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mis en distribution

le 3 décembre 2007


N° 425

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2007.

PROPOSITION DE LOI

tendant à lutter contre les délocalisations
et
favoriser l’emploi,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR M. Jacques DESALLANGRE, Mme Marie-Hélène AMIABLE, MM. François ASENSI, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Mme Marie-George BUFFET, MM. Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER ET Michel VAXÈS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le développement de la mondialisation a mis en exergue l’image d’un monde profondément inégalitaire. Inégalités entre riches et pauvres à l’évidence, mais aussi inégalités entre pays pour les conditions de travail, la protection sociale, l’éducation. Cette injustice flagrante dans l’accès au confort illustre les différences de niveau de vie entre les pays développés et le reste du monde ainsi qu’à l’intérieur même des pays développés ou en développement.

Parallèlement, le chômage s’est installé durablement dans les pays développés car une partie importante du travail a été délocalisée dans les pays pauvres par des investisseurs soucieux de produire à faible coût. La préservation de nos emplois et l’interdiction du recours aux licenciements boursiers passent aussi par la lutte contre le dumping social et fiscal qui incite les entreprises à délocaliser. Notre groupe parlementaire a déposé plusieurs propositions de loi visant à lutter contre ces fléaux. Nous vous proposons aujourd’hui de joindre les problématiques du licenciement économique et des délocalisations car elles sont en fait souvent communes.

Que notre économie soit florissante et nos entreprises prospères ou que la conjoncture flirte avec la récession, les plans sociaux et les suppressions d’emplois se succèdent indifféremment. Il n’y a pas de répit pour les salariés qui sont dorénavant dans une insécurité perpétuelle où rien ne peut plus leur assurer les conditions pérennes de leur survie.

Il faut rompre avec cette fatalité de la pauvreté qui entrave la consommation, limite le développement harmonieux et plonge l’Europe dans la récession sans apporter le mieux-être aux peuples exploités des pays sous-développés. La pression concurrentielle s’accroît et le coût du travail est devenu le principal facteur sur lequel les entreprises agissent pour augmenter leur compétitivité.

Cette situation est injuste et malsaine. Injuste parce que le monde est riche et que tous devraient bénéficier des droits fondamentaux comme l’éducation, la santé, des salaires décents, une retraite digne, etc. Malsaine parce que la misère engendre la violence et qu’en Europe, de plus en plus de jeunes se voient comme appartenant à une génération perdue.

Cette situation a engendré un cercle vicieux aux effets chaque jour plus perceptibles et plus dramatiques. Il faut rapidement corriger les effets négatifs sur l’économie de ce coût du travail trop faible et surtout inégal. Il faut mettre fin à ce cercle vicieux, ce sera bénéfique aussi bien pour les pays développés que pour les pays en développement.

Ces délocalisations portent atteinte à ce que nous sommes, à la mise en œuvre de nos valeurs. Il en est de même des « politiques de polarisation » qui ne sont que des délocalisations intracommunautaires mais déguisées sous un nom pudique. Dans les deux cas il s’agit d’une spécialisation géographique réservant les activités manufacturières (à forte intensité de main-d’œuvre et avec des salariés moyennement ou peu qualifiés) aux pays à bas salaires. Mais il ne faut pas nous leurrer : nous ne conserverons pas les activités à forte valeur ajoutée si nous laissons fuir toutes nos industries. Les activités intellectuelles seront naturellement attirées par les lieux de production sachant de plus que le niveau de formation des cadres et ingénieurs dans les pays émergents est en forte progression.

Si nous souhaitons réellement éviter le scénario catastrophe, il faut prendre dès aujourd’hui les mesures idoines et faire évoluer les règles de l’OMC. Les enjeux et le caractère vital pour notre modèle de développement justifient pleinement que nous redéfinissions les règles du commerce mondial.

Nous souhaitons prévenir et corriger ces effets néfastes de la mondialisation et assurer la mise en place de conditions équitables de concurrence par une réévaluation des conditions de travail entre les pays développés et ceux en développement.

Notre édifice social repose aujourd’hui encore sur le travail ; c’est avec l’école le facteur principal d’intégration. Les ravages psychologiques et sociaux qu’engendre l’absence de travail confirment, si besoin en était, son caractère primordial. Comment demander à ces femmes et hommes humiliés par un licenciement injuste d’adhérer au projet de vie en société ?

Comment demander à ces jeunes, à ces femmes dont les emplois ont été précarisés (CDD, intérim, temps partiel…) de se projeter dans l’avenir, de construire leur vie ? La construction sociale est directement remise en cause si les citoyens n’ont plus confiance en la réalisation d’un plus grand bien-être pour chacun. Sans la sûreté apportée à tous d’obtenir les moyens de sa subsistance et de son épanouissement, alors rien n’empêchera les individus de préférer l’état de nature décrit par Hobbes.

