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No 4288

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er février 2012.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
la taxe sur les transactions financières
(E 6659)
,

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Jean-Yves COUSIN et Pierre-Alain MUET,

Députés

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, M. Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Jean-Yves Cousin, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, M. Philippe Gosselin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Pierre-Alain Muet, Jacques Myard, Michel Piron, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 9

PREMIERE PARTIE : UNE RÉPONSE ÀUX EXIGENCES DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET AUX DEMANDES CONJOINTES DE LA FRANCE ET DE L’ALLEMAGNE 11

I. UN INSTRUMENT DE RÉPONSE À LA CRISE 11

A. LA NÉCESSITÉ D’UNE TAXATION DES TRANSACTIONS FINANCIÈRES : UN CONSTAT TOUJOURS D’ACTUALITÉ EN DÉPIT DE SON ANCIENNETÉ 11

1. Une proposition de Keynes, dans la théorie générale, dès 1936, puis reprise et adaptée par James Tobin lors de la crise des changes des années 1970 11

2. Un sujet qui n’a jamais cessé d’être à l’agenda politique depuis plus de dix ans 12

3. Un écho considérablement plus important depuis la crise financière : la taxe contrepartie de l’intervention des Etats en faveur du secteur financier et des excès antérieurs qui sont à l’origine de la crise 12

4. La nécessité reconnue d’une action européenne en l’absence de décision du G 20 13

a) Un échec du G 20 sur une taxation générale des transactions financières en raison de l’opposition de plusieurs Etats clefs 13

b) La faculté d’un rôle moteur de l’Europe sur la base d’un accord politique, sur le principe de la taxe, entre le Parlement européen, la Commission européenne, le « couple franco-allemand », avec en outre un accord politique en France 14

5. Une mesure qui a les faveurs de l’opinion publique et des ONG, mais suscite les réserves des professionnels 16

a) Un large soutien de l’opinion publique, même dans les Etats membres où les gouvernements n’y sont pas favorables 16

b) L’approbation des ONG 16

c) Le point de vue des professionnels 17

B. TROIS DIVIDENDES POUR UNE SEULE TAXE 17

1. Endiguer la « surfinanciarisation » aussi croissante qu’incontrôlée de l’économie contemporaine en réduisant le décalage aussi vertigineux que croissant entre les échanges de la sphère financière et les transactions sur les biens et services ou les actifs au comptant 17

2. Contribuer à la régulation financière 21

a) Une prévalence, lourde de menaces, de l’esprit de spéculation sur l’esprit d’investissement qui exige un certain assagissement des transactions 21

b) Un complément à l’obligation des objectifs règlementaires de réduction des transactions de gré à gré et de l’extension de l’obligation de passer par une chambre de compensation 22

c) Une « cible » claire : les transactions à haute fréquence, symbole de la finance automatisée et informatisée sans fondement économique 22

3. Dégager de nouvelles ressources budgétaires grâce une adaptation de la fiscalité à la réalité nouvelle des transactions, en compensant notamment l’exonération de TVA dont bénéficient les activités financières 23

4. Un impact négatif sur le PIB à relativiser car très dépendant des présupposés des modèles économiques sous-jacents et dès lors que les effets d’une réduction du risque de crise sont pris en compte 24

II. DES ÉLÉMÉNTS DE TAXATION, MAIS TRÈS PARTIELS, DÉJÀ EN APPLICATION DANS CERTAINS PAYS 25

A. LE RECENSEMENT DE LA COMMISSION EUROPÉENNE 25

B. DES DISPOSITIFS EN VIGUEUR DANS DEUX PAYS AUX PLACES FINANCIÈRES IMPORTANTES : LE ROYAUME-UNI ET LA SUISSE 26

1. Le Stamp Duty au Royaume-Uni 26

2. Le droit de timbre en Suisse 27

C. UN CONTRE-EXEMPLE DONT IL NE FAUT PAS TIRER DE CONCLUSION ERRONÉE : LA SUÈDE DE LA FIN DES ANNÉES 1980 29

DEUXIEME PARTIE : UNE PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE À SOUTENIR, SOUS RÉSERVE DE QUELQUES POSSIBILITÉS D’AMÉNAGEMENT 31

I. UN CHAMP D’APPLICATION LARGE ET PAR CONSÉQUENT PERTINENT, SOUS RÉSERVE D’ÉVENTUELS AJUSTEMENTS 31

A. UN DISPOSITIF PRÉVU POUR ÊTRE APPLICABLE À TOUTES LES TRANSACTIONS, TOUS LES TYPES D’INSTRUMENTS FINANCIERS, TOUS LES ÉTABLISSEMENTS FINANCIERS ET À TOUS LES MARCHÉS POUR ÉVITER LES RISQUES DE CONTOURNEMENT ET D’ÉVASION FISCALE 31

1. Une approche « triple A » 31

2. Une appréhension très complète des marchés et des transactions, sauf pour ce qui concerne les opérations de changes au comptant 31

a) Une définition de la transaction financière plus large que le transfert de propriété 31

b) L’inclusion de tous les types de transaction, y compris les transactions de gré à gré (OTC) et les transferts intragroupes 32

c) Une liste exhaustive des instruments et produits financiers, et cohérente avec les textes européens relatifs à la régulation financière 33

3. L’implication de tous les acteurs 34

a) Une perception de la taxe au niveau des établissements financiers 34

b) Une définition très exhaustive de la notion d’établissement financier 34

B. DES EXCLUSIONS AUSSI LIMITÉES QUE JUSTIFIÉES, SOUS RÉSERVE D’UNE CONFIRMATION DU STATUT JURIDIQUE DES TRANSACTIONS AU COMPTANT SUR LE MARCHÉ DES CHANGES ET DE CERTAINES HYPOTHÈSES D’AMÉNAGEMENT, NOTAMMENT SUR LES OPCVM POUR ÉVITER UNE DOUBLE IMPOSITION 35

1. Des exclusions aussi explicites qu’incontestables 35

a) L’absence d’accès des entreprises et des Etats à l’épargne publique : les émissions primaires sur le marché des actions comme des obligations 35

b) L’assistance financière aux Etats membres : le FESF et les institutions internationales établies pour venir en aide aux Etats membres en difficulté 35

c) La fluidité du marché monétaire : les opérations de refinancement auprès des banques centrales 36

d) Le bon fonctionnement des marchés financiers : les entités intervenant sur les marchés pour en assurer la sécurité, la transparence et l’efficacité 36

e) Les transactions qui ne peuvent jamais être spéculatives : celles liées à la vie courante des particuliers et des entreprises, notamment les souscriptions de contrats d’assurance 36

f) Les immunités, classiques, dont bénéficient les organisations européennes et internationales 36

2. Une exclusion implicite dont le fondement juridique doit être confirmé : les transactions au comptant sur le marché des changes 37

3. Des possibilités d’ajustement d’ores et déjà évoquées 38

a) La question de la double imposition des OPCVM 38

b) Une demande d’exonération des fonds de pension, notamment évoquée par les Pays-Bas, et la question assez similaire des contrats d’assurance vie 39

c) La nécessité d’éviter de porter atteinte à la neutralité des choix individuels 39

C. UNE TAXATION SELON LE SEUL PRINCIPE DE RÉSIDENCE, MAIS QUI PEUT ÊTRE COMPLÉTÉE, POUR RÉDUIRE LE RISQUE DE DÉLOCALISATION, PAR UNE APPLICATION COMPLÉMENTAIRE DU PRINCIPE DU LIEU D’ÉMISSION OU DE COTATION 40

1. Une application conjointe du principe de résidence aux établissements financiers et aux investisseurs qui permet une application de la taxe à toutes les opérations en lien avec l’Union européenne et assure une répartition de l’impôt entre les Etats membres 40

a) Les critères du principe de résidence aux établissements financiers et aux parties à la transaction 40

b) Un dispositif efficace car permettant de taxer par capillarité les opérations des résidents de l’Union européenne avec les pays tiers, de doubler le rendement de la taxe pour les opérations internes à l’Union européenne et d’assurer une répartition simple du droit d’imposer entre les Etats membres 41

2. La possibilité de réduire le risque de délocalisation d’activités en ajoutant le critère du lieu d’émission ou de cotation 43

II. UNE DIFFÉRENCIATION DES TAUX ENTRE LES DÉRIVÉS, TAXÉS À 0,01 %, ET LES OPÉRATIONS AU COMPTANT, TAXÉES À 0,1 %, QUI NE S’IMPOSE PAS NÉCESSAIREMENT COMME LA SEULE OPTION POSSIBLE, EU ÉGARD AUX AVANTAGES INTRINSÈQUES D’UNE TAXATION AU TAUX UNIQUE DE 0,05 % 45

A. UNE CERTITUDE : PRÉVOIR UN NIVEAU DE TAXATION ADAPTÉE POUR ÉVITER TOUT RISQUE DE TRANSFERT D’ACTIVITÉ SUR D’AUTRES PLACES FINANCIÈRE 45

1. Un principe général de taxation toujours pertinent face à une matière fiscale mobile 45

2. Une difficulté à ne pas méconnaître sur les risques de pertes de compétences des régulateurs en cas de déplacement massif des transactions financières d’une place à l’autre 46

B. L’ARBITRAGE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE EN FAVEUR DE DEUX TAUX NOMINAUX DIFFÉRENCIÉS : L’UN DE 0,01 % POUR LES ACTIONS ET OBLIGATIONS ET L’AUTRE DE 0,01 % POUR LES DÉRIVÉS QUI CORRESPONDENT À DES TAUX EFFECTIFS DE 0,2 % POUR LES PREMIÈRES ET DE 0,02 % POUR LES SECONDS 46

1. La mention de taux minima compte tenu du caractère novateur de la démarche comme pour respecter le principe de subsidiarité 46

2. L’argument de la différence des bases de taxation : le notionnel, pour les dérivés ; le montant acquitté pour les autres opérations 47

3. L’argument du risque de délocalisation 48

4. Des taux effectifs cependant doublés, de 0,02 % pour les dérivés et nettement plus élevés de 0,2 % pour les actions et obligations, pour les transactions dont les deux parties prenantes sont résidentes 48

5. Un rendement estimé pour les 27 Etats membres à 57 milliards d’euros, dont 37,7 milliards pour les dérivés 48

C. UN ÉVENTUEL TAUX UNIQUE DE 0,05 % 48

1. Le choix de l’Assemblée nationale en juin dernier 48

2. Un taux plus adapté aux transactions sur actions et obligations 49

3. Un rendement important avec un produit total de 71 milliards d’euros 50

4. Une question difficile en arrière plan du débat sur les taux : une base de taxation alternative au notionnel pour les dérivés 51

III. DES ÉLÉMENTS GÉNÉRAUX SUR LE RECOUVREMENT DE LA TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES 53

A. UNE EXIGIBILITÉ IMMÉDIATE ET UN RECOUVREMENT SANS DÉLAI OU, EXCEPTIONNELLEMENT, DANS LES TROIS JOURS 53

1. Une exigibilité dès la réalisation de la transaction 53

2. Une perception en principe immédiate 53

3. Des garanties de recouvrement 53

a) Une clause de solidarité 53

b) Des mesures de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales 54

B. DES OBLIGATIONS DÉCLARATIVES ET DOCUMENTAIRES 54

1. Une déclaration récapitulative mensuelle le 10 du mois suivant, pour les établissements financiers 54

2. Des obligations documentaires 54

a) Des obligations comptables et d’information précisées par les Etats membres 54

b) Une obligation de conservation des données pendant 5 ans, même pour les établissements financiers qui ne sont pas visés par l’obligation quinquennale déjà prévue par la directive MIF 55

TROISÈME PARTIE : UNE NÉGOCIATION DÉLICATE ET QUI REPOSE LARGEMENT SUR TROIS QUESTIONS ESSENTIELLES 57

I. LE CHAMP TERRITORIAL : UNION EUROPÉENNE TOUT ENTIÈRE, ZONE EURO OU GROUPE PIONNIER ? 57

1. Une taxe d’autant plus efficace et admise que son application est générale 57

2. Une application à l’ensemble des pays de l’Union européenne encore incertaine en raison de l’opposition de plusieurs Etats, notamment le Royaume-Uni et un Etat membre essentiel pour une application à la seule zone euro, les Pays-Bas 58

a) Des oppositions affirmées à des degrés divers 58

b) Le Royaume-Uni : un Etat membre important en raison du poids de la City 58

c) Les Pays-Bas : un pays clef de la zone euro 60

II. LE DEBAT SUR L’AFFECTATION DE LA RESSOURCE : L’INTÉRÊT D’UNE AFFECTATION D’UNE PARTIE DU PRODUIT DE LA TAXE À L’UNION EUROPÉENNE 61

A. LE PROJET DE LA COMMISSION EUROPÉENNE D’UNE RESSOURCE PROPRE DU BUDGET DE L’UNION EUROPÉENNE DÉTACHÉE DES CONTRIBUTIONS RNB ET VENANT PAR CONSÉQUENT RÉDUIRE LEUR MONTANT 61

1. Le dispositif proposé 61

2. Une adoption incertaine, en raison des réactions très mitigées des Etats membres, en l’état 62

B. UN INTÉRÊT TRIPLE POUR LES ETATS MEMBRES, MIS EN AVANT PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE 63

1. Une réduction des contributions nationales et un coup de pouce à l’effort de réduction des déficits publics des Etats membres 63

2. La faculté de lever des ressources fiscales qui ne le sont actuellement pas 63

3. La perspective d’actions de relance au niveau européen 64

C. UNE AFFECTATION EUROPÉENNE QUI N’EST EN TOUT ÉTAT DE CAUSE PAS EXCLUSIVE D’UNE UTILISATION DE LA RESSOURCE POUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA LUTTE CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET PLUS GÉNÉRALEMENT, LES GRANDES CAUSES HUMANITAIRES 64

III. UN CALENDRIER INCERTAIN QUI PERMET, COMME LE FAIT L’ALLEMAGNE, L’EXPLORATION D’ÉVENTUELLES ALTERNATIVES OU BIEN, CE QUI EST LE CAS DE LA FRANCE, D’ÉVENTUELLES INITIATIVES NATIONALES 65

A. DEUX STRATÉGIES DIFFÉRENTES 65

1. L’option de l’Allemagne : s’assurer au préalable et assez vite de la faisabilité de la taxe au niveau de l’Union européenne 65

2. La voie française d’une initiative nationale fondée sur l’effet d’entraînement 66

B. LE DÉBAT INTERNE À LA FRANCE SUR LE CALENDRIER 66

1. Les arguments en faveur d’une initiative française : le point de vue de M. Jean-Yves Cousin, co-rapporteur 67

2. Le point de vue critique de M. Pierre-Alain Muet, co-rapporteur 67

TRAVAUX DE LA COMMISSION 69

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE 75

MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION 79

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES RENCONTREES PAR LES RAPPORTEURS 83

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Sept mois après avoir adopté, par vote solennel, à l’unanimité des groupes et à la quasi-unanimité de ses membres la résolution européenne (TA no 680) du 14 juin 2011, relative à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières en Europe, sur le rapport de M. Pierre Alain Muet, rapporteur de la Commission des finances (rapport no 3468) comme de la commission des affaires européennes (rapport no 3439), la commission des affaires européennes est de nouveau conduite à inscrire cette question à son ordre du jour.

C’est un cas de figure inhabituel, mais qui n’a rien d’inquiétant. Bien au contraire.

Ce n’est pas en effet pour que le Législatif se déjuge que ce réexamen intervient, mais au contraire pour qu’il confirme sa position, en l’affinant nécessairement, comme l’y conduisent les circonstances, et en tenant compte des récentes initiatives de la France.

En effet, la Commission européenne, comme l’y invitaient le Conseil  européen, le Parlement européen, certains Etats membres, au premier rang desquels la France et l’Allemagne, et l’Assemblée nationale, a présenté le 28 septembre dernier une proposition de directive visant à établir un tel système commun de transactions financières.

Les travaux préparatoires au Conseil ont commencé et le format au mieux européen de la taxe est un élément certain, depuis l’échec des chefs d’Etat et de Gouvernement à parvenir à un consensus, lors du Sommet de Cannes les 3 et 4 novembre derniers.

Il appartient donc à présent à l’Assemblée nationale de se prononcer sur cette initiative, de lui manifester son soutien et de faire part d’ores et déjà, sans pouvoir cependant prétendre épuiser le sujet, de son point de vue sur le profil retenu par la Commission européenne pour la future taxe : son assiette, son ou ses taux, les modalités de son recouvrement.

Il lui appartient également de donner les éléments de contexte dans lequel s’engage la négociation.

En effet, en dépit du soutien dont bénéficie le projet de taxation des transactions financières dans l’opinion publique européenne, l’unanimité du Conseil exigée pour l’adoption d’une proposition à caractère fiscal n’est pas acquise. Certains Etats membres, même parmi les membres de la zone euro, y sont en l’état opposés.

Ainsi, après avoir rappelé brièvement les enjeux, le présent rapport aborde-t-il les termes dans lesquels se présentent les travaux préparatoires au Conseil et évoque la possibilité d’initiatives nationales, visant à créer une dynamique d’entraînement.

