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mis en distribution

le 26 septembre 2007


N° 102

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juillet 2007.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d’enquête en vue de rechercher les causes des suicides dans le monde du travail,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR Mmes Huguette BELLO, Marie-Hélène AMIABLE, MM. François ASENSI, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Mme Marie-George BUFFET, MM. Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Yves COCHET, Jacques DESALLANGRE, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Noël MAMÈRE, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, François de RUGY, Jean-Claude SANDRIER, Michel VAXÈS,

Députés,

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le lundi 16 juillet, un salarié de l’usine PSA de Mulhouse, s’est suicidé sur son lieu de travail. Ce drame vient s’ajouter à une série déjà longue de suicides de travailleurs. Depuis le début 2007, six salariés de PSA, dont cinq à Mulhouse, se sont en effet donné la mort, dont deux à l’intérieur des locaux, tandis qu’à quelques mois d’intervalle, huit cadres et techniciens hautement qualifiés qui travaillaient soit au Technocentre Renault de Guyancourt, soit à la centrale nucléaire EDF de Chinon, mettaient fin à leurs jours sur leur lieu de travail ou en imputant directement leur geste au travail. Début mars 2007, une chef de groupe du restaurant Sodexho de Renault-Trucks Saint-Priest (Rhône) a mis fin à ses jours en dénonçant les pressions qu’elle subissait dans son travail.

La répétition de ces suicides interdit d’éluder, sous de fallacieux prétextes, la réalité cruelle qu’ils désignent. Si les raisons d’un suicide sont trop complexes et intimes pour qu’on puisse prétendre les saisir entièrement, les circonstances qui entourent ces drames et le désir de plus en plus clair des victimes de mettre fin à leurs jours sur leur lieu de travail, envoient un message qu’on ne peut feindre de ne pas entendre : les suicides au travail ont à voir, et au premier chef, avec le travail. Le fait qu’un de ces suicides soit déjà officiellement considéré comme un accident du travail, tandis que d’autres cas sont à l’étude, confirme cette évidence.

Les suicides ne sont pas hélas ! le seul aspect des atteintes à la vie liées au travail. En France, selon les données officielles de l’assurance-maladie et du ministère du travail, deux travailleurs meurent chaque jour des suites d’un accident et huit du fait des conséquences de l’amiante, tandis que deux millions et demi de salariés sont quotidiennement exposés à des produits cancérigènes.

Mais les suicides sont les terribles révélateurs des souffrances des millions de travailleurs qui, selon les mêmes sources, sont poussés aux limites physiques et psychiques de ce qu’un être humain peut supporter. Parler de stress semble une réponse largement fallacieuse, assez semblable à l’explication qui attribuait les effets de l’opium à « la vertu dormitive du pavot ». Même si l’on sait repérer les manifestations physiques et psychiques du stress, on ne peut considérer cet état pathologique comme une sorte de verrue du psychisme et du système nerveux qu’il suffirait de traiter de manière spécifique pour s’en débarrasser.

Le malaise de plus en plus grave qui se généralise dans les entreprises est en effet en rapport avec des événements repérables. Les premiers signes en sont apparus, à la fin des années quatre-vingt du siècle dernier, avec la mise en place de méthodes de management, de modèles d’organisation du travail et de styles de formation directement inspirés par ceux des États-Unis et du Japon.

À partir de cette époque, les médecins du travail constatent l’augmentation des maladies psychosomatiques – notamment celles de l’estomac –, des troubles du sommeil, des dépressions nerveuses, des états d’anxiété. À ces troubles, qui ne vont cesser de progresser, correspond l’usage de plus en plus massif des somnifères, des antidépresseurs, des anxiolytiques, voire des drogues plus ou moins dures. Les suicides que nous déplorons constituent l’étape ultime de ce désarroi.