Les rédacteurs de notre constitution avaient dès 1945 perçu le rôle déterminant du travail dans la construction individuelle et l’édifice social. Ils inscrivirent ces principes dans notre Constitution en proclamant que :

« La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « chacun a le devoir de travailler et de droit d’obtenir un emploi ».

En conséquence la proposition que nous soumettons s’articule en deux chapitres. Le premier vise à proscrire les licenciements collectifs dits « économiques » alors que l’entreprise est prospère ou délocalise sa production (article 1). Cette interdiction des licenciements « boursiers » est complétée par un dispositif dissuasif mettant en œuvre le principe de responsabilité et imposant à l’entreprise fautive (licenciement abusif) de supporter l’intégralité du préjudice qu’elle cause aux salariés et à la collectivité. L’importance du coût de cette réparation modifierait de façon préventive l’équilibre du bilan coût/avantage lors des arbitrages préalables aux licenciements. Peut-être les entreprises seraient-elles alors moins enclines à considérer le travail des salariés comme la variable d’ajustement et comme une contrainte négligeable lors des prises de décisions. Nous arriverions ainsi à la pleine effectivité de ces normes protectrices, car tout comportement non conforme serait sanctionné lourdement et de façon certaine (article 2).

Mais les délocalisations peuvent s’accompagner aussi souvent d’effet « boule de neige » dans le cadre de la sous-traitance et des filiales, sans que l’entreprise engageant la délocalisation soit tenue responsable des conséquences sur l’emploi dans les autres entreprises liées à son activité. C’est pourquoi, d’une façon générale, il faut responsabiliser les entreprises donneuses d’ordre vis-à-vis des filiales et sous-traitants et que l’entreprise soit responsable socialement du devenir des salariés victimes de suppression d’emploi en raison de l’arrêt de l’activité de l’entreprise donneuse d’ordre.

Naturellement, la lutte contre les délocalisations doit s’accompagner du rétablissement du contrôle des fonds publics (article 3) ; dispositif que nous avions fait adopter sous l’ancienne législature et que l’actuelle majorité a supprimé dès son arrivée.

Cette proposition de loi ne prétend pas empêcher tous les licenciements ; ceux-ci restent justifiés lorsqu’il existe une faute lourde du salarié ou lorsque l’entreprise est en redressement ou liquidation judiciaire. En revanche, les licenciements boursiers par les entreprises prospères doivent dorénavant être proscrits.

Le second chapitre propose précisément des moyens visant à empêcher les pratiques dites de dumping fiscal et social qui sont à l’origine de la majorité des délocalisations et des licenciements.

Nous proposons d’instaurer un droit d’accès aux marchés français et européen calculé en fonction des écarts de salaires et de protection sociale entre les pays importateurs et exportateurs (article 4).

Ce prélèvement différentiel d’importation sera établi sur chaque produit en déterminant la part du facteur travail dans l’élaboration du prix de revient ; un taux correspondant au différentiel de coût du travail et de protection sociale sera appliqué. Ce taux est donc fixé par pays et par secteur d’activité. Il sera évidemment évolutif puisque, au fur et à mesure de l’amélioration des conditions d’emploi (salaire et protection sociale), son niveau s’en trouvera d’autant diminué. Plus les entreprises d’un pays paient et protègent leurs salariés, moins leurs exportations supportent de prélèvements. Ainsi entre deux pays où le coût du travail et la protection sociale sont analogues, le taux du prélèvement sera nul. Les États et les entreprises n’auront donc plus intérêt à pratiquer le dumping social et seront au contraire incités à augmenter les salaires et le niveau de protection sociale pour voir régresser les taux de prélèvements.

L’évaluation du différentiel entre pays devra être établie sur des critères objectifs qui pourraient s’inspirer des indicateurs de l’Organisation internationale du travail (OIT). Les références permettront de mieux cerner les différences réelles de coût du travail et présenteront un caractère objectif écartant ainsi les éventuelles contestations.

Ce mécanisme préservera nos emplois mais incitera aussi à l’amélioration des conditions de travail des salariés des pays émergents. L’application de ce prélèvement diminuera l’intérêt de délocaliser la production pour ensuite vendre les produits sur le territoire européen. En revanche les investissements français à l’étranger visant à satisfaire les marchés locaux et régionaux ne seront nullement affectés. Le prélèvement s’appliquant aux seuls bien importés, il ne pénalise pas les investissements en vue de satisfaire les nouveaux besoins des marchés émergents.

En préservant ainsi la production sur notre territoire européen et français, nos emplois et les conditions de notre croissance sont pérennisés et nous assurons l’enclenchement d’un cercle vertueux.