PREMIERE PARTIE :
UNE RÉPONSE ÀUX EXIGENCES DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET AUX DEMANDES CONJOINTES DE LA FRANCE ET DE L’ALLEMAGNE

I. UN INSTRUMENT DE RÉPONSE À LA CRISE

A. La nécessité d’une taxation des transactions financières : un constat toujours d’actualité en dépit de son ancienneté

1. Une proposition de Keynes, dans la théorie générale, dès 1936, puis reprise et adaptée par James Tobin lors de la crise des changes des années 1970

L’intérêt d’un frein financier aux transactions boursières pour réduire un excès de fluidité a été évoqué par Keynes, dans la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (The General Theory of Employment, Interest and Money), parue en 1936.

Bien qu’il n’ait pas fait l’objet de considérations développées, ce constat n’en est pas moins essentiel.

Il est fait à l’occasion d’une comparaison entre le fonctionnement de la bouse de New York, Wall Street, et de celle de Londres, la City.

Le haut niveau des courtages et celui du droit de timbre acquitté, à Londres évite à la City d’avoir le nombre considérable des transactions que l’on constate à Wall Sreet et leurs effets désastreux. Dès cette époque, les transactions infra-quotidiennes avaient en effet cours aux Etats-Unis.

Keynes conclut donc que l’introduction d’une taxe d’un niveau substantiel sur les transactions serait l’une des réformes les plus utiles à opérer, de manière à faire prévaloir aux Etats-Unis l’esprit d’entreprise sur l’esprit de spéculation.

Dans un contexte similaire, mais sur un autre marché, celui des changes, James Tobin, Prix Nobel, a été conduit à faire le même constat en 1972, lors de l’effondrement du système de Bretton Woods.

2. Un sujet qui n’a jamais cessé d’être à l’agenda politique depuis plus de dix ans

Par la suite, cette nécessité d’une taxation des opérations de change comme des transactions financières n’a jamais cessé d’être inscrite, et de manière justifiée, à l’agenda politique.

En 1989, Joseph Stiglitz, futur prix Nobel (en 2001) fait partie des économistes qui souhaitent la promouvoir pour lutter contre la spéculation.

Ensuite, en mars 1995, au sommet de Copenhague pour le développement social, le président de la République, M. François Mitterand, défend l’idée d’une taxe Tobin pour financer des actions humanitaires.

Puis, c’est après sa fondation en 1998 que l’Association pour la taxation des transactions et l’action citoyenne (ATTAC) la replace au centre des préoccupations politiques.

Elle est en effet remise à l’ordre du jour dans le contexte des différentes crises de la fin des années 1990 : crise mexicaine, puis crise asiatique et crise russe.

L’ayant déjà intégrée à son programme de 1995 en vue des élections présidentielles, et face à l’impossibilité d’aboutir auxquelles se heurte les initiatives alors prises au niveau européen, M. Lionel Jospin, alors Premier ministre, annonce en août 2001 une initiative française.

Une taxe Tobin sur les transactions de change est votée à la fin de l’année 2001, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2002.

Elle y figure toujours, à l’article 235 ter ZD du code général des impôts. Son entrée en vigueur est conditionnée à un décret en Conseil d'Etat prévu pour prendre « effet à la date à laquelle les Etats membres de la Communauté européenne auront dû achever l'intégration dans leur droit interne des mesures arrêtées par le Conseil prévoyant l'instauration, dans l'ensemble des Etats membres, d'une taxe sur les transactions sur devises, et au plus tôt le 1er janvier 2003. » Cette condition n’a jamais été réunie.

3. Un écho considérablement plus important depuis la crise financière : la taxe contrepartie de l’intervention des Etats en faveur du secteur financier et des excès antérieurs qui sont à l’origine de la crise

Parce qu’elle est clairement le fait des excès de la finance et qu’elle a d’une certaine manière confirmé la véracité de leur prédiction, la crise actuelle a fait sortir la taxe sur les transactions financières des cercles d’économistes et des mouvements altermondialistes auxquels elle restait cantonnée.

Elle a trouvé notamment des échos favorables auprès de Lord Turner, président depuis 2008 de l’autorité de régulation du Royaume-Uni, la FSA, de même que de Gordon Brown, alors Premier ministre, en 2009.

Le Parlement européen s’est au même moment saisi du sujet et n’a depuis cessé de faire en sorte qu’il puisse aboutir.

La question a clairement acquis une nouvelle dimension lorsqu’elle a été inscrite à l’agenda européen ainsi qu’à l’agenda du G20, plus particulièrement à partir de l’année 2011.

Cet écho qui a trouvé d’importants relais dans la société civile est due à la légitimité de la taxe dans l’opinion publique.

Il apparaît en effet tout à fait justifié que le secteur financier, qui a bénéficié d’une aide publique aussi exceptionnelle que massive en 2008 au moment de la crise financière, alors même que ce sont ses excès qui en sont directement à l’origine, fasse en contrepartie un effort somme toute mesuré.

4. La nécessité reconnue d’une action européenne en l’absence de décision du G20

a) Un échec du G20 sur une taxation générale des transactions financières en raison de l’opposition de plusieurs Etats clefs

La taxe sur les transactions financières a été inscrite à la demande de la France à l’agenda du G20.

Lors des ultimes réunions de préparation du dernier sommet, qui s’est déroulé à Cannes les 3 et 4 novembre 2011, sous la présidence de la France, des pourparlers ont eu lieu sur la taxe, notamment entre le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, et le président des Etats-Unis, M. Barack Obama, et entre la chancelière allemande, Mme Angela Merkel, et le président américain.

Si elle a été également recommandée par M. Bill Gates, dans le rapport qu'il a remis le 3 novembre au président français, la taxe sur les transactions financières n’a cependant pas été retenue par le G20, en raison de l’absence de consensus.

Selon les éléments alors publiés, les délégations américaine, canadienne, japonaise, indienne et brésilienne se sont prononcées contre.

b) La faculté d’un rôle moteur de l’Europe sur la base d’un accord politique, sur le principe de la taxe, entre le Parlement européen, la Commission européenne, le « couple franco-allemand », avec en outre un accord politique en France

Le Parlement européen a pris plusieurs initiatives pour promouvoir la mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières.

Dans sa résolution du 10 mars 2010 sur la taxation des transactions financières, il a ainsi demandé à la Commission européenne d’engager sans délai des études de faisabilité sur la taxation des transactions financières dans l’Union européenne.

Le Conseil européen des 16 et 17 juin 2010, constatant la responsabilité historique de l’Union européenne dans la promotion d’une stratégie à l’échelle mondiale visant à l’instauration de systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers, a à son tour recommandé d’examiner la question d’une taxe sur les transactions financières mondiales.

Dans sa communication du 7 octobre 2010, la Commission européenne a exprimé une certaine réticence à l’égard de la taxation indifférenciée des transactions financières, invoquant le traditionnel « épouvantail » d’une délocalisation massive des produits financiers dans un contexte où les positions encore figées de nos principaux partenaires mondiaux semblent compromettre la perspective d’un accord mondial.

Elle s’est toutefois engagée à présenter plusieurs options de taxation d’ici l’été et a lancé début 2011 une vaste consultation publique.

Pour rappeler avec force sa position et conjurer le risque de l’immobilisme, le Parlement européen a adopté, le 8 mars 2011, par 529 voix contre 127, le rapport d’Anni Podimata (S&D, Grèce) sur les financements innovants, demandant « instamment à l’Union, en l’absence d’accord international dans les prochains mois, de présenter des propositions législatives sur l’introduction d’une taxe sur les transactions financières à l’échelle européenne », soulignant « qu’un taux bas, entre 0,01 % et 0,05 %, empêcherait des déplacements majeurs des activités vers d’autres juridictions à imposition plus faible » et relevant qu’en tout état de cause, « le mouvement des transactions purement spéculatives vers d’autres juridictions n’aurait pas d’effets négatifs, mais serait à l’inverse susceptible de contribuer à accroître l’efficacité du marché ».

La France a alors manifesté son approbation. Dans un communiqué de presse du 9 mars 2011, le ministre des affaires étrangères et européennes a indiqué que « la France salue le vote intervenu hier à Strasbourg et se réjouit vivement du soutien important dont a bénéficié auprès des députés européens l’idée d’une taxe sur les transactions financières. C’est un projet que la France […] appuie de longue date, tant au niveau international qu’au niveau européen ».

Ce sujet a également fait l’objet d’un accord de principe entre l’Allemagne et la France, entre la chancelière allemande, Mme Angela Merkel, et le président de la République, M. Nicolas Sarkozy.

Au niveau européen en effet, la France et l’Allemagne sont intervenus de manière coordonnée.

Le Conseil européen des 24 et 25 mars derniers a notamment acté qu’« il conviendrait de réfléchir à l’introduction d’une taxe mondiale sur les transactions financières et de faire avancer les travaux dans ce domaine ». La Commission européenne doit « présenter un rapport sur la taxation du secteur financier d’ici à l’automne au plus tard. »

Puis, le 9 septembre dernier, dans une lettre conjointe adressée au Commissaire chargé de la fiscalité et de l’Union douanière, M. Algirdas Šemeta, et au Commissaire chargé du marché intérieur et des services, M. Michel Barnier, les ministres des finances des deux pays ont indiqué leur soutien à la création de cette taxe, indiquant leur conviction que « la mise en œuvre d’une TTF au niveau européen (celui de l’UE) permettrait de franchir une étape cruciale vers un consensus global qui n’affecterait pas la compétitivité européenne. »

Quant à elle, la France fait partie des rares pays où la taxe sur les transactions financières fait l’objet, sur le principe de sa mise en œuvre, d’un consensus. En effet, a été adoptée le 14 juin 2011 la résolution (TA no 680) relative à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières en Europe, adoptée par l'Assemblée nationale le 14 juin 2011, par vote solennel.

Tous les groupes de l’Assemblée nationale ont marqué leur approbation. Le vote a par conséquent été presque unanime.

Sur le plan parlementaire, celui-ci s’est traduit par l’adoption d’une résolution européenne, sur l’initiative des membres du groupe SRC, intégrant des amendements de la Commission des affaires européennes.

La même résolution, présentée par le SPD au Bundestag, n’a pas encore été adoptée.

Le Gouvernement allemand est resté, en l’état, freiné par l’opposition du FDP à la taxe dès lors qu’elle ne s’appliquerait pas à l’ensemble de l’Union européenne.

5. Une mesure qui a les faveurs de l’opinion publique et des ONG, mais suscite les réserves des professionnels

a) Un large soutien de l’opinion publique, même dans les Etats membres où les gouvernements n’y sont pas favorables

L’opinion publique européenne est favorable à la taxe sur les transactions financières.

Selon le sondage Eurobaromètre du Parlement européen publié le 22 juin 2011 sur les Européens et la crise, une très grande majorité se prononce en faveur d’une telle initiative.

61 % soutiennent en effet le principe d’une telle taxe, 26 % y sont opposés et 13 % ne se prononcent pas.

Les personnes qui soutiennent la taxe souhaitent de manière massive que le champ territorial de sa mise en œuvre soit l’ensemble du monde ou l’Europe seule, d’une manière sensiblement égale.

On constate cependant une certaine césure entre la zone euro, avec 63 % de personnes favorables, et les Etats membres hors zone euro, avec 54 % de personnes favorables.

Pour ce qui concerne les Etats membres, les citoyens les plus favorables à la taxe sont les Autrichiens (80 %), les Allemands (71 %) et les Français (69 %).

C’est une question indépendante de la position des Gouvernement. Au Royaume-Uni, au Danemark et aux Pays-Bas (principaux Etats membres opposants à la taxe), les avis favorables sont respectivement de 65 %, 63 %, 58 %.

Malte est le seul Etat membre où les personnes défavorables sont plus nombreuses que les personnes favorables (44 % contre 30 % respectivement).

Sinon, les opinions favorables sont dominantes mais ne dépassent pas le seuil des 50 % des personnes interrogées dans sept autres Etats membres : Espagne (50 %), Lituanie, Estonie, Pologne (45 %), Slovénie, Roumanie et Bulgarie (34 %).

b) L’approbation des ONG

D’une manière générale, les ONG sont favorables à la taxe sur les transactions financières. Tel est notamment le cas d’OXFAM, AIDES et Coalition Plus.

S’appuyant sur le précédent de la taxe sur les billets d’avions, elles estiment que l’introduction de cette nouvelle taxe, fondée sur les mêmes principes d’une assiette large et d’un taux faible, permet de lever sans difficulté les fonds nécessaires aux grandes causes mondiales toujours en difficulté de financement.

Face aux besoins du développement et de la lutte contre la réchauffement climatique, on ne peut que leur donner raison, sur un plan général.

c) Le point de vue des professionnels

Selon un sondage réalisé par le CFA Institute, l’association internationale des professionnels de l’investissement, le projet de taxe sur les transactions financières n’est pas jugé opportun par ceux-ci.

Seules 5 % des personnes sondées estiment qu’une telle taxe serait efficace si elle était appliquée seulement au niveau de l’Union. Pour 44 % d’entre elles, elle devrait au moins être appliquée à l’échelle du G20, voire plus largement encore, afin d’atteindre ses objectifs.

45 % des personnes interrogées ont soutenu que la taxe sur les transactions financières ne sera d’aucune efficacité, quelle que soit l’étendue de son application.

Le principal motif invoqué est naturellement la perte de compétitivité des places financières appliquant la taxe.

En cas de nécessité d’une nouvelle taxe par ailleurs, la profession estime à 31 % des sondés que celle-ci devrait être basée sur le total du bilan (actif ou passif).

Pour ce qui concerne la France, les rapporteurs ont pu observer une grande sensibilité à la question du champ géographique, les professionnels observant qu’une taxe sur les transactions financières est d’autant moins efficace que son champ territorial est étroit, car les facultés d’y échapper par les délocalisations sont alors beaucoup plus aisées, ainsi que le souci d’avoir un dispositif qui prenne en compte les spécificités des produits, notamment pour la gestion collective et pour les OPCVM.

B. Trois dividendes pour une seule taxe

1. Endiguer la « surfinanciarisation » aussi croissante qu’incontrôlée de l’économie contemporaine en réduisant le décalage aussi vertigineux que croissant entre les échanges de la sphère financière et les transactions sur les biens et services ou les actifs au comptant

La développement autonome de la sphère financière a commencé dans les années 1970 avec le recyclage des euro-dollars dû à l’accumulation des déficits de la balance courante américaine à partir des années 1960 et aux mesures prises par l’Administration américaine pour décourager le placement de ces dollars aux Etats-Unis.

La suspension de la convertibilité du dollar en or en août 1971 et le passage aux changes flottants en 1973, qui en ont découlé, en sont directement à l’origine. Les marchés à terme de devises se sont développés.

Le recyclage des pétro-dollars à partir des années 1973-1974 lui a donné un élan supplémentaire.

Le premier choc pétrolier a également considérablement augmenté l’inflation, qui est passée à deux chiffres dans beaucoup de pays, provoquant ainsi le développement des produits dérivés sur les taux.

Initialement, les dérivés correspondaient à des pratiques financières tout à fait justifiables comme la couverture de risques de change ou de risques d’évolution des cours pour les matières premières, notamment les matières premières agricoles.

Tel n’est pas resté le cas très longtemps. Le premier Hedge fund a été créé en 1974.

Par la suite, à partir des années 1980, la financiarisation a conduit à un développement spectaculaire des produits et au mouvement infini de l’innovation financière qui n’a cessé de se poursuivre jusqu’à nos jours. Se sont alors développés et multipliés sous des formes de plus en plus sophistiquées les futures, les options et les swaps.

La complexité a été croissante par un recours aux techniques mathématiques allant jusqu’à l’abstraction. Il y a eu, aussi, le développement de la libre circulation des capitaux, notamment au fur et à mesure de la construction européenne, pour les pays du Marché commun puis de la Communauté européenne, et, sur un plan plus technique, des innovations financières avec le développement des transactions autres que celles au comptant, des dérivés.

Quelques éléments résument cette évolution et illustrent le degré de déconnexion entre la sphère financière et l’économie réelle.

S’agissant du marché des capitaux, le volume des transactions a littéralement explosé, en raison de l’augmentation des dérivés. Pour leur part en effet, les transactions au comptant sur actions et obligations sont restées en rapport avec l’économie réelle, comme en atteste le graphique suivant.

TOTAL DES TRANSACTIONS FINANCIÈRES DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

Source : BIS, WFE, OECD, OEF in Schulmeister, Stephan ; Schratzenstaller, Margit ; Picek, Oliver 2008, “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”.

Selon les données publiées à la fin du mois de 2010 par la BRI, le montant notionnel des contrats dérivés en cours sur le gré à gré était de 582 655 milliards de dollars, soit 89 % du montant notionnel de tous les contrats actifs.

En comparaison, le PNB mondial s’établissait à 62 000 milliards de dollars.

Le montant global des transactions financières journalières atteignait 8 000 milliards de dollars en décembre 2010, soit un volume global pour l’ensemble de l’année de 67 fois le PIB mondial.

En 2008, le montant des transactions financières internationales était estimé à environ 1 600 000 Mds €, soit deux fois plus qu’en 2002, selon les données du FMI et de la Banque mondiale.

