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le 15 novembre 2007


N° 400

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 novembre 2007.

PROPOSITION DE LOI

visant à l’adoption d’une loi-cadre
contre les
violences faites aux femmes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR Mme Huguette BELLO,

députée.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Phénomène universel qui dépasse les clivages sociaux et ignore les frontières géographiques, les violences à l’égard des femmes ont longtemps été occultées et considérées comme des tabous. Pourtant, selon la dernière enquête de l’ONU auprès de 71 pays, elles concerneraient en moyenne une femme sur trois. Pourtant elles sont, en Europe, avant le cancer et les accidents de la route, la première cause d’invalidité et de mortalité des femmes. À croire que cette internationalisation et cette ampleur ont, de façon paradoxale, conduit à banaliser ces brutalités et à les considérer comme allant de soi, quitte à invoquer, ici et là, spécificités et traditions culturelles pour les expliquer, voire les justifier. Mais la seule spécificité à faire valoir pour caractériser cette forme de violence, c’est qu’elle s’exerce sur les femmes avant tout parce qu’elles sont des femmes.

Depuis une vingtaine d’années, on assiste à une réelle prise de conscience. Sous la double pression des mouvements de femmes et des institutions internationales, la législation française tente d’apporter une réponse à ce terrible phénomène. Les violences conjugales, dont les femmes sont les victimes dans l’immense majorité des cas, sortent progressivement de la sphère privée et de la rubrique des faits divers. On comprend qu’elles sont un fléau de société. Une affaire d’État.

Les violences au sein du couple : un phénomène longtemps ignoré

Tout concourait à ne pas en parler. Un silence de plomb s’était abattu sur la situation. La prise de conscience débute dans les années 70. Elle fut lente. La première et unique enquête menée en France date de 2001. Selon les résultats de l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), près de 10 % des femmes interrogées déclarent avoir subi des actes de violences de la part de leur conjoint. Le milieu social n’est pas une variable explicative. Les lieux publics sont plus sûrs que le domicile conjugal pour les femmes. Il n’y a pas de portrait-type de femmes victimes de violences domestiques.1

Ainsi que l’a démontré, en février 2001, le rapport du Professeur Roger Henrio, les violences au sein du couple, loin de se résumer à une affaire privée, constituent un problème de santé publique. Selon cette étude, la violence au sein du couple a une incidence majeure sur la santé des femmes, soit du fait des blessures provoquées, soit en raison des affections chroniques qu’elle suscite. L’étude montre également que ces violences forment « une des causes principales de mortalité des femmes, qu’il s’agisse de suicides, d’homicides ou de décès dus à des pathologies en lien avec la violence. »

Rappelons qu’en France, selon les chiffres du ministère de l’intérieur (2004), six femmes meurent chaque mois des suites des actes violents de leur compagnon. Mais tous les observateurs estiment qu’il s’agit d’une statistique a minima. Le décompte effectué par le journal Libération en septembre 2004, à partir des dépêches d’agences, arrive au chiffre de 29 tuées en deux mois. Plus récemment, une étude nationale révèle qu’au cours des neuf premiers mois de l’année 2006, une femme est décédée tous les trois jours des suites de violence au sein du couple. De son côté, le rapport 2006 de l’Observatoire national de la délinquance est encore plus alarmant puisqu’il annonce qu’une femme meurt tous les deux jours des violences de son conjoint ou ex-conjoint.

De même que leur ampleur est de plus en plus mesurée, les violences conjugales font l’objet d’une attention juridique plus soutenue.

Prise en compte juridique dans le droit national

Pour la première fois, en mars 2006, le Parlement français a adopté une loi exclusivement consacrée aux violences au sein des couples. Jusque-là en effet, cette question n’avait jamais été abordée de façon directe, mais toujours à l’occasion de telle ou telle loi relative au divorce (en 2004) ou à la modification du code pénal (en 1994). Le vote de cette loi proclame avec force et solennité que les violences conjugales sont désormais considérées comme un problème de société et prises en charge comme tel par les pouvoirs publics.

