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mis en distribution

le 3 mars 2008


N° 673

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 janvier 2008.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
relative au
syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR M. François de RUGY, Mme Martine BILLARD,
MM. Yves COCHET et Noël MAMÈRE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Allons-nous, sans réagir, laisser des territoires se vider de leurs populations d’abeilles ?

Alors que la reproduction de plus de 80 % des espèces végétales florales dans le monde dépend directement des insectes pollinisateurs, les abeilles sont victimes aujourd’hui de ce qu’on nomme aux États-Unis le « syndrome d’effondrement des colonies » : des populations entières d’abeilles disparaissent, inexplicablement. Des ruches se vident subitement. Aucun cadavre n’est retrouvé alentours, et aucune présence de prédateurs ou de squatteurs n’est constatée.

Ce phénomène prend une ampleur impressionnante même si les pertes varient d’une région à l’autre et si les chiffres sont difficiles à vérifier : aux États-Unis, 25 % du cheptel aurait disparu au cours de l’hiver 2006-2007, avec des pertes pouvant atteindre localement jusqu’à 90 % des colonies. Les dernières estimations mentionnent 1,5 million de colonies disparues ces derniers mois dans 27 États, sur un total de 2,4 millions.

En Allemagne, les pertes sont estimées à 25 % des colonies, allant jusque 80 % dans certains élevages. En Angleterre, on parle du « phénomène Marie-Céleste », du nom de ce navire dont l’équipage s’est volatilisé en 1872.

En France, une surmortalité importante était enregistrée depuis 1995 (entre 300 000 et 400 000) jusqu’à l’interdiction du Gaucho et du Régent TS en 2004. Mais l’épidémie a récemment repris de plus belle avec des pertes allant de 15 à 95 % selon les cheptels. À ce jour, des échos en provenance de diverses régions, font état de pertes importantes pour l’hiver 2007-2008, tandis que d’autres sources évoquent le retour à un niveau proche de la normale. Ces divergences laissent, en attendant les beaux jours, les apiculteurs dans l’inquiétude.

Selon Bernard Vaissière, chargé de recherches à l’INRA, « on estime qu’autour de 30 % des espèces d’abeille sont en danger en Europe. C’est considérable ».

Aujourd’hui une grande incertitude règne quant aux causes de ce phénomène.

Les abeilles sont fragiles parce qu’elles se nourrissent presque exclusivement de nectar et de pollen que les plantes produisent pour elles.

Les pesticides jouent sans aucun doute un grand rôle.

On a longtemps pensé que le surdosage de pesticides entraînait la surmortalité des abeilles et qu’il suffisait de diminuer la quantité pour résoudre le problème. Or il a été montré par des chercheurs de l’INRA d’Avignon que l’exposition à de faibles doses répétées pouvait avoir des effets plus importants que de fortes doses, répétées ou non.

L’introduction de pesticides dits « systémiques » à base d’imidaclopride comme le Gaucho ou de fipronil pour le Régent TS auraient provoqué de véritables hécatombes. Ils sont suspendus d’utilisation pour certaines cultures en France, pour le tournesol et le maïs, toujours homologué pour les céréales à paille. Suspension qui ne vaut pas pour l’ensemble de l’Union européenne.

En s’attaquant au système immunitaire des abeilles et en les rendant vulnérables aux parasites, virus, etc., ces nouveaux pesticides auraient induit des effets de cascades en interagissant avec des champignons incorporés dans des pesticides chimiques pulvérisés en complément sur les cultures pour combattre les criquets, certaines teignes ou la pyrale du maïs.

Des études récentes feraient en outre état de la présence de champignons parasites de la famille des Nosema dans quantité d’essaims en cours d’effondrement. Ces études doivent être approfondies.

Malgré ces indices alarmants, un nouvel insecticide systémique vient d’être autorisé en France. Le Cruiser, à base de thiamethoxam qui servira à protéger le maïs contre le taupin. Et ceci alors que des études ont montré que le retour à la ruche des abeilles pouvait être perturbé par l’absorption de thiamethoxam, même à des doses très faibles.