Cette évolution est générale et affecte l’ensemble des grandes économies, l’Europe étant au même niveau que les Etats-Unis, comme le montre le graphique ci-après :

OVERALL FINANCIAL TRANSACTIONS BY REGIONS

De même, le volume des transactions sur devises est devenu hors de proportion, en regard du commerce mondial, avec également une explosion des dérivés, comme l’illustre le graphique suivant.

LE COMMERCE INTERNATIONAL ET LES TRANSACTIONS SUR DEVISES

Source : BIS, WFE, OECD, Oxford Economic Forecasting (OEF) in Schulmeister, Stephan ; Schratzenstaller, Margit ; Picek, Oliver 2008, “A General Financial Transaction Tax. Motives, Revenues, Feasibility and Effects”.

Les transactions de change  représentent environ 4 000 milliards de dollar par jour, dont 1,5 au comptant. En regard, avec 20 000 milliards de dollars, les besoins du commerce mondial représentent à peine quelques jours des transactions sur le marché des changes.

2. Contribuer à la régulation financière

a) Une prévalence, lourde de menaces, de l’esprit de spéculation sur l’esprit d’investissement qui exige un certain assagissement des transactions 

Selon la formule de Tobin, l’objectif de la taxe sur les transactions est d’introduire « du sable dans les rouages bien huilés de la spéculation ».

Cette introduction d’une certaine viscosité dans la fluidité des marchés est contestée par certains économistes qui jugent au contraire qu’il y a matière à augmenter le risque et la volatilité en réduisant la liquidité.

En l’absence d’éléments empiriques probant, c’est un débat qui reste assez largement théorique et qui en définitive oppose davantage les convictions profondes des économistes et leur foi ou leur défiance vis-à-vis des capacités auto-correctrices du marché.

Trois éléments plaident cependant en faveur d’une taxe sur les transactions financières.

Empiriquement d’abord, un taux modéré ne crée par les risques encourus et tout au contraire, c’est, comme on l’a vu depuis quelques années, la trop grande liquidité qui crée la volatilité : les marchés ont été de plus en plus volatiles alors que la liquidité s’accroissait dans des proportions sans précédent.

Ensuite, la vitesse actuelle des transactions montre clairement que les plus rapides d’entre elles sont totalement dénuées de sens économique, d’optique d’investissement.

Quel est le sens de transactions qui se multiplient alors que les opérateurs de marché n’ont aucune information nouvelle susceptible de modifier leur jugement ?

Enfin, on ne peut manquer d’observer qu’une taxe modérée ne peut réintroduire le facteur temps dans les transactions, car en imposant un certain coût, elle implique une certaine durée de transaction, le temps que celui-ci soit amorti.

C’est la base de l’esprit d’investissement qui permet aux marchés financiers de ne pas fonctionner, comme c’est actuellement le cas, comme des casinos.

b) Un complément à l’obligation des objectifs règlementaires de réduction des transactions de gré à gré et de l’extension de l’obligation de passer par une chambre de compensation

L’un des objectifs de la proposition de règlement dite EMIR en cours de discussion est de réduire les transactions de gré à gré sur les dérivés, et à rendre obligatoire pour les instruments standardisés le passage par des chambres de compensation.

L’objectif est de réduire les risques. En l’absence de compensation en effet, l’empilement des instruments et de la chaîne des obligations qu’il implique fait qu’un incident peut prendre rapidement une dimension systémique.

En accompagnant ces obligations de régulation d’une obligation fiscale, avec les sanctions que cela peut impliquer, la taxe sur les transactions financières est clairement un instrument de régulation.

c) Une « cible » claire : les transactions à haute fréquence, symbole de la finance automatisée et informatisée sans fondement économique

Les transactions à haute fréquence ou high frequency trading sont l’un des objectifs actuels de la régulation financière.

Elles ne correspondent à aucune réalité économique. Quel est l’enjeu d’échanger plusieurs milliers de fois des instruments financiers le temps de lire une phrase ?

Elles sont porteuses de risques inconsidérés dès lors qu’elles se traduisent pas des échanges aussi massifs que rapides sur des titres donnés.

Lors de son audition, le représentant de Finance Watch a donné l’exemple d’un total de transactions de 60 000 milliards de dollars en 14 secondes sur une valeur, soit un montant du même ordre que le PIB des Etats-Unis.

Enfin, on ne peut qu’être sceptique sur leur utilité pour le marché. En effet, ce sont des transactions à très faibles marges et très gros volumes, qui s’insèrent entre le cours du vendeur et le cours de l’acheteur.

Par conséquent, au lieu d’être partagé entre les deux parties dans le cadre de la convergence propre à la formation du prix d’équilibre, du prix de la transaction, l’écart entre les deux cours est capté par les traders à haute fréquence. Certes, le vendeur perçoit son prix et l’acquéreur verse le sien, mais un phénomène de rente s’est créé sur le marché.

En raison de leur mode de fonctionnement, en jouant sur de très faibles écarts entre les niveaux des ordres d’achat et des ordres de vente sur les marchés, les transactions à haute fréquence sont vulnérables à l’instauration d’une taxe sur les transactions financières.

C’est un élément qu’il ne faut pas méconnaître dans les débats sur la question du taux de la taxe et de son effet sur la réduction du nombre de transactions.

3. Dégager de nouvelles ressources budgétaires grâce une adaptation de la fiscalité à la réalité nouvelle des transactions, en compensant notamment l’exonération de TVA dont bénéficient les activités financières

Historiquement, l’impôt est réapparu en Europe avec le renouveau de la circulation monétaire après l’an Mille, en Italie d’abord. Lentement, il s’est ensuite diffusé au fur et à mesure que la circulation de métaux précieux permettait notamment de remplacer la corvée et autres droits seigneuriaux par des paiements réguliers.

Par la suite, la fiscalité s’est constituée avec les deux catégories d’impôt que nous connaissons toujours : l’impôt indirect, qui porte sur les transactions, principalement de biens, mais aussi et de plus en plus de services au fur et à mesure que l’économie s’est modernisée ; l’impôt direct.

Parce qu’elle est adaptée à toutes les transactions sur les biens et les services, la TVA, après son invention en France en 1954, s’est progressivement généralisée à l’Europe, et même hors de l’Europe.

De ce point de vue, le cas des transactions financières apparaît comme hors norme, car leur développement massif, qui permet une taxation à un taux très faible, n’a pas conduit à remettre en cause l’exonération au titre de la TVA dont elles bénéficient.

Certes, celle-ci apparaît encore justifiable sur le plan technique en raison de la spécificité de leur nature, mais on observe en tout état de cause une exemption fiscale assez générale des opérations financières qui paraît de plus en plus incongrue.

Il s’agit d’ailleurs au titre de la TVA d’une exonération qui n’est pas absolue, car les Etats membres peuvent accorder une faculté d’option. Selon l’analyse d’impact de la proposition de directive, sept Etats membres ont prévu une telle option dans leur droit fiscal national : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, l’Estonie, la France et la Lituanie. En pratique, le redevable n’opte que s’il y a intérêt.

La création d’une taxe sur les transactions financières apparaît donc aller dans le sens de l’adaptation de la fiscalité à l’économie.

Cette véritable franchise fiscale dont bénéficie la finance est également, si l’on regarde les données de près, l’un des éléments explicatifs de l’impécuniosité des Etats développés : ils asseyent leurs recettes sur une proportion décroissante des transactions.

Le paradoxe est patent dès lors que l’on considère que comme c’est le cas dans la zone euro, la finance provoque en franchise d’impôt une spéculation accrue sur le défaut souverain, alors même que l’une des causes de ce défaut souverain est le décalage entre la base taxable et les flux financiers.

La Commission européenne a chiffré à environ 57 milliards d’euros par an le produit de la taxe sur les transactions financières selon le dispositif qu’elle propose.

Nul ne peut donc disconvenir qu’aucun Etat développé, même ceux qui continuent à afficher leur hostilité à cet impôt, n’est raisonnablement en mesure de se passer d’une telle recette, pour un coût macroéconomique dont de nombreux éléments donnent à penser qu’il est au pire nul.

4. Un impact négatif sur le PIB à relativiser car très dépendant des présupposés des modèles économiques sous-jacents et dès lors que les effets d’une réduction du risque de crise sont pris en compte

L’étude d’impact de la Commission européenne mentionne que l’effet négatif de la taxe sur les transactions financières sur les activités spéculatives a un effet négatif sur le PIB et que celui serait de 0,53 % en moyenne, et un effet sur l’emploi de l’ordre entre 0,03 % et 0,2 %.

Cet effet négatif doit être relativisé.

D’une part, les présupposés du modèle de la Commission européenne sont tels que tout impôt à un impact sur le PIB, d’ordre négatif.

D’autre part, la taxe sur les transactions financières fait disparaître l’ampleur de la menace que fait peser la spéculation, notamment celle sur les obligations d’Etats, sur l’économie européenne.

Ainsi, une autre étude, communiquée par Stepahny Griffith-Jones, de l’Université de Columbia et Avinash Persaud, estime que la perte de PIB serait plus réduite, de l’ordre de -0,2 % et que l’effet pourrait même être positif d’un quart de PIB en prenant en compte, notamment, la réduction des risques de crise.

II. DES ÉLÉMÉNTS DE TAXATION, MAIS TRÈS PARTIELS, DÉJÀ EN APPLICATION DANS CERTAINS PAYS

A. Le recensement de la Commission européenne

L’analyse d’impact annexée à la proposition de directive permet de recenser quelques Etats membres comme appliquant une taxe sur les transactions financières : la Belgique, Chypre, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, la Roumanie et le Royaume-Uni, ainsi que, hors de l’Union européenne, la Suisse et Singapour.

La France est signalée dans l’étude, mais c’est uniquement au titre des droits d’enregistrement sur les cessions d’instruments financiers, dans certains cas.

L’impôt sur les opérations de bourse a, en effet, été supprimé par la loi de finances pour 2008. Son produit était de 250 millions d’euros.

La Pologne, également citée, est dans la même situation : la taxe sur les transactions civiles, qui frappe les transferts de propriété, ne concerne pas les échanges en bourse.

Les dispositifs recensés sont sinon les suivants, pour leurs traits les plus généraux.

En Belgique, la taxe sur les opérations boursières est perçue lors de l’achat et de la vente. Il y a trois taux différents, l’un de 0,07 %, avec un plafond de 500 euros par transaction, applicable notamment aux actions, un autre de 0,5% avec un plafond de 750 euros par transaction pour les SICAV et un troisième de 0,17 %, avec plafond de 500 euros par transaction également pour les autres produits taxés.

A Chypre, c’est pour le cas général un droit de timbre au taux de 0,15 % qui est perçu, avec de nombreuses exonérations.

En Finlande, il s’agit d’une taxe au taux proportionnel de 1,6 %, qui concerne essentiellement les actions, avec une exonération des obligations et dérivés.

En Irlande enfin, le Stamp duty s’applique au taux de 1%, dans le cas général pour les actions et les valeurs mobilières cotées, lorsqu’elles concernent des sociétés irlandaises.

Le cas de l’Irlande est proche de celui du Royaume-Uni, examiné plus en détail ci-après.

B. Des dispositifs en vigueur dans deux pays aux places financières importantes : le Royaume-Uni et la Suisse

1. Le Stamp Duty au Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, une partie des transactions à caractère financier est assujettie au Stamp duty, qui est à l’origine un droit de timbre historiquement levé pour la première fois sur un ensemble de documents, en 1694, pour financer la guerre contre la France de Louis XIV. C’est la même année qu’a été créée la Banque d’Angleterre.

Il a ensuite été considérablement étendu frappant selon les moments la presse, les pamphlets, les tickets de loterie, les polices d’assurance ainsi que des articles de luxe ou jugés comme tels (cartes à jouer, gants, parfums) et les métaux précieux.

Pour ce qui concerne le secteur financier, le régime actuel repose sur la perception des deux droits alternatifs : le Stamp Duty Reserve Tax, mis en place aux taux de 0,05 % (5 pour mille) en 1986, s’applique aux transactions dématérialisées ; le Stamp duty proprement dit aux transactions avec support papier.

Il ne vise que les actions (shares), de même que leurs options, ainsi que les droits et intérêts liés aux actions, les trust units et les OEIC (Open-ended investment company), à savoir les SICAV. Les émissions d’action sur le marché primaire ne donnent pas lieu à taxation.

Ni les dérivés autres que ceux précités ni les obligations ne sont concernés.

C’est l’investisseur final qui est le redevable de la taxe (les établissements financiers sont exemptés).

Pour les transactions réalisées sur le marché, la taxe est prélevée au moment de la transaction. C’est une opération annexe du système de règlement livraison CREST.

Pour les transactions hors marché, un système déclaratif est prévu.

Pour les transactions avec support papier, ce qui est exceptionnel, le Stamp Duty reste perçu au même taux, mais avec une règle d’arrondi aux 5 livres supérieures qui est avantageuse pour le Trésor.

Ces droits ne concernent que les actions et parts des sociétés constituées au Royaume-Uni et les sociétés enregistrées, c'est-à-dire cotées au Royaume-Uni, qu’il s’agisse de sociétés constituées dans ce pays ou de sociétés étrangères.

Par ailleurs, un taux majoré de 1,5 % est appliqué aux transferts à un opérateur autre que CREST, lequel est en situation de monopole et permet ainsi de garantir la traçabilité et la taxation future. Ce taux majoré en cas de sortie du système est appelé l’exit tax.

C’est le principe de l’imposition selon le lieu d’émission, d’enregistrement ou de cotation et non selon la résidence des parties à la transaction.

Le produit global de l’ordre de 3 milliards de livres (4 milliards d’euros) est considéré comme acquitté à concurrence de 40 % par les investisseurs étrangers.

2. Le droit de timbre en Suisse

Le dispositif de taxation des transactions financières mis en place en Suisse vise principalement les opérations sur titres et ne taxe qu’une partie des transactions financières.

La Suisse a mis en place, dès 1918, trois dispositifs de taxation des opérations portant sur certaines opérations financières:

– un droit de timbre d’émission, portant sur l’émission des titres suisses des sociétés cotées ou non cotées jusqu’à la date de libération du titre. Les émissions d’obligations primaires sont néanmoins exemptées depuis peu ;

– un droit de timbre de négociation, portant sur les opérations sur le marché secondaire des titres suisses et étrangers des sociétés cotées et non cotées ;

– un droit de timbre sur prime d’assurance contre quittance.

Le régime a en été révisé entièrement en 1973, date à laquelle les bases actuelles de la taxe ont ainsi été déterminées. Par ailleurs, un certain nombre de modifications sont intervenues depuis visant en particulier à adapter le droit de timbre à l’internationalisation du marché.

Le montant des recettes perçues grâce à ces dispositifs de taxation est important : les recettes du droit de timbre de négociation s'élèvent à 1,5 milliard de francs suisses – 1,2 milliard d’euros (dont 200 millions de francs suisses pour les titres étrangers) ; celles du droit de timbre d'émission à près de 800 millions de francs suisses – 644 millions d’euros- et celles du droit de timbre d’assurance près de 660 millions de francs suisses – 532 millions d’euros. Ces recettes sont stables ces dernières années.

Le droit de timbre de négociation, qui s’apparente le plus à une taxe sur les transactions financières - les deux autres droits de timbre ne touchant respectivement que le marché primaire ou les seuls contrats d’assurance - impose tout transfert onéreux de la propriété de documents imposables si l'un des contractants ou l'un des intermédiaires est un commerçant de titres. Conçu au début du siècle sur ce principe, le droit de timbre de négociation ne couvre les dérivés ou les produits complexes que s’il y a un transfert effectif de propriété des titres sous-jacents.

Les principales caractéristiques de ce dispositif de taxation sont les suivantes :

– le champ de la taxe (documents imposables) concerne les actions, les obligations, les parts d'organismes de placements collectifs et certains dérivés qui ont pour sous-jacents des titres (actions, obligations ou parts de fonds de placements). Sont en revanche hors du champ du droit les dérivés sur taux, devises ou matières premières, de même que les dérivés non standardisés ;

– les redevables sont les commerçants de titres, à savoir à titre principal les banques et les personnes physiques ou morales dont l'activité consiste soit à faire de la négociation pour compte de tiers soit de l'intermédiation. La négociation pour compte propre est hors champ de la taxe. De nombreuses exemptions sont également prévues (cf. point 2 infra). Sont, en revanche, également soumis à la taxe les sociétés commerciales (sociétés anonymes, en commandite par actions, SARL), les institutions de prévoyance professionnelles, les collectivités publiques (confédération, cantons, communes) ainsi que les institutions suisses d’assurances sociales ;

– le fait générateur de la taxe est constitué par le transfert des titres qui correspond au changement de propriété des titres d'un détenteur à un autre. En conséquence, ne sont donc pas taxés les prêts de titres ou les opérations de repo qui, en droit suisse, ne font pas intervenir de transfert de propriété. En effet, bien que la créance fiscale prenne naissance au moment de la conclusion de l'opération (ou du contrat), la taxe n’est réellement due que si le transfert de propriété se réalise. Ainsi, s'agissant des opérations conditionnelles (options) la taxe n’est perçue que si l'opération se réalise (exercice de l'option). De même, pour un contrat à terme, la taxe est perçue dès lors que le titre sous- jacent du contrat est livré ;

– le taux de la taxe est de 1,5 pour mille pour les titres suisses (sociétés dont le siège est en Suisse)- soit 0,75 pour mille pour chaque contractant- et de 3 pour mille pour les titres étrangers (sociétés dont le siège est hors de Suisse)- soit de 1,5 pour mille pour chaque contractant ;

– la base imposable est représentée par la valeur de la contrepartie payée ou due en échange du transfert du titre. S’agissant des dérivés, est retenue la valeur du titre sous-jacent telle que prévue au contrat et à défaut la valeur vénale ou valeur de marché ;

– le recouvrement est enfin assuré sous forme déclarative par les redevables tous les trois mois auprès de l’administration fiscale, cette dernière pouvant à tout moment contrôler sur place l’exactitude des déclarations.