L’effet principal attendu par l’application de cette mesure est certes de rééquilibrer les conditions de la concurrence et de préserver nos emplois mais ce prélèvement assurera aussi de nouvelles recettes (article 5). Les fonds ainsi récoltés seront répartis en deux grandes masses. La majorité des ressources dégagées sera affectée en France aux mécanismes de mutualisation des risques (santé, vieillesse, accident…), c’est-à-dire à la sécurité sociale, car c’est précisément elle qui subit l’effet dévastateur des délocalisations par la résorption de l’assiette salariale sur laquelle est assise l’ensemble de ses ressources. Il est donc légitime que soient compensées les pertes induites par les délocalisations et le dumping social.

Une autre part sera affectée directement à l’aide au développement des pays à faible coût du travail afin d’accélérer le processus d’augmentation de niveau de vie et de protection sociale des salariés. Les sommes consacrées devront répondre à des conditions strictes d’emploi et être utilisées pour des programmes sociaux ou éducatifs, ainsi que pour favoriser l’investissement socialement responsable.

Dans un souci d’efficacité et de cohérence il est souhaitable que ce dispositif présente un caractère mondial. La France et son législateur peuvent dès à présent prendre l’initiative d’instituer un tel prélèvement et proposer que soit ouverte la négociation sur l’extension de cette mesure à l’Union européenne et aux institutions intergouvernementales et internationales (ONU, OIT, OMC) (article 6).

PROPOSITION DE LOI

Chapitre Ier

Protéger les salariés contre les délocalisations

Article 1er

L’article L. 321-1 du code du travail est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le licenciement pour motif économique est l’ultime acte d’une entreprise en difficulté qui n’a pu être surmontée par la réduction des coûts autres que salariaux. Il appartient à l’employeur d’en établir la nécessité.

« Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement collectif pour motif économique effectué alors que l’entreprise ou sa filiale a réalisé des bénéfices, constitué des réserves ou distribué des dividendes au cours des deux derniers exercices, ou a procédé à un transfert d’activité, de production ou de services vers un pays étranger pour exécuter des travaux qui pourraient l’être par le ou les salariés dont le poste est supprimé. »

Article 2

L’article L. 351-3-1 du code du travail est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« L’entreprise qui procède à un licenciement collectif pour motif économique sans cause réelle et sérieuse doit réintégrer l’ensemble des salariés qui le souhaitent. En cas d’absence de réintégration, elle verse à un fonds spécial une restitution sociale égale au montant du salaire et des charges sociales auxquels s’ajoutent les frais de formation professionnelle éventuelle et les préjudices subis par les territoires dont elle se désengage.

« Cette restitution sociale est due jusqu’à ce que les salariés aient retrouvé un emploi en relation avec leur qualification.

« Le fonds spécial est géré par la Caisse des dépôts et consignations dans des conditions définies par décret. Il verse les indemnités aux salariés, aux organismes sociaux et aux collectivités territoriales en fonction des préjudices qu’ils subissent.

« L’entreprise qui procède à un transfert d’activité de production ou de service vers un pays étranger est responsable des conséquences économiques et sociales pour ses filiales et sous-traitants. Elle est à ce titre tenue in solidum de verser la restitution sociale. »

Article 3

La loi n° 2001-7 du 4 janvier 2001 relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises est rétablie dans sa dernière version en vigueur antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 84 de la loi de finances rectificative pour 2002 (n° 2002-1576 du 30 décembre 2002).

Chapitre II

Protéger les entreprises contre les dumpings fiscal et social

Article 4

Est institué un prélèvement sur les biens importés.

Ce prélèvement est calculé sur la base du montant correspondant aux coûts salariaux dans le prix de revient de ces biens. À cette assiette est appliqué un taux représentant, par secteur d’activité, la différence des coûts salariaux avec le pays exportateur.

L’assiette et les taux par pays et secteur d’activité sont déterminés par décret en Conseil d’État.

Article 5

Les ressources provenant du prélèvement sont versées à un fonds de rééquilibrage des conditions de la juste concurrence.

Les conditions de fonctionnement du fonds sont déterminées par décret en Conseil d’État. La majeure partie des ressources est reversée aux organismes sociaux. La part restante est utilisée en faveur de programmes d’aide au développement des populations des pays les moins avancés et en faveur des entreprises s’inscrivant dans une telle démarche.

Article 6

Le Premier ministre présente dans l’année qui suit la promulgation de la présente loi un rapport au parlement sur les initiatives menées auprès de l’Union européenne, de l’Organisation des Nations Unies, de l’Organisation internationale du travail et de l’Organisation mondiale du commerce afin d’étendre le champ d’application du prélèvement différentiel prévu par l’article 4 de la présente loi.

Article 7

Les charges qui résulteraient pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées par une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés.


© Assemblée nationale