Ce texte spécifique, devenu la loi du 4 avril 2006, vise à prévenir et à réprimer la violence au sein du couple. Il contient des dispositions qui étendent le champ d’application des circonstances aggravantes à l’ensemble des infractions commises au sein du couple, y compris d’une part en cas de meurtre (curieusement exclue lors de la réforme du code pénal) et d’autre part, de façon explicite, en cas de viol et autres agressions sexuelles. Prévue depuis l’entrée en vigueur, en 1994, du nouveau code pénal pour les conjoints et les concubins, la circonstance aggravante est étendue aux infractions commises par la personne liée à la victime par un pacte civil de solidarité. Il en est de même s’il s’agit d’un ex-conjoint, d’un ex-concubin ou d’un ex-pacsé, tant il est devenu évident que la période de séparation est propice au déchaînement de la violence.

Ce texte prévoit aussi la possibilité, dans les cas de libération conditionnelle et de sursis avec mise à l’épreuve, d’interdire à l’auteur des violences d’accéder au domicile conjugal. La réforme du divorce de mai 2004 prévoyait déjà l’éloignement du conjoint violent du domicile conjugal et donnait au juge des affaires familiales la possibilité de statuer, en urgence et indépendamment de toute procédure de divorce, sur la résidence séparée des époux. Cette disposition, limitée dans le temps – 4 mois en l’absence d’une requête en divorce ou séparation de corps – ne concernait toutefois que les couples mariés.

Des avancées au niveau des instances internationales et européennes

Depuis plus de trois décennies, la reconnaissance et la condamnation de cette triste réalité ont également été portées au niveau international et européen. Mais c’est en décembre 1993, à Vienne, lors de la Conférence mondiale des droits de l’homme, que l’Assemblée générale de l’ONU s’engage, par une déclaration, en faveur de l’élimination de la violence à l’égard des femmes. De cette violence, elle propose une définition globale incluant les violences au sein du couple. Il s’agit « de tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. » Juridiquement non contraignante, cette déclaration marque cependant une grande avancée en proposant une approche commune et un cadre d’intervention.

Deux ans plus tard, en 1995, la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, tenue à Pékin, renforce cette position et met l’accent sur la nécessité de mettre en place « une approche globale et multidisciplinaire » afin de lutter contre les causes profondes et les manifestations diverses de cette violence. À ce jour, seuls l’Espagne et le Canada ont adopté une telle démarche.

La même année, les Nations unies établissent la liste des dix sujets de « vive préoccupation » dont on ne parle pas suffisamment. Y figure la violence faite aux femmes.

Au niveau communautaire, il faut mentionner, parmi les initiatives du Parlement européen, d’une part la résolution adoptée en 1997 sur le lancement d’une campagne européenne de « tolérance zéro » à l’égard des violences contre les femmes ; d’autre part, la décision de faire de 1999 l’année européenne de la lutte contre les violences à l’égard des femmes.

La Commission européenne, elle, participe, au travers du programme Daphné, au financement de projets portés par des associations et des institutions qui luttent contre les violences dont sont victimes les femmes et les enfants.

Les obstacles

La reconnaissance internationale et un dispositif juridique national de plus en plus étoffé sont indispensables. Mais cette première réponse à la violence conjugale demeure insuffisante. Bien des obstacles, souvent spécifiques à ce type de violence, restent à franchir.

Une des caractéristiques de la violence faite aux femmes est la proximité avec l’agresseur. Les victimes hésitent – et souvent renoncent – à porter plainte contre un proche. La peur des représailles, un sentiment de culpabilité et de honte, mais aussi l’absence d’informations sur leurs droits font que bien souvent les femmes victimes sont les premières à ne pas briser la loi du silence. Il faut ajouter à cela la persistance de l’idée, partagée par les victimes et par les intervenants, selon laquelle la justice n’a pas à intervenir dans les affaires privées. Au total, moins de 10 % des femmes victimes de violences domestiques porteraient plainte.