Ce dispositif connaît de nombreuses exemptions. Il n’en demeure pas moins très complexe et difficilement reproductible.

Le droit de timbre de négociation connaît de nombreuses exemptions. Sont ainsi exonérées un certain nombre d’opérations telles que les augmentations de capital, les transferts intergroupes, les restructurations. Par ailleurs, de nombreux opérateurs échappent totalement à la taxe : les contreparties étrangères ne sont pas taxées ainsi que les teneurs de marché et de nombreux investisseurs (fonds étrangers, Etats et banques centrales étrangères, sociétés étrangères dont les actions sont cotées en bourse). Enfin, compte tenu de l’absence de taxation des opérations pour compte propre et de la nécessité d’un transfert de propriété des titres, les transactions les plus spéculatives (opérations en intraday, transactions à haute fréquence) ne sont également pas concernées par la taxe.

La mise en place du dispositif repose également sur une ingénierie assez complexe qui implique en particulier une connaissance très fine des entreprises assujetties par l’administration fiscale. Il y avait débat en Suisse avant la crise sur la suppression de ce dispositif. Si la suppression de la taxe n’est désormais plus d’actualité, son extension à d’autres catégories de produits financiers (dérivés non standardisés ou sur matières premières par exemple) n’est absolument pas envisagée. En dépit des critiques récurrentes de cette taxe de la part des milieux financiers et de certains partis politiques, le droit de timbre n'a pas entraîné de délocalisations massives hors de Suisse, en raison notamment d’une fiscalité plus avantageuse dans d’autres matières et de l’attractivité générale du système financier suisse (gestion de fortune, secret bancaire).

C. Un contre-exemple dont il ne faut pas tirer de conclusion erronée : la Suède de la fin des années 1980

La Suède a mis en œuvre une taxe sur les transactions financières entre 1984 et 1991. Les conditions en ont été  analysées par M. Göran Färm, parlementaire européen (S&D, Suède), dans un document récent.

La suppression est intervenue en 1991 en raison de l’effondrement du nombre des transactions, et du produit, les transactions ayant été délocalisées.

Le suivi de la taxe suédoise est difficile car son taux et son assiette ont évolué.

En 1984, la taxe a été instituée au taux de 0,5 % pour chacune des deux parties (1 % au total) sur les actions, et 1 % pour les stocks options.

La médiocrité du rendement a conduit à doubler le taux en 1986, ce qui entraîné un mouvement spectaculaire de délocalisation. On estime que 60 % du volume total a été transféré sur Londres.

Ensuite, à partir de 1989, la taxe a été appliquée aux obligations et aux dérivés, avec des taux variables mais beaucoup plus faibles. Là encore l’assiette fiscale s’est évaporée, car les investisseurs ont opéré des transferts des obligations vers des produits de taux équivalents en termes de rendement, mais non taxés.

Trois failles ont été identifiées : un taux trop élevé ; des lacunes dans l’assiette de la taxe, avec des possibilités d’évasion ; un prélèvement au niveau des seuls intermédiaires financiers établis en Suède.

En outre, on peut ajouter que l’instauration d’une taxe aussi lourde, sur un champ géographique aussi étroit qu’un seul pays relativement peu peuplé qui plus est, était par nature une opération incertaine.

Pour ces raisons, les rapporteurs ne peuvent que partager la conclusion de M. Färm.

DEUXIEME PARTIE :
UNE PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE À SOUTENIR, SOUS RÉSERVE DE QUELQUES POSSIBILITÉS D’AMÉNAGEMENT

I. UN CHAMP D’APPLICATION LARGE ET PAR CONSÉQUENT PERTINENT, SOUS RÉSERVE D’ÉVENTUELS AJUSTEMENTS

A. Un dispositif prévu pour être applicable à toutes les transactions, tous les types d’instruments financiers, tous les établissements financiers et à tous les marchés pour éviter les risques de contournement et d’évasion fiscale

1. Une approche « triple A »

La proposition de directive repose sur une approche dite « triple A » dans sa formation en anglais : « All markets ! All instruments ! All actors ! ».

Elle vise en effet tous les marchés, tous les instruments financiers et tous les acteurs.

Elle correspond à la philosophie d’une taxation à taux faible d’une assiette large, adaptée aux transactions financières.

Elle est également nécessaire en raison de la souplesse et de la flexibilité des pratiques financières, marquées par une capacité d’innovation importante : toute faille dans le dispositif de taxation se traduit par des pratiques de contournement.

2. Une appréhension très complète des marchés et des transactions, sauf pour ce qui concerne les opérations de changes au comptant

a) Une définition de la transaction financière plus large que le transfert de propriété

La directive repose sur une approche de la transaction financière qui ne se limite pas au transfert de propriété et de risque. Outre les achats et les ventes, sont en effet visés les contrats de mise ou prise en pension et les contrats de prêts ou d’emprunts de titres.

Selon une approche également large, le dispositif vise les transferts intragroupes d’instruments financiers, avec transfert de risque mais sans achat ou vente.

Concernant les contrats dérivés, ce n’est pas la seule conclusion du contrat qui constitue le fait générateur de la taxation, mais également sa modification.

C’est de nature à faire échec aux stratégies de contournement que l’on peut imaginer, notamment avec des dérivés qui seraient modifiés à l’infini.

b) L’inclusion de tous les types de transaction, y compris les transactions de gré à gré (OTC) et les transferts intragroupes

La proposition de directive ne limite pas le champ d’application de la taxe aux seules transactions sur les marchés organisés et pour l’essentiel les marchés réglementés et les systèmes multilatéraux de négociations.

Pour éviter tout risque d’évasion, les transactions de gré à gré (OTC) sont aussi concernées.

De ce point de vue, la perception de la taxe ne peut être que facilitée dans le futur dès lors que seront mises en application des obligations prévues dans le cadre de la révision de la directive MIF et du règlement EMIR, en cours de négociation, à savoir l’obligation de passer pour les dérivés standardisés et l’obligation de déclarer les contrats spécifiques.

Pour ce qui la concerne, la France vient d’ailleurs de mettre en œuvre un tel dispositif déclaratif, par anticipation.

Comme l’indique le communiqué de l’Autorité des marchés financiers du 16 janvier dernier : « L’encadrement des marchés dérivés OTC constitue l’une des priorités fixées par le G20. C’est dans ce contexte que l'Autorité des marchés financiers a décidé d’adhérer au projet du CESR1 de collecter les transactions sur dérivés OTC, sans attendre l’entrée en vigueur de la directive MIF2 et du règlement EMIR. »

De même « Ces modifications :

« - étendent aux dérivés OTC la déclaration des transactions effectuées par les prestataires de services d’investissement et des succursales établies en France de PSI agréés dans l’Espace économique européen. Toutefois, cette extension ne s’applique pas aux sociétés de gestion de portefeuille.

« - concernent les produits dérivés négociés de gré à gré action ou crédit mono sous-jacent, dont le sous-jacent est un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou sur un système multilatéral de négociation organisé.

« La déclaration était jusque-là cantonnée aux seuls instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation organisé. »

c) Une liste exhaustive des instruments et produits financiers, et cohérente avec les textes européens relatifs à la régulation financière

Le champ d’application de la taxe concerne les transactions sur les instruments financiers au sens large.

Il vise tous les types d’instruments financiers, avec la nécessité d’une définition extensive car ceux-ci sont souvent de proches substituts les uns des autres.

L’objectif est de couvrir les instruments négociables sur le marché des capitaux, les instruments de marché monétaires, sauf ceux de paiement, les parts ou actions des organismes de placement collectif, avec notamment les OPCVM et les fonds alternatifs, ainsi que les contrats dérivés.

Dans son détail, le dispositif s’appuie sur les textes européens déjà intervenus en matière financière.

Il vise donc explicitement les instruments financiers tels qu’ils sont définis à l’annexe 1 de la directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés financiers.

Il mentionne également les produits structurés, avec une définition qui fait référence à la titrisation telle qu’elle est prévue par la directive 2006/48/CE et qui englobe également les produits équivalents.

Les contrats dérivés, les opérations de mise en pension et de prise en pension ainsi que les contrats de prêt de titres et d’emprunt de titres sont pour leur part expressément cités.

Pour les contrats dérivés assortis de la livraison d’un instrument financier, il est clairement prévu qu’il y aura double taxation : lors de la conclusion du contrat et lors de la livraison de l’instrument financier.

Concrètement, les options, les swaps, les contrats à terme (futures), les forwards, les CFD notamment, sont dans le champ de la taxation.

3. L’implication de tous les acteurs

a) Une perception de la taxe au niveau des établissements financiers

La proposition de directive prévoit que ce sont les établissements financiers qui sont les redevables de la taxe.

La perception de la taxe à leur niveau présente, en effet, l’avantage de la simplicité. L’essentiel des transactions financières passe par leur intermédiaire.

Elle est par conséquent exigible tant pour les opérations réalisées pour compte propre que pour compte d’autrui. Le texte proposé couvre les cas où l’établissement agit pour propre compte, pour compte d’autrui, au nom d’une partie à la transaction ou en encore lorsqu’elle est effectuée par un tiers pour le compte de l’établissement financier, de manière à éviter les cas d’évasion.

Lorsqu’un établissement financier agit pour le nom ou pour le compte d’un autre établissement financier, le second seul est redevable de la taxe.

Cette formule est essentielle, car les établissements financiers au sens de la future directive sont tous les intervenants sur les marchés financiers.

b) Une définition très exhaustive de la notion d’établissement financier

Le dispositif proposé retient une liste particulièrement longue et exhaustive des opérateurs qui doivent être considérés comme des établissements financiers.

Celle-ci en effet mentionne les institutions financières au sens classique, à savoir les entreprises d’investissement au sens de la directive 2004/39/CE précitée MIF, les établissements de crédit au sens de la directive 2006/48/CE, les entreprises d’assurance et de réassurance, en s’appuyant sur la définition de la directive 2009/138/CE, les OPCVM et les sociétés de gestion, avec mention de la directive 2009/65/CE, les fonds de pension et institutions de retraite professionnelle, et leurs gestionnaires, au sens de la directive 2009/65/CE, les fonds d’investissements alternatifs, et leurs gestionnaires, au sens de la directive 2011/61/UE.

Elle vise également les entités de titrisation (directive 2006/48/CE) et les véhicules de titrisation (directive 2009/138/CE).

Sont également concernés les marchés réglementés, au sens de la directive MIF et tout autre système ou plate forme de négociation organisée.

Une dernière catégorie vise d’autres intervenants sur les marchés financiers, à titre accessoire, à savoir les entreprises qui effectuent les activités suivantes : la réception de dépôts ; les prêts ;  notamment le crédit hypothécaire, le crédit à la consommation et l’affacturage ; le crédit bail ; les octrois de garantie et autres souscription d’engagement ; la négociation d’instruments financiers pour compte propre ou pour le compte de clients ; l’acquisition de participations dans les entreprises ; la participation à des instruments financiers ou à leur émission et les services connexes.

Il y a une condition, compréhensible, mais qui mérite aussi d’être considérée avec prudence : les activités précitées doivent représenter, en termes de volume ou de valeur des transactions financières, une part importante de leur activité globale.

B. Des exclusions aussi limitées que justifiées, sous réserve d’une confirmation du statut juridique des transactions au comptant sur le marché des changes et de certaines hypothèses d’aménagement, notamment sur les OPCVM pour éviter une double imposition

1. Des exclusions aussi explicites qu’incontestables

a) L’absence d’accès des entreprises et des Etats à l’épargne publique : les émissions primaires sur le marché des actions comme des obligations

Le dispositif proposé prévoit une exemption des émissions sur le marché primaire. L’objectif est d’éviter tout frein à la levée de capitaux par les entreprises, et de préserver la neutralité du financement des Etats et des personnes publiques lors de l’émission d’obligations.

La seule exception à cette exception concerne les émissions et remboursements de parts d’OPCVM. Elle est plus amplement évoquée au a) du 3 ci-après.

b) L’assistance financière aux Etats membres : le FESF et les institutions internationales établies pour venir en aide aux Etats membres en difficulté

La proposition de directive place naturellement hors champ les opérations destinées à apporter une assistance financière aux Etats membres qui éprouvent des difficultés de financement. Il s’agit notamment mais pas seulement du Fonds européen de stabilité financière (FESF), ainsi que dans le futur du Mécanisme européen de stabilité (MES).

c) La fluidité du marché monétaire : les opérations de refinancement auprès des banques centrales

La taxe sur les transactions financières n’a pas vocation à influer sur la politique monétaire et ses canaux. Elle n’a pas non plus pour but de réduire l’accès des banques à la liquidité, qui doit intervenir selon les modalités les plus directes et les plus neutres possibles.

Le dispositif proposé exclut par conséquent de son champ d’application les opérations de refinancement bancaire auprès des banques centrales, et plus précisément les opérations avec la BCE et les banques centrales des Etats membres.

d) Le bon fonctionnement des marchés financiers : les entités intervenant sur les marchés pour en assurer la sécurité, la transparence et l’efficacité

Dans un même souci d’éviter de porter atteinte aux instruments et organismes vis-à-vis de la sécurité des marchés, la proposition de directive prévoit une exemption des organismes suivants : contreparties centrales, dépositaires centraux de titres ou dépositaires internationaux de titres.

e) Les transactions qui ne peuvent jamais être spéculatives : celles liées à la vie courante des particuliers et des entreprises, notamment les souscriptions de contrats d’assurance

La proposition de directive exclut de l’assiette de taxation les transactions qui n’ont pas d’objectif financier, mais relèvent des nécessités de la vie courante pour les particuliers comme pour les entreprises, dans leurs relations avec les banques, institutions financières et entreprises d’assurance.

Sont ainsi prévus pour être hors champ de la taxe les crédits aux entreprises et aux ménages, notamment les crédits hypothécaires, les contrats d’assurance et les paiements courants.

Les contrats d’assurance couvrent naturellement les produits d’assurance vie.

f) Les immunités, classiques, dont bénéficient les organisations européennes et internationales

La taxe sur les transactions financières entre dans le champ de l’immunité fiscale dont bénéficient les organisations internationales de manière classique et qui est couverte par des conventions internationales ou des accords de siège. La mention de ces organisations et organismes au titre des exclusions n’est dont qu’une précision qui n’appelle pas d’observation particulière.

Ce même principe s’appliquant, sont exclues du champ de la taxe les institutions européennes, et plus précisément l’Union européenne, la Communauté européenne de l’énergie atomique, la Banque européenne d’investissement et les organismes établis par les deux premiers et qui relèvent du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne.

2. Une exclusion implicite dont le fondement juridique doit être confirmé : les transactions au comptant sur le marché des changes

La proposition de directive prévoit pour les devises un régime différencié avec une inclusion des dérivés, mais une exclusion des opérations au comptant sur le marché des changes.

Cette exclusion d’un volume important de transactions communément considérées comme financières et dont une certaine part relève d’intentions spéculatives appelle deux précisions.

D’une part, il s’agit d’une exclusion implicite, puisque les devises ne sont pas en elles-mêmes des instruments financiers alors que, de même que les matières premières, les dérivés qui les concernent en sont.

D’autre part, la taxation des achats et ventes de devises au comptant peut être en contradiction avec le principe de libre circulation des capitaux.

C’est la position de la Commission européenne.

Cet argument porte cependant différemment selon qu’il s’agit d’une devise monnaie officielle de l’un des Etats membres de l’Union européenne, comme la Livre sterling ou la Couronne suédoise (dix pays ne sont pas, en l’état, membre de la zone euro), ou bien de l’une des monnaies de pays tiers.

Pour les premiers, la question est de savoir si une telle taxe créerait des conditions différentes dans la circulation des capitaux entre les pays membres de la zone euro et les autres Etats membres.

Si on peut a priori le penser car elle impliquerait un coût pour tout transfert de capitaux, on peut invoquer à l’opposé que tous les Etats membres ont vocation à avoir l’euro comme monnaie, et que ceux pour lesquels tel n’est pas le cas, disposent à leur demande d’une clause d’opt out qui les en dispense (Royaume-Uni et Danemark). Leur situation est spécifique car ils ne souhaitent pas entrer dans le droit commun.

En outre, la libre circulation des capitaux n’implique pas nécessairement pour les placements financiers qu’il y ait conversion d’une monnaie dans une autre. Les avoirs en devises autres que la monnaie officielle sont tout à fait légaux dans les pays de la zone euro.

