne concernée par une enquête a le droit de ne pas s'incriminer).

17 () Bulletin officiel des impôts 3 A-7-07 du 30 novembre 2007 : « La fraude « carrousel » est une fraude à la TVA, impliquant plusieurs entreprises d’une même chaîne commerciale généralement établies dans au moins deux Etats membres de l’Union européenne. Cette fraude consiste à obtenir la déduction ou le remboursement de la TVA afférente à une livraison de biens alors que celle-ci n’a pas été reversée, de façon abusive, au Trésor [si la fraude a lieu en France] par le fournisseur.

Le schéma de base est le suivant (sachant qu'il existe des circuits plus complexes) : Une entreprise (A) située dans un Etat membre autre que la France vend des marchandises à une entreprise (B) établie en France (il s’agit d’une livraison intracommunautaire exonérée dans l’autre Etat membre qui donne lieu en France à autoliquidation). L’entreprise (B) revend les marchandises à l’un de ses clients (C), également établi en France. La taxe est facturée à C mais n’est ni déclarée ni acquittée par B. Le client (C) exerce son droit à déduction et le cas échéant demande le remboursement de la taxe qui lui a été facturée par B et revend les marchandises éventuellement à l’entreprise (A) en exonération de TVA (livraison intracommunautaire) ou à un autre client établi en France. En pratique, plusieurs entreprises écrans peuvent s’intercaler entre les entreprises (B) et (C) afin de masquer leurs relations.

La fraude repose sur le non reversement à l’Etat de la TVA par celui qui l’a collectée (entreprise B) et qui dans la majorité des cas disparaît, rendant difficile ou impossible le recouvrement de cette taxe, alors que le client (entreprise C) la déduit ou en demande le remboursement. »

18 () Europol Review 2009, General report on Europol activities, 2010, page 31.

19 () Conseil d’Etat, Réflexions sur l’institution d’un parquet européen, La documentation Française, mai 2011, page 62.

20 () Document de travail de la Commission européenne (SEC [2011] 621 final) accompagnant la communication de la Commission européenne (COM [2011] 293 final), page 20 : Euroneeds Study : « Evaluating the needs of a a European Criminal Justice system », Max-Planck Institut für ausländisches und internationales Starfrecht (Marianne Wade), publication attendue en 2011.

21 () Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil.

22 () Conclusions du séminaire organisé par Eurojust et la Présidence belge de l’Union à Bruges du 20 au 22 septembre 2010 : « Eurojust and the Lisbon Treaty, towards more effective action », 17625/1/10.

23 () Quelles perspectives pour un ministère public européen ? Protéger les intérêts financiers et fondamentaux de l’Union, sous l’égide de la Cour de Cassation, Dalloz, août 2010.

24 () Voir les conclusions du séminaire organisé par Eurojust et la Présidence belge de l’Union à Bruges du 20 au 22 septembre 2010 : « Eurojust and the Lisbon Treaty, towards more effective action », 17625/1/10.

25 () L’article 20 TUE dispose que « Les Etats membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences non exclusives de l'Union peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences […] Les coopérations renforcées visent à favoriser la réalisation des objectifs de l'Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d'intégration. Elles sont ouvertes à tout moment à tous les Etats membres […].

2. La décision autorisant une coopération renforcée est adoptée par le Conseil en dernier ressort, lorsqu'il établit que les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l'Union dans son ensemble, et à condition qu'au moins neuf Etats membres y participent. […].

3. Tous les membres du Conseil peuvent participer à ses délibérations, mais seuls les membres du Conseil représentant les Etats membres participant à une coopération renforcée prennent part au vote. […]

4. Les actes adoptés dans le cadre d'une coopération renforcée ne lient que les Etats membres participants. Ils ne sont pas considérés comme un acquis devant être accepté par les Etats candidats à l'adhésion à l'Union. »

Selon l’article 329, « 1. Les Etats membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans l'un des domaines visés par les traités, à l'exception des domaines de compétence exclusive et de la politique étrangère et de sécurité commune, adressent une demande à la Commission en précisant le champ d'application et les objectifs poursuivis par la coopération renforcée envisagée. La Commission peut soumettre au Conseil une proposition en ce sens. Si elle ne soumet pas de proposition, la Commission en communique les raisons aux Etats membres concernés.