On peut dès lors légitimement s’interroger sur le bien-fondé d’une telle autorisation.

Si l’on ne peut écarter la responsabilité des pesticides, les experts s’accordent pour dire que le syndrome d’effondrement des colonies est vraisemblablement dû à l’addition de différents facteurs.

En premier lieu, l’introduction des OGM dans les cultures. On a déjà pu constater un effet de cascade entre des champignons parasites volontairement répandus et les biopesticides produits par les plantes OGM. Des scientifiques de l’université d’Ontario ont démontré expérimentalement que les larves de pyrale du maïs infectées par le champignon Nosema pyrausta sont 45 fois plus sensibles aux infections que les larves saines, une constatation à mettre en parallèle avec l’effondrement du système immunitaire des abeilles. La récente mise en œuvre de la clause de sauvegarde par la France est une bonne nouvelle, car les OGM peuvent entraîner des conséquences irréversibles sur les cultures agricoles, et évidemment sur les abeilles. Les recherches sur les OGM doivent être poursuivies, en prenant en compte le facteur insecte dans les protocoles d’essais ce qui n’est pas le cas actuellement.

Le fameux Varroa destructor, un acarien parasite, joue également probablement un rôle. À l’origine, c’était un parasite de l’abeille asiatique apis ceranae. Il a été introduit en Europe au début des années 80 et a envahi depuis tous les continents. Hormis l’apis ceranae, les abeilles n’ont pas de protection naturelle contre cet acarien qui les affaiblit et les rend plus sensibles à d’autres facteurs, comme par exemple une infection virale.

On a parlé d’un frelon nommé vespa velutina nigrithorax, endémique en Chine, au Bouthan et dans le nord de l’Inde et qui s’est répandu en France et notamment en Aquitaine depuis son entrée par accident sur le territoire depuis 2004. Ce frelon qui n’a pas de prédateur, s’attaque aux abeilles, alors que son cousin européen vespa crabo lui préfère chenilles et autres insectes. Le risque de voir vespa velutina supplanter vespa crabo est réel. Cela peut conduire à un déséquilibre écologique sérieux.

Les ondes électromagnétiques ont également été suspectées de perturber les nano particules de magnétite présentes dans l’abdomen des abeilles, les empêchant par là même de retrouver le chemin de la ruche. Des maladies, comme la loque ou encore l’Israeli Acute Paralysis Virus, la raréfaction des plantes mellifères comme le trèfle, la réduction des surfaces cultivées en tournesol, la perte de biodiversité… tous ces facteurs doivent aussi être pris en considération.

S’ajoute à cela le contexte global du changement climatique. La perturbation des saisons, les accidents climatiques, l’amplitude croissante des températures, la pollution sont autant d’éléments nouveaux et extrêmement perturbateurs qui peuvent entrer en ligne de compte.

On le voit, la recherche des causes de ce syndrome d’effondrement est extrêmement complexe. Et malheureusement, les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux. En France, particulièrement, il y a très peu de chercheurs travaillant sur les pollinisateurs et la pollinisation par les insectes.

Les pouvoirs publics ont lancé, sans grand résultat, des pistes depuis quelques années, telles que les ZOR (zones d’observations régionales) afin de comparer les mortalités d’abeilles sur les zones traitées avec le Régent TS et le Gaucho et des zones sans ce type de traitement. Mais le projet n’a pas abouti.

Le CST (comité scientifique et technique) créé en 1994 devait réaliser une étude multifactorielle pour expliquer la surmortalité des abeilles. Mais il s’est limité aux pesticides, ce qui est insuffisant.