Historiquement d’ailleurs, la place de Londres, qui est le premier marché financier européen et où se négocient l’essentiel des transactions de change intervenant en Europe, s’est développé avec les euro-dollars, à savoir les placements en dollar des non résidents américains.

Pour les échanges de devises avec les pays tiers, la question de la libre circulation des capitaux ne se pose pas réellement. La difficulté est d’ordre pratique. Si la taxe sur les transactions financières n’est pas appliquée par tous les Etats membres, alors les transactions de change se feront hors taxe dans les places financières des pays qui ne l’appliqueront pas.

D’un point de vue opératoire alors, on peut alors qu’observer que la question est étroitement liée à celle du champ géographique de la taxe. Si la taxe ne doit pas concerner le Royaume-Uni, où l’essentiel des transactions de change européennes se font, la perte de recettes sera assez faible pour les Etats membres qui l’appliqueront et il n’est peut être pas nécessaire de prendre le risque juridique inhérent à un contentieux pour un enjeu budgétaire relativement périphérique.

3. Des possibilités d’ajustement d’ores et déjà évoquées

a) La question de la double imposition des OPCVM

Pour les OPCVM, l’exception à l’exemption des émissions et le remboursement d’actions et de parts, qui signifie la taxation, est justifiée par leur nature.

Qu’il s’agisse en France des SICAV ou des FCP, ces entités reposent sur le principe de l’émission et du rachat de parts à la demande.

Par conséquent, la notion d’émission primaire et de marché secondaire n’a pas vraiment de sens.

Cette approche très juridique n’est pas fausse. Elle entraîne cependant une difficulté, celle de la double taxation, lors des opérations sur actions ou parts de l’OPCVM et ensuite lors des opérations effectuées par l’OPCVM.

Cette difficulté a notamment été soulevée lors de son audition par les rapporteurs, par M. Pierre Bollon, délégué général de l’Association française de la gestion financière (AFG).

Si les montants peuvent être considérés comme n’étant pas prohibitifs dès lors que le taux de la taxe est modéré d’une manière générale, il y a clairement une question de principe.

Pour ce qui concerne les OPCVM monétaires qui permettent au client de bénéficier du rendement du marché monétaire, le rendement actuel, avec un EONIA à 0,37 % montre le caractère clairement surdimensionné des effets de la double taxation, avec par définition 0,2 % pour la seule entrée.

Sur le fond, la demande des professionnels porte sur l’élimination de la double taxation. Par réalisme, compte tenu des besoins budgétaires actuels des Etats, ceux-ci envisagent plutôt de concentrer leur demande sur l’exonération des émissions et remboursements de parts d’OPCVM, ce qui les ferait entrer dans le droit commun.

b) Une demande d’exonération des fonds de pension, notamment évoquée par les Pays-Bas, et la question assez similaire des contrats d’assurance vie

Selon les éléments communiqués, les Pays-Bas ont soulevé la question des prélèvements qui seront opérés au titre de la TTF sur les fonds de pension.

Il s’agit d’instrument de gestion d’épargne longue, dans lequel les opérateurs de cet Etat membre disposent d’un savoir faire reconnu.

Si l’on cumule le montant du prélèvement sur la durée, la somme totale peut ainsi atteindre plusieurs centaines d’euros.

Certes, celle-ci peut varier sensiblement selon le mode de gestion, selon que le portefeuille soit fréquemment remanié ou non.

Un portefeuille de 30 000 euros assez stable dont la moitié serait remaniée chaque année donne lieu, soit une durée de détention de deux ans, avec une taxe au taux de 0,1 %, à l’achat et à la vente, à une ponction de 30 euros par an.

Néanmoins, ceux qui soulèvent la difficulté en font une question de principe, dans la mesure où ils considèrent qu’il ne faut pas rendre plus difficile l’équilibre des schémas de retraite par capitalisation.

On relève que la même logique vaut pour l’assurance vie. Les contrats d’assurance sont prévus pour être exonérés de la taxe, mais pas les placements opérés dans le cadre des contrats.

c) La nécessité d’éviter de porter atteinte à la neutralité des choix individuels

Dans l’exonération de la gestion collective, qu’il s’agisse de l’assurance vie, des fonds de pension ou des OPCVM, l’objectif doit être d’assurer la neutralité des choix individuels.

C’est donc l’exonération à l’entrée qui semble devoir prévaloir. Sinon, les instruments de gestion collective bénéficieront d’un avantage fiscal par rapport à la détention directe de titres. Or, par nature, ils bénéficient déjà d’un avantage intrinsèque en matière de rendement, car ils permettent avec des avoirs de moindre importance de bénéficier des avantages d’une gestion plus diversifiée et dont le rendement est meilleur avec un risque moindre.

En outre, ce principe est cohérent avec la nécessité d’éviter toute exonération massive de produits financiers qui se traduirait par des pertes de recettes substantielles.

C. Une taxation selon le seul principe de résidence, mais qui peut être complétée, pour réduire le risque de délocalisation, par une application complémentaire du principe du lieu d’émission ou de cotation

1. Une application conjointe du principe de résidence aux établissements financiers et aux investisseurs qui permet une application de la taxe à toutes les opérations en lien avec l’Union européenne et assure une répartition de l’impôt entre les Etats membres

a) Les critères du principe de résidence aux établissements financiers et aux parties à la transaction

Le dispositif proposé par la Commission européenne vise à permettre la perception de la taxe dès lors qu’elle a un lien avec un Etat membre de l’Union européenne.

Les établissements financiers résidents de l’Union européenne

Pour les établissements financiers, le critère de résidence repose sur cinq éléments.

Ces critères ne sont ni alternatifs ni cumulatifs, mais doivent être mis en œuvre selon deux principes, la subsidiarité et la hiérarchie : le premier critère est prioritaire par rapport au second, et ainsi de suite.

Il n’est fait appel au critère qui suit que si la question n’est pas réglée par le premier critère de la liste.

Les quatre premiers critères concernent les institutions financières établies dans l’Union européenne. Ce sont :

– l’agrément délivré par un Etat membre à l’établissement financier pour opérer les transactions concernées ;

– la localisation du siège social de cet établissement ;

– celle de son lieu de domicile ou de résidence habituelle ;

– la présence d’une succursale qui effectue les transactions concernées.

L’application du principe de territorialité aux institutions financières non résidentes pour les opérations en lien avec une autre institution financière

Le cinquième critère vise à taxer les opérations effectuées par les établissements financiers des pays tiers, pour les résidents communautaires.

Il les rend redevables de la taxe dès lors qu’ils sont parties à une transaction avec un établissement financier ou un investisseur établi dans l’Union européenne.

La rédaction assez complète vise précisément les établissements parties pour leur propre compte ou pour compte de tiers à une transaction avec une partie ou avec un autre établissement réputé résident d’un Etat membre.

Les critères de résidence des personnes physiques et des personnes morales autres que les établissements financiers

Pour les investisseurs autres que les établissements financiers, personnes physiques ou personnes morales, les critères pour l’application du principe de résidence sont classiques : le siège social pour les personnes morales, ou la présence d’une succursale ; le domicile le lieu de résidence habituelle pour les personnes physiques.

Une limite au risque d’extraterritorialité : l’exclusion des transactions sans lien avec le territoire de l’Etat membre concerné

Le fait pour les établissements financiers de prouver l’absence de lien entre une opération et un Etat membre permet de ne pas devoir acquitter la taxe.

Cette faculté offerte aux établissements financiers d’isoler les opérations hors Union européenne permet d’éviter les risques d’extraterritorialité, selon la Commission européenne.

b) Un dispositif efficace car permettant de taxer par capillarité les opérations des résidents de l’Union européenne avec les pays tiers, de doubler le rendement de la taxe pour les opérations internes à l’Union européenne et d’assurer une répartition simple du droit d’imposer entre les Etats membres

Le croisement des critères de résidence pour les établissements financiers et les investisseurs, et le fait de rendre chaque établissement financier redevable de la taxe, conduit à un système assez efficace.

En effet, pour les opérations internes au champ territorial d’application de la taxe, il y a deux établissements financiers redevables : celui du vendeur et celui de l’acheteur.

Il y a donc deux fois perception de la taxe.

Selon les éléments communiqués par la Commission européenne, le recours de l’acquéreur et du vendeur au même établissement financier ne fait pas obstacle à sa double perception. Il en est de même lorsqu’il s’agit de transferts intra-groupe d’actifs financiers.

Il s’ensuit une répartition automatique du droit d’imposer.

Pour les opérations dont un seul acteur implique l’Union européenne, la taxe n’est perçue qu’une seule fois. C’est par ce moyen qu’il y a mise en échec des éventuelles stratégies de délocalisation des opérations hors Union européenne.

Le premier des tableaux suivants, établi à partir de celui qui a été publié par la Commission européenne, récapitule les différents cas d’application de la taxe et la répartition du droit d’imposer entre les Etats membres.

Le second tableau, qui présente ces résultats sous une forme arithmétique, est plus parlant.

Le cas non taxé des transactions entre des personnes qui ne sont pas considérées comme des institutions financières est marginal car comme on l’a vu, la notion d’institution financière au sens de la proposition de directive est très large. En outre, selon les pays, il peut donner lieu à perception de droits d’enregistrement, et donc à un substitut à la taxe sur les transactions financières.

Tableau récapitulatif des cas d’application de la taxe :

présentation de la Commission européenne

Partie/Contrepartie

Etablissement financier UE

(Etat membre B)

Autre résident UE
(Etat membre B)

Etablissement financier
non résident

Autre non résident


Etablissement financier résident UE (Etat membre A)

Tb

Ta


-

Ta


Ta

Ta


-

Ta



Autre résident UE
(Etat membre A)

Tb

-

-

-

Ta

-

-

-

Etablissement financier non résident

Tb

Tb

-

Tb

-

-

-

-


Autre non résident

Tb

-

-

-

-

-

-

-

Ta, Tb : taxe à acquitter à l’Etat membre A ou à l’Etat membre B

Taxe payée par partie résidente UE Taxe payée par la partie non résidente

Rappel : les règles de taxation s’appliquent également quand un établissement financier n’est pas une partie directe à la transaction mais agit pour le compte de l’une des parties.

On peut déplorer que la Commission européenne n’ait pas adopté une présentation arithmétique, telle que celle qui suit, car la compréhension du cumul de la taxe et de la répartition du droit d’imposer entre les Etats membres en eût été meilleure et plus rapide.

Tableau récapitulatif des cas d’application de la taxe : présentation arithmétique

Partie/Contrepartie

Etablissement financier UE

(Etat membre B)

Autre résident UE
(Etat membre B)

Etablissement financier
non résident

Autre non résident

Etablissement financier résident UE

(Etat membre A)

Ta + Tb

Ta

Ta +Ta

Ta

Autre résident UE
(Etat membre A)

Tb

-

Ta

-

Etablissement financier
non résident

Tb + Tb

Tb

-

-

Autre non résident

Tb

-

-

-

Ta, Tb : taxe à acquitter à l’Etat membre A ou à l’Etat membre B

Taxe payée par partie résidente UE Taxe payée par la partie non résidente

Rappel : les règles de taxation s’appliquent également quand un établissement financier n’est pas une partie directe à la transaction mais agit pour le compte de l’une des parties.

2. La possibilité de réduire le risque de délocalisation d’activités en ajoutant le critère du lieu d’émission ou de cotation

En dépit de son approche très complète de la notion de résidence, approche dite « ceinture et bretelles », les risques de délocalisation d’activités sont considérés comme réels dès lors que la taxe n’est pas d’application mondiale.

En outre, sans même évoquer le risque de délocalisation des opérations aux Etats-Unis ou dans les grandes places financières asiatiques, certains pays ou certains territoires non souverains voisins de l’Union européenne sont des places financières importantes, notamment la Suisse.

Les représentants des professions du secteur financier ont également mentionné, lors de leurs entretiens avec les rapporteurs, le cas des îles anglo-normandes.

Par comparaison, le droit de timbre, le Stamp duty¸ qui applique le principe de la taxation au lieu d’émission ou de cotation, avec une exit tax, comme on l’a vu, apparaît assez robuste.

Le Royaume-Uni recueille en effet 40 % du produit du stamp duty sur les opérations réalisées par les non résidents.

Si le principe de la taxation des transactions selon le lieu d’émission s’applique avec efficacité aux actions et aux obligations, tel n’est pas le cas pour les dérivés.

Pour qu’il en soit ainsi, il faudrait établir un dispositif reposant sur le lien avec le sous-jacent.

Aussi, même s’il n’est pas à ce stade envisageable d’en esquisser le mécanisme ni le périmètre, les rapporteurs souhaitent-ils insister sur l’intérêt de compléter le dispositif de la taxation selon le principe de résidence par une taxation selon le lieu d’émission, à titre subsidiaire.

II. UNE DIFFÉRENCIATION DES TAUX ENTRE LES DÉRIVÉS, TAXÉS À 0,01 %, ET LES OPÉRATIONS AU COMPTANT, TAXÉES À 0,1 %, QUI NE S’IMPOSE PAS NÉCESSAIREMENT COMME LA SEULE OPTION POSSIBLE, EU ÉGARD AUX AVANTAGES INTRINSÈQUES D’UNE TAXATION AU TAUX UNIQUE DE 0,05 %

A. Une certitude : prévoir un niveau de taxation adaptée pour éviter tout risque de transfert d’activité sur d’autres places financière

1. Un principe général de taxation toujours pertinent face à une matière fiscale mobile

D’une manière générale, l’impôt disposant d’une assiette large et d’un taux modéré bénéficie d’un double avantage.

Il assure à l’Etat ou à la personne publique un rendement satisfaisant, car son taux n’incite pas à développer les pratiques de contournement, évasion ou fraude.

S’agissant du contribuable en effet, un taux modéré entraîne une plus grande tolérance.

Pour ce qui concerne les transactions financières, ce principe vaut également.

Tel est d’ailleurs d’autant plus le cas que depuis que les mouvements de capitaux et les changes ont été totalement libérés par les pays européens, dans les années 1980 pour la France, la mobilité du capital financier ne rencontre plus d’obstacle administratif et que le développement de l’informatique et de l’électronique, avec Internet notamment, a réduit considérablement, et même presque anéanti, les difficultés que peut éprouver l’investisseur à ne pas être sur le même territoire que son établissement financier et une partie de ses conseils.

C’est un élément dont le législateur doit nécessairement tenir compte pour ce qui concerne les transactions financières.

2. Une difficulté à ne pas méconnaître sur les risques de pertes de compétences des régulateurs en cas de déplacement massif des transactions financières d’une place à l’autre

Le risque d’un niveau trop élevé de taxation des transactions financières n’est pas seulement, pour les Etats, d’ordre économique et fiscal.

Il est également d’ordre institutionnel, pour ce qui concerne la régulation et la sécurité financière.

En effet, ainsi qu’il l’a été précisé aux rapporteurs, les dispositions de la directive 2004/39/CE MIF et de son règlement d’application (CE) no 1287/2006 du 10 août 2006 recèlent une difficulté, car la compétence des différents régulateurs se fait par référence à la notion de « marché le plus pertinent ».

Par conséquent, si l'autorité compétente pour recevoir les comptes rendus des transactions (i.e. le reporting) demandés par la MIF, est, selon l’article 9 du règlement, le marché réglementé sur lequel le titre a fait l'objet d'une première admission à la négociation, qui est alors le marché le plus pertinent, l'article 10 permet à une autre autorité de contester cette situation par défaut sur la base du volume échangé.

Par conséquent, pour ce qui concerne la France, si elle ne disposait plus du reporting des transactions sur un titre, l'AMF ne pourrait plus surveiller que les transactions réalisées par le truchement de professionnels français, y compris pour les titres français, ce qui réduirait sa compétence.

B. L’arbitrage de la Commission européenne en faveur de deux taux nominaux différenciés : l’un de 0,01 % pour les actions et obligations et l’autre de 0,01 % pour les dérivés qui correspondent à des taux effectifs de 0,2 % pour les premières et de 0,02 % pour les seconds

1. La mention de taux minima compte tenu du caractère novateur de la démarche comme pour respecter le principe de subsidiarité

Les taux de taxation de 0,01 % pour les dérivés et de 0,1 % pour les autres cas (actions et obligations) prévus par le texte de la proposition de directive sont des taux minima que les Etats membres peuvent choisir de dépasser.

La mention de minima, et non de taux unique pour l’ensemble des Etats membres, est juridiquement nécessaire.

En effet, l’article 113 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ne donne à l’Union, en matière de fiscalité indirecte, à savoir de fiscalité des transactions, qu’une compétence d’harmonisation des impôts nationaux, et non de fixation du taux de l’impôt.

Plus précisément, sa rédaction prévoit spécifiquement l'adoption par le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, de dispositions touchant à l'harmonisation des législations des États membres en matière de fiscalité indirecte (principalement taxe sur la valeur ajoutée et droits d'accise) dans la mesure où les impôts indirects peuvent constituer un obstacle immédiat à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation de services dans le marché intérieur. Ils peuvent aussi entraîner des distorsions de concurrence.

D’ailleurs, ce sont également des minima qui sont d’ailleurs prévus par la directive 2006/112/CE en matière de TVA.

Ce sont également des minima qui sont prévus par la législation communautaire en matière d’accise.

