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le 6 mars 2008


N° 692

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 février 2008.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences des cessions successives de Péchiney à Alcan, d’Alcan à Rio Tinto, et sur les décisions qu’appelle du Gouvernement français et de l’Union européenne, l’objectif de préservation de ces activités industrielles et de recherche, des emplois et d’une filière aluminium en France et en Europe,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR M. Alain BOCQUET, Mme Marie-Hélène AMIABLE, MM. François ASENSI, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Mme Marie-George BUFFET, MM. Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 16 mai 2006, les députés communistes et républicains déposaient à la Présidence de l’Assemblée nationale une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences de l’absorption de Péchiney par Alcan, et sur les conditions nécessaires à la sauvegarde et au développement de la filière aluminium en France et en Europe.

Cette proposition renvoyée devant la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, la majorité et le Gouvernement se sont toujours refusés à l’examiner et à permettre sa mise en œuvre en dépit des problèmes cruciaux pour l’industrie, la recherche et l’économie nationales qu’elle réclamait d’aborder.

Or les évènements survenus depuis sur les plans industriel, économique et financier, et social ont confirmé toute l’urgence de cette démarche.

Ce fut d’abord en mai 2007 l’annonce du lancement d’une offre publique d’achat (OPA) sur Alcan, numéro deux mondial de l’aluminium, par le groupe nord-américain Alcoa, numéro un.

Cette éventualité redoutée à la fois par les industriels comme Airbus pour qui : « la concentration à grande échelle en cours dans l’industrie des métaux, pourrait altérer négativement le développement, le prix et la fourniture des matériaux », était également rejetée par les salariés, en référence aux ravages produits après 2003, par le raid surprise d’Alcan sur Péchiney : liquidation d’actifs, fermeture de sites et suppression de 5 000 emplois.

Allait suivre en juillet 2007, une seconde OPA lancée sur Alcan, cette fois par le groupe anglo-australien Rio Tinto, deuxième producteur mondial de charbon et d’uranium.

On pouvait lire peu après dans la presse que « malgré la fragilité des garanties sociales consenties par Rio Tinto, le Gouvernement français et la Commission européenne [ont] donné leur feu vert à l’opération de rachat. »

Et l’entreprise Alcan Packaging Capsules de Châlon-sur-Saône allait faire immédiatement les frais de la préparation de cette fusion, avec la suppression de plusieurs dizaines d’emplois. Une suppression d’autant plus scandaleuse que, soulignaient à l’automne 2007 les responsables syndicaux des salariés : « non seulement ces 45 suppressions ne sont pas justifiées, mais il faudrait prévoir des embauches pour faire face au développement du marché de la capsule ». Ce n’était pourtant qu’un début pour Alcan !

Fin novembre, Rio Tinto se préparait, en fait, à se défaire de la majeure partie des activités de l’ancien groupe Péchiney. Rio Tinto prolongeait ainsi la vente par Alcan, avant fusion, de la division « Emballages » (5 500 salariés sur 25 sites en France), par le projet de cession de la branche « Produits usinés » et donc le délestage au total de 11 000 emplois, dont les 5 500 que représente également cette activité répartie sur 14 usines en France au nombre desquelles : Issoire (Puy-de-Dôme) qui produit des tôles d’aluminium pour l’aéronautique, Neuf-Brisach (Haut-Rhin), Voreppe (Isère), Sainte-Menehould (Moselle) ...

Le 13 décembre dernier, André Gerin a adressé au nom des député-e-s communistes un courrier à François Fillon, Premier ministre, pour dénoncer les conséquences désastreuses de ces dérives. Après avoir rappelé la politique mise en œuvre par Alcan, pressé dès après l’acquisition de Péchiney en 2003, « de faire main basse sur les brevets, de supprimer des emplois par milliers et de fermer des usines », ce courrier souligne que le même scénario se rejoue aujourd’hui et « risque de priver définitivement notre pays de compétences et de productions vitales pour notre industrie. »

La réponse rendue voici quelques jours par le Premier ministre est loin d’éclaircir la situation et d’apporter en priorité, des solutions à ces problèmes de fond. L’expérience de liquidations similaires de pans entiers de l’industrie française, prouve en effet que la « vigilance » gouvernementale préconisée par François Fillon est de peu de poids et sans crédit devant la gravité de la situation et face à la course effrénée aux profits.

La presse économique fait régulièrement écho aux batailles boursières et financières engagées entre les divers producteurs mondiaux pour créer le plus grand groupe minier planétaire. L’exemple de Péchiney acheté 5 milliards de dollars par Alcan et revendu 38,1 milliards de dollars à Rio Tinto, quatre ans plus tard, en témoigne.