Le processus de ces troubles a été décrit par plusieurs spécialistes de la vie au travail. On a cherché à développer la motivation des travailleurs non pas en augmentant en eux la conscience du sens et de l’utilité de l’œuvre collective, mais en les mettant en compétition les uns avec les autres, c’est-à-dire en les isolant. Une méthode comme l’individualisation des objectifs, désormais mise en place un peu partout, et dont les effets au Technocentre Renault de Guyancourt ont été particulièrement pervers, aboutit, d’un côté, à exercer sur le salarié une pression constante contre laquelle il n’a aucun moyen de défense et, d’autre part, à rendre impossibles ses relations avec ses collègues. Ces méthodes s’inscrivent par ailleurs dans le cadre d’une course à la rentabilité qui, tout à la fois, rend les conditions de travail de plus en plus difficiles et tend à réduire le nombre de travailleurs.

La formation pourrait être un remède partiel à cet état de choses si elle favorisait véritablement l’expression des travailleurs. Telle n’est pas la voie qui est choisie. La formation au management ou à la communication constitue un relais mal camouflé du pouvoir de l’entreprise. Chargée d’aggraver et de justifier la dépendance des travailleurs, elle en alourdit l’amertume et le découragement. Les exemples se multiplient de pratiques de formation animées par des intervenants sans compétence que leur complaisance à l’égard des directions qui les emploient incite à produire des discours de propagande irrationnels, parfois proches de ceux des sectes, aussi étrangers aux préoccupations de leurs auditeurs qu’à l’intérêt bien compris de la collectivité de travail.

L’opinion publique est loin d’être indifférente à l’épreuve morale quotidienne que devient le travail pour des millions de travailleurs. Des films comme Ressources humaines et L’Emploi du temps, de Laurent Cantet, Violence des échanges en milieu tempéré, de Jean-Marc Moutout ou Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés que Sophie Bruneau et Antoine Roudil ont réalisé à partir des travaux de Christophe Dejours, en ont donné une image d’une grande force et d’une grande précision. Divers ouvrages de spécialistes, consultants ou formateurs, ont analysé dans le détail les méthodes et les principes qui régissent la vie des entreprises, ont montré pourquoi et comment ils aboutissaient à ces insupportables drames et ont, parfois, suggéré des alternatives.

La question tragiquement posée par les suicides au travail est centrale. Elle ne saurait être éludée. Elle concerne directement la vie des citoyens, leur équilibre, leurs relations, leur existence sociale. Elle concerne le secteur vital de la nation que sont les entreprises. Et, dans ce lieu où se rencontrent les grandes forces de la modernité, la finance, l’économie et la technique, et où se pose de manière très abrupte la question de savoir si, et comment, nous les dominons, elle concerne, en fin de compte, notre destin tout entier.

Par un abominable paradoxe, des travailleurs, des citoyens se donnent la mort dans le lieu même où ils devaient gagner leur vie. Au respect que nous leur devons, à celui que nous devons à leurs familles et à leurs amis douloureusement éprouvés, doit s’ajouter l’extrême attention qu’il nous faut porter à tous ceux que ces drames bouleversent et questionnent. Aux travailleurs et aux travailleuses, qui ne doivent pas entrer dans leurs bureaux ou dans leurs ateliers avec le sombre pressentiment que leur travail et le suicide peuvent y avoir partie liée. Aux jeunes qui viennent d’entrer dans les entreprises ou qui se préparent à le faire, et qui ne pourraient envisager leur avenir de façon sereine s’ils voyaient leurs aînés plongés dans ce climat d’angoisse diffuse. À toutes les citoyennes et à tous les citoyens qu’un tel état de choses blesse et révolte, la représentation nationale doit, outre ce respect, de s’informer de façon complète et précise sur tous les aspects de la vie au travail qui peuvent contribuer à de tels drames ou les provoquer.

Telles sont les raisons pour lesquelles, Mesdames, Messieurs, il vous est demandé de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres en vue de rechercher les causes directes et indirectes, immédiates ou plus lointaines, des suicides que nous avons à déplorer dans le monde du travail et, plus généralement, des troubles psychiques et physiques qui affectent les salariés des entreprises, troubles dont les médecins du travail et les experts concernés signalent la fréquence et la gravité.


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