2. L’argument de la différence des bases de taxation : le notionnel, pour les dérivés ; le montant acquitté pour les autres opérations

La proposition de directive ne prévoit la taxation selon le montant échangé lors de la transaction financière que pour le droit commun, c'est-à-dire les transactions au comptant sur les actions et obligations.

Pour les dérivés, elle propose de retenir le sous-jacent, ou le notionnel, comme base de taxation.

En effet, en raison de l’effet de levier propre à ces transactions, la somme versée lors d’une opération est très inférieure à celle de l’actif qui sert de support à l’instrument financier.

En outre, il faut tenir compte de ce que certaines opérations, comme les Swaps, ne donnent lieu à aucun versement.

La taxation de cette seule somme versée lors la conclusion du contrat conduirait donc à une sous-taxation, sous-taxation d’autant plus préjudiciable que l’effet de levier est important.

Le choix d’un rapport de 1 à 10 entre les deux taux de taxation revient implicitement à considérer que l’effet de levier normal est également de 1 à 10 pour les dérivés.

Lorsque celui-ci est inférieur à 10, il y a sous taxation.

Lorsque celui-ci est supérieur à 10, il y a taxation à un niveau supérieur.

3. L’argument du risque de délocalisation

Dans le cadre de son étude d’impact, la Commission européenne rappelle que la faculté de délocaliser l’activité financière est plus importante pour les dérivés.

C’est également cet argument qui est avancé par les professionnels pour justifier un moindre taux de taxation des dérivés.

C’est un des éléments qu’il faut conserver en mémoire dans le débat sur le niveau de taxation.

4. Des taux effectifs cependant doublés, de 0,02 % pour les dérivés et nettement plus élevés de 0,2 % pour les actions et obligations, pour les transactions dont les deux parties prenantes sont résidentes

Comme on l’a vu, la taxe sera due par l’acquéreur et par le vendeur pour les transactions dont les deux établissements financiers ou parties sont résidentes.

Les taux effectifs seront donc doublés et s’établiront pour les transactions internes aux pays d’application de la taxe, à 0,02 % pour les dérivés et à 0,2 % pour les transactions sur actions et obligations, soit un taux assez élevé.

5. Un rendement estimé pour les 27 Etats membres à 57 milliards d’euros, dont 37,7 milliards pour les dérivés

Le produit estimé de la taxe sur les transactions financières pour les vingt sept Etats membres est de 57,1 milliards d’euros, à raison de 19,4 milliards d’euros pour les actions et obligations et 37,7 milliards d’euros pour les dérivés.

De manière plus détaillée, le rendement serait de 6,8 milliards d’euros pour les actions et 12,6 milliards d’euros pour les obligations.

S’agissant des dérivés, l’essentiel proviendrait des opérations sur les dérivés de taux, à raison de 29,6 milliards d’euros.

C. Un éventuel taux unique de 0,05 %

1. Le choix de l’Assemblée nationale en juin dernier

La résolution adoptée le 14 juin dernier par l’Assemblée nationale a prévu pour la taxe sur les transactions financières un taux unique de 0,05 %.

Son adoption à l’unanimité des groupes de l’Assemblée nationale doit être prise en compte, même s’il est vrai, le Gouvernement, représenté par M. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, avait souligné que la question du taux, de même que celle de l’assiette, étaient difficiles.

2. Un taux plus adapté aux transactions sur actions et obligations

Le taux de taxation unique de 0,05 % a été fondé sur les travaux de Stephan Schulmeister, Margit Schratzenstaller et Olivier Picek de l’Institut autrichien pour la recherche économique (WIFO), et publié en mars 2008 « A General Financial Transaction Tax : Motives, Revenues, Feasibility and Effects ».

Les simulations correspondantes ont en effet permis de mettre en évidence que ce taux était optimal car il affectait peu les transactions d’investissement, sur les actions et obligations, et avait un effet régulateur sur les opérations sur dérivés, en les ramenant à une proportion plus raisonnable.

Comme l’indique le tableau suivant, la réduction des transactions sur actions est de l’ordre de 5 %, contre 10 % avec un taux de 0,1 %. S’agissant des dérivés, un taux de 0,01 % réduit leur nombre de 30 % seulement, contre 60 à 70 % pour un taux de 0,05 %.

Réduction du montant des transactions (en %)

selon les différents taux de la taxe

Taux de la taxe

0,10 %

0,05 %

0,01 %

Obligations (Comptant)

- 5 %

- 3 %

0 %

Actions (Comptant)

- 10 %

- 5 %

0 %

Instruments dérivés

- 70 / 80 %

- 60 / 70 %

- 20 / 30 %

Source : Schulmeister et al., Idem.

Les simulations de la Commission européenne corroborent ce constat, même si les chiffres sont différents :

– un taux unique de 0,05 % offre pour les actions et les obligations au comptant l’avantage d’avoir une réduction des transactions, de l’ordre de 10 %, moins importante avec le taux de 0,2 % pour lequel a opté la Commission européenne ;

– il réduit de 80 % le volume des transactions sur dérivés, mais pas d’une manière beaucoup plus importante que le taux de 0,02 %, à raison de 75 %.

Le tableau suivant récapitule ces éléments.

Réduction du volume des transactions selon le taux

Produit

Taux en pourcentage

0,01

0,02

0,05

0,1

0,2

Actions/obligations

   

- 10 %

- 10 %

- 15 %

Dérivés

- 70 %

- 75 %

- 80 %

   

p.m. changes au comptant

- 20 %

- 25 %

- 30 %

- 40 %

- 45 %

Source : Commission européenne.

Ces données ne doivent pas être mal interprétées car les transactions qui disparaissent ne sont pas des transactions qui se délocalisent, même s’il y en a, mais des transactions qui se ne se font plus car sans intérêt économique intrinsèque.

3. Un rendement important avec un produit total de 71 milliards d’euros

Plus efficace économiquement, le taux unique de 0,05 % paraît également plus intéressant pour les Etats membres.

En effet, la recette s’accroît de plus de 13 milliards d’euros, à raison de 26 milliards de plus pour les dérivés (63,9 milliards d’euros contre 37,7 milliards d’euros), compensant largement une perte de quelque 12 milliards d’euros pour les transactions sur actions et obligations.

Le tableau suivant récapitule ces éléments.

Rendement de la taxe selon les taux

Produit

Taux en pourcentage

0,01

0,02

0,05

0,1

0,2

Valeurs mobilières

   

7,1

12,6

19,4

- actions

   

2,5

4,4

6,8

- obligations

   

4,6

8,2

12,6

Dérivés

24,6

37,7

63,9

   

- dérivés actions

2,0

3,3

6,1

   

- dérivés taux

18,4

29,6

53,5

   

- dérivés changes

4,2

4,8

4,3

   

p.m. change au comptant

7,8

11,3

15,6

   

Source : Commission européenne.

4. Une question difficile en arrière plan du débat sur les taux : une base de taxation alternative au notionnel pour les dérivés

Le débat sur les taux conduit assez rapidement, pour ce qui concerne les dérivés à la question de l’assiette pertinente pour asseoir la taxation.

Comme l’ont fort justement indiqué les représentants de la Fédération bancaire française aux rapporteurs, les dérivés sont une catégorie très diverse et très complexe.

Eux souhaiteraient une approche la plus différenciée, la moins « grossière », possible.

Ce serait néanmoins donner à la taxe une complexité qui la rendrait difficile à mettre en œuvre.

Du point de vue économique, l’idéal serait de pouvoir appréhender le risque et de taxer en fonction de celui-ci, de manière à donner à la taxe un plein effet régulateur.

A ce stade, aucun critère simple, stable, fiable et pouvant donner lieu à contrôle, pour éviter les risques de fraude, n’a cependant été mis au jour, selon les éléments communiqués.

III. DES ÉLÉMENTS GÉNÉRAUX SUR LE RECOUVREMENT DE LA TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES

A. Une exigibilité immédiate et un recouvrement sans délai ou, exceptionnellement, dans les trois jours

1. Une exigibilité dès la réalisation de la transaction

La proposition de directive prévoit comme c’est adapté en matière de droit des transactions, l’exigibilité de la taxe dès le moment où la transaction financière est effectuée.

Ni l’annulation de la transaction ni sa rectification ultérieure ne sont non plus prévues pour remettre en cause son exigibilité et donc sa perception, sauf le cas d’erreur.

2. Une perception en principe immédiate

Pour le paiement de la taxe, la proposition de directive prévoit des dispositions de recouvrement très rapide.

Pour les transactions électroniques, un paiement immédiat, lorsque la taxe devient exigible, est organisé. De telles modalités sont parfaitement adaptées à la réalité de ces transactions.

C’est en effet, comme on l’a vu, le cas pour le Stamp Duty Reserve Tax au Royaume-Uni.

Pour les autres cas, c’est un délai de trois jours ouvrables suivant l’exigibilité qui est proposé.

3. Des garanties de recouvrement

a) Une clause de solidarité

Le texte de la Commission européenne prévoit pour garantir le paiement de la taxe une clause de solidarité qui vise l’ensemble des parties à la transaction, y compris lorsqu’il ne s’agit pas d’établissements financiers, de manière que la défaillance de l’établissement financier redevable ne fasse pas obstacle à son recouvrement.

En outre, une disposition complémentaire permet aux Etats membres d’étendre cette clause de solidarité à d’autres personnes, ce qui autorise toute déclinaison en fonction des spécificités nationales de l’organisation des intervenants sur les marchés financiers et plus généralement de la finance et des métiers d’argent.

b) Des mesures de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales

Par ailleurs, selon les modalités habituelles pour les textes à caractère fiscal, la proposition de la Commission européenne offre la possibilité de prévoir dans le cadre de la comitologie des dispositions sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, et mentionne explicitement la faculté de faire jouer les mesures de coopération administrative, avec la directive 2011/16/UE du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE et la directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures.

Il s’agit de la faculté de faire jouer, dans le cadre de cette coopération, le droit de communication vis-à-vis des obligations de fournitures d’information et de stockage des données concernant les transactions financières

B. Des obligations déclaratives et documentaires

1. Une déclaration récapitulative mensuelle le 10 du mois suivant, pour les établissements financiers

La proposition de directive prévoit l’obligation pour les Etats membres de mettre en place pour les redevables de la taxe sur les transactions financières, une obligation déclarative, fondée comme en matière de TVA sur une obligation déclarative.

Il s’agirait en l’occurrence d’une déclaration mensuelle, portant sur l’ensemble des éléments permettant de calculer la taxe, notamment la valeur totale des transactions réalisées pour chacun des taux (la Commission européenne s’est naturellement fondée sur l’hypothèse de deux taux).

2. Des obligations documentaires

a) Des obligations comptables et d’information précisées par les Etats membres

Au titre des obligations documentaires, la proposition de directive impose aux Etats membres la mise en œuvre d’obligations adaptées en matière d’enregistrement, de comptabilité et de fourniture d’informations, de telle sorte que la taxe sur les transactions financières soit effectivement payée aux autorités fiscales.

b) Une obligation de conservation des données pendant 5 ans, même pour les établissements financiers qui ne sont pas visés par l’obligation quinquennale déjà prévue par la directive MIF

Les obligations documentaires sont assorties pour les établissements autres que ceux relevant déjà d’une telle obligation dans le cadre de la directive précitée 2004/39/CE MIF, d’une obligation de conservation pendant cinq ans des données concernant les transactions financières réalisées par ces établissements, pour leur propre compte ou pour compte d’autrui.

TROISÈME PARTIE :
UNE NÉGOCIATION DÉLICATE ET QUI REPOSE LARGEMENT SUR TROIS QUESTIONS ESSENTIELLES

I. LE CHAMP TERRITORIAL : UNION EUROPÉENNE TOUT ENTIÈRE, ZONE EURO OU GROUPE PIONNIER ?

1. Une taxe d’autant plus efficace et admise que son application est générale

Même si c’est en des termes parfois un peu différents, tous les interlocuteurs des rapporteurs ont confirmé que la taxe sur les transactions financières sera d’autant plus efficace que le champ territorial de son application est étendu.

Les représentants des professionnels, notamment les représentants de la Fédération bancaire française (FBF), de Paris Europlace et de l’AFG ont particulièrement insisté sur ce point.

Plus le champ est étendu, moins le risque de délocalisation des activités financières est en effet important et moins les entreprises concernées se sentent en situation de distorsion de concurrence aux profits des opérateurs qui n’ont pas à subir les mêmes contraintes qu’eux.

Comme on l’a vu précédemment, à défaut d’accord au G20, il faut se résoudre à une mise en place au niveau de l’Union européenne.

Celle-ci a clairement une taille suffisante pour que tel soit le cas avec efficacité.

C’est donc l’objectif qu’il faut clairement viser.

Comme l’indique la résolution précédemment citée adoptée par l’Assemblée nationale en juin dernier (texte adopté no 680), ce n’est donc qu’à défaut d’une telle possibilité de mise en œuvre au niveau des Vingt-sept, c’est « d’abord au niveau de la zone euro ou d’un groupe de plusieurs États membres de l’Union européenne » qu’il faudra envisager la taxe.

2. Une application à l’ensemble des pays de l’Union européenne encore incertaine en raison de l’opposition de plusieurs Etats, notamment le Royaume-Uni et un Etat membre essentiel pour une application à la seule zone euro, les Pays-Bas

a) Des oppositions affirmées à des degrés divers

Selon les éléments communiqués, quatre Etats membres ont d’emblée manifesté leur opposition à la mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières.

Le premier est la Suède, en raison de son expérience négative des années 1980.

Les autres sont la République tchèque, ainsi que le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

Pour le Royaume-Uni, l’objectif affiché est de garantir la compétitivité de la City, position qui a clairement une dimension politique.

En effet, alors que Gordon Brown y était favorable en 2009, le Premier ministre actuel, M. David Cameron y est fermement opposé.

Il vient encore de le rappeler lors de son intervention au Forum de Davos, le 26 janvier dernier, jugeant que la proposition de la taxe sur les transactions financières était « une folie » et estimant qu’elle coûterait à l'Europe environ 500 000 emplois et risquerait de faire baisser le PIB de la zone euro d'environ 200 milliards d'euros.

Pour les Pays-Bas, il y a une préoccupation concernant les fonds de pension, mais pas seulement.

D’autres pays sont également opposés à la taxe, notamment le Danemark, qui assure actuellement la présidence tournante, en raison de son accord de coalition.

Pour sa part, l’Irlande, qui s’inquiète d’éventuels transferts d’activité hors d’Europe, a suggéré lors de l’Ecofin du 24 janvier que des taxes alternatives étaient possibles.

La Pologne, qui exercé la présidence au dernier semestre 2011, n’est pas non plus favorable à la taxe.

b) Le Royaume-Uni : un Etat membre important en raison du poids de la City

Pour tenter d’apaiser les inquiétudes que suscite le projet au Royaume-Uni, la Commission européenne vient d’indiquer qu’elle allait établir une nouvelle étude d’impact sur la taxe sur les transactions financières, jugeant que les chiffres qu’elle avait présentés en septembre 2011, en même temps que sa proposition, avaient été «  mal utilisés », notamment à Londres et Stockholm. Ils indiquaient entre autres que l’introduction d’une telle taxe pourrait réduire de 0,53 % les perspectives de croissance à long terme du PIB communautaire et provoquer des pertes d’emplois comprises entre 0,03 et 0,20 % de la masse totale des travailleurs.

La Commission devrait donc tenter de démontrer à ses détracteurs qu’en fin de compte, la taxe aura « un impact très modéré sur la croissance et l’emploi » en Europe, en raison de toutes les précautions dont elle s’est entourée.

Cette précaution est en effet due au poids de la place de Londres, qui représente un cinquième de l’activité des vingt-sept, comme l’indique le graphique suivant.

Répartition du secteur financier selon les Etats membres

(données 2009 – profits et masse salariale)

En outre, selon certains interlocuteurs des rapporteurs rencontrés à la Commission européenne, les positions américaines et anglaises sont étroitement liées, si bien que les arguments qui portent à Londres sont aussi valables à Washington, dont le rôle est capital pour une éventuelle application de la taxe sur les transactions financières à l’échelle mondiale.

c) Les Pays-Bas : un pays clef de la zone euro

Pour ce qui concerne la zone euro, un Etat membre apparaît comme ayant un rôle particulier : les Pays-Bas.

D’une part, selon le graphique précédent, son poids relatif est important, à raison de 5,6 % du secteur financier de l’Union européenne, soit environ la moitié de celui de la France.

D’autre part, en raison de la fusion des bourses d’Amsterdam, Bruxelles et Paris intervenues en 2002 dans le cadre d’Euronext, l’application de la taxe sur les transactions financières à une partie de la bourse et non à l’autre ne serait par définition pas simple.

En outre, les risques de déplacement des transactions vers la partie non taxable peuvent également être considérés comme accrus.

II. LE DEBAT SUR L’AFFECTATION DE LA RESSOURCE : L’INTÉRÊT D’UNE AFFECTATION D’UNE PARTIE DU PRODUIT DE LA TAXE À L’UNION EUROPÉENNE

A. Le projet de la Commission européenne d’une ressource propre du budget de l’Union européenne détachée des contributions RNB et venant par conséquent réduire leur montant

1. Le dispositif proposé

Le 29 juin dernier, la Commission européenne a indiqué qu’elle proposait de remplacer la décision actuelle sur les ressources propres qui date de 2007 par une nouvelle décision pour le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020.