Rio Tinto est aujourd’hui à son tour l’objet d’une offre du groupe BHP Billiton, qui avoisine les 110 milliards de dollars, et les prédateurs ne manquent pas, à l’image du premier sidérurgiste chinois Baosteel qui, fin 2007, se préparait lui-même à une surenchère.

Les résultats 2007 de Rio Tinto aiguisent tous les appétits. Résultats industriels d’abord avec des productions en hausses spectaculaires : + 9 % sur un an pour le minerai de fer ; + 65 % pour le cuivre raffiné ; + 14 % pour le cuivre extrait des mines. L’aluminium offre la plus considérable progression avec une hausse de 287 % grâce rappelait récemment le quotidien économique La Tribune « à la récente consolidation des 618 000 tonnes produites par Alcan ».

Résultats financiers ensuite, l’envolée du prix des matières premières combinée à la forte demande provenant prioritairement d’Asie et de la Chine en particulier, lui valant de dégager un bénéfice de l’ordre de 7 milliards de dollars. Ce qui lui permet d’annoncer aux actionnaires des dividendes rehaussés de 30 % pour 2007, et d’au moins 20 % pour 2008 puis 2009.

Ces chiffres de production, ces résultats financiers et le contexte économico-industriel montrent qu’il n’y a donc pas de fatalité à la liquidation de cette branche de notre économie, et que la soumission servile aux lois des marchés n’est pas de mise.

« L’aluminium, écrivions-nous en mai 2006, est un métal essentiel à l’approvisionnement de l’industrie contemporaine. Il est devenu un matériau de référence dans l’automobile, l’aéronautique, l’emballage, le câblage ou encore l’électronique grand public (...) Les experts prévoient une croissance durable de 4 % par an. La maîtrise de la fabrication et de la livraison de l’aluminium, dans un contexte d’inflation des prix des matières premières, est un enjeu stratégique pour nombre d’entreprises françaises et européennes, particulièrement les PME-PMI indépendantes dont le pouvoir d’action est limité. Or notre pays est confronté à un déficit de production l’obligeant à importer chaque année environ 300 000 tonnes. Sur l’ensemble de l’Europe, le manque est estimé à 2,2 millions de tonnes ».

Continuer de laisser fermer des usines comme dans les Pyrénées et les Alpes, disperser et liquider les sites français de Péchiney devenus ceux d’Alcan puis ceux de Rio Tinto, est une responsabilité et une faute considérables vis-à-vis de l’activité industrielle nationale et de l’emploi.

Alors que Rio Tinto, sous prétexte de se concentrer dans les mines, prévoit avec les cessions annoncées ou envisagées, des ventes d’actifs s’élevant à 15 milliards d’euros (trois fois sa mise), les syndicats dénoncent son véritable objectif qui « n’est pas de consolider le groupe, mais de rechercher les plus gros profits possibles (...) C’est un véritable gâchis qui prive l’entreprise de moyens de développement, casse les collectifs de travail, déstructure les équipes de recherche et va saigner des milliers d’emplois » supplémentaires.

Comme l’exprimait la proposition de résolution que nous avions déposée en mai 2006, le débat sur l’avenir de ces entreprises et de leurs salariés ne peut par conséquent, rester confiné dans le cercle restreint des conseils de surveillance !

Le Gouvernement, fort des enseignements tirés de ces opérations successives d’achat et de vente de groupes, et des conséquences industrielles et sociales en résultant chaque fois au détriment des territoires locaux et des populations frappées, doit prendre les mesures permettant de s’opposer à ce que les intérêts boursiers décident de tout, hors de tout contrôle.

Il doit également faire connaître les initiatives qu’il entend prendre auprès de ses partenaires européens et avec leur concours, pour stopper l’hémorragie et assurer, au contraire, le renouveau et l’essor de la filière aluminium.

La situation et les dépeçages auxquels on est si rapidement et brutalement arrivé en cinq ans à peine, ne permettent plus de tergiverser.

C’est pourquoi nous demandons que l’Assemblée nationale se saisisse enfin et précisément, de ces enjeux, et qu’elle adopte cette proposition de création d’une commission d’enquête parlementaire sur les conséquences des cessions successives de Péchiney à Alcan, d’Alcan à Rio Tinto, et sur les décisions qu’appelle de la part du Gouvernement français et de l’Union européenne, l’objectif de préservation de ces activités industrielles et de recherche, des emplois et d’une filière aluminium en France et en Europe.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’investiguer sur les conséquences des cessions successives de Péchiney à Alcan, d’Alcan à Rio Tinto, et sur les décisions qu’appelle de la part du gouvernement français et de l’Union européenne, l’objectif de préservation de ces activités industrielles et de recherche, des emplois et d’une filière aluminium en France et en Europe.


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