L'autorisation de procéder à une coopération renforcée visée au premier alinéa est accordée par le Conseil, sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen. »

26 () En application de l’article 253 TFUE, « les juges et les avocats généraux de la Cour de justice, choisis parmi des personnalités offrant toutes garanties d'indépendance et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles, ou qui sont des jurisconsultes possédant des compétences notoires, sont nommés d'un commun accord pour six ans par les gouvernements des Etats membres, après consultation du comité prévu par l'article 255.

Un renouvellement partiel des juges et des avocats généraux a lieu tous les trois ans dans les conditions prévues par le statut de la Cour de justice de l'Union européenne.

Les juges désignent parmi eux, pour trois ans, le président de la Cour de justice. Son mandat est renouvelable.

Les juges et les avocats généraux sortants peuvent être nommés de nouveau. »

27 () Sabine Gless, Les perspectives de l’espace judiciaire européen en matière de recherche et d’utilisation des preuves situées à l’étranger in : L’espace judiciaire européen civil et pénal, Dalloz, novembre 2009.

28 () Sabine Gless, Les perspectives de l’espace judiciaire européen en matière de recherche et d’utilisation des preuves situées à l’étranger in : L’espace judiciaire européen civil et pénal, Dalloz, novembre 2009.

29 () Didier Boccon-Gibaud, avocat général à la Cour de Cassation : Ministère public et administration de la preuve in Quelles perspectives pour un ministère public européen ? Protéger les intérêts financiers et fondamentaux de l’Union, Dalloz, 2010.

30 () Conseil d’Etat, Réflexions sur l’institution d’un parquet européen, La documentation Française, mai 2011, pages 36 à 39.

31 () Article 88-1 de la Constitution révisée : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

32 () Voir le considérant 19 de la décision : « 19. Considérant qu'appelle également une révision de la Constitution, eu égard à la portée que revêt une telle disposition pour l'exercice de la souveraineté nationale, l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tel que résultant du traité de Lisbonne, qui, d'une part, prévoit que le Conseil peut, à l'unanimité, instituer un Parquet européen, organe habilité à poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union et à exercer devant les juridictions françaises l'action publique relative à ces infractions et, d'autre part, organise les modalités selon lesquelles, à défaut d'unanimité, une telle création peut néanmoins avoir lieu ».

33 () La décision du Conseil 2009/316/JAI du 6 avril 2009, relative à la création du système européen d’information sur les casiers judiciaires (ECRIS), en application de l’article 11 de la décision-cadre 2009/315/JAI, comprend les mesures d’application de la décision-cadre.

34 () « En vertu du principe de coopération loyale, l'Union et les Etats membres se respectent et s'assistent mutuellement dans l'accomplissement des missions découlant des traités.

Les Etats membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union.

Les Etats membres facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union. »

35 () Voir Emmanuel Barbe, Comment pallier l’absence de règles harmonisées de conflits de compétences ? in L’espace judiciaire européen civil et pénal, Dalloz, novembre 2009.

36 () Dans le cas d’une compétence réelle existe un lien entre le pays et l’infraction. Pour l'Union européenne, par exemple, la décision-cadre du 29 mai 2000 (2000/383/JAI du Conseil visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l'euro) prévoit que les Etats membres ayant adopté l’euro sont compétents pour poursuivre la contrefaçon, quels que soient la nationalité de l’auteur et le lieu où l’infraction a été commise.

37 () Dans le cas d’une compétence universelle, la compétence est exercée par un Etat qui poursuit les auteurs de certains crimes, quels que soient la nationalité de l’auteur, celle de la victime et le lieu où le crime a été commis. Sont notamment visés la torture, les actes de terrorisme, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. L’article 689-1 du code de procédure pénale français dispose qu’une personne pourra faire l'objet de poursuites au titre de la compétence universelle « si elle se trouve en France ». Un lien territorial est donc exigé.

38 () Affaire Van Esbroeck C-436/04, arrêt du 9 mars 2006.