La difficulté des démarches et la multiplicité des interlocuteurs auxquelles elles sont confrontées sont aussi des obstacles lorsque les femmes souhaitent porter plainte.

Elles peuvent aussi être confrontées, surtout lorsqu’elles ne travaillent pas ou lorsqu’elles doivent démissionner du fait de la séparation, à des difficultés matérielles. Dans ce cas, le versement différé de l’aide juridictionnelle est très pénalisant. La question de l’hébergement devient particulièrement préoccupante dans un contexte de pénurie de logements sociaux ou lorsque les hébergements d’urgence sont en nombre insuffisant.

N’oublions pas une préoccupation centrale : les enfants qui peuvent pâtir directement des violences contre leur mère ou en être les victimes indirectes. C’est d’ailleurs souvent en fonction du sort qui sera réservé aux enfants que les femmes décident de quitter ou non leur conjoint violent. Remarquons à cet égard que la présence des enfants met particulièrement en lumière les contradictions juridiques entre le pénal et le civil. Alors que les dispositions du code pénal permettent à une femme en danger de quitter son domicile, celles du code civil prévoient qu’un père doit être informé de l’adresse de ses enfants mineurs.

Le gouvernement français a bien tenté de lever ces obstacles avec l’adoption, en 2004, du plan de lutte contre les violences conjugales, plan intitulé « Dix mesures pour l’autonomie des femmes ». Hébergement, accès aux soins, accompagnement professionnel, soutien matériel, sécurité des victimes, ce plan, qui se veut global, se heurte toutefois à la faiblesse des moyens budgétaires et à l’absence d’une politique interministérielle.

Les difficultés d’application de ce plan viennent illustrer, une fois de plus, la nécessité d’une véritable approche globale et multidisciplinaire pour éradiquer ces violences.

Une telle approche permettrait de ne pas se limiter à des solutions judiciaires et répressives mais, au contraire, de rassembler dans un même texte les mesures qui visent la sensibilisation, la prévention, l’aide aux victimes et leur protection, la formation des professionnels, la prise en charge des auteurs des violences et la répression.

La France s’est dotée, au cours de ces dernières années, d’un arsenal juridique contre les violences à l’égard des femmes. Mais cet empilement de lois, de circulaires, de jurisprudences et de procédures n’apporte que des réponses partielles ; de plus, il est facteur d’incohérence et de traitement différent selon les régions.

Les intervenants, de même, sont aujourd’hui nombreux : associations, collectivités territoriales, police et gendarmerie, professionnels de la santé et de l’éducation nationale. Mais le manque de coordination et de mutualisation des actions empêche les résultats d’être toujours à la hauteur des efforts déployés.

Prévue par la Constitution, une loi-cadre permettrait précisément de lutter contre le phénomène des violences envers les femmes dans ses multiples aspects et donnerait aux différents ministères concernés les moyens d’intervenir de façon coordonnée. Elle permettrait d'agir à tous les niveaux allant de la prévention à la répression. L’adoption d’une loi-cadre témoignerait aussi de la volonté politique d’éradiquer ce fléau. Elle aurait une portée symbolique qui ne serait pas sans influencer profondément l’évolution des mentalités.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

La loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs est complétée par un article 19 ainsi rédigé :

« Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Parlement examine un projet de loi-cadre regroupant l’ensemble des mesures et dispositifs qui concourent à lutter contre les violences faites aux femmes. »

1  Dans la version réunionnaise de cette enquête, réalisée en octobre 2002, on retrouve ce pourcentage. Il apparaît toutefois qu’à la Réunion les agressions sont bien plus souvent commises par l’ex-conjoint : 22 % contre 6 % pour les brutalités physiques et 46 % contre 6 % pour les tentatives de meurtre et les menaces avec armes.


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