Le CNDA, Centre national de développement apicole, avec son réseau régional d’ADA (association de développement apicole) appuie les apiculteurs dans la recherche et le suivi des causes de mortalités des colonies. Il coordonne les actions et joue le rôle d’interface entre les pouvoirs publics nationaux régionaux et l’ensemble de la filière apicole. Afin de pouvoir pleinement remplir son rôle, le CNDA doit avoir une reconnaissance pleine et entière comme institut technique, que les pouvoirs publics lui refusent jusqu’à ce jour.

En 2004, l’Europe a lancé le programme Alarm (Assessing Large-scale environmental risks for biodiversity with tested methods) qui se terminera en 2008. Les premiers résultats sont intéressants, comme en témoigne l’article sur le déclin parallèle des abeilles sauvages et des plantes pollinisées par les abeilles paru dans Science en juillet 2006. On envisage des solutions pour inverser la tendance comme les jachères fleuries par exemple, mais tout cela est encore embryonnaire. L’AFSSA vient de lancer une étude de toutes les données scientifiques parues sur les mortalités.

Les avancées dans la connaissance de ce phénomène et des solutions à y apporter ne sont pas assez rapides au regard de l’importance et de la vitesse de sa propagation. Les moyens mis en œuvre sont nettement insuffisants. Aucun pays n’a réussi à mettre en place un réseau de suivi des pertes. L’Allemagne s’y est essayé, mais sans grand succès. Les responsables politiques ne se saisissent pas de cette question alors les enjeux sont importants, tant du point de vue écologique qu’économique.

En France, cinq mille emplois liés à l’apiculture sont menacés. Les firmes phytopharmaceutiques qui fabriquent les pesticides chimiques se disent injustement spoliées depuis 2 ans par l’interdiction du Régent et du Gaucho alors que les abeilles continuent de mourir. Quand on sait que le secteur représente 31 milliards d’euros de chiffre d’affaire, on comprend leur intérêt à faire pression pour remettre leurs produits sur le marché, en s’appuyant sur études leur étant favorable comme le récent rapport de l’Efsa (l’Autorité européenne de sécurité des aliments) dédouanant le fipronil.

Mais c’est là que le politique doit jouer pleinement son rôle. Face à des intérêts clairement identifiés comme peuvent l’être ceux des industriels phytosanitaires ou ceux des apiculteurs et des intérêts plus complexes (comment chiffrer économiquement de manière précise l’importance de la préservation de la biodiversité ?), les responsables politiques doivent prendre leur part de responsabilité et agir dans le sens de l’intérêt commun.

Selon une étude internationale menée sur 115 cultures et dans 200 pays par des équipes de France, d’Allemagne, des États-Unis et d’Australie, les trois quarts des cultures sont pollinisées majoritairement par les insectes. Seules 25 % des cultures n’en dépendent pas du tout, principalement des céréales comme le blé, le maïs et le riz. Au total, c’est 35 % de la production mondiale de nourriture qui provient de cultures dépendant de la pollinisation par les insectes.

Einstein disait il y a cinquante ans : « Si l’abeille disparaissait du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. » L’enjeu nous paraît suffisamment important pour que tous les moyens soient mis en œuvre afin de sauver les populations d’abeilles.

La mise en place rapide d’une commission d’enquête nous apparaît donc nécessaire pour faire la lumière sur les causes du syndrome d’effondrement, sur les insuffisances des politiques publiques mise en place pour y remédier, et sur les pistes à envisager pour inverser la tendance.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d’adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres relative au syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles.

Elle devra notamment :

– Étudier l’ampleur de la surmortalité des abeilles en France ainsi que l’évolution de ce phénomène ;

– Déterminer les responsabilités de cette surmortalité et l’interaction entre les causes possibles ;

– Évaluer les politiques publiques menées en France pour lutter contre cette surmortalité et les comparer avec celles menées en Europe et aux États-Unis notamment ;

– Définir les outils à développer pour œuvrer efficacement à la préservation des populations d’abeilles en France ;

– Préconiser des mesures pour la relance de l’apiculture, la consolidation des structures de développement et de soutien aux exploitations apicoles.


© Assemblée nationale