Les deux nouvelles ressources propres présentées par la Commission ont été, d’abord, une nouvelle TVA, selon des modalités différentes de l’actuel prélèvement, mais aussi et surtout une fraction de la taxe sur les transactions financières.

Il ne s’agit pas d’affecter la totalité du produit, mais les deux tiers uniquement, selon les éléments communiqués, soit une somme de l’ordre de 40 milliards d’euros.

Eu égard au montant actuel du budget de l’Union européenne, de 130 milliards d’euros pour les crédits de paiement, c’est assez substantiel.

Etant une ressource propre détachée des contributions RNB (ressource propre « RNB » des Etats membres), le total de ces dernières serait donc réduit et il en serait de même pour chacun des Etats membres.

Le fonctionnement serait donc similaire à celui en vigueur pour les droits de douanes : les recettes seraient prélevées par les Etats membres pour le compte de l’Union européenne.

Ce mécanisme peut paraître étonnant, mais la Commission européenne estime que tel n’est pas le cas. En effet, de même que l’Union douanière le justifie pour les droits de douane en raison de la libre circulation des marchandises qui a permis la concentration du trafic maritime sur le port de Rotterdam notamment, les places financières les plus développées des Etats membres ont acquis, renforcé, développé ou maintenu leur position grâce à la libre circulation des capitaux.

2. Une adoption incertaine, en raison des réactions très mitigées des Etats membres, en l’état

L’adoption de la proposition Commission européenne, visant à faire d’une fraction de la taxe sur les transactions financières une ressource propre, relève d’une procédure d’adoption particulièrement exigeante.

Elle doit faire en effet l’adoption à une double unanimité : d’une part, au Conseil ; d’autre part, de la part des Etats membres, dans le cadre des procédures de ratification.

Pour sa part le Parlement européen n’est que consulté.

C’est en son sein que se sont manifestés les premiers soutiens, d’une part, celui de M. Guy Verhofstadt (président du groupe ADLE, Belgique) et, d’autre part, du président de la Commission des Budgets, M. Alain Lamassoure (PPE, France).

Pour ce qui concerne les Etats membres, la tendance est, en l’état, à la réserve.

Si la plupart des États membres concèdent que le système des ressources propres doit être réformé pour être plus juste, plus simple et plus transparent et s’il y a un large accord sur la suppression de l’actuelle ressource propre basée sur la TVA, deux groupes sont apparus sur les propositions de la Commission visant à faire intervenir la taxe sur les transactions financières et une nouvelle ressource TVA européenne, afin de réduire les contributions nationales.

L’Allemagne notamment est hostile à l’affectation d’une partie du produit de la taxe sur les transactions financières à l’Union européenne.

Il y a également le cas de figure des Etats membres qui n’acceptent la taxe sur les transactions financières qu’au niveau mondial.

L’autre groupe se montre prudent. Bien que quelques Etats membres seulement soutiennent clairement la taxe sur les transactions financières, certains, notamment la France et l’Autriche, estiment que cela va dans la bonne direction.

Les conditions de la double unanimité ne sont donc clairement pas réunies.

Néanmoins, on ne peut manquer d’observer que les discussions se poursuivent et que la question peut encore mûrir.

B. Un intérêt triple pour les Etats membres, mis en avant par la Commission européenne

1. Une réduction des contributions nationales et un coup de pouce à l’effort de réduction des déficits publics des Etats membres

Le mécanisme d’affectation d’une partie de la TTF comme ressource propre au budget de l’Union européenne a des effets financiers mécaniquement intéressant, pour les Etats membres.

Le cas de la France en donne une illustration.

A raison d’un prélèvement de l’ordre de 40 milliards d’euros pour l’ensemble de l’Union européenne, la contribution RBN de la France diminuerait( de 6 milliards d’euros (16 % de 40 milliards, environ).

Actuellement, la contribution « RNB », qui est de 16 milliards d’euros pour 2012, serait ainsi réduite à 10 milliards d’euros.

Dès lors que la ressource propre ne serait pas comptabilisée dans le prélèvement sur recettes au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne, comme c’est le cas depuis 2010 pour les ressources propres traditionnelles, le solde budgétaire de l’Etat serait ipso facto à budget européen constant amélioré de 6 milliards d’euros, sans même évoquer le tiers restant de la taxe, directement perçu au profit de l’Etat membre de taxation.

Pour le Royaume-Uni, le gain serait également intéressant, même s’il est difficile d’être très précis, en raison des interactions entre la contribution RNB et le rabais, comme du niveau de la recette qui resterait acquise au budget britannique en raison du poids de la City.

2. La faculté de lever des ressources fiscales qui ne le sont actuellement pas

Dans son esprit, la proposition de la Commission européenne est une illustration parfaite du principe de coopération à la base de la construction européenne, qui permet de faire collectivement ce que chaque Etat membre ne peut individuellement réussir.

Actuellement en effet, les transactions financières ne sont dans l’ensemble pas taxées. Il y a donc une matière fiscale qui ne procure aucune ressource, alors que tel pourrait être le cas si l’on sait, grâce à un taux modéré et une assiette large, prévoir une taxation efficace en termes de rendement et de pérennité de l’assiette comme de la ressource publique.

3. La perspective d’actions de relance au niveau européen

L’affectation d’une partie de la taxe sur les transactions financières comme ressource propre permet aussi, selon le vœux de la Commission européenne, d’envisager une progression du cadre financier pluriannuel 2014-2020 et pour l’après 2013, une augmentation du budget de l’Union européenne.

Cette modernisation du financement du budget de l’Union européenne pourrait d’abord permettre de financer à terme davantage d’actions européennes, et notamment les nouvelles politiques prévues par le traité de Lisbonne qui ne le sont pas, en l’état. Elle pourrait aussi donner à l’Europe une capacité d’action pour soutenir la croissance, par exemple par l’investissement

De même, étant donné que les Etats membres, sous la surveillance des marchés financiers sont tenus à une rigueur certaine, cette évolution demandée du budget de l’Union européenne ouvre la perspective de mettre en application la formule prêtée à Tommaso Padoa-Schioppa : « Aux Etats membres la rigueur, à l’Union européenne la relance ».

C. Une affectation européenne qui n’est en tout état de cause pas exclusive d’une utilisation de la ressource pour le développement et la lutte contre le réchauffement climatique et plus généralement, les grandes causes humanitaires

L’affectation au budget de l’Union européenne d’une partie du produit de la taxe sur les transactions financières n’est pas exclusive d’une utilisation pour le développement, la lutte contre le réchauffement climatique et les grandes causes humanitaires.

C’est d’ailleurs comme le rappelle la résolution précitée (TA no 680) adoptée par l’Assemblée nationale en juin dernier le sens de la démarche, engagée de longue date, du Président de la République et du Gouvernement français, conjointement avec la Chancelière et le Gouvernement fédéral allemands, au sein des institutions européennes et dans le cadre du G20, en faveur d’une taxe sur les transactions financières au service des financements innovants, notamment pour le développement et la lutte contre le changement climatique.

Elle leur donne au contraire une dimension nouvelle, car elle ouvre les marges de manœuvre pour une budgétisation du Fonds européen de développement (FED), actuellement hors budget, comme l’a clairement indiqué M. Hervé Jouanjean, directeur général du budget.

III. UN CALENDRIER INCERTAIN QUI PERMET, COMME LE FAIT L’ALLEMAGNE, L’EXPLORATION D’ÉVENTUELLES ALTERNATIVES OU BIEN, CE QUI EST LE CAS DE LA FRANCE, D’ÉVENTUELLES INITIATIVES NATIONALES

Commencés sous présidence polonaise, les travaux sur la proposition de directive devraient se poursuivre sous présidence danoise au premier semestre 2012, puis, si nécessaire, sous présidence chypriote en second semestre et, ensuite, sous présidences irlandaise, au premier semestre 2013, puis lituanienne.

La perspective d’un important délai permet aussi d’étudier la question des solutions alternatives à la proposition de la Commission européenne.

A. Deux stratégies différentes

1. L’option de l’Allemagne : s’assurer au préalable et assez vite de la faisabilité de la taxe au niveau de l’Union européenne

Comme l’indiquent les informations publiées par le site Europolitique, l’Allemagne souhaite une exploration rapide des possibilité de mise en œuvre à brève échéance de la proposition de la Commission européenne de taxe sur les transactions financières dans toute l’Union européenne, se réservant la possibilité si cette piste était abandonnée d’explorer le modèle britannique de taxe boursière.

« Nous voulons savoir rapidement, aussi vite que possible, au plus tard à la fin du premier trimestre, si cette proposition peut marcher et si cela vaut le coup d’y travailler », a déclaré le porte-parole du ministère allemand des Finances, le 20 janvier à Berlin. «  Sinon, nous avons besoin de voir s’il y a d’autres alternatives », a-t-il ajouté.

Cette stratégie correspond aux modalités du fonctionnement de la coalition SPD-FDP, le FDP étant attaché à ce que le Royaume-Uni soit inclus dans le futur dispositif.

Aussi le porte-parole du gouvernement a-t-il qualifié d’« intelligente et raisonnable » une proposition du ministre de l’Economie, M. Philipp Rösler (FDP), d’une taxe sur les activités boursières, estimant que cette solution de compromis pourrait « rallier les Britanniques », tout en soulignant l’intérêt d’une taxe sur les transactions financières sur la base de la proposition de la Commission, « car cela correspond à notre demande d’un impôt large à taux peu élevé ».

En fait, il s’agirait de voir comment, le cas échéant, le dispositif de Stamp duty pourrait être adapté.

2. La voie française d’une initiative nationale fondée sur l’effet d’entraînement

Le projet français de mise en application avant d’autres pays de la taxe sur les transactions financières a été annoncé par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, en réponse à des questions au Gouvernement, dès le début du mois dernier, lors de la reprise des travaux parlementaires après l’interruption traditionnelle de fin d’année, le 10 janvier.

Il s’agit d’une rupture essentielle, car introduite par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, sur l’initiative de la rapporteure générale, Mme Nicole Bricq, la disposition législative correspondante avait été rejetée par la majorité à l’Assemblée nationale.

Notre pays a été conforté dans son caractère pionnier lors de la rencontre du 23 janvier dernier entre le président de la République et la Chancelière allemande.

Ensuite, différents éléments ont été communiqués sur le contenu de l’initiative française comme sur le calendrier.

Selon les éléments diffusés par la presse, le site Internet des Echos à la date de la rédaction du présent rapport, la taxe prévue en France serait au taux de 0,1 %, et porterait sur les actions, et non sur les obligations, exemptées, ainsi que sur les dérivés, avec une base de taxation encore à définir. Le principe du lieu de cotation serait retenu, pour éviter les risques de délocalisation.

Il est difficile d’être en l’état plus précis, dans la mesure où les arbitrages ne sont pas encore connus.

Seul le calendrier apparaît certain avec un vote parlementaire devant intervenir avant l’interruption des travaux de l’Assemblée nationale et un examen dès la fin du Conseil des ministres, le 8 février.

Pour le Gouvernement, il ne s’agit pas d’une démarche nationale, mais d’une démarche pionnière, en comptant sur l’effet d’entraînement.

B. Le débat interne à la France sur le calendrier

La question du calendrier de mise en place de la taxe sur les transactions financières est le point qui fait l’objet d’un débat politique, sur la question de l’effet d’entraînement ou non d’une initiative française.

1. Les arguments en faveur d’une initiative française : le point de vue de M. Jean-Yves Cousin, co-rapporteur

Plusieurs éléments permettent de se prononcer en faveur de la mise en place d’une taxe sur les transactions financières au niveau français.

Le premier est l’effet d’entraînement. Certains Etats membres sont hésitants ou réticents sur la position à prendre sur la proposition de la Commission européenne. Il convient par conséquent de leur montrer l’absence de difficulté pratique à mettre en place un tel prélèvement. L’harmonisation fiscale n’est pas un effet une démarche in abstracto, mais un processus très concret. Compte tenu de son rôle en la matière, notamment par ses initiatives visant à l’inscription de cette taxe à l’ordre du jour du G20 comme à l’agenda européen, il appartient à la France de jouer un rôle moteur en la matière.

La démarche du Gouvernement est donc empreinte de cohérence comme d’esprit de continuité.

Le taux de 0,1 % est compatible avec la proposition de directive de la Commission européenne. L’assiette envisagée doit concerner non seulement les actions au comptant, mais aussi les dérivés liés à certaines activités spéculatives comme les CDS de même que les transactions à haute fréquence.

On peut ajouter que d’un point de vue juridique, elle est tout à fait conforme aux traités. La compétence européenne est en la matière une compétence d’harmonisation des impositions prévues par les Etats membres. D’ailleurs, le Royaume-Uni perçoit sur certaines transactions financières le Stamp duty et certains pays européens ont également mis en œuvre des dispositifs similaires.

2. Le point de vue critique de M. Pierre-Alain Muet, co-rapporteur

S’il est important que la France continue à jouer un rôle leader dans l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, le risque est grand qu’une démarche nationale précipitée à seule fin de satisfaire des considérations de politique intérieure fasse tout simplement capoter le projet et cela pour deux raisons.

D’abord, de telles initiatives nationales, clairement perçues par nos partenaires avec un regard au mieux critique, fragilisent les fondements de la démarche européenne : pourquoi en effet agir collectivement si une mesure nationale suffit ?

Il sera alors encore plus difficile d’obtenir le consensus européen sur un texte qui ne fait pas l’unanimité d’emblée.

Ensuite s’engager seuls dans cette démarche présente un risque non pas de délocalisation car l’assiette de la taxe est très fortement réduite pour éviter ce risque, mais de faire capoter le processus européen après l’instauration d’une taxe française au format restreint de type impôt sur les opérations de bourse (supprimé en 2008) ou Stamp duty. Si la France se contente en effet de rétablir son impôt de bourse ou même de l’élargir pour en faire une sorte de Stamp Duty à l’Anglaise, les adversaires d’une véritable taxation des transactions financières - au premier rang le Royaume Uni - feront valoir à juste titre qu’en dépit de grands discours, la France n’a fait que s’aligner sur le plus farouche adversaire de la taxe, le Royaume-Uni où le Stamp duty existe depuis plus de 3 siècles.

Un telle initiative conduit à ce qu’un membre du cabinet de l’un des commissaires européens a qualifié de « paradoxe des paradoxes » : pour des raisons pratiques de faisabilité, elle conduit à taxer les transactions au comptant sur les actions, à savoir les instruments financiers les plus utiles au financement de l’économie et les mieux régulés, car échangés sur des marchés réglementés. Il s’agit également des transactions les moins spéculatives. En revanche, l’objectif essentiel de la régulation des transactions spéculative n’est pas atteint.

Une telle démarche, qui risque de clore prématurément le débat politique sur une solution entraînant le plus grand nombre de pays, passerait à côté de tous les objectifs de la taxe sur les transactions financières – la lutte contre la spéculation, la régulation, le rendement budgétaire. Le sujet mérite mieux qu’une précipitation à des fins de politique intérieure.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 1er février 2012, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

« Le Président Pierre Lequiller. Votre exposé était très intéressant, mais je suis en désaccord sur le dernier point que vous avez évoqué, sans donner de précisions. Le Président de la République souhaite bien évidemment que cette taxe sur les transactions financières soit adoptée par un maximum de pays de l’Union européenne, mais un certain nombre de pays s’y oppose. La position de la France n’est pas de vouloir adopter seule une telle taxe, elle considère simplement que l’on ne va pas se regarder en chiens de faïence pendant des mois et des années : il faut bien que quelqu’un se lance ! Elle le fera sur la base d’objectifs - que l’on peut qualifier de raisonnables - visant à éviter les délocalisations, et également afin d’inviter d’autres pays à nous rejoindre.

De plus, la position allemande n’est actuellement pas connue. Si la Chancelière Angéla Merkel y est en effet favorable d’un point de vue personnel, toute sa coalition, le parti libéral, ne partage pas son point de vue.

Laissons de côté nos considérations de politique intérieure ! C’est la France qui montre la voie à l’ensemble des pays de l’Union européenne ; elle l’a même fait au-delà de ses frontières, au sein du G20, où elle a défendu le principe de cette taxe avec l’Allemagne.

D’autres pays, tels que l’Espagne, sont prêts à nous suivre, mais il faut en entraîner d’autres encore. C’est la raison pour laquelle la proposition de résolution que nous allons adopter doit être nettement compatible avec la position française, défendue par le Président de la République. Nous devons aller de l’avant, et convaincre nos partenaires, même si la position des Pays-Bas et l’opposition totale du Royaume-Uni ne facilitent pas les choses !

Pour ma part, j’approuve totalement l’initiative de la France. Lorsque d’autres pays seront d’accord pour entrer dans le dispositif, il sera alors possible de modifier les modalités de la taxe ; mais pour le moment nous sommes seuls.

M. Pierre Forgues. Il a déjà été dit qu’on ignore le délai de mise en œuvre de cette taxe, ce qui constituait l’une de mes interrogations. Je suis favorable à cette initiative, visant à instaurer une taxe qui a pour double objectif de lutter contre la financiarisation excessive de l’économie et d’augmenter les ressources budgétaires. Mais, nous aurons beaucoup de mal à la faire adopter par l’ensemble de l’Union européenne, et il faut faire quelque chose. Je ne peux donc que me réjouir que la France le fasse, mais je demeure sceptique quant à l’effet d’entraînement que cette initiative aura. Souvenons-nous de la taxe « Chirac » sur les billets d’avion, destinée à favoriser l’aide aux pays en développement : en définitive, beaucoup de pays ne l’appliquent pas. J’y suis donc favorable - il faut bien passer à l’acte à un moment donné ! - même si je sais que cela aura peu d’effet : la France et l’Italie représentent peu à l’échelle européenne…

Le Président Pierre Lequiller. On ne peut, au départ, savoir précisément quel sera l’effet d’entraînement, mais ne rien faire se traduirait par un scepticisme total !

Mme Marietta Karamanli. Il s’agit d’un sujet complexe et intéressant, que les rapporteurs ont eu pour mérite de rendre accessible. J’ai pris note des positions des autres pays, notamment du Royaume-Uni et des Pays-Bas, sur lesquelles je m’interrogeais.

Par ailleurs, l’objet de cette taxe est-il de limiter les transactions, ou bien de récupérer des ressources ?

L’affectation au sein du budget de l’Union européenne est-elle précisée ? Existe-t-il, selon vous, d’autres possibilités, tel que le reversement au mécanisme européen de stabilité, ou l’allocation à des Etats membres ? Et quels sont les éléments qui permettent de choisir entre ces trois options ?

S’agissant des marchés visés, qui peuvent se voir appliquer des taux différents, faut-il distinguer le marché des actions et obligations, et celui des produits dérivés ?

Enfin, même s’il faut bien prendre l’initiative, ne faut-il pas considérer que le dispositif ne pourra bien fonctionner que s’il existe une réciprocité ? En 2002 déjà, cette taxe avait été introduite dans le Code général des impôts, sous condition de réciprocité…

M. Michel Piron. Je rejoint l’intervention liminaire de ma collègue : il y a clairement deux objectifs, celui de créer une ressource budgétaire et celui de freiner, ou du moins de contrôler, les transactions. J’aimerais connaître la position de l’Italie, qui joue nécessairement un rôle important dans cette négociation.

M. Dominique Dord. Il est certainement un peu frustrant pour les rapporteurs de s’en tenir à certains aspects de cette question ! Mais l’actualité commande… La position française me semble juste et intéressante en elle-même. Il faut mettre en place cette taxe, même si c’est seulement au niveau national. Une telle démarche aura plutôt, a priori, un effet d’entraînement qu’un effet paralysant sur les autres, même si l’on ne peut être sûrs que cet effet d’entraînement va se concrétiser.

La seule faiblesse de la position française tient au risque de faire fuir l’objet même de la taxation. En prenant une position courageuse et juste, même si elle doit rester isolée, la France ne risque-t-elle pas que les produits que l’on veut taxer se délocalisent ? Certes, on encourra de toute façon ce risque, même si tous les pays européens créent cette taxe, du fait de l’opposition des Etats-Unis. Comment le combattre ?

M. Philippe Armand Martin. Je soulève également cette question de la délocalisation. Il était temps que l’on crée cette taxe, mais elle n’a plus rien à voir avec la « taxe Tobin ». Il est important de corriger les excès de la sphère financière, et les autorités françaises font preuve de courage en ce domaine. Les conséquences d’une telle taxation par la France seule ont-ils été évalués ? La taxe va-t-elle frapper les petits porteurs ?

M. Pierre-Alain Muet, co-rapporteur. Ne croyez pas que je sois contre le fait que la France porte cette initiative ! Mais il faut être conscient qu’une taxe sur toutes les transactions financières procurerait de l’ordre de 10 milliards d’euros à la France, tandis qu’une taxe qui ne porterait que sur les transactions qui ne sont pas « délocalisables » – qui existait autrefois en France, l’impôt de Bourse – ne rapporterait qu’un milliard d’euros et ne frapperait pas les transactions les plus dangereuses.

S’engager seuls dans cette démarche présente un risque non pas de délocalisation – car le taux envisagé est suffisamment faible – mais d’arrêter le processus. Si la France instaure une taxe de type stamp duty à l’anglaise, le dispositif laissera de côté toutes les transactions qu’il faut impérativement taxer car elles sont dangereuses. Si l’on inclut les dérivés dans son champ, on réduira à coup sûr leur nombre – la Commission européenne estime qu’on pourra ainsi les réduire de 80 %. Le risque est d’aboutir à quelque chose qui n’a rien à voir avec une véritable « taxe sur les transactions financières ».

L’Italie suit la position française, d’autres pays également. Il faut trouver une solution pour éviter une taxation trop limitée qui frapperait les transactions financières les plus utiles à l’économie et pas les plus spéculatives.

Sur ce sujet fondamental, il faut s’efforcer d’obtenir l’accord du plus grand nombre de pays possible, pour élargir au maximum l’assiette et pour taxer les transactions nuisibles, et non pas rétablir l’impôt de Bourse.

M. Michel Piron. Comme l’écrivait Spinoza, toute idée perd en compréhension ce qu’elle gagne en extension !

M. Jean-Yves Cousin, co-rapporteur. Nous avons des positions divergentes. Je pense que l’initiative de la France est bonne, soutenu dans cette conviction par M. Alain Lamassoure, que nous avons auditionné et qui s’est dit confiant dans l’effet d’entraînement qu’elle peut avoir.

S’agissant du problème de la territorialité et du risque de délocalisation, il est envisagé dans la proposition de tenir compte de deux éléments : non seulement le principe de résidence, avec à la fois la résidence de l’établissement financier et/ou de l’investisseur, mais aussi, idée intéressante, le lieu d’émission, pour cerner encore plus la matière taxable. On serait ainsi plus à l’abri du risque de délocalisation. Ce point est très important.

L’objectif est bien double : il s’agit évidemment de limiter la « sur-financiarisation » de l’économie, en mettant du sable dans les rouages pour reprendre l’expression de James Tobin, et de produire une ressource. C’est une idée très moderne d’impôt, avec une assiette extrêmement large, dont le produit pourrait bénéficier au budget de l’Union européenne – sujet sur lequel notre commission sera amenée à revenir.

Le Président Pierre Lequiller. Je ne comprends pas le plaidoyer de M. Muet ! Si l’on attend l’ensemble des pays européens, on n’y arrivera jamais.

M. Pierre-Alain Muet, co-rapporteur. Mais si l’on part tout seul, on réduit l’assiette.

Le Président Pierre Lequiller. Mais si l’on ne part pas seul, il n’y aura personne d’autre. Même si nous essayons toujours dans notre commission de chercher le consensus, je propose d’introduire dans la proposition de résolution un paragraphe saluant le fait que la France lance la dynamique en commençant par créer cette taxe au niveau national dans l’intention de l’étendre à un groupe pionnier d’Etats membres ou à la zone euro. J’approuve pleinement l’initiative du Président de la République.

Mme Marietta Karamanli. Faut-il introduire cet élément dans la résolution ? Il serait plus juste d’y mentionner les deux stratégies présentées dans le rapport, à savoir l’option allemande, qui est de s’assurer au préalable que la démarche est engagée au niveau européen, et la voie française. Votre amendement, Monsieur le Président, ne ferait état que de la seule option française, qui n’est pas forcément la meilleure position.

Le Président Pierre Lequiller. La position de la chancelière allemande est de dire : je suis d’accord pour créer cette taxe, mais je dois convaincre ma coalition. Mme Merkel a réussi à faire progresser considérablement la gouvernance économique et la solidarité dans la zone euro malgré l’opposition de départ du Parlement allemand, y compris la CDU-CSU. On peut donc espérer qu’elle va également les convaincre sur cette question. La position italienne a évolué à partir des propositions françaises. Je soumets donc cet amendement à votre approbation.

M. Pierre Forgues. Il me semble qu’on pourrait ajouter à cet amendement que la France lance cette initiative « en s’assurant de la faisabilité » de cette taxe à l’échelle européenne.

Le Président Pierre Lequiller. « Dans le but de » !

M. Michel Piron. On peut effectivement ajouter « dans le but de », pour nous mettre d’accord.

M. Pierre Forgues. « Dans le but d’entraîner le maximum de pays » !

Le Président Pierre Lequiller. Je formule donc ainsi l’amendement : « Estime justifiée que la France lance la dynamique visant à la mise en place d’une taxe sur les transactions financières, dans le but de l’étendre à un groupe pionnier d’Etats membres ou à la zone euro ».

Puis la Commission a approuvé la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la résolution relative à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières en Europe adoptée par l'Assemblée nationale le 14 juin 2011 (TA no 680),

Vu la proposition de directive du Conseil établissant un système commun de taxe sur les transactions financières et modifiant la directive 2008/7/CE (COM [2011] 594 final/no E 6659),

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions intitulée « Un budget pour la stratégie Europe 2020 » (COM [2011] 500 final),

Vu la proposition de décision du Conseil relative au système des ressources propres de l'Union européenne (COM (2011) 510 final/no E 6405), en ce qu’elle propose un financement partiel du budget de l’Union européenne par une fraction du produit de la taxe sur les transactions financières,

Vu la directive 2008/7/CE du Conseil du 12 février 2008 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux,

Considérant qu’il convient de corriger les excès résultant d’un développement trop important de la sphère financière et qu’une taxation des transactions financières en constitue incontestablement l’un des moyens les plus appropriés ;

Considérant également qu’une telle taxe est le complément des instruments de régulation visant à réduire le volume des transactions de gré à gré sur les dérivés ;

Considérant aussi son intérêt pour modérer le recours aux transactions à haute fréquence par les opérateurs ;

Constatant que l’absence de taxe générale sur les transactions financières apparaît comme de moins en moins compréhensible eu égard à la taxation des transactions non financières et des besoins financiers des Etats membres, pressés par les marchés financier de réduire le niveau de leur déficit public comme le volume de leur endettement ;

Considérant qu’en l’absence de solution mondiale, une taxe sur les transactions financières doit être mise en place au niveau de l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne et, à défaut, au niveau des Etats membres ou d’une partie d’entre eux ;

Rappelant enfin que le produit de la taxe a également vocation, dans les termes de la résolution no 680 précitée, à contribuer aux financements innovants, notamment pour le développement et la lutte contre le changement climatique ;

1. Salue la proposition de directive précitée en ce qu’elle vise à instituer dans tous les Etats membres de l’Union européenne, à ce stade, une taxe sur les transactions financières ayant une assiette large incluant à tous les instruments financiers, et applicable à l’ensemble des marchés et des transactions, y compris aux transactions de gré à gré, ainsi qu’à tous les acteurs, notamment à tous les établissements financiers ;

2. Estime cependant que le principe de résidence pourrait être complété par celui du lieu d’émission, pour renforcer l’efficacité du futur dispositif face aux tentatives d’évasion fiscale qui risqueraient, en leur absence, de se développer ;

3. Juge également nécessaire, en l’absence confirmée d’obstacle juridique, d’inclure, dans le champ de la taxe, les transactions au comptant sur les marchés des changes, notamment les opérations sur les devises de pays tiers, à l’occasion des ajustements d’assiette susceptibles d’intervenir au cours des négociations ultérieures ;

4. Considère aussi que la différenciation des taux entre les dérivés, taxés à 0,01 %, et les opérations au comptant, taxées à 0,1 %, soit des taux effectifs de 0,02 % et 0,2 % pour les opérations n’impliquant que des résidents, ne s’impose pas nécessairement comme la seule option possible, eu égard aux avantages intrinsèques d’une taxation généralisée au taux unique de 0,05 % ;

5. Souligne enfin l’intérêt des discussions en cours sur la proposition de la Commission européenne d’affecter une part très significative du produit de la taxe sur les transactions financières au budget de l’Union européenne, comme ressource propre détachée de la contribution RNB des Etats membres.

6. Estime justifié que la France lance la dynamique visant à la mise en place d’une taxe sur les transactions financières, dans le but de l’étendre à un groupe pionnier d'Etats membres ou à la zone euro.

MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION

The National Assembly,

In the light of Article 88-4 of the Constitution,

In the light of the resolution on the introduction of a financial transaction tax in Europe adopted by the National Assembly on 14 June 2011 (TA no. 680),

In the light of the proposal for a Council Directive on a common system of financial transaction tax and amending Directive 2008/7/EC (COM [2011] 594 final/no. E 6659),

In the light of the Communication from the European Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions entitled 'A budget for Europe 2020' (COM [2011] 500 final),

In the light of the proposal for a Council decision on the system of own resources of the European Union (COM (2011) 510 final/no. E 6405), in that it proposes partial funding of the European Union budget by a fraction of the financial transaction tax revenue,

In the light of Council Directive 2008/7/CE of 12 February 2008 concerning indirect taxes on the raising of capital,

Whereas it is necessary to correct the excesses resulting from too great a development of the financial sphere and as financial transaction tax is undeniably one of the most appropriate means for this;

Whereas also such a tax is complementary to regulatory instruments aimed at reducing the volume of transactions in over-the-counter derivatives;

Whereas it is also of interest in moderating recourse to high frequency transactions by operators;

Whereas the lack of a general financial transaction tax appears less and less understandable in view of the taxing of non-financial transactions and the financial needs of Member States, which are urged by financial markets to reduce the level of their public deficit and the volume of their indebtedness;

Whereas for want of a worldwide solution, a financial transaction tax must be set in place at the level of the Member States of the European Union as a whole and, failing that, at the level of Member States or some of them;

Recalling last that, according to the above-mentioned resolution no. 680, the revenue of the tax is also intended to contribute to innovatory funding, especially in developing the fight against climate change;

1. Welcomes the above-mentioned proposal for a Directive in that it aims at setting up in all the European Union Member States, at this stage, a financial transaction tax having a broad base including all financial instruments and applicable to all markets and transactions, including over-the-counter ones, and all players, in particular all financial institutions;

2. Feels however that the residence principle could be completed by that of the place of issue, to strengthen the efficacy of the future system against tax evasion attempts which would be likely to develop in their absence;

3. Considers it necessary also, if it is confirmed there is no legal impediment, to include, in the scope of the tax, spot foreign exchange transactions, especially third-country currency operations, on the occasion of tax base adjustments that are likely to be made during subsequent negotiations;

4. Deems also that the difference in rates between derivatives, taxed at 0.01%, and spot transactions, taxed at 0.1%, in other words effective rates of 0.02% and 0.2% for transactions involving only residents, does not necessarily stand out as the only possible option, given the intrinsic advantages of generalised taxation at the single rate of 0.05%;


5. Emphasises, last, the interest of the ongoing discussions on the European Commission proposal to assign a highly significant share of the revenue of financial transaction tax to the European Union budget, as an own resource detached from the GNI contribution of Member States;

6. Considers it justified that France should launch the dynamic process to set in place a financial transaction tax, with a view to spreading it to a pioneer group of Member States or to the eurozone.

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES RENCONTREES PAR LES RAPPORTEURS

Ø A Bruxelles :

- M. Jean-Paul Gauzès, député européen, membre de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen ;

- M. Bertrand Dumont, membre du cabinet de M. Michel Barnier, commissaire en charge du marché intérieur et des services ;

- M Erwan de Rancourt, assistant spécial au cabinet de M. Michel Barnier ;

- M. Valère Moutarlier, Membre du cabinet de M. Algirdas ŠEMETA, commissaire en charge de la fiscalité et de l'union douanière ;

- M. Hervé Jouanjean, directeur général, direction du budget, commission européenne, 19 avenue d'Auderghem, immeuble Bredel 2, 1049 Bruxelles (quartier européen) ;

- M. Manfred Bergmann, directeur, direction "fiscalité indirecte et administration fiscale", direction générale de la fiscalité et de l'union douanière, Commission européenne ;

- M. Olivier Palat, conseiller en charge de la fiscalité, Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

Ø A Paris :

- M. Alain Lamassoure, député européen, président de la commission des budgets du Parlement européen.

• Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie :

- M. Blaise-Philippe Chaumont, directeur-adjoint de cabinet du ministre, chargé de la fiscalité, de la concurrence, de la compétitivité et des affaires juridique ;

- M. Antoine Magnant, sous-directeur à la direction de la législation fiscale.

• Paris Europlace :

- M. Arnaud de Bresson, directeur général

• Association française de la gestion financière :

- M. Pierre Bollon, délégué général

• Autorité des marchés financiers :

- M. Jean-Pierre Jouyet, président ;

- M. Mathieu Leroy, conseiller stratégie, Direction de la régulation et des affaires internationales ;

• Fédération bancaire française :

- M. Pierre de Lauzun, directeur général délégué ;

- M. Pierre Reynier, directeur des affaires fiscales de la Fédération bancaire française (FBF) ;

- Mme Séverine de Compreignac, directeur de département, Information et relations extérieures - Relations institutionnelles.

• Finance Watch :

- M. Thierry Philipponat, secrétaire général.

• Coalition Plus :

- M. Khalil Elouardighi.

• Oxfam France :

- M. Alexandre Naulot.

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.